Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

 Dans le cadre des travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition de Mme Nicole Belloubet, ancienne garde des sceaux, ministre de la justice, et ancienne ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse              2

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Jeudi
15 mai 2025

Séance de 15 heures 30

Compte rendu n° 78

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente

 

 

 

 


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La séance est ouverte à quinze heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)

La commission auditionne, dans le cadre des travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 581100 du 17 novembre 1958), Mme Nicole Belloubet, ancienne garde des sceaux, ministre de la justice, et ancienne ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous poursuivons nos travaux d’enquête en recevant Mme Nicole Belloubet, ancienne garde des sceaux, ministre de la justice et ancienne ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Le fait que vous ayez occupé successivement ces deux fonctions ainsi que le poste de rectrice rend votre témoignage particulièrement précieux. Nos travaux nous ont en effet conduits à constater que les relations entre l’éducation nationale et la justice étaient pour le moins perfectibles lorsque des faits de violence étaient observés dans un établissement scolaire, public ou privé.

Cette audition obéit au régime de celles d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Cet article impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Nicole Belloubet prête serment.)

Lorsque vous étiez garde des sceaux puis ministre de l’éducation nationale, à quelles occasions et dans quel contexte avez-vous eu à traiter la question des violences commises par des adultes encadrants sur des enfants en milieu scolaire ?

Mme Nicole Belloubet, ancienne garde des sceaux, ministre de la justice, ancienne ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Je scinderai ma réponse en deux volets, car les situations ne sont pas identiques dans les deux ministères.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir été saisie, lorsque j’étais garde des sceaux, de problèmes singuliers de violences commises envers les jeunes dans des établissements scolaires. Au-delà des procédures de remontées par les parquets, sur lesquelles je reviendrai, j’ai été conduite à traiter des phénomènes de violences en milieu scolaire de manière générale.

Cela s’est décliné selon quatre axes.

Le premier concerne la mise en place de contrôles d’honorabilité faisant intervenir le ministère de la justice. Il s’agit de s’assurer que les personnes travaillant en lien avec des mineurs présentent les garanties d’honorabilité requises pour assurer cette fonction. Cela passe notamment par le contrôle du casier judiciaire et du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais), mis en place en 2004. Lorsque j’ai quitté la Chancellerie, près de 85 000 personnes étaient inscrites au Fijais et plus encore soumises aux contrôles d’honorabilité. L’éducation nationale a poursuivi cette démarche, qui concernait environ un million d’agents. Avant de quitter mes fonctions de garde des sceaux, j’ai également travaillé avec la ministre des sports dans la perspective d’en étendre l’usage.

Nous avions par ailleurs réfléchi à des dispositifs globaux de lutte contre les violences scolaires. Je me rappelle ainsi avoir rédigé en 2019 une circulaire destinée à prendre en compte cette question, mais plutôt sous l’angle des violences commises par de jeunes élèves à l’endroit des adultes.

Nous avions également travaillé en lien avec les ministères de l’éducation nationale et de l’intérieur sur les phénomènes de rixes entre bandes. Bien que le sujet soit quelque peu différent, il impliquait le milieu scolaire. Cette réflexion s’est concrétisée par l’élaboration d’un plan visant à juguler ces phénomènes.

Le quatrième axe de travail, auquel vous avez grandement participé en tant qu’élus de la nation, concernait la lutte contre les violences sexistes et sexuelles commises à l’endroit des mineurs. Je pense notamment à la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi Schiappa, rédigée essentiellement au ministère de la justice et complétée par une loi de 2021. Il s’agissait alors de lutter contre les violences sexistes et sexuelles subies par les mineurs, en introduisant notamment un allongement du délai de prescription. Cela ne concernait toutefois pas stricto sensu les violences commises en milieu scolaire.

Il en va évidemment différemment au sein du ministère de l’éducation nationale, où l’on est saisi de ces sujets de prime abord. Les signalements sont nombreux et peuvent provenir de multiples sources, parmi lesquelles l’application Faits établissement, les recteurs d’académie qui sont des interlocuteurs réguliers du cabinet et du ministre, des articles de presse ou encore les informations transmises par les services de permanence du premier ministre ou du ministère de l’intérieur.

