Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

 Dans le cadre des travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), table ronde réunissant des représentants des syndicats représentatifs des personnels d’inspection et de direction de l’éducation nationale : pour les personnels d’inspection, MM. Philippe Janvier, secrétaire général du syndicat national des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (SNIA-IPR), et Éric Barjolle, membre du bureau national ; MM. Éric Fuentes, secrétaire général adjoint du syndicat de l’inspection de l’éducation nationale (SI.EN Unsa), et Patrick Roumagnac, trésorier national ; MM. Éric Nicollet, secrétaire général du syndicat unitaire de l’inspection pédagogique-FSU (SUI-FSU), et Jérôme David, secrétaire de la section académique ; pour les personnels de direction, Mme Christelle Kauffmann, secrétaire générale adjointe du syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale-Unsa (SNPDEN-Unsa) ; M. Patrick Bedel, secrétaire général adjoint d’Indépendance et direction-FO (iDFO), et Mme Cathy Rodier Hagenbach, membre du secrétariat national ; M. Laurent Kaufmann, secrétaire fédéral du syndicat général de l’Éducation nationale-CFDT (Sgen-CFDT)              2

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Mercredi
14 mai 2025

Séance de 10 heures 15

Compte rendu n° 74

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente

 


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La séance est ouverte à dix heures dix.

(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)

La commission entend, dans le cadre des travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 581100 du 17 novembre 1958), sous la forme d’une table ronde, des représentants des syndicats représentatifs des personnels d’inspection et de direction de l’éducation nationale : pour les personnels d’inspection, MM. Philippe Janvier, secrétaire général du syndicat national des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (SNIA-IPR), et Éric Barjolle, membre du bureau national ; MM. Éric Fuentes, secrétaire général adjoint du syndicat de l’inspection de l’éducation nationale (SI.EN Unsa), et Patrick Roumagnac, trésorier national ; MM. Éric Nicollet, secrétaire général du syndicat unitaire de l’inspection pédagogique-FSU (SUI-FSU), et Jérôme David, secrétaire de la section académique ; pour les personnels de direction, Mme Christelle Kauffmann, secrétaire générale adjointe du syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale-Unsa (SNPDEN-Unsa) ; M. Patrick Bedel, secrétaire général adjoint d’Indépendance et direction-FO (iDFO), et Mme Cathy Rodier Hagenbach, membre du secrétariat national ; M. Laurent Kaufmann, secrétaire fédéral du syndicat général de l’Éducation nationale-CFDT (Sgen-CFDT).

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous poursuivons nos travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires en recevant des représentants des syndicats représentatifs des personnels d’inspection et de direction de l’éducation nationale.

Cette table ronde fait suite aux échanges que nous avons eus avec les représentants des enseignants du public et du privé, ceux des chefs d’établissement du privé et ceux de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche.

Nous avons bien conscience que directeurs et inspecteurs jouent un rôle distinct dans la matière qui nous occupe, tout en travaillant ensemble. Je ne doute pas que vous aurez l’occasion de nous apporter des précisions à ce sujet.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe Janvier, M. Éric Barjolle, M. Éric Fuentes, M. Patrick Roumagnac, M. Éric Nicollet, M. Jérôme David, Mme Christelle Kauffmann, M. Olivier Beaufrère, M. Patrick Bedel, Mme Cathy Rodier Hagenbach et M. Laurent Kaufmann prêtent successivement serment.)

Au sein de vos syndicats respectifs, quelle conduite préconisez-vous à vos adhérents de tenir lorsqu’ils ont connaissance de violences commises par des adultes encadrants sur des élèves ?

M. Philippe Janvier, secrétaire général du syndicat national des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (SNIA-IPR). En tant qu’inspecteurs de telle ou telle discipline au sein d’une académie donnée, nous n’intervenons pas directement dans un tel cas de figure – nous vous avons adressé une note préalable, fruit du travail réalisé avec nos collègues, qui précise notre champ d’intervention. Nos collègues inspecteurs pédagogiques sont présents dans les classes, notamment pour évaluer les enseignants, et dans les établissements, lorsque les chefs d’établissement les invitent à participer à des commissions pédagogiques, ou en d’autres occasions, par exemple lorsque le recteur les missionne pour porter les politiques de la ministre et en piloter certains aspects pédagogiques – comme nous l’avons fait, dernièrement, concernant les groupes de besoins et la réforme de l’évaluation au lycée. Nous ne sommes donc pas présents en permanence dans les établissements comme le sont les professeurs et les chefs d’établissement, qui sont des personnels de stricte proximité.

Dans le cas de figure que vous évoquez, nous suivons un certain protocole. Lorsque nous sommes témoins visuels de quelque chose, nous en informons le chef d’établissement ; lorsque des faits nous sont rapportés, nous nous assurons que le chef d’établissement en est informé. Dans un deuxième temps, nous adressons un rapport écrit au cabinet du recteur, en mettant en copie le Dasen (directeur académique des services de l’éducation nationale) et le chef d’établissement. Si l’acte en question est très grave ou si nous estimons qu’il s’agit d’une situation d’urgence, nous appelons au préalable le cabinet du recteur pour lui relater les faits et demander des instructions.

M. Patrick Roumagnac, trésorier national du syndicat de l’inspection de l’éducation nationale (SI.EN Unsa). Nous suivons une procédure similaire. En notre qualité d’inspecteurs de l’éducation nationale, nous intervenons dans le premier degré ainsi que dans l’enseignement professionnel. Dans ce dernier cas, nous nous trouvons exactement dans le même cadre que celui qui vient d’être présenté. Dans le premier degré, les choses sont un peu différentes car nous entretenons une relation directe avec l’inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale. Nous n’avons pas de relation directe avec le cabinet du recteur : le contact se noue ensuite entre l’inspecteur d’académie et le recteur.

Je voudrais préciser les choses. Il est rare, pour ne pas dire très rare, que, dans l’exercice de nos missions, qui relèvent du contrôle pédagogique, nous soyons témoins de quelque chose. La plupart du temps, nous avons connaissance d’un fait à la suite de la remontée d’une information par le chef d’établissement ou par des parents jusqu’au cabinet du recteur ou au cabinet de l’inspecteur d’académie. Nous sommes alors missionnés dans l’établissement pour mener une enquête administrative au sujet des faits en question, pour recevoir les enseignants et les parents d’élèves, et pour recueillir, le cas échéant, le témoignage d’enfants. Il doit s’agir de phénomènes suffisamment graves pour que l’inspecteur d’académie ou le recteur nous demande de mettre de côté ce qui constitue le cœur de notre mission et de documenter les faits, afin de permettre la réalisation d’une enquête en profondeur. Nous nous plions bien volontiers à ces demandes car nous sommes conscients de l’impact que de tels actes sont susceptibles d’avoir sur des jeunes.

M. Éric Nicollet, secrétaire général du syndicat unitaire de l’inspection pédagogique-FSU (SUI-FSU). Comme cela vient d’être dit, ces situations sont rares. Il est très peu fréquent qu’un syndicat soit interpellé pour soutenir des collègues qui seraient témoins de tels faits. En notre qualité de fonctionnaires de l’État, nous savons tous ce que l’article 40 du code de procédure pénale nous prescrit de faire en pareil cas. Malgré tout, nos collègues ont parfois besoin d’être orientés. Parmi les idées que nous vous communiquerons par écrit figure la création d’un numéro d’appel dédié aux professionnels. Il existe des numéros qui permettent aux victimes de s’exprimer et d’être prises en charge mais ils ne sont pas spécifiquement prévus pour accueillir la parole de professionnels et les orienter. Nous proposons qu’une petite équipe puisse répondre techniquement, en profondeur, à nos collègues lorsqu’ils font face à ce type de situations.

Mme Christelle Kauffmann, secrétaire générale adjointe du syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale-Unsa (SNPDEN-Unsa). Pour ce qui nous concerne, nous ne faisons pas de préconisations puisqu’en matière de violences, de quelque ordre qu’elles soient, nous devons appliquer les textes. Nous disposons de fiches de procédure. Lorsqu’un cas est soumis à notre connaissance, il nous faut soit signaler une information préoccupante, soit faire un signalement au procureur. Cela étant, nous faisons des préconisations à nos collègues concernant l’accueil de la parole car, on le sait, les jeunes ne parlent qu’une fois, dans le meilleur des cas. Il faut donc absolument accueillir leur parole avec bienveillance.

Au-delà de la procédure elle-même, qui est essentielle et doit être respectée, nous avons besoin d’être entourés – ce qui n’est pas toujours le cas – de personnels techniques, tels que des assistantes sociales ou des infirmières, qui jouent un rôle fondamental par les conseils qu’ils apportent sur ces sujets.

