Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Audition de M. Marc Ferracci, ministre délégué chargé de l’industrie2
– Informations relatives à la commission...................25
Mardi 12 novembre 2024
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 21
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Aurélie Trouvé,
Présidente
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La commission des affaires économiques a auditionné M. Marc Ferracci, ministre délégué chargé de l’industrie.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous accueillons aujourd’hui Monsieur Marc Ferracci, ministre délégué chargé de l’industrie, pour évoquer sa feuille de route ministérielle et, plus généralement, la situation et les perspectives de l’industrie française. Nous avons commencé à aborder ces questions avec le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, Monsieur Antoine Armand, que nous avons reçu la semaine dernière.
L’accélération des annonces de plans sociaux et des fermetures de sites de production, comme ceux du groupe Michelin à Vannes et à Cholet, qui emploient plus de 1 250 personnes, suscite inquiétude et colère, d’autant que ce groupe enregistre des bénéfices considérables et a perçu des centaines de millions d’euros (M€) d’aides publiques depuis dix ans. Lorsque nous l’avions auditionné, le 18 septembre dernier, le PDG de Michelin avait surtout vanté sa politique salariale. À Vannes, où beaucoup d’entre nous se sont rendus, les salariés sont sous le choc, mais aussi dans l’incompréhension face à l’absence de protection de la puissance publique. Nombre de nos circonscriptions subissent la même situation.
Nous avons aussi auditionné la présidente de Sanofi France à la suite du projet, pour le moins contesté, de rachat par un fonds américain de sa filiale Opella qui fabrique le Doliprane, ainsi que le directeur Europe de Stellantis. Nous n’en sommes pas sortis rassurés sur l’avenir des emplois, loin de là.
De surcroît, la récente élection aux États-Unis d’un président prêt à la guerre commerciale dessine la perspective de difficultés pour nos entreprises industrielles les plus exportatrices, sans parler de la concurrence déloyale de la surproduction chinoise qui frappera notre industrie si la France et l’Union européenne ne se dotent pas d’une politique industrielle et commerciale plus adéquate.
Vous restez à l’écoute des remontées de terrain concernant les fermetures de sites – et c’est appréciable. Mais nous voulons aussi connaître votre stratégie face aux risques d’affaiblissement de nos capacités industrielles et de destruction massive d’emplois, et comprendre ce que vous proposez pour ces entreprises et leurs salariés : je pense à la filière automobile, à la chimie et à l’industrie verte, dans lesquelles de nombreux emplois sont en jeu.
Le ministère chargé de l’économie communique sur un bilan industriel positif depuis sept ans, mais les chiffres présentent une autre réalité. La politique de l’offre n’est pas parvenue à enrayer la baisse de la part de l’emploi industriel dans l’emploi total. On note, tout au mieux, une décélération de sa baisse continue depuis quarante ans. Dans l’industrie, 3,2 millions d’emplois sont en jeu, dont on estime que des dizaines de milliers seront supprimés dès cette année. Quel est votre plan en matière de protection commerciale, de régulation des décisions des grands groupes, de protection des salariés et de protection spécifique des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) ?
Par ailleurs, le Premier ministre a dit vouloir savoir ce que le groupe Michelin a fait des aides publiques : un travail spécifique a-t-il été lancé en la matière et, plus généralement, au sujet des aides publiques aux entreprises ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué chargé de l’industrie. Le Premier ministre, le ministre de l’économie et moi-même sommes déterminés à agir sans relâche pour soutenir notre industrie – nos entreprises, nos usines et nos emplois – partout dans le pays. D’abord, parce que l’industrie est une source de prospérité, qui irrigue nos territoires et fait vivre des millions de familles. Une industrie en bonne santé, c’est un tissu économique dynamique, qui maintient et développe les commerces et les services de proximité. Ensuite, parce que l’industrie est une condition de notre souveraineté, donc de notre capacité à être indépendant et à choisir librement notre destin, sans subir les choix des autres. Pour être libre, il faut s’en donner les moyens. Enfin, parce que l’industrie est porteuse de cohésion, faite de liens humains et d’entraide. L’usine est au cœur de la vie de beaucoup de gens dans nos territoires, comme à Dunkerque et Fos-sur-Mer dans la sidérurgie, à Sochaux dans l’automobile ou encore à Toulouse et Bordeaux dans la filière aérospatiale.
Depuis 2017, nous avons obtenu des résultats sur le front de l’emploi. La France est, depuis cinq ans, le pays le plus attractif d’Europe pour les investissements industriels étrangers, avec 1 194 projets en 2023. Le taux de chômage est passé sous la barre des 6,5 % depuis 2021 – un niveau historiquement bas depuis la crise de 2008 – grâce notamment à une forte dynamique de création d’emplois dans l’industrie. Depuis 2017, 130 000 emplois salariés nets, c’est-à-dire en équivalent temps plein (ETP), ont été créés dans l’industrie, dont 28 000 en 2023. En outre, malgré les tensions et les difficultés actuelles, trente-six ouvertures ou extensions nettes de sites industriels ont été enregistrées au premier semestre 2024, parmi lesquelles la gigafactory SymphonHy de Symbio, qui produit des piles à combustible hydrogène à Saint‑Fons dans le Rhône, ou encore ManiKHeir, filiale du groupe canadien Medicom spécialisé dans la santé, qui relocalise en France la production de gants en nitrile, dans la Sarthe.
Derrière ces chiffres, des salariés, des chefs d’entreprise et des élus se battent pour faire vivre notre industrie et nos territoires. C’est grâce à cette puissante mobilisation collective que nous remportons des succès, notamment dans le redressement des entreprises en difficulté. L’exemple de l’entreprise NFA à La Bâthie en Savoie, qui fabrique du corindon blanc et avait été placée en redressement judiciaire en avril, en témoigne : grâce à la mobilisation de l’État et des élus, parmi lesquels le député Vincent Rolland, nous avons réussi à construire une offre de reprise avec le groupe Alteo. Résultat : un site industriel préservé et 119 emplois sauvegardés.
Il y a bien une France qui reprend confiance et croit en ses chances. Nous voulons l’aider à relever le défi de la reconquête industrielle, car, j’en ai la conviction, l’industrie française dispose d’atouts uniques. Des succès formidables sont obtenus en matière d’innovation et d’emploi, loin des flux de l’actualité. Mon rôle de ministre sera de les mettre en lumière.
Mon rôle est aussi d’être au côté des salariés en difficulté. Je pense aux 1 300 salariés des usines Michelin de Cholet et de Vannes, dans la filière automobile. Je me suis rendu à Cholet pour témoigner notre soutien et notre engagement aux salariés et aux élus de ce territoire. Je pense aussi aux 450 salariés de l’usine Vencorex en Isère, dans le secteur de la chimie, ou encore à ceux de la filière métallurgique, elle aussi fragilisée. Chaque fermeture de site est un drame humain et territorial. Nous devons malheureusement nous attendre à d’autres mauvaises nouvelles dans les prochains mois. Mais je veux dire ici, haut et fort, que l’État n’abandonnera aucun salarié ni aucun territoire. Avec les industriels et les élus concernés, nous nous battrons sans relâche pour que des solutions et des projets soient proposés à chaque personne et à chaque territoire. C’est mon engagement et ce sera mon combat ; mon ministère est un organe de combat.
Les difficultés existent, mais il n’y a pas de fatalité. Je ne me laisserai jamais envahir par le défaitisme, gage d’inaction. Or, plus que jamais, l’industrie a besoin de toute notre mobilisation et de notre action. Nous allons nous battre pour la soutenir, en poursuivant et en renforçant les mesures qui se sont avérées les plus efficaces depuis 2017, avec des objectifs clairs.
Premièrement, assurer la cohérence et la stabilité de la fiscalité en faveur de la compétitivité de nos entreprises, dans le cadre de la politique de l’offre qui a permis de rendre notre pays plus compétitif et plus attractif. L’enjeu est de préserver un coût du travail compétitif et de pérenniser les dispositifs qui ont fait leurs preuves, pour stimuler la recherche et l’innovation. Je pense notamment au crédit d’impôt recherche (CIR).
Deuxièmement, accélérer les investissements dans les filières stratégiques et les plus créatrices de richesses et d’emplois. Avec 54 milliards d’euros (Md€) d’investissements dans des secteurs clés comme l’hydrogène décarboné, la voiture électrique, le quantique, l’intelligence artificielle ou encore la production de médicaments innovants, le plan « France 2030 » offre des perspectives à ces filières d’avenir. Il s’est déjà traduit par plus de quarante mille emplois directs créés ou maintenus et par l’essor de nouvelles filières – les batteries, les petits réacteurs modulaires (SMR) et les thérapies innovantes, notamment avec le Paris Saclay Cancer Cluster.
Troisièmement, simplifier les règles et les procédures administratives pour lever un maximum de freins à l’installation et au développement de sites industriels pour nos entreprises, notamment les entreprises petites, moyennes et de taille intermédiaire (ETI). Il s’agit de freins en matière d’accès au foncier, de procédures environnementales et de délais. Le projet de loi de simplification de la vie économique, défendu par les ministres Guillaume Kasbarian et Antoine Armand, prévoit de nouvelles avancées, en permettant par exemple de qualifier de « projets d’intérêt national majeur » certains projets stratégiques, tels que les semi-conducteurs.
Quatrièmement, soutenir les productions française et européenne par la commande publique. Le salon du « made in France » a mis en lumière des entreprises qui ont fait le choix de relocaliser tout ou partie de leur production : je pense à Rossignol, entreprise iséroise d’équipements sportifs, avec sa nouvelle gamme de skis recyclés ; ou au producteur de machines à café Malongo, qui a investi 3,5 M€ pour étendre son usine à La Roche-sur-Yon, en Vendée, dès 2025. Nous souhaitons renforcer nos actions pour que la commande publique bénéficie davantage à nos PME et soit plus orientée vers les produits français et européens.
Cinquièmement, développer de nouvelles formations aux métiers et aux compétences de demain, dans la continuité de la réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage, dont le succès est mesurable à l’augmentation du nombre d’apprentis de 250 000 à environ 850 000 par an. Il reste du travail, car seulement 14 % des contrats d’apprentissage relèvent de l’industrie. Nous allons donc continuer, avec la ministre Astrid Panosyan-Bouvet, à œuvrer pour faire aimer l’industrie, pour attirer une diversité de talents et pour mieux accompagner les salariés en formation ou en reconversion vers des emplois qui ont du sens.
