Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Audition de Mme Audrey Duval, présidente de Sanofi France....2

 

 

 


Jeudi 24 octobre 2024

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 13

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Aurélie Trouvé,

Présidente


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La commission des affaires économiques a auditionné Mme Audrey Duval, présidente de Sanofi France.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous avons le plaisir de recevoir ce matin Madame Audrey Duval, directrice Affaires Corporate et présidente de Sanofi France, ainsi que Monsieur Philippe Charreau, directeur Manufacturing et Supply France et Monsieur Pierre Vergriete, directeur financier France.

Nous souhaitons évoquer avec vous les perspectives de développement de votre entreprise, mais également entendre vos réponses aux interrogations et inquiétudes soulevées par le projet de vente d’Opella. Les membres de la commission des affaires économiques sont très désireux d’en savoir davantage sur les garanties données par Sanofi dans le cadre de cette cession, concernant le maintien en France de la production de ce médicament essentiel qu’est le Doliprane ainsi que la préservation des emplois – qui sont au nombre de sept cents dans vos seules usines de Lisieux et de Compiègne.

Avant de vous céder la parole, je me permets de me faire l’écho des préoccupations exprimées par les salariés et leurs représentants, rencontrés lundi dernier devant votre usine de Lisieux, qui produit le contingent le plus important du Doliprane que vous commercialisez. Ils ont appris par la presse la conclusion d’un accord qui suscite chez eux une grande inquiétude. Ils sont fiers de leur travail et de leur contribution à la santé de nos concitoyens. Ils redoutent les délocalisations et s’opposent à cet accord, à l’aune de ce qu’ils en savent actuellement. Ils constatent qu’aucune garantie n’est donnée au-delà de cinq ans et que les sanctions financières prévues en cas de délocalisation, de baisse de production ou de destructions d’emploi, ne sont pas dissuasives. Enfin, ils estiment que l’entrée de l’État au capital à hauteur de 2 % ne lui permettra pas de peser er significativement sur les décisions de l’entreprise.

Pouvez-vous prendre, devant la représentation nationale, des engagements fermes quant à la sauvegarde de l’emploi et des conditions de travail et au maintien de l’outil industriel ?

Pouvez-vous garantir formellement que le Doliprane continuera d’être produit sur notre territoire au-delà de cinq ans, au moins en quantité similaire ?

Vous semblez justifier la vente d’Opella par le besoin d’investir dans le développement de traitements innovants. Comment avez-vous utilisé les centaines millions d’euros d’aide publique reçus précisément à cet effet, sous forme de crédit d’impôt recherche (CIR) ? La cession est-elle bien la seule solution ?

La cession d’Opella constitue-t-elle une nouvelle manifestation de l’échec – ou des limites – de la politique menée depuis la crise sanitaire et visant à relocaliser sur le territoire national des capacités de production dans le domaine du médicament ? De nombreuses promesses avaient été faites après la crise de la covid-19, les acteurs français avaient pris des engagements : vous semblent-ils tenus, notamment chez Sanofi ?

Quelle part attribuez-vous aux groupes français dans l’érosion de la base industrielle nationale, dans l’affaiblissement de notre capacité exportatrice, ainsi que dans l’aggravation de notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur pour la fourniture de produits pharmaceutiques ?

C’est là un enjeu essentiel pour la souveraineté industrielle de notre pays et pour la protection effective de la population, comme l’ont montré les défaillances dans la fourniture de paracétamol pendant la crise sanitaire liée à la covid-19.

Je remercie de votre présence aujourd’hui afin d’éclairer les membres de la commission des affaires économiques et d’apporter des explications qui seront, je l’espère, de nature à répondre à leurs inquiétudes et interrogations.

Mme Audrey Duval, présidente de Sanofi France. J’entends vos préoccupations et vous remercie de me donner aujourd’hui l’occasion d’y répondre. Je souhaite revenir d’abord sur le projet porté par Sanofi pour le développement d’Opella, spécialisée dans les médicaments sans ordonnance, ainsi que sur la contribution de Sanofi à la souveraineté sanitaire française.

Pour comprendre le projet Opella, il faut comprendre le projet de Sanofi. Notre défi consiste à nous concentrer sur le développement de médicaments et de vaccins innovants. Nous souhaitons répondre aux besoins de milliers de patients atteints de maladies pour lesquelles on manquait, ou on manque toujours, de traitements appropriés. Pour la bronchiolite, nous avons évité plus de six mille hospitalisations de nourrissons cet hiver en France. La bronchite chronique touche 3,5 millions de Français et cause dix-huit mille décès par an. La sclérose en plaques affecte 125 000 personnes et constitue la deuxième cause de handicap chez les jeunes dans notre pays. Nous manquons également de vaccins combinés contre les infections respiratoires, qui pourraient en prévenir la moitié, soit entre cinquante mille et cent mille hospitalisations de moins par an. Le défi pour la santé des patients et la résilience de notre système de santé reste immense !

Dans notre secteur, l’innovation est un processus long, coûteux et risqué : en moyenne il faut, pour développer une molécule, dix ans et investir deux milliards d’euros, avec un taux de succès de 10 % à l’issue de nombreuses étapes de recherche. Cela exige qu’un groupe comme Sanofi s’inscrive dans une perspective à long terme, consacre des moyens considérables, fasse des choix stratégiques et se transforme. Voilà le défi pour Sanofi aujourd’hui.

Le défi pour Opella est différent. Il s’agit de répondre de manière agile aux besoins de santé des consommateurs en faisant rayonner des marques fortes comme Doliprane, mais aussi des vitamines et des compléments alimentaires, dans un marché en plein essor et face à de grands concurrents américains ou britanniques du secteur de la grande consommation. C’est maintenant qu’Opella doit répondre à ce défi.

Ces deux activités relèvent donc de métiers et de secteurs très distincts et l’opération en cours répond à un double mouvement stratégique. Nous devons développer ces deux sociétés en parallèle, en trouvant le partenaire adéquat pour Opella.

Ce partenaire a été sélectionné à l’issue d’un processus long, rigoureux et structuré, aboutissant à l’entrée en négociation exclusive avec Clayton, Dubilier & Rice (CD&R), qui a présenté une offre étayée, financée, réelle et crédible. CD&R dispose aujourd’hui de moyens importants, d’une expertise dans les secteurs de la santé et de la consommation ainsi que d’un historique de succès dans le développement d’entreprises françaises, telles que Rexel ou Spie. CD&R partage avec Sanofi une vision et un projet de développement pour faire d’Opella une grande entreprise française, au rayonnement mondial dans le secteur « Grand public ».

Des garanties extrêmement fortes ont été données. Tous ces principes et engagements seront confirmés sous réserve de la finalisation de l’opération et dans le cadre des processus sociaux appropriés.

Premièrement, Sanofi demeure un actionnaire extrêmement significatif, avec un droit de veto sur les décisions stratégiques, notamment concernant le Doliprane. Deuxièmement, Sanofi, CD&R et l’État ont défini ensemble des principes et engagements absolument inédits en matière d’emploi, d’investissements, d’empreinte et de production industrielles. Troisièmement, l’entrée au capital de Bpifrance permettra d’associer pleinement l’État à l’avenir d’Opella.

Concrètement, Opella conservera son siège, ses sites et son empreinte en France, sans aucun risque pour les emplois, pour les sites de production et pour la recherche. L’entrée en négociation exclusive avec CD&R nous permet désormais de rentrer, dans les jours prochains, plus dans les détails avec les salariés dans le cadre du dialogue social.

Le Doliprane continuera à être produit en France, sans aucun impact pour les patients et pour les professionnels de santé. Nous sommes conscients de l’attachement des Français à ce médicament, vendu uniquement en France. Il serait impensable de le délocaliser, alors que Sanofi est le premier soutien du projet de relocalisation du principe actif du paracétamol porté par l’entreprise Seqens en Isère – un engagement qu’Opella poursuivra.

Enfin – et précisément pour cette raison –, nous avons investi 90 millions d’euros (M€) ces cinq dernières années sur les sites de Lisieux et de Compiègne, dont 20 M€ à Lisieux qui permettent d’augmenter de 40 % la production du Doliprane.

Je sais que vous avez eu l’occasion, cette semaine, de rencontrer les salariés et de constater la qualité de nos installations, ainsi que l’engagement des équipes – que je salue ce matin. Nous organiserons une autre visite pour les élus dès lundi prochain.

Concernant la souveraineté sanitaire, il s’agit de permettre à la France, dans un cadre qui ne peut être qu’européen, de protéger la santé des populations. C’est un objectif que nous partageons tous ici et soyez sûrs que Sanofi est le plus grand contributeur à cette souveraineté. Nous y parvenons grâce à une recherche plus ciblée et plus collaborative, ainsi qu’à un outil industriel de pointe, modernisé, digitalisé et décarboné.

Notre souveraineté s’est renforcée par cette approche de recherche ciblée et collaborative. En France, nous consacrons annuellement 2,5 milliards d’euros (Md€) à la R&D, ce qui fait de Sanofi le premier investisseur privé français, tous secteurs confondus.

L’innovation scientifique exige aujourd’hui que nous soyons plus sélectifs dans nos programmes et aires thérapeutiques, pour répondre aux besoins des patients. Elle nécessite également une plus grande digitalisation, avec un nouvel « accélérateur digital » pour la recherche à Paris, que nous venons d’inaugurer.

Enfin, l’innovation doit être plus collective, au regard des leçons de l’épisode de la covid-19. Nous avons ainsi noué des partenariats forts. Quelques exemples français : Aqemia, une start-up francilienne issue du CNRS, qui révolutionne la recherche de nouvelles molécules grâce à l’intelligence artificielle ; le Paris-Saclay Cancer Cluster, qui est le plus grand partenariat public-privé d’Europe pour la recherche contre le cancer. Récemment, nous avons investi 300 M€ avec une filiale du groupe français Orano pour créer le leader de la médecine nucléaire contre le cancer, avec une approche mondiale pionnière utilisant les radioligands alpha.