L’évaluation de la situation peut être délicate, d’autant plus que le travail des personnels de direction est souvent bousculé par les urgences du quotidien. Lorsque nous sommes confrontés à une telle situation, il faut être très précautionneux afin de ne pas commettre de faux pas. Il convient de préserver le jeune et de toujours informer la hiérarchie des faits de violence que nous pouvons avoir à évaluer.

M. Patrick Bedel, secrétaire général adjoint d’Indépendance et direction-FO (iDFO). Je voudrais revenir sur le questionnaire que nous avons reçu et sur lequel nous avons travaillé collectivement. Pour ce qui est du quotidien des personnels de direction et de leur travail sur les sujets dont nous discutons, nous suivons un certain nombre de procédures et avons beaucoup d’éléments d’analyse à vous apporter. En revanche, en notre qualité d’organisations syndicales, nous n’avons pas à mettre en œuvre de formation ou de mesures de ce type. Nous pouvons apporter des conseils à des collègues qui nous sollicitent lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés particulières et les aider à analyser la situation.

M. Laurent Kaufmann, secrétaire fédéral du syndicat général de l’Éducation nationale-CFDT (Sgen-CFDT). L’institution scolaire est confrontée à divers phénomènes de violences depuis une vingtaine d’années. Lorsque nous faisons face à des situations de ce type, nous suivons des procédures : des alertes sont lancées et des partenariats établis. En notre qualité d’organisation syndicale, nous sommes de plus en plus souvent amenés à conseiller nos adhérents dans le cadre des crises qu’ils traversent. Nous leur rappelons qu’il faut adopter les bons réflexes et, surtout, ne pas rester seul. C’est une dimension quelque peu nouvelle pour les organisations syndicales d’avoir à accompagner des chefs d’établissement et des équipes de direction. Nos collègues sont parfois isolés alors que, dans le cadre du pilotage de leur établissement, ils doivent gérer de multiples urgences, dans des domaines très divers.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous avez évoqué l’existence de procédures maîtrisées et connues. Toutefois, dans une situation donnée, des besoins spécifiques peuvent s’exprimer dans un contexte d’isolement face à la prise de décision. La distinction entre la saisine de la Crip (cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes), en cas de suspicion de violences intrafamiliales, d’une part, et un signalement au procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, d’autre part, vous semble-t-elle maîtrisée par les professionnels que vous représentez ? Les règles sont-elles claires ou méritent-elles d’être explicitées ?

Lorsqu’en vertu de l’article 40, il est signalé une violence commise par un adulte à l’égard d’un enfant sur lequel il a autorité, la procédure hiérarchique que doivent suivre, respectivement, le chef d’établissement et l’inspecteur – que celui-ci soit en train de réaliser une inspection ou qu’il ait été saisi de certains faits – est-elle parfaitement connue, simple et maîtrisée ou des améliorations doivent-elles lui être apportées ?

Mme Christelle Kauffmann. La distinction entre l’information préoccupante et le signalement au procureur en vertu de l’article 40 est délicate à opérer. Nous appliquons l’article 40 en cas de danger immédiat, constaté. Cela étant, il nous est très difficile d’évaluer finement la situation lorsqu’un cas nous est présenté. Le chef d’établissement est assez isolé. Il a une multitude de tâches à accomplir quotidiennement, toutes aussi urgentes les unes que les autres. Il ne lui est pas toujours facile de dégager du temps pour analyser la situation en toute sérénité. Certains de nos collègues n’ont ni infirmière, ni assistante sociale, ni adjoint auprès d’eux ; ils ne bénéficient d’aucun périmètre de connaissance de l’élève. Cela peut se révéler très déstabilisant. En outre, nous pouvons de moins en moins nous appuyer sur les associations de quartier, qui connaissent aussi les élèves.

Lorsqu’on est confronté à une situation de violence, il faut l’évaluer sérieusement, au-delà du petit périmètre scolaire. On peut disposer d’un faisceau d’éléments plus ou moins tangibles, qui permettent de se faire une idée et d’engager l’une des deux procédures, mais ce n’est pas toujours facile, surtout lorsque l’élève est en très mauvaise posture. Il ne faut pas oublier que le jeune ne répétera généralement pas ses propos. Il est très délicat de lui faire préciser les choses. Il existe des cas particuliers, comme celui des internats, où l’assistant d’éducation a parfois connaissance de faits de violence dont il fait part à son chef de service, autrement dit au CPE (conseiller principal d’éducation), ou aux personnels présents.

Pour nous aider à faire face à des situations parfois confuses, nous disposons de fiches de procédure. Les collectivités territoriales ont en charge la protection de l’enfance. Chaque département a sa façon de fonctionner. La fiche relative à cette procédure nous est envoyée chaque année. La complexité ne réside pas tant dans la procédure que dans l’analyse, qu’il faut être en mesure d’étayer grâce au concours des personnels qui sont à nos côtés, dans les établissements : voilà le plus important.

Mme Cathy Rodier Hagenbach, membre du secrétariat national d’Indépendance et direction-FO (iDFO). Il existe en effet un certain nombre de procédures et de protocoles. Cela étant, nous ne sommes pas là pour enquêter : nous bénéficions en principe du concours d’une équipe médico-sociale complète. Or je rappelle que, par exemple, il n’y a plus d’assistante sociale dans les lycées. Nous manquons cruellement de professionnels dans les petits établissements, en zone rurale ou de montagne. Nous sommes un peu seuls. Nous avons certes notre réseau, au sein duquel nous pouvons obtenir des conseils, mais nous devons souvent gérer ces situations en cellule de crise alors que nous devrions pouvoir les traiter calmement, en faisant, en quelque sorte, un pas de côté.

M. Laurent Kaufmann. Je ne peux que souscrire à ce qui a été dit mais je voudrais élargir la focale. Pour que la parole des élèves s’exprime dans l’enceinte de l’établissement scolaire, il est nécessaire d’avoir un climat de confiance – les situations d’urgence, que les élèves identifient, constituent un cas particulier. Cela suppose l’existence d’un pôle médico-social, car les élèves ne parlent pas spontanément aux équipes de direction, aussi proches et visibles soient-elles. En internat, comme cela a été dit, il existe un premier niveau de réception de la parole.

Des progrès considérables ont été faits s’agissant des procédures et de la formation initiale et continue que nous avons reçue, mais l’alliance éducative est essentielle pour réaliser une analyse juste. L’information préoccupante que l’on rédige sera souvent de meilleure qualité si elle est le fruit d’un travail collectif. Or, trop d’établissements sont dépourvus d’infirmières et d’assistantes sociales. On peut tout de même obtenir, en cas d’urgence, un appui et des conseils de la part des directions académiques, mais cela ne remplace pas la présence d’un collègue dans l’établissement. Il m’est arrivé, certaines années, de devoir rédiger plus d’une trentaine d’informations préoccupantes au sein d’un établissement. Même dans l’urgence, on peut prendre le temps de la rédaction mais la qualité de notre travail réside dans son caractère interprofessionnel, ce qui est de plus en plus difficile à obtenir.

Pour faire face à l’urgence, il est nécessaire d’avoir mené au préalable des actions de prévention : telle est, actuellement, la préoccupation majeure de notre institution. Or nous n’avons plus beaucoup de temps ni de moyens pour faire de la prévention. Il me paraît important que nous articulions ces deux dimensions dans les réponses que nous vous apportons.

M. Olivier Beaufrère, secrétaire national éducation et pédagogie du syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale-Unsa (SNPDEN-Unsa). Nous sommes fréquemment soumis à une temporalité proche de l’urgence, ce qui constitue une grande difficulté pour un chef d’établissement qui peut se trouver seul. Le jeune vient parfois se confier la veille des vacances ou le vendredi à 14 heures. Il faut réagir rapidement, réactiver les bonnes fiches, les bons dossiers, avoir le bon contact, obtenir la réponse du cabinet de la DSDEN (direction des services départementaux de l’éducation nationale), du conseiller technique du recteur ou du vice-recteur pour les établissements et la vie scolaire (CT-EVS), bref, des personnes qui pourront nous accompagner rapidement et nous conseiller. Face à une crise, il faut avoir quelqu’un vers qui se tourner pour confronter les points de vue – ce que l’on appelle l’effet miroir.