Mon expérience me pousse à distinguer deux types de situations de violences scolaires, abstraction faite de celles subies par les enseignants, qui bien qu’étant un point majeur n’entrent pas dans le champ de vos travaux.

Le premier concerne les situations de harcèlement entre élèves, face auxquelles notre administration a réagi de façon parfois mal adaptée. Je me suis trouvée confrontée à des cas qui ont entraîné des drames personnels. Je pense par exemple à la situation de Nicolas, élève dans l’académie de Versailles, qui a donné lieu à plusieurs rapports d’inspection, ou encore à l’histoire du jeune Lucas, qui s’est suicidé dans les Vosges. Constatant, dans ce dernier cas, que beaucoup avait été dit sans que rien ne soit fait, j’avais demandé un rapport d’inspection qui a mis en lumière l’existence de dysfonctionnements au sein de l’établissement scolaire. Je pourrais citer nombre d’autres situations singulières de harcèlement entre élèves face auxquelles la réaction de l’administration n’a pas toujours été satisfaisante. Je tiens toutefois à souligner que ce n’est pas la règle et que dans bien des cas l’administration se mobilise.

La seconde catégorie est celles des violences commises par des adultes à l’endroit d’élèves, dont j’ai également eu à connaître. Je pense par exemple à l’affaire du lycée Bayen de Châlons-en-Champagne, dans laquelle un enseignant avait été accusé d’agressions sexuelles, voire de viols, à l’endroit d’élèves de l’établissement. Cela avait donné lieu au déclenchement d’une enquête administrative à la demande du recteur de l’académie de Reims, afin de déterminer d’éventuels fautes, responsabilités et dysfonctionnements. Ce rapport m’a été remis à la fin du mois de juin 2024 et un certain nombre de ses préconisations ont été appliquées. J’ai également en tête la situation très médiatisée d’une institutrice d’une école maternelle du 15e arrondissement de Paris, qui avait eu un geste d’une grande violence à l’égard d’une toute jeune élève. J’avais alors pris une mesure de suspension immédiate à l’encontre de cette enseignante.

Les situations sont très différentes d’un ministère à l’autre : le ministère de la justice aborde les questions des violences faites aux mineurs de manière globale, alors que le ministère de l’éducation nationale traite essentiellement de cas singuliers.

Je précise, bien que cela ne se situe pas à proprement parler dans le contexte scolaire, que le ministre de la justice a également à connaître de situations de violences dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Lorsque vous étiez rectrice de l’académie de Toulouse, vous aviez remis au ministre de l’éducation nationale, le 1er octobre 2001, un très intéressant rapport comportant trente propositions pour lutter contre les violences sexuelles dans les établissements scolaires. Vous aviez notamment effectué dans ce cadre une quarantaine d’entretiens dans des établissements, avec tous types de professionnels, afin de proposer un plan d’action visant à « mieux connaître et mieux repérer les violences, mieux prévenir à la fois les adultes et les élèves et agir plus efficacement en développant un travail de proximité, en réseau et en partenariat, en incluant les parents d’élèves ». Vous formuliez dans ce rapport des propositions précises, en matière notamment de formation et de structures de coordination. Cela concernait notamment les violences entre élèves, l’égalité entre filles et garçons et la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Sachant que vous aviez remis votre rapport à un ministre quelque vingt-cinq ans auparavant, comment avez-vous appréhendé les sujets mis en lumière par des affaires comme celles de Bétharram dévoilée début 2024, de Riaumont ou encore du lycée Bayen de Châlons-en-Champagne, dont vous avez été saisie en tant que ministre de l’éducation nationale, mais qui existait déjà sans que vous en ayez eu connaissance lorsque vous occupiez les fonctions de ministre de la justice ? Cette question nous place au cœur du sujet de l’action publique, du contrôle de l’État sur ces violences. De quels éléments de diagnostic ou de réflexion pourriez-vous nous faire part au regard de votre initiative passée ?

Mme Nicole Belloubet. Il serait présomptueux de ma part de prétendre disposer d’une analyse aboutie sur ces sujets.