Le temps est à la responsabilité budgétaire. Mon combat est de vous convaincre que soutenir notre industrie est un investissement qui paie.
L’industrie se transforme de façon accélérée, avec de grandes transformations dans la santé, dans le numérique et dans la transition écologique, dont j’ai la conviction qu’elle est une formidable chance de reconquête industrielle. Cette révolution crée déjà des dizaines de milliers d’emplois et donnera des possibilités de travailler à tous et partout. Nous avons des atouts dans cette course à la transition écologique, en particulier l’accès de nos entreprises à une énergie nucléaire décarbonée à un prix compétitif. Nous devons continuer à investir dans le nucléaire, mais aussi dans l’hydrogène vert, les batteries, les pompes à chaleur et, plus généralement, dans la décarbonation.
La décarbonation est une priorité pour l’environnement – parce que l’industrie représente 20 % de nos émissions, la moitié se concentrant sur cinquante sites industriels – et pour l’emploi – car la compétitivité de nos entreprises est en jeu. Dans certains secteurs clés, comme la chimie et la sidérurgie, nos entreprises risquent l’asphyxie si nous ne faisons rien. Nous devons continuer à soutenir celles qui investissent dans la décarbonation en sécurisant des financements importants dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. Il en va de l’avenir de notre industrie, dans un contexte de concurrence de plus en plus féroce, et parfois déloyale.
Notre industrie est concurrencée par des acteurs qui ne respectent pas les règles du commerce international. La Chine a surproduit massivement dans l’automobile, la sidérurgie et la chimie – ce qui fausse les prix – et investit tout aussi massivement pour monter en gamme – ce qui concurrence directement nos produits. Les États-Unis ont fait le choix de mesures protectionnistes, avec des taxes et des subventions déployées massivement et rapidement. La tendance n’est pas favorable. C’est en Européens que nous devons sortir de la naïveté et agir, défendre nos intérêts et assumer une forme de rapport de force vis-à-vis de nos concurrents. C’est en Européens que nous devons prendre les mesures qui s’imposent, en nous inspirant du rapport de M. Mario Draghi pour l’avenir de la compétitivité européenne.
Il est temps de s’adapter, c’est-à-dire d’appliquer aux frontières de l’Union européenne les mêmes règles que celles qui s’imposent à nos entreprises et d’abriter nos filières en transition – nous sommes en train de nous battre, avec mon collègue Antoine Armand, pour préserver nos constructeurs automobiles et la chaîne des sous-traitants. S’adapter, c’est aussi investir massivement pour faire de l’Europe le leader mondial de la transition écologique. Notre objectif est de faire émerger des champions français et européens dans les industries stratégiques – hier, l’acier et le charbon ; aujourd’hui, la transition écologique, avec, à terme, un Airbus de la batterie ou de l’hydrogène vert. Nous ferons des propositions ambitieuses, pour une véritable stratégie européenne dans le cadre du Clean Industrial Deal et pour un plan spécifique d’urgence au bénéfice de la filière automobile. Je veillerai à ce que ces moyens supplémentaires financent bien les usines en Europe et, surtout, en France.
Étant issu de cette assemblée, je sais que nous partageons le même attachement à l’industrie française. Cet attachement transcende les clivages politiques, car il n’est pas de pays fort sans industrie forte. Il n’existe pas non plus de modèle social pérenne sans emploi pérenne. Vous pouvez compter sur la détermination du Gouvernement et sur mon engagement pour soutenir notre industrie et nos emplois dans tous nos territoires.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Laure Lavalette (RN). En 2023, la France a exporté pour 45,2 Md€ vers les États-Unis, la part de l’aéronautique y représentant 7,9 Md€, celle des produits pharmaceutiques, 4,1 Md€, et celle des boissons, vins et spiritueux, 3,9 Md€. Pendant que l’Union européenne contraint et standardise avec toujours plus d’originalité nos industries, c’est une imposition de 10 % à 20 % de droits de douane qui attend toutes nos exportations vers les États-Unis. Les Américains mettent au point des plans pour leurs entreprises ; les Européens, eux, investissent dans des études de marché pour comprendre pourquoi les nôtres ferment. Plus de 63 000 défaillances d’entreprises ont été enregistrées en douze mois, 395 entreprises de plus de cinquante salariés ont été mises en cessation de paiement depuis le début de l’année et plus de 53 000 emplois ont été détruits au cours des deux derniers trimestres.
Et pour cause ! En trois ans, les coûts de production ont augmenté en moyenne de 5 % en Chine contre 25 % en Europe, et la France est devenue le quatrième grand pays le plus cher pour le prix de son électricité : elle n’a jamais tenté de renégocier les mécanismes de fixation du prix de l’électricité ou de le désindexer du prix du gaz ; elle n’a pas non plus pris la peine de baisser les impôts de production, comme en attestent les amendements lunaires sur le projet de loi de finances (PLF). Je rappelle que votre famille politique ou le « bloc central » – je ne sais plus trop où vous habitez ! – a voté contre notre amendement de baisse des impôts de production. Il est temps de reconnaître que le protectionnisme, chéri outre-Atlantique et critiqué ici, est une arme de défense économique stratégique, une arme salvatrice que vous ne semblez toujours pas vouloir assumer.
Ainsi, s’agissant de la commande publique, le bon sens voudrait que l’État donne l’exemple en l’orientant vers les entreprises françaises. Pour un grand nombre de Français, il est surprenant qu’au nom du sacro-saint « droit européen », aucune marge de manœuvre ne soit accordée aux acheteurs publics pour soutenir nos entreprises. Il est hallucinant que l’État soit contraint d’accorder plus de considération à la qualité environnementale des prestations des candidats aux appels d’offres et d’emprunter des chemins détournés pour simplement affirmer ce qui nous paraît évident : en France, les entreprises françaises sont favorisées. Comme le rappelle Olivier Lluansi, ancien délégué aux Territoires d’industrie, si notre commande publique était aussi patriotique que l’est celle de l’Allemagne, on ferait 15 Md€ de made in France en plus.
« Si les règles sont justes, si nous jouons à armes égales avec nos compétiteurs, l’industrie française et européenne saura faire la différence. », avez-vous dit le 5 novembre dernier. Puisque vous souhaitez jouer à armes égales, pourquoi la France et l’Europe ne pourraient-elles pas protéger leurs industries avec la même détermination ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA), les États-Unis ont instauré des mesures de soutien massives à plusieurs industries, dont l’industrie verte. Nous nous en inspirerons pour soutenir nos industries et adopter, sur le plan commercial, des protections plus fortes. Des filières comme la métallurgie méritent que l’on prenne des décisions rapides. Nous interpellerons la Commission européenne à ce sujet.
Les défaillances d’entreprises sont à un niveau élevé qui traduit un rattrapage après la période de la covid-19, durant laquelle les entreprises ont été fortement aidées. Nous serons vigilants dans le suivi de cette tendance à la hausse. Nous saurons dans les prochains mois si elle se maintient.
Je ferai une réponse globale aux questions relatives au prix de production de l’électricité ainsi qu’à la commande publique.
Enfin, la majorité du précédent quinquennat a été celle qui a baissé de 15 Md€ les impôts de production à partir de 2021 et a engagé le plan « France Relance » : vous pourriez nous en faire crédit.
M. Éric Bothorel (EPR). Vous avez rencontré à Lannion, dans ma circonscription, les filières technologiques innovantes du Trégor, en particulier les secteurs de la 5G industrielle, des télécommunications, de la fibre optique, de la photonique et de la communication quantique. Ces secteurs créent de l’emploi – Nokia, par exemple, envisage plusieurs dizaines d’embauches pour développer son volet cybersécurité – mais soulignent le fort enjeu de formation, pour répondre aux besoins de demain dans des domaines indispensables pour assurer notre autonomie stratégique et stimuler notre compétitivité. La 5G industrielle, par exemple, contribue au développement de nos industries 4.0 et optimise les processus de production grâce à un suivi précis de la chaîne de production et à l’élaboration de jumeaux numériques. La 5G a été identifiée comme marché prioritaire dans le plan « France 2030 », inscrit dans la loi de finances de 2022. Les entreprises du Trégor sont une vitrine de la réussite de ce plan.
Je salue la décision du gouvernement de préserver le CIR en dépit des restrictions budgétaires. C’est une demande forte des entreprises et un investissement pour notre réindustrialisation et nos innovations.
Nos entreprises expriment aussi un besoin de simplification des normes. De ce point de vue, le projet de loi que notre assemblée examinera prochainement est une chance à saisir. En particulier, en matière de télécommunications, j’appelle l’attention sur la nécessité de faciliter l’implantation d’antennes relais en zone littorale. Il faudrait probablement aussi considérer les services de télécommunications comme essentiels, ce qui relève d’une modification réglementaire.
Quelle est la position du Gouvernement sur ces différents points ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Le gouvernement a fait, dès 2018, de l’aménagement du numérique et de la résorption des zones blanches une priorité politique, au travers du « New Deal mobile » qui, à ce stade, tient ses promesses. La Cour des comptes en atteste dans son rapport de 2021, de même que l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et les élus locaux. Cette politique publique a été saluée par de nombreux acteurs. Pour autant, des difficultés de couverture peuvent subsister – vous avez mentionné celles que connaissent les communes littorales.
La loi « Littoral » constitue un frein au déploiement des réseaux mobiles, ce qui peut exposer à des risques en zone touristique en empêchant d’appeler les services de secours. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du projet de loi « Simplification », le Sénat a adopté un amendement pour autoriser à titre expérimental et temporaire l’installation d’antennes relais dans des zones littorales, en discontinuité des espaces urbanisés. Ce travail parlementaire va dans le bon sens et devrait permettre de concilier deux objectifs : la protection du littoral et la couverture de téléphonie mobile. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre de la navette de ce texte.
M. Matthias Tavel (LFI-NFP). À entendre vos airs de « Tout va très bien, madame la marquise ! », vous ne semblez pas vivre dans le monde de Michelin, General Electric, MA France, Saunier-Duval, Valeo et bien d’autres, où plus de 180 plans de licenciements ont été déposés en un an, où cent cinquante mille emplois sont menacés, où les défaillances d’entreprises de toute taille atteignent un niveau inédit et où la part de l’emploi industriel dans l’emploi total est au plus bas depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Ce que nous vivons, c’est l’échec de votre politique de l’offre et des cadeaux aux actionnaires.
