Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Examen de la proposition de loi visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole (n° 805) (M. Peio Dufau, rapporteur)              2

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Mercredi 5 mars 2025

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 64

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Aurélie Trouvé,

Présidente


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La commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole (n° 805) (M. Peio Dufau, rapporteur).

Mme la présidente Aurélie Trouvé. En matière de souveraineté alimentaire, se posent immédiatement les questions du renouvellement des générations et de l’installation de nouveaux agriculteurs. Il est regrettable que le foncier agricole nécessaire dans cette perspective soit un « angle mort » de la loi d’orientation agricole (LOA) ; je me réjouis donc que nous puissions enfin nous pencher sur ce sujet.

Les deux tiers des exploitants atteindront l’âge de la retraite dans les dix prochaines années et la pression foncière est considérable, en particulier dans certaines régions littorales et touristiques, les prix du foncier ne faisant qu’augmenter. Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) jouent un rôle très important pour réguler le foncier, même si, malheureusement, leur action ne permet pas toujours d’endiguer la spéculation foncière et l’accaparement des terres agricoles pour d’autres usages, ce qui est précisément l’objet de la proposition de loi que nous examinons ce matin.

Ce texte transpartisan est inscrit en quatrième position à l’ordre du jour du mardi 11 mars prochain, après-midi et soir, et des jours suivants si besoin. Deux amendements ayant été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution et trois au titre de l’article 40, notre commission est aujourd’hui saisie de sept amendements.

M. Peio Dufau, rapporteur. Cette proposition de loi trouve sa source à Arbonne au Pays basque, où une maison à rénover, une dépendance quasiment en ruine et quinze hectares de terres agricoles devaient être vendus, en 2021, pour la modique somme de 3,2 millions d’euros, alors que le prix global était estimé par les domaines à huit cent mille euros. Une occupation de cent jours soutenue de manière transpartisane par le monde agricole, les élus locaux et la population a entraîné le retrait de l’acheteur, mais aussi, et surtout, mis en lumière l’incapacité de la Safer à réguler cette dérive. Notre ancien collègue Vincent Bru, député Modem qui m’a précédé dans la sixième circonscription des Pyrénées-Atlantiques, a alors rédigé une première proposition de loi, qui n’est toutefois pas parvenue au stade de l’examen en commission. En accord avec lui, j’ai repris le flambeau avec mon équipe, afin de trouver une solution législative aussi simple et efficace que possible.

La situation au Pays basque reflète un phénomène général. Ainsi, tout récemment, près de Deauville, un hectare de terre agricole proche d’une maison de maître s’est vendu 170 000 euros. Notre travail nous a prouvé l’ampleur du problème et l’urgence à agir. La terre, le foncier agricole, vit une crise qui n’est que très peu évoquée : celle de sa disparition progressive. Si l’artificialisation des sols est un phénomène reconnu et encadré par des mesures spécifiques, un processus plus insidieux reste en grande partie ignoré : la « consommation masquée », phénomène par lequel des terres échappent à l’activité agricole car elles sont vendues liées à un bâtiment, souvent une grande bâtisse, et deviennent, par un contournement de la régulation assurée par les Safer, des jardins d’agrément, des lieux de villégiature. Au Pays basque, deux cents hectares – soit l’équivalent de quatre exploitations agricoles en superficie – disparaissent chaque année et près de quatre cents hectares dans la Drôme. En région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), c’est l’équivalent de soixante-dix-huit exploitations par an qui disparaît. Dans l’Hexagone, vingt-sept mille hectares ont été perdus en 2023, soit deux fois et demie la superficie de Paris. Si rien n’est fait, le phénomène va s’accélérer avec le renouvellement des exploitants agricoles, dont plus de la moitié approche de la retraite.

Alors que nous avons collectivement affirmé ici l’importance que revêt la construction de notre souveraineté et de notre sécurité alimentaires, nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner ces terres qui doivent pouvoir contribuer à l’alimentation de tous. Devant l’urgence de la situation, nous avons engagé un travail transpartisan, auquel l’ensemble des acteurs du monde agricole a été associé, afin d’arriver rapidement à cette proposition de loi qui fait l’objet d’un large consensus.

Le texte est composé de quatre articles et nous allons étudier quelques amendements qui visent à l’améliorer, à la suite d’un travail de concertation mené durant les douze auditions de ces dernières semaines.