Généralement, on a deux heures, grand maximum, pour trouver une solution. Il faut savoir ce que l’on fait du jeune ; on ne sait pas si la brigade des mineurs va venir le chercher. L’année dernière, dans une situation de ce type, je me trouvais seul ; il m’a donc fallu prévenir la famille. La jeune fille avait été emmenée par la brigade des mineurs à 16 heures 15 alors qu’elle devait sortir à 16 heures 30. Le père attendait sa fille devant l’établissement et ne comprenait pas pourquoi elle ne sortait pas. J’ai dû expliquer à la famille que la brigade des mineurs venait de l’emmener et que je ne pouvais pas donner plus d’informations.

M. Éric Fuentes, secrétaire général adjoint du syndicat de l’inspection de l’éducation nationale (SI.EN Unsa). Il est impératif de partager les faits pour rompre l’isolement. Cela étant dit, je voudrais revenir sur les caractéristiques des métiers de l’inspection. Dans le premier degré, nous ne sommes pas au contact direct des élèves : notre premier interlocuteur est la directrice ou le directeur de l’école, avec qui nous entretenons un lien particulier. C’est grâce à ce lien que l’inspecteur de l’éducation nationale (IEN), chargé d’une circonscription du premier degré, sur un territoire donné, peut documenter les faits.

Dans le cadre de cet ancrage territorial, l’IEN chargé d’une circonscription du premier degré est aussi en lien avec les professionnels de la justice et de la police de proximité, qui sont des partenaires. Ces liens, qui sont cultivés, permettent de partager les faits, les premiers éléments transmis. L’identification des partenaires de proximité est donc essentielle.

Il importe également d’entretenir des liens avec les autorités départementales compétentes afin d’apprécier comment l’information préoccupante est reçue et de quelle manière elle s’ajoute à un faisceau d’éléments et de présomptions.

Cette dimension coopérative interinstitutionnelle à l’échelon territorial est importante. La prévention est également essentielle. Il faut savoir quels leviers actionner en toute sérénité malgré l’urgence.

M. Patrick Bedel. La distinction entre l’information préoccupante et le signalement au titre de l’article 40 renvoie à la question de la formation des personnels de direction. Nous ne sommes pas tous égaux à cet égard. Le chef d’établissement a une certaine expertise mais il a impérativement besoin d’une équipe complète pour engager une réflexion collective au sujet d’une situation souvent complexe. Ensuite, il existe un certain nombre de procédures, mais il faut avoir les bons réflexes, ce qui suppose que l’on ait été formé et pas seulement informé. Or la formation est protéiforme d’une académie à l’autre ; elle se fait parfois avec le procureur, les DSDEN, etc. Elle doit faire l’objet d’une réflexion à l’échelon national et être incluse dans la formation des personnels de direction tout au long de leur carrière. C’est important car nous avons tous des formations initiales différentes.

M. Jérôme David, secrétaire de la section académique du syndicat unitaire de l’inspection pédagogique-FSU (SUI-FSU). Dans le premier degré, les choses fonctionnent lorsque l’on dispose d’un service social d’une taille significative, ce qui est le cas au sein de la DSDEN, dans mon département. C’est l’échange entre les directeurs et directrices d’école, les inspecteurs et inspectrices et le service social qui va permettre d’opérer un choix entre une information préoccupante ou un signalement, notamment dans le cas de violences intrafamiliales, qui nous concernent particulièrement. Les trois parties prennent la décision ensemble.

M. Philippe Janvier. La procédure en vigueur est simple, connue et maîtrisée. Cela étant, l’inspecteur d’académie du second degré – qui exerce ses fonctions dans les collèges et les lycées – ne peut pas lancer une nouvelle alerte de lui-même s’il ne reçoit pas une nouvelle information, oralement ou par écrit, de la part d’une victime ou d’un témoin. Le traitement de la première alerte relève d’une hiérarchie qui doit donner des instructions.

Ce traitement doit être renforcé. En effet, on voit qu’il y a eu, pour le moins, quelques ratés. Nous préconisons une approche coordonnée entre les acteurs, chacun à son niveau d’intervention. Il faut sans doute définir une procédure visant à libérer la parole des élèves. Actuellement, les choses ne sont pas cadrées – ou, du moins, nous n’en sommes pas informés. Cette procédure devrait également concerner le recueil des signalements et la protection des personnes et des circuits de remontée des informations. Il s’agit de penser les choses, de la prévention au traitement des signalements, sans doute, comme cela a été dit, en faisant appel à des acteurs relevant de divers ministères, y compris, éventuellement, la police et la justice.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous nous concentrons, au sein de la commission d’enquête, sur les violences commises par des adultes ayant autorité sur des enfants dans le cadre scolaire, ce qui concerne les enseignants et les encadrants éducatifs, qu’ils appartiennent ou non à l’éducation nationale. J’ai toutefois conscience qu’une grande part des signalements que vous pouvez être amenés à gérer concernent des violences intrafamiliales, qui ne sont évidemment pas à minimiser.

On a relevé, dans un lycée de Châlons-en-Champagne, de nombreux dysfonctionnements dans la prise en compte de la parole d’une enseignante lanceuse d’alerte. Un lieu sûr – ou safe place – a été mis à la disposition des élèves, qui peuvent venir parler, anonymement ou non, aux enseignants volontaires assurant la permanence. Ce type de pratiques vous semblent-elles répandues et font-elles partie de vos champs d’action – qu’il s’agisse des recommandations de l’inspection ou des actions mises en œuvre par les chefs d’établissement ? Dans le cadre du processus de libération de la parole, l’intervention d’associations de protection de l’enfance est-elle souhaitable et à développer ?

Mme Christelle Kauffmann. Il est toujours intéressant de faire appel à un réseau. Dans le cadre de la prévention, il est utile de bénéficier de l’intervention d’associations de protection de l’enfance ou d’autres intervenants. Il est intéressant de dire à l’élève qu’il a le droit de parler. Toutefois, les chefs d’établissement ne peuvent plus faire disparaître un cours de l’emploi du temps comme ils le veulent, puisqu’il faut alors le remplacer.

Tous les établissements comportent un comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement, qui met en œuvre de nombreuses actions de prévention, notamment en matière de violences. Le plan annuel de remplacement de courte durée (RCD) affecte notablement nos velléités en matière d’actions de prévention, mais nous parvenons tout de même à les mener à bien.

Pour revenir au réseau, il faut que les associations soient disponibles. Tous les EPLE (établissements publics locaux d’enseignement) ne sont pas égaux en la matière : les possibilités sont moindres pour les établissements situés dans la ruralité.

On constate que l’application du programme de lutte contre le harcèlement à l’école (dit Phare) dans tous les établissements a contribué à libérer la parole, notamment grâce au comité de pilotage du programme et aux formations dispensées aux élèves ambassadeurs. Le programme Phare a également permis de déceler des situations qui ne relèvent pas du harcèlement. Il faut prendre en compte le fait que ces jeunes, petit à petit, sont formés et expriment une parole qui peut être celle de leurs camarades. Il est important de réfléchir au processus interne à chaque établissement, en fonction de sa taille et des personnels qui y sont présents. Les comités de vie lycéenne ou collégienne se saisissent aussi de ces questions et aiment à mener des actions, ce qui n’est pas négligeable.

M. Jérôme David. L’absence de publicité concernant le numéro d’alerte, le 119, et l’insuffisance des informations relatives au harcèlement, notamment scolaire, figurent parmi les manquements le plus souvent constatés lors des contrôles.

M. Patrick Roumagnac. Il est essentiel de libérer la parole, mais les situations, les territoires sont différents, si bien qu’il serait sans doute très difficile d’appliquer la même solution partout. En revanche, la coordination de l’action est primordiale : une communication très forte doit être établie, dès le début, entre le chef d’établissement, les corps d’inspection concernés et l’autorité hiérarchique chargée du pilotage, à savoir le recteur pour le second degré et l’inspecteur d’académie pour le premier degré. Faute d’une telle coordination, on risque de rencontrer des problèmes lors des procédures, de rendre certains éléments inexploitables et de mettre à mal la confiance que les jeunes placent dans l’institution. Cette confiance n’est pas innée. Le fait est que, dans de nombreux lieux, ils ne parlent pas parce qu’ils ont peur, ressentent une pression, craignent de ne pas être soutenus ou redoutent les conséquences de leur témoignage. Cette confiance doit faire l’objet d’un travail en amont, notamment dans le cadre de structures telles que la vie scolaire ou le conseil académique de la vie lycéenne (CAVL).