Je constate que la concrétisation des politiques publiques prend souvent trop de temps. Lorsque j’ai rédigé en 2000 le rapport que j’ai remis à Jack Lang, la sensibilité à la question des violences sexuelles en milieu scolaire était déjà présente, mais nous nous situions essentiellement dans l’optique d’une stratégie de prévention. Le mouvement MeToo n’était pas encore passé par là et nous n’étions pas assez incisifs sur les questions de violences scolaires. Sans doute la volonté qui prévalait alors était-elle de ne pas ébruiter les affaires. Le « pas de vague » existait certainement implicitement. Le rapport que j’ai rédigé était surtout à visée préventive, afin d’alerter les enseignants et de proposer des formations ainsi que l’instauration d’heures d’éducation aux relations affectives et sexuelles, dont le principe a été repris récemment par le ministère de l’éducation nationale et dont j’espère qu’elles trouveront une concrétisation.

Lorsque j’étais rectrice, j’ai eu à traiter de questions de violences. Je me souviens notamment d’histoires de bizutages très violents, qui se déroulaient entre élèves et sur lesquelles l’administration fermait alors partiellement les yeux – Mme Royal s’en était émue et avait lancé une grande campagne de lutte contre le bizutage. Dans un lycée de l’académie de Toulouse comportant une section sportive dédiée au rugby, ces phénomènes avaient pris une ampleur telle que j’avais été amenée à intervenir.

J’ai également le souvenir, sans néanmoins pouvoir affirmer qu’il s’agissait de violences à l’endroit des élèves, d’un halo réputationnel entourant le lycée Notre-Dame de Garaison, situé dans l’académie de Toulouse contrairement à l’institution Notre-Dame de Bétharram. J’avoue avoir oublié si j’avais demandé une inspection. Cela concernait davantage, me semble-t-il, des questions d’opacité dans la gestion financière et l’organisation. Lorsqu’il avait été question que Cécilia Sarkozy devienne marraine de cet établissement – ce qu’elle a fini par être –, j’avais trouvé curieux qu’elle vienne ainsi lui apporter une forme de caution. Cet établissement avait la réputation de pratiquer une certaine fermeté éducative, sans que l’on puisse toutefois parler de violences. Nous n’étions pas, à l’époque, suffisamment curieux ou assez audacieux pour aller voir ce qui s’y passait réellement.

Les affaires qui sortent m’étonnent en raison du caractère systémique des violences perpétrées et parce qu’elle se déroulent dans des établissements à visée éducative. Pour autant, elles ne me surprennent pas totalement. Il en existait déjà sans doute quelques germes auparavant.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. Il est très intéressant pour nous de disposer d’éléments sur le climat qui régnait à cette époque, car cela participe de la réflexion sur l’omerta qui prévalait alors, ainsi que sur les situations susceptibles d’exister aujourd’hui encore et qu’il faudrait combattre.

Lorsque vous avez conduit les entretiens préalables à la rédaction des trente propositions figurant dans votre rapport de 2001, qui restent d’ailleurs d’une grande actualité, vous avez rencontré des professionnels – proviseur, vie scolaire, médecin psychiatre, responsable Jeunes Violence Écoute, infirmière conseillère technique du recteur, inspecteur d’académie, etc. – issus exclusivement du secteur public. Vous n’avez intégré l’enseignement privé dans le champ de la réflexion que bien plus tardivement, lorsque vous êtes devenue ministre de l’éducation nationale. Quand vous avez été confrontée en tant que rectrice de l’académie de Toulouse à l’existence d’un « halo réputationnel » autour d’un établissement, comme cela a certainement dû se produire pour Notre-Dame de Bétharram dans une autre académie, vous auriez pu déclencher l’action publique. Comment expliquez-vous que l’enseignement privé n’ait pas été pris en considération dans le cadre de ce rapport ?

Mme Nicole Belloubet. J’analyse a posteriori cette réserve comme relevant d’un impensé. Lorsque j’ai rédigé ce rapport, le fait de ne pas y inclure l’enseignement privé n’était pas le fruit d’une volonté. Je n’ai simplement pas envisagé cette possibilité. Cela procédait certainement d’une forme de réserve institutionnelle liée au caractère d’extranéité de l’enseignement privé, qui explique sans doute également la faiblesse des contrôles auxquels il est soumis. L’enseignement privé était perçu comme un ailleurs.

