Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Audition de Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine 2

 


Mercredi 6 novembre 2024

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 20

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Aurélie Trouvé,

Présidente


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La commission des affaires économiques a auditionné Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. La commission des Affaires économiques a entendu, au cours des dernières semaines, d’importants acteurs du secteur du logement : l’Union sociale pour l’habitat (USH), le groupe Nexity, Action Logement et le groupe CDC Habitat. Tous nous ont dit leurs vives préoccupations.

Nous avons aussi examiné les crédits du logement lors du débat sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Quant aux travaux de nos collègues Annaïg Le Meur et Inaki Echaniz sur la régulation des meublés de tourisme, ils ont abouti, lundi 28 octobre, à la première CMP conclusive de la législature.

Nos concitoyens éprouvent de grandes difficultés à se loger : quatre millions de personnes sont mal logées et, en 2023, les expulsions locatives ont été au plus haut. Les mises en vente de logements neufs ont baissé de 42 % en un an, les taux d’intérêt élevés compliquent l’accession des ménages à la propriété, l’offre de location dans le parc privé reste insuffisante et trop chère. Les demandes de logement social ont atteint cette année le nombre record de 7 millions de demandes, dont 1,8 million émanait de ménages n’ayant jamais vécu en HLM. Vous nous direz comment nous pouvons agir pour relancer l’activité dans le domaine du logement, réduire la précarité énergétique et faciliter l’accès de tous au logement.

La rénovation thermique des logements est un défi quand 12 % des ménages connaissent la précarité énergétique. Le paradoxe est qu’il y a une offre de qualité chez de très petites entreprises et des artisans, et une importante demande potentielle – mais leur rencontre demande le soutien de la puissance publique. Comment comptez-vous dynamiser ce secteur ? Sans doute reviendrez-vous aussi sur les orientations du projet de loi de finances pour 2025 en matière de logement, dont l’examen des crédits en séance publique n’a pas commencé.

Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous présenter la feuille de route du ministère, que je compte mettre en œuvre en lien étroit avec le Premier ministre.

Vous connaissez mieux que personne la complexité des contextes politique et économique. Lors du congrès de l’USH, le président d’Action Logement a décrit l’étendue de la crise du secteur et exposé de façon crue et sincère les menaces qui pèsent sur des centaines de milliers d’emplois. Ces circonstances compliquent l’exercice auquel je vais me prêter devant vous, mais je suis convaincue qu’en matière de logement, on peut au moins parvenir à un constat commun et à une conjonction de bonnes volontés.

Je vous présenterai un plan d’actions à moyen terme, mais je souhaite aussi prendre des mesures qui relèvent de l’urgence, du bon sens et parfois des deux. J’ai pris mes fonctions, il y a deux mois à peine, dans un ministère chargé d’appliquer une politique dont les résultats, compte tenu notamment du contexte budgétaire, n’ont rien d’instantané, mais en faveur de laquelle il faut pouvoir agir vite. Un fait est symbolique : mon administration est, pour la première fois depuis très longtemps, un ministère de plein exercice ; ce fut mon exigence avant d’accepter le poste et le Premier ministre l’a satisfaite.

Pour favoriser l’accession des ménages à la propriété, j’ai proposé au Premier ministre d’étendre le prêt à taux zéro à tout le territoire pour le neuf et de le maintenir pour l’ancien en zone « détendue », tant pour les appartements que pour les maisons.

Pour « respirer » et investir, les bailleurs sociaux ont besoin de fonds propres et de capacités d’emprunt. Le taux de rémunération du livret A baissera le 1er février 2025, mon collègue Antoine Armand et le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations Éric Lombard me l’ont assuré. Nous calibrerons au mieux cette réduction, qui devrait être importante.

Avec l’extinction, le 1er janvier prochain, du dispositif « Pinel », il faut aussi soutenir l’investissement locatif. Je suis attentive aux propositions de votre assemblée visant à exonérer de droits de mutation en cas de donation aux enfants et petits-enfants qui achèteraient un logement neuf avec les sommes cédées.

Je souhaite également mener une action de moyen terme résolue, pragmatique et efficace pour chaque étape du parcours résidentiel des plus vulnérables, des ménages modestes et de la classe moyenne.

Loger mieux suppose de produire des logements. Nous devons diminuer les coûts en simplifiant les règles d’urbanisme et les normes de construction ; je pense tout particulièrement aux territoires ultramarins et insulaires, où les difficultés sont patentes. Je veillerai à ce que les orientations prises au niveau européen tiennent compte de ces enjeux et aussi, pour maîtriser les coûts, à ce que les textes européens ne soient pas surtransposés en droit interne. Je reprendrai toutes les mesures de simplification consensuelles déjà débattues en usant de véhicules législatifs qui permettront leur adoption le plus vite possible.

Il faut aussi développer l’industrie de la transformation urbaine. C’est l’objet de la proposition de loi de votre collègue Romain Daubié visant à transformer des bureaux en logements. Le Gouvernement soutient ce texte et je veux croire qu’il achèvera rapidement son parcours législatif. Nous devons aussi mieux inciter à la réhabilitation des friches commerciales ; je serai attentive à toutes vos propositions sur ce sujet.

La compression de l’échelle des salaires donnant au logement social une place toujours plus importante dans les parcours résidentiels, les bailleurs sociaux sont les principaux producteurs de logements. La Caisse des dépôts et consignations a souligné leur difficile situation. Ils ne pourront s’en extraire que par des engagements conjoints garantissant l’investissement de tous. Ainsi ira-t-on au-delà des 82 000 logements agréés en 2023.

Nous ne produirons pas sans les élus locaux. La simplification des procédures de délivrance des autorisations d’urbanisme et d’obtention de dérogations aux plans locaux d’urbanisme est nécessaire.

Loger mieux implique aussi de produire des logements répondant aux besoins. La solidarité nationale doit apporter son concours à certains publics – c’est l’un des piliers du pacte républicain. Cela vaut d’abord pour les personnes sans abri, et nous allons maintenir dans le projet de loi de finances pour 2025 les 203 000 places d’hébergement d’urgence ouvertes aujourd’hui, ce qui représente un coût de 6,5 millions d’euros (M€) tous les soirs. Il faut maintenir la dynamique du plan Logement impulsé par le président de la République en 2018 et amplifier la mobilité résidentielle par un partenariat renforcé avec le ministère de l’intérieur et le ministère de l’emploi. Je serai aussi très attentive au développement de la prise en charge de l’hébergement des femmes victimes de violences. De manière générale, il nous faut améliorer la mobilisation interministérielle des ministères de l’intérieur, de l’emploi, de la santé, des solidarités et de l’éducation nationale.

