Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition de M. Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France 2
– Présences en réunion..............................22
Mardi
6 mai 2025
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 69
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Céline Calvez,
Vice-présidente
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La séance est ouverte à quatorze heures.
(Présidence de Mme Céline Calvez, vice-présidente)
La commission auditionne, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), M. Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France.
Mme Céline Calvez, présidente. Nous recevons M. Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, accompagné de M. Xavier Taquet, son directeur de cabinet.
Il nous a semblé nécessaire de vous entendre, d’une part afin de mieux appréhender le rôle et le poids des régions dans le financement et le contrôle des établissements scolaires, d’autre part parce que la région que vous présidez abrite plusieurs établissements qui, pour des raisons différentes, suscitent l’intérêt de notre commission. Parmi eux figurent le lycée Averroès – la décision de résiliation du contrat qui le liait à l’État a récemment été annulée par le tribunal administratif de Lille – et Notre-Dame de Riaumont-Saint-Jean-Bosco de Liévin.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Xavier Bertrand et M. Xavier Taquet prêtent successivement serment.)
Pour l’année scolaire en cours, quel est le montant global des subventions versées par la région des Hauts-de-France aux établissements scolaires relevant de son champ de compétence ? Pouvez-vous distinguer entre établissements publics et privés, ainsi qu’entre subventions obligatoires et facultatives ?
M. Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France. Pour l’année en cours, la dotation globale de fonctionnement s’élève à 90,2 millions d’euros et les subventions destinées aux actions éducatives à 3,2 millions. S’y ajoutent nos politiques volontaristes par l’intermédiaire de subventions, de prêts à taux zéro ou de garanties d’emprunt, pour un montant de 10 millions d’euros. À partir de la rentrée, ces dispositifs seront suspendus, notamment pour les établissements privés sous contrat, et nous entrerons dans une année blanche. Enfin, il y a les dépenses qui relèvent de la maîtrise d’ouvrage région, c’est-à-dire que la région les finance, par exemple pour la maintenance d’installations de chauffage ou d’ascenseurs. Cette année, elles représenteront un peu plus de 5 millions d’euros.
Mme Céline Calvez, présidente. Quelle est la répartition entre les établissements publics et les établissements privés ? Quelles sont les dépenses obligatoires parmi celles destinées à ces derniers ?
M. Xavier Bertrand. La dotation globale de fonctionnement représente 90,2 millions d’euros pour les établissements publics et nous versons 50 millions d’euros aux établissements privés. Ces 50 millions sont obligatoires, contrairement aux 10 millions que j’ai mentionnés par ailleurs.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nos travaux d’enquête se concentrent sur le contrôle de l’État en matière de violences psychologiques, physiques ou sexuelles au sein des établissements scolaires.
Les régions ont la responsabilité des lycées et, à ce titre, subventionnent de façon obligatoire les lycées publics et les lycées privés sous contrat. Pour les lycées privés hors contrat, elles peuvent avoir une politique d’accompagnement de certaines actions éducatives. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point.
S’agissant des inspections académiques ou des contrôles administratifs effectués dans les lycées, votre conseil régional y a-t-il déjà été associé ? Compte tenu de l’actualité et de toutes les révélations qui ont été faites, souhaiteriez-vous qu’il le soit davantage ? Considérez-vous qu’une inspection ou une inspection générale soit fondée à s’intéresser au personnel non enseignant employé directement par les lycées ?
M. Xavier Bertrand. Le conseil régional n’est ni associé ni informé quand des contrôles sont effectués par l’État, et c’est dommage. Dès lors qu’ils concernent des compétences régionales, qu’il s’agisse du fonctionnement financier ou de la gestion des agents régionaux, il serait intéressant que ce soit systématiquement le cas – et je le souhaiterais –, y compris pour les audits de la direction régionale des finances publiques (DRFIP), auxquels les services régionaux, notamment ceux dédiés aux lycées, ne sont pas non plus associés.
Le personnel non enseignant relève de la responsabilité de la région, mais il fait pleinement partie de la communauté éducative. Par conséquent, cela ne me choquerait pas qu’une inspection s’y intéresse. Je suis davantage gêné par le fait qu’en tant que président de région, je n’ai aucune autorité fonctionnelle sur mes agents employés dans les lycées. Cette situation est anormale et le législateur devrait se saisir du sujet. L’agent comptable donne des instructions, mais le président de région n’exerce pas l’autorité fonctionnelle sur ces agents.
Il est important que l’État collabore étroitement avec les services régionaux et, inversement, que la région puisse bénéficier de la collaboration des services de l’État quand elle lance des inspections ou mène des enquêtes au sujet de ses agents au sein d’un établissement. Je suis favorable à un renforcement de ces collaborations.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous n’avez pas l’autorité fonctionnelle sur le personnel non enseignant des lycées. En revanche, il me semble que vous sélectionnez et recrutez ces agents. Les régions – et la région des Hauts-de-France en particulier – ont-elles mis en place un contrôle d’honorabilité spécifique, notamment à la suite des événements médiatisés qui se sont déroulés à Bétharram ou à Riaumont ? Quelles améliorations pourraient être apportées dans ce domaine ?
M. Xavier Bertrand. Les services des ressources humaines de la région effectuent tous les contrôles préalables qui sont autorisés par la loi, que ce soit pour le recrutement des contractuels ou pour la titularisation des vacataires. Je suis en effet très attaché à sortir ces agents de la précarité. Être rémunérés sur douze mois et avoir de la visibilité constitue un changement fondamental pour eux.
Lors du recrutement, la région demande systématiquement l’extrait du casier judiciaire B2. Certaines fonctions réglementées nécessitent également une attestation d’honorabilité, mais la région ne fait pas partie des employeurs autorisés à la demander. Il s’agit d’ailleurs d’une évolution qui pourrait être recommandée à l’issue de vos travaux. La région devrait pouvoir solliciter une telle attestation pour les agents qui sont en contact avec des jeunes. Je ne suis pas seulement preneur de cette évolution, j’en suis demandeur.
Pour le moment, le B2 est le seul document qui nous permet de vérifier le passé judiciaire des candidats. Selon les informations qu’il contient, il peut interdire le travail auprès des jeunes et rendre impossible le recrutement.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. L’attestation d’honorabilité correspond-elle à la consultation du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) ? Est-ce un autre document ?
M. Xavier Bertrand. La réglementation ne nous autorise qu’à demander l’extrait de casier judiciaire B2.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. S’agissant des subventions, vous avez indiqué que, de façon obligatoire, 90 millions d’euros étaient alloués aux lycées publics et 50 millions d’euros aux lycées privés sous contrat. Vous avez ajouté que 10 millions étaient versés aux différents établissements, de manière optionnelle, pour soutenir des projets liés à la vie scolaire.
Certains de vos collègues présidents de région sont mis en cause pour la nature des subventions accordées à des établissements privés hors contrat. Le réseau Espérance banlieues, dont un établissement se trouve dans notre région des Hauts-de-France, à Roubaix, est particulièrement ciblé par la presse.
La région des Hauts-de-France subventionne-t-elle des établissements hors contrat ? Le cas échéant, comment de telles subventions sont-elles accordées ? S’agit-il de demandes qui vous sont soumises ou de réponses à des appels à projet ? Comment s’organise la relation entre la région et ces lycées ?
M. Xavier Bertrand. La région des Hauts-de-France ne subventionne aucun établissement privé hors contrat. Ce n’est pas un refus de principe. Je ne m’interdis pas de le faire pour tenir compte d’enjeux liés aux compétences de la région, notamment l’attractivité et le développement économique. Néanmoins, ce n’est pas le cas et ça ne l’a jamais été depuis que je suis à la tête de la région.
Quelle était votre question par rapport à mes collègues ?