J’explique également cette situation par le sentiment, que je perçois aujourd’hui comme inexact, que les éléments relatifs à la vie scolaire faisaient partie d’une conception extensive du caractère propre de l’établissement.

M. Paul Vannier, rapporteur. Lorsque vous étiez rue de Grenelle, vous avez engagé un plan de contrôle des établissements privés sous contrat, entré en application dans un contexte caractérisé par la parution d’un rapport de la Cour des comptes sur l’enseignement privé sous contrat en juin 2023 et d’un rapport d’information parlementaire sur la question du financement public et du contrôle financier de ces établissements, dont je suis, avec Christopher Weissberg, l’un des rapporteurs.

Ce plan de contrôle a-t-il vocation à ne concerner que les aspects financiers ou prévoit-il d’intégrer l’ensemble des aspects du fonctionnement d’un établissement privé sous contrat, dont ceux relatifs à la vie scolaire ?

Mme Nicole Belloubet. Les contrôles que nous souhaitions opérer dans les établissements privés portaient bien entendu sur la gestion administrative et financière, en lien avec les directions départementales des finances publiques, mais aussi sur les aspects pédagogiques de conformité aux programmes. Je considère que la vie scolaire doit évidemment entrer dans le champ de ces contrôles. Le caractère propre de l’établissement, qu’il ne s’agit absolument pas de remettre en question, ne saurait en aucun cas outrepasser les règles générales de fonctionnement de la République. Si l’éducation au fait religieux relève du caractère propre de ces établissements, dans les conditions prévues par les textes, les éléments concernant la santé, la salubrité des élèves et le respect des valeurs de la République font évidemment partie des contrôles qui doivent être exercés. Les inspecteurs vie scolaire sont d’ailleurs parfaitement adaptés et outillés pour remplir cette mission.

M. Paul Vannier, rapporteur. Ce plan de contrôle a été préparé par la direction des affaires financières (DAF). Avez-vous associé les organisations représentatives des personnels de l’éducation nationale aux réflexions qui ont conduit à son élaboration ?

Mme Nicole Belloubet. Le plan a été voulu par la ministre et préparé par la DAF, – puisque dans notre organisation bizarre sur ce point-là, l’enseignement privé relève de la DAF, ce qui n’est à mon avis pas du tout sa place –, sans y associer les organisations syndicales de l’enseignement public. La question du contrôle a néanmoins été évoquée avec ces dernières, notamment lorsqu’elles m’ont interrogée à ce propos suite à la parution des deux rapports que vous avez mentionnés.

J’ai par ailleurs eu l’occasion d’aborder le sujet à plusieurs reprises avec les représentants du Secrétariat général de l’enseignement catholique (Sgec), auxquels nous avons présenté le plan de contrôle, qui a recueilli leur accord. Le secrétaire général m’avait alors expliqué que l’enseignement catholique ne demandait qu’à être contrôlé, afin de prouver qu’il accomplissait correctement sa mission.

M. Paul Vannier, rapporteur. Nous avons reçu hier les organisations syndicales représentatives des personnels d’inspection, fonctionnaires d’État chargés d’effectuer les contrôles dans les établissements privés sous contrat, qui nous ont expliqué ne pas avoir été associées à l’élaboration du guide de contrôle des établissements privés sous contrat, outil complémentaire au plan. Or nous savons que le Sgec a en revanche été consulté à plusieurs reprises sur le sujet.

L’élaboration du plan de contrôle semble avoir procédé de la même logique, puisque vous nous expliquez que les organisations syndicales, dont celles représentant les inspecteurs chargés de son application, n’y ont pas été associées, tandis que vous et votre cabinet avez eu divers échanges avec le Sgec lors de la phase préparatoire du plan.

Une note de la DAF datée du 16 mai 2024 signale le point d’alerte suivant : « Un échange avec le Sgec sur les principes de ce plan de contrôle est prévu, sans aller néanmoins jusqu’à une coconstruction. » Cette précision est très importante et renseigne sur la notion de caractère propre, ainsi que sur la place, le rôle et le rapport entre le ministère de l’éducation nationale et l’enseignement privé sous contrat.