M. Patrick Bedel. Dans les établissements scolaires, la parole se libère progressivement depuis fort longtemps. On y travaille en mettant tout en œuvre pour que les enfants aient des points de repère, notamment les assistants d’éducation référents ou la vie scolaire. En tout état de cause, le passage de relais est assuré au sein de l’établissement pour que l’enfant aille frapper à la porte des personnes à qui il souhaite se confier. Encore faut-il, une fois de plus, que les personnes susceptibles de l’accueillir – infirmière, psychologue de l’éducation nationale, assistante sociale… – soient présentes. S’il veut rencontrer l’assistante sociale, qu’elle est absente et qu’on lui demande de revenir le surlendemain, il n’est pas certain qu’il le fasse. Ces éléments font partie du plan d’urgence de l’écoute et de l’accompagnement des élèves que nous proposons d’instaurer.

Mais la seule mesure qui semble se profiler consiste à soumettre aux élèves un questionnaire afin de susciter la parole de ceux qui auraient été victimes de violences commises par des adultes ayant autorité au sein de l’établissement. Cette mesure nous laisse très perplexes. Peut-on croire, en effet, que ces questionnaires anonymisés, qui seront soumis aux élèves à de multiples reprises, notamment lors des sorties scolaires ou s’ils sont internes, permettront véritablement de recueillir la parole de l’enfant ? Ce n’est pas certain. Celui-ci sera plus à même – croyez-en notre expérience – d’aller vers la personne qu’il aura identifiée au sein de l’établissement scolaire, en particulier les membres de l’équipe médico-sociale. Le questionnaire risque de parasiter notre travail, car les enfants peuvent répondre toutes sortes de choses. Son traitement accaparera beaucoup du temps, fort précieux, que nous consacrons à nos nombreuses autres missions en nous contraignant à déployer le peu d’énergie dont nous disposons pour analyser des situations peut-être inexistantes au détriment des véritables problèmes.

M. Olivier Beaufrère. Le questionnaire du plan Brisons le silence, en cours d’expérimentation dans six académies, devrait être généralisé – nous y travaillons avec la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) et le ministère. On nous le présente comme la nouvelle brique d’un édifice en construction. C’est nier tout le travail de terrain, fondamental, qui est accompli. Nous avons surtout besoin de soutien et de moyens. En Nouvelle-Calédonie, les assistantes sociales se déplacent en bateau et ne sont présentes qu’une journée ou une demi-journée dans un établissement ; ce n’est pas suffisant.

Plus que le silence, ce questionnaire brisera notre mode de fonctionnement puisque les réponses seront remontées automatiquement au DSDEN en même temps qu’elles seront transmises au chef d’établissement. Si l’assistante sociale est absente, si nous n’avons pas pu discuter avec le personnel qui a recueilli la confidence de l’élève, nous n’aurons pas le temps de le mettre en sécurité – au besoin en faisant un signalement sur le fondement de l’article 40 –, d’analyser et d’accompagner. Cela risque de précipiter les choses. Le questionnaire est encore au stade de l’étude, mais nous y sommes opposés.

M. Laurent Kaufmann. La CFDT a une vision un peu différente. Dans son rapport, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) aborde la question du déni. Nous devons également y faire face dans notre institution, car il existe partout. De fait, on se trouve dans une situation délicate lorsqu’on est mis au courant de violences commises par des membres du personnel.

Les études du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) révèlent que les systèmes éducatifs qui ont progressé sont ceux qui ont pris en compte la parole de l’usager, l’élève ou sa famille. Or, dans ce domaine, la CFDT considère que si beaucoup a été fait, des progrès restent à accomplir. À cet égard, l’enquête locale de climat scolaire est un outil qui pourrait être massivement utilisé. Il est vrai que tel qu’il est conçu, le questionnaire présente des limites. Mais nous estimons, quant à nous, que ce n’est pas parce qu’on n’a pas de thermomètre qu’il n’y a pas de fièvre. Ce questionnaire pourrait s’inscrire dans la logique de l’enquête locale. Élaborée depuis plusieurs années, notamment avec l’apport d’Éric Debarbieux, celle-ci consiste à interroger l’ensemble des usagers – élèves et familles – et des acteurs, pour peu qu’ils acceptent de répondre, sur le quotidien d’un établissement scolaire ; elle a lieu tous les quatre ans.

Cela peut paraître décalé par rapport à l’urgence qui a été évoquée. Mais la question qui se pose est celle du climat que l’on instaure dans nos institutions pour que la parole des élèves puisse être prise en compte.

Le questionnaire comporte deux types de questions : certaines sont fermées – que se passe-t-il dans les toilettes de l’établissement, par exemple ? –, d’autres sont ouvertes et permettent aux élèves, et aux adultes, de s’exprimer librement.

La CFDT estime que des progrès importants doivent être accomplis dans ces domaines, en améliorant, comme l’ont dit mes collègues, la formation initiale, continue et continuée de l’ensemble des acteurs du système éducatif. Je ne peux que souscrire aux propos de ma collègue du SNPDEN : on est actuellement obsédé par le remplacement de courte durée, au point de nous pousser à faire parfois des choses délirantes. Qui plus est, nous sommes soumis à des injonctions contradictoires puisque nous avons appris, hier, que les moyens dont nous disposons pour rémunérer les collègues qui assurent ces remplacements sont gelés jusqu’à la fin de l’année – et nous ne connaissons pas le montant de l’enveloppe qui leur sera allouée l’année prochaine. Or le fait que les élèves ne soient pas livrés à eux-mêmes influe sur le climat scolaire. C’est de plus en plus difficile. Les choses sont très intriquées.

Quoi qu’il en soit, pour la CFDT, il faut affronter le déni. Voulons-nous prêter attention à la manière dont les enfants vivent leur vie scolaire, culturelle, sportive ? Beaucoup de choses remontent de ces univers-là.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Monsieur Beaufrère, vous avez indiqué que les réponses au questionnaire Brisons le silence remonteraient directement à la DSDEN et au rectorat. Est-ce à dire qu’elles ne seraient pas transmises au chef d’établissement ?

M. Olivier Beaufrère. Le dispositif est encore expérimental, mais il devrait se dérouler de la manière suivante : une fois que la classe aura répondu au questionnaire dans une salle informatique, les réponses seront transmises directement simultanément au chef d’établissement et à la DSDEN. Cela ne nous laisse pas le temps de traiter un éventuel problème. Nous risquons de recevoir immédiatement l’appel d’un conseiller technique qui nous demandera comment nous avons réagi. Il faut nous laisser un peu souffler et travailler.

M. Patrick Bedel. J’ajoute, pour compléter mon propos, que la parole n’est pas exclusivement verbale, notamment lorsque les élèves ont subi des violences de la part d’adultes. Elle passe par des gestes, un isolement, un absentéisme, une attitude qui peut confiner à la violence… Nous savons analyser ces signaux faibles. Mais, encore une fois, il faut que nous puissions les traiter avec les personnels, et nous ne sommes pas certains qu’un questionnaire permette de traiter des signaux faibles non verbaux.

M. Éric Fuentes. Je souhaite revenir sur le rôle des inspectrices et des inspecteurs. Bien entendu, il faut trouver les espaces qui permettent de libérer la parole. Premier constat : souvent, en particulier dans le premier degré, la parole nous parvient, non pas par les élèves eux-mêmes, mais par des adultes, parents ou professionnels de l’éducation nationale. En plus de libérer la parole, il faudrait être capable de l’accueillir dans les meilleures conditions possibles. Ainsi, face aux nombreux témoignages qu’ils reçoivent, les inspectrices et les inspecteurs doivent avoir une écoute active, faire preuve de discernement et, in fine, accomplir des gestes professionnels ou apporter des réponses auxquels ils doivent être formés. On mesure l’importance du recueil de la première parole, de son analyse et de son traitement au regard des suites qui y seront données, le cas échéant.

M. Éric Nicollet. Il ne faut pas que nous reproduisions l’échec du questionnaire sur le harcèlement, qui n’a pas eu de suites concrètes, faute de personnels en nombre suffisant pour traiter les réponses. Se pose donc, une fois de plus, la question des moyens humains. Je ne sais pas comment les DSDEN pourront, compte tenu des moyens dont ils disposent, traiter le volume considérable des réponses au questionnaire. Il est donc nécessaire de recruter en grand nombre des professionnels de l’action sociale hautement qualifiés, capables de décrypter les expressions employées, voire de détecter des situations qui sont exprimées, non pas explicitement, mais par des signaux faibles, comme cela a été dit très justement.