L’article 1er et un article additionnel proposé par voie d’amendement inciteront d’abord à une ventilation du prix séparant le foncier agricole et le bâtiment non agricole entouré d’un jardin d’agrément, dont je vous proposerai d’assouplir la définition, afin de répondre aux remarques des acteurs auditionnés, notamment des propriétaires ruraux. Il s’agit par ailleurs de renforcer le mécanisme de révision de prix dans le cadre des préemptions partielles.

L’article 2 prévoit la possibilité d’étendre à vingt ans la vocation agricole des bâtiments dans les zones en tension, au lieu de cinq ans actuellement, pour aligner cette durée sur celle qui s’applique dans les communes littorales. Sur cette question, qui a été évoquée lors des auditions, nous allons ouvrir la discussion afin de préparer, en vue de la séance, un amendement qui permettrait une détermination du zonage plus simple et plus efficace, collant au mieux aux territoires.

L’article 3 vise à faciliter les visites de biens par les Safer. Bien que des visites aient déjà lieu, parfois, leur systématisation facilitera les discussions en amont et les règlements amiables.

Enfin, nous étudierons les solutions proposées par notre collègue Claudia Rouaux pour remédier au problème, abordé durant toutes les auditions, du recours au démembrement de propriété afin de contourner la préemption des Safer.

Les derniers mois et, plus largement, les dernières années nous ont permis de mesurer le désarroi et la colère du monde agricole. Si nous avons été unanimes ici à condamner le Mercosur et à essayer de trouver des solutions pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur activité, nous n’avons pas progressé en ce qui concerne leur outil de travail primordial, qui reste toujours le même et avec lequel ils entretiennent un lien viscéral : la terre.

Ce texte n’a pas vocation à résoudre tous les problèmes ni à remplacer une grande loi sur le foncier agricole, qui est nécessaire, mais c’est une brique urgente dans la construction d’un ensemble visant à assurer la préservation de notre agriculture. Les agriculteurs comptent unanimement sur nous pour préserver la terre destinée à leur activité. Dans la bataille pour nos agriculteurs, chaque acteur compte.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je connais bien le cas d’Arbonne, pour y être allée soutenir les agriculteurs et les habitants qui se mobilisaient contre le détournement d’usage des terres agricoles que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Géraldine Grangier (RN). Nous sommes face à un enjeu crucial : la protection de notre foncier agricole. En 2023, la France a perdu plus de treize mille hectares de terres agricoles sous l’effet de l’expansion urbaine, soit plus que la superficie de Paris. Par ailleurs, entre quinze mille et vingt mille hectares ont été détournés de leur usage agricole par des non‑agriculteurs qui les transforment en terrains d’agrément. Cette double pression fragilise notre souveraineté alimentaire et compromet l’installation de jeunes agriculteurs, déjà confrontés à de nombreuses difficultés. L’accaparement du foncier par des investisseurs non‑agriculteurs, souvent étrangers, le développement des champs photovoltaïques et la flambée des prix rendent l’accès à la terre agricole de plus en plus difficile.

L’accès au foncier est une nécessité pour le développement de notre agriculture et l’installation de nouveaux exploitants. Les Safer ont vocation à préserver la disponibilité du foncier agricole et à favoriser l’installation des jeunes agriculteurs : le droit de préemption dont elles disposent doit viser exclusivement ces objectifs. Malgré cette prérogative, la régulation du foncier présente encore d’importantes failles et les Safer ne parviennent pas à préempter efficacement les terres menacées de détournement.

Cette proposition de loi vise renforcer les moyens d’action des Safer sur trois points clés. D’abord, elle consolide leur droit de préemption partielle, en distinguant clairement les terres agricoles des bâtiments d’habitation, afin d’éviter que certaines ventes ne leur échappent. Ensuite, elle étend ce droit aux communes limitrophes des zones tendues et littorales, où la pression foncière est la plus forte. Enfin, elle instaure un droit de visite avant l’exercice de la préemption, afin de permettre une meilleure évaluation des biens mis sur le marché et une plus grande transparence des transactions.

Nous tenons cependant à vous alerter quant aux dérives des Safer et à l’absence de contrôle exercé sur leurs activités. En 2014, un rapport de la Cour des comptes avait déjà relevé certaines de ces dérives, notamment des opérations de substitution au bénéfice de grands exploitants ou d’agriculteurs étrangers, qui sont de nationalité suisse dans ma circonscription. Le Rassemblement national a donné l’alerte sur l’absence de contrôle des pouvoirs publics et le risque de dérives dans la gestion du foncier. Il est impératif d’accompagner l’extension du dispositif actuel de garanties solides afin d’éviter tout favoritisme ou détournement des prérogatives des Safer.

