Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Audition de M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des Outre-mer, sur le projet de loi d’urgence pour Mayotte, discussion générale et examen des articles du projet de loi              2

 Information relative à la commission....................61

 


Lundi 13 janvier 2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 39

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Aurélie Trouvé,

Présidente


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La commission a auditionné M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des Outre-mer, sur le projet de loi d’urgence pour Mayotte et commencé l’examen des articles de ce projet de loi.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je vous adresse d’abord tous mes vœux pour l’année qui commence.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi d’urgence pour Mayotte, présenté le 8 janvier dernier en Conseil des ministres, nous accueillons aujourd’hui M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer, que je remercie pour sa présence. Son audition tiendra lieu de discussion générale sur ce texte, après quoi nous aurons à examiner 219 amendements.

Le cyclone Chido a dévasté Mayotte le 14 décembre 2024, causant un grand nombre de victimes et des destructions considérables, comme notre pays n’en avait probablement plus connues depuis la Seconde guerre mondiale. Des mesures urgentes étaient indispensables pour faire face à la catastrophe, car une grande partie de la population de Mayotte était dépourvue de tout – eau, nourriture, logement, électricité, moyens de communication, services de santé, etc. Nombre de Mahorais et de Mahoraises manquent encore des biens et des services les plus essentiels ; je pense particulièrement aux enfants et aux jeunes qui auraient dû faire leur rentrée aujourd’hui.

Le projet de loi, qui prévoit des mesures d’urgence pour permettre une reconstruction accélérée, devait initialement être présenté le 3 janvier en Conseil des ministres. Sa présentation ayant été reportée au 8 janvier – date à laquelle nous avions d’abord envisagé son examen en commission – et son passage en séance publique étant annoncé officiellement pour le 20 janvier, nous avons eu cinq jours pour en prendre connaissance.

Nous nous sommes bien sûr adaptés à ce calendrier très contraint, justifié par l’urgence de la situation ; dans l’attente de la nomination d’un rapporteur, j’ai pris l’initiative d’organiser en fin de semaine dernière en visioconférence une série d’auditions d’acteurs locaux. Nous avons ainsi pu échanger avec des représentants du conseil départemental, des syndicats et du patronat, ainsi qu’avec le préfet. Ce fut très instructif et nous remercions l’ensemble de ces acteurs pour leur disponibilité.

Au nom de la commission, j’adresse nos pensées et notre soutien à la population de Mayotte, si durement éprouvée par cette catastrophe. Le préfet nous a indiqué que jusqu’à 90 % des infrastructures ont été détruites, et nous ne connaissons toujours pas le nombre exact de personnes décédées. En outre, Mayotte est à nouveau frappée en ce moment même par la tempête Dikeledi, qui s’accompagne de pluies torrentielles.

Le Gouvernement ayant annoncé son intention de déposer d’ici quelques mois un projet de loi-programme de refondation de Mayotte, je proposerai à un prochain bureau de la commission qu’une délégation se rende sur place, afin d’étudier la situation et les moyens de renforcer le développement économique de l’archipel. Nous savons que les besoins et les défis économiques à relever sont immenses, et il me semble nécessaire que notre commission soit saisie de ce futur projet de loi.

Mayotte a connu, après la catastrophe, des difficultés d’accès à l’eau potable aux conséquences dramatiques. Si elles ont été accentuées par les destructions liées au passage du cyclone, elles étaient déjà récurrentes auparavant. Quelles actions seront engagées pour garantir que nos concitoyens de Mayotte puissent accéder rapidement et de façon continue à l’eau potable – ce qui constitue un besoin fondamental ? Pourquoi ne pas avoir utilisé le cadre de ce texte pour répondre à ce défi ?

Comment comptez-vous concilier, dans la reconstruction des bâtiments, rapidité, solidité et pérennité, tout en tenant compte du climat local, afin d’éviter à l’avenir une telle catastrophe ?

Pourquoi n’avoir pas inscrit dans le projet de loi le gel des factures d’eau, d’électricité ou encore de gaz, alors que la desserte est défaillante et que les ménages comme les entreprises vont connaître des problèmes importants de trésorerie cette année ?

La prise en charge de l’activité partielle, la prolongation des droits des demandeurs d’emploi et le maintien des prestations sociales jusqu’au 31 mars 2025 vous paraissent-ils suffisants ? Pourrait-on envisager une prolongation de ces mesures de quelques mois, comme nous l’ont suggéré les organisations syndicales et patronales lors des auditions ?

Quels moyens budgétaires comptez-vous allouer à la reconstruction de Mayotte ?

Pourquoi les droits aux prestations sociales sont-ils prolongés pour toutes les catégories d’actifs à l’exception des agriculteurs ? On nous a fait part, lors des auditions, de la situation d’urgence dans laquelle se trouve l’agriculture mahoraise.

M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer. Le 14 décembre dernier, le cyclone Chido frappait durement Mayotte, laissant en état de choc et de sidération une population déjà confrontée à de nombreuses et graves difficultés quotidiennes. Par son ampleur inédite et parce qu’il a touché un territoire éloigné de 8 000 kilomètres de l’Hexagone et situé à deux heures d’avion de La Réunion, cet événement a donné lieu à la plus grave crise de sécurité civile que notre pays ait connue depuis la Seconde guerre mondiale. Le bilan humain, déjà dramatique, reste difficile à déterminer de façon précise. Nous comptons à ce jour 39 personnes décédées, 124 blessés graves et 4 466 blessés légers, mais ce bilan n’est pas définitif.

S’ajoute à cela un désastre écologique et économique. Trois quarts de la forêt ont été dévastés. Je connais bien Mayotte. L’une des choses qui m’a frappé en y retournant, à Combani notamment, c’est que l’on peut désormais apercevoir facilement l’océan et l’horizon, autrefois dissimulés derrière l’ombre accueillante et apaisante des palmiers, bambous et autres manguiers. Même des baobabs tricentenaires sont tombés. J’ai ressenti – je le dis avec beaucoup d’émotion – ce qui doit être une déchirure brutale pour les Mahorais. Des filières sont sinistrées, faisant courir le risque de désastres sociaux ; l’agriculture est très lourdement menacée ; la pêche est plus que fragilisée ; les circuits d’eau sont rompus ; des terrains peuvent s’effondrer. L’équilibre écologique tout entier est en danger.

Je veux avoir, avec vous, une pensée pour les Mahorais et pour leurs proches. Les morts, les personnes blessées physiquement et psychologiquement, les habitants qui ont été particulièrement isolés après le cyclone – à Mtsamboro par exemple, où je me suis rendu avec madame la rapporteure, et à Bouéni, dans le sud –, ces vies meurtries, ces hommes et ces femmes sans toit, ces travailleurs inquiets : tous nous obligent. Les deux députées du territoire vous le diront bien mieux que moi.

Hier et aujourd’hui, le territoire a encore été frappé durement par une tempête tropicale intense et par de fortes pluies liées au phénomène de mousson. Les communes dépendant de l’unité de production de Bouyouni, comme Mtsamboro, rencontrent des problèmes d’alimentation en eau. Je sais que la situation est difficile, Madame la députée, mais tout est fait pour rétablir l’eau. Des dégâts sérieux sur les canalisations ont aussi occasionné des problèmes dans certaines communes du sud, et le réseau est en cours d’analyse. On peut imaginer l’impact psychologique de cette situation sur la population, ainsi que les nombreux risques qui en découlent, auxquels nous sommes très attentifs : inondations, coulées de boue et submersion côtière. La décision n’est pas encore prise, mais nous sommes en train d’étudier l’éventualité d’un décalage à lundi prochain de la rentrée administrative, qui devait avoir lieu aujourd’hui, et au 27 janvier de la rentrée scolaire ; c’est une précaution qui s’impose.

Nous devons aux Mahorais de trouver ensemble des solutions fortes, concrètes, pragmatiques et dénuées, si possible, de toute idéologie. C’est dans cet état d’esprit que je me présente devant vous et je sais que c’est aussi le vôtre.

Depuis que j’ai pris mes fonctions de ministre des outre-mer le 23 décembre dernier, la situation à Mayotte s’est imposée à moi et à nous tous comme une urgence immédiate, comme la priorité numéro un de notre action. Elle l’est également pour le Premier ministre et pour l’ensemble du Gouvernement, engagé dans la réponse à la crise et dans la déclinaison progressive, mais rapide, du plan « Mayotte debout » annoncé le 30 décembre dernier par le Premier ministre François Bayrou.

J’ai un mandat clair, celui de refonder Mayotte. Cet après-midi, nous avons celui de poser les premières pierres de cette refondation. Je le dis sans détour et avec clarté : refonder, cela va beaucoup plus loin que reconstruire, mais la reconstruction est un préalable incontournable pour répondre aux urgences et envisager ensuite une véritable refondation ; c’est la responsabilité qui incombe à tous.

Ma méthode s’organise en trois temps. Le premier est celui de l’urgence immédiate et de la gestion de crise – aggravée, qui plus est, ces dernières heures. Le deuxième est celui du présent projet de loi d’urgence, visant à prendre les mesures législatives qui ne peuvent attendre. Le troisième enfin sera celui de mesures plus structurelles, déclinées dans un projet de loi-programme pour Mayotte, « Mayotte debout », dont vous aurez naturellement à connaître – d’ici début mars, j’espère.

Le premier temps, celui de l’urgence immédiate et de la gestion de crise, se poursuit sans répit. Je crois utile de vous présenter un point de situation le plus précis possible ; l’État, en effet, n’a évidemment pas attendu ce projet de loi pour agir. L’état de calamité exceptionnelle a été décrété par le Premier ministre dès le 18 décembre. Il permet de considérer que la condition légale tenant à l’urgence ou à la force majeure est présumée remplie pour accélérer certaines procédures. Dès le 19 décembre, un arrêté portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle était également pris ; il permet d’accompagner les collectivités territoriales, mais aussi les assurés, dans un territoire qui en compte néanmoins trop peu.

Un décret était également pris dès le 18 décembre pour encadrer, jusqu’au 18 juin 2025, les prix de vente à la production et les marges à l’importation ainsi qu’à tous les stades de la distribution de certains produits à Mayotte. C’est notamment ce décret qui a permis l’encadrement du prix de l’eau plate en bouteille, au sujet duquel subsistent néanmoins quelques difficultés, je le sais.

Enfin, je cosignerai très vite un décret permettant d’accorder une aide exceptionnelle aux entreprises de Mayotte pour les mois de décembre 2024 et janvier 2025, laquelle pourra atteindre 20 000 euros.

Une mission interinspections procède à l’évaluation des dégâts et du coût de la reconstruction afin de calibrer les moyens nécessaires au futur établissement public. Surtout, l’État a été pleinement mobilisé – et l’est toujours – pour faire face aux urgences vitales. Je veux, à cet égard, saluer l’engagement exceptionnel de tous les agents des services publics, qui ne comptent pas leurs heures pour soigner, accompagner, ou reloger ceux qui ont tout perdu. Je salue tout particulièrement le préfet François-Xavier Bieuville, ses équipes, ainsi que celles de la préfecture de La Réunion. Je salue enfin l’action déterminante des élus – notamment des deux députées, qui ont été présentes sur le terrain, et des sénateurs –, du monde associatif et caritatif et des bénévoles.

L’État est aussi mobilisé au plus haut niveau : le ministre de l’intérieur et mon prédécesseur, le président de la République, suivi du Premier ministre et de plusieurs membres du Gouvernement, se sont rendus sur place. Mon collègue ministre Thani Mohamed Soilihi, qui est mahorais, suit naturellement la situation. La présidente de l’Assemblée nationale revient également de Mayotte. J’ai tenu à rester sur place quarante-huit heures supplémentaires afin de prendre la pleine mesure de la situation sur le terrain.

Cette mobilisation exceptionnelle produit déjà des avancées concrètes ; restant prudent et très modeste, je sais néanmoins que le chemin est encore long. L’action doit se poursuivre sans relâche et dans la durée, avec une présence constante sur le terrain, car la situation exige une mobilisation sans faille de tous.

La distribution de vivres et le rétablissement de l’accès à l’eau courante progressent. Nous devrons d’ailleurs être très attentifs à ce que le mois de ramadan, une période très importante pour les Mahorais, qui débute fin février, puisse se passer dans les meilleures conditions possibles de ce point de vue.

Plus de 80 % des clients sont réalimentés en électricité. Le choix qui a été fait d’enfouir les lignes, afin de limiter de futurs désagréments, a pour conséquence d’allonger un peu les délais. Plus de 200 agents d’EDF et d’Électricité de Mayotte (EDM) sont mobilisés. En matière de télécommunications mobiles, le taux de couverture des abonnés dépasse les 90 %. Il reste très faible pour les communications fixes, oscillant entre 20 et 30 % en fonction de l’opérateur. Mais – j’entends déjà les interpellations à venir – si les statistiques continuent de progresser, elles ne constituent que des moyennes. La situation nécessite une attention constante, notamment dans les territoires les plus reculés. Je sais, par exemple, que certains secteurs sont loin d’être bien approvisionnés en électricité : il faut mettre le paquet d’ici la fin du mois de janvier.

Pour ce qui concerne l’eau, nous reviendrons au mieux à la situation très insatisfaisante d’avant le cyclone Chido ; nous avons tous en tête la crise aiguë de 2023. C’est pourquoi figurent, parmi les priorités du plan « Mayotte debout », la construction de la deuxième usine de dessalement – promise de longue date – et l’accélération de la création d’une troisième retenue collinaire. Quant aux capacités d’assainissement, elles sont directement dépendantes de la montée en puissance de l’alimentation électrique. Seuls vingt-six des trente-cinq sites de la Société mahoraise d’assainissement sont actuellement réalimentés.

Nous sommes aussi particulièrement mobilisés pour faire face à deux défis. Le premier est la préparation de la rentrée scolaire. La rentrée administrative, qui a été décalée par précaution à l’approche de la tempête tropicale Dikeledi, aura lieu la semaine prochaine. Quant à l’accueil des élèves, il débutera sans doute à compter du 27 janvier. 70 % des salles de classe des premier et second degrés devraient être disponibles, mais nous constatons depuis hier des dégâts, notamment dans le sud du territoire.

Le second est la gestion des déchets, nécessaire pour éviter tout risque sanitaire. L’évacuation totale des déchets ménagers de la voie publique doit être terminée à la fin du mois de janvier.

L’accès aux soins est également une priorité. L’élément de sécurité civile rapide d’intervention médicale (Escrim), plus grand hôpital de campagne d’Europe, complète l’action de l’hôpital de Mamoudzou et tourne à plein régime : plus de 3 300 personnes y ont été accueillies depuis son ouverture. Après l’épisode de cette fin de semaine, il sera remonté.

Les opérations dites d’aller vers, en matière de santé, se poursuivent et s’accélèrent. Plus de 18 000 prises de contact entre secouristes et population ont eu lieu. Sans se traduire par une hausse substantielle du nombre de blessés recensés, la multiplication de ces opérations est évidemment une bonne nouvelle. Je mesure cependant le chemin qui reste à parcourir. Le risque épidémiologique fait l’objet d’une vigilance maximale pour éviter le développement du choléra – 3,6 millions de comprimés de chloration ont été distribués et 10 000 doses de vaccins prépositionnées à La Réunion – mais aussi de la dengue et du chikungunya.

Nous sommes aussi très attentifs au risque traumatologique, auquel visent à répondre les opérations d’« aller vers », mais aussi le dispositif téléphonique de soutien médico-psychologique, qui a reçu 239 appels depuis son ouverture le 16 décembre. Nous sommes enfin mobilisés pour avancer au plus vite sur le reboisement de l’île. L’importation des pousses est une urgence, d’autant que c’est la saison pour semer. Si nous ne le faisons pas, nous risquons une catastrophe.

Encore une fois, je vous donne ces chiffres en étant conscient que la population et les élus ressentent parfois les choses différemment sur le terrain.

Au-delà de cette action opérationnelle immédiate, la réponse de l’État entre dans une deuxième phase avec le projet de loi d’urgence pour Mayotte. La philosophie générale du texte est simple : permettre la mise en œuvre très rapide de mesures urgentes pour faciliter l’hébergement et l’accompagnement de la population, ainsi que la reconstruction ou la réparation des infrastructures et logements sinistrés. Il comprend vingt-deux articles, dont trois sont des habilitations à légiférer par ordonnance, répartis en sept chapitres.

Le chapitre Ier comporte deux mesures importantes. Dans le premier article, le Gouvernement demande au Parlement de l’habiliter à légiférer par ordonnance pour créer un opérateur unique et puissant dédié à la reconstruction de Mayotte, et pour confier à celui-ci la mission de coordonner les travaux de reconstruction. L’habilitation que nous vous demandons précise déjà la nécessité d’associer les collectivités territoriales mahoraises. À la suite de nombreuses demandes des élus locaux sur le terrain, le Gouvernement proposera un amendement visant à spécifier que cet établissement public ne sera pas l’Établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte, l’Epfam, mais que les missions de ce dernier seront intégrées dans la nouvelle structure. Par décret du Président de la République en date du 9 janvier dernier, le général Pascal Facon a été nommé préfigurateur de cet établissement public. Il va se rendre sur place, afin de discuter avec tous les acteurs, et se tient évidemment à votre disposition.

L’article 2 permet à l’État, jusqu’au 31 décembre 2027, d’assumer la compétence de construction, reconstruction, réhabilitation, rénovation et réparation des écoles publiques communales à Mayotte. Cette substitution sera temporaire et soumise à l’avis des communes.

Le chapitre II adapte les règles d’urbanisme et de construction. Nous y reviendrons.

Les cinq articles que contient le chapitre III s’inspirent des dispositions prises à la suite des violences urbaines de l’été 2023 pour faciliter la reconstruction des bâtiments détruits. Ils visent à adapter les procédures d’urbanisme et d’aménagement aux enjeux de la reconstruction à Mayotte.

Le chapitre IV est constitué d’un seul article, l’article 10, habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour adapter les règles relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique. Il s’agit de prendre en considération les particularités de Mayotte, où il est souvent difficile d’identifier formellement les propriétaires de terrains. L’objectif est d’y faciliter les opérations de construction et de relogement.

Le chapitre V regroupe quatre articles prévoyant des adaptations et dérogations, pour vingt-quatre mois, aux règles de la commande publique, là encore pour simplifier et accélérer les procédures.

Le chapitre VI comprend des mesures déjà annoncées, inspirées des dispositions appliquées pour la reconstruction de Notre-Dame et visant à faciliter les dons en faveur de Mayotte.

Le chapitre VII, enfin, regroupe différentes mesures sociales en faveur de la population à Mayotte, pour la plupart applicables jusqu’au 31 mars prochain. Les agriculteurs et pêcheurs, des professions particulièrement touchées, bénéficieront de certaines d’entre elles. Le Gouvernement proposera des amendements portant sur certaines autres catégories de prestations, comme les allocations logement, ou pour s’assurer que le régime agricole est couvert par le droit au maintien des prestations versées. Il travaille par ailleurs à l’activation au plus vite de dispositifs d’urgence à destination des particuliers les plus vulnérables, des acteurs économiques et des collectivités territoriales. Une circulaire est en cours de finalisation pour préciser les principes d’intervention et modalités de mise en œuvre de dispositifs tels que le fonds de secours d’extrême urgence et le fonds de secours pour les outre-mer (FSOM).

Même si l’on s’en tient au seul sujet de l’urgence, ce texte est sans aucun doute encore incomplet. Je souhaitais que le débat parlementaire permette de le compléter – et il le pourra bien entendu sur certains points. Mais sur d’autres sujets déterminants, plusieurs amendements déposés notamment par le Gouvernement ont été déclarés irrecevables, car considérés comme des cavaliers. C’est votre droit, mais je le regrette. Je pense à plusieurs mesures très urgentes qui auraient dû être adoptées avec la même célérité que les autres.

Les premières visent la lutte contre l’habitat illégal, un sujet prioritaire pour le Gouvernement. Je le dis avec clarté et fermeté, comme l’a affirmé le Premier ministre sur place : nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville. Même si ces amendements ont été déclarés irrecevables, nous trouverons le vecteur, au plus tard lors du projet de loi-programme, pour élargir les catégories d’agents pouvant constater l’édification illégale, pour faciliter juridiquement la traversée des bangas par les officiers de police judiciaire, pour contrôler les activités professionnelles illégales ou encore pour étendre le délai de flagrance. Je veux toutefois souligner que s’il est possible de procéder à des ajustements rapides par la loi, cette lutte passera avant tout, à moyen terme, par l’engagement de forces sur le terrain et surtout par une lutte plus résolue contre l’immigration irrégulière.

L’autre mesure urgente que nous souhaitions introduire vise à protéger les habitants de Mayotte contre de possibles augmentations excessives de loyers, afin qu’à l’horreur du cyclone ne s’ajoute pas l’indignité des profiteurs de crise. Nous la défendrons également plus tard.

Au-delà des irrecevabilités, ce projet de loi porte déjà de nombreuses mesures. Donnez-nous tous ces moyens et j’en suivrai la mise en œuvre matin, midi et soir. Une équipe dédiée est en cours de constitution, placée auprès de mon cabinet, pour suivre minute par minute la situation à Mayotte. Composée de spécialistes de chaque sujet – santé, immigration, sécurité, agriculture, énergie, environnement, éducation, économie –, dans une approche interministérielle, elle sera en lien très étroit avec la préfecture sur place, dont les moyens humains et matériels ont été renforcés et le seront encore davantage.

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 devra évidemment intégrer tous ces éléments, ainsi que le coût de la reconstruction.

Le projet de loi est donc une réponse incontournable. Mais il n’est qu’une première étape, d’autant que Mayotte subit un véritable sous-­investissement par rapport à d’autres territoires, par exemple en matière de politique de la ville ou d’éducation.

Interviendra ainsi un troisième temps, celui des mesures structurelles contenues dans un autre texte de loi. Le Premier ministre l’a annoncé : nous allons mener une concertation très large dans les prochaines semaines pour avancer sur d’autres mesures législatives plus structurelles. Nous vous présenterons donc, dans les deux mois, un projet de loi-programme de refondation pour Mayotte, qui fait l’objet d’un travail interministériel depuis plusieurs mois. Il visera notamment à transcrire dans la loi certaines autres mesures du plan « Mayotte debout », ainsi qu’à permettre le développement économique, éducatif et social du territoire sur de nouvelles bases. C’est ainsi, par exemple, que nous y instituerons une zone franche globale.

Mais ne nous mentons pas : le cyclone qui a ravagé Mayotte a révélé et exacerbé les problèmes et défis existants. Car Mayotte plie déjà depuis des années sous le poids de deux fléaux qui la rongent : l’habitat illégal et l’immigration clandestine. Je vous proposerai dès aujourd’hui des mesures visant à mieux lutter contre l’habitat illégal. Quant à la lutte contre l’immigration clandestine, elle constituera un volet primordial du second projet de loi, sur lequel mon collègue Bruno Retailleau travaille déjà.

L’immigration illégale pèse sur tous les aspects de la vie quotidienne de nos compatriotes mahorais, nourrit l’ultraviolence et alimente des réseaux de trafiquants d’êtres humains. C’est indigne de la République et de nos valeurs universelles. Même si c’est difficile, nous rétablissons dès à présent nos moyens de détection des entrées illégales par voie aérienne et maritime. Le plan « Mayotte debout » prévoit une montée en gamme de ces moyens : d’ici la fin du mois, quatre radars légers seront mis en place et trois caméras à très longue portée seront installées pour couvrir les axes les plus empruntés par les passeurs. Surtout, trois drones de nouvelle génération seront expérimentés à compter du printemps et de nouveaux intercepteurs seront mis à l’eau.