L’État est aussi responsable du logement étudiant, dont nous devons assurer la production avec les bailleurs sociaux, les gestionnaires privés et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires. Il faut aussi tendre vers le logement étudiant intermédiaire pour les étudiants des classes moyennes. De manière générale, nous devons simplifier les normes et accompagner les projets : je mobiliserai les préfets en ce sens, en lien étroit avec mon collègue Patrick Hetzel.

Je souhaite également favoriser le logement intergénérationnel et les nouvelles formes d’habitat collectif pour permettre aux personnes âgées de continuer à vivre à domicile le plus longtemps possible. Je veux lancer une mission sur ce sujet, dont les conclusions seraient rendues avant la fin du premier trimestre 2025, tout en veillant au renforcement et à l’accessibilité du dispositif MaPrimeAdapt’.

Loger mieux implique de mobiliser le parc existant et de l’exploiter mieux, d’abord en favorisant la location de longue durée dans le parc privé. Un premier jalon a été franchi pour la régulation des meublés de tourisme avec la proposition de loi des députés Annaïg Le Meur et Inaki Echaniz. Je veux croire que ce texte, qui relève selon moi des mesures d’urgence, sera définitivement adopté demain. Nous devons maintenant mener un travail approfondi sur la rentabilité et la sécurité de la location résidentielle. Pour rassurer propriétaires et locataires, il faut simplifier l’accès au logement en révisant les dispositions contractuelles, en prévenant plus efficacement les impayés de loyer et en examinant chaque poste de coûts et de revenus : charges, travaux, loyers. Je souhaite que le dispositif d’encadrement des loyers soit évalué dès le milieu de l’année prochaine, en mobilisant bien sûr votre commission.

Il nous faut aussi mieux exploiter le parc social existant. Les bailleurs sociaux remplissent déjà une tâche de gestion locative dont ils cherchent à améliorer la performance, comme le montre le thème du prochain congrès HLM. Nous devons définir des mesures favorisant la mobilité des locataires. Par exemple, les bailleurs qui souhaiteraient baisser le loyer d’un logement neuf pour accueillir une personne âgée qui occupait jusqu’alors un T4 ou résidait au 4e étage sans ascenseur pourraient moduler à la hausse des loyers d’autres logements pour tenir compte de cet effort.

Exploiter mieux le parc de logements existants, c’est encore assurer sa rénovation énergétique, en lien avec la ministre Agnès Pannier-Runacher. Cette exigence concerne aussi les bâtiments tertiaires. L’État investit massivement dans la rénovation du parc résidentiel privé par le biais du dispositif MaPrimeRénov’, dont les crédits sont calibrés pour financer 350 000 rénovations en 2025. Les critères et les paramètres actuels seront maintenus, singulièrement sur le financement des travaux monogestes. Nous continuerons d’accompagner la filière, de simplifier l’accès au label RGE, de déployer le service public de la rénovation avec les collectivités et de faciliter les financements et nous procéderons aux ajustements nécessaires pour assurer le respect des objectifs et des jalons. Je soutiendrai la proposition de loi annoncée par les députés Bastien Marchive et Inaki Echaniz. Nous nous appuierons également sur les bailleurs sociaux : j’ai obtenu le report de l’enveloppe de 200 M€ de crédits destinés à financer des rénovations en 2025 et à poursuivre la mobilisation engagée par tous les bailleurs.

Je serai évidemment mobilisée dans la lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil. J’ai une pensée pour les victimes des effondrements d’immeubles de la rue d’Aubagne à Marseille et pour toutes les victimes du mal-logement. Nous mettrons tout en œuvre pour lutter contre ce fléau, en nous appuyant sur la loi récemment adoptée.

Élue d’un territoire du bassin minier, je connais la désindustrialisation, l’habitat indigne, les centres-villes qui se vident. Je porte le besoin de planifier, de soutenir et de financer, et je pense qu’une vision de l’aménagement du territoire est nécessaire au niveau local et au niveau national. Mon action sera guidée par le souci d’un développement territorial équilibré. L’État, au côté des collectivités, s’engage à conduire des opérations stratégiques de production de logements par le biais des établissements publics d’aménagement et des établissements publics fonciers, et aussi par des démarches partenariales, comme les projets partenariaux d’aménagement et les territoires engagés pour le logement, dont de nouveaux contrats seront bientôt signés et financés par le dégel des crédits que j’ai obtenu.

En cohérence avec nos objectifs de sobriété foncière et de protection des espaces agricoles, naturels et forestiers, je contribuerai au travail conduit par ma collègue Catherine Vautrin sur l’adaptation du cadre du « zéro artificialisation nette » (ZAN) pour en permettre une application plus facile et plus souple, en étant très attentive à ce que la question du logement soit bien prise en compte.

La puissance publique a un rôle à jouer dans la réflexion sur les liens entre emploi et logement. Je salue le travail d’Action Logement. Certaines dynamiques locales demandent probablement des expérimentations avec le soutien de l’Etat.

Enfin, je sais l’inquiétude que suscite l’avenir de la politique de la ville. Le sujet, qui me tient particulièrement à cœur, me mobilisera pleinement. Le taux de pauvreté dans les quartiers concernés est de 42,3 %, trois fois supérieur à la moyenne métropolitaine, et le taux de chômage y est de 18 % – et même 25,6 % pour les jeunes. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation. Je porterai une politique territoriale forte en donnant une priorité ferme au recours au droit commun. Les quartiers concernés n’ont pas besoin d’annonces politiques en trompe-l’œil, mais d’une mobilisation durable, d’un réflexe lors de l’élaboration de toutes les politiques publiques visant à ce qu’elles pénètrent jusqu’en leur cœur. Ce sera l’un des principaux objectifs du comité interministériel des villes qui pourrait être réuni au début de l’année prochaine.

Je porterai une politique territoriale forte caractérisée par une coordination effective entre les collectivités territoriales, les agences et opérateurs de l’État et les associations. Bien entendu, je serai attentive à l’application des programmes dont l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) est l’opérateur. Tous les crédits ont été répartis et tous les quartiers sont en chantier : 3 460 opérations ont été livrées, douze mille sont en cours de réalisation et plus de 4 Md€ de subventions ont été versés. L’État continuera de prendre sa part en 2025.

La crise que subit le secteur exige des réponses de court terme et de moyen terme. Je sais pouvoir compter sur vous, et vous pourrez compter sur mon écoute en vue d’un travail en coproduction.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Frédéric Falcon (RN). Nous sommes heureux de vous accueillir en tant que ministre de plein exercice : c’est une véritable avancée. Vos propos sont en rupture avec ce que nous avons entendu ces dernières années. Vous avez évoqué la nécessité de simplifier les normes et j’espère que cela se fera, mais le Gouvernement reste timide. Ainsi, il n’a pas l’air de vouloir réviser le calendrier de l’indécence énergétique, qui semble pourtant intenable. De même, aucune annonce n’a été faite sur le calendrier d’application, tout aussi intenable, de la réglementation environnementale RE 2020. Quel serait l’assouplissement du ZAN que vous avez mentionné ?