Il faut rompre avec ce qui n’a pas marché. La politique de l’offre n’est pas une politique industrielle ; ce n’est pas la planification écologique adéquate pour soutenir les filières industrielles répondant à nos besoins. Nous avons besoin de maîtriser le prix de l’électricité pour décarboner notre industrie, ce qui signifie sortir du marché européen de l’électricité. Le tout-marché, l’ouverture et le libre-échange ne font pas une politique industrielle, loin de là. Nous avons besoin d’assumer des mesures protectionnistes, y compris nationales, pour éviter que ce qui s’est produit dans la filière photovoltaïque se reproduise dans d’autres filières. Il faut cesser de toujours donner satisfaction aux actionnaires et de les gorger de cadeaux fiscaux
–ceux de Michelin vont se partager 1,4 Md€, soit 1 M€ pour chacun des 1 254 salariés qu’ils licencient.
Êtes-vous favorable à ce que notre assemblée crée une commission d’enquête sur l’utilisation de l’argent public par ces entreprises ? Êtes-vous favorable à renforcer les pouvoirs des salariés dans la gestion des entreprises, jusqu’à leur octroyer un droit de veto pour les décisions stratégiques et les plans de licenciements ?
Pour m’assurer que nous vivons dans le même pays, je voudrais vous entendre sur le dossier de General Electric, qui prévoit la suppression de 360 emplois en Loire-Atlantique, après celle de 450 emplois d’intérimaires et de sous-traitants au printemps. C’est la moitié des effectifs dans l’éolien maritime, une énergie dont nous avons pourtant besoin pour l’avenir. Nous avons interpellé le Gouvernement et attendons toujours de savoir ce qu’il entend faire. Je vous remettrai une série de dix propositions, que nous avons travaillées avec les organisations syndicales pour éviter cette casse sociale et industrielle : êtes-vous prêt à aller jusqu’à la nationalisation de cette entreprise ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Je l’ai dit, nous suivrons de près les défaillances d’entreprises, dont une part s’inscrit dans un phénomène de rattrapage. Quand les entreprises sont en difficulté et avant qu’elles n’entrent en procédure collective (redressement judiciaire ou sauvegarde), les meilleurs efforts sont faits par tous les services de l’État. Je salue les commissaires au redressement productif, la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire) et le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) : ils ont trouvé des solutions pour NFA, Metex et de nombreux autres dossiers, avec le concours des acteurs concernés et des élus.
S’agissant du libre-échange, il faut être moins naïf au niveau européen. À moins de vouloir sortir de l’Europe, ce qu’impliquerait votre projet d’introduction de barrières et de protections commerciales nationales, nous devons agir en Européens. C’est ce que nous avons l’intention de faire avec mon collègue Antoine Armand.
Concernant les aides publiques, je répondrai ultérieurement.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). La chimie est confrontée à la concurrence chinoise et au coût élevé de l’énergie. Dans la région grenobloise, l’entreprise Vencorex, implantée sur la plateforme chimique de Pont-de-Claix, est menacée de fermeture. Or l’entreprise est gestionnaire de cette plateforme, qui repose sur l’intégration et la complémentarité d’industriels leaders tels qu’Air Liquide, Solvay, Isochem et Novacid, pour ne citer que ceux-là. Vencorex entretient également un lien fort, notamment pour l’approvisionnement en sel d’Arkema, avec la plateforme chimique de Jarrie qui se trouve en grande difficulté. Il existe donc un risque d’ « effet domino » et de fermetures en cascade, qui pourraient menacer les quelque cinq mille emplois de ces plateformes chimiques.
Les entreprises dont l’activité dépend de la gestion de plateforme assurée par Vencorex restent muettes, une position que l’on comprend mal. Alors que l’État et les collectivités ont investi 40 M€ dans le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) de Pont-de-Claix et une centaine de millions d’euros dans deux électrolyseurs sur le site de Jarrie, ce qui devait garantir la pérennité de ces sites, comment comptez-vous agir pour que ces entreprises jouent la solidarité ?
Pour l’heure, il n’y a toujours pas de repreneur. La seule offre qui ait été présentée n’est pas acceptable, car elle prévoit la reprise de vingt-cinq salariés seulement. Si rien ne bouge, ce sont mille emplois de chimistes et plus de cinq mille autres emplois qui disparaîtront – une catastrophe industrielle. À chaque plan social, un savoir-faire s’éteint. On ne cesse de parler de souveraineté industrielle, mais que fait-on face à la mondialisation débridée ? Salariés, élus, parlementaires, tous vous ont sollicité. Vous êtes attendu sur le site ; à défaut, les élus, les industriels concernés et les syndicats attendent d’être reçus au ministère.
Plus généralement, vous avez fait part de votre crainte de voir disparaître des milliers d’emplois. Avez-vous un état des lieux précis ? Comment comptez-vous agir pour stopper cette hémorragie et mettre en place un véritable protectionnisme européen, avec des droits de douane, des quotas et des critères sociaux et environnementaux ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Le dossier de Vencorex me mobilise, de même que mon cabinet et les services de l’État. Cette entreprise est en redressement judiciaire depuis septembre, après une conciliation qui avait duré cinq mois. La défaillance durable de cette entreprise pourrait effectivement avoir des effets induits plus larges : outre les 450 salariés de Vencorex, elle affecterait toute une chaîne de valeur, impliquant la plateforme de Jarrie et la production de sel à destination d’Arkema, ainsi qu’une grande partie de la filière chimique française.
Face à l’insuffisance de l’offre formulée par un acteur sino-hongrois, avec la reprise de seulement vingt-cinq salariés sur 450, les services de l’État se sont mobilisés. J’ai rencontré, au ministère et en présence de mon cabinet, les représentants des salariés de Vencorex. J’ai demandé à mes équipes de faire le tour des acteurs qui se sont intéressés au dossier et sont allés chercher des informations dans le cadre de l’offre de reprise, pour savoir s’ils s’étaient positionnés et s’ils pourraient le refaire. Nous avons également demandé à l’acteur sino-hongrois quelles étaient ses intentions et si les perspectives de reprise pouvaient être élargies. Enfin, nous cherchons à mettre la pression sur l’actionnaire actuel pour qu’en aval, en particulier sur la plateforme de Jarrie, les conséquences d’une liquidation trop rapide du site ne se fassent pas trop sentir. À cet égard, nous suivons attentivement l’extension d’une éventuelle période d’observation.
M. Julien Dive (DR). Depuis les chocs pétroliers, la France, dans une lente agonie, a perdu un peu plus de 2,5 millions d’emplois industriels. Naïvement sans doute, au lendemain de la période de la covid, on a pensé qu’il suffirait de quelques dispositifs d’accompagnement pour relancer notre industrie. Les annonces récentes de suppressions d’emplois ont fait l’effet d’une douche froide ; vous-même avez fait part de votre crainte d’en voir de nouvelles dans les mois à venir. Sur quelles informations fondez-vous cette déclaration ? Quels seraient les secteurs et les territoires concernés ?
Plutôt que de raisonner en implantations de sites et d’entreprises industrielles, il faut raisonner en emplois. En effet, les projets d’extension sont des projets industriels à part entière, qui doivent aussi être accompagnés.
Le coût et la compétitivité du travail pénalisent le développement de nos industries ; c’est un boulet que traînent nombre d’entreprises. Mais l’administration est parfois source d’entrave également, quand elle s’appuie sur des documents d’urbanisme pour faire traîner les développements, en particulier lorsqu’il s’agit du zéro artificialisation nette (ZAN).
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Je regarde la réalité en face : nous sommes préoccupés par l’évolution de l’emploi industriel et les suppressions d’emplois dans certaines filières, mais nous avons aussi en tête que des emplois seront créés. Depuis 2018, l’emploi a progressé en termes nets. Notre travail est de faire en sorte que les suppressions soient les moins nombreuses possible et les créations, les plus nombreuses possible. Il faut toujours raisonner en solde.
Des filières sont plus en difficulté que d’autres : la chimie, l’automobile, la métallurgie sont soumises à une très forte compétition internationale. Nous ne disposons pas d’informations à proprement parler ; il s’agit de projections, de signaux qui nous interpellent. Nous les obtenons du réseau des administrateurs judiciaires, qui relèvent les défaillances d’entreprises. Nous avons aussi développé au ministère de l’économie et des finances un dispositif « Signaux faibles » qui consiste, pour les commissaires au redressement productif, à aller chercher dans les informations administratives – sur la trésorerie, par exemple – des éléments pouvant laisser présager des défaillances. Les tendances que nous discernons ainsi ne se concrétiseront pas nécessairement. Cela dépend de notre action, de la manière dont nous protégeons les emplois et dont nous créons un cadre favorable aux projets d’investissement, notamment en répondant aux enjeux de coût du travail et de simplification.
S’agissant du ZAN, le Premier ministre a annoncé que ce chantier serait rouvert. J’espère que nous pourrons y travailler ensemble.
M. Charles Fournier (EcoS). Vous nous avez invités à ne pas être défaitistes ; je vous invite à ne pas croire à l’efficacité de la méthode Coué pour empêcher l’incroyable saignée industrielle à laquelle nous assistons. Vous dites que c’est conjoncturel et que ça ira mieux ensuite. Je crains que vous ne vous trompiez : l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) annonce la destruction de cent cinquante mille emplois et une remontée du chômage à 8 %. L’optimisme, la volonté et la détermination sont une chose, mais il y a des choix politiques profondément erronés. L’incompréhension des salariés que nous avons rencontrés à Vannes est totale ; vous l’avez aussi constatée à Cholet. Quand la fermeture d’un site et la disparition de mille trois cents emplois sont annoncées en dix minutes sans même qu’un dirigeant de Michelin se déplace – le même Michelin qui a expliqué devant cette commission travailler sur le salaire décent… –, comment voulez-vous que les colères ne s’amplifient pas ? Tous les voyants sont au rouge ! Vous avez déclaré sur France Inter qu’il y aurait d’autres plans. À combien estimez-vous les emplois qui seront détruits ?
Je partage le principe de réponses à apporter en Européen. Vous avez évoqué un bonus à l’échelle européenne, un emprunt commun européen et des mécanismes de soutien des filières. Quant à la réflexion par filières, elle n’a jamais existé, car nous n’avons pas de loi de programmation industrielle. Seriez-vous favorable à ce que nous nous en dotions ?