Mais nous devrons aussi prendre des mesures fermes pour renforcer juridiquement nos moyens de lutte contre l’immigration illégale : allonger la durée de résidence régulière des parents pour l’accès des enfants à la nationalité française, disposer de meilleurs outils juridiques pour lutter contre les reconnaissances frauduleuses de paternité, étendre l’aide au retour volontaire des ressortissants africains dans leur pays d’origine. Nous devons augmenter les éloignements de clandestins de vingt-cinq mille aujourd’hui à trente-cinq mille au moins demain – ce qui suppose un rapport très ferme avec les Comores. Des initiatives parlementaires proposeront déjà d’avancer dans les prochaines semaines ; nous les regarderons de près. Je travaillerai particulièrement sur ce dernier point avec le ministre de l’intérieur. Au-delà des convictions des uns et des autres, je n’élude pas le sujet du droit du sol qui, comme le Premier ministre l’a affirmé lors de son déplacement sur l’île, est « une question qu’il faut se poser ».

Il y a évidemment le jeu politique et les actualités qui vont et viennent, mais il y a une impérieuse exigence : ne pas laisser tomber Mayotte. Le monde nous regarde, et nous ne devons rien lâcher pour l’aider à se relever. Je ne transigerai sur rien pour reconstruire l’île sur des bases plus saines, pour changer son visage et, ainsi, la vie des Mahorais. Nous le ferons avec tous les élus mahorais et, évidemment, avec les parlementaires du territoire.

J’espère vivement que ce texte fera consensus dans vos rangs. Fort de cette position, je pourrai, de retour à Mayotte à la fin du mois, regarder droit dans les yeux les hommes et les femmes que je rencontrerai et leur dire ces mots, dont quiconque connaît l’archipel et ses habitants mesure l’importance : « Mahorais, la nation vous aime autant que vous aimez la nation ! ». Ce qu’ils attendent néanmoins, ce ne sont pas des discours, mais des actes.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je précise que si 41 des 295 amendements déposés ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution, c’est en raison du champ relativement restreint du projet de loi, qui nous a contraints à appliquer cet article dans le même esprit que celui qui a prévalu pour l’examen des textes précédents. Il appartiendra au Gouvernement de proposer, la prochaine fois, un texte permettant d’aborder les questions n’ayant pas pu l’être dans le cadre de ce projet de loi.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Permettez-moi de vous présenter mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année et de vous remercier de m’accueillir dans votre commission.

Mayotte sort depuis quelques heures à peine de l’alerte rouge cyclonique lancée samedi soir : un mois, presque jour pour jour, après le passage du cyclone Chido qui a ravagé notre île, c’est la tempête Dikeledi qui est venue hier plonger la population dans un nouveau cauchemar de dévastation, causée par des vents violents, mais surtout des pluies torrentielles, des coulées de boue et des inondations. Nous qui n’avons, pour beaucoup, plus de toit, avons encore une fois vu le ciel nous tomber sur la tête et détruire les quelques biens qui restaient. À Mtsamboro, il n’y a plus d’eau, de téléphone ni d’électricité depuis trois jours. Acoua reste totalement isolée depuis le 14 décembre. Alors que l’île sort du confinement, le travail de déblaiement et de réparation recommence et chacun peut imaginer l’ampleur des nouveaux dégâts, d’autant que les pluies des moussons vont continuer ces prochains jours.

Je ne reviendrai pas sur le bilan officiel totalement invraisemblable faisant état de trente-neuf morts causés par Chido. Les responsabilités morales et pénales du drame humain qui se joue à Mayotte devront, un jour ou l’autre, être enfin assumées. Je soulignerai simplement l’extrême dénuement et la précarité dans laquelle sont plongés la quasi-totalité des foyers. Nous avons tous, sinon perdu un toit, du moins subi des inondations et des dommages matériels importants et perdu notre emploi ou notre outil de travail, alors que l’eau et l’électricité manquent toujours, que les bâches sont introuvables, que les distributions d’eau et de nourriture sont insuffisantes, que les rayons des supermarchés sont souvent vides.

Mayotte est à terre, le moral bas, la population totalement à bout. Mayotte est à terre et nous nous battons pour survivre et trouver la force de reconstruire. C’est notre seule dignité : l’espoir de nous relever. Le cyclone Chido nous impose de reconstruire Mayotte mieux, correctement, durablement, solidement – pour sortir du précipice, pour résister au changement climatique, pour offrir un avenir à nos enfants et construire la prospérité de demain.

Nous avons la force de tenir et le courage de reconstruire. Nous vous demandons, à vous, d’avoir le courage de ne pas répéter les mêmes erreurs et d’enfin nous écouter. Vous savez parfaitement que ces calamités naturelles viennent s’ajouter aux difficultés structurelles de Mayotte, département sous-développé et sous-équipé, de manière systémique et systématique écarté des mesures de progrès et d’égalité prises pour le pays par les gouvernements successifs. La crise migratoire, les pénuries d’eau, l’insécurité constituent le quotidien des Mahorais, et ces difficultés s’ajoutent aux dégâts des cyclones. Nous sommes français depuis 1841 et Mayotte est devenue un département depuis 2011. Nous avons voté à de multiples reprises pour rester dans la République. Pourtant, Mayotte reste à l’écart de la République, malgré les plans sans suite et les engagements sans lendemain.

Au lendemain du cyclone, nous avons vu, les uns et les autres, défiler sur le territoire et entendu les promesses s’accumuler. Pardonnez-nous de vouloir maintenant des résultats ! Le Premier ministre a, le 30 décembre dernier, présenté le plan « Mayotte debout » et exprimé l’ambition d’accélérer la reconstruction, mais également d’adopter les réformes structurelles nécessaires. Nous cherchons en vain une réelle ambition, ou même la traduction législative de ce plan, dans le projet de loi : nous sommes face à un texte technique, rédigé par la haute administration au lendemain du cyclone et avant la formation du Gouvernement, sans consultation des élus locaux ni des parlementaires.

Le projet de loi qui nous est présenté apporte certes des réponses utiles pour accélérer la reconstruction, mais il reste largement muet sur des sujets essentiels comme l’immigration. La décision du Gouvernement d’amender son propre texte pour lutter contre la reconstruction des bidonvilles l’a exposé à des irrecevabilités. Cette méthode, porteuse d’un échec annoncé, me conduit d’ailleurs à m’interroger sur la sincérité de la démarche gouvernementale.

Depuis le soir du passage du cyclone Chido, j’ai personnellement, de concert avec l’ensemble des élus de Mayotte, alerté l’exécutif – du Président de la République au chef du Gouvernement, en passant par le préfet et les autres responsables présents sur place – pour faire savoir combien il serait irresponsable de laisser reconstruire les bidonvilles, ces installations illégales, dangereuses, insalubres et indignes de la République. On nous a opposé un silence poli et nous subissons l’inertie des autorités, qui ont laissé les pilleurs voler dans nos maisons et dans les établissements publics les matériaux dont ils avaient besoin pour reconstruire les bidonvilles.

Plus de la moitié de la population de Mayotte est étrangère. La destruction des radars et de la maigre flotte de surveillance maritime affectée à la lutte contre l’immigration clandestine permet aux migrants d’arriver sans entrave sur notre île depuis le passage du cyclone. Nous le constatons chaque jour. Alors que notre île n’est déjà pas en mesure de répondre aux besoins vitaux et de garantir les droits fondamentaux des ressortissants français, nous estimons que Mayotte ne peut accueillir davantage d’étrangers. Tous les élus locaux et les parlementaires mahorais ont demandé, en vain, la destruction des bidonvilles, mais aussi la suspension des délivrances des titres de séjour et des attestations de demande d’asile dans notre département, pour éviter toute ambiguïté et mettre fin à l’appel d’air.

Mayotte ne compte qu’un seul hôpital, partiellement détruit ; 80 % des écoles sont détruites ; le Gouvernement prévoit de scolariser nos enfants à tiers-temps, sous des tentes, en pleine saison des pluies. Le cyclone Dikeledi a détruit ce week-end des canalisations et endommagé la maigre production d’eau potable. Les services publics ne fonctionnent pas normalement. Je le répète : notre île n’est pas en mesure de répondre aux besoins vitaux et de garantir les droits fondamentaux des ressortissants français de Mayotte ; elle ne peut pas non plus accueillir davantage d’étrangers.

Le refus de répondre à la question migratoire spécifique à notre département ne fait qu’envenimer la tension sociale et hypothéquer le succès de la reconstruction. À cet égard, le conseil départemental de Mayotte a émis un avis réservé sur ce projet de loi, qui lui a été transmis avant l’ajout des amendements du Gouvernement et de votre rapporteure. L’Association des maires de Mayotte et le conseil économique, social et environnemental de Mayotte (Cesem) ont aussi fait part de leur déception.

Je note également que le texte ne prévoit aucun financement, alors même que nous n’avons pas de budget. La question essentielle des moyens consacrés à la reconstruction de Mayotte est renvoyée à plus tard. Des questions très concrètes se posent pourtant, comme celle du prêt promis aux 90 % des foyers mahorais dépourvus d'assurance. Sur ce point aussi, le texte est silencieux.

Le projet de loi comporte trois types de dispositions : des mesures techniques visant à accélérer la reconstruction, des dispositions fiscales tendant à mobiliser la solidarité nationale et des aménagements fiscaux en faveur de la population et du tissu économique local. Si ces mesures techniques vont majoritairement dans le bon sens, certaines méritent d’être précisées. Je proposerai des amendements en ce sens.

L’article 1er habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour définir les modalités d’intervention de l’Epfam. Il serait chargé de piloter et de coordonner les travaux de reconstruction de Mayotte. Je suis favorable à la réécriture proposée par le Gouvernement, qui prévoit la création d’une nouvelle entité intégrant l’Epfam, lequel est loin d’avoir bonne presse sur l’île. Elle inclurait, dans sa gouvernance, des élus locaux et des acteurs économiques du territoire. Cet aspect est fondamental : la reconstruction ne peut pas se faire sans associer les Mahorais aux décisions.

Pour reconstruire et rénover les écoles les plus endommagées, le projet de loi prévoit que l’État – ou, le cas échéant, l’établissement chargé de la reconstruction – puisse se substituer aux collectivités locales pendant trois ans et assumer l’ensemble des droits et obligations du propriétaire. Au vu des difficultés financières des communes mahoraises, de la multiplicité des tâches qui les attendent et de l’ampleur des dégâts, il s’agit là de mesures nécessaires. L’État ne saurait toutefois se passer d’un avis conforme des communes pour construire de nouvelles écoles. Cette question est particulièrement sensible. Les charges de fonctionnement des écoles dont s’acquittent les communes mahoraises sont déjà très lourdes et ne cessent de s’accroître sous la pression démographique, principalement étrangère.

Accélérer la reconstruction nécessitera aussi une simplification du droit de l’urbanisme. Le projet de loi prévoit, en premier lieu, de dispenser les lieux d’hébergement d’urgence bâtis après le drame de toute formalité au titre du code de l’urbanisme. Je suis naturellement favorable au relogement d’urgence des personnes victimes du sinistre. Le code de l’urbanisme prévoit déjà, pour ces situations, une dispense des formalités d’urbanisme pour une durée pouvant atteindre deux ans. En revanche, la rédaction floue de l’article 3 pourrait favoriser le rétablissement des bidonvilles et de l’habitat informel. Je proposerai donc sa suppression.

Les articles suivants prévoient des adaptations du droit de la construction et de l’urbanisme. Sur le principe, je suis favorable à l’instauration de procédures dérogatoires permettant d’accélérer la reconstruction. Mais, là aussi, il me semble nécessaire de préciser ces dispositions et de mieux les encadrer. Ainsi, l’habilitation à légiférer par ordonnance prévue à l’article 4 me paraît bien trop large : construire vite ne doit pas être synonyme de mal construire. Les habitations de demain devront pouvoir résister aux phénomènes météorologiques. Les règles relatives à l’accessibilité des bâtiments ou à la production d’énergie renouvelable doivent elles aussi être maintenues. Il convient également de préciser qu’aucune procédure dérogatoire concernant les installations et les aménagements ne saurait couvrir l’habitat informel ni permettre la pérennisation des bidonvilles.

S’agissant de la volonté affichée de réduire les délais d’examen des demandes d’autorisation en vue d’opérations de reconstruction ou de réfection des bâtiments détruits, je rappelle qu’il revient à l’État d’accorder aux communes et à ses services des moyens suffisants pour permettre le traitement des dossiers en temps et en heure,

L’article 8 permettrait de remplacer l’enquête publique, pouvant être décidée par le préfet à Mayotte, pour certains travaux de reconstruction et de réfection, par une procédure de participation du public par voie électronique. Alors que les infrastructures de télécommunication ont été largement endommagées par le passage du cyclone Chido et que Mayotte est un désert numérique, je m’interroge sur la pertinence de cette disposition.

L’habilitation à légiférer par ordonnance pour faciliter l’occupation temporaire ou l’expropriation définitive d’emprises foncières à Mayotte n’est pas acceptable et provoque légitimement une levée de boucliers parmi la population et les élus. Il faut ménager les voies de recours nécessaires pour les propriétaires.

Enfin, nous devons rester vigilants quant aux mesures dérogatoires prévues en matière de commande publique : les exemptions de publicité et de mise en concurrence préalable ne doivent pas se traduire par une exclusion des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) mahoraises. Ces dernières ont un rôle important à jouer dans la reconstruction. Vous êtes d’ailleurs plusieurs à l’avoir souligné dans vos amendements, pour lesquels j’émettrai un avis favorable.

Le second volet du texte vise à faciliter la solidarité nationale en faveur de Mayotte. Je tiens à remercier nos concitoyens, qui se sont mobilisés et ont fait preuve d’une générosité d’une ampleur inégalée dans notre pays. Dans ces heures sombres, ils nous ont adressé un message très fort, dont nous avons tous été touchés lorsque nous avons pu avoir à nouveau accès aux informations une fois l’électricité revenue. Ce volet vise en premier lieu à sécuriser le versement des aides des collectivités territoriales qui souhaitent soutenir Mayotte. Il prévoit en outre une majoration exceptionnelle de la réduction d'impôt sur le revenu accordée au titre des dons effectués par les particuliers. Ces deux dispositions sont bienvenues.

Le dernier volet concerne les mesures fiscales en faveur de la population et des acteurs économiques locaux. Là aussi, des rectifications sont nécessaires pour que les dispositions concernées soient réellement favorables aux Mahorais.

Je tiens d’abord à alerter sur l’article 17, qui tend à suspendre les délais en matière de recouvrement fiscal forcé : son adoption reviendrait à octroyer davantage de temps à l’administration fiscale pour poursuivre les redevables mahorais après le 31 décembre 2025, même si les délais légaux étaient échus – une disposition loin d’être favorable à la population et aux entreprises, actuellement privées de ressources.

De même, l’article 18, qui vise à suspendre le versement des cotisations sociales, n’est pas satisfaisant en l’état. Pour laisser le temps aux entreprises de se relever, il faudrait prolonger la mesure au-delà du 31 mars 2025 ou, mieux encore, prononcer un moratoire. Nous appelons également à limiter les incertitudes pour les entreprises en précisant dès maintenant les modalités d’apurement des sommes dues.

Nous sommes en revanche favorables au maintien des droits pour les demandeurs d’emploi et les bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et de l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) : ces personnes déjà précaires ne sauraient être privées de ressources essentielles dans un contexte rendant compliquée la reprise d’une activité. Si nous partageons aussi la volonté de simplifier le versement des prestations sociales, nous appelons néanmoins à maintenir le contrôle de l’identité et du caractère régulier du séjour, pour éviter les abus et les fraudes. Je présenterai un amendement en ce sens.

J’espère que nos discussions permettront d’aboutir à un consensus pour accélérer la reconstruction de Mayotte. Nous ne pouvons pas gâcher cette crise : nous devons avancer ensemble.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Anchya Bamana (RN). Permettez-moi d’abord de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui, à tous les niveaux de l’État, travaillent sans compter pour gérer la situation chez moi, à Mayotte. Qu’ils en soient tous remerciés.

Je suis néanmoins en colère contre ce projet de loi, qui passe à côté du sujet. Sur la forme, l’urgence ne justifie pas l’absence de saisine du conseil départemental. Le Gouvernement aurait-il osé agir ainsi avec un département de l’Hexagone ? Quel mépris !

Sur le fond, le texte permettra de desserrer légèrement le carcan administratif et, partant, de reconstruire plus vite, mais il manque cruellement d’ambition.

Aucune aide simple n’est prévue pour permettre aux Mahorais de reconstruire et de sécuriser leurs maisons. Il n’y a pas si longtemps, à l’occasion de la crise de la covid-19, l’État avait pourtant su trouver des solutions, comme la défiscalisation des heures supplémentaires, le déblocage de l’épargne salariale ou la défiscalisation de la monétisation des comptes épargne temps.

Le texte ne comporte aucun volet consacré à la sécurité, alors que l’archipel subit une vague de violences et de pillages des habitations et des entreprises. Une femme a été violée il y a trois jours à Musicale plage, dans la commune de Bandrélé. Je reçois des dizaines de témoignages d’habitants qui se font voler par des individus cagoulés, armés de machettes et de couteaux, même pendant le couvre-feu.

Aucune position claire n’est prise sur la gestion des populations habitant les bidonvilles. Le plan « Mayotte debout » ne résout pas l’équation ancienne des populations installées illégalement. La solution consistant à faciliter les expropriations des Mahorais pour construire des logements sociaux destinés aux étrangers en situation irrégulière n’est évidemment pas acceptable. Tous les plans que l’État pourra déployer à coups de milliards d’euros seront caducs avant d’avoir été appliqués.

Les Mahorais ont faim, ils ont soif, ils sont en proie à l’insécurité, ils ont tout perdu ; Dikeledi a « terminé le travail » hier. Si nous ne prenons pas le problème à la racine, Mayotte ne pourra pas se relever. Nous en ferons seulement un bidonville encore plus grand et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la submersion migratoire finira de noyer les Mahorais à jamais.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Nous évoquons tous deux régulièrement la situation à Mayotte. Il n’y a évidemment aucun mépris, et il y aura forcément de l’ambition. Dans tous les territoires frappés si durement – nous constatons malheureusement ce qui s’est passé ces derniers jours aux États-Unis, récemment dans la région de Valence en Espagne, ou par le passé dans d’autres territoires ultramarins –, la reconstruction nécessite du temps, même si je comprends parfaitement l’urgence.

En matière de sécurité, il n’y a pas besoin d’adopter une nouvelle loi : il faut agir.

Pour ce qui est de l’immigration, j’ai clairement dit que si nous ne résolvons pas ce problème, nous ne pourrons pas reconstruire Mayotte. C’est dans le dialogue avec les élus – je rencontrerai encore cette semaine le président du conseil départemental –, avec vous-mêmes et avec tous ceux qui sont présents sur le terrain, que nous pourrons trouver des solutions concrètes en vue de la reconstruction.

Mme Marie Lebec (EPR). Mayotte traverse une crise sans précédent après le passage du cyclone Chido. Cet événement a bouleversé l’île et ses habitants et affecté ses infrastructures. J’adresse tout mon soutien et ma solidarité aux Mahorais, qui font preuve d’un courage admirable face à la catastrophe qui les a frappés encore ce week-end avec la tempête tropicale Dikeledi.

Comme la rapporteure l’a très bien souligné, le cyclone a révélé des fractures préexistantes, qui sont autant de problèmes structurels et qu’il nous appartient désormais de résoudre. Le projet de loi constitue donc une occasion unique, non seulement de reconstruire, mais de reconstruire bien. Il ne s’agit pas seulement de répondre à l’urgence des sinistrés, mais aussi de repenser Mayotte dans sa globalité, pour la rendre plus résiliente, plus équitable et plus adaptée aux défis de demain. Nous saluons cette initiative et soutenons pleinement ce texte, tout en insistant sur l’importance d’une gestion exemplaire et rapide des opérations à venir.

Nous devons cependant faire preuve de vigilance. Reconstruire en évitant de retomber dans les failles du passé suppose de garantir que les futures infrastructures respectent les normes de sécurité et de durabilité face aux aléas climatiques futurs, mais aussi de s’assurer que cette reconstruction profite directement aux Mahorais, que ces derniers soient impliqués dans les décisions et qu’ils bénéficient des retombées économiques, sociales et sanitaires. Notre plan d’action doit intégrer les entreprises locales et répondre à la volonté exprimée par les Mahorais pendant les auditions : être les acteurs centraux de la renaissance de leur territoire.

Nous disposons de peu de temps et devons agir efficacement. Je concentrerai donc mon intervention sur quelques points qui nécessitent des précisions.

Le premier concerne les assurances : moins de 10 % des habitations de Mayotte sont assurées et le problème concerne aussi les entreprises, souvent confrontées à des coûts prohibitifs ou à des couvertures inadaptées ou insuffisantes. Le texte n’aborde pas cette question pourtant essentielle. Quelle politique entendez-vous mener pour faciliter l’accès à l’assurance pour les Mahorais ? Les assureurs contribueront-ils à la reconstruction malgré la faible couverture assurantielle ?

Les expropriations, longuement abordées durant les auditions, constituent pour les Mahorais une crainte bien compréhensible. La préfecture explique que peu de plans cadastraux ont été établis à Mayotte. Comment, dès lors, prévenir les conflits relatifs à la propriété des terrains et garantir une reconstruction rapide et à l’identique ?

Enfin, le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et la chambre de commerce et d’industrie ont insisté sur la nécessité d’associer les entreprises mahoraises à la commande publique. Alors qu’elles ont été très lourdement touchées par le cyclone, comment garantir qu’elles participeront bien à la reconstruction ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces trois questions lourdes au cours de l’examen des amendements.

Mon collègue Éric Lombard et moi-même sommes pleinement mobilisés sur la question des assurances, sur laquelle nous entendons réunir toutes les parties concernées.

La question des cadastres et du droit de propriété fera aussi l’objet de discussions à travers certains amendements. Il s’agit effectivement d’une des difficultés à résoudre, notamment pour permettre le déploiement des prêts aux personnes touchées annoncés par le Premier ministre.

Enfin, j’ai discuté encore aujourd'hui avec les représentants ultramarins du Medef ainsi qu’avec les entreprises présentes sur place. Nous voulons favoriser les entreprises locales, à condition de les accompagner, notamment en matière de formation – Mayotte ne compte, par exemple, aucun centre de formation d’apprentis. Plusieurs amendements vont également en ce sens.

Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Au nom de mon groupe, je tiens d’abord à rappeler notre soutien aux Mahorais et aux Mahoraises, qui ont subi le passage destructeur du cyclone Chido, auquel s’est ajoutée ces dernières heures la tempête Dikeledi.

Le projet de loi se concentre sur l’urgence de la reconstruction de Mayotte, se souciant peu de toutes les autres, auxquelles l’État se doit aussi de répondre : pénurie d’eau, difficultés d’accès aux soins et à l’alimentation, habitat précaire. Ces problèmes doivent être traités urgemment pour permettre à nos concitoyens de vivre, plutôt que de survivre. Mayotte est le département le plus pauvre de France et accumule les difficultés depuis trop longtemps. Toutes les personnes auditionnées par notre commission le soulignent : l’île était en crise bien avant le passage du cyclone et si la reconstruction se borne à réparer les dégâts causés par celui-ci, la situation ne s’améliorera pas.

En outre, les études scientifiques s’accordent sur le fait que d’autres cyclones pourraient très rapidement toucher de nouveau l’île. Sur ce point, l’État français a failli à ses devoirs vis-à-vis de nos concitoyens : les pouvoirs publics n’ont pas engagé suffisamment de moyens dans les territoires d’outre-mer pour prévenir les risques naturels majeurs sur lesquels nous sommes pourtant alertés depuis des années. Les gouvernements successifs ont préféré laisser croire que les étrangers étaient l’unique cause de tous les maux de l’île.