Notre souveraineté s’est également renforcée grâce à un outil industriel modernisé, plus intégré, plus digitalisé et décarboné. Sanofi déploie un plan d’investissement massif de 3,5 Md€ à l’horizon 2030 dans neuf des treize régions françaises. Par exemple, nous investissons un milliard d’euros à Vitry pour doubler nos capacités de production en anticorps monoclonaux et répondre ainsi pleinement à l’ambition du plan « France 2030 » sur les biomédicaments. À Neuville-sur-Saône, 500 M€ sont alloués à la construction de Modulus, un site flexible unique au monde grâce au savoir-faire français, spécialisé dans la production de vaccins – notamment à ARN messager – et de médicaments, que nous avons inauguré en septembre dernier pour s’adapter aux futures pandémies. À Marcy-l’Étoile, nous construisons une chaîne de valeur complète sur l’ARN messager pour 1,5 Md€ ; en Normandie, 250 M€ sont investis à Val-de-Reuil pour en faire la plus grande plateforme européenne de vaccins contre la grippe, avec des efforts de relocalisation ; enfin, 60 M€ sont investis à Sisteron pour créer une nouvelle unité de lancement de petites molécules chimiques, notamment pour la neurologie.

Ce plan de souveraineté renforcée poursuit une seule ambition : doter la France de toutes les technologies les plus avancées pour produire à grande échelle les médicaments et vaccins d’aujourd’hui et de demain. Cette contribution de Sanofi à la souveraineté sanitaire française repose également sur l’engagement exceptionnel et le savoir-faire de nos vingt mille salariés en France, dont les compétences sont au cœur de notre stratégie.

Pour conclure, je souhaite rappeler notre fierté d’être une entreprise française performante, qui rayonne dans le monde. Sanofi a toujours fait le choix de la France, comme le prouvent trois éléments majeurs. Premièrement, nous n’avons jamais opté pour la délocalisation : seuls 5 % de nos principes actifs proviennent d’Asie et nous relocalisons dans la transplantation et le diabète. Deuxièmement, bien que la France ne représente que 4 % de notre chiffre d’affaires mondial, elle concentre 25 % de nos effectifs, plus d’un tiers de notre production, un tiers de nos dépenses en R&D et un tiers de nos essais cliniques. Ces ratios sont assumés et resteront stables. Troisièmement, la contribution de Sanofi à la balance commerciale française a été excédentaire de 13 Md€ en 2023, soit un ratio de 1 pour 7 par rapport à nos ventes en France. Autrement dit, pour chaque euro dépensé dans un médicament de Sanofi, la France reçoit 7 euros.

La France fait donc partie intégrante de notre stratégie à long terme, de manière réfléchie et cohérente ; elle s’appuie sur notre histoire et notre savoir-faire et évolue selon les besoins des patients. Aujourd’hui, en renforçant l’autonomie de la société Opella pour lui donner les moyens de se développer, nous faisons à nouveau le choix de la France pour créer deux sociétés françaises au rayonnement mondial, toutes deux au service des Français : Sanofi, axée sur les traitements innovants, et Opella, centrée sur la santé du grand public. Nous prenons cette décision en toute conscience, avec pour seul objectif l’avenir de la santé en France.

M. Alexandre Loubet (RN). Votre groupe a choisi d’abandonner la production du Doliprane à un fonds américain. En cédant votre filiale de santé grand public Opella au fonds CD&R, vous faites le choix de fragiliser la souveraineté sanitaire de notre pays.

L’ancien ministre Arnaud Montebourg a déclaré dans la presse que la directrice générale d’Opella percevrait près un pactole de près de 200 M€ sous forme de management package avec la solution américaine, contre « seulement » 50 M€ pour la solution française. Pouvez-vous confirmer cette information et nous indiquer si ce management package a dicté le choix de céder un fleuron stratégique ?

Ma seconde question porte sur l’ampleur des subventions publiques reçues par Sanofi. Il est bien normal qu’un fleuron national reçoive des subventions et le soutien de dispositifs publics, mais pourriez-vous nous communiquer le montant approximatif alloué à la filiale Opella par le contribuable français ? Il me semble important de souligner que ces fonds publics ne devraient pas indirectement financer le rachat de fleurons stratégiques par des groupes américains.

Enfin, nous sommes fiers d’avoir Sanofi en France. Votre groupe s’est développé depuis les années soixante-dix grâce au soutien de l’État français et de nombreux acteurs privés de référence. Cependant, je constate une volonté de vous recentrer sur les médicaments les plus rémunérateurs, au détriment d’autres produits, comme en témoigne la vente de la production du Doliprane. Pouvez-vous confirmer cette orientation stratégique, qui risque de fragiliser notre souveraineté sanitaire et se traduit par un désengagement de notre pays ?

J’ai relevé quelques chiffres : en dix ans, Sanofi est passé de 47 à 26 sites et de 28 000 à 19 000 employés en France. Ces données semblent traduire un retrait progressif de votre groupe.

Enfin, permettez-moi d’exprimer une inquiétude quant aux garanties sociales apportées par l’américain CD&R dans le rachat de la filiale Opella. Je me souviens que General Electric, lors de l’acquisition d’Alstom, avait promis la création de mille emplois. Malheureusement, quelques années plus tard, il en a finalement supprimé mille cinq cents…

Mme Audrey Duval. Je serai très claire concernant le Doliprane : il n’y a absolument rien qui change, la production restera sur les sites de Lisieux et de Compiègne.

Quant aux accusations graves – extrêmement graves, même – formulées à l’encontre d’une dirigeante, elles sont fausses, totalement fausses.

S’agissant des aides publiques, le crédit d’impôt recherche (CIR) constitue une mesure d’attractivité qui vise à encourager les entreprises à investir. Il représente 100 M€ par an pour Sanofi, chiffre à comparer avec les quelque 2,5 Md€ que nous investissons annuellement. Pour un essai clinique, le coût moyen par patient s’élève à 250 000 euros ; ainsi, un essai impliquant mille patients exige un budget de 250 M€ : cet exemple démontre l’utilité du CIR dans le financement des essais cliniques.

Ce dispositif est d’autant plus important que la position de la France en Europe décline. Nous étions autrefois leader dans les essais cliniques. Aujourd’hui, notre pays figure à la troisième place : comme quoi, le crédit d’impôt recherche, ça sert !

M. Stéphane Vojetta (EPR). Les décisions stratégiques de nos entreprises soulèvent des enjeux de compétitivité, d’attractivité, de marge, d’emploi et de souveraineté qui requièrent une vigilance du Gouvernement et des parlementaires, même dans notre économie de marché.

Le choix de Sanofi de négocier exclusivement avec le fonds de capital-risque américain CD&R pour une participation minoritaire au capital d’Opella appelle logiquement notre attention collective, en raison du caractère stratégique des activités cédées et de la nature de l’acquéreur.

La législation française est claire, notamment le décret du 14 mai 2014, dit décret « Montebourg » : elle impose des procédures strictes d’autorisation préalable pour les investissements étrangers dans certains secteurs. Dans le cas présent, le Gouvernement a montré sa détermination afin que cette procédure soit respectée et, par ailleurs, a obtenu un accord tripartite sans précédent avec Sanofi et l’acquéreur. Cet accord apporte des garanties fortes sur le maintien des emplois et des sites en France, ainsi que sur l’approvisionnement en médicaments essentiels pour les Français, préservant ainsi nos intérêts nationaux tout en respectant l’autonomie des acteurs privés.

À titre personnel, je suis plus réservé sur la pertinence de l’entrée de Bpifrance au capital d’Opella. Cette participation ultra-minoritaire n’offrira pas à l’État de droits de gouvernance significatifs et n’empêchera pas une éventuelle revente. L’expérience nous a par ailleurs apppris que les participations étatiques dans des entreprises privées ne constituent généralement pas un usage judicieux des fonds publics.

Je tiens ici à m’exprimer avec force contre l’idéologie prônant la nationalisation de Sanofi ou d’Opella, défendue notamment par la présidente de cette commission. Non, madame la présidente, vous n’allez pas nationaliser Sanofi et Opella ! Une telle opération coûterait au bas mot 130 Md€ à l’État et nous pouvons sans doute trouver un meilleur usage des deniers publics. Oui, la commission des affaires économiques doit demeurer une institution qui œuvre dans l’intérêt de nos industries et qui soutient nos entreprises, notamment pour en faire des champions européens.

Non, le fait d’entreprendre, de prendre des risques et d’investir – voire de réussir… –  ne sont pas des crimes contre l’humanité ! Il existe en France un principe de libre administration des entreprises et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme que la propriété est un droit inviolable et sacré. Pourtant, dès qu’il est question de dividendes ou de cessions d’actifs, la gauche anticapitaliste sort de ses gonds – ce qui explique d’ailleurs l’incapacité chronique de l’État à réduire ou à recentrer son périmètre d’action. Chaque administration considère son expansion comme un objectif en soi.

Les organisations privées les plus performantes savent qu’elles doivent redéfinir régulièrement le contour de leurs activités pour garantir leur agilité. La gauche anticapitaliste, elle, ne peut pas imaginer qu’une entreprise cédant des actifs puisse utiliser les recettes de cette vente pour innover ou développer de nouveaux produits ou que les actionnaires puissent utiliser les dividendes pour réinvestir dans d’autres entreprises en croissance.

Quelle sera la stratégie d’utilisation des fonds obtenus par Sanofi à travers cette vente, entre innovation et dividendes ?

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Mon cher collègue, je vous serais reconnaissante ne pas m’attribuer des propos que je n’ai pas tenus dans cette enceinte…

M. Patrick Vergriete, directeur financier France de Sanofi. Ces fonds seront prioritairement consacrés à la mise en œuvre de la feuille de route stratégique de Sanofi, telle qu’évoquée précédemment par la présidente Audrey Duval. Nous prévoyons d’investir dans nos projets de recherche et développement, dans le développement de notre outil industriel et pour le lancement de nouveaux produits. Dans un second temps, nous envisagerons d’éventuelles opportunités de croissance externe par le biais de rachats de molécules, de partenariats ou d’acquisitions d’autres sociétés, en veillant à leur cohérence avec les priorités de nos aires thérapeutiques et de nos stratégies de recherche et développement.

Mme Mathilde Panot (LFI-NFP). Madame la présidente, je vous remercie d’avoir organisé cette audition et de votre engagement. L’annonce de la vente d’Opella à un fonds d’investissement américain a suscité une vive colère parmi les salariés du groupe Sanofi, ainsi que chez ceux qui sont conscients de l’urgence d’agir pour notre souveraineté sanitaire. C’est l’intérêt du pays est en jeu !

Lorsque nous évoquons la souveraineté sanitaire, nous ne parlons pas d’une prise de participation symbolique de l’État au capital d’Opella. Un investissement de 180 M€ pour obtenir 2 % du capital, ça va faire, comme le dit la CGT, cher payer la place de « plante verte »...