La concurrence a bon dos ! Michelin organise lui-même la concurrence, en ouvrant des sites à bas coût en Pologne. Il organise lui-même la saignée et la disparition d’emplois en son sein. Vous renvoyez à demain et à une conjoncture améliorée, mais vous avez les moyens d’agir tout de suite. Vous pourriez conditionner le versement des aides économiques et demander le remboursement de celles qui ont été attribuées à des entreprises qui licencient. Le Premier ministre l’a évoqué, mais la porte-parole du gouvernement l’a démenti, au motif que ce n’était pas le contrat de départ. Mais vous pourriez refuser d’homologuer des plans sociaux et faire un moratoire sur les licenciements, si vous vouliez vraiment répondre à la détresse de nombreux salariés. Nous allons dans le mur !
Êtes-vous prêt à infléchir la politique que vous avez conduite ou considérez-vous qu’il faut aller encore plus loin ? Le problème n’est-il pas structurel, en plus d’être conjoncturel ? Il faut sortir de la politique de l’offre et penser une planification et un accompagnement autre de notre politique industrielle.
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Il faut savoir être pragmatique, conserver ce qui a fonctionné et amender le reste. C’est aussi simple que cela, même si ce peut être compliqué dans l’exécution. La situation présente des aspects à la fois conjoncturels et structurels, comme le déficit de compétitivité lié au coût de l’énergie, à celui du travail et, peut-être, aux organisations du travail.
Telle que je l’ai entendue de la bouche des salariés, l’annonce de la suppression d’emplois par Michelin a été faite dans des conditions inadmissibles. Je l’ai dit publiquement et aux acteurs de Michelin et je le redis ici : cette manière n’était pas respectueuse des salariés qui subissent ce drame.
Les réponses à apporter pour soutenir nos filières ne sont pas seulement européennes ; il existe aussi des réponses françaises. Je pense notamment au verdissement des flottes professionnelles. Seul un véhicule sur deux, dans la filière électrique, est acheté par les entreprises. Si l’on parvient à augmenter l’électrification des flottes professionnelles, avec de vraies contraintes, on soutiendra la filière.
L’audition est suspendue de dix-sept heures vingt à dix-sept heures quarante.
M. Pascal Lecamp (Dem). Au nom du groupe démocrate, je veux témoigner, moi aussi, mon soutien aux salariés touchés par les fermetures d’usines. Ces tragédies personnelles sont d’autant plus douloureuses que, depuis sept ans, beaucoup a été fait, avec un grand volontarisme politique : loi « Industrie verte », simplification, baisse des impôts de production, « France 2030 » ou encore « France Relance ». Pourtant, dans un contexte de conflit industriel sino-américain, de déséquilibre énergétique lié à la guerre en Ukraine et d’un IRA américain très localiste, les fermetures semblent inéluctables. Vous avez évoqué plusieurs milliers d’emplois menacés. Quels sont les secteurs concernés ? Vous avez partiellement répondu à la question sur les signaux d’alerte qui ont alimenté votre déclaration.
Une réponse française est-elle possible ? Vous avez esquissé la possibilité d’une réponse européenne : celle-ci serait-elle centrée sur certains secteurs comme l’automobile – un intérêt partagé avec l’Allemagne – ou concernerait-elle l’ensemble de l’industrie européenne ? En dehors de l’Allemagne, sur quels États membres souhaitez-vous vous appuyer ? Quelle position forte la France défendra-t-elle pour la compétitivité européenne et la simplification, à la suite des conclusions du rapport Draghi et dans le cadre du pacte pour une industrie propre ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. J’ai mentionné les secteurs qui risquent de connaître des difficultés en raison d’une compétition inéquitable et de transitions à opérer, notamment vers la décarbonation, lourdes en investissements : ce sont la chimie, la métallurgie et la filière automobile, qui doit aussi mener la transition du moteur thermique vers l’électrique. Plusieurs champs de réponse existent. Les réponses françaises ne sont pas à négliger : simplifier les formalités administratives pour nos entreprises, faciliter les installations de sites, trouver des solutions locales de financement en lien avec les élus locaux sont des solutions entre nos mains. Une autre partie se trouve au niveau européen. Nous devons avoir l’ambition, qui est celle de la Commission européenne, d’une approche globale pour la politique industrielle européenne. Le rapport Draghi nous y invite, qui suggère de massifier les investissements pour soutenir l’offre dans tous les domaines, ce qui implique d’engager une réflexion sur les moyens de financement. À cet égard, je pense que la question d’un emprunt européen pourrait se poser, de la même manière que nous avons répondu à la crise de la covid.
Quant aux alliés potentiels que nous pourrions avoir dans cette démarche, j’ai passé du temps avec mes homologues allemand et italien, ces dernières semaines. Les lignes bougent. Le sentiment que nous devons réagir en Européens et sortir d’une forme de naïveté est partagé.
M. Thomas Lam (HOR). Les cas préoccupants de grandes entreprises auxquels se sont intéressés les médias ne sont que l’arbre qui cache la forêt : derrière chaque grand groupe se trouvent des milliers de fournisseurs, majoritairement des PME, dont la situation est souvent plus fragile encore ; derrière chaque PME, il y a des emplois et des familles. Ces entreprises sont essentielles à la vitalité économique et sociale de notre pays. Leur redonner confiance et les moyens d’agir sereinement doit être une priorité nationale.
Au salon du Made in France, un dirigeant de PME industrielle m’a fait part de ses difficultés à recruter. Il a des commandes, mais il n’arrive pas à recruter les douze salariés qui lui manquent, à cause de la concurrence inégale de grands groupes qui peuvent offrir des salaires plus compétitifs et proposer jusqu’à quinze mois de rémunération – tout en lançant des plans de licenciements. Ce témoignage illustre un sentiment général partagé par de nombreux entrepreneurs, celui d’un État généreux avec les grandes entreprises mais qui abandonne les PME familiales aux prises avec deux contraintes majeures : des charges sociales parmi les plus élevées d’Europe et un empilement de normes et de réglementations qui freinent leur activité et leur croissance. Quant aux impôts de production, les augmenter en plus de l’impôt sur les sociétés pousserait clairement l’emploi hors de nos frontières. Ces entrepreneurs, piliers de notre économie locale, ne demandent qu’une chose : qu’on leur permette de travailler sereinement.
Comment comptez-vous redonner de l’oxygène à nos TPE et PME et rééquilibrer leur attractivité vis-à-vis des grands groupes ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Le déséquilibre des relations entre les donneurs d’ordre et les fournisseurs et sous-traitants se traduit souvent, en particulier dans la filière automobile, pour ces derniers par des contraintes de productivité fortes et parfois pas tenables. Certains groupes font, à ce titre, l’objet d’enquêtes – la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en mène actuellement une chez Stellantis. C’est un premier levier dont nous disposons pour réguler ces relations.
L’organisation des relations entre les grands groupes et leurs sous-traitants est aussi l’affaire des filières. Plusieurs comités stratégiques de filière, en particulier dans l’automobile, sont installés au sein du Conseil national de l’industrie (CNI). J’en reçois régulièrement les acteurs pour réfléchir aux moyens de réguler, par exemple en revoyant une charte élaborée en 2020 et qui n’a pas produit les effets escomptés.
Enfin, si nous voulons favoriser nos TPE et PME, nous devons privilégier le fabriqué en France et envisager des clauses européennes de production locale.
M. Stéphane Peu (GDR). Vous avez annoncé, pour les semaines qui viennent, d’autres suppressions de postes et fermetures de sites industriels, qui se compteraient en milliers d’emplois supprimés. Il aurait été plus juste de parler de dizaines de milliers d’emplois : les quelque 180 plans sociaux que la CGT recensait en septembre sont désormais plus de deux cents, avec à la clé plus de cent cinquante mille emplois menacés dans l’industrie et le commerce, sans parler des cent cinquante mille emplois que la récession de la politique du logement met en danger dans les filières du bâtiment.
Que propose le gouvernement, si ce n’est de maintenir le cap d’une politique qui fait naufrage ? Vous dites vouloir vous battre sur chaque dossier, mais à aucun moment vous n’envisagez de modifier d’un iota la politique de baisse massive des impôts, de baisse des cotisations des entreprises et d’affaiblissement des droits sociaux, censée « renforcer notre compétitivité », pour reprendre vos termes. Vous continuez de raconter une fable sur les créations d’emplois, alors que, pour une part, elles sont liées à la modification des paramètres des chiffres du chômage et que, pour une autre part, ces emplois sont largement précarisés et « ubérisés » – la part des smicards est passée de 12 % à 18 % depuis 2017. Vous continuez d’avoir une confiance aveugle dans les multinationales et les fonds d’investissement.
À quoi auront servi les milliards d’euros engloutis dans les plans de soutien au secteur automobile, sinon à doper la stratégie exclusivement financière des plus grandes entreprises du secteur ? Jamais ces milliards n’ont été soumis à des engagements en matière d’emploi ou de maintien de l’activité des entreprises sous-traitantes. Vous venez d’indiquer qu’une enquête est en cours concernant Stellantis et ses sous-traitants. Pourtant, son sous-traitant MA France met dehors 280 salariés, tous âgés de 50 à 55 ans et qui auront beaucoup de mal à retrouver du travail, cela après que le même Stellantis a fermé son site de production Citroën à Aulnay‑sous‑Bois. Nous attendons un interventionnisme plus marqué du gouvernement.
Avez-vous l’intention de refuser l’homologation des plans sociaux annoncés ? De quels outils entendez-vous doter notre pays pour contrôler et conditionner enfin les aides publiques, afin de vous assurer qu’elles bénéficient réellement aux salariés, au tissu des PME sous‑traitantes et à nos territoires ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Toutes les aides aux entreprises comprennent des contreparties. Le CIR trouve ainsi sa contrepartie dans les dépenses de recherche et développement. Les aides à l’investissement trouvent leur contrepartie dans la réalisation effective d’un projet d’investissement – dans le cas contraire, elles doivent être remboursées. Les aides à l’embauche trouvent leur contrepartie dans les embauches. En somme, l’existence de contreparties résulte de la nature même des dispositifs.
Par ailleurs, je suis partisan de l’évaluation systématique des aides publiques et de leur efficacité… mais aussi de leur suppression quand, en moyenne, elles ne fonctionnent pas.