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Dans deux régions, des subventions attribuées à des établissements hors contrat, qui appartiennent au réseau Espérance banlieues et à un autre réseau, font l’objet de contestations. À la suite de dénonciations et de signalements, des enquêtes sont en cours.
Que feriez-vous si vous étiez sollicité par des établissements hors contrat ? L’avez-vous déjà été ? Des demandes ont-elles été refusées ? La région des Hauts-de-France a-t-elle formalisé ses critères de soutien à des projets proposés par des écoles privées, qu’elles soient sous contrat ou hors contrat ? Si ce n’est pas le cas, cela serait-il souhaitable ? Quelles sont les relations que la région entretient avec les établissements privés des quartiers prioritaires de la politique de la ville, où elle intervient beaucoup ?
M. Xavier Bertrand. Je ne m’interdis pas par principe d’accorder des subventions à des établissements hors contrat, mais je ne le ferais que si cela présentait un intérêt avéré pour la région. En outre, la décision donnerait lieu à un débat lors d’une assemblée plénière, afin de permettre une discussion ouverte et publique.
Nous ne recevons pas de demandes de subvention, parce que la position de la région vis-à-vis des établissements hors contrat est connue.
S’agissant des relations que la région entretient avec ces établissements, j’ai été sollicité à différentes reprises, par des élus ou des acteurs économiques et associatifs locaux, pour en visiter. Ce fut le cas en 2018 et en 2020 pour le Cours La Cordée et – si mes souvenirs sont exacts – en mars 2024 pour le Cours Clovis. Je n’ai pas souhaité donner suite à ces invitations.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. En tant que députée, j’ai également été sollicitée pour visiter le Cours La Cordée à Roubaix et je m’y suis rendue. Quelles étaient les raisons de votre refus ? Est-ce parce qu’il s’agit d’un établissement hors contrat ? Est-ce parce qu’il ne propose pas d’enseignement de niveau lycée ?
M. Xavier Bertrand. La région n’a pas de relations établies avec ces établissements. Par conséquent, je n’ai pas de raison de les visiter.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous avez indiqué que 10 millions d’euros de subventions étaient accordés librement par le conseil régional à des établissements publics ou privés. Pouvez-vous nous préciser le type d’actions qui sont ainsi soutenues ? Comment les demandes sont-elles instruites ? S’agit-il de réponses à des appels à projet ? Correspondent-elles à une volonté du président d’accompagner plus particulièrement certaines politiques ? Vous est-il arrivé de mettre fin à des subventions qui étaient régulièrement attribuées à des établissements privés sous contrat, par exemple en raison de la survenue de tel ou tel événement ?
M. Xavier Bertrand. La région s’était historiquement engagée à hauteur de 10 millions d’euros par an. Nous ne pourrons pas être à ce niveau-là cette année, compte tenu des contraintes budgétaires qui nous ont imposées par l’État.
Ces interventions sont volontaristes et correspondent à un choix du conseil régional. Des protocoles d’accord ont été conclus avec différents réseaux, dont l’enseignement diocésain, et leurs projets sont accompagnés de manière prioritaire.
Au-delà de la contribution obligatoire, qui correspond au forfait régional d’externat et représente 50 millions d’euros par an, nous avons la possibilité d’accorder des subventions d’investissement facultatives aux établissements privés du second degré. L’article 69 de la loi Falloux fixe un plafond équivalent à 10 % de leurs dépenses annuelles, ce que nous respectons. Pour les établissements d’enseignement technologique et professionnel, les établissements d’enseignement agricole et les maisons familiales rurales (MFR) – nous sommes très attachés au réseau des MFR dans la région –, la loi Astier de 1919 ne limite pas les subventions des collectivités territoriales. Nous pouvons accorder tout type d’aide, y compris des prêts gratuits ou de la mise à disposition de matériels. La seule condition – que je rappelle, car elle n’est pas forcément connue – est que ce soutien n’excède pas celui qui est consenti aux établissements publics de même nature.
Ces subventions facultatives relèvent d’une volonté politique, que j’assume. Elles servent essentiellement à financer des travaux ou des achats d’équipements. Nous accordons des avances remboursables à taux zéro ou des prêts à taux zéro. Il s’agit aussi de couvrir les annuités d’emprunts souscrits pour de gros travaux. Dans ce cas, le soutien est récurrent, puisque les prêts courent sur plusieurs années. Nous veillons toutefois à ne pas dépasser le plafond de 10 % fixé par la loi Falloux.
Philosophiquement et politiquement, je suis attaché à la liberté de choix. Les enfants que leurs familles scolarisent dans des établissements privés doivent pouvoir accéder aux mêmes aides que s’ils étaient dans des établissements publics. Tous les lycéens peuvent ainsi bénéficier de la carte Génération Hauts-de-France, qui est accordée par la région sans condition de ressources des parents.
Comme les établissements publics, les établissements privés doivent se moderniser, renforcer l’utilisation du numérique ou améliorer les conditions d’accueil des lycéens, notamment par des travaux de rénovation énergétique. L’enveloppe de 10 millions d’euros est principalement utilisée pour des projets de ce type. Nous sommes régulièrement sollicités pour augmenter son montant, mais, en tant que responsable politique et compte tenu du contexte budgétaire, je ne le souhaite pas.
La région des Hauts-de-France compte 269 établissements publics et 155 établissements privés. Ces derniers accueillent donc un nombre d’élèves particulièrement élevé. Dès lors que le choix des parents d’y scolariser leurs enfants rencontre la volonté politique du conseil régional, nous avons souhaité les accompagner, de façon volontariste et totalement assumée.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Ces 10 millions d’euros permettent donc de financer des projets liés aux équipements, à l’évolution numérique et au bien-être des élèves. Comment se déroule la négociation du protocole d’accord avec l’enseignement diocésain ? Est-il annuel ou pluriannuel ? Travaillez-vous sur un programme global d’investissement ou sur des demandes émanant de chacun des établissements ? La direction académique des services de l’éducation nationale (Dasen) ou le rectorat sont-ils associés aux discussions ?
M. Xavier Bertrand. Les discussions sont principalement menées par le vice-président – ou la vice-présidente, puisque Manoëlle Martin a été chargée de ce dossier pendant quelques années –, avec l’appui des services de la région. Les discussions sont globales. Les représentants de l’enseignement diocésain nous aident à définir les priorités, notamment les travaux urgents pour des raisons de sécurité, de rénovation énergétique, etc.
Le rectorat est informé du résultat des discussions, mais n’y participe pas. Il n’intervient pas dans les choix d’affectation de ces 10 millions d’euros.
Les engagements sont généralement pluriannuels, comme les garanties d’emprunt, mais nous accordons aussi des subventions ponctuelles pour des achats de matériels, par exemple.
Nous respectons l’autonomie des établissements, mais nous avons l’obligation de vérifier que les travaux ont été effectués ou qu’ils sont engagés pour débloquer les financements. Pour les subventions, le contrôle sur pièces est systématique et préalable au versement du solde. Un contrôle sur place peut également être réalisé, mais nous n’avons jamais rencontré de problème dans ce domaine.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Dans cette enveloppe de 10 millions d’euros, aucune subvention ne concerne des projets liés à la vie scolaire ou à l’animation éducative. Elle sert exclusivement à financer des investissements dans les bâtiments ou des dépenses d’ordre technique. Est-ce exact ?
M. Xavier Bertrand. Tout à fait.
M. Paul Vannier, rapporteur. Après ces considérations générales, nous allons aborder le cas du lycée Averroès. Il intéresse notre commission parce qu’il illustre de manière inédite les conséquences possibles du contrôle, en l’occurrence la rupture du contrat d’association.
Depuis le vote de la loi Debré en 1959, le lycée Averroès est le deuxième établissement sous contrat en France à avoir vu son contrat d’association rompu. Cette décision est intervenue en 2023.