La situation évolue très vite et Mayotte n’en a pas fini avec les intempéries qui se succèdent. Au-delà des effets d’annonce, la situation est loin de s’améliorer aussi rapidement que ne le suggèrent les annonces du ministre. Si 70 % du réseau électrique est remis en marche, l’électricité n’arrive bien souvent pas jusqu’aux habitations. Le même constat vaut pour le réseau de communication, rétabli à 50 % seulement. La quasi-totalité des surfaces forestières ont été dévastées. Pour le Gouvernement, l’urgence est de reconstruire vite, à bas prix, en faisant fi du droit de l’urbanisme. Nous craignons une reconstruction peu fiable pour l’avenir de Mayotte et pour l’environnement.

Un mois s’est déjà écoulé depuis la catastrophe. Une fois les urgences vitales traitées, il est indispensable d’assurer aux Mahorais, par cette reconstruction, une égalité de traitement avec nos concitoyens de l’Hexagone. Ce projet de loi ne traite cependant pas des inégalités actuelles. Pourquoi le Smic est-il plus bas à Mayotte qu’en Hexagone ? Pourquoi l’île compte-t-elle seulement un hôpital pour 320 000 habitants ? Les territoires ultramarins souffrent depuis trop longtemps d’un abandon des pouvoirs publics, qui n’a fait que creuser les inégalités.

Nos compatriotes sont épuisés par le mois qui vient de s’écouler, et la saison des pluies risque de prolonger la situation. Je ne crois pas qu’ils attendent un projet de loi présenté dans plusieurs mois et dont le parcours parlementaire prendra du temps. Toutes les mesures à prendre pour l’avenir de Mayotte auraient dû figurer dans ce projet de loi d’urgence : garantie de l’accès aux droits fondamentaux et aux services publics, fonds de soutien aux communes mahoraises dont les trésoreries étaient déjà fragiles avant le cyclone, plan d’urgence pour garantir l’accès à l’eau et à l’alimentation, alignement du Smic et des prestations sociales sur l’Hexagone, soutien aux entreprises mahoraises pour stimuler l’économie.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Je suis en grande partie d’accord avec vous : l’effort que nous fournirons devra compenser – le mot est faible – les inégalités que vous constatez très justement. C’est pour cette raison que ce premier texte répond aux urgences et qu’il en faudra un second, car si nous voulons bien travailler et agir de manière concertée, il faut un peu de temps – même si le délai de deux mois que j’ai indiqué sera court.

Les urgences concernent l’eau, l’électricité, les télécommunications, la santé, la rentrée scolaire. Et il faut évidemment reconstruire différemment. Plusieurs dizaines de milliers de personnes vivent dans un habitat indigne : pas plus que quiconque, je ne sais y remédier en quelques jours, même si je comprends l’impatience des élus et des Mahorais, qui vivent dans cette situation depuis des années. Pour bien faire, pour reconstruire autrement, je répète qu’il faut prendre un petit peu de temps, afin de ne pas reproduire les erreurs commises par le passé.

M. Philippe Naillet (SOC). Permettez-moi d’abord d’assurer les Mahoraises et les Mahorais du plein soutien du groupe socialiste. Je salue aussi la mobilisation de l’ensemble des personnels d’État, des collectivités, des opérateurs privés, de nos soignants, des membres de la société civile, des citoyens, qui interviennent depuis un mois déjà pour assister les populations et aider à la remise en route des services publics. Je souhaite enfin dire ma fierté, en tant que député de ce territoire, d’avoir vu La Réunion tenir le rôle de vigie de la solidarité dans les premiers jours du drame. J’assure les Mahoraises et les Mahorais du soutien des Réunionnais.

Levons tout suspense : les députés socialistes considèrent ce projet de loi comme nécessaire et urgent, eu égard à la situation dramatique que vivent nos concitoyens à Mayotte. Compte tenu des dommages causés par Chido, il faut nous doter d’outils exceptionnels pour accélérer la reconstruction de Mayotte – même si reconstruire « vite » ne doit pas signifier reconstruire « n’importe comment ».

Les dispositifs proposés aux chapitres Ier, II et III en matière d’aménagement et d’urbanisme nous paraissent nécessaires et proportionnés, mais nécessiteront d’être précisés et mieux encadrés, afin de nous assurer de la pleine association des collectivités locales et de trouver un meilleur équilibre entre l’adaptation des règles de droit commun et la garantie d’une qualité minimale de construction. À cet égard, afin que Mayotte soit plus résiliente, certaines normes devront demeurer hors du champ des ordonnances et les dérogations aux règles d’accessibilité devront rester limitées. Aucun nouveau bâtiment public ne saurait être construit en 2025 sans être pleinement accessible.

Nous devons également éviter que la réduction des délais d’instruction, avec un volume de dossiers qui sera exceptionnel, ne donne lieu à un nombre excessif de permis tacites. Faute de temps et de moyens, nous proposerons d’allonger les délais de retrait des autorisations d’urbanisme illégales.

S’agissant des procédures de participation du public, nous adhérons à votre intention, mais il semble évident que, au moins jusqu’en juillet prochain, la participation par voie électronique ne correspond pas à la réalité sur place et risque de priver de nombreux Mahorais d’un recours effectif à ce droit.

Nous soutenons aussi les mesures relatives à la commande publique, mais ferons des propositions pour qu’une partie des marchés demeurent réservés aux artisans ainsi qu’aux TPE et PME locales et pour éviter toute dérive concernant les marges, afin de ne pas encourager des profiteurs de crise.

De plus, alors même que la protection de l’économie et de l’emploi devrait être renforcée, l’article 40 de la Constitution, comme d’habitude, nous lie les mains. Le tissu économique a été foudroyé par le cyclone et l’échéance retenue du 31 mars 2025 est insuffisante : le Gouvernement doit aller plus loin.

Enfin, j’appelle votre attention sur le fait qu’à l’issue des échéances, s’appliqueraient à Mayotte les inacceptables réformes de l’assurance chômage et du RSA. À tout le moins, une adaptation sera nécessaire pour ce dernier dispositif, car au-delà du débat de fond, comment imaginer, dans les circonstances actuelles, que les bénéficiaires pourraient satisfaire la condition des quinze heures d’activité ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Il faut aller vite et bien faire : voilà la ligne de crête que chacun attend que nous suivions. À n’en pas douter, vos propositions amélioreront le texte ; c’est le sens des travaux de cette commission.

J’insiste sur un point, également évoqué par Mme Hignet : la nécessité de construire selon les normes anticycloniques et antisismiques. Il se trouve que Mayotte n’avait pas été frappée par ce type de catastrophe naturelle depuis très longtemps, mais d’autres départements, contrairement à ce que j’ai entendu, savent s’y préparer. C’est le cas de La Réunion, où il existe une véritable culture de prévention, mais aussi de la Guadeloupe et des territoires du Pacifique. Nous devrons intégrer ces éléments : ce qui s’est passé cette fin de semaine, avec l’extrême fragilisation des terrains, des berges et des côtés, en démontre la nécessité.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Le 14 décembre, une grande partie du territoire de Mayotte a été dévastée par le cyclone Chido, plongeant une large partie de la population dans la détresse. Le 18 décembre, le projet de loi a été élaboré en urgence et transmis au Conseil d’État, qui s’est prononcé, toujours dans l’urgence, dès le dimanche 22 décembre, dans la perspective d’un conseil des ministres réuni avant Noël. Depuis ? Rien ! C’était il y a un mois et le projet bancal qui nous est soumis n’est ni un texte présenté en urgence, ni un texte qui traite de l’urgence. Il n’a été enrichi ni des données du bilan complet de la catastrophe, ni des leçons à tirer du passage du cyclone, et reste flou sur la façon dont l’État entend reconstruire infrastructures et équipements.

Plusieurs d’entre nous ont pointé le fait qu’il s’agit de trancher. La première option est de reconstruire vite et à l’identique, pour effacer les traces de la catastrophe, en s’asseyant sur les dispositions du code de l’urbanisme et du code de l’environnement. La seconde est de prendre le temps d’une remise à niveau, en remédiant aux retards structurels en matière d’accès à l’eau, d’assainissement, de qualité du bâti, de transports en commun en site propre, en intégrant les enseignements de Chido pour réduire les vulnérabilités et en respectant l’organisation sociale des familles de Mayotte – s’agissant, entre autres, de la cohabitation intergénérationnelle et des relations extérieures.

Bien sûr, beaucoup de choses peuvent et doivent être accomplies sans passer par la loi. Cela étant, nous constatons un décalage considérable, la situation sur le terrain étant assez éloignée de celle que vous avez décrite tout à l’heure et qui est présentée dans le projet de loi. Pour ne prendre qu’un seul exemple, cela n’a pas beaucoup de sens de dire que l’accès à l’eau potable est rétabli à 40 %, 50 % ou même 80 %, car au moins 30 % de la population ne bénéficiait pas, avant le cyclone, d’un raccordement au réseau.

Dans le texte, il n’y a pas un mot sur les moyens dédiés à l’hébergement d’urgence, sur le nécessaire renforcement des compétences et des moyens du syndicat mixte d’eau et d’assainissement de Mayotte (Smeam) et sur les fonds consacrés à la réhabilitation des installations de production d’eau et de distribution, y compris dans les quartiers d’habitat précaire, par des rampes dont Mayotte a l’habitude. Et il n’y a pas non plus le moindre mot en faveur du renforcement des services de l’État, qu’il s’agisse de la préfecture ou encore de l’agence régionale de santé (ARS).

Ma première question concerne le bilan de la catastrophe, qui n’est toujours pas connu. Combien de morts, de disparus, de blessés, d’amputés ? Au départ, on parlait de centaines, voire de milliers de morts. Les élus ont décrit des quartiers rasés et silencieux : la Vigie à Dzaoudzi, les pentes de Kawéni, les bidonvilles de Doujani et de Koungou. Les chiffres que vous répétez semblent en décalage avec la réalité. Il faut rendre le bilan public pour éviter les rumeurs et restaurer la confiance.

Ma deuxième question est liée à votre choix de créer un nouvel établissement public absorbant l’actuel établissement public foncier. Cela aura le mérite de donner satisfaction au conseil départemental, qui cherche à mettre la main dessus depuis longtemps, mais une telle entreprise demandera beaucoup de temps avant d’être opérationnelle. Il faudra former une équipe et définir des statuts, de nouvelles missions et une organisation interne, sans aucune garantie d’une meilleure efficacité. On reproche à l’établissement public foncier d’avoir procédé à des expropriations pour faire passer la route d’accès au deuxième hôpital à Combani ou pour la maîtrise de la troisième retenue collinaire, mais c’était sa mission. L’État doit-il se déshabiller dans ce domaine ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Vous avez eu à faire face à des catastrophes naturelles dans l’exercice de vos fonctions et vous imaginez bien que si c’est difficile dans l’Hexagone, cela l’est d’autant plus dans un territoire aussi éloigné.

En ce qui concerne l’établissement public, nous nous fondons sur le travail avec les élus locaux. On ne peut à la fois nous demander de mener une concertation et d’agir selon la logique qui préexistait et qui ne fonctionne pas ; cela a été dit tout à l’heure.

S’agissant du bilan, il est logique que je sois prudent. Ce qui semble évident, c’est que nous sommes très loin de ce qui a initialement été constaté, lorsque les bidonvilles ont été rasés et qu’une forme de silence s’est imposée. J’ai donné tout à l’heure les chiffres dont nous disposons ; nous n’avons absolument rien à cacher. Il y a encore des colonnes de policiers, de gendarmes, d’agents de sécurité civile et de soignants sur le terrain. Je ne sais pas si nous connaîtrons le bilan exact, nous ne disposons pour l’heure que d’ordres de grandeur, et j’invite chacun à la plus grande prudence. Je répète que nous n’avons rien à cacher et que nous donnerons bien sûr tous les chiffres.

M. Philippe Gosselin (DR). D’abord, je ferai part de toute la solidarité du groupe de la Droite Républicaine à l’égard de nos concitoyens de Mayotte. J’insisterai aussi sur l’élan de générosité et de solidarité qui s’est exprimé partout sur le territoire national. Dans la Manche, cet élan a été partagé par le conseil départemental et une association a même été créée avec des amis mahorais pour venir en aide à nos concitoyens. Ayons cette dynamique à l’esprit : cela fait du bien par les temps qui courent !

Quoi qu’il en soit, avec ce texte, nous restons sur notre faim en ce qui concerne la construction et la reconstruction, l’association avec les élus locaux et la lutte contre les bidonvilles, entre autres éléments relatifs à la sécurité.

Premièrement, j’estime qu’il faut aller au-delà d’une simple reconstruction. Il existe depuis longtemps un déficit d’infrastructures à Mayotte et le cyclone Chido n’a été que le révélateur de défauts connus de longue date. Je pense à la piste longue de l’aéroport, au deuxième hôpital ou encore au réseau de haut débit numérique.

Il en va de même en ce qui concerne l’eau, car même quand l’île sera dotée d’une deuxième usine de dessalement, ses capacités de production ne seront que de 40 000 mètres cubes d’eau, quand ses besoins s’élèvent à 48 000 mètres cubes.

Et il y a les aspects sécuritaires, qui sont essentiels, mais qui ne sont pas évoqués dans le texte. J’ai bien entendu vos propos à ce sujet, mais sans vouloir instrumentaliser les morts, il y a eu quatre meurtres en deux semaines, ce qui n’est pas rien et ce qui n’est pas acceptable.

Il faut aussi bien davantage associer les élus locaux à la gouvernance de l’établissement public. La Cour des comptes et nous-mêmes avons parfois relevé certaines difficultés : il n’empêche que les élus locaux, qui sont les premiers concernés et qui savent ce qu’il faut faire, doivent bénéficier d’une association pleine et entière, c’est-à-dire d’une gouvernance partagée avec, peut-être, l’introduction d’un avis conforme du conseil départemental dans certains domaines. Il convient aussi de clarifier le périmètre d’intervention de l’établissement public.

Enfin, avant même de reconstruire, il faut lutter contre les bidonvilles, mesure qui aurait dû faire partie du projet de loi. J’ai conscience que celui-ci a été soumis au Conseil d’État avant que les membres du Gouvernement ne se déplacent à Mayotte, mais les constats qui ont été faits à cette occasion auraient dû être intégrés. Les amendements du Gouvernement relatifs aux bidonvilles, qui étaient identiques aux nôtres, ont été déclarés irrecevables. Ils n’ont pas fait que subir les foudres du règlement de l’Assemblée nationale : c’est le signe d’un défaut dans l’élaboration du texte. En tout état de cause, nous serons attentifs à l’ambition qui sera donnée au second projet de loi.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Vous avez raison de souligner, ainsi que l’a fait la rapporteure, l’élan de solidarité en faveur de Mayotte.

L’urgence est de reconstruire, de refonder différemment. Cela étant, on ne peut nous demander de le faire bien en trois semaines ; ce n’est pas possible. Les dégâts sont considérables et un retard s’est accumulé depuis des années : j’assume à cet égard ma part de responsabilité. Il y a ainsi un travail à accomplir et nous devrons nous appuyer aussi bien sur ce texte que sur le second, que nous présenterons le plus rapidement possible.

Dans cette attente, je vous renvoie au plan « Mayotte debout », annoncé par le Premier ministre il y a quelques jours et qui contient des réponses à nombre de vos questions. Nous devons y associer pleinement les élus locaux ; c’est un engagement que j’ai pris devant eux et que je réitère devant vous, même s’il faut désormais passer des discours aux actes.

Mme Maud Petit (Dem). Nous sommes réunis dans un moment de gravité et d’urgence. La France est meurtrie : l’un de ses départements est dévasté et nos compatriotes mahorais ont tout perdu. Le cyclone Chido qui a frappé Mayotte le mois dernier a laissé derrière lui un chaos profond, des vies bouleversées. Selon le décompte officiel, au moins trente-neuf personnes sont mortes et 5 600 ont été blessées. Les familles sont désorientées, les infrastructures endommagées, l’accès aux différents réseaux reste à parfaire. Fort heureusement, la tempête Dikeledi de ce week-end n’a pas alourdi le bilan humain. Devant cette douloureuse épreuve, notre groupe salue le courage du peuple mahorais, ainsi que l’efficacité et la promptitude de l’action des bénévoles, des associations et des forces de secours.

Cette crise nous confronte à une réalité incontournable. Mayotte a les deux genoux à terre, ébranlée par les aléas climatiques, mais elle souffrait depuis de trop nombreuses années de difficultés structurelles que la République doit enfin corriger. Nos compatriotes mahorais nous exhortent à ne pas les oublier. Il est de notre devoir d’avoir une parole politique et surtout de mener des actions pragmatiques, efficaces et ancrées dans le temps long.

Au lendemain du 14 décembre, le Gouvernement a pris des mesures rapides pour, entre autres, rétablir l’électricité et déployer les secours. Le projet de loi constitue la deuxième phase d’une stratégie globale. Il vise à prendre des mesures opérationnelles, afin de faciliter l’hébergement et l’accompagnement de la population. La prolongation des droits pour les demandeurs d’emploi, la protection des travailleurs indépendants, le maintien des prestations versées par la sécurité sociale, la suspension du recouvrement des cotisations sociales et du recouvrement fiscal forcé sont autant de mesures indispensables et tout simplement humaines. Elles constituent une nécessité absolue en pleine crise.

Nous devons garantir à nos compatriotes qu’ensemble et de manière durable, nous reconstruirons, en mieux, ce qui a été détruit. Pour cela, peut-être faudra-t-il s’inspirer des autres territoires ultramarins – vous l’avez dit et je vous en remercie, Monsieur le ministre –, qui possèdent une expertise en matière de construction en milieu soumis aux risques naturels et climatiques.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Croyez-moi, je suis conscient de la difficulté et je ne cherche pas à présenter les choses sous un jour meilleur. D’ailleurs, si ce n’était pas le cas, tous les élus, à commencer par madame la rapporteure, me rappelleraient à l’ordre. La situation est très difficile et, hier encore, Mayotte en a pris « plein la figure », voyant la situation s’aggraver.

Répondre à l’urgence, c’est ce que nous faisons quotidiennement avec, entre autres, les services publics locaux chargés de l’eau et de l’électricité. Je sais bien que notre devoir est de reconstruire différemment. À cet égard, j’ai conscience que nous devrons affronter la question de l’habitat illégal et de l’immigration clandestine. Ce sont des défis considérables et il nous faudra tout le soutien de la nation, un engagement financier important et beaucoup de volonté politique pour que, dans quelques jours, quand on passera à une autre actualité, on n’oublie pas ce territoire.

Je m’engage à m’y rendre régulièrement pour faire le point avec les élus et à faire en sorte que les objectifs que nous nous fixons aujourd’hui et dans les prochaines semaines soient atteints.

M. Henri Alfandari (HOR). Face à l’ampleur de la catastrophe naturelle du 14 décembre, qui continue de toucher Mayotte et qui place nombre de nos compatriotes dans une situation d’extrême vulnérabilité, le groupe Horizons et indépendants adresse ses pensées à l’ensemble des Mahorais dont la vie a été bouleversée par le passage du cyclone, ainsi qu’à toutes les victimes et à leurs familles. Nous saluons aussi l’action et l’engagement des services de l’État et de l’ensemble des agents publics qui ont porté secours à tous dans l’urgence et qui assurent l’ordre public avec l’aide de la population.

À l’urgence vitale se substitue désormais l’urgence sociale, sanitaire et sécuritaire. Il est de notre responsabilité collective de nous donner les moyens de faire, et surtout de bien faire pour reconstruire Mayotte. Notre ambition doit être d’en faire un territoire moderne, sûr et durable, où chaque Mahorais puisse vivre dignement. Il nous appartient de faire en sorte que ce drame soit le point de départ d’un département reconstruit et prospère.

À ce titre, ce projet de loi constitue une première étape absolument nécessaire. Les dispositions qu’il contient permettront de soutenir la population mahoraise dans le rétablissement et l’amélioration des conditions de vie, en facilitant et en accélérant les procédures administratives et d’urbanisme pour l’hébergement temporaire, mais aussi et surtout pour la reconstruction de logements pérennes. N’oublions pas que la première des sécurités, c’est avoir un toit au-dessus de la tête, c’est-à-dire un logement décent. Avant le cyclone, 60 % des habitations étaient inadaptées aux besoins fondamentaux de leurs habitants, qui ne disposaient pas de tout le confort sanitaire de base, et une proportion significative de ces logements formait des bidonvilles.

N’oublions pas non plus que l’essentiel de la population mahoraise vivait et vit toujours dans une zone exposée au risque de submersion. Les efforts de reconstruction devront donc privilégier les solutions permettant de protéger durablement les habitants de Mayotte contre ce danger. Notre groupe soutiendra les initiatives du Gouvernement visant à renforcer la lutte contre l’habitat indigne et la proposition de geler temporairement les loyers dans l’archipel.

Au-delà de la nécessité d’enrichir le texte dans les mois à venir grâce à l’adoption de nouvelles mesures structurelles favorisant une plus grande convergence avec le territoire métropolitain, rappelons que Mayotte, c’est la France. Nous devons lui offrir le meilleur en matière de droit de l’urbanisme et de capacité d’action. Cette ambition doit également servir le territoire métropolitain qui, lui aussi, a tant besoin de pouvoir faire, dès maintenant, pour Mayotte.

Notre groupe votera bien évidemment ce projet de loi d’intérêt général visant à répondre à l’urgence de la situation. Cela étant, le département de Mayotte représente à lui seul tous les défis auxquels la France devra faire face au XXIe siècle. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un droit exceptionnel ou dérogatoire. Quand nous attacherons-nous à résoudre les problèmes et à relever ces défis ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Vos remarques sont très justes. Le 101e département a fait le choix de la France par référendum, sachant qu’il faisait déjà partie de notre pays depuis le milieu du XIXe siècle. Puis sa départementalisation a été votée à la quasi-unanimité du Parlement. Très souvent, c’est vrai, on a considéré, depuis Paris, qu’il était possible de résoudre les problèmes institutionnels sans fournir l’accompagnement nécessaire à la mise à niveau du département. Nous y sommes.

Pour reprendre les mots de la rapporteure : il faut utiliser cette catastrophe, notre devoir impérieux étant non seulement de répondre à l’urgence, mais aussi à tous les défis du territoire. Au total, 77 % des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté. Une grande partie de la population ne parle pas français ou est illettrée. Les problèmes sont plus lourds à Mayotte. Les questions d’immigration et d’habitat illégal sont vitales pour l’avenir de ce département et doivent être résolues. Ce texte ne répondra pas à tous ces défis, mais il représente l’une des pièces d’un ensemble plus vaste et beaucoup plus ambitieux.

M. Max Mathiasin (LIOT). Vous dites qu’il faut répondre à tous les défis concernant Mayotte. Sans vouloir profiter de la situation, je répondrai qu’il faut répondre à bien des défis concernant les outre-mer en général. Avant le passage du cyclone Chido, nous, parlementaires ultramarins, avions déjà le tournis. L’État nous a donné huit ministres chargés des outre-mer en sept ans. Je me félicite donc que vous vouliez travailler sur tous les fronts pour Mayotte. Vous êtes conscient que tout est à faire et à reconstruire – ou à construire tout simplement.

Après l’aide d’urgence largement insuffisante, il est temps de fournir une réponse durable. Celle apportée par ce projet de loi n’est que partielle. Vous l’avez dit, nous ne ferons pas l’économie d’un autre texte pour aborder les enjeux de développement économique, d’insécurité, de migration, soit autant de problèmes structurels qui ne font l’objet d’aucune disposition dans le présent projet de loi. Des pans entiers du plan « Mayotte debout », présenté par le Premier ministre, restent donc à concrétiser.