Concernant l’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), je précise que ces plans sont négociés dans le cadre d’un dialogue social entre la direction et les partenaires sociaux de l’entreprise. L’homologation ou la non-homologation se fait uniquement sur la base d’un contrôle de légalité, et non d’opportunité. Tel est notre droit du travail. Les discussions entre les partenaires sociaux doivent être respectées.
M. Charles Alloncle (UDR). Ce ne sont pas tant les annonces de plans sociaux à venir qui m’inquiètent ; c’est plutôt cette tendance de long terme de déclin de notre industrie, qui n’a toujours pas les moyens de se battre face à nos concurrents américains, asiatiques et même européens. Si Michelin ferme ses usines, c’est bien parce que notre compétitivité industrielle – prix et hors prix, comme le soulignait déjà le rapport Gallois – décline. Nous sommes pris en tenaille entre le haut de gamme allemand et la Chine, qui exporte désormais des biens d’une complexité similaire aux nôtres, mais à des prix dérisoires.
Pour renforcer notre compétitivité, rien ne sert de « sur-subventionner » comme vous aimez le faire avec de coûteux plans de relance à rallonge. Il faut simplement créer un terreau favorable : une fiscalité et un coût de l’énergie plus légers, une vraie simplification normative et plus de gains de productivité. Que d’occasions manquées, pour vous qui avez été conseiller d’Emmanuel Macron ! J’ai du mal à lire votre stratégie, à force d’injonctions contradictoires. Il y a eu le virage à 180 degrés pour le nucléaire, les promesses non tenues concernant la fin de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et je pourrais en citer bien d’autres.
La productivité a reculé de 5,5 %, en tendanciel, entre 2019 et 2023. Pour en regagner, il faut remplir le double impératif de financement de l’innovation par le privé et de développement du capital humain grâce à l’investissement public. Pourtant, vous coupez le soutien aux jeunes entreprises innovantes (JEI) et vous taillez dans les aides à l’apprentissage, oubliant que nous courons non pas un sprint, mais une course de longue haleine. Et il faut l’accomplir sans naïveté vis-à-vis de nos concurrents, qu’ils soient extra ou intra-européens, qui libèrent le travail et investissent massivement dans leur avenir. Quel est votre plan d’action pour permettre à la France de retrouver ses gains de productivité ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Dans le rapport Draghi, il y a l’idée que nous devons sortir en Européens d’une stratégie uniquement fondée sur la maîtrise des coûts. Nous devons nous en inspirer, avoir une approche plus qualitative et favoriser les investissements, l’innovation et le capital humain. De ce point de vue, nous avons à notre crédit les résultats de l’apprentissage : le nombre d’apprentis est passé de 250 000 à 850 000 depuis 2017 et les aides qu’il est envisagé de limiter avaient été instaurées au moment de la covid-19 à titre provisoire, et pérennisées par la suite.
Parmi les composants du terreau que vous évoquez, j’approuve le prix de l’énergie. Nous avons des projets pour fournir à nos industriels électro-intensifs de l’énergie décarbonée issue de notre parc nucléaire, à un tarif compétitif et dans un horizon temporel suffisamment long, de dix à quinze ans. J’y reviendrai plus longuement.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Lionel Tivoli (RN). La situation de l’industrie française est catastrophique. Les plans sociaux dans la grande distribution et dans le secteur automobile ne sont que la face émergée de l’iceberg. Je souhaite appeler votre attention sur la situation spécifique de l’industrie du médicament. Sans m’attarder sur le feuilleton du Doliprane, qui n’est qu’un symptôme des dysfonctionnements que nous subissons, je me demande si le Gouvernement a une stratégie de réindustrialisation pour cette filière. De nombreux médicaments sont en rupture de stock, de la vitamine B12 à des médicaments essentiels comme certains antibiotiques, anti-inflammatoires et même anticancéreux. Durant l’épidémie de covid-19, le Président de la République clamait l’exigence de relocaliser la production de médicaments sur le territoire national. Plus de quatre ans après, quel en est le bilan et quelles actions comptez-vous engager ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Je ne partage pas votre diagnostic d’une situation catastrophique. En 2023, de l’emploi industriel a continué à être créé et, au premier trimestre, le nombre de sites ouverts ou étendus a été supérieur à celui des sites fermés ou en recul. La situation est nécessairement contrastée ; je ne vois pas tout en rose ou tout en noir.
La filière du médicament est en effet essentielle. Elle reste exportatrice et beaucoup d’emplois en dépendent. Elle a été fortement aidée, à hauteur de 7,4 Md€ dans le cadre du plan « France 2030 », pour les innovations en santé et les médicaments. De nombreuses entreprises se développent grâce à ces aides, comme en Côte-d’Or où je me suis rendu.
M. Stéphane Travert (EPR). Avec un taux de renouvellement de 2,5 % par an, la filière des agroéquipements est limitée dans sa capacité d’atteindre rapidement les objectifs fixés par la stratégie nationale bas-carbone. Pour parvenir à une réduction de 1,2 million de tonnes d’équivalent CO2 d’ici à 2030, il lui faut recourir à des solutions innovantes comme le retrofit et consacrer des investissements importants à la R&D. Plusieurs pistes s’offrent à nous, comme l’hydrogène, l’électricité ou le biométhane. Un autre levier crucial est la formation des agriculteurs à une utilisation plus responsable des machines.
Quelle trajectoire le ministère envisage-t-il pour accompagner la filière des agroéquipements dans sa transition vers la neutralité carbone ? Quelles priorités énergétiques seront définies pour orienter les industriels ? Le Gouvernement soutiendra-t-il ces efforts en facilitant la renégociation du règlement européen sur les machines ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. La trajectoire des agroéquipements s’inscrit dans la trajectoire globale de décarbonation, compte tenu de l’enjeu de maîtrise de nos émissions. Les agroéquipements sont indispensables à la compétitivité de notre filière agroalimentaire, qui compte 450 000 salariés. Nous avons besoin de faire masse des investissements actuellement financés dans le cadre du plan « France 2030 » et des efforts consentis sur le plan de la formation. Avec la réforme de l’apprentissage et celle des lycées professionnels, nous avons investi de l’argent pour mieux connecter le contenu des programmes aux besoins des filières. Nous serons attentifs à ce que l’agriculture en bénéficie.
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). Notre industrie, en particulier le secteur automobile, traverse une crise sans précédent. Les plans sociaux se multiplient. Votre responsabilité politique est directe dans ce désastre : vous refusez de conditionner les aides publiques au maintien de la production en France ; vous refusez la mise en place d’un protectionnisme solidaire. À Rodez, les salariés de l’usine Bosch n’ont pas été épargnés, puisque 1 300 emplois ont été supprimés. J’ai déjà vu, dans ma circonscription, fermer la fonderie de SAM. C’est trop ! Le groupe Bosch s’était engagé à installer près de son site une production de solutions hydrogène pour les camions frigorifiques, afin de développer l’activité productive et de maintenir des emplois. Il est revenu sur cet engagement en avançant qu’il n’y avait pas les débouchés nécessaires. Avec le plan « France 2030 », le Gouvernement déverse des milliards à la filière hydrogène, sans vision stratégique ni contrepartie. Comment comptez‑vous faire respecter l’engagement de Bosch et assurer des débouchés pour permettre le développement de la filière industrielle hydrogène ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Nous avons élaboré une stratégie interministérielle qui doit faire l’objet d’une annonce dans les prochaines semaines. L’objectif est d’offrir des débouchés à tous les acteurs de la filière, dont dépendent de nombreux équipementiers, sous-traitants, PME et ETI.
S’agissant de Bosch, je me rendrai en Aveyron, où j’aurai l’occasion de rencontrer les élus locaux.
Mme Mélanie Thomin (SOC). La France a choisi de sanctuariser son industrie des câbles sous-marins, en particulier avec l’annonce du rachat par l’État de 80 % des parts d’Alcatel Submarine Networks (ASN), qui emploie 1 300 personnes dans notre pays. Cette activité, entre industrie de la mer et industrie du numérique, est jugée stratégique puisqu’elle concentre 99 % des données numériques mondiales qui transitent à travers les câbles sous‑marins. Face aux concurrences économiques étrangères, comment accompagnez-vous ces entreprises de pointe dans le volet de leur compétitivité ? Face aux menaces étatiques, quelles mesures envisagez-vous pour protéger les données de nos concitoyens ? Nous sommes là à la lisière entre intérêts économiques et intérêts vitaux de la nation. Prévoyez-vous d’accorder le statut d’opérateur d’importance vitale (OIV) à ces entreprises ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Ce dossier a été pris en charge par le ministre Armand. L’enjeu est celui de la souveraineté. Le domaine d’activité des câbles sous‑marins justifie la prise de participation annoncée dans ASN. On ne peut pas répliquer cette démarche à toutes les filières mais, en matière de compétitivité, nous avons le souci d’orienter le plus possible vers les filières industrielles porteuses d’intérêts stratégiques les 19 Md€ qui restent dans les enveloppes de « France 2030 ».
M. Vincent Rolland (DR). Je souligne votre volontarisme, ainsi que celui de votre collègue Antoine Armand, dans le dossier Niche Fused Alumina (NFA), qui a permis de passer d’un redressement à une reprise par l’entreprise Alteo.
Vous évoquiez la naïveté européenne et la présidente Aurélie Trouvé parlait de dumping chinois. Il y a là des faisceaux convergents pour une désindustrialisation. Pouvez-vous faire un point sur l’action antidumping engagée par Imerys auprès de la Commission européenne, qui tarde à traiter ce type de dossier ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Merci pour vos mots. Vous avez raison de faire le lien entre le dossier NFA et le dossier Imerys, puisque tous deux concernent le corindon blanc, cet abrasif utilisé dans l’automobile, l’aéronautique et le médical. Imerys a déposé une plainte antidumping dans le cadre des procédures classiques visant à faire respecter le droit commercial et les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La France est très attachée à défendre les règles de la concurrence. La Commission européenne a décidé d’ouvrir une enquête formelle, comme celle qui a conduit à la surtaxation des véhicules électriques chinois. Nous faisons confiance au sérieux de cette enquête et nous serons attentifs à son issue. Je vous propose de rester en contact avec mes équipes pour être informé en temps réel de son avancée.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Mes collègues n’ont pas manqué de vous interpeller sur la multiplication des plans sociaux. En Loire-Atlantique, sans que votre prédécesseur ait daigné agir, une saignée a débuté depuis six mois avec la fermeture de Systovi, l’une des dernières usines françaises de panneaux solaires, suivie d’une hécatombe de plans sociaux chez Saunier-Duval, General Electric ou la centrale de Cordemais. Cette hémorragie industrielle dans le bassin nantais affecte tout un territoire, de nombreuses familles et, surtout, un outil industriel souverain et décisif pour réussir la transition énergétique. Je vous exhorte à réunir d’urgence les acteurs économiques, politiques et institutionnels du territoire pour enfin apporter des réponses à cette situation critique pour l’emploi, l’industrie et la réalisation des objectifs de la transition énergétique.