Quand nous parlons de souveraineté sanitaire, nous parlons de planification pour piloter la relocalisation en France des principes actifs et la production de médicaments. Nous parlons de la création d’un « Pôle public du médicament », seul à même de passer d’une organisation de la pénurie par le marché à une garantie d’accès pour tous les Français.

Entre 2018 et 2023, les signalements de ruptures de stock ont ainsi été multipliés par six. Ils  ont concerné l’amoxicilline, les anticancéreux, l’insuline, les antidiabétiques, le paracétamol ou encore la pilule abortive. Ces pénuries mettent en danger la santé et la vie des Français !

Chez Sanofi, vous êtes guidés par l’obsession de la rentabilité pour les actionnaires. Ces dernières années, vous avez donné l’image parfaite de la prédation du capital financiarisé appliquée à la santé. Depuis 2007, vous avez fermé 21 centres de recherche et de production en France. Vous avez sacrifié la recherche sur le diabète, sur les maladies cardiovasculaires, sur la résistance aux antibiotiques et maintenant sur le cancer. En dix-sept ans, vous avez supprimé dix mille CDI et divisé par deux vos effectifs de chercheurs. Pourtant, la souveraineté sanitaire passe par la recherche pour préparer l’avenir du pays !

En avril 2024, vous avez annoncé 330 suppressions de postes à Vitry-sur-Seine, Gentilly et Montpellier. Désormais chez Opella, notamment à Lisieux et Compiègne, 1 700 salariés dépendent du bon vouloir d’un fonds d’investissement rapace qui s’est illustré par des licenciements chez But et Conforama, après avoir promis, main sur le cœur, de maintenir l’emploi.

Chaque fois, ce sont des luttes acharnées pour les travailleurs, des vies bouleversées, des mobilités forcées, des savoirs et des savoir-faire qui se perdent.

En revanche, madame Van Ongevalle, PDG d’Opella, toucherait selon certaines sources – même si vous le niez ! – la somme écœurante de 200 M€ pour cette vente.

Au vu de ces suppressions de postes, causes de souffrances sociales et de perte d’autonomie pour notre santé publique, on pourrait penser que Sanofi va mal, très mal. Mais pas du tout ! Depuis des années, vous croulez sous les bénéfices et vous pompez l’argent public ! Votre bénéfice net s’élevait à 6,7 Md€ en 2022 et à 5,4 Md€ en 2023. Cette même année, vous avez versé 4,4 Md€ de dividendes à vos actionnaires – c’était la 29e année consécutive de hausse du revenu par action. Quant au PDG de Sanofi, il perçoit 112 fois le salaire moyen du personnel.

La vente d’Opella est la conclusion logique de votre gestion désastreuse. Madame Duval, j’aurai une unique question : utilisez-vous l’argent public pour favoriser les plans de licenciement ou pour rémunérer vos actionnaires ?

Mme Audrey Duval. Comme je l’ai indiqué à plusieurs reprises, le processus concernant les salariés est clairement défini dans le cadre du dialogue social. Nous avons déjà eu plusieurs réunions où nous avons pu aborder ces sujets. Une phase d’information-consultation va débuter dans les prochains jours, au cours de laquelle nous serons à leur écoute, comme nous l’avons toujours été.

Je suis moi-même médecin et, à ce titre, très sensible à la question des pénuries de médicaments.

M. Philippe Charreau, directeur Manufacturing et Supply France de Sanofi. Notre raison d’être est de fournir son traitement à chaque malade et toute situation de rupture représente évidemment pour nous un échec.

Il faut souligner deux choses. Premièrement, une rupture ne se traduit pas systématiquement par un impact sur le patient. Elle signifie qu’une livraison n’a pas été effectuée en temps et en heure, mais cela ne veut pas dire que le patient est affecté, car des stocks existent dans la chaîne de valeur.

Deuxièmement, seuls 30 % environ des causes de rupture sont imputables à Sanofi. Les deux tiers restants résultent de facteurs externes, tels que des défaillances chez nos fournisseurs, des problèmes de transport ou des prévisions erronées entraînant des surventes. D’ailleurs, l’année 2022 s’est révélée exceptionnelle sur ce plan.

De nombreuses actions sont en cours pour améliorer la situation en matière de pénuries. En 2022 et en 2023, le volume de rupture représentait environ 1,5 % du volume total de médicaments vendus en France. Cette année, nous sommes parvenus à le réduire à 0,8 %. Nous avons donc amélioré notre performance d’un facteur deux. Bien que ce résultat demeure insuffisant pour les patients privés de leur médicament, il constitue déjà une avancée.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Le combat pour notre souveraineté industrielle et sanitaire ne fait que commencer. Au nom des députés socialistes et apparentés, je tiens à vous exprimer notre profonde inquiétude concernant la cession de votre filiale Opella au fonds d’investissement américain CD&R. Cette décision soulève des questions majeures quant à l’avenir de notre souveraineté sanitaire et à la pérennité de notre industrie du médicament. Dans le contexte post-pandémique, cet enjeu est loin d’être neutre !

En août 2020, le Président de la République s’était pourtant engagé en faveur de la relocalisation de la production de paracétamol en France, afin de réduire notre dépendance aux chaînes d’approvisionnement étrangères. Mon groupe parlementaire partage les préoccupations des salariés du site de Lisieux. Une délégation conduite par nos collègues Faure et Delaporte s’est rendue hier sur place pour rencontrer vos salariés, dont nous saluons le savoir-faire.

L’exemple d’Alstom-General Electric nous a montré les risques associés à ce type d’opération, avec à terme des suppressions d’emplois et un démantèlement progressif des activités. Le groupe Clayton, Dubilier & Rice est d’ailleurs connu pour avoir supprimé trois mille emplois, comme l’a souligné ma collègue – un fait dont se souviennent les salariés de But et de Conforama.

Madame la présidente, que dire aux Français et aux salariés de Lisieux, sachant que Sanofi et ses actionnaires ont été arrosés par d’abondantes subventions publiques ces dernières années ? Bien que vous ne vous exprimiez pas au nom de l’État, vous êtes un partenaire stratégique dans le cadre de la négociation tripartite. Vous portez donc une responsabilité forte.

Vos propos sur RTL France, « dans une entreprise, personne ne sait où on sera dans dix ans. », sont-ils de nature à nous convaincre que vos garanties sont irréfutables et que votre objectif principal est de protéger la population française ?

La vente de votre filiale intervient dans un contexte critique de pénuries de médicaments. Ces pénuries ont été multipliées par vingt au cours de la dernière décennie, conséquence directe de notre dépendance aux importations. La vente de la production de Doliprane renforce cette vulnérabilité. Les répercussions sont concrètes et brutales dans nos pharmacies. Ces pénuries sont vécues comme une injustice profonde, alors que nous disposons de capacités de production en la matière.

Pour ces raisons, le groupe socialiste a demandé au Gouvernement de bloquer cette vente aux Américains et de développer une politique ambitieuse, en reprenant la proposition de loi n° 2062 (16 janvier 2024) de notre ancienne collègue Valérie Rabault concernant l’obligation de stocks. Nous considérons que le Gouvernement aurait dû mettre son veto à cette vente via le décret Montebourg.

Pouvez-vous nous préciser la nature de votre partenariat avec l’État dans le cadre de cette association ? Est-il seulement associé à titre informatif ?

Par ailleurs, les députés doivent-ils faire confiance à l’agilité du groupe Sanofi ?

Mme Audrey Duval. S’agissant des garanties apportées et pour illustrer l’un des principes fondamentaux de l’accord tripartite avec l’État, je prendrai l’exemple des engagements d’investissement sur les sites. Quand on réalise un investissement sur un site industriel, on s’inscrit nécessairement dans la durée – mon collègue Philippe Charreau pourra vous le confirmer. La réalisation d’un investissement industriel prend des années, depuis la phase de préparation des sites jusqu’à son exécution complète. Le projet Seqens en Isère en est une parfaite illustration : bien que la décision ait été prise, sa mise en œuvre s’échelonnera sur plusieurs années.

Mais, surtout, un investissement industriel peut avoir une durée de vie de quinze à vingt ans. Une fois l’infrastructure en place, elle représente une capacité durable pour le pays : les investissements réalisés par Sanofi ces cinq dernières années, s’élevant à 90 M€, ainsi que nos engagements actuels s’inscrivent dans cette perspective de long terme. Nous prévoyons de prolonger ces efforts au-delà des cinq prochaines années, visant des horizons de quinze à vingt ans. Les infrastructures, une fois implantées, demeurent opérationnelles sur le long terme.

M. Jérôme Nury (DR). Je vous remercie pour le courrier de félicitations que vous m’avez adressé à la suite de ma réélection, en juillet dernier. À l’époque, j’avais trouvé cette attention sympathique, même si je m’interrogeais sur l’intérêt soudain que vous portiez à un député normand. Aujourd’hui, je comprends qu’il s’agissait d’un discret exercice de câlinothérapie visant à me faire avaler ultérieurement la pilule du Doliprane…

Dans cette belle lettre, vous déploriez le peu d’attention accordée à la souveraineté industrielle durant la campagne des législatives. Au vu de la situation actuelle et de la stratégie de Sanofi vis-à-vis d’Opella, soit vous n’étiez pas, à l’époque, dans le secret des dieux qui tirent les ficelles, les dividendes et les stock options, soit votre missive était d’une duplicité cynique.

De nombreux Français, à commencer par les Normands directement concernés par l’usine de Doliprane à Lisieux, s’émeuvent de la cession d’Opella à un fonds de pension américain. C’est un mauvais coup porté à notre pays, aux salariés, aux actionnaires français de Sanofi, mais aussi à l’image même de la France.

Cette humiliation nationale survient après l’échec cuisant de Sanofi dans le développement d’un vaccin anti-covid. Alors que les États-Unis, l’Allemagne, la Chine et même la Russie y sont parvenus, la France et Sanofi ont cherché, cherché, cherché… en vain, sans jamais trouver. Quelle honte !

Aujourd’hui, une fois encore et parce que Sanofi a raté sa stratégie face à la plus grande pandémie des temps modernes, il faut écoper, éponger et relancer en allant chercher du cash et en vendant les bijoux de famille. Ce n’est pas l’injection par l’État de 1 % à 2 % par l’intermédiaire de la BPI, soit 100 à 150 M€ sur les 16 Md€ de la vente d’Opella, qui va suffire à nous rassurer sur le maintien des emplois en France, notamment à Lisieux en Normandie.