La lecture d’une note que votre conseillère pédagogique de l’époque, Mme Laloux, vous a adressée le 12 juin 2024, date de l’un des « dîners du Sgec » organisés régulièrement par les ministres de l’éducation nationale ou leur cabinet pour discuter avec les représentants du Sgec de la mise en œuvre de politiques éducatives, donne une tout autre impression. Dans cette note, Mme Laloux évoque ses discussions avec le Secrétariat général de l’enseignement catholique à propos de l’élaboration du plan de contrôle. Elle indique que suite à ces échanges, le Sgec a appelé son attention « sur le fait que l’instance académique de dialogue entre le recteur d’académie et les représentants de l’enseignement privé catholique pourrait se saisir utilement de la question du contrôle des établissements, dans un souci de transparence et de confiance. » Elle propose que soit organisée dans chaque académie une rencontre entre les représentants de l’enseignement catholique et ceux du rectorat afin de discuter de la mise en application du plan de contrôle à l’échelon territorial et suggère une modification du projet de circulaire en cours d’élaboration à l’attention des recteurs, afin d’y introduire l’instance de dialogue comme l’un des organes à consulter, élément qui ne figurait pas dans la version initiale.

J’ai le sentiment qu’il s’agit véritablement là d’une démarche de coconstruction, dans la mesure où un échange entre votre cabinet et le Sgec a abouti à modifier le projet de courrier que vous vous apprêtiez à adresser aux recteurs sur un point fondamental concernant le plan de contrôle des établissements privés sous contrat.

Comment appréciez-vous ce fonctionnement ? Vous paraît-il sain ? Le Sgec n’est-il pas à la fois juge et partie, puisqu’il intervient dans la définition des modalités de contrôle des établissements qu’il représente ?

Mme Nicole Belloubet. J’entends vos propos, mais ils ne sont pas tout à fait exacts.

Permettez-moi d’évoquer tout d’abord la coconstruction. La décision d’accroître le nombre de contrôles – insuffisamment de mon point de vue, mais c’est un autre débat – a été prise à mon niveau. Cette décision étant prise, il convient de l’appliquer ; pour ce faire, un lien avec les établissements privés me semble nécessaire, afin de leur présenter le plan de contrôle et sa mise en œuvre. Cette démarche est assez similaire à celle qui est menée lorsque l’on décide d’appliquer une nouveauté dans les établissements publics.

Concrètement, je réunis les syndicats de chefs d’établissement, auxquels je présente la mesure ; j’essaie d’identifier ce qui en faciliterait la mise en œuvre aux yeux des organisations syndicales, avant de procéder à son application. Cette démarche me semble absolument normale ; elle ne relève pas d’une quelconque connivence avec qui que ce soit, mais d’une volonté de voir une mesure être bien appliquée. Il me semble que son effectivité sera renforcée si nous avons pu informer en amont les parties prenantes et obtenir quelque chose qui ne soit pas un désaccord absolu.

Nous avons voulu que ce plan de contrôle des établissements soit présenté aux principales organisations de l’enseignement privé, tant au niveau national qu’au niveau académique, avant d’en intensifier la mise en œuvre.

Venons-en au travail effectué par les corps d’inspection, avec lesquels j’avais évidemment de fréquents contacts. J’ai reçu à plusieurs reprises le principal syndicat des inspecteurs, le SNIA-IPR (Syndicat national des inspecteurs d’académie), pour discuter de leurs missions. Celle qui consiste à contrôler les établissements privés n’était pas nouvelle ; il s’agissait d’en accentuer l’importance et d’en modifier quelque peu l’objectif. En effet, avant que je prenne mes fonctions ministérielles, les corps d’inspection dévolus au contrôle de l’enseignement privé se consacraient essentiellement à l’instruction en famille (IEF). Il existait en effet des craintes quant à la transmission de théories complotistes, que nous voulions écarter.

J’affirme que ce plan n’a pas été coconstruit ; son élaboration visait à faciliter la mise en œuvre de ce plan de contrôle, en avertissant les établissements privés des interventions prévues dans les établissements prioritaires.

M. Paul Vannier, rapporteur. Au moment où vous engagez le renforcement de ces contrôles, vous débloquez soixante équivalents temps plein (ETP).