M. Marc Ferracci, ministre délégué. La filière photovoltaïque est un bon exemple de notre trop grande naïveté, puisque nous avons soutenu des importations qui venaient pour beaucoup de Chine. La situation de Saunier-Duval est suivie de près par les services de l’État, notamment le commissaire au redressement productif et par mon cabinet. J’ai demandé à mes services d’organiser un rendez-vous avec la direction de l’entreprise. Par ailleurs, je suis ouvert à échanger avec les élus de votre région, où je me rendrai prochainement. Dresser un diagnostic global des filières particulièrement représentées en Loire-Atlantique pourrait faire partie de notre ordre du jour.
M. Jean-Pierre Vigier (DR). Les fermetures d’usines touchent des centaines d’emplois et fragilisent l’économie locale et nos territoires ruraux. Comment anticiper des crises aussi importantes et garantir un soutien durable à nos salariés, pour éviter que des territoires entiers se vident ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. La notion d’anticipation est la clé. Elle passe par plusieurs mécanismes, à commencer par le dialogue social et par une information de qualité de la part des directions à destination des représentants des salariés. Dans la plupart des sites où je me suis rendu, dont Cholet, les annonces de fermeture ont provoqué frustration et stupéfaction précisément parce que l’information sur la situation économique de l’entreprise avait été insuffisante.
La démarche d’anticipation doit aussi être le fait du territoire d’activité des filières en risque, à travers une gestion prévisionnelle territoriale de l’emploi et des compétences. Et cela ne souffre pas de pari : on est obligé de mettre tous les acteurs – professionnels, filières et élus – autour de la table, afin que les données relatives à l’évolution de l’emploi et à l’offre de formation soient disponibles pour tous. Je crois en cette démarche, qui a donné des résultats dans plusieurs régions et départements. Il faut la généraliser.
M. Charles Fournier (EcoS). Je ne sais pas si vous avez vu, monsieur le ministre, le film Le bon, la brute et le truand – pas celui de Sergio Leone, mais celui qui relate le projet de reprise de la papeterie Chapelle Darblay, à Grand-Couronne, par des salariés, cols blancs et cols bleus. Ce projet semble viable, mais l’État n’est pas au rendez-vous. Il manque 50 M€. Le site coûte 2 à 3 M€ au potentiel repreneur, qui risque de se désengager si Bpifrance n’apporte pas de réponse avant la fin de l’année. Êtes-vous prêt à faire en sorte que ce projet, qui est une belle histoire, aille au bout ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Ce pourrait être en effet une belle histoire, et nous ferons nos meilleurs efforts pour que tel soit le cas. L’État s’est publiquement engagé à soutenir ce projet en 2022, mais le bouclage financier reste à atteindre depuis le retrait de Veolia, sans compter que le coût global du projet a augmenté – ce qui complique la finalisation du tour de table. Le soutien de l’État est constant et confirmé. Les banques refusent de financer le projet en raison de l’insuffisance de fonds propres, mais j’ai demandé à mon cabinet de mettre en place un comité de pilotage pour trouver des solutions. Les élus et les acteurs économiques sont également invités à participer.
M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Je répète ma question sur General Electric. Si nous ne voulons pas que notre éolien en mer, indispensable à notre souveraineté et à la sécurité de nos approvisionnements électriques, se fasse avec des éoliennes made in China, il faut préserver la filière. Celle-ci a besoin de passer un creux dans les commandes après 2027 et de s’ancrer dans une logique industrielle française, ce qui n’est pas le cas de General Electric qui vient d’introduire sa filiale en bourse et regarde vers les États-Unis. Êtes-vous prêt à tout faire pour garantir la pérennité des deux sites et des emplois en Loire-Atlantique, au besoin par une nationalisation ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Je ne répondrai pas à la question de la nationalisation d’une entreprise lors d’une audition. La filière de l’éolien en mer a fait l’objet d’un investissement important de l’État et d’un soutien constant, en amont comme en aval. Le plan social annoncé par General Electric est suivi par le ministère du travail. Pour ma part, j’ai besoin d’un diagnostic plus approfondi pour avancer. Je vous invite à revenir vers mes équipes dans cette optique.
M. Patrice Martin (RN). En août, la direction du groupe Renault a décidé d’arrêter dès 2026 la fabrication des moteurs d’Alpine F1 sur son site historique de Viry-Châtillon, pour la confier à un motoriste externe en Angleterre. Motivée par des réductions de coûts et un accroissement des marges, cette décision menace un fleuron de notre industrie nationale, qui contribue au développement des batteries de moteurs électriques, thermiques et hydrogène. Cette orientation va à l’encontre de l’intérêt national et présente des risques pour notre compétitivité technologique et d’atteinte à notre souveraineté industrielle. La marque Alpine constitue l’un des piliers stratégiques de l’industrie automobile française, avec sa manufacture historique Jean Rédélé de Dieppe pour la construction et l’assemblage. Face à la mobilisation des salariés, quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il pour retenir nos meilleurs ingénieurs et ne pas affaiblir notre indépendance technologique, étant précisé que l’État est toujours actionnaire de Renault ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Plusieurs députés nous ont déjà interpellés sur ce sujet et nous l’étudions de près. Renault a décidé d’investir dans l’électrification. Même s’il en est actionnaire, il n’appartient pas à l’État de questionner ce choix stratégique. Pour autant, nous souhaitons éviter les conséquences sociales. L’accompagnement sera à la hauteur. Renault s’est engagé à ne pas licencier et à reclasser les salariés de Viry-Châtillon. Nous serons vigilants au respect de cet engagement.
Plus largement, concernant la façon dont les fournisseurs peuvent se diversifier quand une activité « Amont » cesse, nous avons pris les devants avec un appel à projets au titre de « France 2030 », intitulé « Diversification des sous-traitants ».
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Bien que l’entreprise Atos soit stratégique pour notre souveraineté, sa reprise patine. On nous a expliqué qu’elle devait être reprise pour 700 M€, puis non. Le format de cette reprise par l’État est on ne peut plus opaque : il faut reprendre les activités stratégiques, mais personne n’est en mesure d’indiquer ce qui n’est pas stratégique. L’infogérance est bien une activité stratégique – on ne peut imaginer que France Connect ou la SNCF ne soient pas des services stratégiques pour le pays. Aujourd’hui, on annonce la vente probable d’Atos à la découpe. Ainsi, sa filiale WorldGrid qui fait du Command and Control de centrales nucléaires pourrait être vendue séparément. Alors que notre assemblée a voté à deux reprises, en commission de la défense et en commission des finances, la nationalisation de cette entreprise, quelle est l’intention du gouvernement ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Je ne suis pas chargé de ce dossier, mais je peux vous répondre que l’entreprise ayant subi des tensions sur sa trésorerie et sur sa dette, elle a fait l’objet d’une restructuration financière. Cette restructuration a conduit les créanciers à transformer 3 Md€ de dettes en fonds propres et à injecter 1,8 Md€ supplémentaire pour pérenniser l’entreprise. En contrepartie, ils ont obtenu un droit de regard sur les garanties et les sûretés relatives aux actifs de l’entreprise. Le sujet des actifs stratégiques a été pris à bras-le-corps par le Gouvernement, qui dispose d’une action préférentielle lui conférant la capacité d’éviter qu’ils ne soient transférés à des entreprises, en particulier celles de droit néerlandais qui ont repris Atos.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Vous avez annoncé que l’industrie serait potentiellement touchée par des suppressions d’emplois. Or, d’après France Stratégie et l’Insee, soixante-dix mille emplois seraient non pourvus dans ce secteur, où un recrutement sur deux est jugé difficile et que 69 % des jeunes diplômés considèrent comme peu ou pas attractif. Comment renforcer l’attractivité du secteur industriel et développer les nouvelles compétences nécessaires pour assurer l’emploi industriel, en formation initiale comme en formation tout au long de la vie ? Comment le faire en lien avec la transition écologique ?
Dans le seul secteur automobile, qui est en transition, il manquerait 7 000 mécaniciens, 2 600 carrossiers et 2 300 mécaniciens poids lourds. Les obligations de verdissement des flottes, que nous avons inscrites dans la loi d’orientation des mobilités et la loi du 22 août 2021, dite « Climat et résilience », permettent-elles de garantir la pérennisation des emplois ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Le constat est exact – des dizaines de milliers d’emplois sont à pourvoir dans l’industrie – mais aboutit à un diagnostic contrasté. Il faut faire aimer l’industrie et changer les représentations à son sujet. L’industrie rend possible de belles aventures, y compris humaines ; il faut le faire savoir aux jeunes et aux femmes, car la féminisation de l’industrie est un fort enjeu. Le recours à l’apprentissage doit également être privilégié, car c’est une voie d’excellence pour les métiers industriels. D’ailleurs, la réforme en cours des lycées professionnels vise à mieux connecter ceux-ci au marché du travail. J’invite les acteurs industriels à s’en saisir et à aller y faire valoir la qualité de leurs emplois.
M. Pierre Cordier (DR). L’entreprise Walor, spécialisée dans la fabrication de bielles dans les Ardennes, vient d’annoncer la suppression de plus de 130 emplois dans ses sites de Vouziers et de Bogny-sur-Meuse. Vos services sont sur la brèche et un repreneur est sur les rangs. Ce groupe avait bénéficié d’une annulation de prêt garanti par l’État (PGE) et le repreneur, installé à quelques kilomètres de Bogny-sur-Meuse, a besoin d’un coup de main de l’État. Je pense à ces courageux employés, spécialisés dans la forge, l’estampage et l’usinage. Il y va de l’avenir de la fabrication de bielles en France.