L’objet du texte est d’accélérer la reconstruction. À cette fin, une première série de mesures révise les procédures habituelles, en dérogeant pour une période de deux ans aux règles d’urbanisme et relatives aux marchés publics. Si le groupe LIOT défend de longue date l’adaptation aux spécificités territoriales, cela ne doit pas signifier un nivellement par le bas. Par exemple, nous tenons à ce que l’habilitation à légiférer par ordonnance pour adapter les règles de construction à Mayotte préserve celles relatives à l’accessibilité et à l’intégration des énergies renouvelables dans le bâti. De même, les dispenses de formalités d’urbanisme, l’accélération de l’instruction des demandes d’autorisation et les dérogations aux plans locaux d’urbanisme doivent certes permettre de faire vite, mais pas d’agir n’importe comment. La reconstruction anarchique des bidonvilles ne doit pas être une option : pourtant, c’est ce qui est en cours à Mayotte.

Se pose toujours la question du financement. Près de 90 % des familles mahoraises n’ont pu assurer leur logement et attendent toujours d’avoir accès aux taux d’intérêt bonifiés qui leur permettraient de reconstruire leur toit. Quels seront le calendrier et les modalités d’accès aux prêts promis par le Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Nous y reviendrons sans doute : il est vrai que je suis le huitième ministre des outre-mer depuis 2017 et le sixième depuis 2022. Je souhaite mettre fin à cette série, mais cela ne dépend pas de moi. En tout état de cause, vous indiquez que non seulement les Mahorais, mais l’ensemble de nos compatriotes ultramarins ont besoin de stabilité et surtout d’une réponse concrète aux demandes et aux urgences. C’est vrai à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, mais aussi aux Antilles ou en Guyane, pour ne citer que quelques territoires, qu’il s’agisse de la vie chère, de l’immigration, de l’insécurité, ou du narcotrafic.

Ce texte vise à répondre à l’urgence, mais je répète qu’il s’inscrit dans une vision d’ensemble. Nous devons utiliser cette malheureuse, cette terrible situation pour aller vite et résoudre certains problèmes concrets, que Mme Lebec a énumérés tout à l’heure, relatifs à l’habitat et à la reconstruction dans un territoire où la majorité des Mahorais ne sont pas assurés et où il n’y a pas de droit de propriété. Cela rend difficile les opérations de soutien sur lesquelles je reviendrai tout à l’heure, mais nous devons agir.

M. Davy Rimane (GDR). Je souhaite d’abord à toutes et tous mes meilleurs vœux de santé pour 2025.

Le projet de loi d’urgence relatif à Mayotte nous laisse sur notre faim, car il s’avère technique et ne permettra pas de discuter de tous les aspects. Avant tout, notons que le département demeurera sous un régime dérogatoire pour quelque temps encore, ce qui est pour nous une totale absurdité.

Ensuite, je vous ai tous écoutés avec une grande attention et il aura malheureusement fallu qu’un drame incommensurable frappe Mayotte pour que tous les yeux de la nation se tournent vers un territoire dit « d’outre-mer ». Ce que vit Mayotte est un drame absolu, mais je tiens à rappeler que les autres territoires ultramarins sont aussi en très grande difficulté – tout comme Mayotte l’était avant le passage de Chido. J’espère que l’État sera présent pour démontrer sa capacité à bien faire les choses, de manière définitive.

J’y insiste : le non-alignement de Mayotte, 101e département, avec l’Hexagone n’est pas nouveau, mais la règle. L’État a fait la même chose avec les quatre premières anciennes colonies devenues des départements, à savoir la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion. Nous avons été logés à la même enseigne que Mayotte. Nous sommes devenus des départements français en 1946, mais ce n’est pas avant la fin des années 1980 et le début des années 1990, soit plus de quarante ans après, que nos concitoyens ont perçu les mêmes minima sociaux que ceux en vigueur dans l’Hexagone. Voilà la règle établie par l’État depuis des décennies ; nos territoires ont toujours été en marge de la République. Une fois pour toutes, il faut savoir si nos territoires sont français « à part entière »… ou si, définitivement, ils sont « entièrement à part » de la République, pour reprendre les mots prononcés par Aimé Césaire il y a déjà plusieurs décennies.

En matière d’immigration, je rappelle qu’il n’existe aucun centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) dans les territoires d’outre-mer, alors qu’il s’agit normalement d’une obligation.

De la même manière, s’agissant des bidonvilles, nous ne partons pas de rien, mais les lois en vigueur ne s’appliquent pas dans nos territoires – sachant que mon département de la Guyane est également concerné. L’État nous a laissés faire face à cette situation. La police de l’urbanisme étant entre les mains des maires, État et collectivités territoriales doivent travailler de front dans ce domaine. Quant au cadastre, il s’agit d’une compétence de l’État, pas des pouvoirs locaux.

Nous serons amenés à reparler de tous ces éléments, mais nous serons vigilants sur les dispositions qui seront votées dans le cadre du présent texte, car s’il ne comprend pas de garde-fous, notre groupe s’abstiendra.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Je vous adresse à mon tour mes meilleurs vœux pour cette année dont le début est marqué pour les territoires ultramarins par des circonstances particulièrement douloureuses.

Pour Mayotte, l’heure est à la mobilisation en urgence à travers le déploiement de dispositifs de droit commun, notamment financiers, deux textes de loi et un projet de loi de finances prenant en compte sa situation.

Je suis conscient des questions liées à l’égalité entre territoires. Il suffit de comparer Mayotte à La Réunion : les dispositifs ne sont pas les mêmes dans ces deux départements qui appartiennent pourtant à la même zone géographique. Et je vous rejoins : trop souvent, on n’évoque les territoires ultramarins que lorsqu’ils sont frappés par des catastrophes naturelles ou économiques – j’ai déjà eu l’occasion de le souligner lors de ma prise de fonctions. L’une des conditions pour atteindre l’égalité réelle est de parler d’eux régulièrement.

M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). Toutes nos pensées vont à nos compatriotes mahorais durement touchés par le cyclone. Pour reconstruire l’archipel et répondre à l’urgence en matière d’alimentation en eau et en électricité, de logements et de moyens de communication, ce projet de loi est nécessaire. Rappelons que les problèmes actuels sont le prolongement d’insuffisances structurelles bien connues. Il nous semble inadmissible qu’un territoire français présente toutes les caractéristiques d’un pays du tiers-monde. Le Gouvernement aura l’impérieux devoir de mettre en œuvre les mesures que nous nous apprêtons à voter et le groupe UDR sera très attentif à leur application concrète. Vous avez notre soutien et notre confiance, ce qui n’exclut toutefois pas la vigilance.

À cet égard, j’appelle votre attention sur la création d’un établissement public. Il importe d’assurer la maîtrise des coûts liés à sa création comme de ses coûts de fonctionnement ou de structure afin que ces dépenses soient pleinement utiles aux Mahorais. Il faudra éviter qu’il ne connaisse le même sort que ces multiples établissements publics qui perdurent alors même qu’ils n’ont plus d’objet, ce qui pose des problèmes d’efficacité et de lisibilité de l’action publique. Il conviendra de se focaliser sur l’efficacité immédiate de son action, dans une logique de partenariat avec les autorités locales que sont les communes et le conseil départemental, dont l’avis conforme pourrait être opportun s’agissant de nombreuses décisions. Je vous accorde cependant que parvenir à une gouvernance qui soit à la fois partenariale et efficace n’est pas sans difficultés. Enfin, il s’agira de communiquer largement et objectivement sur l’évaluation des réalisations au fil de l’eau.

Au-delà de cette loi, plusieurs mesures structurelles demeurent nécessaires. Pour empêcher toute reconstruction de bidonvilles, il faudra être fermes. Pour sanctionner sans trembler les pillages, les effractions, les viols, les meurtres, il faudra rétablir – si ce n’est établir – la sécurité. Il faudra faire preuve de réalisme et prendre en compte la concurrence internationale en appliquant un statut fiscal exceptionnel aux outre-mer, en compétition géographique et financière avec des paradis fiscaux. Pour lutter fermement contre l’immigration clandestine, il faudra remettre en question un droit du sol totalement anachronique et inadapté, compte tenu du fait que la moitié de la population à Mayotte est étrangère. Nos concitoyens mahorais sont quasi unanimes sur cette question. Il serait peut-être temps de les écouter plutôt que de leur donner de bien faciles leçons d’altruisme et de démocratie depuis le 7e arrondissement de Paris. Répondons donc enfin aux exigences légitimes qu’ils expriment.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Je n’ai pas de désaccords avec vous. Vous avez raison de souligner qu’on doit réussir la mise en place du nouvel établissement public. Le précédent ne fonctionnait pas, de l’avis même des élus qu’il faut écouter. La préfiguration de ses missions et de sa gouvernance est une étape essentielle car, pour utiliser une image facile, cet établissement sera le bras armé de l’État et des élus, liés par un partenariat très étroit. C’est évidemment le sens des mesures proposées que nous avons adaptées après avoir mené des discussions, notamment avec le président du conseil départemental, appelé à jouer un rôle très important dans cette gouvernance. Quant aux autres défis, nous y reviendrons. Il est bien évident que nous devrons avancer s’agissant des bidonvilles, des pillages, de l’immigration et du statut fiscal.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Patrice Martin (RN). Après le cyclone Chido, il est évidemment urgent de traiter les problèmes structurels qui se posent à Mayotte et d’organiser la reconstruction. Le projet de loi d’urgence, à son article 16, prévoit un relèvement du taux de réduction d’impôt à 75 % pour les dons versés à des associations reconnues d’utilité publique qui fourniront une aide alimentaire et sanitaire et participeront à la reconstruction. Ne croyez-vous pas que cette mesure serait susceptible de bénéficier à des associations qualifiées de « promigrants », dont l’action contribuerait à pérenniser des bidonvilles et à soutenir les démarches de personnes en situation irrégulière ? Monsieur le ministre, comment comptez-vous distinguer les associations que l’État souhaite soutenir de celles dont l’action irait à l’encontre de la volonté de fermeté migratoire que vous avez récemment réaffirmée dans une tribune, aux côtés du ministre de l’intérieur et du ministre des armées, position ardemment défendue depuis des années par Marine Le Pen et le Rassemblement national ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Le chapitre VI du projet de loi comprend des mesures inspirées de dispositions destinées à encourager les dons dédiés à la reconstruction de Notre-Dame. L’article 15 facilite le versement de subventions par les collectivités territoriales et leurs groupements et l’article 16 porte à 75 % le taux de réduction d’impôt pour les dons à des associations et fondations fournissant des repas ou des soins aux personnes en difficulté ou favorisant leur logement. Le Gouvernement proposera un amendement destiné à harmoniser les critères applicables aux deux articles.

Nous devons évidemment être très attentifs à tout ce qui ne correspondrait pas à la finalité de ces dons et nous focaliser sur l’action des associations qui viennent en aide à des personnes en grande détresse en trouvant le meilleur chemin possible.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Le projet de loi prévoit, pour les opérations de reconstruction et de réhabilitation, un délai de deux ans que l’on peut juger optimiste. La géographie particulière de l’archipel, avec ses nombreuses collines, ne facilite en effet pas la tâche, a fortiori en pleine période de cyclones et de tempêtes. Les habitants issus de l’immigration ont reconstruit dans une proportion de 40 % les bidonvilles qu’ils habitaient. Comment concilier l’hébergement et la protection de cette population précaire avec la reconstruction ?

Les vedettes militaires, qui contribuent à l’assistance en mer et à la lutte contre l’immigration, ont subi des dégâts. Seront-elles réparées ou remplacées ?

Mayotte compte la plus grande maternité d’Europe, avec dix mille naissances par an. L’établissement, alors même qu’il bénéficie d’aides venues de métropole, peine à fidéliser son personnel. Comment rendre ce site plus attractif pour les professionnels de santé ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. L’urgence va bien évidemment à la reconstitution des moyens de surveillance et de détection de la gendarmerie, de la police et de nos armées.

En matière de santé, il faudra aller plus loin. Il y a bien sûr des possibilités au sein du secteur privé, mais l’une des urgences est de reconstruire les dispensaires – voire d’en implanter de nouveaux dans d’autres zones, notamment dans le nord, pour être au plus près des habitants dans la prise en charge des pathologies.

En matière de logement, vous avez bien résumé le défi auquel nous sommes confrontés : reconstruire mieux et éviter que l’habitat illégal ne prenne de l’ampleur, alors même que les bidonvilles ont été rapidement réinstallés. C’est tout le sens de l’action que nous mènerons dans les semaines à venir, sans céder à la facilité.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Monsieur le ministre, fidèle à vous-même, vous appliquez depuis votre arrivée au ministère des outre-mer une politique du double standard. Cela se vérifie en particulier à Mayotte, qui vit une tragédie depuis le passage du cyclone Chido. Votre projet manque l’essentiel en prévoyant une reconstruction au rabais pour nos concitoyens mahorais. Par ailleurs, en voulant mettre fin au droit du sol dans ce département, vous acceptez que les droits des enfants varient selon le lieu où ils naissent sur le territoire français, ce qui porte atteinte aux valeurs universelles de la République. Ce faisant, vous faites preuve de cohérence, car vous vous situez dans la continuité de la déchéance de nationalité que vous vouliez réserver à nos compatriotes binationaux. Pourtant, une telle modification ne réglerait rien dans cet archipel, qui compte 310 000 personnes – et non pas cinq cent mille, comme a été obligé de vous le rappeler le directeur général de l’Insee, dont vous avez attaqué le travail afin d’effrayer les Français. La réponse à la question migratoire passe par la mise en place de voies de migration légales vers l’Hexagone et d’une vraie politique d’aide au développement en faveur des Comores.

La France est bien heureuse, Monsieur le ministre, d’étendre sa zone économique exclusive (ZEE) dans l’océan Indien et de profiter des richesses qui en découlent. Alors, par pitié, ne traitez pas Mayotte comme si la rue Oudinot abritait encore le ministère des colonies. Dites-nous plutôt comment vous comptez appliquer notre devise Liberté, Égalité, Fraternité dans ce département ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Monsieur Taché, vous ne pouvez pas savoir le plaisir que j’ai à vous retrouver. Je constate que ni vous ni moi n’avons changé. (Sourires.)

Le défi est de reconstruire différemment et non pas au rabais. Je veux être modeste et plein d’humilité : cela va être très compliqué, il suffit d’aller sur place pour s’en rendre compte. Personne ne l’a souligné, à part Mme la rapporteure, mais la priorité est de reconstruire des toits, et non pas seulement de poser des bâches.

Par ailleurs, je n’ai pas dit que j’étais favorable à la fin du droit du sol. J’ai simplement précisé que cela relevait d’un débat constitutionnel. Je sais ce qu’en pensent les élus mahorais et ce que nous pouvons faire dans ce cadre-là. La question de la restriction du droit du sol se pose pour des raisons évidentes. Tous les Mahorais sur place nous demandent d’agir en ce sens. Ce sujet difficile impose de sortir des caricatures.

Enfin, je rappelle que la déchéance de nationalité s’applique aux terroristes condamnés définitivement.

Mme Valérie Rossi (SOC). En raison du contexte exceptionnel de crise et d’urgence à Mayotte, il apparaît impossible de garantir, pour des raisons de sécurité, d’organisation et de logistique, un scrutin serein et équitable lors des élections à la chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte, actuellement fixées au 31 janvier 2025. Il semble donc nécessaire de les reporter à une date restant à déterminer et de raccourcir la durée du mandat de ses futurs membres en vue d’une harmonisation avec le renouvellement des autres chambres d’agriculture françaises, programmé pour 2031.

Notre groupe a déposé des amendements à ce sujet, mais ils ont été déclarés irrecevables. Pouvez-vous nous indiquer si le Gouvernement envisage un tel report ? Si ce n’est pas le cas, comment compte-t-il assurer une organisation sereine de ce scrutin ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Pour le report, nous n’attendrons pas le prochain texte de loi. Nous utiliserons la voie du décret pour des raisons évidentes.

M. Arnaud Bonnet (EcoS). Nous saluons le fait qu’un projet de loi d’urgence soit consacré à Mayotte, mais déplorons ses nombreuses lacunes, particulièrement s’agissant des enfants et des jeunes alors que la moitié de la population mahoraise a moins de dix-sept ans. En matière d’éducation, aucun moyen pérenne n’a été mis en place pour assurer une scolarité tendant vers la normalité. Celle-ci n’est toutefois possible qu’à condition que les enfants soient en mesure de boire et de manger.

L’irrespect dont la ministre Elisabeth Borne a fait preuve à l’égard d’enseignants qui l’alertaient ne peut que nous inquiéter sur la considération accordée à la réalité à laquelle ils sont confrontés. Comment peut-on envisager de dispenser des cours sous des tentes, de demander aux communes de fournir du matériel scolaire ou encore de recourir à des volontaires non enseignants, alors qu’il est de la responsabilité de l’État de garantir l’égalité de tous les citoyens dans l’accès à l’éducation ? Vous prévoyez d’évacuer les personnes logeant dans les établissements scolaires : mais où comptez-vous les loger ?

Concernant la protection de l’enfance, rien n’est prévu. Certes, il s’agit d’une compétence des départements, mais, compte tenu du caractère exceptionnel de la situation à Mayotte, il est plus que nécessaire que l’État accorde aux collectivités des moyens pour garantir le bon fonctionnement des structures de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Une catastrophe ravage l’un de nos départements et c’est tout ce que fait l’État pour s’occuper de nos enfants !

M. Manuel Valls, ministre d’État. Vous avez bien raison de soulever ces questions. J’ai déjà évoqué l’ASE et les enjeux psychologiques. Ce sont des sujets que nous aurons à traiter, notamment à l’occasion de cette rentrée. La ministre de l’éducation et moi-même faisons toute confiance aux enseignants. Des mesures, notamment indemnitaires, ont été annoncées lors de notre déplacement aux côtés du Premier ministre, il y a quelques jours.

Je veux être très clair : nous ne pourrons pas avancer en matière d’éducation si nous ne réglons pas la question de la surpopulation scolaire. Si les écoles explosent, c’est en grande partie à cause de l’immigration illégale. Je n’entends pas mettre en accusation qui que ce soit, j’ai le plus grand respect pour les êtres humains, notamment ceux qui vont là où la terre est plus riche qu’ailleurs – car c’est bien le cas de Mayotte, si on la compare aux Comores. Nous aurons un débat sur la construction de nouvelles écoles, sujet sur lequel je connais la position des élus mahorais. Nous n’y arriverons pas si nous ne prenons pas en compte la dimension migratoire et c’est de cela aussi que je veux essayer de vous convaincre.

M. Pascal Lecamp (Dem). J’aimerais appeler votre attention sur l’accès à l’eau potable et la commande publique. La sécurité civile a récemment passé commande à une entreprise de ma circonscription d’une centaine de machines destinées à rendre l’eau potable par un mécanisme de filtration. Validées par les agences régionales de santé (ARS), utilisées par les armées, elles ont gagné voici deux ans le concours Lépine. Toutefois, le processus s’est bloqué, car la société commanditaire par laquelle est passée la sécurité civile a commencé à négocier les modalités de paiement. Êtes-vous prêt, Monsieur le ministre, à prendre l’avion avec l’une de ces machines qui permet en un tournemain de transformer l’eau saumâtre en eau potable ? Cette solution est très attendue.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Il est clair qu’il faut renforcer le plan « Eau » et assouplir les procédures de la commande publique. Je ne suis toutefois pas certain de pouvoir acheminer directement ces machines car j’emprunte des avions de ligne, mais je vous invite à me transmettre ce dossier et nous verrons comment le traiter.

M. Hervé de Lépinau (RN). Je vous propose d’adresser également nos remerciements aux départements qui se sont montrés solidaires en envoyant des renforts à Mayotte par l’intermédiaire des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis).

Ma question porte sur les infrastructures à reconstruire. Vous qui avez été élu local, Monsieur le ministre, vous savez que l’on raisonne toujours en termes d’ « équivalent-habitant ». Il s’agit donc de savoir pour combien d’habitants reconstruire : 280 000 ou plutôt 500 000 ? Lors de son audition, le préfet de Mayotte a voulu me rassurer en m’indiquant qu’un recensement allait être effectué. Or, on sait très bien que les populations en situation irrégulière n’acceptent pas d’être recensées. La question de la jauge va donc immanquablement se poser. Quelles mesures prévoyez-vous pour favoriser une approche concrète des futurs travaux ? Qu’en est-il de l’expulsion de clandestins ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. J’ai pu constater sur le terrain l’engagement des Sdis, manifestation de la solidarité des différents départements, et, d’une manière générale, le déploiement des moyens de l’État, qui renvoie de manière concrète à la présence des policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers, personnels soignants et sous-préfets engagés auprès du préfet.

Le recensement est une question fondamentale qu’il faut aborder de la manière la plus franche possible. Ses résultats influent sur la politique scolaire ou les aides que l’État consacre à ce département. À l’Insee de faire son travail, nous verrons ce qu’il sera capable de produire. Pour le nombre d’habitants, je pense avoir donné une estimation qui n’est pas très éloignée de la réalité. Il est évident que la politique migratoire doit changer de niveau, ce qui suppose des reconduites à la frontière.

M. Stéphane Travert (EPR). Quelles mesures spécifiques le Gouvernement envisage-t-il pour prévenir les constructions dans les zones particulièrement exposées aux aléas littoraux, lesquels s’intensifient sous l’effet du changement climatique ? Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) mène des travaux pour mettre à jour l’indicateur national d’érosion côtière et évaluer les menaces qui pèsent sur les biens exposés au recul du trait de côte à l’échelle nationale. Seront-ils étendus à Mayotte pour mieux accompagner le territoire dans sa reconstruction et garantir une urbanisation résiliente et durable ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. J’ai échangé avec la ministre de l’environnement. Un cadre s’est rendu auprès du syndicat mixte Les eaux à Mayotte (Lema) et le Cerema va faire le point sur les sujets que vous avez évoqués. Il est évident que l’impact du cyclone et de la tempête tropicale intense pose à Mayotte des problèmes nouveaux, dans les communes du sud mais aussi du nord, à propos desquels les services de l’État ont été alertés. Il nous faut faire preuve de la plus grande vigilance, notamment en ce qui concerne les constructions illégales.

M. René Pilato (LFI-NFP). Reconstruire à l’identique ou rebâtir trop rapidement pose problème : des vents de 250 kilomètres par heure ont déjà détruit des infrastructures répondant aux normes les plus exigeantes.

Les déchets générés par le cyclone, stockés sur place, sont source de pollution, a-t-on appris lors des auditions, et les moyens ne permettent pas de tous les recycler. Je vous ferai une proposition : ne pourrait-on lancer un grand plan de nettoyage de l’archipel qui distinguerait les déchets recyclables sur place de ceux qui doivent être extraits, par exemple dans des conteneurs mis gratuitement à disposition par les compagnies maritimes dans un effort de solidarité ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Il existe trois types de déchets. Les déchets ménagers, massivement présents, sont ceux qui, pour des raisons de santé publique, doivent être dégagés le plus vite possible et traités sur place. Les déchets lourds (appareils électroménagers, carcasses de voitures, tôles, etc.) feront l’objet d’opérations d’écrasement en Asie et surtout en Afrique. Enfin, les déchets liés à la forêt, qui a été en grande partie détruite, posent des défis en matière d’utilisation de la biomasse que nous devrons relever. La priorité reste le traitement des déchets ménagers, d’autant que la tempête d’hier n’a pas arrangé les choses. Cela fait partie des objectifs fixés au préfet.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Ce projet de loi prolonge les droits et les prestations sociales des Mahorais jusqu’au 31 mars 2025, délai que le groupe Socialistes estime trop bref.