Face à un tel fiasco industriel, qui laisse notre pays dépouillé et humilié, les dirigeants de votre entreprise ne devraient-ils pas en tirer toutes les conséquences ?

Mme Audrey Duval. Je ne suis pas connue pour faire de la câlinothérapie.

Je tiens à souligner l’importance cruciale de l’innovation dans le projet de Sanofi, afin de développer des médicaments et des vaccins innovants. Notre vaccin contre la bronchiolite a permis d’éviter six mille hospitalisations de nourrisson l’an dernier. La France figure parmi les quatre premiers pays au monde à en avoir bénéficié, dès le premier hiver.

Concernant le Tolebrutinib, nous avons mené une étude clinique sur la sclérose en plaques – deuxième cause de handicap chez les jeunes dans notre pays. Les résultats obtenus permettront aux patients souffrant de cette maladie de profiter de cette avancée thérapeutique. L’innovation constitue le cœur de notre métier et nous poursuivrons nos investissements dans les essais cliniques.

Nous maintiendrons également nos investissements dans l’outil industriel en Normandie, ainsi que dans neuf autres régions françaises. En Normandie, nous disposons d’un site dédié aux vaccins à Val-de-Reuil, où nous avons investi 250 M€ pour accroître nos capacités de production et relocaliser la fabrication de vaccins contre la grippe.

Il convient d’intensifier la campagne de vaccination contre la grippe. En France, seulement un Français sur deux âgé de plus de 65 ans se fait vacciner, alors que l’OMS recommande un taux de 75 %. Sanofi contribue donc significativement aux efforts déployés dans ce domaine.

Enfin, je tiens à souligner que le projet Opella s’inscrit dans une dynamique de croissance. C’est une entreprise qui va bien et nous avons identifié un partenaire adéquat pour mener à bien ce projet. Quand on trouve un partenaire pour une entreprise qui va bien, je pense que c’est un projet gagnant pour la France !

M. Charles Fournier (EcoS). Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir organisé cette audition que j’avais jugée indispensable au regard de l’émoi suscité dans notre pays par les décisions récentes de Sanofi.

Lundi dernier, vous avez décidé de faire passer sous giron américain plusieurs marques telles que Doliprane, Lisopaine ou Maalox portées par Opella. Vous évoquez des garanties ; mais il y a beaucoup de doutes quant à leur solidité, puisque demain Sanofi ne sera plus majoritaire. Il est donc difficile de vous croire !

Vous mettez en avant Bpifrance comme un rempart contre les risques, alors qu’elle ne détiendra que 1 % du capital. Vous ne disposerez plus que de 49 % de ce même capital ; donc, vous ne serez pas maître des décisions. De plus, le fonds CD&R pourra revendre sa participation lorsque cela deviendra moins rentable. L’agence Moody’s montre d’ailleurs que les entreprises détenues par des fonds d’investissement présentent un taux de défaillance supérieur de 15 % aux autres.

Vous affirmez qu’aucun site ne pourra déménager pendant cinq ans et qu’aucun licenciement économique ne pourra avoir lieu sous peine d’une sanction financière de cent mille euros par emploi supprimé. Mais ces sanctions semblent dérisoires face à ce que pèse Sanofi, avec ses 12 Md€ de bénéfices et 4,7 Md€ en dividendes. Ces garanties sont faibles face aux conséquences d’une décision potentiellement dramatique.

Comme il a été rappelé, General Electric avait fait des promesses, la main sur le cœur, concernant les salariés d’Alstom. On en a vu les résultats...

Opella n’est que la dernière étape d’une cure beaucoup plus sévère de restructuration. C’est la suite d’un ménage de taille qui a été organisé. Je rappelle que le plan « Pluton » a conduit à la fermeture de quinze sites de recherche et développement tels qu’Elbeuf, Coulommiers, Romainville ou Vitry-sur-Seine, entraînant pas moins de cinq mille licenciements : ce sont des secteurs dont vous vous désengagez. Vous nous avez dit que vous continuiez à produire des médicaments extrêmement utiles : heureusement ! Par ailleurs, vous vous êtes retirés progressivement de la recherche en cardiologie, en neurologie, sur la maladie d’Alzheimer, sur les antibiotiques, alors que vous recevez beaucoup d’argent public : Sanofi a perçu environ 100 M€ par an pendant dix ans au travers du CIR, soit 1 Md€, mais aussi 30 M€ annuels grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

Le Président de la République Emmanuel Macron a dit que ce serait « une folie » de déléguer notre protection sanitaire. La ministre Agnès Pannier-Runacher a affirmé avoir confiance en Sanofi pour ne pas délocaliser ou relocaliser. Pourtant, aujourd’hui, vous vendez les « bijoux de famille ». L’État aurait pu agir de manière beaucoup plus stricte – il pourrait encore agir en utilisant le décret Montebourg pour s’opposer à cette vente.

J’aimerais que vous nous expliquiez sérieusement pourquoi vous avez fait ce choix. Vous évoquez une opération de croissance ; mais, dans le contexte actuel, est-elle acceptable par les Français quand nous nous battons pour la souveraineté, notamment dans le domaine des médicaments ? Quelle est la prochaine étape de ce plan désastreux, quand l’hémorragie chez Sanofi s’arrêtera-t-elle enfin ?

Mme Audrey Duval. Opella est et restera une entreprise française. Qu’est-ce qui fait la nationalité d’une entreprise ? Une entreprise est française lorsque son siège social, son comité de direction et la majorité de ses employés sont établis en France.

Dans le cas d’Opella, le siège est implanté sur le territoire national ; le comité de direction est basé en France et 1 700 salariés y travaillent. La pérennité des sites, des emplois et de la production constitue l’essence même de l’identité d’une société.  Je l’ai dit et je le répète : rien ne change et rien ne changera !

M. Romain Daubié (Dem). Madame Duval, je vous remercie de votre disponibilité et d’assumer vos responsabilités ce matin lors de cette audition face aux députés, sachant que nous abordons nécessairement des sujets qui fâchent.

Je tiens à exprimer ma fierté de voir des entreprises françaises qui sont des leaders mondiaux. J’ai bien pris note de toutes vos remarques concernant le nombre de salariés en France, vos contributions fiscales et votre participation à la solidarité nationale.

Quelle stratégie adopterez-vous pour concilier votre impératif de rentabilité en tant que société cotée mondiale avec votre responsabilité morale de fournir des médicaments efficaces, accessibles à tous… et disponibles ? Je ne m’attarderai pas sur les pénuries de médicaments que nous avons connues en France, qui sont plus dignes d’un pays en développement que d’une puissance mondiale dotée de l’arme nucléaire et d’un siège permanent à l’ONU.

Quelles réflexions menez-vous sur les relocalisations en France ? Quels sont les barrières et quelles perspectives envisagez-vous ?

Enfin, vous comprenez l’inquiétude des Français concernant le Doliprane, qui fait partie de notre patrimoine historique et se trouve dans tous les foyers. Comment pouvez-vous les rassurer quant aux changements dans le capital d’Opella ? Cette question soulève des enjeux de souveraineté sanitaire, de santé publique, mais aussi d’emploi pour vos collaborateurs et leurs familles.

Mme Audrey Duval. La responsabilité passe par les investissements ! Sanofi consacre chaque année 2,5 Md€ en France à la recherche et au développement. La responsabilité passe également par les investissements dans les outils industriels : 3,5 Md€ seront investis d’ici 2030. Nous avons pris des engagements et nous continuerons à le faire.

M. Philippe Charreau. La relocalisation de plusieurs principes actifs fait aussi partie de notre stratégie. Quatre exemples récents illustrent cette démarche. Tout d’abord, le transfert de la production du médicament Xenon de la Turquie vers Tours. Ensuite, la relocalisation du Renvela à Ambares. Enfin, comme l’a mentionné madame Duval précédemment, deux autres relocalisations concernent le diabète et la transplantation, respectivement à Lyon-Gerland et à Aramon. Ces initiatives démontrent notre engagement à rapatrier en France non seulement la production de produits finis, mais aussi celle de principes actifs essentiels.

M. Thomas Lam (HOR). Je souhaite aborder le cas d’une autre entreprise française, Upsa, détentrice des marques Efferalgan et Dafalgan. Cette PME familiale, deuxième entreprise fabricant du paracétamol en France, est implantée à Agen. Elle a connu deux rachats successifs, d’abord par un groupe américain, puis par un groupe japonais. Ces acquisitions ont donné des moyens financiers considérables à l’entreprise, qui ont permis non seulement des rachats de marques, mais également un développement humain et économique significatif. En somme, ces opérations ont permis de donner un nouveau souffle à Upsa.

Le groupe Horizons et Indépendants s’interroge sur les perspectives de l’opération avec le groupe CD&R. Nous souhaitons savoir si cette transaction s’inscrira dans la continuité de l’histoire d‘Orpella, à savoir un développement vers de nouveaux marchés et l’acquisition de nouveaux clients. Notre espoir est que cette évolution engendre la création d’emplois en France et stimule la croissance de nos territoires ruraux.

Mme Audrey Duval. C’est exactement le projet d’Opella ! C’est une société qui va bien et que l’on va aider à se développer. Sanofi a investi 1,3 Md€ pour soutenir Opella dans l’acquisition du supplément alimentaire Qunol. Opella a en effet besoin de se développer à l’international et, notamment aux États-Unis.

Aujourd’hui, pour faire face à ses principaux concurrents, Opella a besoin d’un partenaire solide. Je cède maintenant la parole à mon collègue Pierre Vergriete pour qu’il explique en quoi ce partenaire, fort de son expérience dans les domaines de la santé et de la grande distribution, ainsi que de son engagement à soutenir les entreprises françaises, constitue l’allié idéal pour réaliser les objectifs que vous avez évoqués.

M. Pierre Vergriete. Monsieur le député, vous parlez de nouveaux marchés. C’est en effet l’un des atouts de ce projet avec CD&R : il permettra à Opella de renforcer sa compétitivité sur le marché américain. Ce dernier s’avère, de loin, le plus important dans le domaine de la santé, tant pour le grand public que pour l’innovation. Bien qu’Opella soit une entreprise qui réalise un chiffre d’affaires de 5 Md€ et se classe dans le « top 3 » dans la plupart des régions du monde, elle peine encore à s’imposer aux États-Unis. Cette alliance offre donc des perspectives de développement et de croissance qui bénéficieront à Opella en France et à son outil de production.