À propos du contrôle des familles pratiquant l’IEF, une note de la DAF, qui n’est pas datée mais qui correspond au moment de l’élaboration de ce plan, vous alerte d’un décalage entre l’affectation des moyens et les objectifs initialement fixés. Autrement dit, la DAF constate qu’une grande partie des moyens qui viennent d’être dégagés ont été alloués, au niveau territorial, au contrôle de l’IEF et des établissements hors contrat. Les moyens prévus pour contrôler l’enseignement privé sous contrat échappent donc à la finalité décidée par la ministre, en raison d’une affectation qui n’était pas prévue.

Dans la première version de la circulaire destinée aux recteurs, les ETP sont exclusivement dédiés au contrôle des établissements privés hors contrat et sous contrat, ce qui ne laisse pas de place au contrôle de l’IEF. Mais dans la version proposée par votre conseillère pédagogique, qui deviendra la version finale, le mot « exclusivement » est remplacé par « prioritairement », ce qui laisse apparaître un risque de dilution d’une partie des ETP prévus dans des contrôles différents de ceux décidés par la ministre.

Comment appréciez-vous ce remplacement du terme « exclusivement » par « prioritairement » ? Est-ce un détail ou un changement de fond, de nature à modifier l’affectation des moyens que vous avez débloqués ?

Mme Nicole Belloubet. Ce changement d’adverbe n’est pas un détail, mais une marque de réalisme.

Les soixante ETP dont nous parlons avaient été créés par mon prédécesseur, à la rentrée 2023, pour être affectés au contrôle des établissements privés hors contrat et de l’IEF. J’ai pris mes fonctions de ministre en février 2024. Alors que nous élaborions ce plan de contrôle des établissements privés, nous avons pris connaissance de ces soixante ETP et nous avons décidé de les affecter au contrôle des établissements privés sous contrat, mais pas uniquement puisque nous devions également contrôler les établissements hors contrat et l’IEF.

Le principe de réalité justifie donc le changement d’adverbe : politiquement, je ne peux pas complètement délaisser le contrôle de l’IEF. Vous avez entendu, lors des questions au gouvernement, les interpellations dont je faisais régulièrement l’objet à ce sujet ; il m’était impossible de le laisser de côté et je ne disposais pas d’inspecteurs supplémentaires.

Les corps d’inspection pâtissent d’un amoncellement de missions : les inspections des personnels enseignants, qui sont chronophages, les évaluations des établissements, y compris privés, sans compter les mille et une autres missions qui leur incombent, comme la rédaction de différents rapports. Si vous me permettez une remarque personnelle, je trouve complètement absurde d’inspecter un enseignant tous les trois matins – mais c’est un autre sujet.

Sur le terrain, les recteurs ont affecté ces soixante ETP là où le besoin s’en faisait sentir. L’idée de ce plan consistait à se recentrer sur le contrôle des établissements privés sous contrat, mais il n’aurait pas été réaliste de conserver l’adverbe « exclusivement ».

Je crois savoir qu’Élisabeth Borne a créé à nouveau deux fois trente ETP, qui seront prioritairement affectés au contrôle des établissements privés sous contrat.

M. Paul Vannier, rapporteur. Cette note de la DAF envisage quatre scénarios pour atteindre les objectifs de renforcement du contrôle des établissements privés sous contrat.

Le troisième scénario – suggéré par la DAF, pourrait-on dire – fixe une haute ambition en invitant à privilégier un contrôle de tous les établissements privés sous contrat en l’espace de trois ans, en respectant une part raisonnable de contrôle sur place. Il nécessiterait la création de quatre-vingt-dix emplois d’inspecteurs et de trente-six emplois administratifs, dont six dans l’administration centrale.

Je crois comprendre que c’est le deuxième scénario, qui prévoyait la création de soixante ETP, qui a été retenu. Êtes-vous à l’origine de ce choix ou est-ce celui de votre successeur rue de Grenelle ?