Par ailleurs, nous aimerions en savoir plus sur l’application au département de Mayotte de deux réformes, celle de l’assurance chômage et celle du RSA conditionné. Dans ces circonstances dramatiques, il nous paraît ubuesque que les sinistrés bénéficiaires de cette aide soient astreints à quinze heures d’activité par semaine, alors même que l’économie de l’archipel est paralysée. Je citerai le cas de mon département, où certains agriculteurs ont été soumis à cette obligation après le passage de la tempête Ciarán. Quelle est votre position sur l’application de ces réformes ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Je vous propose de répondre plus tard, car je disposerai de plus de temps.

M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Il y a dix ans, en 2015, alors que vous étiez Premier ministre, vous présentiez à Mayotte le plan « Mayotte 2025 ». Force est de constater que le cyclone n’a pas seulement détruit, il a aussi révélé ce qui n’a pas été fait et nous pouvons voir un aveu d’échec dans votre évocation de la situation très insatisfaisante de ce département avant le passage du cyclone. Vous avez souligné la nécessité de reconstruire, sur laquelle nous nous accordons ; mais il s’agit aussi de refonder, ce qui suppose de changer tout ce qui n’a pas fonctionné depuis dix ans. Or, vos réponses donnent l’impression que vous avez l’intention de refaire ce qui a déjà été fait et n’a pas fonctionné, notamment en matière de politique migratoire.

Pour ce qui est de l’éducation, reconstruire est absolument nécessaire, mais cela sera totalement insuffisant quand on sait, comme l’a souligné la Défenseure des droits, que quinze mille enfants n’ont pas accès à la scolarité. Au-delà de ce texte, quels moyens budgétaires dédiés aux bâtiments, aux fournitures, aux matériels et aux personnels prévoyez-vous pour assurer à tous les enfants de Mayotte ce droit à la scolarisation ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Je suis plein de modestie et d’humilité à l’égard du passé. Je me rappelle avoir posé la première pierre de l’hôpital de Petite-Terre, qui aujourd’hui fonctionne, d’avoir lancé un plan pour l’école, en partie réalisé, même s’il a été rapidement remis en cause par la démographie et l’augmentation massive de l’immigration illégale. Bien évidemment, chaque enfant a droit à l’école. Mais si nous ne réglons pas ce problème, nous n’arriverons à rien ; tout le monde sera perdant : les immigrés illégaux et les Mahorais, notamment les plus jeunes. Il faut trouver la bonne voie, dans le respect de l’État de droit et des droits des personnes, mais, je le répète, si nous ne reconduisons pas aux frontières tous ceux qui sont venus de manière illégale et qui vivent d’ailleurs dans des conditions indécentes, nous ne parviendrons pas à reconstruire Mayotte.

M. Antoine Golliot (RN). Le département de Mayotte subit une pression migratoire grandissante, due notamment à l’attractivité du droit du sol. Cette situation alimente des tensions sociales, surcharge les infrastructures, notamment de santé et d’éducation, et crée un sentiment d’injustice au sein de la population mahoraise. Les récents événements dramatiques survenus dans l’archipel accentuent la détresse de la population locale. Dans ce contexte, la suppression du droit du sol et le rétablissement de frontières étanches apparaissent comme des mesures indispensables pour freiner l’immigration clandestine, comme le demande le groupe Rassemblement national depuis des années.

Monsieur le ministre, au-delà de vos déclarations à la presse, pouvez-vous nous indiquer les étapes législatives prévues pour mettre en œuvre au plus vite cette réforme et les moyens envisagés pour garantir son efficacité sur le long terme ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Il y a quelques mois, l’ancien ministre Gérald Darmanin a évoqué la création d’un « rideau de fer » qu’il importe de rendre effectif. Cela me paraît essentiel pour stopper ces flux migratoires. Est-ce facile ? Non, mais il faut le faire. Sur le plan diplomatique, il convient de nouer un dialogue exigeant avec les Comores, notamment sur tout ce qui concerne l’aide au développement. Par ailleurs, concernant l’habitat illégal, il s’agira de procéder à des expulsions et à des reconduites à la frontière. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont concernées. C’est une tâche particulièrement difficile à laquelle le Gouvernement devra s’atteler.

Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Je poursuis l’intervention que j’avais faite au nom du groupe. De nombreuses exploitations agricoles ont été ravagées, alors même que les agriculteurs mahorais attendent toujours les aides promises après la sécheresse de l’été dernier. Ce n’est pas un montant de mille euros par exploitation qui permettra de soutenir l’agriculture de l’archipel. Il faut attendre six mois pour qu’un plant de manioc arrive à maturité et onze à douze mois pour un plant de bananier : l’accès à l’alimentation est primordial durant ce laps de temps. La relance de l’agriculture est urgente.

Avez-vous prévu pour Mayotte une chambre d’agriculture de plein exercice, distincte des activités de pêche et d’aquaculture et dotée de moyens de fonctionnement suffisants ? Je rappelle que cette demande formulée depuis longtemps par les professionnels mahorais a été relayée par le préfet lors de son audition.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Face à cette situation catastrophique, j’ai rencontré sur place les représentants de l’ensemble des filières des secteurs agricole et de la pêche – celui-ci était déjà en grande difficulté et l’est encore davantage après le passage du cyclone. Il faut reconstituer les organisations et soutenir ces activités afin d’assurer l’autonomie alimentaire souhaitée par les élus mahorais. Il est urgent de reconstruire ces filières, de répondre aux besoins alimentaires des Mahorais et de préparer le mois du ramadan.

M. Philippe Naillet (SOC). Un chef d’entreprise à l’idéologie infecte, Elon Musk, qui attaque les démocraties et l’Europe – notamment l’Allemagne et l’Angleterre –, a proposé de déployer des antennes Starlink à Mayotte. Est-ce une solution temporaire ? Si tel est le cas, quelle serait la solution alternative et quel est le coût de cette installation pour l’État ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. L’opération, dont le coût est très faible – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Starlink a été choisi –, permet aux communes et aux Mahorais de communiquer vers l’extérieur, ce qui était indispensable. Orange n’était pas en mesure de proposer cette solution temporaire, qui est efficace comme je l’ai constaté sur place. Plutôt que de critiquer Starlink et son fondateur, la France ou l’Europe devrait se doter d’outils aussi efficaces.

Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Mayotte l’oubliée focalise toute l’attention à la faveur d’un cyclone qui l’a dévastée. Faut-il toujours attendre une catastrophe pour agir ? Il est temps de traiter les départements d’outre-mer de la même façon que ceux de l’Hexagone.

Mayotte, le département le plus pauvre de France, n’est toujours pas ancrée au sein de notre République. Ce n’est pas l’immigration irrégulière qui est à l’origine de la dévastation du 101e département français, mais bien son abandon par la nation française. Il faudra des moyens financiers pour construire Mayotte.

Le projet de loi de finances du Gouvernement Barnier prévoyait un coup de rabot de quatre cents millions d’euros sur le budget dédié à l’Outre-mer. Or Mayotte a besoin d’un plan de développement d’urgence structurel, afin d’assurer une vie digne à nos concitoyens mahorais. Celui-ci garantirait tant l’accès à l’eau et aux soins pour tous que l’accueil de tous les enfants à l’école, et prévoirait notamment la construction d’infrastructures adaptées aux enjeux environnementaux et de logements durables. Vous engagez-vous à allouer les moyens nécessaires ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Vous avez raison, l’immigration n’est pas la seule difficulté que le cyclone a révélée. Je le répète : si nous ne résolvons pas ce problème ainsi que celui de l’habitat illégal, nous ne pourrons pas reconstruire différemment et dans de bonnes conditions.

Le second projet de loi relatif à Mayotte comportera des mesures structurelles favorisant son développement économique et social. Demain, le Premier ministre prononcera sa déclaration de politique générale et je serai au Sénat mercredi à l’occasion de l’examen de la mission Outre-mer. Certains arbitrages relatifs au budget de l’outre-mer sont en train d’être rendus. L’adoption du projet de loi de finances est entre les mains des parlementaires.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Le sujet est très difficile et ne se prête ni aux amalgames, ni aux envolées lyriques. S’agissant des amalgames ou des facilités de langage, on ne construira jamais un rideau de fer entre Mayotte et Anjouan, à moins de faire faire des ronds dans l’eau au porte-avions Charles de Gaulle, ce qui nous coûterait fort cher politiquement et financièrement.

Le sujet est difficile car qui se refuse à l’amalgame évite de parler d’habitat illégal. À Mayotte, de nombreuses maisons sont illégales, y compris celles qui sont occupées par des Français de longue date, car ces maisons – ou, à tout le moins, leurs extensions – ont été construites sans permis de construire.

Tous les habitants des quartiers d’habitat informel ne sont pas des étrangers ou ne sont pas des étrangers en situation irrégulière. Des Français ou des personnes en situation régulière, qui s’inquiètent de l’échéance de leur titre de séjour, y vivent. De nombreux titres expireront entre le 14 décembre 2024 et le 31 mars 2025. Le bureau de la préfecture qui traite ces dossiers est fermé depuis plus d’un mois. La validité de ces titres de séjour sera-t-elle prolongée ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. S’agissant de la chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte, le second projet de loi séparera les activités liées à l’agriculture et celles liées à la pêche.

Quant au RSA, l’ordonnance du 12 juin 2024 reporte de trois ans l’obligation de signer un contrat d’engagement. Le projet de loi de ratification a été déposé avant Noël.

Je me garderai bien de me livrer à des envolées lyriques. J’ai simplement rappelé que l’idée du rideau de fer avait été soutenue par Gérald Darmanin, qui était, à l’époque, ministre de l’intérieur. Si nous ne mettons pas un terme à l’immigration illégale – je conçois que c’est très difficile de lutter contre ce phénomène, notamment en mer – et si nous ne modifions pas notre relation avec les Comores, nous ne parviendrons pas à reconstruire Mayotte.

S’agissant de l’habitat illégal, ne confondons pas l’habitat des Mahorais, qui est un habitat légal bien qu’il existe des problèmes relatifs aux titres de propriété ou tenant à la souscription d’une assurance, avec l’habitat illégal, qui s’est reconstruit rapidement dans des conditions encore plus précaires après le passage du cyclone Chido. À Mayotte, 30 % de l’habitat est illégal et 30 % de la population mahoraise est en situation irrégulière. Ces chiffres montrent la complexité du problème auquel nous sommes confrontés. Nous devons lutter contre l’habitat illégal et l’immigration irrégulière afin de reconstruire Mayotte. Le projet de loi que nous présenterons dans quelques semaines traitera notamment de ces questions.

Quant au droit du sol, sa réforme doit faire l’objet d’une révision constitutionnelle – il ne me revient pas d’en prendre l’initiative. Il a fait l’objet de restrictions afin de lutter contre l’immigration clandestine, dans le respect du cadre constitutionnel. Certains élus, parmi lesquels des élus mahorais, veulent aller plus loin et remettre en cause le droit de sol en Guyane et à Mayotte. Le débat est ouvert sur ces questions qui seront traitées par le Parlement.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. S’agissant de l’électricité, l’opérateur EDM adresse aux élus de Mayotte un point quotidien sur la situation. Monsieur le ministre d’État, vous avez indiqué que 81 % du réseau avait été rétabli. Or la situation des foyers privés n’est pas prise en compte, cette proportion recouvrant uniquement celle des entités qui ont soumis une demande prioritaire à EDM, à savoir l’administration – notamment le rectorat, la préfecture et les mairies –, les commerces, le secteur de l’eau et de l’assainissement, la santé, les télécoms et l’industrie.

À ce jour, comme nous ne disposons pas de statistiques, nous ignorons combien de foyers mahorais ont de nouveau l’électricité. Ce qui est certain, c’est que Mayotte est plongée dans le noir : très peu de lumières sont allumées le soir. Il est insupportable d’entendre que la situation s’améliore alors qu’elle reste un parcours du combattant pour les habitants. Il est faux de dire que 81 % des foyers ont l’électricité à Mayotte aujourd’hui.

Je rejoins mes collègues du groupe LFI-NFP : à Mayotte, les inégalités sont structurelles. Seules 50 % des prestations sociales sont versées à Mayotte et leur montant est égal à 50 % de celui versé dans l’Hexagone, alors même que le coût du panier alimentaire est 164 % plus cher que dans l’Hexagone. Du reste, ces chiffres sont antérieurs au passage du cyclone Chido qui entraînera une inflation délirante.

Monsieur Taché, le passage du cyclone Chido a ravagé Mayotte, plus rien ne fonctionne. Alors que les Comores ont été épargnées, j’ai du mal à entendre que Mayotte serait plus riche. Quels sont vos critères en matière de richesse ? Vous continuez à justifier l’immigration clandestine, qui se poursuit, alors qu’il n’y a plus ni eau, ni électricité, ni nourriture à Mayotte. Vous avez l’outrecuidance de proposer d’inclure les Comores au maigre programme de reconstruction de Mayotte ! Les mots me manquent. Votre propos sur le droit du sol est tellement déconnecté de la réalité que l’on ne vous entend plus à Mayotte. Non seulement vous ne venez pas, mais vous tenez des discours qui alimentent les ingérences étrangères sur notre sol. Demander à des personnes qui n’ont plus de toit de continuer à accueillir des migrants est d’une obscénité qui dépasse les bornes. Si vous souhaitez que notre débat soit respectueux, évitez de tenir ce genre de propos. Avant, ils étaient pénibles ; désormais, ils relèvent d’un dogmatisme qui dépasse l’entendement. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, DR et UDR et sur plusieurs bancs du groupe EPR.)

En ce qui concerne l’aide aux Comores, dans le cadre de l’accord-cadre de coopération pour lutter contre l’immigration clandestine, signé en 2019, les Comores ont reçu 200 millions d’euros. En 2019, on dénombrait 27 000 reconduites à la frontière contre 20 000 l’an dernier. Ainsi, plus on verse de l’argent aux Comores, moins de personnes sont reconduites à la frontière. C’est un non-sens en matière d’efficacité de la dépense publique.

S’agissant des élections à la chambre de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture, un amendement visant à reporter de deux ans les élections a été déposé et déclaré irrecevable ; c’est une fausse bonne idée. Je souhaite vous alerter sur le contexte très particulier. Confrontée à des cas de corruption très graves, la chambre d’agriculture est totalement paralysée et ne fonctionne pas depuis plusieurs années. Le parquet national financier et d’autres institutions judiciaires ont été saisis de ces dysfonctionnements. Aucune personne en fonction n’a accepté de collaborer avec la justice ou n’a déclenché la procédure de l’article 40 du code de procédure pénale, alors que plusieurs dizaines de millions d’euros ont disparu.

Dans l’intérêt même des agriculteurs et des pêcheurs de Mayotte, on ne peut laisser perdurer une telle situation deux ans de plus. Alors que le Gouvernement s’apprête à prendre un décret, je lui demande de faire preuve de la plus grande vigilance et de ne pas aller dans ce sens. Personne n’est favorable au report de ces élections. Un délai de quelques mois pourrait, à la rigueur, être acceptable, certainement pas un délai de deux ans.

Quant aux sujets d’éducation, je ne mettrai pas en cause les centaines d’enseignants qui furent les premiers à prendre l’avion après le passage du cyclone, compte tenu du traumatisme qu’ils ont subi. En revanche, le Gouvernement a jugé bon de verser une prime de 2 000 euros aux seuls enseignants titulaires pour les dédommager des dégâts du cyclone, alors que les vacataires représentent 75 % des enseignants à Mayotte. Je suis surprise que le groupe LFI-NFP n’ait pas relevé cette véritable injustice qui a provoqué l’indignation de nombreuses personnes à Mayotte.

S’agissant de l’ASE, je m’étonne aussi que vous n’ayez pas soulevé la non-application à Mayotte de la circulaire Taubira qui permet normalement la prise en charge des mineurs isolés dans l’ensemble du territoire national. Il ne s’agit pas d’une question de moyens. Depuis plusieurs années, le conseil départemental réclame de bénéficier de la solidarité nationale pour prendre en charge les mineurs isolés.

Quant à l’Insee, elle est incapable d’établir des statistiques à Mayotte, Monsieur Taché. Elle estime à 310 000 personnes la population de Mayotte alors que le préfet Colombet a distribué 450 000 masques durant la crise de la covid, en précisant qu’un masque par adulte était prévu. La consommation d’eau, de riz, d’électricité à Mayotte montre que la population serait plutôt d’un demi-million d’habitants. Nous avons notre idée sur la raison de l’incapacité de l’Insee à compter : nous savons que cela permet notamment d’abaisser le montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée à Mayotte.

À plusieurs reprises, nous avons demandé à l’Insee de revoir la méthode qui lui permet de calculer la population. Un recensement repose sur la récolte de données qui sont ensuite traitées par un algorithme. Or il n’existe aucune donnée à Mayotte. Par ailleurs, j’ai demandé au directeur régional la raison pour laquelle l’Insee utilisait des algorithmes créés pour l’Europe alors même que l’organisme reconnaît la spécificité de Mayotte. La Banque mondiale ou le FMI utilisent des algorithmes dans le cadre des recensements à Madagascar, en Tanzanie, au Mozambique ou au Kenya qui pourraient être utilisés par l’Insee pour Mayotte. L’Insee a comparé la consommation de riz à Mayotte à celle de Madagascar, dont le dernier recensement remonte à 1994, et refuse de la comparer à celle de La Réunion, qui est pourtant le territoire français voisin de Mayotte. Je suis surprise que personne, au sein de l’État, n’encourage l’Insee à revoir ses chiffres.

Cela étant, le Gouvernement s’est engagé à réaliser un « recensement flash » à Mayotte. Les élus mahorais seront très attentifs à la tenue de cette promesse et demandent que ce travail s’appuie sur les données Google et téléphoniques ainsi que sur la consommation de riz. Lors des distributions d’eau récentes, tous les maires de Mayotte ont indiqué que la consommation d’eau était celle d’une population d’un demi-million de personnes. Ce recensement devrait permettre à l’île de se reconstruire sur des bases cohérentes qui correspondent à la population réelle.

S’agissant du retrait du trait de côte, qui est une question fondamentale, 90 % de la population à Mayotte vit sur le littoral. Elle est directement menacée par la montée des eaux qui résulte non seulement du changement climatique, mais surtout du phénomène d’enfoncement de l’île à cause de l’activité sismique et de la naissance d’un volcan en 2018. L’île s’est enfoncée de 5 centimètres en quelques années, plus rapidement que ne l’avaient prévu les scientifiques.

Enfin, concernant la pêche et l’agriculture, lors des visites du président de la République, du Premier ministre et du ministre d’État, ministre des outre-mer, nous avons demandé, à de nombreuses reprises, que des semences et des pousses soient envoyées rapidement de pays voisins (Madagascar, Inde et Kenya) afin de les planter, car c’est la saison des pluies. Nous craignons que la sécurité alimentaire ne soit pas assurée, notamment durant le ramadan. En attendant la reprise des activités agricoles et de la pêche, des arrêtés temporaires ont été pris pour autoriser l’importation de produits de pays voisins. Ils étaient très attendus car nous n’avons pas les mêmes habitudes alimentaires que dans l’Hexagone. Pour rappel, Mayotte était déjà dépendante à 75 % des importations avant le passage du cyclone. Nous avons l’espoir que cette crise nous permette de sortir par le haut et de structurer notre pêche et notre agriculture afin d’assurer notre souveraineté alimentaire.

Mme Aurélie Trouvé, présidente. Je réitère le soutien de tous les parlementaires aux Mahorais et aux Mahoraises. J’en profite également pour saluer, au nom de la commission, l’action de tous les personnels de l’État depuis le 14 décembre.

Nous en venons maintenant à l’examen des vingt-deux articles du projet de loi. Ces dispositions prévoient des dérogations, des dispenses et des aménagements exceptionnels et temporaires en matière de droit de l’urbanisme et de la construction, dans le cadre de l’application des règles de la commande publique, ou dans l’exercice des compétences des collectivités territoriales. Elles comportent également des mesures d’allégements très ciblées en matière fiscale et sociale à titre temporaire, en particulier pour les dons aux associations et le recouvrement fiscal forcé.

Néanmoins, le projet de loi ne concerne pas, par exemple, le droit des étrangers, le droit de la nationalité, la lutte contre l’habitat informel, l’encadrement des loyers (ou celui du prix de l’énergie) ou la fiscalité en général. Aucun article du projet de loi ne traitant de ces questions, les amendements les abordant ont donc été déclarés irrecevables. Sur un total de 295 amendements, 41 amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution, soit un taux d’irrecevabilité de moins de 13 %, contre 22 % pour le projet de loi pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Par ailleurs, 27 amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, après consultation du président de la commission des finances. Compte tenu des irrecevabilités, notre commission est saisie de 219 amendements.

 

 

CHAPITRE Ier – COORDINATION DE LA RECONSTRUCTION DE MAYOTTE ET RECONSTRUCTION DES ÉCOLES

 

Article 1er : Habilitation à modifier la gouvernance et les compétences de l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte

 

Amendement CE82 de M. Philippe Gosselin

M. Philippe Gosselin (DR). Le taux d’irrecevabilité montre bien que l’objet de ce texte est restreint. Il est donc nécessaire d’en examiner un second rapidement qui abordera les sujets que nous avons évoqués – sécurité, économie, immigration, etc.

L’amendement vise à réduire le délai de présentation de l’ordonnance de trois à un mois afin d’accélérer la reconstruction de Mayotte, compte tenu de l’urgence de la situation.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Avis défavorable. Je comprends le caractère d’urgence, mais il s’agit du délai standard pour prendre une ordonnance. La transformation de la gouvernance de l’Epfam ou la création du nouvel établissement public annoncée par le Gouvernement nécessite d’associer les élus mahorais et de donner le temps au dialogue.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Même avis. Le général Facon, qui a été nommé préfigurateur de l’établissement public chargé de coordonner les travaux de reconstruction de Mayotte, se rendra à Mayotte dès cette semaine, si les conditions climatiques le permettent, pour poser les fondations de l’établissement public avec l’ensemble des parties prenantes. Je m’engage à ce que le Gouvernement présente cette ordonnance dans les meilleurs délais.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE227 du Gouvernement

M. Manuel Valls, ministre d’État. Cet amendement tend à répondre aux demandes exprimées par les élus en ce qui concerne l’outil chargé de la reconstruction de Mayotte. Il clarifie la rédaction de l’article 1er en précisant que l’établissement public chargé de la reconstruction à Mayotte ne sera pas l’Epfam mais une nouvelle entité. Il s’agissait d’une demande forte des élus.

Outre les missions dévolues aujourd’hui à l’Epfam, il exercera une mission globale de coordination et de réalisation des travaux de reconstruction de Mayotte. Il fera donc l’objet d’une nouvelle dénomination et se caractérisera par une gouvernance et une organisation spécifiques et renouvelées qui seront définies par voie d’ordonnance, dans le cadre d’un dialogue avec l’ensemble des parties prenantes, notamment des élus – j’y insiste.

L’amendement précise la transition entre l’Epfam et le nouvel établissement, en garantissant notamment que les agents de l’Epfam soient rattachés à l’établissement prochainement créé.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Avis favorable.

Mme Dominique Voynet (EcoS). J’ai été un peu caricaturale tout à l’heure au sujet de l’Établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte. Je m’inquiète surtout des délais de mise en place d’une nouvelle structure : nouveaux statuts, nouvelles équipes, nouvelles missions, réorganisation interne, recrutement… Avons-nous vraiment le temps ?