M. André Chassaigne (GDR). Sanofi a enchaîné les restructurations ces dernières années, ce qui conduit à parler de la « chronique d’une mort industrielle programmée ». Après s’être séparée de sa division de principes actifs en l’introduisant en bourse sous le nom d’Euroapi en 2022, Sanofi se sépare maintenant à hauteur de 51 % de sa filiale consacrée à la production de médicaments sans ordonnance.

Pour justifier ces opérations, vous affirmez avoir besoin d’investir dans la science afin de développer des médicaments innovants. Cela paraît surprenant, lorsqu’on sait que Sanofi en est à son quatrième plan de suppression d’emplois dans la recherche et le développement en dix ans. Pour la seule année 2024, 1 200 emplois seraient supprimés dans le monde, dont 330 dans la recherche en France – un chiffre qui s’ajoute aux 210 suppressions de poste prévues par l’accord de gestion des emplois et des parcours professionnels.

Pouvez-vous nier, madame la Présidente, que les destructions de poste se succèdent et s’accélèrent ces dernières années, malgré des profits importants ? Dans les faits, votre groupe ne poursuit pas une stratégie de développement… mais une politique guidée par des logiques de gestion marchande de la santé ; une politique qui n’est pas inspirée par l’avenir de la santé en France, comme vous le prétendez. Il s’agit d’une logique financière dans laquelle on abandonne les traitements qui rapportent peu pour privilégier ceux qui rapportent gros, sans se soucier de répondre aux besoins ! Les exemples sont légion et je peux vous en citer.

Concernant l’accord tripartite intervenu sur la cession d’Opella, que vous présentez comme offrant le plus haut niveau de garantie possible, l’entrée de l’État au capital à hauteur de 1 % à 2 % via Bpifrance ne lui permettra pas, dans les faits, de bloquer quelque décision que ce soit ! Quant au maintien des deux sites français de production à Lisieux et Compiègne pendant au moins cinq ans sous peine de sanctions, pensez-vous sincèrement que cet engagement de cinq ans puisse effrayer le fonds américain, coutumier de ce type de durée d’engagement ? Que représenteraient les sanctions prévues au regard des dividendes versés chaque année par votre groupe à ses actionnaires ?

Enfin, quelles seraient, selon vous, les conséquences d’un blocage de cette cession, comme notre législation le permet ? Ne pensez-vous pas que ce blocage permettrait de consolider le groupe, alors que les cessions successives de l’activité « Principes actifs » en 2022, de l’activité de distribution en 2023 et maintenant de l’activité « Grand public », transforment de plus en plus Sanofi en une coquille vide ? Souhaitez-vous que Sanofi soit une coquille vide ?

Mme Audrey Duval. Chez Sanofi, nous somme guidés par une seule ambition : répondre aux besoins des patients. J’évoquais tout à l’heure la sclérose en plaques, deuxième cause de handicap chez les jeunes dans notre pays : investir en neurologie est d’une importance capitale pour la santé des Françaises et des Français. Éviter six mille hospitalisations, dans un contexte où les hôpitaux sont surchargés chaque hiver, on ne peut pas dire que ce soit anodin ! Développer des vaccins combinés pour éviter entre cinquante mille et cent mille hospitalisations annuelles, ce n’est pas non plus négligeable. Voilà ce qui nous guide : améliorer la santé des patients et rendre nos systèmes de santé plus résilients.

M. Philippe Charreau. Opella et Euroapi sont deux sociétés complètement différentes en termes de taille, de métier, de marché et de dynamique sectorielle. Il est exact qu’Euroapi a subi les conséquences de l’augmentation des coûts énergétiques et des matières premières et qu’elle n’a pas pu se développer dans le domaine du façonnage comme prévu. En revanche, Sanofi a honoré ses engagements contractuels en matière de commandes et continue de soutenir Euroapi avec une aide supplémentaire de 200 M€, ainsi qu’un engagement pour la réversion de capacités de 54 M€. Par conséquent, on ne peut pas comparer Opella à Euroapi.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous allons passer aux questions individuelles. Avant cela, je souhaiterais que vous reveniez sur les plans successifs de suppression d’emplois dans la recherche et le développement, pour lesquels nombre de nos collègues ont manifesté des attentes, ainsi que sur les garanties de l’accord avec l’État qui, au vu des nombreuses interpellations, suscitent de vives inquiétudes.

Le montant maximal de 140 M€ est-il suffisamment dissuasif pour prévenir toute réduction de la production ou suppression d’emplois, sachant tous les plans de licenciements que Sanofi a pu mener ces dernières années ?

Je souhaiterais également que nous revenions sur la question de la délocalisation. Les syndicats affirment que certaines fonctions de support, comme l’informatique ou la comptabilité, auraient été délocalisées en Inde ou en Hongrie ces dernières années. Qu’en est-il ?

Par ailleurs, concernant les médicaments génériques, Sanofi a-t-il effectivement obtenu que le Doliprane ne soit jamais inscrit au répertoire des médicaments que les pharmaciens peuvent proposer de remplacer par un générique ?

Je vous invite à répondre à ces différentes interpellations de manière détaillée.

Mme Audrey Duval. Le terme « blocage » a été utilisé à plusieurs reprises. À quoi bon adopter une position de blocage lorsqu’il s’agit du développement d’une société française, afin d’accroître son rayonnement dans le monde ? Nous parlons d’un projet de croissance pour une entreprise prospère, qui vise à trouver un partenaire pour l’accompagner dans son expansion : il serait déraisonnable de vouloir l’entraver. Je suis convaincue que ce projet fait sens pour développer cette société et nous allons poursuivre ce travail de pédagogie, car il s’agit véritablement d’un projet de croissance. S’opposer à ce projet aurait des implications qui vont bien au-delà de la situation de Sanofi. Nous sommes en train de parler de sujets qui touchent à l’attractivité de notre pays et de la manière dont nous développons nos entreprises. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de travailler avec des partenaires pour faire rayonner des entreprises françaises à l’international, ce qui constitue également un enjeu d’attractivité pour la France.

Concernant la transformation, je tiens à préciser que, comme toute entreprise, nous devons nous transformer. Nous devons nous transformer, car nous travaillons dans le domaine de la santé et des milliers de patients attendent. Il y a une exigence de rapidité et d’agilité pour amener nos médicaments et nos vaccins au plus vite auprès des patients. Nous devons donc nous moderniser et nous transformer. Comment ?

Nous anticipons autant que possible ; nous agissons dans un esprit de dialogue, en accompagnant et en formant nos salariés et en favorisant la mobilité interne. De nouvelles compétences sont requises et nous nous efforçons d’accompagner cette évolution. Nous poursuivrons cette transformation, qui est vitale pour l’entreprise, parce que le monde évolue. Nous ne travaillons pas uniquement dans une bulle française ! Nous devons rester compétitifs et être présents sur les nouvelles aires thérapeutiques. Il s’agit de choix et d’orientations stratégiques que nous assumons et qui nous suivons, tout en accompagnant nos salariés.

L’inscription sur le répertoire des génériques nécessite des études d’équivalence, essentielles pour garantir la sécurité des patients, en termes d’efficacité et de sécurité. Il est primordial de disposer de ces données d’équivalence pour évaluer le rapport entre efficacité et effets secondaires. Actuellement, ces données d’équivalence n’existent pas. Dans votre interpellation, madame la présidente, il y a une interrogation sous-jacente : existe-t-il un bénéfice pour la sécurité sociale ? Aujourd’hui, le prix du Doliprane est identique à celui des autres formulations de paracétamol.

M. Philippe Charreau. Sanofi n’a jamais opté pour la délocalisation et a toujours fait le choix de la France. Les chiffres en témoignent : un tiers des ressources industrielles mondiales de Sanofi se trouvent en France et 40 % de sa production mondiale y est réalisée. Nous poursuivons nos investissements, comme l’a souligné Audrey Duval, avec 3,5 Md€ consacrés à l’adaptation de notre outil industriel aux molécules du futur. Cela ne signifie pas que nous abandonnons les produits matures. Au contraire, nous continuons de les fabriquer sur le sol français, tout en préparant notre appareil de production pour soutenir notre portefeuille de nouvelles molécules.

Évoquer une délocalisation des sites de Lisieux et de Compiègne n’a aucun sens sur le plan industriel, ni sur le plan économique. Les deux sites font partie intégrante de la stratégie de croissance d’Opella. Ils sont compétitifs et se classent parmi les 10 % de sites les plus performants selon les standards internationaux. Nous avons investi par le passé et continuerons à le faire dans le futur. 94 % de la production de Doliprane est réalisée en France sur ces deux sites, qui sont très compétitifs. Il serait irrationnel de les délocaliser.

M. Charles Alloncle (UDR). Permettez-moi d’abord de saluer la contribution remarquable de votre entreprise à notre pays. En France, il est courant de critiquer nos grandes entreprises – voire de les taxer à tout prix. Cependant, je tiens à exprimer ma fierté quant à ce que vous représentez : une vitrine du savoir-faire français et un grand pourvoyeur d’emplois, avec vingt mille salariés qui œuvrent chaque jour au dépassement de nos frontières technologiques.

C’est parce que vous assumez ce rôle dans notre pays que votre mission va bien au-delà d’un simple acteur économique et que vous portez, en quelque sorte, une exigence supplémentaire. Aussi, je serai plus nuancé concernant la vente du Doliprane. Je m’interroge sur les raisons qui ont motivé votre choix de privilégier un fonds américain plutôt qu’un acheteur français, alors que celui-ci avait surenchéri selon la presse. À prix similaire, toutes choses étant égales par ailleurs, le patriotisme économique ne devrait-il pas être une donnée majeure à prendre en compte ?

Je sais que des garanties pour l’emploi ont été annoncées. J’espère sincèrement qu’elles seront plus solides que celles promises par General Electric lors du rachat d’Alstom en 2014. Je rappelle que l’opération s’est soldée par 25 créations d’emplois fin 2018, alors que General Electric en avait promis mille. Les cinquante millions d’euros d’amende n’ont eu aucun effet dissuasif.

Cette opération doit être replacée dans une perspective plus vaste que celle de la cession du Doliprane. Elle s’inscrit dans un plan global de rationalisation autour des biotechnologies et implique la vente de certains actifs en faible croissance. Pensez-vous que notre pays est suffisamment attractif pour accueillir l’ensemble de votre chaîne de valeur ? Si ce n’est pas le cas, quels conseils pourriez-vous donner afin d’améliorer cette attractivité ?