La généralisation du prêt à taux zéro et son extension aux maisons sont de sages décisions attendues par tous les acteurs du secteur. De même, l’exonération des droits de mutation à titre gratuit si la donation est fléchée vers l’investissement dans les logements neufs, l’ancien « amendement Balladur », est une excellente solution : pour quand est-elle prévue ?

Mais nous avons été inquiets d’apprendre que le Gouvernement envisageait d’augmenter les droits de mutation à titre onéreux, déjà très élevés en France. Ce serait néfaste pour le secteur, car cela ferait mécaniquement augmenter les frais d’acquisition des Français et diminuer leur pouvoir d’achat immobilier. Nous souhaitons également être rassurés sur les velléités de rétablissement de la taxe d’habitation ou d’une taxe ressemblante : qu’en est-il ? Enfin, je pense comme vous que l’on ne pourra sortir de cette crise sans une politique d’aménagement du territoire digne de ce nom. Alors que tout le monde veut vivre dans les grandes métropoles ou le long du littoral, il faudrait qu’une nouvelle version de l’ancienne délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (Datar) ait pour mission de rendre leur attractivité aux territoires délaissés.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Avant de donner la parole au premier orateur inscrit, j’aurais dû rappeler la nouvelle règle adoptée ce matin à l’unanimité par le Bureau de notre commission : les orateurs de groupe ne peuvent s’exprimer que trois minutes au maximum et la personne entendue peut répondre dans la limite d’un temps d’échange total de quatre minutes par question : le laps de temps imparti à la ministre pour répondre dépendra donc du temps qui aura été utilisé par l’orateur pour l’interroger, mais elle aura toujours la possibilité de s’exprimer librement à la fin des interventions des groupes.

Mme Valérie Létard, ministre. Je vous remercie d’avoir salué les avancées proposées à ce stade de l’examen du projet de loi de finances pour 2025. Le dispositif dit « amendement Balladur » est une mesure conjoncturelle destinée à relayer le dispositif Pinel, qui a atteint son terme, pour maintenir la capacité d’investir et de produire des logements. Au‑delà de cette mesure provisoire, nous devrons rapidement, mon collègue Laurent Saint-Martin et moi-même, enclencher une réflexion sur le statut du bailleur privé. Enfin, j’ai exprimé des réserves sur l’augmentation éventuelle des droits de mutation à titre onéreux, envisagée à la demande des grandes associations d’élus. J’ai appelé l’attention de ma collègue Catherine Vautrin sur la nécessaire prudence qu’appellerait une évolution, étant donné son impact possible sur le secteur du logement.

M. Bastien Marchive (EPR). Je vous remercie d’être venue exposer les solutions que l’on pourra mettre en œuvre pour garantir à tous les Français un accès à un logement digne, abordable et durable. Je salue votre nomination à un ministère enfin redevenu de plein exercice. La pandémie et la guerre en Ukraine ont profondément déstabilisé le marché, l’inflation a entraîné la hausse des coûts de production, des loyers et des taux d’intérêt. Tout cela a eu raison de la capacité d’emprunt des ménages et freiné la construction et la rénovation des logements. La situation se stabilise, mais les défis restent nombreux.

C’est d’abord le défi financier de la construction de nouveaux logements : le dispositif relatif aux droits de mutation à titre gratuit que vous avez mentionné va dans le bon sens. C’est aussi la question foncière, car la fiscalité encourage la rétention.

La rénovation énergétique, secteur en pleine structuration, a besoin de stabilité pour créer les conditions d’une diminution durable de nos émissions de gaz à effet de serre. Je vous sais sensible à ce sujet, dont nous avons parlé pendant l’élaboration, par mon collègue Inaki Echaniz et moi-même, d’une proposition de loi visant à mieux concilier l’obligation de rénovation énergétique et la protection des propriétaires et des locataires.

Le défi est aussi celui d’un meilleur accès au logement social. Ce qui, à l’origine, devait être une solution temporaire dans un parcours résidentiel devient souvent le logement d’une vie, en raison d’une mobilité largement insuffisante au sein du parc et de constructions ou de rénovations qui le sont tout autant.

Ce sont autant de chantiers qu’il nous faudra ouvrir si nous souhaitons engager une nouvelle phase de prospérité pour le logement. Quelles devraient être les priorités d’action pour endiguer la crise du logement ? Un calendrier législatif est-il déjà envisagé ?

Mme Valérie Létard, ministre.  Dans une conjoncture compliquée, la baisse du taux du livret A sera essentielle. J’ai rappelé les axes de notre action et leur traduction budgétaire. Nous poursuivrons la réflexion sur l’accompagnement du secteur du logement social. Se pose la question de l’indexation de la réduction de loyer de solidarité (RLS) et des moyens complémentaires qu’il faudrait mobiliser pour accompagner la relance de la construction et soutenir les bailleurs sociaux. Nous nous y attellerons au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 2025. Nous traiterons du foncier avec ma collègue Catherine Vautrin pour le ZAN, car le logement doit retrouver toute sa place.

M. François Piquemal (LFI-NFP). Selon le collectif « Les Morts de la rue », 735 personnes sont mortes à la rue en 2023, et 4 438 au minimum depuis le début du quinquennat de monsieur Macron. Chaque jour, dans notre pays, deux personnes meurent à la rue dans le silence de notre indifférence. Chaque mois, soixante personnes meurent de non‑assistance à personne en danger dans un pays qui compte plus de trois millions de logements vacants. Combien y aura-t-il de personnes supplémentaires à la rue l’année prochaine, après qu’en 2023, 19 000 ménages ont été expulsés par la force – une hausse de 17 % par rapport à 2022, de 150 % en vingt ans ? La loi « Kasbarian-Bergé », plagiant les idées du Rassemblement national, accélérera la tendance, puisqu’elle réduit les délais de recours possibles pour les locataires qui, de plus en plus nombreux, galèrent pour boucler leurs fins de mois avec la stagnation des revenus, l’inflation et la cherté des loyers, et sont donc exposés à ne pouvoir payer leur loyer.

Suivrez-vous notre proposition visant à généraliser l’encadrement des loyers et à instaurer la garantie universelle des loyers pour lutter contre la spéculation locative ? Mettrez‑vous fin à la ponction en cours dans les trésoreries des offices HLM – notamment avec la RLS, qui restreint la construction et la rénovation du parc public – alors que plus de 2,7 millions de ménages attendent un logement social ? À court terme, quelles solutions pour les 330 000 sans-abri de France ? Entre 1971 et 1975, notre pays a été capable de construire pas moins de cent cinquante mille lits dans le cadre du plan « Neige », c’est-à-dire à des fins touristiques. Un effort similaire est-il prévu pour éviter que l’on meure à la rue en France ?