Vous avez souligné que l’Epfam n’avait pas bonne presse ; je le comprends. Cela tient à sa mission : il n’est jamais populaire d’exproprier. J’ai l’impression que l’État se déshabille quelque peu. Alors qu’il avait repris la main sur des dossiers importants – comme celui du deuxième hôpital – après des années de négociations improductives, il semble ici renoncer. Pourriez-vous nous en dire plus sur les missions de l’Epfam et sur l’autorité dont il disposera face aux collectivités locales pour mener à bien des projets qui sont engagés mais qui risquent d’être gelés durant la période de transition ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Le général Facon mènera la mission de préfiguration dans les meilleurs délais, et j’espère pouvoir vous communiquer des éléments complémentaires en séance. Quoi qu’il en soit, le nouvel établissement gardera les missions de l’Epfam. Il s’agit aussi de créer les conditions d’une confiance renouvelée en tenant compte des inégalités et des problèmes structurels de Mayotte ainsi que des conséquences du cyclone. Nous souhaitons consolider ce bras armé pour aider à la reconstruction de Mayotte en lien plus étroit avec les élus – car dans ce domaine, la confiance s’est perdue. Tel est le sens de cette mission. L’objectif est d’être plus efficace sur le terrain.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. L’Epfam a très mauvaise réputation à Mayotte, car il a pour habitude d’acheter à des prix dérisoires des terres à des personnes souvent démunies, illettrées et incapables de faire face à la machine administrative. Il est également connu pour exercer des manœuvres proches de l’intimidation. L’ensemble des élus mahorais ont expressément demandé au Gouvernement de créer un autre établissement public.

L’Epfam exerce par ailleurs les missions d’une société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). À ce titre, il devrait protéger les terres agricoles. Dans les faits, c’est tout le contraire : il utilise ses pouvoirs pour vendre des terres agricoles en vue de réaliser des projets commerciaux. Les agriculteurs nous en ont alertés.

Enfin, ce jeune établissement n’ayant pas encore livré de projets complets, il est difficile de savoir s’il suffira de l’étoffer, comme vous semblez le suggérer, pour lui permettre de conduire la reconstruction.

Ménageons le temps nécessaire pour que l’ensemble des acteurs locaux puissent prendre part à la gouvernance du nouvel établissement, en réponse aux attentes des Mahorais.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CE87 de M. Philippe Gosselin

M. Philippe Gosselin (DR). Nous devons évidemment nous appuyer sur les élus locaux, qui sont les meilleurs connaisseurs de leur territoire. C’est pourquoi nous proposons que l’ordonnance définisse les règles relatives à l’Epfam après avis conforme du conseil départemental de Mayotte.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Le Gouvernement a pris un engagement en ce sens. Je vous recommande donc de retirer votre amendement qui, normalement, est satisfait.

M. Philippe Gosselin (DR). Tout est dans le « normalement » ! Le ministre pourrait-il préciser cet engagement ?

M. Manuel Valls, ministre d’État. Je comprends parfaitement votre intention, et je me suis déjà engagé auprès des élus. Nous écoutons d’ores et déjà leur avis – la rapporteure et moi-même avons eu une séance de travail avec le président du conseil départemental, et je dois le revoir cette semaine à Paris. Ce travail commun a donné lieu à l’amendement gouvernemental qui vient d’être adopté.

Je réitère mon engagement : nous entendons associer formellement l’ensemble des collectivités territoriales de Mayotte, notamment le conseil départemental et son président, à l’élaboration de la gouvernance future de l’établissement public, avant de les associer étroitement à la gouvernance elle-même. Au-delà des élus, nous devrons voir comment la société mahoraise peut être davantage intégrée à cette gouvernance, sans nuire à l’efficacité de l’établissement public. De mon point de vue, l’exigence d’un avis conforme du conseil départemental ne constitue pas la solution la plus adaptée pour associer les élus ; elle est peut-être même inconstitutionnelle. Cela risquerait de ralentir la publication de l’ordonnance, alors que le nouvel établissement public doit voir le jour le plus rapidement possible. Je demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Philippe Gosselin (DR). Compte tenu de ces explications, je retire mon amendement, quitte à le redéposer en séance si nécessaire.

L’amendement est retiré.

 

Amendement CE156 de M. Philippe Naillet

M. Philippe Naillet (SOC). À l’alinéa 3, il s’agit de substituer aux mots « y associer les collectivités territoriales de Mayotte et » les mots « maintenir une représentation équilibrée des représentants de l’État et des collectivités territoriales de Mayotte et à y associer ».

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Cette proposition va dans le bon sens et reflète les attentes des élus locaux. Avis favorable.

M. Manuel Valls, ministre d’État. J’ai déjà dit que nous souhaitions engager fortement l’État dans la reconstruction de Mayotte et y associer tous les acteurs locaux. À la suite des échanges qui ont eu lieu, et sans préjuger des travaux de préfiguration, il apparaît clairement, par exemple, que la présidence de l’établissement sera confiée à un élu. Pour autant, l’organisation et la composition précise des organes de gouvernance du futur établissement public méritent la poursuite du dialogue et de la réflexion. Je vous demande donc de retirer votre amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je soutiens cet amendement, qui vise à associer davantage les élus de Mayotte aux décisions concernant les grands problèmes que rencontre l’archipel.

Par ailleurs, Madame la rapporteure, qui procédera au recensement « flash » ? Est-ce l’Insee ?

Enfin, pour lever tout malentendu, je n’ai jamais affirmé que Mayotte bénéficiait de plus de richesses que les Comores, mais que l’Hexagone devait mieux répartir les richesses avec les territoires ultramarins. Sur l’ensemble du projet de loi, ma ligne de conduite sera claire : le droit commun, encore le droit commun, toujours le droit commun – et le droit du sol en fait partie.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Le Gouvernement s’est engagé à ce que le recensement soit effectué dans l’année. Je ne sais pas s’il sera conduit par des entreprises privées, comme le président du conseil départemental l’a envisagé, ou par l’Insee. Dans ce cas, pour les élus de Mayotte, il n’est pas question de reproduire les méthodes du passé.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Le Premier ministre a annoncé un recensement rapide, organisé en lien avec les maires. Nous verrons avec l’Insee dans quelle mesure il peut avoir lieu. Ce ne sera certainement pas facile. Je comprends donc que les élus locaux, notamment le conseil départemental, cherchent d’autres méthodes pour obtenir la vérité des chiffres. Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CE127 de M. Davy Rimane

M. Davy Rimane (GDR). Nous souhaitons que les associations à vocation caritative et humanitaire de Mayotte soient représentées dans la gouvernance de l’établissement public qui coordonnera les travaux de reconstruction. Cet amendement a été travaillé avec l’association Mayotte a soif.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Étant moi-même issue de la société civile et ayant présidé un collectif de citoyens à Mayotte, je sais combien il est important d’écouter et de consulter les associations, mais je ne suis pas sûre qu’elles aient leur place dans la gouvernance de l’établissement. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Nous abordons une série d’amendements visant à associer différents acteurs à l’organisation et à l’administration de l’établissement public : associations humanitaires, collectifs citoyens, ONG, comité de l’eau et de la biodiversité de Mayotte, acteurs associatifs et syndicats. L’ordonnance et le décret statutaire de l’établissement devront préciser les acteurs qui y seront associés et les modalités d’association. Selon les concertations qui seront menées et le statut final de l’établissement, l’association des acteurs sociaux et économiques et de représentants de la société mahoraise pourrait être appropriée. L’amendement CE116 de la présidente Trouvé, qui évoque les « acteurs sociaux », couvre l’ensemble des acteurs précités. C’est pourquoi le Gouvernement propose le retrait des amendements CE127, CE132, CE23, CE24 et CE126 au profit du CE116.

M. Davy Rimane (GDR). Si le ministre s’engage à ce que les associations caritatives et humanitaires soient consultées et participent aux travaux, je suis prêt à retirer mon amendement. Je souhaite toutefois obtenir un engagement clair. Je ne comprendrais pas que ces acteurs, qui font face aux situations difficiles sur le terrain au quotidien, ne soient pas parties prenantes de la reconstruction de Mayotte.

M. Manuel Valls, ministre d’État. L’amendement de la présidente répond à votre préoccupation. En m’y déclarant favorable, je souligne l’importance d’associer la société civile mahoraise à la gouvernance de l’établissement, selon des modalités à définir : conseil d’administration, comité stratégique…

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. L’amendement CE132 me paraît très important, car il concerne le comité de l’eau et de la biodiversité de Mayotte, non couvert par l’amendement de la présidente. Je ne souhaite donc pas qu’il soit retiré.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE132 de M. René Pilato

M. René Pilato (LFI-NFP). Il s’agit, précisément, d’associer le comité de l’eau et de la biodiversité de Mayotte à la gouvernance de l’établissement public. En effet, la vétusté des réseaux de distribution d’eau préexistait au cyclone Chido et causait déjà 40 % de perte de l’eau potable. Les acteurs qui connaissent le mieux les réseaux d’eau et d’assainissement doivent être associés à la reconstruction, afin d’améliorer la distribution et la situation sanitaire.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Avis favorable.

M. Manuel Valls, ministre d’État. J’entends vos arguments, mais je m’inquiète du bon fonctionnement de l’établissement. Je m’en remettrai à la sagesse de la commission.

M. Hervé de Lépinau (RN). Je voterai contre l’amendement. À force d’accumuler les acteurs dans la gouvernance, nous risquons d’introduire une pomme de discorde qui ralentira les travaux et nuira à l’efficacité de l’établissement. Ces acteurs pourront en revanche être des personnes publiques associées, comme il est d’usage en matière d’urbanisme. Quand l’établissement abordera les sujets de l’eau et de la biodiversité, les organismes compétents seront mobilisés.

M. René Pilato (LFI-NFP). Les meilleurs connaisseurs du terrain et des problèmes liés à l’eau sont ceux qui y travaillent depuis des années. Il serait dangereux que la prise de décision se prive de leur compétence. Beaucoup d’argent sera investi, je l’espère ; ces investissements ne seront efficaces que s’ils sont pilotés par des acteurs qui connaissent précisément ces questions. C’est pourquoi le comité de l’eau et de la biodiversité de Mayotte doit entrer dans la gouvernance de l’établissement.

M. Philippe Gosselin (DR). Gardons-nous de trop élargir la gouvernance, pour éviter les blocages. Divers acteurs peuvent avoir le statut de personnes publiques associées ou participer à des comités de pilotage. Le problème de l’eau est toutefois particulier, et se posait bien avant le cyclone. La deuxième usine de dessalement portera les capacités totales à 40 000 mètres cubes, en deçà des 48 000 nécessaires. Le sujet est prégnant, c’est pourquoi je soutiens cet amendement.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Le cyclone Chido a provoqué une énorme catastrophe écologique. Mayotte a perdu 90 % de sa couverture végétale. Ce territoire insulaire était doté d’un écosystème très particulier, avec une forêt primaire, trésor de biodiversité. Nous avons d’énormes interrogations quant à la survie des espèces, en particulier des lémuriens, les makis, qui ne sont présents qu’à Madagascar, aux Comores et à Mayotte. Au lendemain du cyclone, on n’entendait plus les oiseaux à Mayotte. De nombreux animaux prennent désormais le risque de s’approcher de l’homme pour trouver de la nourriture.

Faute de tissu végétal, nous ignorons aussi comment le circuit de l’eau se comportera et si les nappes phréatiques seront réalimentées. Au-delà de la reconstruction, l’habitabilité de Mayotte est en question. C’est pourquoi la participation du comité de l’eau et de la biodiversité à la gouvernance de l’établissement est nécessaire.

M. Manuel Valls, ministre d’État. J’ai évoqué dans mon propos liminaire la destruction de la forêt millénaire qui participait de la beauté de l’île et, surtout, de son équilibre écologique. Parmi les missions inédites que l’établissement public devra assumer figure la reconstruction de cet équilibre écologique, dans des conditions que nous ne connaissons pas encore. Il faudra donc intégrer l’expertise du comité de l’eau et de la biodiversité, entre autres. Il reste à savoir quel mode d’association est le plus pertinent, pour ne pas mettre en cause la bonne gouvernance et l’efficacité de l’établissement. Nous évoquerons ces questions avec le général Facon.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements CE116 de Mme Aurélie Trouvé, CE23 de Mme Mathilde Hignet, CE24 de M. Aurélien Taché, CE126 de M. Davy Rimane (discussion commune)

Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). L’amendement CE116 vise à inclure les représentants des acteurs sociaux – autorités publiques, ONG, associations caritatives, associations locales et syndicats – dans la gestion de l’organisation et l’administration de l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte. Il est important qu’ils prennent part aux décisions de planification et de coordination des travaux de reconstruction, car ils connaissent très bien le terrain.

Mon amendement CE23 vise pour sa part à intégrer spécialement les acteurs associatifs. Je le retirerai si celui de la présidente est adopté.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Les syndicats doivent être associés à la gouvernance de l’établissement public, sachant que le projet de loi prévoit de nombreuses dérogations aux règles d’urbanisme, d’expropriation et de commande publique. Une importante organisation syndicale nous a déjà alertés sur l’accord visant à étendre le temps de travail journalier à quatorze heures et à abaisser la durée du repos quotidien que l’entreprise de travaux publics Colas Mayotte avait soumis à ses salariés – qui l’ont refusé. Si les syndicats sont explicitement mentionnés dans l’amendement de la présidente, je pourrai retirer le mien.

M. Davy Rimane (GDR). Je retirerai également mon amendement si celui de la présidente est adopté.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je suis favorable à l’amendement CE116 de la présidente et je demande le retrait des suivants.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Même avis, comme je l’ai déjà annoncé.

La commission adopte l’amendement CE116.

En conséquence, les amendements CE23, CE24 et CE126 tombent.

 

Amendement CE25 de Mme Mathilde Hignet

Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Nous souhaitons que la reconstruction garantisse le relogement durable de toutes les personnes présentes – de manière régulière ou non – à Mayotte. L’habitat précaire a été complètement détruit par le cyclone, alors qu’il concerne au moins un tiers de la population. Cela explique les 39 décès et les 5 600 blessés recensés à ce jour, bilan qui ne cesse d’augmenter. Personne ne souhaite la réapparition des bidonvilles, pourtant ils se reconstruisent déjà, faute de choix. Nous défendons des solutions de relogement pérennes pour toutes et tous afin d’éviter que des habitations de fortune, fragiles et insalubres, ne mettent de nouveau la population en danger.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Mayotte a une superficie de 375 kilomètres carrés. Les bidonvilles occupent des terrains privés et publics, dont certains sont destinés à la construction des logements que vous appelez de vos vœux. J’ignore qui vient en premier, selon vous, de la poule ou de l’œuf, mais je sais qu’on ne peut pas faire les deux en même temps. Si nous souhaitons empêcher la construction de bidonvilles, c’est bien pour construire des logements publics.

Votre amendement est programmatique et n’a pas de portée normative. Surtout, il ouvrirait la voie à l’obligation, qui n’existe même pas sur le territoire hexagonal, de loger des personnes en situation irrégulière. Avis défavorable.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Même avis.

M. Hervé de Lépinau (RN). Comme nous l’a dit le préfet lors de son audition, l’affectation du logement modulaire pour traiter les besoins d’hébergement d’urgence devra faire l’objet d’arbitrages pour décider s’il faudra y loger des Mahorais, des métropolitains en mission sur l’archipel ou des populations désœuvrées en situation irrégulière. Quand un préfet partage ce genre d’information, nul besoin d’avoir une grande expérience des politiques locales pour savoir que de tels arbitrages vont mal se passer.

Il me semble donc difficile d’envisager la construction d’habitat en dur pour l’ensemble des personnes présentes aujourd’hui, car, lorsque le dernier bâtiment sera sorti de terre, il y aura des dizaines de milliers d’étrangers en situation irrégulière supplémentaires. L’amendement n’aura pour seul résultat que de percer davantage le tonneau des Danaïdes.

M. Davy Rimane (GDR). J’aimerais d’abord qu’on m’explique comment l’immigration pourra être éradiquée. Les gens qui habitaient les bidonvilles ont tout perdu, qu’ils soient en situation régulière ou pas. J’entends dire que les logements provisoires doivent être destinés aux Françaises et aux Français ainsi qu’aux personnes en situation régulière. Celles qui sont en situation irrégulière ne vont pourtant pas disparaître de l’île en un claquement de doigts et, puisqu’elles n’ont plus de toit pour s’abriter, elles vont évidemment reconstruire les habitats spontanés. Je rappelle que ce sont des êtres humains, pas un troupeau de bœufs ; il faut avoir un minimum de respect.

On ne peut pas tout mettre sur le dos des étrangers et des clandestins. Certes, ils sont entrés illégalement sur le territoire et cela peut poser problème, mais je rappelle que c’est l’État qui n’a pas su gérer la situation.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je comprends très bien, Madame la rapporteure, que l’archipel de Mayotte n’ait pas à accepter plus que sa propre charge. Mais pourquoi raisonner différemment pour Mayotte et pour les autres départements français ? L’effort de solidarité peut être réparti à l’échelle nationale et pris en charge par l’ensemble des départements, comme c’est le cas avec le 115 pour les personnes en situation de grande exclusion, par exemple.

La bonne manière d'aborder la question de l’hébergement et du relogement est d’examiner comment faciliter des voies légales vers l’Hexagone. Soyons solidaires à l’échelle de l’ensemble du territoire, pas uniquement à l’échelle d’un département.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Le problème auquel nous sommes confrontés est extraordinairement difficile. Le territoire de Mayotte est tout petit et sa bande de terre urbanisable, coincée entre la montagne et le lagon, est très étroite. En outre, avec une couche d'humus peu épaisse, le sol est fragile, les glissements fréquents, et une grande partie du couvert végétal a été abîmée. Le lagon est lui aussi fragile et toutes les eaux usées s'y déversent sans pitié.

La question est donc de savoir si Mayotte peut, à long terme, accueillir dans des conditions décentes autant de personnes, qu’elles soient françaises ou étrangères. Nous sommes confrontés à une situation d’urgence, comme en témoigne l’invitation du préfet faite la semaine dernière aux maires pour qu’ils mettent à disposition des terrains pouvant accueillir des tentes et autres hébergements légers.

À moyen terme, il faudra revoir les modalités d’octroi des visas – les visas « Balladur » sont une catastrophe – et des titres de séjour, qui ne permettent pas aux personnes en situation régulière de se rendre en métropole.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Mayotte est effectivement un petit territoire aux sols fragiles, dont les grandes difficultés économiques et sociales ont été aggravées par le cyclone – j’ajoute à ces difficultés la proximité des Comores. Mayotte est un territoire de la République, mais il faut reconnaître que sa situation n’est pas identique à celle d’un département de l’Hexagone. L’égalité est l’objectif, mais nous en sommes encore loin.

La situation exceptionnelle à laquelle nous faisons face est due à l’immigration, en provenance des Comores, mais également de l’Afrique continentale, notamment de la région des Grands Lacs. Les établissements scolaires ont accueilli beaucoup de monde. C’est une obligation légale et les dispositifs mis en place par la préfecture ont permis d’accueillir quinze mille personnes, en plus de cinq mille personnes accueillies par les mosquées depuis vendredi soir.

Nous parlons d’êtres humains – personne ne parle de troupeaux – et je n’ai pas évoqué l’idée d’une éradication, mais si nous ne traitons pas la question de l’immigration, nous ne pourrons pas atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés pour la refondation de Mayotte.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je vais vous lire la lettre envoyée ce matin par le maire de Mamoudzou au préfet de Mayotte : « Le mardi 8 janvier, à l'occasion d'une réunion sur la rentrée scolaire organisée par M. le recteur et à laquelle participaient plusieurs de vos collaborateurs, dont le secrétaire général de la préfecture et le directeur de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer (Dealm), a été abordée la question des modalités d'évacuation du collège de Kwalé et du lycée Bamana de Mamoudzou, encore occupés à titre principal par des migrants d'Afrique continentale. Plusieurs hypothèses ont été évoquées, et celle que le Gouvernement semble avoir retenue est celle de la création d'un centre d'hébergement sous tentes.

« Bien que j'aie exprimé mes plus vives réserves sur ce projet qui ne pourrait conduire qu'à l'afflux de nouveaux migrants en quête d'un départ vers l'Europe, » – je rappelle que les demandeurs d'asile ne sont pas soumis aux visas territorialisés qui enferment les personnes régularisées à Mayotte – « je me suis, comme toujours avec mes partenaires, montré constructif et vous ai proposé deux terrains municipaux : celui de Disma-Bas à Kawéni et celui du projet de city stade à Haut-Vallon. Je vous ai par ailleurs informé, via le secrétaire général et le sous-préfet (…), de ma plus parfaite opposition à la mise en place de ce type d'installation sur les chantiers en cours de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et du stade Bamana qui ont été évoqués. Je suis parfaitement certain que ces centres d'hébergement, qui auront bien évidemment vocation à perdurer dans le temps, ne manqueront pas d'engendrer de graves problèmes d'ordre public et remettront en question tous les efforts engagés par la ville, mais aussi par l'Anru, par le conseil départemental, par le rectorat, par la Banque des territoires et par d’autres partenaires encore pour transformer ce village et en faire un site paisible où cohabitent en bonne entente les entreprises et les particuliers.

« Malgré cette opposition très formellement exprimée, j’apprends, de façon incidente, que la décision a été prise et que le chantier est même en cours.

« Au cas où mon message aurait été mal compris, j'ai répété de façon très formelle à vos collaborateurs que je suis totalement opposé à ce projet dont les conséquences en matière d'ordre public et de développement pour Mayotte semblent avoir été mal mesurées. Engager ce projet sur le site du futur gymnase, c'est immédiatement remettre en question le projet de cuisine centrale, d'internat, le grand stade de Kawéni, mais aussi les projets de logement de l’Alma et potentiellement le projet de Caribus » – un projet de transport en commun pour Mamoudzou.

« L'expérience a montré qu'engager ce type de projet dans une zone de chantier non réceptionné, impossible à maîtriser en termes d'ordre public, revient à remettre en cause non seulement le projet prévu sur le site, mais également tous les autres projets environnants.

« Le conseiller départemental de Kawéni, alors même qu'il prétend soutenir le Gouvernement, exploite cette erreur en mentant délibérément sur mon prétendu soutien à ce projet que je condamne de toutes mes forces. » Je vous épargne le reste, il ne s’agit que de détails politiciens.

J’ai eu des remontées de tous les administrés du quartier concerné. Monsieur Taché, vous savez très bien que la question du relogement n’est pas celle de l’hébergement d’urgence car les obligations ne sont pas les mêmes. Vous proposez de créer un droit au logement pour des personnes en situation irrégulière dans un territoire exigu et déjà confronté à des questions d’hébergement d’urgence alors que ce droit n’existe même pas dans l’Hexagone.

Le maire y fait allusion : la tension sociale est très forte, car la population ne supporte pas que l’hébergement d’urgence prive les enfants d’aller à l’école. Aux cours des dernières semaines, cinq migrants somaliens ont été agressés alors qu’ils sortaient d’un hébergement d’urgence. Je rappelle que de nombreux établissements scolaires ayant servi d’hébergement ont été saccagés et pillés, parfois détruits, par les personnes hébergées, provoquant à Mayotte une émotion considérable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE28 de Mme Nadège Abomangoli

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Je souhaite d’abord, à l'instar de mes collègues, exprimer ma pleine solidarité à l'égard de nos compatriotes de Mayotte et de tous les habitants et habitantes de l'archipel.

Cet amendement vise à faire en sorte que la reconstruction de Mayotte soit d'abord faite par et pour les acteurs locaux, particulièrement les petites et moyennes entreprises. Les acteurs locaux disposent en effet de compétences évidentes, notamment en ingénierie, sur les spécificités et les besoins de l'île et de sa population. Il ne s’agit naturellement pas de dire que l’aide et la solidarité nationale et internationale ne sont pas les bienvenues, mais face aux difficultés socio-économiques de Mayotte – avec un taux de chômage de 37 % –, il me semble indispensable que les acteurs locaux soient les interlocuteurs privilégiés de l’État pour la reconstruction, qui peut, même si c’est difficile à dire, être l’occasion d’une forme de relance économique. J’ajoute que le récent choix de Starlink, une entreprise d’Elon Musk, a créé des inquiétudes supplémentaires.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Starlink a proposé ses services dans les vingt-quatre heures qui ont suivi le passage du cyclone et les a déployés très rapidement. Ils sont encore utilisés dans beaucoup de villages où les réparations d’Orange ne sont pas encore achevées. Pour certains villages du nord, notamment Acoua, Starlink est le seul moyen de communiquer avec le monde extérieur. Vous ne pouvez pas me soupçonner de sympathie avec les idées défendues par M. Musk : je ne suis pas dupe de ses intentions et je ne doute pas de l’intérêt commercial qu’il a à cette opération, mais les services déployés par Starlink – sans être facturés, me semble-t-il – sont vitaux et de nombreux Mahorais et Mahoraises sont reconnaissants.