Mme Audrey Duval. Je souhaite revenir sur le processus ayant conduit à l’entrée en négociation exclusive avec CD&R. Cette démarche a été amorcée il y a un an. Nous avons annoncé publiquement que nous allions donner de l’autonomie à Opella. Mais la stratégie de développement d’Opella a été présentée en interne depuis plus de quatre ans ! La cession s’inscrit donc dans un processus programmé. À l’issue d’un processus long et rigoureux, sur la base des informations dont il disposait, le conseil d’administration a pris la décision la plus appropriée, basée sur un projet de développement global pour Opella. CD&R est un partenaire qui accompagnera l’entreprise dans sa croissance, je le redis et nous en sommes convaincus.

Concernant l’attractivité de la France, il est essentiel de souligner le déclin du secteur pharmaceutique. Notre pays est passé de la première à la troisième position pour les essais cliniques, et de la première à la sixième place dans le domaine industriel. Dans ce contexte, Sanofi investira très massivement, à hauteur de 3,5 Md€ d’ici 2030, pour renforcer ses capacités technologiques à l’échelle de sa production, afin de contribuer ainsi à la souveraineté sanitaire.

Il est impératif de continuer à soutenir les grandes entreprises françaises, notamment par le biais du crédit d’impôt recherche. On peut estimer que ce n’est rien mais ces sommes sont considérables dans notre secteur. Je l’ai dit, une étude clinique coûte en moyenne 250 000 euros par patient ; si nous voulons réaliser un essai clinique en France pour mille patients, il faut un investissement de 250 M€. Le granulateur dont nous parlons à Lisieux, qui permettra d’augmenter la capacité de production de 40 %, nécessite un investissement de 20 M€ : ce n’est pas rien !

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous passons à présent aux interventions individuelles.

M. Julien Gabarron (RN). Madame la présidente Duval, abordons la question de la confiance ! « Le “jour d’après”, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au “jour d’avant”. » : le 16 mars 2020, le président Emmanuel Macron, après avoir proclamé que nous étions « en guerre », s’alarmait ainsi de notre extrême dénuement en matière d’industrie pharmaceutique. Cette situation résulte de notre politique de délocalisation tous azimuts et de la vente en gros, comme à la découpe, de nos plus beaux fleurons français.

En 2014, le « jour d’avant », le ministre Macron soustrayait les activités « Énergie » d’Alstom pour les remettre au groupe américain General Electric. En 2024, le « jour d’après », Sanofi, joyau pharmaceutique français dont vous êtes responsable, a cédé sa filiale Opella, productrice du Doliprane, au fonds d’investissement américain CD&R.

Ne pensez-vous pas incarner, madame Duval, plus encore qu’auparavant, ce « jour sans fin » du désarmement industriel français et de nos forces vitales ?

M. Jean-Luc Fugit (EPR). Je tiens tout d’abord à exprimer mon indignation face aux propos très durs tenus précédemment par un collègue sur la recherche et qui se moquait des chercheurs. Ancien chercheur moi-même, comme la présidente de notre commission, je trouve ces déclarations scandaleuses, d’autant plus qu’elles émanent de personnes ignorant tout du domaine de la recherche.

J’aimerais obtenir des précisions concernant la recherche chez Sanofi. Pourriez-vous nous indiquer le montant, en milliards d’euros, que représente votre investissement en recherche et développement ? Quelles sont les retombées concrètes du crédit d’impôt recherche pour votre groupe ?

Par ailleurs, j’aimerais connaître la nature de vos liens avec la recherche académique, notamment avec nos organismes de recherche et universités. Combien de doctorants financez-vous ? Ce sont des jeunes que l’on aide à se familiariser avec les activités de recherche et qui pourront en faire leur métier.  La recherche est quelque chose d’important et il serait bon que nous cessions de taper sur les chercheurs dans cette commission…

M. René Pilato (LFI-NFP). Votre entreprise a bénéficié de 1,5 Md€ de crédit d’impôt recherche au cours des dix dernières années. Ces fonds publics soutiennent l’effort de recherche et développement des entreprises françaises. En 2014, Sanofi employait 6 500 personnes dans ce domaine en France. Aujourd’hui, il n’en reste que trois mille... Selon l’économiste Frédéric Bizard, « l’échec de Sanofi à trouver un vaccin contre la covid-19 est lié à son désinvestissement en matière de recherche et développement. ».

Par ailleurs, vous avez versé 4,4 Md€ de dividendes en 2023. En avril 2024, vous avez supprimé 330 emplois dans le département consacré à la recherche contre le cancer. Il semble donc que vous n’ayez pas besoin des fonds issus du crédit d’impôt recherche. Envisagez-vous de restituer cet argent ? Que pensez-vous de l’amendement visant à recentrer ce crédit d’impôt recherche sur les petites et moyennes entreprises, ainsi que sur les établissements intermédiaires ?

M. Arthur Delaporte (SOC). J’ai eu l’occasion d’échanger avec madame Duval sur le site de Lisieux lors de la venue des ministres, mais je n’ai pas pu visiter l’usine.

J’avais tenté de m’y rendre mercredi, en prévenant 48 heures à l’avance le directeur des affaires publiques de Sanofi. Celui-ci m’a indiqué que ma présence « désorganiserait la production ». Je crois qu’aujourd’hui la production n’est pas tant perturbée par la visite d’un parlementaire souhaitant observer le fonctionnement de Sanofi que par le mouvement social en cours, qui pénalise votre stratégie et a un impact sur votre image – ce que je déplore. Je sais que vous organisez une « visite Potemkine » lundi prochain, mais je ne pourrai pas être présent, étant retenu par l’examen du budget de la sécurité sociale, qui est aussi une question qui intéresse notre assemblée. Ceci observé, je vous poserai trois questions.

Quel montant est alloué à la rémunération des actionnaires dans les 15 Md€ évoqués ? Quelle est la politique de rachat d’actions menée par Sanofi ces dix dernières années ?

M. François Ruffin (EcoS). En vérité, madame Duval, je trouve votre discours obscène et indécent. Je salue l’exploit littéraire que vous réussissez en ne prononçant pas une seule fois les mots « actionnaires » et  « dividendes », alors que vous être manifestement guidée par une stratégie financière, bien plus que par la santé des patients. Plus de 4 Md€ de dividendes ont été distribués cette année et c’est au nom de cette stratégie que, ces dix dernières années, nous avons assisté à la fermeture ou à la vente de treize usines, à la fermeture de huit laboratoires de recherche et à la suppression de cinq mille emplois. C’est également au nom de cette stratégie financière que nous sommes confrontés aujourd’hui à la vente du Doliprane et d’autres médicaments.

Ce qui me paraît aussi obscène et indécent, c’est que vous dissimulez cette stratégie financière en la justifiant au nom des malades, des nourrissons atteints de bronchiolite et des jeunes handicapés souffrant de sclérose en plaques. Si vous portiez réellement une attention aux jeunes en situation de handicap, votre priorité serait d’indemniser les trente-cinq mille personnes ayant pris de la Dépakine à leur insu et qui souffrent aujourd’hui de polyhandicaps. Pour l’instant, ce n’est pas vous qui payez, mais l’État et les Français, car vous vous dérobez à vos responsabilités !

M. André Chassaigne (GDR). Je prends acte des propos tenus par monsieur Charreau concernant l’investissement de 200 M€ au sein d’Euroapi, sur un plan d’investissement total de 350 à 400 M€.

S’agissant d’Euroapi, la feuille de route opérationnelle « Focus 27 » prévoit une rationalisation du portefeuille de principes actifs à forte valeur ajoutée, avec la suppression de treize principes actifs en raison de marges faibles ou négatives. Le document évoque également une « rationalisation de l’empreinte industrielle » et une priorité accordée aux investissements à haut rendement. Je ne suis pas sûr que cela corresponde forcément aux besoins en matière de santé publique dans notre pays.

J’ai une question : Sanofi et Bpifrance ont prolongé la durée de conservation de leur participation dans Euroapi jusqu’en décembre 2025 ; quels sont les pourcentages de capital détenus respectivement par Sanofi et Bpifrance depuis l’introduction en bourse d’Euroapi ?

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je tiens à réagir aux propos de nos collègues Fugit et Pilato. En tant que chercheuse de métier et au nom de notre commission, je réaffirme que nous ne remettons nullement en question les compétences et le savoir-faire de nos chercheurs, scientifiques, techniciens et ingénieurs, qu’ils exercent dans le secteur public ou privé.

La question posée est celle des moyens, en particulier humains, alloués à la recherche, puisqu’a été relevée la diminution drastique, s’apparentant à une division par deux, des effectifs dédiés à la recherche et au développement au sein de Sanofi. C’est sur ce point précis que nous vous interpellons.

Mme Audrey Duval. En tant que mère et médecin, je ne peux être que particulièrement sensible à la situation des familles concernées par l’affaire de la Dépakine. Il convient néanmoins de rappeler que ce médicament demeure essentiel pour certains patients épileptiques. Nous nous conformerons bien entendu à la décision finale de la justice.

Concernant le Doliprane, je tiens à préciser que Bpifrance n’est qu’un des leviers de garantie parmi d’autres : il ne s’agit pas d’une vente « sèche ». Sanofi considère ce projet de développement comme un investissement et demeure extrêmement présent, avec une participation au capital de près de 50 %.

S’agissant de la recherche et pour avoir moi-même travaillé dans un laboratoire de recherche, je salue le travail remarquable effectué par les chercheurs en France. C’est un métier difficile, qui exige un travail dans la durée et des investissements conséquents et qui doit être soutenu.

Notre portefeuille de recherche illustre cet engagement : nous développons actuellement douze molécules susceptibles de transformer la vie des patients dans diverses aires thérapeutiques. On ne peut pas gagner partout et il faut faire des choix. Sanofi a fait des choix stratégiques qui sont vraiment au bénéfice des patients et qui répondent à des besoins spécifiques. Pour chacun de ces douze programmes, des étapes du processus de développement seront systématiquement réalisées sur le territoire français par nos chercheurs.

Sur le plan industriel, nous avons doublé notre capacité de production de biomédicaments, comme en témoigne notre annonce, lors de « Choose France » d’un investissement de 1 Md€ sur le site de Vitry-sur-Seine en Île-de-France. Cette décision s’inscrit dans la continuité du plan de souveraineté sanitaire français, répondant au besoin croissant de biomédicaments dans notre pays.