Tout à l’heure, M. David a indiqué que, dans les établissements privés, la publicité des numéros d’appel, par exemple, était insuffisamment assurée. Mais, pour que la parole soit libérée, il faut que les jeunes aient conscience qu’ils ont le droit de parler et s’y autorisent. Cette conscience, ils peuvent l’acquérir grâce à certains enseignements qui leur sont dispensés, notamment l’enseignement civique. Puisque la commission d’enquête traite des situations de violence qui peuvent exister dans l’ensemble des établissements, en particulier privés, il faut dire qu’à l’occasion de nos contrôles, nous constatons très souvent des manquements graves à cet égard : dans ces établissements, ces enseignements ne sont pas dispensés ou ne le sont pas correctement.

M. Philippe Janvier. De la question de la détection, nous sommes passés à celle de la révélation par la libération de la parole ou l’interprétation de signaux faibles, notamment par les professeurs et la vie scolaire. Mais il me semble que nous devons éviter que de tels problèmes ne surviennent. Pour cela, il nous faut monter d’un cran supplémentaire et aborder la question de l’éducation et de la prévention. De même que le programme Phare vise à lutter contre le harcèlement, de même, nous pourrions instaurer un protocole qui reposerait sur le triptyque que nous avons évoqué : responsabilisation des acteurs, formation – par exemple, à la détection de signaux faibles – et sécurisation de la remontée des informations. J’ajoute que les personnes qui font des signalements doivent être informées des suites qui leur sont données au niveau supérieur. On l’a vu à l’occasion de certains dysfonctionnements, une personne qui ne sait pas comment a été traité son signalement peut penser qu’il ne l’a pas été du tout.

Avant de traiter les violences, il convient de les éviter. Sans doute faut-il, pour cela, mettre en œuvre un plan d’action et d’information fort à destination des élèves, plan qui pourrait s’inspirer du programme Éduquer à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité (Evars), qui rappelle aux enfants que leur corps est un espace sacré.

M. Paul Vannier, rapporteur. Merci pour vos analyses et vos préconisations ainsi que pour vos réactions à certaines des mesures du plan Brisons le silence.

Quel type de contrôle ou d’inspection vous paraît le plus à même de détecter les violences commises par des adultes ayant autorité sur des élèves en milieu scolaire ?

Les questions suivantes s’adressent en particulier aux représentants des organisations syndicales des corps d’inspection et portent plus précisément sur le contrôle des établissements privés sous contrat, qui est un enjeu majeur puisque 2 millions d’élèves y sont scolarisés. De fait, c’est maintenant avéré, ces établissements sont très peu contrôlés et lorsqu’ils le sont, les mécanismes de contrôle semblent défaillants.

Lorsque ces contrôles ont lieu, les autorités diocésaines ou congréganistes en sont-elles préalablement informées et sont-elles toujours présentes lors de l’inspection ? Les inspecteurs et inspectrices membres de vos organisations syndicales ont-ils déjà rencontré des difficultés dans leurs échanges avec ces autorités de tutelle à l’occasion du contrôle d’établissements scolaires privés sous contrat ? Lorsque ces contrôles sont effectués, la définition de leur périmètre fait-elle l’objet d’une discussion, d’une négociation ? Arrive-t-il que certaines prérogatives des inspecteurs soient remises en cause par ces autorités, les chefs d’établissement ou toute autre personne ?

Enfin, la ministre Belloubet puis Mme Borne, qui lui a succédé, ont annoncé la création de 60 équivalents temps plein (ETP) dédiés au contrôle des établissements privés sous contrat. Or le nombre de ces établissements est considérable : 7 500. Les moyens annoncés vous paraissent-ils suffisants pour atteindre les objectifs affichés par le gouvernement ?

M. Patrick Roumagnac. Ces 60 postes – en réalité, 30 à la rentrée 2025 et 30 autres l’année suivante – qui nous ont été annoncés sans discussion préalable seraient répartis de la manière suivante : les deux tiers iraient au premier degré et le tiers restant au second degré. Cela permettra-t-il d’apporter des réponses ? Il est difficile de l’imaginer, non seulement parce que le volume de postes est faible, mais aussi et surtout parce que la mission qui sera attribuée à ces inspecteurs n’est pas clairement définie. La mission de tout inspecteur est définie par une circulaire. Or, en l’espèce, le dispositif pourrait assez largement déroger aux missions traditionnelles.

En effet, une des caractéristiques fortes de l’inspecteur est son ancrage dans un territoire, où il entretient des relations, éventuellement avec les autorités diocésaines. Ainsi, dans une situation ordinaire de contrôle pédagogique, l’inspecteur du premier degré qui intervient dans les établissements de son ressort le fait systématiquement en relation avec les autorités diocésaines. Les contrôles opérés dans les établissements privés sous contrat sont des contrôles de conformité, précisément définis dans la loi : il s’agit de s’assurer que l’acte d’enseignement correspond bien aux programmes et instructions officiels, notamment qu’il n’y a pas d’abus concernant le contenu des enseignements dispensés pendant le temps scolaire, en tenant compte des marges de liberté accordées à l’enseignement privé sous contrat.

Si le contrôle porte, non plus sur la pédagogie, mais sur la vie scolaire, il faudra mener une réflexion approfondie sur ce que l’on attend des nouveaux inspecteurs chargés d’effectuer ledit contrôle. Pour l’instant, la réponse – et elle est légitime – est d’ordre politique : il y a un problème et on crée des emplois pour tenter de le résoudre. Mais l’aspect opérationnel de ces contrôles doit faire l’objet de discussions qui n’ont pas encore été ouvertes. Les premiers postes seront déployés à la rentrée prochaine ; il est donc urgent de réfléchir notamment à la manière dont l’inspecteur travaillera en lien avec les chefs d’établissement, les autorités diocésaines.

Un inspecteur fait-il l’objet de pressions lorsqu’il se rend dans un établissement privé hors ou sous contrat ? Oui, évidemment ! On sait très bien que nos observations sont scrutées de près : si l’on s’éloigne un tant soit peu du contrôle de conformité pour se rapprocher de l’appréciation portée sur la pertinence pédagogique, on risque d’être très vite d’être rappelés à l’ordre par notre autorité de tutelle, qui fait ce qu’elle a à faire. De fait, nous marchons sur des œufs, et nous allons devoir apprendre à être précautionneux, car il y va de situations vécues par des jeunes qui peuvent être très douloureuses. L’erreur de comportement d’un inspecteur peut avoir de graves conséquences.

Gardons également à l’esprit que, sur le terrain, l’inspecteur peut collecter des informations pour documenter autant que possible une situation, et les faire remonter, afin que des décisions puissent être prises, lesquelles ne relèvent pas de l’autorité directe de l’inspecteur. Celui-ci a une tâche de préparation, qu’il accomplit en lien avec le chef d’établissement. Pour le grand public, le simple titre d’inspecteur confère à son titulaire une autorité sur un territoire. Mais cette autorité est contrôlée, et c’est heureux ! Le travail de l’inspecteur d’académie devient déterminant, comme on a pu le voir dans une affaire malheureuse qui est peut-être à l’origine de nos discussions.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Les dix postes qui doivent être créés pour le second degré à la rentrée prochaine, par exemple, seront-ils occupés par des inspecteurs pédagogiques régionaux ?

M. Patrick Roumagnac. Le directeur de l’encadrement a précisé, hier, que ce seront des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR). Le cas échéant, des inspecteurs de l’éducation nationale du second degré, donc de la voie professionnelle, pourront être candidats à ces postes.

M. Éric Nicollet. Notre administration est sans doute la plus sous-encadrée de toutes : les inspecteurs et inspectrices sont un peu plus de 3 000 pour 800 000 enseignants. C’est tout à fait insuffisant. Les corps d’inspection peinent donc déjà à exercer leurs missions ordinaires. La ministre propose de créer 30 ETP à la rentrée prochaine, soit moins de 1 % de nos effectifs. Ce n’est pas ainsi que nous pourrons mettre en œuvre un programme ambitieux de contrôle des établissements privés sous contrat. Ce programme manque d’autant plus d’ambition que la ministre a indiqué, par ailleurs, que l’objectif était de contrôler 40 % des établissements au cours des deux prochaines années, c’est-à-dire 20 % par an, dont la moitié, a-t-elle précisé, devra être contrôlée en présentiel. Il nous faudra donc dix ans pour contrôler l’ensemble des établissements privés sous contrat en présentiel.

La création de ces nouveaux postes d’inspecteur et d’inspectrice a été décidée sans concertation avec les organisations syndicales. Toutefois, nous avions indiqué au cabinet de la ministre qu’il convenait, selon nous, de consolider les effectifs de l’ensemble des corps d’inspection, dans toutes les disciplines. Plutôt que de dédier des inspecteurs au contrôle des établissements sous contrat, il serait préférable de renforcer nos équipes de manière à libérer du temps qu’elles pourraient consacrer à des contrôles effectués par une équipe pluridisciplinaire composée d’inspecteurs de premier et de second degré ainsi que de personnels infirmiers, de personnels sociaux et de chefs d’établissement.