Mme Valérie Létard, ministre. Personne ne peut être insensible aux chiffres que vous avez cités. Mais, vous le savez, ma première initiative a été de m’assurer qu’en dépit du contexte économique, le budget pour 2025 financerait toujours 203 000 places d’hébergement d’urgence. Cette réponse n’est peut-être pas satisfaisante, mais, croyez-moi, cela n’allait pas de soi. D’autre part, une enveloppe sécurisée est prévue dès 2024 pour compenser l’extension de la prime « Ségur », une question qui inquiétait la Fédération des acteurs de la solidarité.

J’ai fait savoir à madame la présidente Aurélie Trouvé qu’une évaluation de l’encadrement des loyers pourrait avoir lieu avec votre commission en 2025.

La RLS a toujours été mon combat. Le contexte budgétaire ne permettra pas tout, mais le débat sur le projet de loi de finances pour 2025 n’est pas terminé. Nous souhaitons supprimer l’indexation de la RLS, je vous l’ai dit, et aller un peu plus loin avec l’USH pour trouver des solutions. Le cheminement n’est pas terminé et je continue de défendre l’idée que l’on doit accompagner les bailleurs sociaux dans la construction et la rénovation de logements.

M. Inaki Echaniz (SOC). Je vous remercie de votre soutien au texte visant à réguler le nombre de meublés de tourisme et qui sera, je l’espère, adopté demain en séance publique. Élaborée dans un esprit constructif avec les parlementaires de nombreux bancs et beaucoup d’élus locaux, cette proposition de loi est une belle avancée, mais beaucoup reste à faire pour améliorer rapidement les conditions d’accès au logement. C’est l’objet de nombreux amendements du groupe socialiste au projet de loi de finances : incitation à la remise sur le marché de logements vacants – beaucoup de grandes capitales sont en avance sur ce sujet ; élargissement du prêt à taux zéro et rétablissement de l’aide personnalisée au logement pour l’accession (APL accession) ; augmentation de l’abattement fiscal prévu dans le dispositif « microfoncier » pour inciter les bailleurs à privilégier la location nue de longue durée ; soutien financier aux bailleurs sociaux ; enfin, enveloppe de 300 M€ pour combler au moins une partie de la RLS. Soutiendrez-vous en particulier ces deux dernières mesures, qui ont été adoptées ?

Beaucoup reste aussi à faire pour accélérer la rénovation de logements, alors que trop de Français vivent mal dans des bouilloires et des passoires thermiques. Mon collègue Stéphane Delautrette, qui avait proposé la garantie universelle des loyers pour rétablir la confiance entre propriétaires et locataires, proposera un texte dont il vous exposera la teneur.

Il reste bien du travail à faire pour garantir aux locataires des logements en bon état. La pression sur l’offre est le terreau de nombreuses illégalités : plomberie vétuste, insalubrité, baux illégaux, etc. En zones tendues, les congés donnés frauduleusement et les baux « mobilité » sont la voie royale pour se débarrasser d’un locataire. Faute de pouvoir acheter, les ménages se tournent de plus en plus vers la location et leurs droits doivent être mieux garantis. En mars dernier, les socialistes ont déposé une proposition de loi visant à mieux encadrer les congés locatifs en faisant porter la charge de la preuve de la légalité du congé sur le bailleur, en allongeant les délais de préavis dans les zones tendues et en recensant les congés pour en évaluer la progression. Quelles mesures en faveur d’une meilleure qualité de vie pour les locataires dans un logement digne et durable soutiendrez-vous ?

Mme Valérie Létard, ministre. Les initiatives parlementaires nourrissent et font prospérer des solutions visant à améliorer nos politiques de logement. Vous en évoquez une série, dont certaines ont déjà été adoptées. Je vous ai dit être sensible à la question de la RSL, mais, vous le savez, la préparation des mesures et leur aboutissement budgétaire demandent un long chemin. Je salue votre initiative relative au logement social : je ne peux pas vous dire aujourd’hui qu’elle sera reprise telle quelle, mais je me bats pour aller dans la même direction.

Je ne puis vous donner de réponse maintenant sur un éventuel encadrement plus strict des congés locatifs, mais je m’engage à travailler cette question et à discuter avec vous de la proposition de loi que les socialistes avaient déposée à ce sujet.

M. Jérôme Nury (DR). Votre discours volontariste et énergique est rassurant, revigorant et réjouissant, et le fait que votre ministère soit de plein exercice est un bon signal pour le secteur du logement. Mais sur le fond, du chemin reste à faire pour convaincre l’élu rural que je suis. Il est urgent de sortir de l’idéologie écolo-marxiste qui trucide nos campagnes. Que le ZAN soit adapté dans les zones urbaines et péri-urbaines, soit ; mais dans nos campagnes vertueuses en termes de consommation de terres agricoles, ce dispositif doit être purement et simplement abrogé, sinon il va nous tuer.

Il est bon d’étendre le prêt à taux zéro à tout le territoire, mais il faut aussi l’ouvrir aux logements neufs des zones rurales, car, dans nos campagnes aussi, on peut aspirer à vivre dans une maison neuve pour avoir un peu de terrain, un potager, un chien, un cheval ou un âne et faire un barbecue le dimanche. Quelle action mènerez-vous à l’égard des campagnes et du logement dans les territoires ruraux ?

Mme Valérie Létard, ministre. C’est ma collègue Catherine Vautrin qui pilotera le lien avec les territoires et la nécessaire transformation du ZAN. Mais il faut prendre garde : de nombreuses régions ont déjà adopté leur schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) et réparti les enveloppes entre les schémas de cohérence territoriale ; si l’on casse tout, on risque de recréer un blocage. Je suis favorable à l’assouplissement du ZAN, je l’étais lorsque j’étais sénatrice et j’ai toujours cherché à ce que l’on redonne des marges de manœuvre aux territoires, mais de manière mesurée.

Je me suis battue pour que le prêt à taux zéro soit étendu à tout le territoire, parce que je considère que l’on ne saurait donner toutes les possibilités à un jeune primo-accédant modeste qui vit dans en zone métropolitaine et aucune à un autre au motif qu’il a le « malheur » d’habiter à la campagne : une telle iniquité n’a pas lieu d’être. Si vos revenus vous permettent d’être éligible au prêt à taux zéro, que ce soit pour acquérir un logement individuel ou situé dans un immeuble collectif, neuf ou ancien, dans un secteur tendu ou dans la ruralité, tous les feux sont désormais au vert, même si – et c’est une évidence –  chaque collectivité devra être économe de son foncier en raison du ZAN :  les documents d’urbanisme, tout en laissant la possibilité de construire des logements individuels, devront s’attacher à ce que les permis délivrés ne conduisant pas à artificialiser des parcelles trop importantes. Les maires ont compris, je pense, que c’est leur intérêt et que l’on peut joindre l’utile à l’agréable, être responsable et écouter les besoins des habitants.