Selon l’article L. 442-10 du code de l’éducation, le contrat d’association peut être résilié par le représentant de l’État, soit à son initiative, soit sur demande d’une collectivité – en l’espèce, il s’agirait du conseil régional des Hauts-de-France, que vous présidez. Avez-vous demandé au préfet du Nord de rompre le contrat d’association avec le lycée Averroès ?
M. Xavier Bertrand. À partir de novembre 2017, j’ai avant tout et surtout sollicité l’État pour savoir si les conditions restaient réunies pour accorder un contrat d’association à ce lycée. Je n’ai eu de cesse de me considérer comme un lanceur d’alerte. Si c’était à refaire, je referais tout, depuis le départ. Je me suis adressé à la tutelle de cet établissement, c’est-à-dire au rectorat, et, en l’absence de réponse, au ministère de l’éducation nationale.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je reviendrai sur vos échanges avec le ministre Jean-Michel Blanquer, à qui vous avez en effet adressé deux courriers en 2019. Ma question était néanmoins très précise et concernait vos relations avec le préfet du Nord. Lui avez-vous demandé, comme le code de l’éducation le permet, de rompre le contrat d’association du lycée Averroès ?
M. Xavier Bertrand. Il a pris ses responsabilités. Je crois d’ailleurs que le préfet du Nord de l’époque vous a répondu lors de son audition, quand la question lui a été posée de savoir si cette décision avait été prise à son initiative ou à celle du ministère.
M. Paul Vannier, rapporteur. Tout à fait. Il nous a indiqué que la décision avait été prise à son initiative. Lors d’une conférence de presse, le ministre de l’intérieur actuel, M. Retailleau, a toutefois tenu des propos qui laissent penser exactement le contraire.
L’intérêt de ces auditions sous serment est de pouvoir interroger tous les acteurs et de leur poser directement nos questions.
Avant 2023 – donc avant la rupture du contrat d’association –, vous aviez assumé des actes politiques forts vis-à-vis du lycée Averroès. En tant que président du conseil régional, vous aviez en effet décidé de suspendre le versement du forfait d’externat, qui est pourtant une dépense obligatoire. Vous avez d’ailleurs été condamné plusieurs fois par le tribunal administratif pour cette raison.
D’une certaine façon, suspendre le versement du forfait d’externat revient à rompre le contrat d’association, qui garantit théoriquement un financement de la part de la région. Pourquoi n’êtes-vous pas allé au bout de votre logique en demandant au préfet, comme le code de l’éducation vous le permettait, de rompre officiellement ce contrat ?
M. Xavier Bertrand. Si vous m’interrogez sur les points qui mériteraient des évolutions législatives, je peux être très prolixe. Je vous ai indiqué tout à l’heure, de façon incidente, que des changements me paraissaient nécessaires au sujet de l’autorité fonctionnelle et du déroulement des contrôles. Dans ces domaines, j’aimerais que la région ait davantage de compétences et de responsabilités.
En attendant, je sais qui est responsable de quoi. Vos propos m’obligent à retracer l’historique de ce dossier, ce qui intéressera les personnes qui regardent la retransmission de cette audition, voire celles qui sont dans la salle.
On est au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo. Je me rends dans cet établissement à l’invitation de ses responsables et en présence de Jean-René Lecerf, président du département du Nord, qui les connaissait bien, et de Gérard Darmanin, qui était l’un de mes colistiers pour les élections régionales. J’ai fait ce déplacement, comme je suis allé, au cours de l’après-midi, à la mosquée de Saint-Quentin – ville où je suis élu –, pour écouter des responsables musulmans s’exprimer sur cet événement.
Dans ce lycée, les jeunes, comme l’ensemble de la communauté éducative, nous ont clairement dit « nous ne sommes pas ceux qui ont perpétré ces assassinats ». Le discours a été identique à la mosquée de Saint-Quentin. Pour les élus et les représentants confessionnels du département, entendre ce message était important.
Pendant la campagne, une confusion a tout de suite été faite entre islamistes et musulmans. Certains partis politiques, notamment d’extrême droite, en sont coutumiers depuis longtemps. Je ne me suis pas laissé intoxiquer par ces propos. En revanche, j’ai assez rapidement souhaité savoir si les conditions étaient réunies pour maintenir le contrat d’association de cet établissement. J’avais entendu certaines choses. Un article de Libération, dans lequel un professeur racontait son vécu à l’intérieur du lycée, avait également fait couler beaucoup d’encre.
Le 22 novembre 2017, je saisis donc le recteur de l’académie de Lille, Luc Johann, pour savoir si le contrat d’association conclu en 2008 entre l’État et le lycée était respecté et si le rapport de la mission de l’éducation nationale du 13 février 2015, qui préconisait de clarifier le statut et la place du religieux dans l’établissement, avait été suivi d’effets. Zéro réponse. Le président de la région écrit au recteur et ne reçoit aucune réponse !
En avril 2019, dans leur livre Qatar Papers, les journalistes Georges Malbrunot et Christian Chesnot révèlent l’existence de financements étrangers du lycée Averroès : l’établissement aurait touché 4 millions d’euros de l’ONG Qatar Charity pour réaliser son extension en 2014.
À la suite de ces révélations, je saisis le ministre de l’éducation nationale le 8 avril 2019, afin de connaître les moyens mis en œuvre par ses services pour se prémunir contre toute intrusion d’un pays étranger qui souhaiterait participer au financement d’un établissement scolaire accueillant des jeunes de ma région.
Par un courrier en date du 15 novembre 2019, le ministre de l’éducation nationale m’informe qu’il envisage de diligenter une inspection de l’établissement dans les meilleurs délais. Dans cette même lettre, il évoque le lancement d’un contrôle des comptes du lycée, dans le cadre d’une action coordonnée avec les services des finances publiques.
Le 19 novembre, j’indique au ministre de l’éducation nationale que dans l’attente des conclusions de ces deux démarches, je vais suspendre le versement du forfait d’externat. Cette dotation versée par la région est prévue par la loi. C’est une dépense obligatoire et je le sais très bien quand je prends cette décision.
Le 10 juillet 2020, je suis destinataire du rapport de l’inspection qui confirme que le lycée a obtenu un prêt de 800 000 euros de la mosquée de Mulhouse, remboursé grâce à un don de 850 000 euros effectué par l’ONG Qatar Charity en 2014.
J’interroge le ministre de l’éducation nationale sur les conclusions de ce rapport dans un courrier du 27 octobre 2020. Je souhaite notamment savoir si la mosquée de Mulhouse, qui a elle-même reçu des fonds venant de l’étranger, est intervenue dans le financement du lycée et sur quels documents l’inspection générale s’est appuyée pour affirmer que le don effectué n’avait été assorti d’aucune condition. Je n’ai pas obtenu de réponses précises à mes questions. Par conséquent, le conseil régional a décidé, sous mon impulsion, d’arrêter le versement du forfait d’externat prévu par le contrat d’association. C’était ma décision.
À la suite du rapport de la chambre régionale des comptes, qui date du 30 juin 2023, le préfet du Nord convoquera la commission de concertation pour l’enseignement privé, qui, le 27 novembre, se prononcera en faveur de la résiliation du contrat d’association par seize voix pour, neuf abstentions et aucune voix contre.
La suite, vous la connaissez et vous l’avez déjà évoquée. En première instance, le tribunal administratif a annulé la dénonciation du contrat. Le gouvernement a fait appel de ce jugement, décision que j’ai saluée. Voilà où nous en sommes. Tant qu’il restera des voies de recours et que le jugement ne sera pas définitif, la région ne reprendra pas le versement du forfait d’externat.
M. Paul Vannier, rapporteur. Ces éléments de chronologie sont utiles. Ils nous permettront peut-être d’être plus rapides dans nos échanges.