Mme Nicole Belloubet. J’ai en ma possession les notes du 21 mai et du 12 juin, ainsi que le plan d’action présenté aux recteurs au mois de juillet, mais je n’ai pas souvenir de ces quatre scénarios. Cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas existé pendant que j’étais ministre, mais peut-être sont-ils postérieurs. En tout état de cause, nous avons procédé à des arbitrages en fonction des moyens, notamment des postes, dont nous disposions, en application du principe de réalité.

Mme Violette Spillebout, rapporteure. La question des moyens permettant d’améliorer le contrôle de l’État et la prévention des violences est au cœur de nos travaux. La capacité à détecter ces violences passe bien sûr par la libération de la parole, qui est facilitée par la présence des associations, mais aussi par la formation initiale et continue des enseignants et des encadrants, ainsi que par le travail d’inspection et les interventions dans les établissements privés.

Les inspecteurs ont beaucoup insisté sur le besoin d’une formation spécifique consacrée au fonctionnement des établissements privés. Cela passe bien sûr par une augmentation des moyens et des temps d’inspection, notamment en cas de multiplication des contrôles administratifs.

La suppression de 4 000 postes d’enseignants a suscité un grand débat qui a divisé l’Assemblée nationale, parfois même au sein de certains groupes politiques comme ceux du bloc central. Cette diminution du nombre de postes, qui ne s’est finalement pas concrétisée, reposait sur la baisse du nombre d’élèves. Le ministère de l’éducation nationale a finalement décidé de maintenir ces postes compte tenu des besoins spécifiques correspondant aux plans d’action, à la poursuite du dédoublement des classes, aux besoins en matière d’accompagnement d’élèves en difficulté, etc.

Parallèlement, les syndicats d’inspecteurs nous ont signalé soixante postes d’inspecteurs vacants, alors même que des créations de postes ont été annoncées. Ils mettent en avant le manque d’attractivité du métier, en raison des difficultés d’accès aux formations et de la pression subie.

Lorsque vous avez élaboré ce plan de contrôle, quelle réflexion avez-vous eu sur les moyens à mobiliser ? Cet aspect ne figure pas sur les notes que nous avons consultées, mais peut-être a-t-il fait l’objet de discussions informelles ?

Un plan d’accélération de la reconversion d’enseignants vers les métiers d’inspection vous semble-t-il envisageable, afin de combler les postes vacants ? Vous semble-t-il pertinent de donner la possibilité aux enseignants d’alterner entre des périodes où ils sont inspecteurs et d’autres où ils retournent devant des classes, comme nous l’avons évoqué avec M. Blanquer ? Comment imaginez-vous l’évolution du métier d’inspecteur et son attractivité, pas uniquement du point de vue budgétaire, mais aussi du point de vue opérationnel ?

Mme Nicole Belloubet. Tel qu’il a été élaboré, le plan de contrôle des établissements privés était évidemment accompagné d’un volet de formation des inspecteurs, qui est en cours de déclinaison. Par ailleurs, je ne vois pas pourquoi les inspecteurs vie scolaire ne seraient pas mobilisés pour y contribuer : leur expertise serait très précieuse, a fortiori s’ils sont formés à la singularité des établissements privés sous contrat.

S’agissant de la difficulté des missions d’inspection, je vous ai spontanément donné mon sentiment tout à l’heure : les missions d’inspection, trop nombreuses et parfois inutiles, doivent être repensées, notamment pour améliorer l’attractivité du métier. C’est un travail difficile, mais on ne peut continuer d’empiler des tâches. À titre personnel et fonctionnel, j’ai côtoyé de nombreux inspecteurs et j’ai bien vu à quel point ils sont en permanence sollicités de tous côtés. Par ailleurs, donner des perspectives de carrière à nos enseignants comme vous le suggérez, madame la députée, me semble également très important pour améliorer l’attractivité du métier. Nous pourrions faciliter des carrières en permettant, à titre temporaire ou définitif, un accès plus facile à des fonctions d’inspection. Bien évidemment, des garde-fous sont nécessaires, mais cette piste mériterait d’être approfondie ; je ne crois plus qu’il soit possible d’exercer le même métier et rester quarante ou quarante-cinq ans devant une classe.

 

La séance est levée à seize heures vingt-cinq.

 


Présences en réunion

Présents.  Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier

Excusés.  Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Céline Hervieu, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Claudia Rouaux, Mme Nicole Sanquer