M. Boris Tavernier (EcoS). « Il faudra travailler avec le Parlement. Aujourd’hui, l’état du budget « Logement » n’est pas satisfaisant. Tel que déposé, des amendements gouvernementaux, mais aussi parlementaires, viendront utilement le compléter » : c’est ce que vous déclariez mi-octobre, à juste titre. Depuis lors, de nombreux amendements adoptés en séance et en commission ont utilement complété ce budget.

Il y a urgence à relancer la construction de logements sociaux. Dans le Rhône, on compte plus de huit demandes pour une attribution ; en France, plus de 2,6 millions de ménages sont en attente d’un logement social. C’est pourquoi notre Assemblée a adopté un amendement, très attendu par les professionnels du secteur, visant à rétablir le taux de TVA de 5,5 % pour toutes les constructions neuves et pour les travaux réalisés dans les logements sociaux existants. Le soutiendrez-vous ?

En 2023, 735 personnes sans domicile fixe sont mortes dans la rue, un nombre en augmentation. Dormir dans la rue tue. Pourtant, le projet de loi de finances gèle les capacités d’accueil en hébergement d’urgence, alors que 2 043 enfants sont contraints de dormir dans la rue. Il faut augmenter les capacités d’hébergement d’urgence et, lundi dernier, la commission des Finances a utilement complété le projet de loi de finances en ce sens. Plaiderez-vous en faveur d’une hausse des moyens alloués à l’hébergement d’urgence ?

On peut, avec le logement, mener une politique écologique et populaire, bonne pour le climat, le porte-monnaie et le confort de vie. Ainsi, plusieurs amendements ont été adoptés en commission qui visent à renforcer les crédits de la rénovation thermique des bâtiments. L’un d’eux vise à renforcer les crédits alloués à MaPrimeRénov’ afin d’adapter les logements aux fortes chaleurs. Quelle est votre position sur ces amendements ?

Alors que le texte initial du projet de loi de finances proposait une inconsciente baisse de 14 % des crédits de la politique de la ville, un amendement de ma collègue Danielle Simonnet a été adopté, qui rétablit ces crédits essentiels. D’autres amendements ont renforcé les moyens de l’Anru et complété les crédits des contrats de ville. Quel budget défendrez-vous pour les quartiers populaires ?

Sur l’hébergement d’urgence, la construction de logements sociaux, la rénovation énergétique des bâtiments et la politique de la ville, l’Assemblée nationale a donc « utilement » complété le projet de loi de finances. Quel avis portez-vous sur les amendements adoptés ?

Mme Valérie Létard, ministre. Vous avez balayé un champ extrêmement large et je ne suis pas en mesure de vous répondre en détail en une minute. Mais vous avez noté que dans un contexte budgétaire extrêmement contraint où l’on nous demandait plutôt de réduire la voilure, j’ai proposé de rehausser d’un cran le prêt à taux zéro, de reprendre le dispositif « Balladur », de revoir la RLS et d’accompagner la production de logements sociaux. La TVA à 5,5 % aura été le combat de trop : l’idée ne me déplaisait pas ; simplement, le contexte étant celui que l’on sait, j’ai déjà obtenu beaucoup sur la rénovation urbaine, je me suis battue pour que l’on ne propose pas un budget Anru à zéro mais que l’on remette des moyens. Je sais qu’ils ne sont pas suffisants, mais, je vous l’ai dit, nous allons réexaminer à nouveau la politique de la ville et la rénovation urbaine. Je ne peux vous dire « oui » à tout, mais j’ai tous ces sujets en tête, dont le logement social et les investisseurs privés – la crise du logement et de l’hébergement d’urgence est telle qu’il faudra agir sur tous les maillons et, partout, pousser les curseurs au plus loin de ce que l’on me permettra.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Au nom du groupe démocrate, je vous félicite pour votre nomination et vous assure de notre soutien sur le dossier crucial du logement. Députée d’un département rural, le Puy-de-Dôme, je ne parlerai pas du ZAN, sujet essentiel pour nos communes et déjà abordé, mais de la nécessité d’accompagner la rénovation du bâti rural public et privé.

Le plan « France ruralité » comporte des actions en faveur de l’habitat en milieu rural. Elles concernent : d’une part, la lutte contre le logement vacant en milieu rural, par la création d’une prime de sortie de vacance de 5 000 euros pour les propriétaires qui effectuent des travaux de réhabilitation ou qui rendent des résidences secondaires disponibles à des publics cibles ; d’autre part, l’accompagnement de la réhabilitation du logement en milieu rural, l’Agence nationale de l’habitat (Anah) y consacrant cent millions d’euros sur cinq ans. Aujourd’hui, les communes bénéficient également d’autres programmes, tels « Cœur de ville », « Petites Villes de demain » et « Villages d’avenir », pour travailler en amont sur l’ingénierie territoriale et l’aménagement des centres bourgs.

Le potentiel de rénovation des cœurs de villages permet de répondre aux enjeux du ZAN. Aujourd’hui, il n’existe aucun modèle économique allant de l’ingénierie à la finalisation des travaux pour accompagner la réhabilitation du bâti rural, public ou privé. Les maires ruraux de France ont appelé à un « plan Marshall de rénovation du bâti rural » pour accompagner les élus, et le président de l’association des maires ruraux du Puy-de-Dôme propose de créer, sur le modèle de l’Anru, une Agence nationale de rénovation rurale. Cette agence accompagnerait les élus des territoires ruraux tout au long du projet et, alors que 54 % des habitants des zones rurales ont renoncé à chauffer leur logement par manque d’argent – la moyenne nationale est de 42 % –, elle pourrait intervenir dans les financements et l’information sur les dispositifs, en contournant la frilosité des opérateurs bancaires. Cette proposition vous paraît-elle pertinente ?

Mme Valérie Létard, ministre. Une stratégie d’aménagement équilibré et équitable du territoire pour les zones urbaines et les zones rurales est nécessaire. De nombreux outils existent déjà pour l’habitat rural, mais une vision globale s’impose. Peut-être conviendra-t-il de créer une mission chargée d’une réflexion d’ensemble. J’en parlerai avec ma collègue Françoise Gatel et nous nous mettrons en relation avec vous.