Vous nous confirmez que cesser le versement du forfait d’externat est une décision politique forte. Pourtant, vous n’allez pas jusqu’à demander au préfet – comme le code de l’éducation vous le permettrait – d’engager la résiliation du contrat d’association.
Cette résiliation ne peut intervenir qu’après la réunion d’une commission de concertation. Vous venez de l’évoquer ; elle a été convoquée à la fin de l’année 2023 par le préfet du Nord. La composition d’une telle commission est précisée à l’article R. 442-64 du code de l’éducation, qui indique que seuls trois conseillers régionaux, désignés par leur assemblée, en sont membres. Selon le procès-verbal, Mme Martin, Mme Dorchies et Mme Varet ont participé à la réunion de la commission de concertation en tant que conseillères régionales des Hauts-de-France. Il semble toutefois que vous y étiez également présent. Pour quelle raison ? Était-ce à votre initiative ou à l’initiative de quelqu’un d’autre et, dans ce cas, de qui ?
M. Xavier Bertrand. C’était à l’initiative du préfet. Je peux vous transmettre une copie du courrier qui m’a été adressé en date du 18 octobre 2023 par le préfet de la région des Hauts-de-France, préfet du Nord, Georges-François Leclerc, intitulé « Convocation à la réunion de la commission de concertation pour l’enseignement privé ». Je vais vous le lire.
« Conformément aux dispositions de l’article L. 442-10 du code de l’éducation, lorsque les conditions auxquelles est subordonnée la validité des contrats d’association cessent d’être remplies, ces contrats peuvent, après avis de la commission de concertation, être résiliés notamment par le représentant de l’État à son initiative.
Je vous informe que j’envisage de résilier le contrat d’association qui lie le lycée privé Averroès de Lille à l’État.
Je vous transmettrai ultérieurement et en temps utile le rapport de saisine de la commission académique de concertation.
Afin d’être entendu par les membres de la commission de concertation pour l’enseignement privé et de présenter vos observations orales, je vous prie de vous présenter le lundi 27 novembre 2023 à quinze heures trente, dans les locaux de la préfecture. Vous avez la possibilité de vous faire assister par un conseil.
En toute hypothèse, je vous remercie de bien vouloir me transmettre par écrit les identités des personnes présentes lors de cette réunion. »
Je ne suis pas invité en tant que membre, mais pour être entendu par la commission. Si j’avais été invité en tant que membre, on ne m’aurait pas proposé d’être accompagné par un conseil.
M. Paul Vannier, rapporteur. Nous disposons d’une copie de ce courrier.
Dans le compte rendu de la réunion, vous êtes présenté comme le représentant de la collectivité locale intéressée et non comme une sorte de témoin qui serait appelé à s’exprimer devant la commission pour éclairer ses travaux.
En vous rendant à cette réunion, avez-vous conscience d’enfreindre l’article R. 442‑64 du code de l’éducation ? Sa rédaction est très précise et ne prévoit pas d’invités ou d’autre statut que celui de membre.
M. Xavier Bertrand. Étant auditionné par une commission d’enquête, je ne me laisserai pas aller à des libertés que je me permettrais dans un débat. Vous me demandez si j’ai conscience d’enfreindre la réglementation. Dans un autre cadre, je vous demanderais si cette question est sérieuse. Puisque nous sommes dans une commission d’enquête, je vais la considérer comme telle.
Lors de cette commission de concertation, je ne suis pas invité pour voter. Je suis convoqué comme président de la collectivité, pour présenter la position de la région et motiver ma décision. Les autres membres sont là pour voter. D’ailleurs, j’ai quitté la salle au moment du vote. Si je ne me trompe pas, le courrier qui m’était adressé avait un caractère officiel. Je ne sais pas s’il est d’usage de poser des questions, mais en quoi aurais-je été en situation d’enfreindre quoi que ce soit ?
M. Paul Vannier, rapporteur. Le dialogue peut être utile, y compris pour éclairer les réflexions de cette commission d’enquête.
La rédaction de cet article du code de l’éducation est très précise et ne prévoit pas votre présence lors de cette commission de concertation. Vous avez indiqué que vous y participiez pour présenter la position de la région. Pouvez-vous nous décrire votre rôle durant cette réunion ? À quels moments êtes-vous intervenu et pour appeler l’attention des participants sur quels aspects ?
M. Xavier Bertrand. Vous disposez du compte rendu précis de cette commission, donc vous avez l’ensemble des éléments. Je pourrais le retrouver, mais je n’ai pas ce document sous les yeux.
Lors de cette réunion, j’ai répondu aux questions. Si je ne me trompe pas, j’ai également réagi à une interpellation du conseil du lycée Averroès, qui me comparait à mes opposants d’extrême droite. Je n’ai pas pour habitude de laisser passer ce genre de remarque.
M. Paul Vannier, rapporteur. En effet, vous menacez l’avocat du lycée Averroès de porter plainte en diffamation contre lui.
Vous êtes intervenu en conclusion des échanges, ce qui vous octroie une place centrale. Vous les confirmerez ou les infirmerez, mais la presse – en l’occurrence Mediacités – cite vos propos : « On peut financer l’enseignement libre et je continuerai à vouloir le faire, mais on peut le faire pour des lycées qui sont vraiment républicains, et pour moi ce n’est pas le cas du lycée Averroès. »
Manifestement, cette conclusion, celle du président du conseil régional, va marquer les débats de la commission et influencer les réflexions de ses membres, puisqu’ils vont majoritairement voter en faveur de la résiliation du contrat d’association avec le lycée Averroès. Comment expliquez-vous la place centrale qui vous a été accordée dans cette réunion, alors que – je tiens à le rappeler – la présence du président du conseil régional n’est pas prévue par l’article R. 442-64 du code de l’éducation ?
M. Xavier Bertrand. Si tel était le cas, pourquoi aurais-je été convoqué par le représentant de l’État ? Par ailleurs, vous avez cité un verbatim. La préfecture a-t-elle procédé à un enregistrement de cette réunion ?
M. Paul Vannier, rapporteur. Vos propos sont rapportés dans un article assez récent de Mediacités. Il renvoie en effet à un enregistrement, mais la citation que j’ai lue y est écrite. Vous avez d’ailleurs la possibilité de la contester si vous le souhaitez, mais je crois que vous confirmez vos propos.
De toute façon, ma question n’est pas de tant de savoir si vous avez effectivement tenu ces propos que de comprendre pourquoi vous avez joué un rôle si central dans cette commission, alors que les textes ne prévoyaient pas votre participation à la réunion.
M. Xavier Bertrand. Vous me prêtez beaucoup d’importance, mais je l’assume totalement. La décision que j’ai prise n’est pas anodine et peut être lourde de conséquences. La première fois que j’ai proposé au conseil régional de suspendre le versement du forfait d’externat, je savais qu’il s’agissait d’une dépense obligatoire. Je savais ce que je faisais. Tel un lanceur d’alerte, je considérais que c’était la seule façon de provoquer une réaction. Si je ne l’avais pas fait, nous ne n’en serions pas là. Nous n’avons pas encore évoqué ce qui est dit dans le rapport de la chambre régionale des comptes à propos de cet établissement.
Je n’ai pas conclu la réunion. C’est le préfet qui l’a fait. J’ai quitté la salle avant le vote.
Je ne retire rien à ce que j’ai dit lors de la séance, notamment sur le respect des valeurs de la République. Néanmoins, je trouve curieux que certains puissent disposer d’un enregistrement alors que la préfecture, qui organisait la réunion, n’en a pas réalisé. À un moment donné, des membres ont eu le sentiment que les parties qui représentaient ou qui assistaient le lycée Averroès procédaient à un enregistrement en toute illégalité. Certains auront des choses à dire à ce sujet, même si ce genre de procédé ne semble pas interpeller tout le monde.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Dans le cas du lycée Averroès, les faits dénoncés concernent des manquements financiers et des atteintes aux règles de la République. Nos travaux se concentrent avant tout sur la prévention des violences psychologiques, physiques et sexuelles faites aux enfants.