Malgré cette réserve, le texte a pour but de rendre plus opérants les moyens existants des Safer pour atteindre un objectif essentiel à notre souveraineté agricole : garantir l’accès à la terre et assurer une transmission juste des exploitations. Il est temps d’agir pour protéger nos agriculteurs et nos terres nourricières. Nous voterons donc pour cette proposition de loi.

M. Peio Dufau, rapporteur. Merci de votre soutien. S’agissant des dérives potentielles des Safer et s’il n’y a pas de problèmes de cet ordre au Pays basque, où le mécanisme actuel fait l’objet d’un consensus et où les différents acteurs travaillent très bien ensemble, les auditions ont montré que cela pouvait arriver dans certains départements. La proposition de loi n’a évidemment pas pour objet d’examiner le fonctionnement des Safer au cas par cas, département par département, mais cette préoccupation partagée nécessitera certainement, le moment venu, un travail spécifique.

M. Antoine Armand (EPR). Nous nous attaquons à trois des contournements les plus fréquents des mécanismes de régulation par les Safer mis en place et renforcés au fil des années. Le premier est la rétention du foncier, consistant à garder un bien plus de cinq ans pour lui faire perdre, si l’on peut dire, son usage agricole. Le deuxième contournement est le démembrement de propriété puisque, dans le droit actuel, la Safer ne peut pas préempter la nue-propriété. Le troisième contournement, relatif à la préemption partielle, consiste à imposer à la Safer d’acquérir l’ensemble du bien – et non pas seulement le foncier agricole – ce qui, dans des zones très tendues comme dans mon département de Haute-Savoie, peut évidemment avoir un impact important sur les prix et donc dissuader ou empêcher de facto la préemption, par la contrainte financière. La proposition de loi vise précisément à remédier à ces situations et je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir précisé la réécriture que vous imaginez pour assurer notamment la constitutionnalité de l’article 1er.

L’article 2 présente quelques points potentiellement problématiques. De fait, le code rural prévoit que les Safer peuvent préempter des bâtiments qui n’ont plus d’usage agricole depuis moins de cinq ans lorsqu’ils sont situés en zone agricole ou en zone de montagne. La loi du 20 mai 2019 pour la protection foncière des activités agricoles et des cultures marines en zone littorale, dite loi « Pahun », a permis de porter ce délai à vingt ans dans les zones littorales. L’article 2 propose d’étendre le délai de vingt ans aux communes situées en zone tendue et de permettre aux préfets d’autoriser la préemption dans toutes les communes situées dans les départements comportant des zones tendues : cinquante-neuf des quatre-vingt-seize départements hexagonaux, soit les deux tiers du territoire, seraient alors directement concernés, selon les décisions des préfets. Une réécriture semble s’imposer : des communes qui ne sont pas situées en zone tendue seraient potentiellement concernées par le délai de vingt ans, alors que d’autres, qui le mériteraient manifestement, ne pourraient pas se voir appliquer la mesure ; nous pouvons donc améliorer le dispositif.

Enfin, la loi d'orientation agricole a permis de sortir les bâtiments à usage agricole du champ d’application du « Zéro artificialisation nette » (ZAN). Mais une dérive est possible, car on pourrait, à des fins de spéculation, acheter un bien agricole et le transformer en habitation sans satisfaire aux obligations du ZAN, ce qui irait exactement à l’inverse de ce que vous proposez.

Au-delà de ces quelques remarques mineures, le groupe EPR soutiendra cette proposition de loi transpartisane et utile.

M. Peio Dufau, rapporteur. Nous débattrons ensemble de la rédaction la plus appropriée pour l’article 2. En revanche, l’article 40 de la Constitution ne nous permet pas d’élargir le droit de préemption par amendement et il faudrait donc que ce soit le Gouvernement qui le fasse en notre nom. Cher collègue, si vous connaissez des gens au Gouvernement, cela pourrait faciliter les choses ! (Sourires.)

Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Merci, monsieur le rapporteur, de nous permettre de débattre du foncier agricole, ce que nous n’avons malheureusement pas pu faire à l’occasion de l’examen du projet de loi d’orientation agricole, dont l’objectif affiché était pourtant le renouvellement des générations dans l’agriculture. L’accès au foncier est l’un des principaux freins à l’installation : nombreux sont ceux qui renoncent à leur projet faute de trouver une solution.