Quant au cadre des investigations, il est en effet actuellement relativement restreint : il ne nous permet pas d’enquêter sur des questions relatives à la vie de l’élève en dehors de la classe. De fait, le contrôle sur pièces ne permet évidemment pas de détecter des violences, quelles qu’elles soient. Le respect par l’établissement de son contrat avec l’État ne peut pas non plus être contrôlé. Les établissements privés que nous contrôlons nous opposent souvent leur caractère propre pour se soustraire à des investigations approfondies sur des situations que nous pourrions détecter ou suspecter – s’il est très rare de constater des violences, il arrive que l’on ressente certaines choses.

Pour l’instant, il nous manque un mandat clair pour pouvoir réaliser ces contrôles, c’est-à-dire une lettre de mission qui précise ce que notre autorité hiérarchique en attend. L’absence d’un tel mandat joue, hélas ! sur notre indépendance et notre liberté d’action. Un mandat clair, signé du recteur ou du directeur académique des services de l’éducation nationale, nous permettrait de disposer de garanties en la matière et d’échapper aux pressions exercées avant ou après ces contrôles par nos autorités hiérarchiques ou autres.

Enfin, je veux évoquer l’absence de transparence des résultats de nos contrôles : nous avons très peu de retours concernant nos observations. Nos rapports ne sont pas rendus publics in extenso. C’est un problème, car nous constatons régulièrement que ces rapports peuvent être édulcorés, certaines de leurs parties supprimées ou éludées. Régulièrement, nos collègues nous disent, par exemple, que le paragraphe qu’ils avaient consacré à la difficulté de la mise en œuvre de la mixité dans l’établissement privé qu’ils ont visité n’apparaît plus dans le rapport final. Un mandat clair et la publication de nos rapports sont deux éléments importants pour progresser dans ce domaine.

M. Paul Vannier, rapporteur. Vos propos nous interpellent. À quel niveau hiérarchique le rapport est-il édulcoré, certains de ses éléments éludés ? Ce que vous nous dites fait écho à ce que nous avons observé et à ce que nous allons continuer d’examiner lors d’une prochaine audition portant sur le rapport de l’inspection générale concernant le collège Stanislas. Le niveau de contrôle est différent mais le mécanisme est le même. Nous avons, en effet, le sentiment – nous allons le vérifier – que la lettre de transmission a été édulcorée et que des passages entiers ont été modifiés pour donner une appréciation positive du fonctionnement de l’établissement alors que les inspecteurs généraux avaient relevé de très graves dysfonctionnements. Pouvez-vous nous confirmer qu’au niveau territorial, ce type de fonctionnement peut également exister ?

M. Éric Nicollet. Je ne dis pas que le sens de nos rapports peut être détourné pour le rendre positif. Mais nous sentons bien que certaines choses ne peuvent pas être dites ou qu’il est préférable de les taire. Des relectures sont faites au niveau des rectorats qui permettent, dans la restitution finale du rapport, une expression différente de la première.

M. Paul Vannier, rapporteur. Au niveau du rectorat, qui a la possibilité de relire un rapport et d’intervenir sur sa rédaction finale ?

M. Éric Nicollet. C’est une question délicate. Je ne peux pas vous dire très précisément qui peut le faire, mais c’est au niveau d’une Dasen ou d’un rectorat, autour du recteur et de son cabinet.

M. Paul Vannier, rapporteur. Je vais être plus direct. Vous témoignez sous serment. Si vous avez connaissance d’éléments suffisamment précis pour nous permettre de savoir s’il s’agit du recteur lui-même, de membres de son cabinet, de l’inspecteur d’académie ou de membres de son cabinet, et de connaître l’endroit où ce type d’interventions peut avoir lieu, il est important de l’indiquer à notre commission.

M. Éric Nicollet. Certains collègues nous ont en effet fait part de situations de ce type. Je peux vous mettre en relation avec eux, si vous le souhaitez.

M. Paul Vannier, rapporteur. En effet, si vous en avez la possibilité, indiquez-nous par écrit qui vous a signalé de tels faits. Nous ne cherchons pas à établir des responsabilités individuelles mais à comprendre des mécanismes. Il est important pour notre commission d’enquête de savoir à quel niveau se produisent de telles situations.

M. Philippe Janvier. Les inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux ne peuvent s’autosaisir. Ils sont sollicités par le recteur pour mener différents types de contrôles. Si le contrôle a trait à la pédagogie, il est confié à un IA-IPR de la discipline concernée. S’il concerne le fonctionnement de l’établissement et de la vie scolaire, il relève d’un IA-IPR-EVS. D’autres types d’inspecteurs traitent de la santé et de la sécurité, ou encore des contrôles administratifs, lesquels peuvent également être confiés à des compositions croisées. Nos collègues nous ont indiqué que les contrôles ayant eu lieu ces deux dernières années ont été menés par des équipes plurielles comprenant toujours au moins un ou deux IA-IPR-EVS.

Le contrôle constitue un moyen assez limité de révéler des faits graves parce que, lors d’un contrôle, une personne peut déclarer quelque chose, puis se rétracter après la remise du rapport. L’enquête administrative permet d’aller plus loin, dans la mesure où elle donne lieu à des auditions puis à la rédaction d’un procès-verbal (PV), qui est signé par la personne auditionnée. Elle permet ainsi de sécuriser les cas les plus graves ; elle peut parfois gagner à être dépaysée à l’inspection générale.

Le diocèse n’est pas toujours informé des contrôles. Ces deux dernières années, certains ont été menés de manière inopinée – je n’en connais pas le nombre exact –, des collègues nous ayant même indiqué qu’il leur arrivait de retourner dans un établissement déjà contrôlé six mois plus tôt. On ne nous a pas remonté de difficultés particulières avec le diocèse. Cela tient peut-être au positionnement des IA-IPR dans l’académie, et non au niveau local. Les relations locales n’existent pas ; elles sont plus distantes.

Concernant le périmètre du contrôle, notamment de la vie scolaire, je n’ai pas eu accès au protocole de contrôle. Celui-ci est à disposition des IA-IPR qui effectuent les contrôles. Selon eux, le protocole, dans une première version, délimitait plutôt bien le périmètre ; ils se sont sentis bien armés pour ne pas empiéter sur ce qui serait le caractère propre du privé sous contrat, qui constitue une ligne rouge. Cela a été le cas pour Bétharram. Il y a eu, cette semaine ou la semaine dernière, non pas une deuxième version mais l’ajout de fiches qui ont encore apporté des précisions concernant le caractère propre. Le protocole avance sur ce sujet ; je n’en sais pas plus.

S’agissant des 60 ETP dédiés, ils seront répartis en 10 postes d’IA-IPR cette année et 20 postes l’année prochaine. Les missions d’inspection associent plusieurs IA-IPR-EVS. Parfois, les problèmes traités concernent essentiellement l’établissement et la vie scolaire – il peut s’agir de questions de laïcité, du respect des valeurs républicaines, etc. Toutefois, le problème de fond, avant même la création de postes, est celui du recrutement : il faut des candidats. Le corps des IA-IPR souffre d’un déficit d’attractivité criant. Non seulement les postes ne sont pas tous pourvus à la rentrée mais, en cours d’année, certains de nos collègues prennent une autre mission, devenant Dasen, adjoints, etc. Cette année, nous sommes passés de trente postes non pourvus à la rentrée à soixante postes vacants en milieu d’année. Le problème est donc double : il faut certes créer des postes mais il faut aussi renforcer l’attractivité.

Tout le monde ne peut pas devenir inspecteur de l’éducation nationale ou inspecteur d’académie : il faut posséder une expertise reposant sur des années de pratique avant de pouvoir candidater. De plus, si les collègues ne font que cela, ils perdent de l’expertise, parce que les domaines à contrôler sont multiples.

Un collège d’inspecteurs se répartit la mission collective. Certains sont chargés de quelques dossiers et n’effectueront qu’un contrôle tous les deux ans, tandis que d’autres peuvent en faire cinq par an. Il faut renforcer les équipes des collèges IA-IPR, en particulier dans la spécialité établissement et vie scolaire.

Nos collègues nous disent qu’ils sont confrontés à une grande difficulté, qui est l’urgence de l’action. C’était compréhensible l’année dernière et cette année mais, pour la rentrée prochaine, il faut une planification. Ce plan d’action doit être élaboré en début d’année par le recteur avec les moyens dont il dispose, puis transmis au collège des IA-IPR qui se répartira la charge. Nous réalisons les missions que le recteur nous confie, y compris parfois quand nous sommes à la limite de nos missions.