Compte tenu de votre expérience, pensez-vous que le président de la collectivité concernée – la région pour les lycées ou le département pour les collèges – devrait être systématiquement associé aux travaux des commissions de concertation qui traitent de la conclusion des contrats d’association ou de leur invalidation ?
M. Xavier Bertrand. Oui, je le souhaite.
J’ai l’impression que nous allons changer de sujet, mais je tiens quand même à évoquer quelques points sur lesquels vous ne m’avez pas interrogé. Que s’est-il passé dans cet établissement pour que je saisisse le rectorat dès 2017 et que je lui demande si les clarifications souhaitées depuis 2015 ont été apportées, questions restées sans réponse ?
Après avoir rendu son rapport, l’inspection générale de l’éducation nationale n’a pas compris l’attitude de la région. Il est troublant qu’elle n’ait rien vu, contrairement à la chambre régionale des comptes.
Avez-vous eu une copie du courrier que j’ai adressé le 22 mai 2023 à la chambre régionale des comptes après avoir reçu son rapport ? Si ce n’est pas le cas, nous allons vous la transmettre.
Dans le rapport de la chambre régionale des comptes, la proximité de l’association Averroès avec Musulmans de France, par l’intermédiaire de la Ligue islamique du Nord, émanation du mouvement des Frères musulmans, apparaît clairement. Il montre que M. Lasfar est présent dans les organes décisionnels de l’association et que les agences de voyages dont il est propriétaire ont bénéficié de plusieurs commandes du lycée entre 2011 et 2020. Par ailleurs, il explique que le cours d’éthique musulmane repose sur l’étude des 40 Hadiths de l’imam An-Nawawi, qui sont en totale contradiction avec les valeurs de la République : interdiction pour une femme de se faire ausculter par un homme, évitement de la mixité sur le lieu de travail, prohibition de l’apostasie sous peine de mort, prééminence de la loi divine sur la loi des hommes.
S’agissant du financement de l’association, le rapport de la chambre régionale des comptes établit qu’elle a bénéficié de 1,9 million d’euros en provenance de l’étranger, à la suite de collectes effectuées auprès de mosquées en Allemagne et aux Pays-Bas. Il montre également – au-delà de ce que révèle le livre de Georges Malbrunot et Christian Chesnot – que des soutiens sont venus du Koweït, de l’Arabie Saoudite ou de Bahreïn.
Tout ça n’est pas rien. J’ai suffisamment de respect pour l’autorité judiciaire pour considérer qu’il n’y a pas lieu de s’exprimer avant le jugement définitif. Ce qui a été établi par la chambre régionale des comptes, qui est également composée de magistrats, est solide.
M. Paul Vannier, rapporteur. Nous pourrions revenir sur les différents éléments que vous avez évoqués, peut-être en nous appuyant sur la décision du tribunal administratif de Lille qui les contredit un par un. Néanmoins, ce n’est pas l’objet de nos travaux, qui se concentrent sur la question du contrôle.
En conclusion des débats de la commission de concertation, vous avez indiqué que le lycée Averroès n’était pas, selon vous, un lycée républicain. Or vous avez reçu le rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale le 10 juillet 2020. Vous en avez probablement pris connaissance de façon détaillée, mais je vais néanmoins vous en lire un extrait : « Rien dans les constats faits par la mission […] ne permet de penser que les pratiques enseignantes divergent des objectifs et principes fixés et ne respectent pas les valeurs de la République. »
À partir de juillet 2020, vous avez donc sur votre bureau un rapport de l’inspection générale – plusieurs inspecteurs généraux se sont rendus sur place et ont passé du temps dans l’établissement – qui conclut que les valeurs de la République sont parfaitement respectées. Pourtant, trois ans plus tard, vous affirmez le contraire devant la commission de concertation. Pourquoi ce décalage avec les conclusions d’une mission qui a été diligentée par le ministre Blanquer en réponse aux préoccupations que vous aviez exprimées dans deux courriers que vous lui avez adressés en 2019 ? Pourquoi ne les acceptez-vous pas ?
M. Xavier Bertrand. Avez-vous le courrier que j’ai adressé le 27 octobre 2020 à Jean-Michel Blanquer ? Si ce n’est pas le cas, je vais vous le lire.
« Monsieur le ministre,
Suite au courrier en date du 15 octobre 2020 du président de l’association qui gère le lycée Averroès, je reviens à nouveau vers vous afin d’obtenir les éclairages nécessaires sur la situation de ce lycée privé sous contrat avec l’éducation nationale.
Nous avons bien reçu le rapport 2020-047 “Lycée privé Averroès à Lilleˮ réalisé par l’inspection générale, ainsi que le rapport d’audit de la direction générale des finances publiques. Permettez-moi de formuler deux remarques à propos de ces rapports.
D’une part, dans le rapport réalisé par l’inspection générale de l’éducation nationale, il est écrit que le lycée a obtenu un prêt de 800 000 euros de la mosquée de Mulhouse, qui a été remboursé grâce à un don de 850 000 euros de l’ONG Qatar Charity en 2014, et que : “La situation se résume donc en un don fait par une ONG, internationalement reconnue, à un établissement d’enseignement. Cette pratique est légale à condition qu’elle ne soit pas subordonnée à la mise en œuvre de conditions qui seraient contraires aux valeurs de la République, ainsi qu’aux règles édictées par le contrat d’association. Ce don n’a été assorti d’aucune condition.ˮ Comme j’ai eu l’occasion de le dire à votre cabinet dernièrement, cette affirmation sans réelle explication nous interroge. Pour quelle raison la mosquée de Mulhouse, recevant elle-même des financements étrangers, intervenue dans le financement du lycée ? Mais surtout sur quels documents l’inspection générale s’est appuyée pour affirmer que le don n’a été assorti d’aucune condition ? Autant de questions pour lesquelles nous sommes toujours sans réponse.
D’autre part, le rapport d’audit qui a été réalisé ne permet pas d’apporter une réponse concrète à mes questions initiales dans la mesure où ce contrôle porte sur les exercices 2017-2018 et 2018-2019. Or l’opération pour laquelle nous avons besoin d’un éclairage, qui est bien précisé dans le rapport de l’inspection générale, est antérieure à ces dates.
Compte tenu de ces interrogations et des dernières déclarations du président de la République lors de son discours du 2 octobre sur le séparatisme, notamment sur la question des financements et de la nécessité de “les rendre transparents, de les encadrer et de les maîtriserˮ, vous comprendrez que je souhaiterais disposer de tous les éléments de réponse de votre part avant de soumettre au vote des élus du conseil régional l’accompagnement obligatoire prévu par la loi de cet établissement privé sous contrat avec l’éducation nationale. »
Je peux me féliciter d’avoir maintenu ma position. Si je n’avais pas continué à être un lanceur d’alerte, la chambre régionale des comptes n’aurait pas rédigé son rapport et l’État n’aurait pas pris la décision de résilier le contrat d’association.
M. Paul Vannier, rapporteur. S’agissant des aspects financiers, la direction régionale des finances publiques a rédigé un premier rapport, dont les conclusions sont négatives pour l’établissement, mais son second rapport, qui évalue la mise en œuvre de recommandations, est très positif.
En outre, même si elles sont importantes, je ne vous interrogeais pas sur les questions financières, mais sur celles des valeurs de la République. J’ai cité le rapport de l’inspection générale, qui considère que l’établissement les respecte pleinement. Pourtant, vous continuez à utiliser cet argument pour défendre la résiliation du contrat d’association devant la commission de concertation. Je voulais comprendre ce décalage, mais vous avez répondu à côté de la question.