M. Harold Huwart (LIOT). Je salue votre engagement et votre combativité, mais les propos de certains de vos collègues lors du débat budgétaire laissent un sentiment mitigé sur vos chances de réussite, pourtant dans l’intérêt du pays. Quelques sujets méritent une attention particulière.

Le premier est le ZAN : le flottement actuel amène certaines régions à confirmer leur schéma régional d’aménagement et d’autres à le suspendre, ce qui aura des conséquences préjudiciables pour les zones rurales.

Il y a aussi la RLS ; la crise du logement est une bombe sociale à retardement et nous soutiendrons les propositions visant à atténuer l’impact de ce prélèvement sur la trésorerie des bailleurs sociaux. Ceux-ci, dont j’étais il y a quelques mois encore, jouent un rôle capital, puisqu’ils répondent à une demande fondamentale, et votre implication vous attire leur vive reconnaissance. Nombre d’entre eux jugent qu’il serait bon d’instaurer un tarif social de l’électricité, car cette charge pèse considérablement sur le budget des ménages : qu’en pensez-vous ?

Le code de l’habitat actuel est une armoire à pharmacie rassemblant des produits à demi éventés. Des strates de dispositions archéologiques, plus ou moins adaptées aux besoins de notre temps, s’accumulent. Comment parviendrez-vous à une simplification réelle par le toilettage de règlements et de dispositions législatives obsolètes – et même contre-productives ?

Mme Valérie Létard, ministre. Mes collègues s’astreignent à honorer notre engagement budgétaire et, dans le respect du travail gouvernemental collectif, chacun s’essaye à défendre au mieux les sujets sur lesquels nous sommes attendus. Les arbitrages ne sont jamais à la hauteur des aspirations, mais des dispositions ont déjà été prises qui permettront d’améliorer les choses.

La simplification des procédures s’impose pour éviter le blocage de grands textes. Elle peut faire l’objet d’une initiative parlementaire à partir de laquelle nous cheminerons. Ancienne parlementaire, pragmatique, je suis convaincue de la capacité transpartisane des Chambres à trouver des solutions.

M. Charles Alloncle (UDR). Ma question porte sur la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Notre parc social aurait pu être notre honneur, en permettant aux travailleurs modestes et à leurs familles d’accéder à un logement décent. Mais il est trop souvent détourné de sa vocation par certaines municipalités, qui en font une source de clientélisme, et on assiste au développement de ghettos comptant jusqu’à 50 % de logements sociaux. Ces décisions politiques alimentent le communautarisme et trahissent le pacte républicain.

Notre parc HLM est devenu, malgré lui, une trappe à pauvreté et le taux de rotation, de l’ordre de 8 %, y est trop faible. Quand vous entrez dans un logement HLM, vous avez toutes les chances d’y être assigné à vie. D’autre part, l’Insee relevait l’année dernière que notre parc social est largement préempté par une population à bas revenus issue de l’immigration. Alors que 11 % seulement des ménages non immigrés sont locataires d’un office HLM, ce chiffre s’élève à 35 % pour les ménages immigrés – et même 49 % pour les ressortissants algériens. Certains élus peu scrupuleux abusent de ce levier pour faire prospérer une manne électorale dans leur commune.

On parle beaucoup des pénalités financières imposées aux villes qui ne construisent pas assez de logements sociaux, mais on n’ose pas évoquer les pénalités qui devraient être appliquées aux communes qui en construisent trop. C’est pourtant ce que réclament certains grands élus locaux, qui essayent de mettre ce sujet sur la table depuis plusieurs années. Que comptez-vous faire pour lutter contre la concentration excessive de logements sociaux et la regrettable absence de mixité qu’elle entraîne ?

Mme Valérie Létard, ministre. Vous imputez à la concentration de populations immigrées – ou issues de l’immigration – la responsabilité de bien des choses. Mais ce qu’il faut, c’est actionner tous les leviers permettant de construire plus de logements pour permettre une plus grande mobilité à l’intérieur du parc, et assurer la mixité sociale par les politiques de la ville et de la rénovation urbaine, pour faire de tous les quartiers des quartiers de ville à part entière : développement des commerces, des services publics, de la mobilité. Cela n’a rien à voir avec l’origine des gens.

La clef de la mixité sociale dans les quartiers, c’est la relance de la production de logements, l’accession sociale à la propriété, l’élargissement de l’éligibilité aux prêts à taux zéro pour renforcer la fluidité dans le parc, etc. On ne peut résumer les problèmes du logement à la question de l’immigration et on ne peut véritablement pas se satisfaire des propos que vous avez tenus. Les collectivités gèrent les politiques d’attribution des logements sociaux et s’attachent à la mixité dans les quartiers, à tous points de vue. Nous réussirons en poursuivant l’effort en faveur de la production de logements sociaux et en laissant une place à chacun sur notre territoire, et par aucune autre voie.

Je pense avoir largement balayé les sujets abordés par les orateurs des groupes, mais si vous souhaitez des approfondissements, je vous adresserai des réponses écrites.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des autres députés. Conformément à la nouvelle règle adoptée à l’unanimité par notre Bureau, le temps de parole de chacun est d’une minute.

M. Jean-Luc Fugit (EPR). Dans ma circonscription au sud du département du Rhône, certaines communes telle Givors, où j’habite, comptent plus de 40 % de logements sociaux, d’autres beaucoup moins. En parlant avec les maires des communes considérées, on constate que tout n’est pas simple ; malgré les progrès accomplis ces dernières années, les services de l’État se montrent à juste titre exigeants et cela crée parfois des tensions. Ne faut-il pas favoriser l’offre de logements la plus complète possible, en incluant des logements intermédiaires dans le périmètre de la loi SRU ?

Mme Valérie Létard, ministre. Plusieurs améliorations à la loi SRU ont déjà été apportées. Ainsi les contrats de mixité sociale, dont quatre cents ont été signés. Mais cet outil, qui permet de limiter les sanctions financières appliquées aux collectivités, est fortement sous-utilisé ; c’est dommage. Dans un contexte politique complexe, la loi SRU est un sujet sur lequel il faut avancer avec prudence.

Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). La Journée nationale contre la précarité énergétique aura lieu le 12 novembre prochain. Dans la septième puissance mondiale, la précarité énergétique frappe douze millions de personnes – un cinquième de nos concitoyens souffrent du froid, certains en meurent et, selon une étude du ministère de la transition écologique, si rien n’est fait, plus de dix mille personnes mourront d’ici 2034 pour cette raison. La rénovation des passoires énergétiques est une nécessité. Pourtant, vous avez réduit de 1,5 Md€ les crédits alloués à la prime consacrée à la rénovation énergétique dans le projet de loi de finances pour 2025. Heureusement, le NFP a réussi à rectifier les choses en commission des Finances et nous continuerons la bataille. Qu’attendez-vous pour faire enfin de la rénovation thermique une priorité ?