M. Philippe Charreau. Je réfute catégoriquement les termes de « délocalisation » ou de « désindustrialisation ». Sanofi a résolument fait le choix de la France. Notre entreprise compte seize sites industriels sur le territoire national, qui emploient près de dix mille collaborateurs sur un total de quarante sites dans le monde ; il s’agit d’une part importante de nos ressources. Nous suivons une double stratégie : maintenir la production de médicaments matures à des coûts compétitifs pour répondre aux besoins de santé publique ; adapter notre outil industriel aux molécules innovantes qui seront commercialisées dans les années à venir.

Concernant les médicaments matures, nous pouvons citer en exemple le Plavix, l’Aprovel et le Multaq, dont les volumes mondiaux sont produits en France sur les sites de Sisteron, d’Aramon, d’Ambares et de Tours. Le Lovenox est fabriqué sur les sites du Trait, de Maisons-Alfort et de Ploërmel. Quant aux vaccins, ils sont produits à Marcy-l’Étoile et Val-de-Reuil, avec l’investissement « Grippe » mentionné par Audrey Duval.

Parallèlement, nous préparons l’outil industriel de demain en investissant dans les diverses plateformes technologiques nécessaires au soutien de notre portefeuille de médicaments innovants. Dans le domaine de la chimie et de la pharmacie solide, un investissement de 60 M€ a été réalisé à Sisteron. Pour les biologiques injectables, outre Vitry, le site du Trait devient un site majeur dans le remplissage aseptique et biologique. De plus, toute la chaîne de valeur des vaccins ARNm est développée, avec un centre d’excellence à Marcy-l’Étoile, ainsi que Modulus à Neuville et Val-de-Reuil. Vous voyez que nous continuons à produire des médicaments matures pour répondre aux besoins des patients et de la santé publique à des coûts compétitifs en France – nous exportons d’ailleurs une grande partie de ces volumes – et que, de surcroît, nous préparons l’outil industriel de demain afin de soutenir notre portefeuille de nouvelles molécules.

Quant à Euroapi, je ne peux commenter sa décision d’arrêter certaines productions, qui n’est aucunement liée à une demande de Sanofi. Il s’agit de son propre choix industriel. Enfin, Sanofi détient 30 % du capital d’Euroapi.

M. Pierre Vergriete. Le budget annuel mondial de recherche et développement de Sanofi s’élève à plus de 7,5 Md€. Nous avons récemment décidé d’augmenter ce montant afin de soutenir les programmes portant sur nos douze molécules clés, mentionnées par Audrey Duval. En France, cet investissement représente un peu plus de 2,5 Md€, soit environ un tiers du budget global.

Notre stratégie de recherche repose également sur de nombreux partenariats avec des acteurs académiques, publics et privés. Nous comptons plus de cent collaborations en France, qu’elles soient bilatérales, entre Sanofi et un partenaire public ou privé, ou tripartites, comme le Paris-Saclay Cancer Cluster. Ces partenariats sont de natures diverses et nous nous appuyons énormément sur l’écosystème de la recherche. En effet, dans ce domaine, les progrès naissent de l’enrichissement mutuel entre les différents acteurs.

S’agissant du crédit d’impôt recherche, je tiens à rectifier le chiffre avancé. Il s’agit de 1 Md€ sur dix ans, soit environ 100 M€ par an, à comparer avec notre investissement annuel de 2,5 Md€ dans la recherche en France. Ce dispositif constitue un véritable enjeu d’attractivité et de compétitivité pour notre industrie.

M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). En 2023, le gouvernement a autorisé le rachat de 135 entreprises sensibles par des investisseurs étrangers, malgré l’existence du décret relatif aux investissements étrangers en France. Cette situation s’explique principalement par trois facteurs : premièrement, la faiblesse de nos outils d’investissement en capital ; deuxièmement, une forme d’irresponsabilité et de « court-termisme » de certains grands donneurs d’ordre français, dont dépendent souvent des filières entières ; troisièmement, la volonté d’éviter des dommages médiatiques à court terme plutôt que de restructurer véritablement les entreprises concernées.

 Résultat : notre propriété intellectuelle et nos contrats commerciaux sont « siphonnés » par des entreprises prédatrices, fréquemment en situation de dumping normatif, social, fiscal et budgétaire. Les fermetures d’entreprise s’enchaînent, aux frais du contribuable, mais à retardement : le ministre ayant approuvé la transaction n’étant généralement plus en fonction lorsque les conséquences se manifestent, l’honneur est donc sauf…

Dans ce contexte, comment exiger d’une entreprise qu’elle soit patriote, si l’État peine lui-même à l’être ? Ne nous trompons pas de coupable !

Quelle est votre perception de votre responsabilité envers la filière, notamment vis-à-vis de vos sous-traitants ?

M. Charles Rodwell (EPR). Avec soixante-dix collègues, nous nous sommes mobilisés, voici dix jours, afin que le Gouvernement se prononce sur le bien-fondé de cette opération. Nous nous félicitons que le Gouvernement ait initié toutes les procédures de contrôle sur les investissements étrangers pour cette transaction. Selon nous, trois enjeux majeurs doivent guider l’issue de cette procédure de contrôle. Ils correspondent aux trois questions que je souhaite vous poser.

Premièrement : pourquoi Sanofi s’est-elle initialement opposée à l’entrée de Bpifrance au capital d’Opella ?

Deuxièmement : dans l’hypothèse où la vente se concrétiserait, comment Opella garantira-t-elle l’approvisionnement prioritaire du marché français ? Cette question se pose au regard des doutes exprimés par le directeur général Paul Hudson et des pénuries constatées sur le marché français, il y a deux ans.

Enfin, si la vente se réalise, les 15 Md€ de recettes générées seront-ils investis dans l’industrie et l’innovation en France ?

Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). CD&R, principal actionnaire de la chaîne de distribution britannique Morrisons, a récemment supprimé environ neuf mille emplois au sein de cette entreprise. Les employés d’Opella ont donc des raisons de s’inquiéter !

Madame la présidente Duval, vous avez évoqué l’importance du dialogue social. Cependant, je m’interroge sur la nature et la finalité de ce dialogue : s’agira-t-il d’annoncer aux salariés la méthode choisie pour procéder à leur licenciement ou bien de leur offrir de véritables garanties quant au maintien de leur emploi ?

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Vous avez rappelé que les Français sont attachés au Doliprane, médicament phare dans nos pharmacies. Ce produit bénéficie d’ailleurs d’un statut particulier : si un médecin le prescrit, la pharmacie ne peut pas proposer de générique – ce qui prouve que l’on défend la libre concurrence quand cela arrange….

Cependant, contre tout patriotisme, vous cédez ce fleuron aux Américains. La priorité ne sera évidemment pas d’approvisionner en priorité les Français.

Vous affirmez qu’il n’y aura aucun risque sur l’emploi, la production et la recherche et qu’une délocalisation de Sanofi est inenvisageable. Pourtant, comment vous accorder notre confiance alors que vous avez bénéficié d’un milliard d’euros de crédit d’impôt recherche tout en supprimant la moitié de vos effectifs de chercheurs ?

Durant la crise de la covid, vous avez une nouvelle fois fait preuve d’un manque de patriotisme en envisageant de vendre le vaccin aux Américains en priorité. L’État vous a octroyé 200 M€ et, dix jours plus tard, vous annonciez mille suppressions de postes en France. Aujourd’hui, la seule garantie est une prise de participation de l’État à hauteur de 2 %, dont les syndicats eux-mêmes considèrent qu’elle revient à s’offrir une place de « plante verte ». Dans le même temps, vous distribuez 4 Md€ de dividendes et Sanofi est devenue une véritable machine à cash.

Au vu de cet historique, pourquoi devrions-nous accorder du crédit à vos nouvelles promesses ?

Seqens, sous-traitant d’Opella, doit exploiter l’usine de production de paracétamol en Isère. Ce projet, présenté par le président Emmanuel Macron et vous-même comme le « fer de lance » de la relocalisation pharmaceutique en France, pourrait voir sa viabilité compromise si les Américains décidaient de changer de fournisseur. Vous annoncez un accord avec eux sur ce sujet : quelle sera la durée de cet accord ?

Enfin, concernant la Dépakine, Sanofi a été condamnée à deux reprises. Il serait peut-être temps de  payer l’amende !

M. Stéphane Vojetta (EPR). Votre réponse à ma première question n’a pas été complète, comme mon collègue Delaporte l’a relevé avec sa sagacité habituelle : vous avez effectivement abordé le réinvestissement dans les activités et produits stratégiques, mais n’avez pas répondu sur le pourcentage des fonds levés grâce à cette vente alloués à votre politique de dividendes.

Sur la page « Relations investisseurs » de Sanofi, vous affirmiez, il y a deux ans, que la politique d’allocation du capital de l’entreprise demeurait inchangée et que Sanofi envisageait de maintenir un dividende en augmentation progressive, conformément à sa politique historique en la matière.

La cession partielle d’Opella va-t-elle modifier cette politique de dividende ? Le dividende par action de Sanofi va-t-il augmenter ? Prévoyez-vous une distribution exceptionnelle à la suite de cette vente ou un programme de rachat d’actions ? Pouvez-vous nous fournir une estimation chiffrée de la proportion des bénéfices qui seront redistribués aux actionnaires ?

M. Frédéric Weber (RN). Votre entreprise est un fleuron. Aujourd’hui, plus que jamais, il est primordial de faire preuve de responsabilité sociale et économique et de patriotisme.

Votre groupe s’est distingué en 2022 et 2023 en figurant parmi les trois entreprises redistribuant le plus à leurs actionnaires. Je souhaite vous interroger sur votre programme de rachat d’actions pour 2024. Vous n’êtes certainement pas sans savoir que la représentation nationale s’apprête à débattre d’une taxation sur le rachat d’actions. Le Gouvernement envisage une taxe de 8 %, tandis que la gauche propose un taux compris entre 90 % et 100 % ; le Rassemblement national, quant à lui, préconise un taux de 33 %, que nous considérons comme un juste équilibre. Qu’en pensez-vous ?