En tant que président de région, quelle appréciation portez-vous sur l’inspection générale de l’éducation nationale ? Quelle valeur avez-vous accordée à son rapport ?
M. Xavier Bertrand. Il est regrettable que je ne puisse pas vous poser de questions. Il est troublant que l’inspection générale de l’éducation nationale n’ait pas vu la même chose que la chambre régionale des comptes. Est-ce que ce n’est pas un problème de fond ? En clair, l’éducation nationale nous dit : « Circulez, il n’y a rien à voir. »
Mme Céline Calvez, présidente. Même s’il peut y avoir un débat, le rôle de la commission d’enquête est de poser des questions. La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier Bertrand. Je n’avais pas terminé ma réponse. Puis-je le faire ?
Mme Céline Calvez, présidente. Allez-y.
M. Xavier Bertrand. Répondre aux questions est la raison de ma venue. J’ai également complété le questionnaire qui m’a été transmis. Je connais le fonctionnement d’une commission d’enquête. Ce n’est pas la première fois que je m’exprime devant une telle instance.
Pourquoi l’inspection générale de l’éducation nationale n’a-t-elle pas vu ce que la chambre régionale des comptes a vu tout de suite ? Après la publication du rapport, son seul message était : « Circulez, il n’y a rien à voir, payez et fermez-la ! » Voilà à quoi se sont résumés nos échanges.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le lycée Averroès a fait l’objet d’une multitude de contrôles. Des institutions très diverses sont intervenues, dont la DRFIP, l’inspection générale de l’éducation nationale et la chambre régionale des comptes. Il y aurait beaucoup à dire sur les conclusions de tous leurs rapports.
Il est toutefois très étonnant que vous insistiez sur le rapport de la chambre régionale des comptes pour son appréciation des aspects pédagogiques et du respect des valeurs républicaines. L’inspection générale de l’éducation nationale n’est-elle pas plus qualifiée dans ce domaine ? Or, pour elle, le fonctionnement de l’établissement est parfaitement républicain.
Concernant les aspects financiers, il y a certes le rapport de la chambre régionale des comptes, mais l’inspection générale rappelle le caractère légal de subventions provenant de l’étranger et, sur les deux rapports de la DRFIP, le second, qui évalue la mise en œuvre de recommandations, est très favorable à l’établissement.
Sauf si vous souhaitez répondre à ma question sur les valeurs républicaines – ce que vous n’avez toujours pas fait –, je voudrais évoquer l’évolution de votre position vis-à-vis du lycée Averroès.
En introduction de nos échanges, vous avez rappelé que vous vous y étiez rendu en 2015, après les attentats. À l’époque, vous avez apporté votre soutien à l’établissement. Vous l’avez défendu lors de la campagne pour les élections régionales, en fustigeant tout amalgame entre islam et islamisme. Marine Le Pen, qui se présentait face à vous, avait pris l’engagement, si elle était élue à la tête de la région, de lui couper les subventions – ce que vous ferez vous-même quelques années plus tard.
En 2015, dans le journal L’Express, vous dites : « Je me suis rendu dans l’établissement au lendemain des attentats, j’ai vu l’indignation qui a été exprimée, j’ai vu également la façon dont [les membres de l’établissement] ont dit que rien de ce à quoi ils croyaient ne pouvait permettre de donner la mort ou d’inciter à la haine. »
En 2017, lors d’une séance du conseil régional, votre vice-présidente chargée des lycées affirme, en réponse à l’interpellation d’une élue du Rassemblement national : « Il ne nous appartient pas, à nous, à la région, de juger de la qualité des enseignements de cet établissement. »
Puis, en 2019, paraît l’ouvrage Qatar Papers et l’ambiance se tend au sein du conseil régional. Le groupe Rassemblement national vous interroge de plus en plus fréquemment sur les liens entre le conseil régional et le lycée Averroès. C’est à ce moment que vous durcissez le ton, en écrivant deux fois au ministre Blanquer, en avril et en novembre. Dès le mois d’août, vous annoncez la suspension de la subvention accordée à cet établissement.
Comment expliquez-vous ce revirement ? Pourquoi, dans un contexte où le Rassemblement national se saisit du sujet avec beaucoup de vigueur au sein du conseil régional, êtes-vous passé d’une posture tout à fait républicaine vis-à-vis de cet établissement à l’envoi de ces différents courriers, accompagné d’une suspension de la subvention ?
M. Xavier Bertrand. Si vous suivez un peu mes interventions, vous devez savoir que les extrêmes, qu’ils soient de droite ou de gauche, n’ont jamais été ma boussole politique. Je les ai toujours combattus, les uns et les autres, et je continuerai à le faire. Les extrêmes ne me dictent pas mon attitude. Ça a toujours été le cas et ça le sera toujours. Ma boussole, c’est l’intérêt général.
Vous avez utilisé à deux reprises le terme de soutien. Or, si je me suis rendu dans cet établissement le 8 janvier 2015, c’est parce que j’y étais invité par ses représentants, qui souhaitaient eux-mêmes afficher leur soutien aux victimes de l’attentat et dénoncer l’horreur de ce qui s’était passé. Ce témoignage s’est notamment exprimé par le respect d’une minute de silence et le fait de chanter La Marseillaise.
Que s’est-il passé à partir de 2017 ? Premièrement, le rectorat n’a répondu à aucune de mes questions. C’est dramatique dans un pays comme le nôtre. Je suis président de région, je sollicite l’État, et je n’ai pas de réponse. Deuxièmement, le livre de Georges Malbrunot et Christian Chesnot a montré l’existence d’influences étrangères, dont nous ne connaissons pas les contreparties.
Vous me reprochez de ne pas vous répondre à propos des valeurs de la République, mais le rapport de la chambre régionale des comptes est terrible à ce sujet. Le cours d’éthique musulmane, qui s’adresse à nos jeunes, repose sur l’étude des 40 Hadiths de l’imam An-Nawawi. Vous savez ce que prône cet ouvrage. Il ne respecte pas notre devise Liberté, Égalité, Fraternité et le principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Par conséquent, proposer un tel enseignement est contraire aux valeurs de la République.
J’ai toujours refusé de faire un amalgame entre les islamistes et nos compatriotes de confession musulmane et j’ai combattu ceux qui le faisaient. Néanmoins, à partir du moment où j’ai eu connaissance de certains éléments, j’assume d’avoir agi comme un lanceur d’alerte. Si c’était à refaire, je le referais exactement de la même façon.
J’en reviens enfin à un point au sujet duquel vous avez tenu des propos qui pourraient porter à confusion – comme c’était le cas de votre utilisation du terme de soutien. Je n’ai pas conclu la fameuse commission de concertation, parce que j’ai quitté la salle avant l’intervention du préfet et le déroulement du vote.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour que chacun ait connaissance de cet élément et puisse se faire son propre avis, je signale que le tribunal administratif de Lille a indiqué que rien ne permettait d’établir avec suffisamment de certitude que Les 40 Hadiths de l’imam An-Nawawi – ouvrage cité dans le rapport de la chambre régionale des comptes – étaient étudiés lors des cours d’éthique musulmane.
Je reviens sur cette année 2019, qui a marqué un tournant. Au-delà de la publication de l’ouvrage que vous avez cité, elle marque le début de la période pré-électorale. Or, dans les Hauts-de-France, beaucoup de sondages prédisaient avec certitude que la région basculerait aux mains de l’extrême droite lors de l’élection de 2021. Ils ont été démentis par le résultat des urnes, mais ce contexte a-t-il influencé votre attitude vis-à-vis du lycée Averroès ? Vous a-t-il incité à exiger davantage de contrôles et, en raison de l’imminence de l’élection, à œuvrer pour la résiliation du contrat d’association ?
M. Xavier Bertrand. Si nous avions été dans un débat, et non dans une commission d’enquête, ma réponse aurait été tout autre et j’aurais remis en cause le sérieux de cette question.