Je vous demande de retirer votre amendement : je suis d’accord avec son contenu, mais il aurait davantage sa place aux articles 11, 12 ou 13, qui concernent le code de la commande publique.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Votre amendement doit être mis en cohérence avec les dispositions relatives à la commande publique du présent projet de loi, qui visent à faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises et des artisans locaux. Il faut éviter des mesures législatives trop générales et envisager quelles adaptations du droit commun sont possibles ; il faudra aussi rédiger une charte de l’établissement public.

Je demande donc le retrait de cet amendement afin que nous puissions en discuter lors de l’examen de l’article 11.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). L’attribution à Starlink n’est pas, dans l’absolu, un mal, mais elle a suscité des inquiétudes et constitue un argument supplémentaire en faveur de cet amendement, que je retire pour que nous puissions en débattre lors de l’examen des dispositions relatives à la commande publique.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’article 1er modifié.

 

 

La réunion est suspendue entre dix-huit heures vingt-cinq et dix-huit heures quarante.

 

 

Après l’article 1er

 

Amendements CE242 de Mme Estelle Youssouffa et CE157 de M. Philippe Naillet (discussion commune)

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. L’amendement reprend le travail de M. Naillet, auprès duquel je m’excuse pour la méthode, mais il s’agissait d’une réécriture importante et les délais étaient contraints. Il vise à proposer la publication annuelle d’un rapport d’activité par l’établissement public créé par le projet de loi.

M. Philippe Naillet (SOC). Les délais étaient effectivement contraints, mais mon amendement aurait pu être sous-amendé. Je le retire, naturellement.

L’amendement CE157 est retiré.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Il est important que l’Epfam suive une stratégie de communication globale et transparente, mais nous touchons là à des détails. Ils ne sont certes pas négligeables, mais ils ne relèvent pas, de mon point de vue, du domaine législatif. Avis de sagesse.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Est-il déjà arrivé, dans l’histoire de la République, qu’un établissement public ne remette pas de rapport d’activité ?

Mme Maud Petit (Dem). La période que nous vivons demande de la transparence. Je suis donc favorable à cet amendement.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Le ministre n’étant pas contre, je maintiens l’amendement, avec l’accord de M. Naillet.

La commission adopte l’amendement CE242.

 

 

Article 2 : Transfert provisoire à l’État de la charge travaux sur le bâti

 

Amendement CE49 de M. Davy Rimane

M. Davy Rimane (GDR). L’article 2 prévoit des dérogations afin de permettre la reconstruction du bâti scolaire appartenant aux collectivités locales par l’État, en lieu et place de celles-ci, jusqu'au 31 décembre 2027. Nous proposons de réduire ce délai d’un an.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. De nombreuses dispositions du projet de loi prévoient des dérogations pour un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi. Elles concernent souvent les procédures juridiques et administratives préalables au lancement des travaux. Il faut donc espérer que ces formalités seront remplies avant la fin 2027. En revanche, on ne peut pas imaginer que les travaux durent à chaque fois moins de deux ans. Il reviendra à l’État de gérer la maîtrise d’ouvrage tout au long de travaux, notamment dans les écoles. Avis défavorable.

M. Manuel Valls, ministre d’État. L’article 2 prévoit le retour de la compétence pleine et entière de la commune dès la remise des bâtiments, dans un délai de trois ans, au plus tard. L’objectif est que les collectivités retrouvent l'ensemble de leurs prérogatives au plus vite. Toutefois, il me semble sage, compte tenu des besoins susceptibles d'apparaître, que l'établissement puisse soutenir les communes en exerçant leurs compétences dans ce domaine pendant trois ans. Votre amendement réduirait ce délai de soutien de l’État d’un an. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Davy Rimane (GDR). Un délai de deux ans permettrait à l'État de lancer les travaux dans les écoles quitte à laisser les collectivités les finaliser après leur avoir rendu cette compétence. L'accompagnement des collectivités de Mayotte par l’État pourrait alors être poursuivi sous d’autres formes. L’un n’empêche pas l’autre.

Je rappelle qu’après les événements sociaux de 2017 en Guyane, l’État avait mis en place un plan sur dix ans pour accompagner les collectivités pour la reconstruction, la construction et l’extension d’écoles sans se substituer à elles. Faisons donc confiance aux collectivités.

Mme Dominique Voynet (EcoS). En temps normal, on observe que les capacités d’investissement de Mayotte sont, malgré les renforts nationaux ou internationaux, assez limitées. Je pense notamment aux centrales à béton, aux engins de chantier, aux capacités d’accueil de matériaux par le port de Longoni ou aux restrictions de circulation devant être mises en place sur certains sites. J’ai moi-même le souvenir de dures discussions avec un recteur pour savoir s’il fallait commencer les travaux d’extension d’un centre de santé ou plutôt faire des travaux dans un établissement scolaire.

Dans de telles conditions, même si les moyens dédiés à ces projets montent en puissance, il me semble raisonnable de s’inscrire dans le temps long car ces chantiers ne seront pas tous commencés en même temps.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Avec un tiers des établissements scolaires à reconstruire, la situation est urgente. Nous avons donc besoin de ces délais. J’ajoute que la capacité des communes de Mayotte, notamment en termes d’ingénierie et de financement, n’est pas la même que celle d’autres départements. L’État doit donc pouvoir prendre en charge ces projets et assumer directement cette compétence, en collaboration, bien entendu, avec les maires concernés.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements CE243 de Mme Estelle Youssouffa et CE158 de M. Philippe Naillet (discussion commune)

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. L'amendement conditionne le transfert du bâti scolaire, prévu entre la commune et l’État, à un avis conforme de la commune concernée.

M. Philippe Naillet (SOC). L’amendement vise à conditionner le dispositif proposé à l'accord préalable de la commune. Considérant les circonstances et l'ampleur des dommages et leurs coûts, l'écrasante majorité des collectivités accepteront ce dispositif, mais il s’agit du transfert temporaire d’une de leurs compétences obligatoires. Leur accord doit donc être explicite et formalisé.

M. Manuel Valls, ministre d’État. L’article 2 ne vise pas à opérer un transfert de compétences : il prévoit une intervention temporaire de l’État, en précisant que la commune sera consultée sur l’implantation et la capacité des écoles construites ou reconstruites, de sorte qu’elle pourra faire valoir son appréciation sur les conséquences des choix faits sur son budget ou ses moyens.

En tout état de cause, les maires sont associés à tous les projets scolaires : ils mettent régulièrement à disposition le foncier, accordent a priori les autorisations d’urbanisme et utilisent généralement les locaux pour l’exercice de leurs compétences périscolaires. Les projets seront donc, par la force des choses, menés main dans la main avec les maires. Je peux comprendre qu’il y ait de la méfiance, mais il s’agit de travailler dans la confiance et non de multiplier des procédures qui peuvent nous faire perdre du temps.

Par ailleurs, la gouvernance de l’établissement public de reconstruction, qui assumera la maîtrise d’ouvrage pour l’État, permettra aux élus de jouer un rôle déterminant et garantit, me semble-t-il, que les projets seront conduits en lien étroit avec les maires. De toute façon, la reconstruction ne sera une réussite que si toutes les énergies convergent vers le même objectif ; tel est précisément l’objet de l’établissement public.

Dès lors, la nécessité d’agir aussi rapidement et efficacement que possible conduit le Gouvernement à préférer soumettre le transfert du bâti scolaire à un avis simple des communes concernées. C’est pourquoi il est défavorable à ces deux amendements.

M. Davy Rimane (GDR). Le groupe GDR est favorable à ces amendements, pour deux raisons. Premièrement, bien que, dans sa lettre, le maire de Mamoudzou ait exprimé son opposition aux propositions de l’État, celui-ci y a passé outre. Deuxièmement, dans nos territoires, la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) doit émettre un avis conforme en matière de permis de construire, ce qui n’est pas le cas dans l’Hexagone.

L’avis conforme des communes me paraît donc légitime, en raison non seulement de la situation mais aussi de l’habitude qu’a l’État d’agir comme il l’entend dans nos territoires.

La commission adopte l’amendement CE243.

En conséquence, l’amendement CE158 tombe.

 

Amendement CE29 de M. Aurélien Taché.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je vais défendre également l’amendement CE30, qui a un objet analogue, à savoir l’augmentation de la capacité d’accueil des écoles de Mayotte.

Certes, Mayotte traverse une crise sans précédent qui nous impose d’agir rapidement, mais il est des questions que nous ne pouvons pas laisser de côté, parmi lesquelles celle de la scolarisation. Nous savons que, dès avant le cyclone, les capacités d’accueil des élèves étaient notoirement insuffisantes, au point que ceux-ci devaient respecter une rotation par demi-journée. Je propose donc que les écoles soient reconstruites en plus grand. S’il est une question sur laquelle nous ne devons pas tergiverser, c’est bien celle de l’éducation et de l’avenir de nos enfants.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Avis défavorable. Je vous renvoie à mon rapport.

De nombreux élus locaux, collectifs et associations de Mayotte s’opposent absolument à la construction de nouvelles écoles, car 80 % des élèves sont étrangers. Depuis plus de dix ans, l’État a mené une politique de construction d’écoles primaires pour accueillir ces élèves. Or le fait est que ce n’est jamais assez. Si nous voulions nous adapter à la natalité et à l’immigration, il faudrait construire chaque année autant de places que de naissances, c’est-à-dire dix mille ! Nous ne pouvons pas suivre. En outre, on sait, avec le recul, que cette politique n’a fait que susciter l’arrivée de nouveaux élèves, qui empruntent ce que l’on appelle les kwassa scolaires : des Comoriens envoient leurs enfants à Mayotte pour qu’ils y soient scolarisés. Les mairies reçoivent des fax envoyés des Comores dans lesquels on leur demande d’inscrire des enfants à l’école avant même que ceux-ci aient pris le bateau !

Ainsi le temps d’enseignement est-il inférieur à Mayotte à ce qu’il est dans l’Hexagone, car une même salle doit accueillir deux classes – la première le matin, la seconde l’après-midi –, au mépris total du rythme biologique des enfants. Depuis le passage de Chido, 80 % des écoles sont détruites ou endommagées. Le rectorat nous a donc annoncé qu’il installerait des tentes – en pleine saison des pluies ! –, en précisant que l’école fonctionnerait « en mode dégradé ». Mais, à Mayotte, le mode dégradé est celui qui prévaut depuis des années : comment dégrader davantage un mode déjà dégradé ?

La question de l’école est très polémique. Le mouvement social de mars 2024 a éclaté en grande partie parce que des parents avaient compris qu’ils ne pourraient pas inscrire leurs enfants à l’école, faute de places. Je ne peux donc pas souscrire à l’ambition que vous défendez. Les faits ont montré qu’une telle politique ne faisait qu’alimenter l’immigration clandestine.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Il y a un peu moins de dix ans, je me suis rendu, en tant que chef du Gouvernement, à Mayotte, où, avec la ministre de l’éducation nationale et la ministre des outre-mer, j’ai posé la première pierre de futurs établissements et lancé avec le conseil départemental un plan de construction de 500 classes ; des projets ont été réalisés, quoi qu’on en dise, même s’ils ont sans doute été sous-calibrés. Or je percevais déjà la résistance des élus face à un tel plan – ce qui n’est pas habituel, vous en conviendrez !

La démonstration de votre rapporteure est assez implacable à cet égard. Cela ne signifie pas qu’il ne faudra pas, à l’avenir, construire ou reconstruire de nouvelles écoles. Mais il faut être conscient que rien ne sera possible si nous ne parvenons pas à traiter la question de la surpopulation liée à l’immigration clandestine, qui fait imploser les écoles de Mayotte. J’ajoute qu’une grande partie du bâti scolaire doit être reconstruite ou rénovée et qu’en attendant la réalisation de ces travaux, des bâches ont été posées.

C’est pourquoi je me range à l’avis défavorable de la rapporteure.

Mme Maud Petit (Dem). Il est difficile d’imaginer ce qui se passe à Mayotte si l’on ne s’y est pas rendu. Ce n’est pas être inhumain que d’affirmer qu’il est difficile de scolariser la totalité des enfants qui doivent l’être et d’améliorer une situation qui était déjà, avant le cyclone, particulière, pour ne pas dire catastrophique.

J’ai moi-même pu constater, lors d’un déplacement dans l’archipel en 2019, que certains élèves n’avaient classe que le matin, parfois très tôt, et d’autres uniquement l’après-midi – du reste, il n’y avait pas de cantine. Il faut l’avoir vécu pour se le représenter. L’urgence est de faire le nécessaire pour rétablir les bâtiments qui existaient avant le cyclone, avant d’espérer pouvoir améliorer la situation.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Il ne s’agit pas de nier la réalité de la situation de l’archipel de Mayotte, mais de s’interroger sur l’orientation stratégique que l’on va suivre pour résoudre la crise. L’obligation de scolariser les enfants figure parmi les principes de la République française. Si l’on considère que même cette obligation n’est plus si importante que cela, il faut le dire ! Pour ma part, je ne crois pas que nous puissions déroger à ce principe.

Je ne remettrai certainement pas en cause l’analyse de la rapporteure, qui connaît bien mieux que moi l’archipel. Mais nous devons choisir une direction. Soit on multiplie les dérogations, en se disant que le sous-investissement chronique dont ont pâti les services publics ces dernières décennies est tel qu’on est amené à accepter des choses qui ne devraient pas l’être ; soit on estime, et c’est mon cas, que nous avons là l’occasion de redresser la barre. Si nous ne sommes pas capables de nourrir pour l’école une ambition un peu plus grande que celle qui est affichée par le projet de loi, nous avons des questions à nous poser. Si l’on commence à discuter également les fondements de la République française – le droit du sol, l’obligation de scolarisation… –, cela va être compliqué !

M. Davy Rimane (GDR). Encore une fois, tous les enfants pour lesquels on ne veut pas construire de classes, où les mettez-vous ? Je peux vous dire, car c’est le cas chez moi, que les enfants qui ne sont pas scolarisés sont livrés à eux-mêmes dans les bidonvilles, où ils sont exposés à de nombreuses dérives.

Dites franchement que vous allez affréter des vols charters pour raccompagner toutes ces personnes dans les pays d’où ils viennent ! Vous ne cessez de dire : « On ne peut pas. » Mais, encore une fois, qu’allons-nous faire d’elles ? Si vous voulez les raccompagner chez elles, dites-le clairement !

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je suis, moi aussi, très attachée aux grands principes de la République. Mais je crois que la République y est beaucoup moins attachée à Mayotte qu’ailleurs.

Commençons par le commencement. La liberté de circuler, nous ne l’avons pas, en raison de la violence inouïe qui a cours dans l’archipel. L’égalité des droits n’est pas garantie, non plus que le droit à la sécurité, qui est pourtant, à la différence du droit du sol, un droit constitutionnel. Votre discours ne correspond pas à la réalité ; je vous appelle à l’humilité.

Loin de dire « on ne peut pas », nous avons fait tout notre possible. La moitié de la population de Mayotte est étrangère – le seul autre territoire dont le contexte s’approche du sien est la Guyane. La situation migratoire y est explosive. Qui plus est, Mayotte est le seul territoire habité français à être revendiqué par une puissance étrangère, laquelle instrumentalise les flux migratoires, allant jusqu’à envoyer par bateau des gosses tout seuls, qui risquent leur vie, pour qu’ils s’inscrivent à l’école. Et nos enfants sont scolarisés dans des conditions inhumaines : les établissements sont cernés de barbelés et des affrontements y éclatent quotidiennement, au point que les gendarmes et les policiers en assurent la sécurité. Car, c’est vrai, certains enfants ne sont pas scolarisés et sont recrutés par des bandes ultraviolentes. Cette violence est le fait de gamins qui ont entre 9 et 12 ans et qui se découpent à coups de machette sur le chemin de l’école. Et il n’y a ni cellule psychologique ni marche blanche.

Puisque la crise provoquée par le cyclone Chido révèle les problèmes structurels de l’archipel et impose de repenser Mayotte, repensez, vous aussi, ce que vous exigez de Mayotte. Nous vous le disons depuis des années : notre territoire n’en peut plus !

Nos gamins vont avoir classe sous des tentes alors qu’il fait plus de 35 degrés et que le taux d’humidité est de 100 %. Les trois quarts des profs vont refuser ces conditions de travail, et ils auront raison ! Vous parlez de construire des classes de primaire supplémentaires, mais l’école est une garderie. Et pour la suite – le collège, le lycée, l’université –, il n’y a rien : c’est honteux !

M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Ce n’est pas à nous qu’il faut dire cela : nous n’y pouvons rien !

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Mais ces enjeux sont absents de vos amendements et même de votre discours. Si l’on parle d’ambition, allons jusqu’au bout. Nous demandons une université de plein exercice car, sans cela, comment pouvons-nous former les futurs ingénieurs et médecins mahorais ?

Soyons réalistes : lorsque nous ne pouvons pas, ayons l’humilité de le reconnaître.

Oui, Monsieur Rimane : les personnes en situation irrégulière n’ont pas vocation à rester sur le territoire national. L’ensemble des élus mahorais ont demandé à l’exécutif la suspension du renouvellement des titres de séjour et un moratoire sur l’asile, car on ne parvient pas à accueillir ces personnes et à étudier les demandes. Pour le moment, nous n’avons pas eu de réponse.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Lorsque le Parlement a adopté la loi relative à la départementalisation de Mayotte, nous avons répondu à une attente forte liée à l’esprit très patriotique des Mahorais, sans toutefois mettre en œuvre l’ensemble des dispositifs à même de rattraper l’immense retard de l’archipel, incomparable avec celui des autres territoires ultramarins.

Depuis, la situation s’est incontestablement dégradée en raison – pas seulement mais en grande partie – d’une immigration irrégulière en provenance d’un pays voisin qui, à l’évidence, l’instrumentalise. Si nous ne changeons pas de stratégie, nous n’y arriverons pas. Nous avons commencé à en rebâtir une ces derniers mois, mais le cyclone Chido nous oblige à repartir de zéro et à redoubler d’efforts. C’est l’objet du projet de loi que j’aurai l’honneur de vous présenter dans quelques semaines. Des mesures doivent être prises en matière d’immigration, mais notre discussion est le premier acte.

Les difficultés auxquelles l’école est confrontée sont précisément dues au fait que nous respectons – mal, pour les raisons qui ont été évoquées – le droit fondamental des enfants à être scolarisés. Si nous poursuivons dans cette voie, nous serons dans une situation encore plus difficile. Bien entendu, les mêmes droits s’appliquent partout sur le territoire de la République. Mais reconnaissons qu’une application stricte, non pensée, de ce droit à Mayotte fait exploser tous les autres.

Expulser des dizaines de milliers de personnes des bidonvilles et les ramener chez elles est, je ne le nie pas, une opération d’une très grande difficulté – je ne sais pas si cela a été fait ailleurs. J’ai été chargé, en tant que ministre de l’intérieur et Premier ministre, de gérer la lande de Calais. Même si nous avons conclu des accords et que le nombre de personnes concernées était moindre, je me rappelle que ce fut très difficile – sans même parler de l’action légitime des associations et des habitants – parce qu’il s’agit d’êtres humains, d’enfants, de femmes seules.

Les gendarmes sont montés dans les bidonvilles de Mayotte, après le cyclone. Qui ont-ils trouvé, sous des tôles mal rafistolées ? Souvent, des femmes élevant seules leurs enfants : les hommes étaient absents. Entre votre exigence légitime et ce que disent les élus mahorais, il va nous falloir trouver un chemin, et ce sera difficile. Pouvons-nous accepter que les bidonvilles se reconstituent ? Non. Faut-il reconduire l’immense majorité des irréguliers dans leurs pays d’origine, notamment aux Comores ? Oui. Comment ? c’est toute la difficulté.

M. Hervé de Lépinau (RN). C’est la responsabilité de l’État !

M. Manuel Valls, ministre d’État. Bien sûr ! C’est pourquoi il est plus difficile de gouverner que d’être dans l’opposition.

Il n’y a pas d’autre solution que de démanteler les bidonvilles – ne serait-ce que parce que nous avons besoin de foncier ou parce qu’ils sont implantés dans des secteurs dangereux – et de reconduire leurs habitants à la frontière. Comment ? Les ministres de l’intérieur et de la défense ou moi-même, nous viendrons vous le dire. Ce ne sera pas facile, mais nous n’avons pas d’autre choix. Sinon, Mayotte explosera. La solution ne peut pas consister à régulariser ces milliers de personnes, et encore moins à leur fournir un habitat que les Mahorais eux-mêmes n’ont pas ou à scolariser les enfants dans des conditions qui font imploser nos écoles. On ne refondera pas Mayotte ainsi.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE30 de M. Aurélien Taché

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Défavorable.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Défavorable également.

M. Max Mathiasin (LIOT). Monsieur le ministre, j’ai bien écouté votre démonstration sur la nécessité de ramener chez elles toutes les personnes en situation irrégulière – un discours que l’on entend depuis quelque temps déjà. Je suppose que, comme moi et beaucoup d’autres ici, vous êtes un humaniste : alors, en attendant de les reconduire chez eux, que faites-vous de tous les enfants présents sur le territoire ?

M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Madame la rapporteure, vous nous reprochez de manquer d’ambition en matière d’éducation pour Mayotte : je pense que vous vous trompez de cible. Les parlementaires de La France insoumise, et, plus largement, du Nouveau Front populaire, défendent systématiquement le renforcement des moyens de l’école publique, que ce soit pour l’enseignement primaire, secondaire ou supérieur ; et Mayotte ne doit évidemment pas faire exception à l’ambition que nous avons pour tous les enfants du pays. Permettez-moi simplement de rappeler que ce n’est pas nous qui gouvernons, quand bien même c’était bien là ce que souhaitait une majorité de Français.

Votre réponse au problème est glaçante. Vous avez commencé par nous dire qu’il y aurait quelque 300 000 personnes en situation irrégulière à Mayotte – en balayant du même coup les chiffres de l’Insee – et peut-être même davantage puisque la rapporteure souhaite le non-renouvellement de certains titres de séjour. Faudra-t-il donc expulser 300 000, voire 400 000 personnes de Mayotte ? Vous savez très bien que vous ne le ferez jamais.

M. Davy Rimane (GDR). Permettez-moi de vous rappeler que pas plus tard qu’en 2002, c’est au terme de puissants mouvements sociaux que la Guyane a finalement obtenu une université de plein exercice : ce n’est pas si vieux ! Ce que traverse Mayotte, la Guyane l’a vécu avant elle : tout ce qu’elle a, elle a dû se battre pour l’obtenir.

Sur toutes ces questions, l’État a été défaillant. Pour toute réponse à la question migratoire, vous choisissez d’opposer des personnes issues d’un même bassin géographique. La Guyane a connu la même situation avec ses voisins, le Suriname et le Brésil : les habitants nous disaient que puisque leurs enfants ne peuvent pas avoir de classe, il faut mettre les étrangers dehors. Nous sommes totalement opposés à ce genre de réaction.