Mme Valérie Létard, ministre. On peut toujours faire mieux, mais vous savez très bien que l’effort considérable consenti par le biais de l’Anah et de MaPrimeRénov’ a permis des interventions massives. Je vous l’ai dit, 350 000 rénovations thermiques devraient être financées en 2025 ; ce n’est pas négligeable. Le grave sujet de la précarité énergétique doit être traité effectivement. C’est l’objet de la proposition de loi annoncée de vos collègues Bastien Marchive et Inaki Echaniz.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Le placement en liquidation judiciaire de l’entreprise Maisons Kervran, constructeur emblématique de maisons individuelles, a provoqué une onde de choc dans le Finistère. Une soixantaine de salariés sont laissés sans emploi, des sous-traitants sans activité et des centaines de clients dans une incertitude profonde avec des chantiers à l’arrêt. Alors que la Fédération française du bâtiment alerte sur l’effondrement du secteur, comment soutiendrez-vous les entreprises confrontées au risque de cessation d’activité ? Quelles mesures d’urgence – et avec quels mécanismes – envisager pour protéger les ménages démunis et débloquer la situation dans laquelle les laissent ces faillites ? Comment mieux protéger ces acheteurs qui, juridiquement, ne sont pas encore des propriétaires ?

Mme Valérie Létard, ministre. J’ai pris mes fonctions il y a quelques semaines seulement, mais nous avons retroussé nos manches et fait plusieurs propositions dont j’ai rappelé la teneur. L’une a trait au prêt à taux zéro, une autre concerne la réflexion avec les promoteurs sur des solutions intermédiaires. Sur le plus long terme, mon collègue Laurent Saint-Martin et moi-même comptons nous inspirer d’un travail parlementaire sur le statut du bailleur privé. Notre objectif est de retrouver les marges de manœuvre nécessaires pour relancer très vite la construction, grâce à des outils et des incitations qui redonneront confiance après une période difficile due à l’augmentation des taux d’emprunt, des coûts de construction et des assurances constructeurs.

M. Jean-Pierre Vigier (DR). Il importe d’adapter le ZAN aux spécificités des territoires de montagne, sinon nous allons les mettre sous cloche. La loi « Montagne » du 9 janvier 1985 ayant interdit les constructions discontinues, les élus ont été exemplaires et il n’y a plus ni friches, ni « dents creuses ». Dans ce contexte, ne peut-on, comme le propose l’Association nationale des élus de la montagne, garder un hectare par commune sur dix ans pour des constructions de résidences d’habitation, et déroger à la loi pour les projets agricoles, économiques, de santé ou d’intérêt général pour permettre ainsi aux territoires de montagne de continuer de se développer ? Ces territoires ont droit à la différenciation.

Mme Valérie Létard, ministre. Je ne répondrai pas maintenant à votre proposition, mais elle sera versée à la réflexion qui sera menée avec Catherine Vautrin. Je souhaite, je vous l’ai dit, que le logement reprenne toute sa place. Je vous donnerai un exemple : dans le cadre des projets d’envergure nationale, des enveloppes foncières économiques mutualisées ont été réservées aux grandes entreprises industrielles. Mais qui dit « grandes entreprises » dit aussi « nombreux salariés qui doivent pouvoir se loger » – et cet aspect des choses a été oublié. Ainsi, à Dunkerque, entre vingt mille et trente mille emplois vont être créés, ce qui signifie au moins cinquante mille nouveaux habitants : comment faire si on ne s’interroge pas sur cette question ? Nous devons reprendre la réflexion sans tout détricoter. Des pistes existent, qu’il faut améliorer.

M. Pascal Lecamp (Dem). La tâche qui vous attend est immense. Je vous adresse tous mes vœux de réussite et je salue votre première décision, l’extension du prêt à taux zéro à l’ensemble du territoire. Partout en France, des milliers de bâtiments patrimoniaux, des églises en particulier, tombent en ruine faute de capacité d’investissement des communes qui en sont les propriétaires. La difficulté tient aux 20 % de reste à charge : il est impossible à des communes dont le budget total d’investissement est de 500 000 euros de se lancer dans des travaux de réfection qui coûteront de deux à quatre millions d’euros. Il faut prendre ce sujet à cœur pour préserver ce patrimoine national.

Mme Valérie Létard, ministre. Je n’ai pas de solution immédiate à vous apporter, mais je vous entends. Je suis une élue valenciennoise et, dans l’agglomération voisine de la mienne, il existe un fonds de concours destiné à accompagner les petites communes rurales à rénover leur patrimoine religieux. Fortement mobilisé, il a porté ses fruits. C’est une piste comme une autre. Il ne s’agissait pas de millions d’euros, mais des interventions significatives ont eu lieu. Peut-être faudra-t-il évoquer les grandes rénovations de bâtiments patrimoniaux avec la ministre chargée de la culture, et nous pourrons y travailler ensemble.

M. Stéphane Buchou (EPR). Je relaye le cri d’alarme d’élus et d’habitants d’Yeu, où la tension sur le logement est particulièrement vive. La maire et son adjoint à l’urbanisme se sentent démunis et délaissés ; ils attendent que l’on se penche sur la situation à laquelle ils sont confrontés. Nous ne sommes pas restés les bras ballants : nous avons usé de certains outils comme la surtaxation des résidences secondaires et, demain, nous voterons à l’unanimité – je l’espère – l’excellente proposition de loi de nos collègues Inaki Echaniz et Annaïg Le Meur. Mais les élus d’Yeu attendent une expérimentation dans le cadre de la loi dite « 3DS » – une « différenciation », selon le mot de notre collègue Jean-Pierre Vigier. Je vous invite à venir rencontrer les élus et les habitants de l’île Yeu pour trouver des solutions à la crise du logement qui les frappe.

Mme Valérie Létard, ministre. Je vous remercie pour cette invitation à laquelle je tenterai de me rendre assez rapidement. La proposition de loi qui sera mise au vote demain donne aux maires des outils d’intervention qui, en restaurant l’attractivité du logement de longue durée, peuvent changer la donne. Ce peut être un début de solution pour les îliens, mais je prendrai l’attache de madame la maire d’Yeu et creuserai la question, pour voir ce que l’on peut faire dans ce cas particulier.

M. Philippe Naillet (SOC). Dans son dernier rapport, la Fondation Abbé Pierre estimait que six cent mille des 2,2 millions d’habitants des territoires d’outre-mer souffraient de mal logement. Alors que 80 % de nos concitoyens ultramarins sont éligibles à un logement social, 15 % seulement en bénéficient. Récemment, le comité interministériel des outre-mer a permis des avancées, mais, malgré cela, nous connaissons une crise due à un foncier rare et cher et au coût des matériaux. Comment relancer la production de logements dans des territoires où cette crise, combinée à la cherté de la vie, pourrait déclencher un cocktail explosif ? Qu’en est‑il du troisième plan « Logement » outre-mer ?