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Je confirme que nous suivons ce dossier de près. Mon directeur adjoint de cabinet a reçu les organisations syndicales. Le candidat à la reprise, Forgex, a fait une offre de reprise pour quatre-vingt salariés sur deux cents ; nous recherchons comment l’accompagner et obtenir des assurances quant à la solidité de son offre, peut-être pour la consolider. Nous sommes à l’écoute des suggestions ou recommandations des acteurs de terrain et des élus, s’ils en ont.
M. Boris Tavernier (EcoS). La vanilline est l’arôme artificiel de vanille le plus consommé au monde ; c’est aussi la fierté de Saint-Fons, à côté de Lyon. Pourtant, la direction de Syensqo a annoncé la fin de la production, même s’il reste un atelier d’arôme naturel de vanille, plus modeste. Militant pour une alimentation de qualité, je ne suis pas un grand « fan » des arômes artificiels et la vanilline ne présente certes pas le même enjeu stratégique que le paracétamol. Mais, tout de même, c’est une histoire industrielle vieille de 129 ans qui s’éteint, un savoir-faire qui se perd, plusieurs dizaines d’emplois qui disparaissent. Un industriel français qui voudra aromatiser ses yaourts au goût de vanille devra désormais s’approvisionner aux États-Unis ou en Chine. Ce témoignage a le goût amer du « grand déménagement » en cours, de la passivité de l’État qui semble laisser filer nos industries et avoir capitulé face aux marchés. Comptez-vous reprendre le contrôle et mettre un terme à ce grand laisser-faire ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Une démarche de relocalisation de plusieurs productions, en particulier de principes actifs ou chimiques, a commencé après la pandémie de covid, avec le plan « France Relance », et se traduira par l’ouverture de sites. Ce sera le cas en 2025 pour la production de paracétamol par l’entreprise Sequens.
Votre témoignage soulève un autre sujet, celui de notre défense commerciale et de nos intérêts. J’en reviens au besoin que nous avons de définir au niveau européen les secteurs stratégiques dont les chaînes de valeur doivent être maintenues et dont la résilience doit être assurée. Les prochaines étapes de nos échanges avec nos homologues européens concernant le Green Industrial Deal ouvriront une fenêtre d’opportunité pour agir.
M. Paul Midy (EPR). La moitié de la création nette d’usines provient de nos start‑ups, de nos TPE et de nos PME industrielles innovantes. Ce n’est pas un hasard ; ces créations sont rendues possibles par des dispositifs comme « France 2030 », le CIR, le programme « Jeune entreprise innovante » (JEI) ou le crédit d’impôt innovation (CII). Mais ces mesures sont remises en cause et parfois supprimées dans le projet de budget du gouvernement. Nous sommes au début de la réindustrialisation ; elle doit s’accélérer, pas décélérer, a fortiori depuis que Donald Trump a été élu aux États-Unis avec l’aide d’Elon Musk. Pouvez-vous nous rassurer quant au maintien des dispositifs que j’ai cités ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Merci pour votre engagement en faveur de notre écosystème de start-ups, qui vous doit beaucoup. La ligne du gouvernement est claire : préserver l’intégrité du JEI, du CIR et du CII, c’est-à-dire leur cohérence globale et les montants qui leur sont associés au plan budgétaire. Les acteurs de terrain l’affirment, le CIR est un élément essentiel au recrutement d’ingénieurs et de chercheurs sans lesquels de nombreux plateaux de R&D disparaîtraient. Nous souhaitons donc le préserver. Pour autant, des ajustements, que j’espère les plus marginaux possible, interviendront peut-être.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Valeo, dont le principal donneur d’ordre est Stellantis, a annoncé mi-juillet la fermeture de trois sites occupant environ mille emplois, dont un dans ma circonscription, à la Suze-sur-Sarthe. En 2023, Valeo a enregistré 221 M€ de bénéfices. Entre 2019 et 2023, l’entreprise Valeo Systèmes thermiques (VST), dont le site de la Suze-sur-Sarthe fait partie, a perçu 58 M€ d’aides publiques. L’État est son premier actionnaire, à hauteur de 7 %. Que dites-vous aux salariés qui ont une ancienneté moyenne de vingt-cinq ans, une moyenne d’âge comprise entre quarante et cinquante ans, et qui doivent encore travailler jusqu’à 64 ans avec des corps cassés et une réforme de l’assurance chômage qui a durci les droits ? Sans parler du mépris de la direction, qui ne dit rien d’un potentiel repreneur et place les salariés dans une inquiétude totale, avec la crainte d’une annonce de fermeture définitive en guise de cadeau de Noël. Même avec un beau ruban, ça ne passe pas !
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Valeo fait partie de ces équipementiers qui subissent la conjoncture déprimée du marché de l’automobile, avec la baisse des volumes de ventes de véhicules thermiques et électriques, et les faibles volumes de commandes de véhicules électriques. Il ne m’appartient pas de juger de la décision économique de Valeo, mais je vous indique qu’une recherche de repreneurs est en cours à la Suze-sur-Sarthe, La Verrière et L’Isle‑d’Abeau. Nous suivons de près la situation de ces sites, en lien avec le groupe, et les acteurs de l’État sont très actifs. S’agissant des salariés, nous serons attentifs à ce que les engagements pris en matière de reclassement, d’accompagnement social et de reconversion aboutissent. Je sais ce que coûte une mobilité pour un salarié dont l’emploi est détruit.
M. Alexandre Loubet (RN). La centrale à charbon de Saint-Avold a démarré pour répondre aux pics de consommation d’électricité dus à la vague de froid prématurée. Bien qu’indispensable pour éviter les pénuries d’électricité, cette centrale risque de fermer en avril. L’industriel a la volonté d’investir pour la convertir à une énergie moins émettrice de CO2, mais l’autorisation de cette conversion n’arrive toujours pas. Que va faire votre gouvernement, alors que sont en jeu près de cinq cents emplois directs et indirects, la sécurité de notre approvisionnement électrique et la décarbonation de notre mix électrique, dont vous dites qu’elle est une de vos priorités ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Ce sujet concerne davantage le ministère de l’énergie. S’agissant des enjeux de conversion des sites en lien avec la décarbonation, nous avons attribué des moyens dans le cadre de « France 2030 ». Nous cherchons à sanctuariser des crédits pour prolonger ces efforts.
S’agissant du dossier de la centrale de Saint-Avold, dont je ne connais pas le détail, mes équipes et celles de ma collègue Olga Givernet sont à votre disposition.
M. Damien Girard (EcoS). À Vannes, j’ai rencontré Stéphanie, salariée chez Michelin depuis plus de vingt ans et représentante de la CGT. Elle y a rencontré son mari. Ensemble, ils ont construit leur vie autour de Michelin, faisant des efforts, des concessions, s’adaptant pour que leur usine soit toujours plus compétitive. Le 5 novembre, en dix minutes, ils ont perdu leur emploi ; un pan entier de leur vie s’est écroulé.
Les aides publiques aux entreprises sont nécessaires pour permettre la bifurcation écologique de notre industrie. Mais au regard des quelque 88 Md€ par an qu’elles représentent, les suppressions massives d’emplois, en plusieurs sites et sans solution sociale crédible pour les salariés, sont choquantes. Puisque le Premier ministre veut savoir ce que les entreprises ont fait de cet argent, soutiendrez-vous la proposition de résolution en vue de la création d’une commission d’enquête que je déposerai au nom du groupe Écologiste et social ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Le gouvernement est transparent s’agissant des aides et de leur efficacité : elles doivent être évaluées de manière systématique et indépendante, selon des méthodes conformes aux standards scientifiques ; et si elles ne fonctionnent pas, il faut les supprimer. Par ailleurs, je le répète, ces aides sont assorties de contreparties.
M. Frédéric Weber (RN). Non, l’acier n’est pas le passé ! Il reste l’avenir et il est stratégique pour la France. Les salariés d’ArcelorMittal, tant à Fos-sur-Mer qu’à Dunkerque, sont pourtant préoccupés. Ce grand groupe, comme d’autres, met ses sites en concurrence intra-européenne. Les sites de Gand en Belgique et de Brême en Espagne, les sites en France, les investissements, les aides, tout cela est mis en balance pour savoir s’il faut garder l’outil industriel. Il y a douze ans, je mangeais la merguez de la fraternité avec un futur ex-président de gauche, qui devait résoudre ces problèmes. Il est aujourd’hui député du NFP, mais les mêmes problèmes restent posés. Les promesses et les paroles, on connaît ! Les salariés veulent des actes pour protéger l’industrie.
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Je n’ai jamais dit que l’acier était le passé. Cette pensée n’est pas dans ma bouche, ni dans mon esprit.
Pour répondre à l’enjeu de la décarbonation des sites industriels, plusieurs sites ont besoin de consentir de lourds investissements pour s’inscrire dans la trajectoire de baisse des émissions prévue au niveau européen. Ils disposent du soutien de l’État, au titre de « France 2030 ».
Le deuxième enjeu est celui de la protection commerciale, extra-européenne et intra‑européenne. La Commission européenne doit apporter une réponse rapide quant à une clause de sauvegarde pour l’acier.
Mme Justine Gruet (DR). L’industrie est un moteur de l’économie et de l’attractivité de nos territoires. Nous devons assurer notre souveraineté énergétique pour garantir des coûts maîtrisés à nos entreprises, d’où l’importance du nucléaire pour une énergie à bas coût et décarbonée. Sous la précédente législature, nous avions travaillé avec la Première ministre au développement d’écoles nationales : de l’aéronautique dans le Sud-Ouest, du nucléaire dans l’Ouest et de l’hydrogène en Bourgogne-Franche-Comté. L’objectif de cette dernière école serait de structurer des filières de formation et de recherche pour tourner notre pays vers des pistes d’innovation en matière d’énergie à base d’hydrogène. Nous traversons une période houleuse avec un manque de visibilité, mais nous ne pouvons pas nous permettre de rester spectateurs et de perdre en compétitivité. Les jeunes doivent pouvoir monter en compétence dans des filières d’avenir, et les solutions se trouvent certainement dans nos territoires. Pouvons-nous compter sur votre soutien pour porter le projet de ces écoles nationales ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Je sais, pour m’être déplacé à deux reprises dans votre région, l’engagement et l’investissement de ses élus en faveur de l’hydrogène. La France s’est dotée d’une première stratégie Hydrogène en 2020, qui est en cours de mise à jour. Le gouvernement a publié pour consultation ses nouvelles orientations stratégiques en décembre dernier, mais la circonstance que l’on sait a suspendu certaines décisions. Il s’agit donc de travailler à finaliser la stratégie française, que nous souhaitons ambitieuse et réaliste. C’est un enjeu environnemental et économique, mais aussi de souveraineté.