Le problème du foncier est notamment lié à celui des petites retraites agricoles, car certains cédants sont contraints de miser sur la vente de leur ferme pour s’assurer une retraite digne – et donc potentiellement de vendre rapidement au plus offrant, au détriment de l’installation d’un nouvel agriculteur. En concurrence avec l’urbanisation et la volonté d’agrandissement des exploitations existantes, une personne qui souhaite s’installer en agriculture ne fait pas le poids financièrement. C’est particulièrement vrai des « Non issus du milieu agricole » (Nima), qui représentent aujourd’hui 60 % des candidats à l’installation et doivent acheter des terres.

En 2023, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux observait que, sur les dix dernières années, l’agriculture avait perdu annuellement, en moyenne, soixante mille hectares, dont un tiers est artificialisé, un tiers converti en usage forestier et un tiers abandonné. Il est pourtant indispensable de préserver les terres agricoles afin de garantir notre souveraineté alimentaire. Les Safer jouent, à cet égard, un rôle essentiel, car elles sont chargées de garantir la protection des espaces agricoles, naturels et forestiers et de favoriser l’installation d’exploitations agricoles

Le groupe LFI soutient cette proposition de loi qui vise à lever certains freins. Ce n’est cependant qu’un début, car le texte ne suffira pas à corriger les nombreux dysfonctionnements constatés dans l’attribution du foncier agricole – je pense, par exemple, à la répartition dont a fait l’objet une ferme du Maine-et-Loire, dont 87 % des terres ont été attribuées à l’agrandissement alors que trois porteurs de projet souhaitaient s’y installer. Cet exemple n’est pas une exception, car deux tiers des terres libérées par les agriculteurs partant en retraite vont à l’agrandissement d’exploitations existantes.

Le mode de financement des Safer, qui repose presque exclusivement sur les plus-values tirées des transactions immobilières, peut conduire à privilégier les opérations les plus avantageuses. En outre, le mode de gouvernance actuel est loin de garantir la démocratie et la transparence. La situation s’est améliorée depuis que la Cour des comptes a souligné, en 2014, des problèmes de transparence dans l’attribution des terres agricoles, mais elle est encore loin d’être satisfaisante. D’ici à 2030, cinq millions d’hectares devraient changer de mains, soit un cinquième de la surface agricole utile. Si cette proposition de loi est la bienvenue, elle ne doit pas faire oublier l’urgence d’une véritable loi foncière pour préserver, répartir et traiter en priorité l’accès au foncier agricole.

M. Peio Dufau, rapporteur. Merci de votre soutien. Le financement des Safer, qui a souvent été évoqué lors des auditions, n’est pas l’objet de la proposition de loi, mais le fait que les Safer se rémunèrent au pourcentage peut, même si ce n’est pas général, mener à des dérives.

Cette proposition de loi est la première brique d’un ensemble nécessaire en matière de foncier agricole. Le problème de la consommation masquée est une urgence et il faut réussir à valider cette première mesure. Une loi plus importante est nécessaire, mais elle ne sera peut-être pas d’initiative parlementaire. Comme l’ont fait apparaître les auditions, un consensus devra aussi se faire plus largement sur le foncier agricole.

M. Inaki Echaniz (SOC). Il nous est enfin possible de débattre de mesures concrètes pour la préservation et la régulation du foncier agricole, premier outil de travail pour nos agriculteurs. Alors qu’aucune grande loi foncière n’a vu le jour, malgré les engagements du Président de la République, je suis heureux de voir émerger des solutions parlementaires pour répondre aux préoccupations du monde paysan. Parmi les sujets d’inquiétude légitime, le foncier occupe une place centrale : en 2023, treize mille hectares d’espaces agricoles et naturels ont été perdus au profit de l’urbanisation et 20 % de la surface agricole française va changer de mains d’ici à 2030.

Le texte que nous examinons est le fruit d’un travail transpartisan et d’une collaboration étroite avec les acteurs du terrain. Je tiens à saluer l’investissement dont fait preuve depuis plusieurs mois mon collègue Peio Dufau sur ce sujet particulièrement important chez nous, dans les Pyrénées-Atlantiques et au Pays basque, où la pression immobilière et l’envolée des prix menacent la souveraineté alimentaire de tout un territoire en privant nos agriculteurs de terres. Dans le rétro-littoral, des terrains de quinze hectares sont mis en vente pour plusieurs millions d’euros au mépris de nos outils de régulation, trop facilement contournés ou simplement inadaptés pour répondre à certaines situations. Il fallait agir et cette proposition de loi répond à des problèmes que nous retrouvons dans de nombreux territoires, au-delà des Pyrénées-Atlantiques et du Pays basque.