En réalité, c’est bien la défaillance de l’État dans l’exercice de ses prérogatives régaliennes qui a mis à mal toute l’île : face au fléau du cyclone, les communes ont été livrées à elles-mêmes et maintenant, vous proposez de mettre tout le monde dehors ! Ce n’est pas sérieux. Vous savez pertinemment que vous n’y arriverez jamais. Il faut définir une stratégie multivectorielle.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Notre enfer est pavé de vos bonnes intentions : donner des leçons d’accueil à des Mahorais ! À Mayotte, une personne sur deux est étrangère, souvent en situation irrégulière, prétendant indûment à des droits qu’elle obtient pourtant par des voies illégales. La simple présence de cette population rend toute politique publique caduque.

L’arrivée continue de migrants malgré le cyclone Chido prouve bien que l’immigration à Mayotte n’est ni culturelle, ni géographique ni même économique. Elle n’est qu’un instrument qu’utilise un État voisin pour prendre le contrôle de notre territoire. Le propre de l’instrumentalisation des flux migratoires – une stratégie définie par l’Otan et l’Union européenne comme une menace hybride – est d’utiliser les lois d’un territoire pour le déstabiliser. C’est précisément ce qui est en train de se passer à Mayotte.

Contrairement à ce que l’on entend souvent, jamais Mayotte n’a connu une telle immigration. Autrefois, les Comoriens représentaient moins de 10 % de la population mahoraise ; c’est au cours des quinze dernières années que la population étrangère à Mayotte a explosé. Cela nous amène au fameux visa Balladur que vous dénoncez. Soyons clairs : sauf erreur de ma part, les Comores ont choisi l’indépendance et ne font pas partie de la France. Il y a donc une frontière, qui se traduit par la nécessité de présenter un visa pour voyager entre les Comores et Mayotte : il n’y a pas de libre circulation de fait. C’est le principe même du visa, je ne comprends donc pas pourquoi cela vous défrise autant.

Au fond, Monsieur Tavel, vous contestez jusqu’au caractère français de Mayotte – j’ai suffisamment subi les assauts de vos collègues en commission des affaires étrangères pour le savoir ! Pour vous, nous sommes tous frères, tous cousins, parce qu’on vit dans le même archipel : permettez-moi de vous rappeler que la proximité culturelle et linguistique était un des arguments de l’Anschluss. Par ailleurs, les îles des Antilles ont beau faire partie d’un même archipel, elles appartiennent à quantité de pays différents.

Les frontières matérialisent un choix politique : consultée à de nombreuses reprises, Mayotte a choisi la République. Il est tout à fait normal, pour un pays indépendant, d’exercer des contrôles à l’entrée sur son territoire. Toute personne en situation irrégulière s’expose à une expulsion : c’est la base, rien de nouveau là-dedans. Il n’y a guère qu’à Mayotte que cette règle n’est pas appliquée ! Si vous dépouillez de ses frontières une île dont les portes sont déjà grandes ouvertes, que restera-t-il ? Sachez, en tout cas, que la population et les élus locaux y sont unanimement opposés.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Sur ce débat, que nous aurons régulièrement – en particulier s’agissant de Mayotte, mais aussi de la Guyane, Monsieur Rimane –, évitons de céder à la facilité. Il est évidemment toujours très difficile de procéder à l’expulsion de femmes, d’enfants, de familles qui viennent souvent d’un pays voisin – Haïti pour les Antilles, Brésil, Suriname et Guyana pour la Guyane.

Vous déplorez tous les défaillances, les manques de l’État à Mayotte. Je comprends parfaitement vos exigences, mais on ne peut pas comparer la situation de Mayotte avec celle, difficile également, subie par la Guyane. Cela ne me fait pas plaisir de le dire, mais si nous ne mettons pas fin à l’immigration à Mayotte – et ce ne sera pas chose facile –, l’île va exploser. En 2023, 8 669 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés en mer – soit une hausse de 8 % par rapport à l’année précédente –, et 22 732 l’ont été à terre. Au total, 24 467 reconduites à la frontière ont été effectuées, 592 passeurs ont été présentés à la justice et six filières ont été démantelées. Nous sommes donc bel et bien capables de reconduire à la frontière près de 25 000 personnes – au reste, c’est une part importante du nombre total de reconduites à l’échelle nationale.

Il faudra aller beaucoup plus loin encore. Avec le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice, nous travaillons aux modalités applicables à ces reconduites à la frontière. Si nous continuons d’accueillir les migrants, de scolariser leurs enfants, de faciliter leur logement, les flux ne s’arrêteront pas. N’oublions pas que nous avons affaire à un pays voisin qui, non content de ne pas jouer le jeu, revendique jusque dans sa constitution l’île de Mayotte. C’est une difficulté supplémentaire. Je souscris donc aux propos de la rapporteure.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements CE209 de Mme Dominique Voynet, amendements CE205, CE207 et CE206 de Mme Dominique Voynet (discussion commune)

Mme Dominique Voynet (EcoS). Ces amendements d’appel visent à s’assurer que la reconstruction des écoles répondra à un niveau d’exigence suffisant pour y garantir un accueil de qualité pour les enfants en matière de confort, d’hygiène ou d’équipements. Beaucoup d’écoles sont très vitrées sans être climatisées ou équipées de rideaux : les élèves et leurs enseignants y subissent donc des températures insupportables. Le nombre de toilettes et de points d’eau potable y est souvent insuffisant, et beaucoup d’écoles ne disposent d’aucun équipement dédié à l’éducation physique et sportive. Les écoles doivent certes être reconstruites rapidement, mais il n’est pas question de gaspiller l’argent public en se contentant de préfabriqués ou d’établissements au rabais, avec des armatures métalliques, qu’il faudra reconstruire dans le futur car ils ne sont pas adaptés. C’est l’objet de mes amendements. Je ne pense pas raisonnable de les adopter aujourd’hui, mais j’aimerais un engagement clair du Gouvernement.

J’en profite pour rebondir sur le débat précédent. Pour avoir travaillé pendant plusieurs années sur le plan de développement France-Comores, je peux vous assurer que si les conditions de vie sont difficiles à Mayotte, elles sont absolument misérables aux Comores. Privées d’eau, les sages-femmes en sont réduites à se frotter les mains avec du sable pour enlever le sang après les accouchements. Monsieur le ministre, vous savez pertinemment que les reconduites à la frontière ne sont pas une solution efficace : les migrants sont prêts à perdre la vie pour revenir à Mayotte et les passeurs d’Anjouan, de la Grande Comore, mais aussi de Mayotte – tout le monde sait que l’îlot M’Tsamboro est un lieu de circulation active, avec la complicité de Mahorais – garantissent même un deuxième passage pour le même prix. Ils envoient dix kwassa-kwassa en même temps, en prévoyant de renvoyer dès le lendemain les passagers des quatre ou cinq qui auront été refoulés.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je suis favorable à tous vos amendements – et croyez bien qu’après ce que je viens d’entendre, ça me fait très mal. Alors que nous sommes en train d’essayer de défendre Mayotte, vous trouvez le moyen de profiter du débat public pour faire pleurer les chaumières sur les Comoriens qui nous colonisent : venant de quelqu’un d’aussi intelligent que vous, les bras m’en tombent ! Vous ne pouvez pas imaginer combien il est violent de vous entendre défendre les Comores avec un tel acharnement. À Mayotte, on n’a plus rien – même plus de sable pour se laver les mains !

Comment pouvez-vous vous permettre de défendre ainsi les Comores, quand on connaît votre bilan de la gestion de la covid-19 lorsque vous étiez à la tête de l’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte ? Quant au plan de coopération avec les Comores signé en 2019, c’est un échec patent : la France a payé pour augmenter les reconduites à la frontière, mais elles ont diminué. Pire : non seulement les Comores revendiquent de plus en plus la souveraineté de Mayotte, mais en plus, elles se tournent désormais vers l’Azerbaïdjan, la Russie et la Chine. Les ingérences à Mayotte ont pris une dimension internationale, et la France est régulièrement attaquée sur ce sujet. Et vous, au cœur d’un débat sur la reconstruction de l’île, vous trouvez logique de défendre encore les Comores !

M. Manuel Valls, ministre d’État. Vos amendements visent un objectif louable, mais, par principe, l’État veille au respect de toutes les règles en vigueur pour la reconstruction des écoles mahoraises, en particulier les normes anticycloniques. Il faut bien avoir à l’esprit que l’évolution du cyclone – devenu par la suite tempête intense, avant de se reformer en cyclone et de frapper Madagascar et les côtes du continent africain – et sa trajectoire n’étaient pas prévisibles : le réchauffement de l’océan augmente le nombre de cyclones et conduit à des parcours plus erratiques de ces phénomènes, sur lequel il faudra former les Mahorais.

Reste que nous devons poursuivre nos efforts pour mieux prévenir les risques naturels et mieux adapter les locaux aux changements climatiques, en particulier aux fortes chaleurs. L’État intègre déjà cette dimension dans les cahiers des charges des bâtiments scolaires, même s’il faut aller encore plus loin dans la pratique. Si je souscris à votre intention, il ne me semble pas opportun d’alourdir le texte en demandant à l’État d’appliquer les règles en vigueur – il le fait déjà. Aussi, je vous demande de bien vouloir retirer ces amendements ; à défaut, j’y serai défavorable.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Comme le texte prévoit que les prescriptions techniques applicables à la reconstruction à Mayotte peuvent être modifiées, j’ai craint que cela n’entraîne des choix d’aménagement néfastes pour l’environnement ou à la qualité d’accueil dans les écoles, en particulier en matière de chaleur ou d’accès à l’eau potable – d’où mes amendements. Votre engagement sur ce sujet me suffit.

Madame Youssouffa, je suis désolée que vous ayez reçu mon intervention d'une façon radicalement différente de celle que j’entendais. Reste qu’il n’était vraiment pas nécessaire d’en venir à des attaques personnelles.

En relatant mon expérience des Comores, je disais précisément que le Gouvernement comorien n’y mettait pas du sien et n’assumait pas ses responsabilités à l’égard de sa population, et je soulignais combien il montrait de la mauvaise volonté s’agissant du respect de ses engagements – pas uniquement en matière d’immigration, d’ailleurs. Je cherchais seulement à pointer la probable inefficacité des reconduites à la frontière compte tenu du comportement du Gouvernement comorien et de l’insuffisance des moyens qu'il mobilise pour respecter ses engagements.

M. Hervé de Lépinau (RN). Ces amendements sont intéressants à double titre. Tout d’abord, je partage le souci de notre collègue Dominique Voynet d’adapter l’habitat non à la norme hexagonale, mais surtout aux conditions climatiques locales. Équiper les bâtiments de grandes baies vitrées à Marseille, à Carpentras ou à Avignon, où les températures avoisinent les quarante degrés l’été, n’a aucun sens. L’établissement public chargé de la reconstruction de Mayotte devra absolument tenir compte des caractéristiques climatiques locales.

Ensuite, ce projet de loi d’urgence cristallise une problématique d’ampleur nationale. Deux visions s’opposent : d’un côté, une approche laxiste, qui se traduit par la volonté de faire perdurer une situation qui n’a pourtant qu’aggravé encore les conséquences de Chido ; de l’autre, ceux – dont nous sommes – qui pensent que les difficultés que connaît l’école à Mayotte sont dues à la surpopulation liée à l’immigration irrégulière, et non, comme le sous-tend l’amendement, à des questions climatiques.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). L’immigration d’origine comorienne et les reconduites à la frontière sont des enjeux diplomatiques majeurs. Or, Monsieur le ministre, vous avez parlé de l’implication du ministère de l’intérieur et du ministère de la justice, mais vous ne nous avez pas fourni beaucoup d’éléments sur l’action du ministère des affaires étrangères.

L’attitude hostile du voisin comorien s’inscrit dans une stratégie hostile de conquête territoriale de Mayotte. Mais, tout adversaire qu’il soit – je reprends la qualification de Mme Youssouffa –, les Comores restent un État avec lequel nous devrons discuter – et ce n’est pas les défendre que de le dire. Les Comores n’ont pas respecté les engagements qu’elles ont pris en 2006. Quelles leçons entendez-vous tirer de cet échec, et comment se traduiront-elles dans ce texte et le suivant ? Comment le ministère des affaires étrangères entend-il s’impliquer ? Quelles initiatives diplomatiques le Gouvernement va-t-il engager, et, en tant que ministre des outre-mer, comment comptez-vous peser ?

Mme Maud Petit (Dem). Un éclaircissement sémantique me semble nécessaire : le texte prévoit-il une rénovation des bâtiments, c’est-à-dire une reconstruction qui aurait pour effet de moderniser les lieux dans le respect des normes actuelles, ou simplement leur restauration à l’identique ? La même question s’était posée s’agissant de la reconstruction de Notre-Dame de Paris.

La commission adopte l’amendement CE209.

Puis elle adopte l’amendement CE205.

En conséquence, les amendements CE207 et CE206 tombent.

 

Amendements CE245 de Mme Estelle Youssouffa et CE10 de Mme Anchya Bamana (discussion commune)

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. L’amendement prévoit que la construction d’une nouvelle école par l’État, son implantation et le nombre de classes doivent faire l’objet d’un accord exprès de la commune concernée – dont le silence éventuel ne doit pas valoir acceptation.

Mme Anchya Bamana (RN). Dans le même esprit, mon amendement prévoit que la construction d’une école est soumise à l’avis conforme du maire de la commune concernée, puisque l’école relève des compétences communales.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Je le répète, les maires doivent être associés à tous les projets scolaires. L’État a certes tous les défauts du monde, mais tout n’est pas parfait non plus dans les communes. Essayons donc de travailler en confiance – je le dis aux élus sur place – et de ne pas multiplier les procédures lourdes. Il n’est pas question de déposséder les maires de leurs pouvoirs. La gouvernance de l’établissement public de reconstruction qui doit assurer la maîtrise d’ouvrage pour l’État donne précisément aux élus locaux un rôle déterminant.

Pour agir rapidement et efficacement, mieux vaut un avis simple. Or l’adoption de l’amendement de la rapporteure a déjà un peu rigidifié le dispositif. Je comprends le sentiment de défiance qui s’exprime, mais je vous engage à veiller à ne pas alourdir les procédures. Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement CE245.

En conséquence, l’amendement CE10 tombe.

 

Amendement CE117 de Mme Aurélie Trouvé

Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Il vise à soulager temporairement les finances des collectivités territoriales mahoraises en leur permettant de repousser le remboursement des créances liées aux travaux et aux biens relatifs aux établissements scolaires détruits par le cyclone.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Avis évidemment favorable.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Cette proposition est déjà satisfaite. Je crains même que l’amendement n’ait pour effet de contraindre les collectivités mahoraises par rapport aux possibilités légales dont elles disposent déjà. Elles peuvent en effet, en l’état actuel du droit, renégocier l’échéancier de remboursement de leurs emprunts et obtenir, le cas échéant, une prorogation de six mois ou plus, alors que l’amendement prévoit une durée inférieure ou égale à six mois. Par ailleurs, il n’est pas possible de distinguer, parmi les emprunts des collectivités mahoraises, ceux qui auraient été contractés en vue du financement des biens relatifs aux établissements scolaires détruits par le cyclone. Avis défavorable, donc, à cet amendement qui n’est pas à l’avantage des communes mahoraises.

M. Hervé de Lépinau (RN). Il s’agirait que l’État puisse faire pression sur les banques pour obtenir une renégociation. Peut-être l’amendement est-il mal rédigé s’il fixe un délai trop court, mais vous en comprenez l’idée. Les banquiers se faisant parfois tirer l’oreille, une mesure d’État serait utile pour permettre l’échelonnement des dettes.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Je comprends l’intention de l’amendement, mais il ne faut pas créer un dispositif qui ne serait pas favorable aux communes. Je suggère donc que l’amendement soit retiré et réécrit en vue de l’examen du texte en séance.

Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Cela me paraît tout à fait possible, mais j’en laisse juge Mme la présidente, qui est première signataire de l’amendement.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je le retire, afin qu’il puisse, en effet, être retravaillé en vue de la séance.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel CE246 de Mme Estelle Youssouffa, rapporteure.

 

Elle adopte l’article 2 modifié.

 

 

Article 3 : Exemption de formalités d’urbanisme des constructions dédiées à l'hébergement d’urgence implantées pour une durée de moins de deux ans

Amendements de suppression CE247 de Mme Estelle Youssouffa et CE118 de Mme Aurélie Trouvé

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Les dispositions de l'article R. 421-5 du code de l'urbanisme permettent déjà de construire sans formalité d'urbanisme des hébergements d'urgence pour une durée maximale de deux ans. Par ailleurs, l'habitat modulaire n’est pas une solution durable pour les Mahorais, dont le relogement provisoire sous cette forme pourrait alors s'étendre jusqu'à 2029, en comptant deux années pour la construction d’hébergements qui, une fois établis, pourraient rester implantés pour une durée de deux ans, ce qui est exorbitant. Enfin, le soutien aux sinistrés ne doit pas contribuer à la reconstruction de bidonvilles. C’est pourquoi l'article 3 est au mieux inutile et, au pire, néfaste.

M. Manuel Valls, ministre d’État. La notion d’hébergement d’urgence prévue par l’article 3 couvre un champ plus large qu’au sens du code de l’action sociale et des familles, retenu par l’article R. 421-5 du code de l’urbanisme. La mesure proposée concernerait deux publics : les familles mahoraises sinistrées, dans l’attente de leur nouvelle habitation, et des fonctionnaires des services publics participant à la reconstruction de Mayotte. Il est nécessaire de construire des places d’hébergement d’urgence, car ce secteur, déjà saturé à Mayotte avant le passage du cyclone Chido, l’est désormais encore davantage. Nous priver de cette possibilité serait une erreur. Avis défavorable, donc, bien que je n’aie pas entendu les arguments de Mme la présidente en faveur de son amendement 118.

M. Philippe Naillet (SOC). Mon amendement CE159, qui sera appelé juste après les identiques que nous examinons, porte plus largement sur le relogement d’urgence.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. L’amendement CE118 vise à éviter une contribution au phénomène d’inflation législative en s’abstenant de répéter un dispositif existant. En effet, un décret prévoit déjà les dérogations énoncées par l’article 3.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Ce n’est pas tout à fait exact, car le décret ne couvre pas tous les publics visés. D’où l’article 3.

La commission rejette les amendements.

 

Amendement CE159 de M. Philippe Naillet

M. Philippe Naillet (SOC). Il vise à corriger le dispositif proposé par l’article, qui vise l’hébergement d’urgence, plutôt que le relogement d’urgence. L’article L. 421‑5 du code de l’urbanisme renvoie à un décret en Conseil d’État la fixation de la liste des constructions qui, par dérogation et notamment du fait de leur caractère temporaire, peuvent être dispensées de toute formalité au titre du code de l’urbanisme. Ainsi, l’article R. 421‑5 du même code prévoit déjà que les structures d’hébergement d’urgence bénéficient d’une telle dispense dès lors qu’elles sont implantées pour une durée qui n’excède pas deux ans, ce qui satisferait la rédaction actuelle de l’article. La lecture de l’étude d’impact permet néanmoins de constater que l’objectif visé par le Gouvernement est en réalité de « faciliter l’implantation en urgence d’hébergements temporaires destinés à accueillir les sinistrés », c’est-à-dire les personnes qui bénéficiaient d’un logement qui a été détruit ou qui n’est plus habitable, mais qui ne relevaient pas antérieurement de l’hébergement d’urgence.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. L'amendement tend à modifier l'objet de l'exemption de formalité d'urbanisme en visant le relogement des personnes sinistrées, et non plus l'hébergement d'urgence. Il ne s'agit pas, en effet, de proposer un hébergement d'urgence avec une prestation d'accompagnement social et la fourniture de couvert, mais de créer des logements modulaires démontables pour les personnes victimes d'une catastrophe naturelle. Avis favorable.

M. Manuel Valls, ministre d’État. Dans l’intention du Gouvernement, la notion d’hébergement d’urgence recouvre une réalité plus large qu’au seul sens du code de l’action sociale et des familles. Toutefois, l’amendement ne me gêne pas, car il apporte peut-être des précisions utiles. Sagesse.

M. Hervé de Lépinau (RN). Le préfet de Mayotte a indiqué que des fonctionnaires, des infirmiers et des familles mahoraises avaient vu leur habitat détruit et qu’il fallait les reloger en urgence dans des locaux modulaires en attendant la reconstruction de leurs habitations. Je voudrais être certain que l’amendement s’inscrit bien dans cette logique. Je peux aussi comprendre la crainte de la population mahoraise de voir durer des bâtiments modulaires qui serviront ensuite à l’hébergement de clandestins. Il faut placer la césure au bon endroit.

M. Manuel Valls, ministre d’État. J’ai bien compris la méfiance qu’inspirent les modulaires, qui peuvent aussi bien servir à la population illégale que perdurer avec tous les défauts de ce type de fabrication – même si des dispositifs de ce type se sont révélés plutôt adaptés dans d’autres endroits. Je répète que les deux publics visés sont les Mahorais qui se trouvent dans une situation difficile et pour lesquels il faut trouver une solution provisoire autre que l’hébergement sous tente, et les fonctionnaires. La question est de savoir jusqu’à quand ce sera possible, compte tenu notamment des aspects climatiques, car les bâtiments de ce type ne sont pas très résistants.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Le logement modulaire, temporaire par nature, est systématiquement employé par l’État pour toute nouvelle construction depuis plusieurs années. Les bâtiments modulaires pullulent ainsi à Mayotte, que ce soit à l’hôpital, au rectorat, dans l’hébergement d’urgence ou dans les établissements scolaires, et la plupart d’entre eux ont été balayés ou éventrés par le cyclone. Les élus mahorais ne comprennent pas que l’État n’ait pas l’ambition de reconstruire correctement et durablement. Par ailleurs, le modulaire est importé, ce qui est contraire au souci exprimé par bon nombre d’entre vous de protéger l’économie locale. De fait, nos artisans et nos PME sont exclus d’une partie de la reconstruction par cette importation.

La proposition de M. Naillet a donc le mérite de limiter le recours au modulaire, dont le texte du projet de loi prévoit une utilisation très large et durable.

La commission adopte l’amendement.

 

 

 

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Information relative à la commission

 

La commission a nommé Mme Estelle Youssouffa, rapporteure sur le projet de loi d’urgence pour Mayotte (n° 772)

 


 

Membres présents ou excusés

 

Commission des affaires économiques

 

Réunion du lundi 13 janvier 2025 à 15 h 05

 

Présents. - M. Henri Alfandari, M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Maxime Amblard, M. Thierry Benoit, M. Benoît Biteau, M. Arnaud Bonnet, Mme Cyrielle Chatelain, M. Paul-André Colombani, M. Julien Dive, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Inaki Echaniz, M. Frédéric Falcon, M. Julien Gabarron, M. Antoine Golliot, M. Philippe Gosselin, Mme Géraldine Grangier, Mme Olivia Grégoire, M. Frantz Gumbs, Mme Mathilde Hignet, Mme Julie Laernoes, M. Maxime Laisney, Mme Annaïg Le Meur, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Lebec, M. Robert Le Bourgeois, M. Pascal Lecamp, M. Hervé de Lépinau, M. Laurent Lhardit, M. Alexandre Loubet, M. Patrice Martin, M. Max Mathiasin, M. Nicolas Meizonnet, Mme Manon Meunier, M. Christophe Mongardien, Mme Louise Morel, M. Philippe Naillet, Mme Sandrine Nosbé, Mme Maud Petit, M. Stéphane Peu, M. René Pilato, M. François Piquemal, M. Dominique Potier, M. Davy Rimane, Mme Valérie Rossi, M. Aurélien Taché, M. Matthias Tavel, Mme Prisca Thevenot, Mme Mélanie Thomin, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Stéphane Vojetta, Mme Dominique Voynet, M. Frédéric Weber, Mme Estelle Youssouffa

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Anchya Bamana, M. François Jolivet