Tout d’abord, vous devriez savoir que les sondages réalisés à partir de 2019 annonçaient que la région basculerait à gauche. De l’extrême gauche au parti socialiste, en passant par le parti communiste et les écologistes, toutes les forces s’étaient alliées et avaient constitué la NUPES avant l’heure. À l’époque, ce n’est pas le Rassemblement national qui était annoncé comme vainqueur. En 2021, l’extrême droite connaîtra d’ailleurs son plus fort recul électoral en France, pas seulement pour des élections régionales. En six ans, M. Chenu a ramené le score de Mme Le Pen de 42 % à un peu plus de 25 %, ce qui est inédit.
De plus, à cette époque, nous étions encore à deux ans de l’élection et quand j’ai commencé à saisir le rectorat, en 2017, l’échéance était encore plus lointaine. Par conséquent, votre argument ne tient pas.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je vous ai posé cette question parce qu’il s’agit de l’analyse faite par le cabinet du ministre de l’éducation nationale de l’époque, Jean-Michel Blanquer. Dans une note datée du 22 décembre 2020, il invite le ministre à vous communiquer rapidement le rapport de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) et celui de la DRFIP : « Plus nous tardons à rendre publics ces documents, plus nous alimentons la boîte à fantasmes ouverte par Xavier Bertrand. Il faudrait éviter que ce dossier devienne un enjeu de la campagne des régionales. » Pour le cabinet du ministre, vos démarches sont donc étroitement liées au contexte électoral.
M. Xavier Bertrand. Quel dommage que le ministre ne me l’ait pas dit en face !
Pour préciser ce qu’était l’enjeu électoral en 2021, je vous rappelle que j’ai eu le privilège de me présenter face à une liste composée de quatre ou cinq membres du gouvernement.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je n’entrerai pas dans des considérations liées à l’impact du contexte électoral sur vos décisions. Cette commission d’enquête vise à trouver des solutions. Le contrôle de l’État a été insuffisant pour de nombreux autres établissements, notamment Bétharram, le Village de Riaumont, dans les Hauts-de-France, et d’autres institutions, en Bretagne. D’autres présidents de région ont peut-être été saisis de signalements ou ont été informés de manquements en lisant la presse et n’ont pas fait preuve d’autant de réactivité que vous auprès des services de l’État.
De vos propos, je retiens votre incompréhension face à l’absence de réponse de l’État et du ministère de l’éducation nationale aux différentes alertes que vous avez lancées, au sujet des aspects financiers ou du respect des valeurs de la République. Soyez rassuré, nous auditionnons plusieurs ministres de l’éducation successifs, dont M. Blanquer, et plusieurs administrations.
Vous mettez également en cause la qualité du travail de l’IGESR. Nous avons auditionné sa directrice passée et sa directrice actuelle. Nous pourrons interroger à nouveau l’inspection au sujet de ces éventuels manquements et de son absence de réponse à vos demandes de précisions en octobre 2023.
D’autres faits, notamment de violences, vous ont-ils été signalés dans des établissements, publics ou privés ? Le cas échéant, avez-vous saisi le préfet ou demandé des audits financiers à la chambre régionale des comptes ? Avez-vous fait preuve de la même réactivité – dont mon collègue conteste le bien-fondé politique, mais qui relève de votre devoir et que je considère utile pour assurer le pouvoir de contrôle de l’État et des collectivités territoriales – dans d’autres situations ?
M. Xavier Bertrand. Je n’ai pas demandé à la chambre régionale des comptes d’effectuer un audit, car ce n’est pas dans mes compétences. Une telle décision est du ressort du préfet ou de la chambre régionale des comptes elle-même, qui peut s’autosaisir. Mon interlocuteur a été le ministère de l’éducation nationale, le rectorat d’abord, puis le ministre. Jean-Michel Blanquer n’est d’ailleurs pas seul en cause. J’ai également sollicité Pap Ndiaye dans un courrier du 17 octobre 2022.
Je tiens également à souligner que dans le communiqué de presse du ministère de l’éducation nationale signé par Élisabeth Borne le 23 avril 2025, il est indiqué noir sur blanc que « les griefs qui sont reprochés au lycée Averroès ont rompu la confiance entre les pouvoirs publics et l’établissement ». Ce n’est pas un communiqué du conseil régional des Hauts-de-France qui le dit, mais un communiqué officiel du ministère de l’éducation nationale !
Chacun a fait valoir ses arguments. Il revient maintenant à la justice de se prononcer, dans le cadre de l’appel. Sa décision sera souveraine.
La région n’a pas été saisie d’autres situations du même ordre. Si elle l’avait été, j’aurais agi exactement de la même façon.
En revanche, j’ai récemment eu l’occasion d’intervenir à propos d’autres faits, qui ne concernent pas des lycées, mais qui impliquent des financements de la région. Le 29 janvier 2025, j’ai saisi Mme la procureure de la République du tribunal judiciaire de Lille – même s’il semble que le tribunal compétent soit celui de Béthune – pour appeler son attention sur l’affaire de Riaumont. Je pourrai vous transmettre ce courrier. J’y indique que la région se place aux côtés des victimes « qui doivent pouvoir obtenir une juste réparation des préjudices et traumatismes subis ». Je précise que « la région des Hauts-de-France, collectivité territoriale compétente en matière d’éducation et de formation professionnelle, souhaite que la justice mène les investigations les plus appropriées ».
Je n’hésiterai jamais à agir si la sécurité de nos enfants, qui sont ce que nous avons de plus cher, n’est pas garantie. Je l’ai fait et, s’il le fallait, je le referais.
S’agissant de Notre-Dame de Riaumont- Saint-Jean-Bosco à Liévin, nous n’avons jamais financé cet établissement. Un collectif de victimes constitué à l’initiative de M. Adrien Bonnel souhaite toutefois me rencontrer, avec un de mes conseillers régionaux. La réunion était prévue le 23 avril, mais elle a été reportée à la demande de ce collectif. Je le rencontrerai dès qu’une nouvelle date aura été fixée.
M. José Beaurain (RN). En tant que député non-voyant, je suis particulièrement sensible à la question du harcèlement scolaire visant les élèves en situation de handicap. Dans son Livre blanc paru en novembre 2024, la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap indique que plus de 40 % des élèves des unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) se déclarent victimes de harcèlement, contre 12 % des élèves dits valides.
Dans les Hauts-de-France, la région a engagé des actions louables contre le harcèlement, par l’intermédiaire d’appels à projet ou de cellules d’intervention rapide. Néanmoins, nous peinons à identifier, dans ces dispositifs, des mesures adaptées aux réalités spécifiques des élèves en situation de handicap, qui figurent pourtant parmi les plus exposés.
Quelles actions comptez-vous mettre en place pour mieux intégrer cette dimension du handicap dans la politique régionale de prévention du harcèlement scolaire ?
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Cette audition a permis de vous intrroger sur votre volte-face au sujet du lycée Averroès. Je souhaite également évoquer de possibles différences de traitement entre les établissements.
Pouvez-vous nous confirmer que vous n’avez jamais demandé aucune inspection d’un établissement privé catholique sous contrat dans votre région, que ce soit à propos de son financement, de ses pratiques pédagogiques ou de ses cours d’éthique – de tout ce qui pourrait être en rapport avec le respect des valeurs de la République ?
Qu’en est-il du lycée Jean-Paul II de Compiègne, qui a bénéficié de 500 000 euros de la région Hauts-de-France pour la rénovation d’un bâtiment et l’achat d’équipements l’année où il a été mis en cause pour avoir interdit à des professeurs d’emmener des élèves voir un film sur Simone Veil et un film sur l’homophobie au Kenya ? À l’époque, le directeur s’était justifié ainsi : « Quand on est catholique, on ne va pas voir un film sur l’amour entre deux personnes du même sexe. On ne s’inscrit pas dans cette tendance. On la voit partout comme si c’était une norme. Or ça reste une minorité, heureusement pour notre humanité. » Une enquête préliminaire est en cours pour diffamation, injure, provocation publique à la haine, à la violence ou à la discrimination.