Mme Valérie Létard, ministre. Le logement outre-mer est une question importante et complexe. Nous allons travailler aux acquisitions, aux améliorations et à l’utilisation des matériaux avant de reprendre langue avec vous, j’en prends l’engagement, et essayer d’être une force de proposition. Mais je peux difficilement vous apporter des réponses précises sur le troisième plan « Logement » outre-mer, qui relève de la compétence de mon collègue François‑Noël Buffet.

M. Jean-Luc Bourgeaux (DR). De nombreux dispositifs existent, dont certains ont déjà fait l’objet d’accords de principe – à Saint-Malo, par exemple. Mais les préfectures ont fait savoir ces dernières semaines que les crédits prévus étaient gelés. Pouvez-vous rassurer tous les porteurs de projets et leur dire que les crédits attendus seront repris en 2025 ?

Mme Valérie Létard, ministre. Plus que gelés, ces crédits étaient congelés… Ils sont désormais reportés en 2025 et Saint-Malo peut être rassuré sur l’avenir de son projet de territoire engagé pour le logement.

Mme Annaïg Le Meur (EPR). Alors que nous manquons de logements loués à l’année, je ne comprends pas que les locations consenties pour une courte durée bénéficient encore d’une fiscalité plus favorable. Parviendrons-nous à encourager fiscalement la location de longue durée, comme le suggère le rapport que j’ai remis au Premier ministre Gabriel Attal en juillet dernier ? D’autre part, vous semble-t-il pertinent d’étendre le dispositif « Logement locatif intermédiaire » (LLI) aux particuliers ?

Mme Valérie Létard, ministre. Je salue le très utile travail que vous avez conduit avec votre collègue Inaki Echaniz. Il faut bien sûr soutenir la location de longue durée et la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale y contribuera. Mais un travail structurel sera fait avec un parlementaire, en coordination avec Laurent Saint-Martin et moi-même, pour clarifier le statut du bailleur privé et envisager, en effet, d’étendre le LLI aux particuliers. Dans l’intervalle, je soutiens, vous le savez, l’amendement relatif aux donations.

Mme Sandrine Runel (SOC). Plus de trois mille enfants sont à la rue avec leurs familles et 3 500 personnes à la rue ont été dénombrées lors de la dernière « Nuit de la solidarité » à Paris. La commission des Finances a adopté, lundi dernier, des amendements visant à augmenter le nombre de places d’hébergement d’urgence, rehausser de 250 M€ le budget opérationnel du programme 177 et créer cinq mille places supplémentaires destinées à l’hébergement des femmes victimes de violences. Madame la ministre, défendrez-vous ces hausses de crédit ? En ce début de trêve hivernale, les acteurs de la veille sociale, inquiets, attendent de votre part un engagement ferme. Trop d’engagements de ministres précédents sont restés à l’état de promesses.

Mme Valérie Létard, ministre. L’envie ne me manque pas de faire davantage. Je puis en tout cas assurer les acteurs de l’hébergement d’urgence, très inquiets à ce sujet, que les moyens seront bien là pour 2024, y compris ceux qui visent à compenser l’extension de la « prime Ségur ». Cela permettra d’honorer l’engagement des 203 000 places et de les reconduire en 2025 ; ce n’était pas une évidence, mais j’ai été entendue. Je sais que ce n’est pas à la hauteur de vos attentes – ni des miennes – mais, au moins, ces crédits étant sécurisés, le monde de l’hébergement d’urgence n’est-il pas laissé dans l’incertitude.

M. Vincent Rolland (DR). La Savoie, où la pression immobilière et foncière dans certains secteurs n’a rien à envier à celle de la région parisienne, se trouve être classée dans des zones qui ne correspondent pas aux difficultés réelles de logement. Je pose donc inlassablement la question à tout nouveau ministre du logement : ferez-vous évoluer les zonages ABC ?

Mme Valérie Létard, ministre. Le zonage a déjà évolué deux fois, mais, s’il est encore perfectible, nous continuerons de l’améliorer pour éviter des difficultés que vous mentionnez, à l’écoute des parlementaires et des territoires.

M. Stéphane Delautrette (SOC). La nouvelle stratégie nationale bas-carbone prévoit la rénovation de quatre cent mille maisons individuelles et de deux cent mille logements collectifs en moyenne chaque année d’ici 2030. Sachant qu’en 2023, seulement 71 613 rénovations globales ont été menées dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov, la marche est haute. Or seules les rénovations globales sont efficaces. Mais pour qu’elles soient possibles pour tous, il faut lever le frein que constitue le reste à charge pour les ménages. Le 12 décembre, le groupe socialiste proposera, lors de sa niche parlementaire, une avance remboursable par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts et consignations. Qu’en pensez-vous ?

Mme Valérie Létard, ministre. Tout n’est pas parfait, mais l’instabilité des règles relatives aux projets de rénovation globale est nuisible. Chacun s’est inquiété de la réduction des crédits, mais je vous rappelle que le changement de règles qui avait eu lieu l’année précédente a eu pour effet une sous-consommation de crédits d’un milliard d’euros. Quand il y a eu sous-consommation, d’une part et que, d’autre part, on cherche des crédits parce que l’on est en grand déficit, il est difficile de défendre le maintien de ce milliard d’euros inutilisé. Si l’on change à nouveau les règles cette année, on peut craindre un autre « stop and go ». Mais un groupe de travail s’installe pour donner suite à un rapport de votre Assemblée sur les copropriétés, qui propose de créer une banque de la rénovation pour solvabiliser les ménages. Nous allons étudier cette idée avec la Caisse des dépôts et consignations et le secteur bancaire, pour trouver le bon dispositif.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je vous remercie.

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 6 novembre 2024 à 18 h 30

Présents.  M. Charles Alloncle, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Stéphane Buchou, M. Inaki Echaniz, M. Frédéric Falcon, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Harold Huwart, Mme Annaïg Le Meur, M. Pascal Lecamp, M. Bastien Marchive, M. Philippe Naillet, Mme Sandrine Nosbé, M. Jérôme Nury, M. Vincent Rolland, Mme Valérie Rossi, M. Boris Tavernier, Mme Mélanie Thomin, Mme Aurélie Trouvé, M. Jean-Pierre Vigier

Excusés.   Mme Delphine Batho, M. Nicolas Meizonnet, M. Dominique Potier

Assistaient également à la réunion.  M. Stéphane Delautrette, Mme Delphine Lingemann, M. François Piquemal, Mme Sandrine Runel