Les articles de ce texte, équilibrés et efficaces, permettront de renforcer les moyens des Safer en consolidant leur droit de préemption partielle, par une possibilité d’action en matière de révision de prix, pour sauver les terres agricoles de la spéculation. Avec cette mesure, c’en sera fini des ventes de trois hectares à un million d’euros. Le texte élargit le champ d’action aux communes touchées par une pression sans précédent sur le foncier, comme c’est le cas dans le rétro-littoral. Il propose également de donner aux Safer un droit de visite préalable à la préemption d’un bien afin de pouvoir obtenir des informations plus précises sur sa nature.

Je rappelle enfin que le Conseil constitutionnel juge que des limitations peuvent être apportées au principe de liberté d’entreprendre et au droit de propriété si elles sont justifiées par l’intérêt général. Or la préservation du foncier agricole est un solide motif d’intérêt général. En ces temps troubles, le renforcement de notre souveraineté alimentaire n’a jamais été plus d’actualité. Le groupe Socialistes et apparentés est donc heureux de porter cette proposition de loi.

M. Peio Dufau, rapporteur. La loi d'orientation agricole a précisé, très opportunément, l’intérêt général majeur que revêt l’agriculture. Face à cet enjeu important, il faut des réponses adaptées. La présente proposition de loi est la première de ces réponses et j’espère que les autres suivront rapidement.

M. Julien Dive (DR). Monsieur le rapporteur, j’ai cosigné cette proposition de loi lorsque vous me l’avez proposé, voilà quelques mois. Dans un contexte marqué par le départ en retraite de nombreux agriculteurs dans les prochaines années et par l’accélération des successions et des transmissions d’exploitation, la loi d’orientation et d’avenir agricole, qui entendait traiter de l’installation des jeunes agriculteurs, a laissé subsister quelques angles morts, parmi lesquels la question du foncier agricole, dont elle n’abordait que quelques éléments épars (comme l’adaptation du ZAN pour les bâtiments agricoles).

La question du foncier doit être traitée dans un texte d’ampleur, qui pourrait par exemple provenir du Gouvernement, mais il est essentiel d’apporter dès maintenant quelques réponses, comme tend à le faire cette proposition de loi. Les 54 % de surface agricole utile (SAU) que compte notre pays doivent fournir des denrées alimentaires saines et accessibles pour nos populations – et même au-delà, car la France doit être capable d’exporter. Un tiers de cette SAU est en herbe et les deux autres tiers sont composés de terres arables. L’adaptation de la loi foncière doit permettre de tenir compte des spécificités territoriales – il existe ainsi des zones de grandes cultures, très productives du fait de la qualité des terres, et des zones intermédiaires.

Monsieur le rapporteur, je salue la courtoisie que vous avez eue tout à l’heure de citer votre prédécesseur, issu d’un autre groupe politique, et de rappeler que le travail sur cette question était collectif. Partant d’un cas précis observé dans votre département, sur un territoire non seulement agricole – comptant des zones de polyculture et d’élevage, ainsi que des zones intermédiaires et peu productives –, mais aussi touristique, vous évoquez les conditions qui favorisent le contournement des textes adoptés dans ce domaine, comme la loi Pahun et la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite loi « Sempastous ». Vous soulignez ainsi qu’il faut aller plus loin, notamment en matière de délai.

Sur ce point, j’émets la même réserve que notre collègue Antoine Armand. Sans être opposé à l’idée de permettre aux Safer de préempter des biens ayant eu un usage agricole au cours des vingt dernières années, j’alerte à mon tour sur l’extension de ce délai à d’autres territoires : la situation qui existe indéniablement dans votre département ne se retrouve pas partout en France.

Enfin, faisons attention à ce que les Safer, dont nous nous apprêtons à renforcer le rôle, ne conduisent pas des actions de nature spéculative sur certaines transmissions.

M. Peio Dufau, rapporteur. J’ai en effet mentionné mon prédécesseur Vincent Bru, car ce travail a d’abord été mené au Pays basque de façon transpartisane. Vous êtes plusieurs à avoir accepté de cosigner la proposition de loi en faisant fi des différences politiques, ce dont je vous remercie : je crois que les Français attendent de nous que nous soyons capables de travailler ensemble pour adopter les mesures que le bon sens impose et j’assume cette ouverture.

Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, je suis bien conscient que la rédaction actuelle de l’article 2 ne convient pas. Nous en rediscuterons, de façon à trouver la formulation la plus consensuelle possible.

M. Boris Tavernier (EcoS). Protéger les terres agricoles pour protéger la capacité nourricière de notre pays : voilà un objectif qui devrait tous nous réunir. Sans terres agricoles, il n’y a ni souveraineté alimentaire ni droit à l’alimentation. Je remercie donc le rapporteur et tous les collègues qui soutiennent ce texte.

La proposition de loi vise à renforcer les moyens d’action des Safer pour lutter contre la consommation masquée de foncier agricole, c’est-à-dire la pratique consistant à acheter des terres agricoles pour des usages tels que le loisir, le stockage ou la spéculation, voire tout simplement pour s’assurer de ne pas avoir de voisins. Ce phénomène, qui s’accroît depuis la période de la covid-19, a touché plus de dix-sept mille hectares en 2022.

Heureusement, en France, grâce à leur droit de préemption, les Safer œuvrent au contrôle du foncier agricole. Pour assurer leur mission, elles doivent être dotées d’outils actualisés. Le texte va dans ce sens, en consolidant le droit de préemption partielle des Safer grâce à la distinction entre terrains agricoles et bâtiments d’habitation, en étendant le dispositif aux communes proches des littoraux et des zones tendues et en octroyant aux Safer un droit de visite avant préemption.

La protection du foncier agricole est d’une importance majeure pour garantir la pérennité de l’agriculture, la préservation de l’environnement, la vitalité de nos campagnes et le maintien des emplois ruraux. Pour nos paysages, pour nos paysans, pour notre souveraineté alimentaire, pour le droit à l’alimentation, les terres agricoles doivent être protégées : comme le rappellent les Safer elles-mêmes, chaque hectare compte !

Notre groupe votera donc cette proposition de loi transpartisane. Nous espérons un même soutien pour d’autres outils de protection des terres agricoles, notamment le ZAN, et un même engouement transpartisan pour la lutte contre des projets trop peu utiles et inadaptés à notre temps (nouvelles autoroutes, centres commerciaux, plateformes logistiques…), qui artificialisent les terres agricoles par centaines d’hectares. On ne protège pas les agriculteurs en s’attaquant à leurs terres : préservons-les ensemble.

M. Peio Dufau, rapporteur. Merci de votre soutien, que j’apprécie pleinement.

M. Pascal Lecamp (Dem). Le rapporteur l’a bien rappelé : la disparition des terres agricoles est parfois un dommage collatéral du difficile renouvellement des générations, de la spéculation qui peut inciter à modifier l’usage des terres ou encore de l’inflation foncière et immobilière. Les Safer ont été créées, dès 1960, pour jouer un rôle d’interface entre public et privé et assurer la régulation foncière, au service de l’intérêt général. L’expérience quotidienne montre toutefois qu’elles sont parfois impuissantes – ici, à empêcher la vente en bloc d’une ferme de plus de deux hectares (ce fut le cas dans mon département de la Vienne en 2022) ; là, à procéder à une préemption coûteuse.

Si nous voulons atteindre l’objectif de maintenir quatre cent mille exploitations en France à l’horizon 2035, que nous nous sommes fixé dans la loi d'orientation agricole, nous devrons certes développer davantage le portage foncier, auquel je suis très attaché, mais aussi donner aux Safer les moyens d’agir en leur permettant de préempter et de stocker du foncier à destination des nouvelles générations d’agriculteurs. Il est vrai que ce renforcement des prérogatives des Safer devra s’accompagner d’une réflexion sur leur gouvernance, mais tant qu’elles restent l’outil de référence de la régulation foncière, permettons-leur d’agir – sinon, il faut inventer autre chose.

La proposition de loi, que j’ai cosignée, s’attache à traiter certains des blocages observés sur le terrain. Elle présente un caractère non partisan, qui est souvent le signe du bon sens – du « bon sens basque », puisqu’elle est en quelque sorte l’héritière du texte déposé par notre ancien collègue démocrate, lui-même basque, Vincent Bru. Elle se nourrit des retours du terrain, où les impuissances publique et privée ont créé des frustrations et donné lieu à des occasions manquées, à des ventes de terres qui ne seront plus cultivées de sitôt. Je plaide notamment pour que le prochain projet de loi de finances traite la question des plus-values latentes qui sont découvertes au moment de vendre une ferme et qui empêchent souvent de diviser les exploitations, donc de permettre à des jeunes de s’installer.