Des démarches ont-elles été engagées vis-à-vis de cet établissement, ou de tout autre établissement où des manquements aux valeurs de la République – auxquelles vous semblez très attaché – pourraient être suspectés ? Il est en effet important de pouvoir vérifier l’utilisation des fonds qui sont abondamment dispensés par la région à l’enseignement catholique.
M. Alexandre Dufosset (RN). Je suis député, mais je suis également conseiller régional des Hauts-de-France depuis 2021.
Il a été rappelé que le groupe Rassemblement national avait alerté à plusieurs reprises sur les agissements du lycée Averroès. Un enseignant de cet établissement avait écrit une tribune dans Libération, intitulée « Le Prophète est aussi Charlie ». Il a raconté qu’elle avait été maintes fois arrachée des murs de la salle des professeurs, où il l’avait affichée. Le sujet a été abordé lors du débat d’entre-deux-tours en 2015. Marine Le Pen avait indiqué que si elle était élue présidente de la région, elle cesserait les financements et diligenterait une enquête vis-à-vis de ce lycée.
Alors que vous vous présentez comme un lanceur d’alerte, pourquoi n’avez-vous entrepris les premières démarches qu’en 2017 ? Pourquoi avoir attendu deux ans après ce débat avec Marine Le Pen et la publication de cet article dans Libération ? Le regrettez-vous ?
M. Xavier Bertrand. J’ai pris mes fonctions début 2016. Dès que j’ai appris qu’un rapport estimait que la place du fait religieux devait être clarifiée dans cet établissement, j’ai saisi le recteur pour savoir si elle l’avait été. Je n’ai pas attendu dix ans pour le faire. Je l’ai fait dès que j’ai eu connaissance de la situation. Je refuse les amalgames, mais j’ai besoin d’avoir tous les éléments et je les ai demandés dès 2017.
Je ne pense pas que l’on puisse me reprocher mon manque de cohérence. En revanche, le groupe Rassemblement national a voté des subventions d’équipement pour le lycée Averroès. Je pourrai vous communiquer la date précise de ce vote. Par ailleurs, j’ai été surpris que certains de ses élus se satisfassent de la décision de justice, qui pourrait obliger la région à verser de l’argent public à cet établissement. Vous devriez peut-être évoquer ce point avec certains de vos collègues, députés et conseillers régionaux. Ils seraient bien avisés de commencer par balayer devant leur porte.
Madame Legrain, vous avez évoqué ma « volte-face ». C’est votre terme et je vous en laisse la responsabilité. Il me semble, au contraire, que la position de la région a été constante, comme je l’ai démontré face aux interpellations de M. le rapporteur.
Concernant le lycée Jean-Paul II, une instruction judiciaire est ouverte. Je crois que le proviseur a également démissionné. Cet exemple confirme qu’il serait souhaitable d’informer la région des enquêtes ou des inspections qui sont engagées.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). C’est public, c’est dans Mediapart.
M. Xavier Bertrand. Ce sont vos références.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Vous pouvez lire Mediapart : vous n’avez pas besoin d’être averti par un autre canal.
M. Xavier Bertrand. Je ne lis pas Mediapart et je ne réponds pas à Mediapart. J’ai gagné contre ce média un procès en première instance, en appel et en cassation il y a quelques années. Au nom de la cohérence que je revendique, il ne fait pas partie de mes sources.
Tout serait plus simple si nous étions informés des enquêtes de l’éducation nationale. Vous pourriez formuler cette recommandation à l’issue de vos travaux. Je ne sais pas si Régions de France (ARF) ou Départements de France (ADF) y sont favorables, mais si les collectivités locales étaient tenues au courant de ce qui se passe, nous ne l’apprendrions pas par Le Courrier picard ou Le Parisien – ces titres sont davantage mes références – et ce n’est pas ainsi que nous découvririons que le proviseur a démissionné.
Si l’État dénonçait, pour une raison ou pour une autre, un contrat d’association, la région en tirerait toutes les conséquences. Mon indignation, mes critiques ou mes remarques ne sont pas à géométrie variable. On peut parfois me le reprocher, mais je l’assume.
M. Beaurain a évoqué la question très importante du harcèlement scolaire. Le handicap renforce parfois les discriminations. Je regrette que la région n’ait pas davantage de compétences en la matière. Nous avons réussi à nouer un partenariat avec l’éducation nationale et le rectorat pour les lycées. Nous avons organisé les assises du harcèlement scolaire, qui constituaient un point d’étape. Des appels à projet doivent également permettre de renforcer les actions menées avec les jeunes.
Nous avons par ailleurs défendu une initiative intéressante dans le département de la Somme, avec l’appui du procureur d’Amiens. Une cellule d’intervention, qui s’appuie sur un référent cofinancé par le département et le conseil régional des Hauts-de-France et sur un délégué du procureur, permet de mettre rapidement fin aux faits de harcèlement et d’apporter une véritable assistance aux jeunes concernés.
Cette commission d’enquête est importante, car elle concerne nos enfants. Je pensais que vous m’interrogeriez sur les mesures à mettre en œuvre pour que les écoles, les collèges et les lycées soient une enclave de sécurité. Dans la région, nous avons été particulièrement marqués par l’attentat islamiste qui s’est produit à Arras et qui a coûté la vie à Dominique Bernard, décédé dans des circonstances horribles.
Qu’il s’agisse de lutter contre les violences à l’intérieur de l’établissement, ou de lutter contre les pressions et le harcèlement, nous cherchons toujours à faire de notre mieux. Malheureusement, en tant que conseil régional, nous finançons la structure, le personnel d’entretien ou de restauration, mais nous ne sommes pas vraiment chez nous dans les établissements. Je souhaiterais que nous puissions jouer un rôle plus important. Les audits de sécurité destinés à protéger l’enceinte des établissements sont de notre responsabilité, mais nous pourrions également intervenir sur l’environnement sécuritaire à l’intérieur et à l’extérieur du lycée et en ce qui concerne la dimension psychologique des violences. Je ne veux pas empiéter sur les compétences des autres. Je sais que le contenu des enseignements ou la direction de l’établissement ne relèvent pas de la région. Néanmoins, je suis persuadé que nous pourrions agir plus efficacement si nous y étions davantage associés. C’est une conviction profonde et je profite de cette commission d’enquête pour vous en faire part.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous auditionnerons Départements de France. Ces collectivités sont compétentes en matière de collèges, mais également de protection de l’enfance. La place des collectivités – dont les mairies, qui gèrent le périscolaire – dans les enceintes scolaires fait partie des sujets à propos desquels nous ferons des propositions.
Même si nous l’avons peut-être déjà dans nos archives, pourrez-vous nous transmettre le courrier d’octobre 2023 dans lequel vous remettez en cause les conclusions de l’IGESR et de l’audit financier ? Nous pourrons ainsi interroger l’IGESR sur les réponses qui ont été apportées après les critiques formulées sur son travail : cela fait également partie de notre champ de compétence et le but est que ces inspections permettent de lutter efficacement contre les violences faites aux enfants et, pour cela, ne passent à côté d’aucun élément.
La séance est levée à quinze heures vingt.
Présents. – M. Erwan Balanant, M. José Beaurain, M. Arnaud Bonnet, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Julie Delpech, Mme Sarah Legrain, Mme Graziella Melchior, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Delphine Lingemann, M. Frédéric Maillot, Mme Nicole Sanquer, M. Bertrand Sorre
Assistait également à la réunion. – M. Alexandre Dufosset