M. Hervé de Lépinau (RN). Madame la présidente Duval, permettez-nous d’être inquiets puisque nous savons que, dans le dispositif de cession, il y a monsieur Alexis Kohler, que l’on peut qualifier de véritable « tour de contrôle » élyséenne. La représentation nationale conserve des blessures liées à des transactions passées, qui sont difficiles à oublier : je pense notamment à Technip et Alstom, sans oublier une myriade d’autres joyaux français partis à l’étranger sous la gouverne de ce monsieur….

Vous avez opposé un démenti catégorique aux allégations de monsieur Arnaud Montebourg concernant le management package de 200 M€ qui serait attribué à la dirigeante d’Opella. Envisagez-vous d’intenter une action en diffamation contre monsieur Montebourg afin d’éclaircir définitivement la situation ?

M. Karim Benbrahim (SOC). J’ai écouté attentivement votre intervention, madame Duval, mais nous avons entendu votre dicours des dizaines et des dizaines de fois sur la stratégie d’investissement, les besoins de financement, la vente à un fonds étranger et les garanties supposément apportées par celui-ci. Malheureusement, ce processus aboutit trop souvent à une délocalisation.

Comme l’ont souligné certains collègues, l’exemple d’Alstom est éloquent. Il y a dix ans, l’entreprise était cédée à General Electric. Aujourd’hui, dans mon département, nous constatons qu’après avoir récupéré des compétences et des brevets, le groupe américain délocalise la fabrication des éoliennes offshore aux États-Unis, privilégiant ainsi le marché américain au détriment du marché européen.

Estimez-vous qu’un engagement sur cinq ans est suffisant ?

Face aux tensions déjà observées sur le marché du médicament, avec parfois des pénuries dans nos pharmacies, ne pensez-vous pas que le secteur du médicament devrait être davantage protégé ? À titre de comparaison, qui imaginerait l’industrie de la défense passer sous contrôle étranger ?

Enfin, si je peux comprendre vos besoins en investissement, quelles garanties offrez-vous concernant le réinvestissement dans l’innovation ? Pourquoi n’avez-vous pas trouvé un investisseur français, public ou privé ? Cette question a-t-elle constitué un sujet de préoccupation ?

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je souhaite revenir sur plusieurs points cruciaux soulevés par les membres de la commission. Tout d’abord, quel usage sera-t-il fait des 15 M€ tirés de la vente à CD&R ? Quelle part ira aux dividendes ? Cette opération modifie-t-elle votre politique de répartition des bénéfices, sachant que 4 Md€ ont été distribués aux actionnaires l’an dernier ?

La question du maintien de l’emploi est primordiale. Sanofi a réduit de moitié ses effectifs en recherche et développement ces quinze dernières années. Qu’en sera-t-il après la cession au fonds d’investissement américain ? Vous engagez-vous formellement, devant la représentation nationale, à ne procéder à aucune suppression d’emploi ni réduction de production, notamment du Doliprane, au-delà des cinq ans annoncés ?

Par ailleurs, une interrogation spécifique porte sur le contrat à long terme avec Seqens : Sanofi s’approvisionnera-t-il auprès de cette usine dans le cadre de la relocalisation de la production du principe actif ? Un engagement de votre part sur cette fourniture au-delà des cinq ans est essentiel pour les députés.

Enfin, vous avez déployé des efforts pour éviter l’inscription du Doliprane au répertoire des médicaments substituables par un générique. Plus généralement, votre politique d’utilisation offensive des brevets, marquée par des contentieux réguliers, ne risque-t-elle pas de compromettre l’accès aux soins pour tous ? Cette stratégie a-t-elle des répercussions sur les coûts de l’assurance maladie, au-delà du seul Doliprane ?

Mme Audrey Duval. Je tiens à réaffirmer avec la plus grande clarté que nous garantissons le maintien des emplois sur les sites de Lisieux et de Compiègne, ainsi que la production des médicaments sur ces sites. Cela a été dit, mais il faut le repéter : ces sites français revêtent une importance stratégique pour le groupe Opella. Les sites et leurs salariés font donc pleinement partie de la feuille de route stratégique de développement de l’entreprise.

Notre engagement porte sur le maintien des sites, de l’emploi et de l’outil de production sur une durée de cinq ans. Je ne commente pas le contenu du communiqué de presse du Gouvernement. Je confirme notre mobilisation conjointe, de manière tripartite, pour l’exécution de ces garanties.

Lorsque nous investissons sur un site, c’est dans une perspective de long terme. Les investissements réalisés au cours des cinq prochaines années auront un impact bien au-delà de cette période. Tous nos investissements industriels s’inscrivent dans le long terme, de quinze à vingt ans.

M. Pierre Vergriete. L’opération est basée sur une valeur d’entreprise d’environ 15 Md€ ; Sanofi en conservera un peu moins de 50 %, ce qui signifie que le montant dont bénéficiera l’entreprise ne s’élèvera pas à la totalité de cette somme.

L’opération est en cours et devrait être finalisée au deuxième trimestre 2025. Il serait prématuré à ce stade de détailler avec précision l’allocation des fonds entre les différentes priorités. Néanmoins, je souhaite réaffirmer que cette opération s’inscrit dans une perspective de développement et de croissance, et non dans une logique financière.

Nos priorités se déclinent comme suit : premièrement, l’investissement organique dans notre recherche et notre appareil industriel ; deuxièmement, la saisie d’éventuelles opportunités d’acquisition et de croissance externe ; troisièmement, un possible retour aux actionnaires. Le président de l’entreprise apportera ultérieurement des précisions complémentaires sur ce dernier point.

Enfin, la politique de distribution de dividendes fait partie intégrante de la vie des entreprises. Il est normal que les actionnaires perçoivent une rémunération appropriée pour leur investissement. Nous veillons à aligner notre politique de distribution de dividendes sur celle de nos concurrents européens, afin de maintenir notre compétitivité.

M. Philippe Charreau. Je rappelle que le Doliprane est un produit quasi exclusivement français, fabriqué en France. 97 % des volumes de Doliprane sont vendus en France. La question de la priorité de fourniture ne se pose donc pas, puisqu’il s’agit d’un produit essentiellement français et qui le restera.

Concernant le projet Seqens, nous confirmons notre participation active. Nous sommes impliqués dans cette initiative visant à relocaliser en France la production du principe actif du paracétamol. Notre entreprise est d’ailleurs le principal contributeur financier à cet investissement – ce dont nous sommes fiers. Ce projet permettra d’établir l’intégralité de la chaîne de valeur en France, depuis la fabrication du principe actif jusqu’au produit fini.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Certains collègues souhaitent obtenir des précisions supplémentaires concernant l’utilisation des 15 Md€ tirés de la vente d’Opella. La question est posée par plusieurs groupes parlementaires et nous souhaiterions obtenir des éléments plus précis : comment cette somme sera-t-elle répartie ? Quelle sera la part réservée aux actionnaires ?

M. Pierre Vergriete. Il est prématuré de se prononcer sur cette question, aucune décision n’a été prise.

Mme Audrey Duval. C’est une décision qui sera prise par le conseil d’administration ou par l’assemblée générale.

Je souhaite revenir sur un point qui revêt une extrême gravité : une allégation non fondée à l’encontre d’une femme occupant des fonctions de direction est, à mes yeux, totalement inadmissible. Ces accusations ayant été réfutées, nous estimons que les propos tenus aujourd’hui à l’égard de dirigeants français sont d’une gravité exceptionnelle.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Exceptionnellement, je cède à nouveau la parole à messieurs de Lépinau et Vojetta, qui ont déjà posé des questions, pour une minute chacun.

M. Hervé de Lépinau (RN). Je vous remercie, madame la présidente, pour la manière dont vous menez les débats.

Madame la présidente Duval, l’intérêt d’un procès en diffamation réside dans la possibilité offerte à la personne citée à comparaître d’administrer ce que l’on nomme l’ « offre de preuve ». Soit monsieur Montebourg, qui a été ministre de l’industrie, détient des éléments probants et il les produira à la justice, soit il en est dépourvu. Dans ce dernier cas, vous obtiendrez sa condamnation et vous laverez l’honneur de votre directrice.

M. Stéphane Vojetta (EPR). Je comprends parfaitement qu’il soit impossible d’obtenir des chiffres précis concernant les dividendes. Néanmoins, je retiens que, sur les 7 Md€ tirés de la vente d’Opella, vous établissez trois priorités : le réinvestissement dans de nouveaux produits, l’acquisition potentielle d’entreprises complémentaires et la rémunération des actionnaires. Étant donné que cette dernière figure en troisième position, j’en déduis qu’elle pourrait représenter moins d’un tiers du montant total.

Par ailleurs, vous semblez avoir omis l’impôt sur la plus-value comptable que vous devrez vraisemblablement acquitter sur cette opération.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je vous cède la parole pour vos remarques conclusives.

M. Pierre Vergriete. Je répète que la répartition des fonds n’a pas été décidée et je confirme qu’il est probable qu’une plus-value soit générée, laquelle sera soumise à l’impôt lors du débouclage de l’opération prévu pour le deuxième trimestre 2025.

Mme Audrey Duval. En réponse à monsieur de Lépinau, je tiens à préciser que toutes les options sont examinées. Il est totalement inacceptable de tenir des propos diffamatoires à l’encontre d’un salarié de l’entreprise ! Absolument inacceptable !

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je vous remercie d’avoir accepté de participer à cette audition.

 


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du jeudi 24 octobre 2024 à 11 heures

Présents. – M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Charles Alloncle, M. Maxime Amblard, M. Karim Benbrahim, M. André Chassaigne, M. Romain Daubié, M. Frédéric Falcon, M. Charles Fournier, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Antoine Golliot, Mme Mathilde Hignet, M. Thomas Lam, Mme Marie Lebec, M. Robert Le Bourgeois, M. Guillaume Lepers, M. Hervé de Lépinau, M. Alexandre Loubet, M. Patrice Martin, Mme Manon Meunier, M. Jérôme Nury, Mme Mathilde Panot, M. René Pilato, M. Boris Tavernier, Mme Aurélie Trouvé, M. Stéphane Vojetta, M. Frédéric Weber

Excusés.  Mme Delphine Batho, M. Philippe Bolo, Mme Christine Engrand, M. Harold Huwart, Mme Hélène Laporte, M. Laurent Lhardit, M. Max Mathiasin, M. Philippe Naillet, M. Matthias Tavel

Assistaient également à la réunion.  Mme Béatrice Bellamy, M. Arthur Delaporte, M. Damien Maudet, M. Charles Rodwell, M. François Ruffin, Mme Mélanie Thomin