Vous l’aurez compris, mon groupe soutiendra ce texte et les amendements susceptibles de renforcer l’arsenal des Safer, dans le respect du droit de propriété.

M. Peio Dufau, rapporteur. Merci de votre soutien. Nous allons avancer ensemble.

M. Thierry Benoit (HOR). Par ce texte, que j’ai cosigné, vous invitez les députés à se pencher sur une question cruciale pour l’agriculture et l’avenir des agriculteurs : le foncier.

Le sujet a fait l’objet d’une importante réflexion dans les années soixante, qui s’est concrétisée, à travers les lois d’orientation d’Edgar Pisani de 1960 et 1962, par la création des Safer. Votre proposition de loi, qui, par nature, ne saurait embrasser l’ensemble du problème, a le mérite de mettre en lumière un enjeu qui suscite depuis soixante ans les convoitises d’acteurs qui ne sont pas tous intéressés par l’avenir de l’agriculture : la France compte quelque 28 millions d’hectares de surface agricole utile et notre rôle est de préserver ce trésor.

J’ai déposé un amendement en vue de mettre fin à la concurrence observée dans certains territoires entre les Safer et d’autres instances : lorsque des syndicats de production d’eau potable définissent des périmètres de protection, lorsque des intercommunalités soutiennent l’installation d’agriculteurs porteurs de projets alternatifs ou encore lorsque les départements créent des espaces naturels sensibles, les Safer, qui sont l’outil des agriculteurs, se trouvent dépossédées de leur droit de préemption : je souhaite donc que ces différents acteurs concluent un conventionnement avec les Safer.

M. Peio Dufau, rapporteur. Nous aurons l’occasion d’évoquer cette question, qui a été mentionnée au cours des auditions.

Depuis les lois Pisani que vous avez citées, sont intervenues la loi d’avenir du 13 octobre 2014, la loi du 20 mars 2017 adoptée à l’initiative de notre collègue Dominique Potier et la loi Sempastous de 2021, ce qui montre bien que des ajustements sont périodiquement nécessaires. Il en faudra d’autres et le présent texte s’inscrit dans cette logique.

M. David Taupiac (LIOT). La pression sur les terres agricoles est de plus en plus forte. L’urbanisation galopante, la construction de nouvelles infrastructures et l’étalement urbain grignotent chaque année des milliers d’hectares de terres fertiles. S’y ajoutent la spéculation et la concentration foncières qui fragilisent l’accès des agriculteurs, notamment des jeunes générations, à la terre. Pour garantir notre souveraineté alimentaire, nous devons préserver le foncier agricole. Cela requiert des décisions radicales qu’aucun des derniers gouvernements n’a voulu prendre. Voilà des années qu’on annonce une grande loi foncière, sans aucune suite concrète – aucune piste de réforme n’est même avancée.

Je remercie donc notre collègue Peio Dufau de s’être emparé de cette question. Le texte, sans être révolutionnaire, prévoit des ajustements nécessaires et attendus pour préserver les terres là où elles sont le plus en danger. Les Safer sont insuffisamment armées pour exercer leur rôle dans les territoires en tension où, faute d’un droit de préemption suffisamment opérationnel, elles peinent à garantir que les terres restent dédiées à leur vocation agricole.

Le droit de préemption partielle, notamment, fonctionne mal, puisque le propriétaire peut toujours exiger que la Safer acquière l’ensemble des biens ciblés. Là où le prix des maisons explose – dans les zones touristiques, notamment –, cette exigence conduit bien souvent la Safer à renoncer à son droit. Des terres autrefois agricoles échappent ainsi à leur vocation initiale. Vous proposez de remédier à ce problème en octroyant aux Safer la possibilité de dissocier une maison d’habitation et son jardin des terrains agricoles. Des interrogations existent quant à la constitutionnalité d’une telle mesure, mais je suis convaincu que la situation critique actuelle nous incitera à trouver, au cours de la navette parlementaire, les compromis et les garanties nécessaires.

Nous sommes favorables à l’article 2, qui permettra de faciliter le changement de destination des bâtiments en vue de réinstallations là où la pression immobilière s’accroît.