M. René Pilato (LFI-NFP). Les agendas Oxford, marque centenaire née à Angoulême et portée par Lecas Industries, pourraient bien, dès l’an prochain, devenir « made in Turquie ». Le groupe Hamelin, leader européen des fournitures de bureau, a décidé d’en délocaliser la production. Ce groupe est tristement célèbre pour la gestion agressive de ses entreprises, hier en Normandie et aujourd’hui en Charente. Sa méthode consiste à faire de Lecas Industries une filiale, à lui imposer des coûts intenables comme un loyer exorbitant, à ne pas investir et à laisser passer des contrats et, pire, à contraindre les salariés à transférer leur savoir‑faire en Turquie. Tout cela pour finir par un plan social opaque et humiliant, avec menace de liquidation judiciaire si les salariés ne l’acceptent pas en l’état. La vie des salariés s’efface devant les dividendes… Que comptez-vous faire pour stopper les délocalisations qui détruisent des familles ? Que pensez-vous d’une taxe au kilomètre comme mesure de protectionnisme ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. N’hésitez pas à entrer en contact avec mes équipes pour avoir des détails précis concernant ce dossier.
Pour éviter les délocalisations, nous résolvons le problème de la compétitivité, en particulier celle liée au prix de l’énergie. Nous essayons notamment de faire aboutir une négociation difficile avec EDF sur la visibilité donnée aux entreprises industrielles, en particulier électro-intensives, concernant les tarifs de l’électricité à horizon de quinze ans. Cela aura des conséquences sur l’ensemble de la chaîne de valeur, car les fournisseurs sont soumis aux fluctuations de la demande de leurs donneurs d’ordre.
Nous avons besoin de réfléchir aux déterminants de la compétitivité globale. Le rapport Draghi devrait nous inspirer.
M. Dominique Potier (SOC). La commande publique représente 10 % du PIB et la France fait preuve d’une immense naïveté en la matière. Nous ne manquons pas de dispositions législatives, comme l’article 35 de la loi « Climat et résilience » ou l’article 29 de la loi « Industrie verte », qui permettent d’exclure d’un marché public un pays qui ne respecte pas le principe de réciprocité – mais ils sont peu appliqués. Un décret devait être publié le 30 avril ; il ne l’est toujours pas et nous perdons des parts de marché pour des industries aussi stratégiques que les canalisations. Pouvons-nous nous mettre sérieusement au travail pour faire une sorte de Public Act au service de notre industrie ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Ce sujet me tient particulièrement à cœur. Dès ma nomination, j’ai discuté avec des acteurs de la commande publique, notamment les directeurs des achats des entreprises sous portefeuille de l’Agence des participations de l’État (APE). C’est une question stratégique.
Au niveau national, nous gagnerions à identifier des filières stratégiques vers lesquelles orienter la commande publique de façon volontariste. Cela implique de fixer des directives claires aux centrales d’achat. Au niveau européen, l’enjeu est la modification de la législation, pour introduire des clauses de contenu local fondées sur des critères environnementaux – ce sont les plus solides juridiquement.
M. Stéphane Buchou (EPR). Le plan de reconversion engagé par Michelin à La Roche-sur-Yon en 2020 est souvent salué. Il y a eu plus d’emplois créés que supprimés à l’époque, mais ils n’ont pas toujours concerné d’anciens salariés. J’appelle donc votre vigilance sur les futures étapes à Cholet et à Vannes. Comment le gouvernement compte-t-il accompagner les salariés touchés par la fermeture de ces deux usines ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. J’ai touché ce sujet du doigt et de la voix face aux salariés de Michelin – parmi lesquels un représentant syndical avait été concerné par le plan social de La Roche-sur-Yon et avait dû venir travailler à Cholet dans le cadre d’une mobilité professionnelle. Nous ne souhaitons pas voir se multiplier ces décisions qui déstabilisent des familles et des vies. J’ai demandé à la direction de Michelin que les mesures d’accompagnement et de revitalisation sur lesquelles elle s’est engagée se traduisent par des emplois dans le territoire des salariés. Il est essentiel qu’ils puissent garder leurs liens sociaux et familiaux, et surtout que les enfants restent dans leur école.
Mme Danielle Brulebois (EPR). Le secteur de la construction traverse une grave crise. La Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) nous alerte sur la chute vertigineuse des mises en chantier. C’est aussi le cas dans l’industrie. Par exemple, la cimenterie Eqiom a arrêté son four dans le Jura et la tuilerie Edilians a ralenti sa production. Quelles mesures envisagez-vous pour éviter que ce secteur ne s’effondre complètement ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Ce secteur est particulièrement concerné par la décarbonation : certaines cimenteries font partie des cinquante sites les plus émetteurs de l’industrie, qui représente 20 % de nos émissions totales de gaz à effet de serre. L’enjeu est de soutenir les acteurs engagés dans la trajectoire de décarbonation et c’est l’objet des autorisations d’engagement budgétaires inscrites dans le cadre de « France 2030 ». Une analyse fine des besoins est en cours, pour calibrer les aides à la décarbonation. Nous espérons pouvoir vous donner des informations dans les prochaines semaines.
M. Thierry Benoit (HOR). Parmi les difficultés rencontrées par les entreprises industrielles, il y a la conjonction de l’inflation et du coût de l’énergie, mais aussi le remboursement des prêts garantis par l’État. Le Gouvernement accordera-t-il des délais aux entreprises qui en ont besoin ?
Vous avez parlé de la naïveté de l’Union européenne, mais qu’en est-il de sa solidarité ? La France est un pays d’excellence en matière d’aéronautique, d’aviation et d’industrie de défense. Avez-vous des discussions avec vos homologues européens pour éviter que des commandes soient passées en dehors de l’Union européenne ?
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Le remboursement des PGE est en effet une source importante de défaillances d’entreprises. Nous avons déjà accordé des délais à des secteurs délimités et soumis à des contraintes particulières. Les PGE étant octroyés par les banques, c’est avec celles-ci que la discussion doit avoir lieu. Néanmoins, quand les difficultés rendent nécessaire d’envisager une procédure collective, quand les dossiers ont des conséquences territoriales et sociales importantes, les acteurs de l’État sont mobilisés – les commissaires au redressement productif, au premier chef, la direction de l’innovation et des relations avec les entreprises (Dire), quand les dossiers sont plus gros, et éventuellement Bpifrance, quand il s’agit de consolider la structure financière des entreprises.
S’agissant de l’aéronautique, nous devons avoir une stratégie globale avec nos partenaires. Mes homologues allemand et italien sont sensibles à la nécessité de retrouver la défense de nos intérêts. Cela suppose des outils de protection commerciale, comme l’ajustement du mécanisme carbone aux frontières. C’est une protection potentiellement efficace, qui a probablement besoin d’évoluer. Nombre de nos outils de défense sont moins efficaces que ceux d’autres pays, en particulier les États-Unis. Il faut pouvoir les mobiliser plus rapidement. Nous y travaillons.
M. Benoît Biteau (EcoS). L’économie sans éthique nous conduit à la ruine. Un problème de cohérence et peut-être d’hypocrisie me semble se poser lorsqu’on autorise, en Europe et en France, la fabrication de pesticides interdits, comme le Syngenta. Quand on demande de la réciprocité et des clauses miroirs – et c’est important –, on doit montrer l’exemple en cessant de fabriquer, pour les exporter, ces pesticides interdits en Europe, qui nous reviennent en boomerang dans les produits qu’ils ont servi à traiter, et qui menacent notre santé, l’écologie et la biodiversité.
M. Marc Ferracci, ministre délégué. Vous soulevez des questions hors de mon champ ministériel. En tout état de cause, il faut des clauses miroirs dans tous les domaines, mais surtout des mécanismes pour les faire contrôler et respecter. Le Gouvernement est particulièrement vigilant en la matière, ce qui l’a amené à suspendre la signature du traité avec le Mercosur.
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Informations relatives à la commission
La commission a désigné :
– Mme Marie Lebec (EPR) comme rapporteure pour avis sur le projet de loi n° 529 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes (articles 20 à 22 et 26 par délégation) ;
– M. Jean-Luc Fugit (EPR) comme rapporteur sur la proposition de loi n° 380 visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l’aide d’aéronefs télépilotés ;
– MM. Inaki Echaniz (SOC) et Bastien Marchive (EPR) comme corapporteurs sur la proposition de loi n° 546 visant à prévenir les litiges relatifs aux obligations de décence énergétique et à sécuriser leur application en copropriété ;
– Mme Mélanie Thomin (SOC) comme rapporteure sur la proposition de résolution européenne n° 533 relative à l’adoption et à la mise en œuvre d’exigences à l’importation pour le respect de normes de production équivalentes aux normes de production essentielles, en matière de santé, d’environnement, de biodiversité et de bien-être animal applicables dans l’Union européenne.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mardi 12 novembre 2024 à 16 h 35
Présents. – M. Laurent Alexandre, M. Charles Alloncle, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Karim Benbrahim, M. Thierry Benoit, M. Benoît Biteau, M. Éric Bothorel, M. Stéphane Buchou, M. Julien Dive, M. Frédéric Falcon, M. Charles Fournier, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Antoine Golliot, Mme Olivia Grégoire, Mme Mathilde Hignet, M. Harold Huwart, Mme Julie Laernoes, M. Thomas Lam, Mme Laure Lavalette, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Lebec, M. Robert Le Bourgeois, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Laurent Lhardit, M. Alexandre Loubet, Mme Sandra Marsaud, M. Patrice Martin, M. Paul Midy, M. Stéphane Peu, M. René Pilato, M. Dominique Potier, M. Vincent Rolland, Mme Valérie Rossi, M. Matthias Tavel, M. Boris Tavernier, Mme Mélanie Thomin, M. Lionel Tivoli, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Jean-Pierre Vigier, M. Stéphane Vojetta, M. Frédéric Weber
Excusés. – Mme Anne-Laure Blin, M. André Chassaigne, M. Philippe Naillet, M. Joseph Rivière
Assistaient également à la réunion. – M. Pierre Cordier, M. Damien Girard, Mme Justine Gruet, Mme Élise Leboucher, M. Aurélien Saintoul