En raison de la situation d’urgence actuelle, des collègues doivent, toutes affaires cessantes, cesser d’exercer une partie de leur métier. À défaut de planification, le système risque d’être déstabilisé parce que nous gérons un ensemble de missions dont certaines ne peuvent pas être mises en suspens et pour lesquelles nous sommes déjà en sous-effectif : des établissements attendent que nous recrutions des enseignants contractuels, parfois depuis des semaines ; des services attendent que nous avancions sur les examens – il ne s’agirait pas qu’il y ait un crash aux examens en fin d’année, par exemple. Il faut quantifier la charge de travail qui sera dévolue au contrôle durant l’année pour pouvoir la répartir.

M. Paul Vannier, rapporteur. Nous avons découvert que le Secrétariat général à l’enseignement catholique (Sgec) avait été, à de très nombreuses reprises, associé à l’élaboration du guide du contrôle des établissements privés sous contrat. Vous nous avez indiqué la nécessité d’un cadre clair, d’un mandat qui préciserait le périmètre de vos interventions. Vos organisations syndicales représentatives ont-elles été associées, d’une façon ou d’une autre, à l’élaboration de ce guide du contrôle des établissements privés sous contrat ?

M. Éric Nicollet. La réponse est non. Nous ne sommes plus associés à grand-chose depuis quelques années.

M. Philippe Janvier. Pour ce guide, la réponse est non. Actuellement, il est à la disposition des seuls inspecteurs qui effectuent des contrôles.

M. Paul Vannier, rapporteur. Vos organisations représentatives des personnels sont des interlocutrices officielles du ministère de l’éducation nationale dans le cadre du dialogue social prévu par notre République. Le Sgec, lui, n’a aucune existence juridique. Le dialogue très intense entre le ministère et le Sgec n’est prévu par aucun texte, par aucune loi, et pourtant il a lieu, de façon apparemment privilégiée, au point que le Sgec s’est manifestement senti autorisé à s’opposer de toutes ses forces au renforcement des contrôles sur les établissements privés sous contrat. Cela a eu des conséquences dramatiques, je tiens à le rappeler : des vies d’enfants ont été brisées parce qu’ils ont été exposés à des agresseurs qui, pendant des décennies, ont pu commettre leurs crimes sans jamais faire l’objet de la moindre visite.

Votre réponse très claire est lourde de sens du point de vue du fonctionnement du système éducatif et de notre démocratie sociale. Elle soulève des questions sur les responsabilités politiques parce que, pendant des décennies, dans la coulisse, s’est instaurée une relation non prévue par les lois, en dehors de tout contrôle démocratique.

Mme Christelle Kauffmann. En tant que chefs d’établissement, nous n’avons aucune prérogative et c’est heureux. Il ne nous appartient pas de contrôler les établissements privés mais nous soutenons l’analyse de nos collègues inspecteurs. Nous demandons que le contrôle strict opéré sur les EPLE soit le même pour les établissements privés, notamment ceux qui sont sous contrat.

Concernant les organisations syndicales, et pas spécifiquement sur la question des violences, nous interpellons régulièrement notre ministre ou nos interlocuteurs sur l’égalité de traitement. Ainsi, le programme Phare s’applique seulement dans les établissements publics. Le privé fonctionne autrement, ce qui empêche toute comparaison. Cela vaut pour de nombreux autres sujets, par exemple le plan RCD. Nous accueillons tous des élèves : l’égalité de traitement stricte est absolument nécessaire.

Mme Cathy Rodier Hagenbach. Je partage ce qui a été dit sur l’insuffisance du nombre d’inspecteurs. Quand un IA-IPR disciplinaire est le seul de son académie, ce n’est pas suffisant. L’annonce de la création de postes est donc une bonne nouvelle.

Je vais toutefois mettre les pieds dans le plat. Il s’agit d’argent public : je n’aimerais pas qu’il soit entièrement consacré au contrôle des établissements privés, si nécessaire soit-il, alors que les inspecteurs sont déjà très mobilisés par leurs missions et que l’on en voit de moins en moins dans les établissements publics.

M. Laurent Kaufmann. Notre organisation syndique tous les métiers de l’institution, y compris celui des inspecteurs. Je me ferai donc le porte-parole des collègues qui ont contribué aux réponses au questionnaire, que nous vous enverrons.

Quand on inspecte un établissement, notamment un établissement privé sous contrat, le climat scolaire est analysé. Certains collègues disent que celui-ci ne relève pas uniquement des inspecteurs EVS. Il y a une césure profonde dans la construction des cultures professionnelles entre les inspecteurs disciplinaires et les inspecteurs établissements et vie scolaire. Or, si l’on veut progresser, la question du climat scolaire doit être une préoccupation partagée.

Une dimension n’a pas été évoquée : l’accompagnement à la suite de la rédaction d’un rapport. L’absence de retour sur des préconisations montre que l’établissement ne respecte pas le contrat. Il est indispensable de traiter ce sujet démocratique. Les collègues qui font des inspections remontent des entorses à la laïcité ou à la mixité, l’absence de certains enseignements ou de volumes horaires dans des disciplines artistiques.

Nous partageons votre incompréhension concernant l’association du Sgec à l’élaboration du guide de contrôle. La CFDT a été très surprise d’entendre le secrétaire général de l’enseignement catholique annoncer que les établissements catholiques sous contrat ne mettraient pas en place les groupes de niveau pourtant prévus dans le choc des savoirs. En quoi consiste alors le contrat d’association avec l’État ? Beaucoup de questions sur l’enseignement public et privé restent en suspens, même s’il n’est pas question de rallumer la guerre scolaire.

Nous n’avons toutefois pas évoqué le sujet de la mixité scolaire et sociale. Les deux systèmes devront répondre à cette préoccupation majeure. Notre système scolaire est en effet un des plus ségrégués d’Europe.

M. Philippe Janvier. Les inspecteurs disciplinaires sont très attentifs à la gestion de classe des professeurs. Parfois, dans des cahiers, on trouve des règlements internes à la classe. Il s’agit d’une sorte de contrat didactique, pédagogique entre le professeur et ses élèves. Souvent, les chefs d’établissement n’en sont pas informés.

La façon de gérer la classe, la présence ou non d’un contrat, le fait que le professeur s’y tienne, la parole des élèves, qui peuvent venir à la fin du cours nous dire certaines choses – « Nous sommes contents que vous soyez là, aujourd’hui ça s’est très bien passé, contrairement à d’habitude » : c’est rare mais cela existe –, tous ces éléments sont des signaux faibles que nous devons détecter. Ils contribuent en effet à la vie scolaire.

La vie scolaire est un champ global qui n’est pas réservé aux IA-IPR-EVS. Elle comprend aussi le respect des personnes, des droits, des valeurs de la République. Nous ne faisons pas les mêmes métiers mais, depuis de nombreuses années, les inspecteurs n’interviennent plus uniquement dans leur champ propre. C’est une vision qu’il faudrait actualiser.

Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Ma question s’adresse aux représentants des syndicats d’inspection. L’indépendance ne semble pas faire partie de vos revendications. Pourtant, le contrôle d’un établissement s’apparente à une inspection du travail. Selon l’analogie du sociologue Pierre Merle, il ne viendrait à l’idée de personne de confier le contrôle de la sûreté nucléaire à une autorité qui ne serait pas indépendante du ministre de l’énergie. Plus on avance dans cette commission d’enquête, plus j’en viens à me dire qu’il n’y a pas d’autre issue que d’envisager l’indépendance d’un corps d’inspection qui pourrait s’autosaisir, fixer son propre calendrier de travail et avoir une indépendance totale par rapport à un ministère dont il partagerait le même objectif, celui du bien-être, du développement et de l’éducation de tous les enfants.

M. Philippe Janvier. Si les IA-IPR sont libres dans le conseil au recteur, ils sont en revanche loyaux dans leur action : ils respectent les décisions du recteur et appliquent la politique éducative annoncée par le ministère.

L’autre aspect de notre travail, c’est l’inspection pédagogique. Notre métier, c’est l’enseignement dans les classes mais, quand on nous confie des missions de contrôle, nous travaillons sur la base de missions. Nous sommes mandatés sur des champs définis – le plus souvent, la vie scolaire. La lettre de mission du contrôle doit être précise.

Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Le protocole est le même pour des conseils pédagogiques que pour une mission de contrôle, dont l’objet est de vérifier la sécurité des personnels et des enfants. Le mandat ne devrait pas dépendre entièrement d’un ministre qui a le pouvoir de publier ou non les conclusions d’un rapport. C’est la communauté éducative entière qui est concernée, pas uniquement le ministre dans ses attributions politiques.

M. Patrick Roumagnac. L’éducation nationale est un système très hiérarchisé et organisé dans lequel les inspecteurs ont une parole totalement libre. Quel que soit mon niveau de responsabilité dans le système, j’ai toujours rédigé mes rapports très honnêtement et très loyalement. Je les ai fait remonter à mon supérieur hiérarchique – inspecteur d’académie, recteur, voire recteur de région académique. J’ai exercé les responsabilités qui étaient les miennes en faisant confiance à mon supérieur hiérarchique pour en faire de même. Celui-ci fait remonter l’information qui lui paraît pertinente, sachant qu’une partie de l’information peut être considérée comme non utile à un instant T.

Pour ma part, je suis beaucoup plus choqué par ce que vous avez évoqué, à savoir le fait d’interroger des gens qui n’ont pas à s’exprimer sur cette question tout en négligeant les organisations syndicales. C’est un dysfonctionnement du système. En revanche, cela n’obère pas la liberté de parole des inspecteurs. Notre loyauté, nous la manifestons à l’égard de la nation et non de nos supérieurs hiérarchiques. Notre responsabilité consiste à dresser le constat le plus objectif et le plus honnête possible, et de le faire remonter.

Un système à l’anglaise, indépendant, serait envisageable. Toutefois, compte tenu de ce qu’il produit, je ne suis pas certain que je serais enthousiasmé de relever d’un tel système.

M. Éric Nicollet. Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit. La situation catastrophique que connaissent d’autres pays laisse penser que l’externalisation du contrôle serait vraiment une très mauvaise idée.

Il ne s’agit pas de contrôle qualité ; c’est autre chose. Le contrôle par l’État de ses propres services, de ses propres activités existe depuis la Révolution française. Les corps d’inspection sont porteurs de cette histoire. Il est très important pour nous de pouvoir exercer ce contrôle interne avec toute l’indépendance nécessaire. Nous avons écrit à nos collègues pour leur dire de ne pas craindre de se saisir de cette indépendance, même s’ils se trouvent dans des situations où des pressions s’exercent.

Par ailleurs, lorsque je suis devenu inspecteur de l’enseignement professionnel, j’ai prêté serment devant un tribunal d’instance. Cela me donnait un mandat très fort lorsque j’inspectais des centres de formation d’apprentis – je pouvais même saisir un inspecteur du travail pour qu’il m’accompagne. La loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a supprimé ce serment, tout comme le service d’inspection de l’apprentissage. La question du mandat et des conditions de son exercice doit être traitée. Je pense en effet qu’être assermenté et muni d’une carte bleu, blanc, rouge confère une grande valeur au contrôle exercé.

Mme Florence Herouin-Léautey (SOC). L’enseignement civique n’est que peu ou pas dispensé. Les stagiaires collégiens ou lycéens que je reçois se désolent eux-mêmes de constater que, alors qu’ils s’apprêtent à devenir majeurs et à obtenir le droit de vote, ils ne sont pas fichus d’avoir un regard éclairé sur le fonctionnement de nos institutions. Or cet enseignement peut contribuer à la libération de la parole. Comment en est-on arrivé là et comment peut-on y remédier ?

Par ailleurs, j’ai entendu qu’un programme équivalent à Phare, dédié aux violences, pourrait avoir du sens dans le premier degré. Comment envisagez-vous le rôle des collectivités dans ce partenariat indispensable ?

M. Jérôme David. Des insuffisances sont constatées dans les établissements privés, en particulier s’agissant de l’enseignement moral et civique. Des manquements existent, même si cela ne concerne pas tous les établissements. Ils doivent appliquer un programme, dont nous sommes garants.

D’autres insuffisances pédagogiques sont constatées concernant l’enseignement scientifique, les activités artistiques, musicales et sportives, les valeurs de la République et de la laïcité, ainsi que l’absence des numéros d’alerte et les lacunes de l’information relative au harcèlement scolaire et aux modalités d’accueil des élèves à besoins particuliers. Tels sont les manquements les plus souvent constatés lors des contrôles des établissements privés.

Mme Florence Herouin-Léautey (SOC). Ma deuxième question portait sur l’opportunité d’appliquer un équivalent du programme Phare contre les violences au premier degré. Comment la communauté éducative pourrait-elle l’organiser ? Quel pourrait être le rôle des collectivités ?

M. Laurent Kaufmann. L’équivalent de Phare dans le privé, c’est le plan de protection des publics fragiles. Il est en effet curieux qu’il n’y ait pas d’obligation d’appliquer le programme Phare.

Concernant l’éducation à la citoyenneté, à la CFDT, nous avons lu avec intérêt l’ouvrage de Sebastian Roché, La nation inachevée, qui est une enquête sociologique robuste portant sur des milliers de questionnaires d’élèves sur l’éducation à la citoyenneté. Celle-ci est extrêmement théorique et n’est pas mise en pratique. Les élèves, en dépit du nombre d’heures d’enseignement qu’ils reçoivent, ont l’impression que cet enseignement est assez éloigné d’une éducation citoyenne.

S’agissant du partenariat, dans le premier degré comme dans le second, les contraintes budgétaires des collectivités territoriales sont telles qu’il va falloir en rabattre ; c’est très inquiétant pour toutes les actions que l’on peut mener dans un établissement. Dans le second degré, nous travaillons avec des partenaires associatifs mais les inégalités territoriales font que l’on n’a pas partout accès à la même richesse ; il faut donc des moyens. Or les coupes budgétaires annoncées et prévisibles mettront à mal des projets qui participent au climat scolaire.

Pour que la parole émerge, il faut établir une relation de confiance entre les jeunes et les adultes. Celle-ci n’est pas innée, elle se construit, de plus en plus difficilement en raison de l’influence des réseaux sociaux. Cela passe par des logiques partenariales. Malheureusement, les réductions budgétaires ne peuvent que nous inquiéter car elles remettent en cause tant le volume d’heures supplémentaires accordées aux enseignants pour conduire des projets avec des partenaires que le financement du monde associatif.

M. Éric Fuentes. Je souhaite revenir sur les liens avec les collectivités territoriales, notamment pour les inspectrices et inspecteurs du premier degré. Dans une circonscription en zone rurale, l’inspecteur ou l’inspectrice peut faire face à une soixantaine d’élus locaux. Les échanges avec les collectivités territoriales portent sur les temps méridiens et périscolaires, dans la continuité de la journée de l’enfant. Les inspecteurs et les directeurs d’école sont très souvent sollicités pour des situations en dehors du temps scolaire relevant de la compétence de la collectivité territoriale. Cela a forcément des répercussions sur le temps scolaire. Il est vrai que l’on ne peut pas saucissonner le temps de l’enfant, sachant que les temps de pause méridienne sont aussi des moments très particuliers de concentration d’activités diverses et variées pour les jeunes enfants.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vous remercie pour votre présence et pour la franchise de vos propos. Nous lirons avec grand intérêt vos réponses écrites.

La séance est levée à douze heures dix.


Présences en réunion

Présents.  Mme Farida Amrani, M. Rodrigo Arenas, Mme Bénédicte Auzanot, M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, M. Arnaud Bonnet, M. Idir Boumertit, Mme Soumya Bourouaha, M. Xavier Breton, M. Fabrice Brun, Mme Céline Calvez, M. Salvatore Castiglione, M. Roger Chudeau, M. Bruno Clavet, M. Alexis Corbière, M. Laurent Croizier, Mme Julie Delpech, M. Aly Diouara, Mme Virginie Duby-Muller, M. José Gonzalez, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Florence Herouin-Léautey, M. Sacha Houlié, Mme Florence Joubert, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Bartolomé Lenoir, Mme Delphine Lingemann, Mme Graziella Melchior, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Michelet, M. Julien Odoul, Mme Caroline Parmentier, M. Jérémie Patrier-Leitus, M. Thierry Perez, Mme Lisette Pollet, Mme Isabelle Rauch, Mme Claudia Rouaux, Mme Nicole Sanquer, Mme Anne Sicard, M. Bertrand Sorre, Mme Violette Spillebout, Mme Sophie Taillé-Polian, Mme Prisca Thevenot, M. Paul Vannier

Excusés.  M. Gabriel Attal, M. Anthony Brosse, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, M. Charles Fournier, M. Moerani Frébault, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Céline Hervieu, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Caroline Yadan