Quant au droit de visite, nous y voyons une mesure de bon sens qui permettra à une Safer d’obtenir une évaluation plus juste des biens mis sur le marché et de renforcer ainsi son expertise et sa capacité à réguler les prix.

Pour toutes ces raisons, nous sommes favorables à cette proposition de loi.

M. Peio Dufau, rapporteur. Merci de votre soutien. J’ai déposé un amendement à l’article 1er de la proposition de loi, afin de mieux répondre aux demandes exprimées lors des auditions. En rendant la mesure moins abrupte, nous devrions garantir son caractère constitutionnel.

M. André Chassaigne (GDR). Je tiens à réaffirmer notre attachement aux Safer. Même si tout n’est pas parfait, de grands progrès ont été réalisés depuis quelques années pour améliorer la transparence. Dans mon département, en tout cas, la politique conduite par la Safer fait l’objet de très peu de contestations.

Je regrette l’absence de grande loi foncière – elle est comme l’Arlésienne : on en parle toujours, mais on ne la voit jamais arriver ! Faute de « grands soirs », nous devons nous contenter de petits matins… (Sourires.) Ce qui nous est proposé aujourd’hui est ainsi une sorte de grignotage par lequel nous essayons, petit à petit, de faire avancer les choses, en attendant cette grande loi qui viendra peut-être un jour.

Il y a beaucoup à faire. Les plus anciens d’entre nous se souviennent du texte qui avait été adopté pour permettre la préemption de cabanes d’ostréiculteurs dont certains entendaient se saisir, notamment dans le bassin d’Arcachon. On vit désormais la même chose dans les alpages : des « bobos » annuellement bucoliques achètent un buron ou une jasserie et y invitent leurs copains qui, urinant devant le bâtiment le soir, découvrent qu’il y a des étoiles dans le ciel, pendant que des bergers, à côté, vivent sous des tôles ! (Sourires.) Nous devons tenir compte des besoins de ces oubliés des temps modernes que sont les travailleurs saisonniers : il faudra bien, un jour, préempter des bâtiments de montagne pour pouvoir y accueillir des travailleurs qui exercent leur activité dans des conditions très difficiles.

Bien évidemment, nous voterons ce texte que nous avons cosigné et qui constituera une étape – beaucoup d’autres devront suivre.

M. Peio Dufau, rapporteur. Votre message est bien passé. Nous rencontrons le même problème d’hébergement dans les zones littorales, où l’activité économique et touristique pâtit de l’attractivité des territoires : certains restaurants doivent fermer trois jours par semaine l’été, faute de main-d’œuvre, car on ne peut pas loger des saisonniers payés au Smic dans des appartements loués 1 500 ou 2 000 euros la semaine sur Airbnb. Nous sommes ainsi confrontés à la surattractivité et à l’accaparement de biens qui devraient être utilisés pour faire vivre les territoires et non pour servir de lieux de villégiature. On n’empêchera jamais les gens d’acheter, mais il faut trouver des outils pour lutter contre un phénomène qui impose, en effet, de travailler non seulement sur les terres agricoles mais aussi sur le logement. Nous avons commencé à réfléchir à cette question et j’espère qu’elle reviendra bientôt à l’Assemblée.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. J’ai eu l’honneur de diriger une thèse qui fait état de quelque huit cent mille salariés agricoles employés chaque année, soit bien davantage que les estimations de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère chargé du travail.

Je constate en tout cas que, malgré quelques limites, chacun s’accorde à saluer le rôle essentiel joué par les Safer, que nous devons encore renforcer.

Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Dominique Potier (SOC). Après la loi visant à réguler les meublés de tourisme, adoptée il y a quelques mois de façon transpartisane grâce à l’investissement de notre collègue Inaki Echaniz, le Pays basque est à nouveau à l’honneur avec notre collègue Peio Dufau, qui prend le relais pour traiter d’une question proche : celle du partage de la valeur et de la nécessité de permettre à chacun d’avoir une place au soleil.

L’honnêteté m’oblige à dire, toutefois, qu’il est plus facile d’attaquer les riches « bobos » qui accaparent des terres pour leurs loisirs que de garantir la justice au sein de la profession agricole. Le texte ne traite que d’une petite partie du sujet : même si l’enjeu est très important, notamment dans les zones à fort impact touristique – j’avoue que nous sommes un peu moins concernés dans le Grand Est –, il ne doit pas occulter cette grande question qu’est le partage du foncier au sein de la profession agricole. Nous nous battons depuis dix ans pour l’inscrire à l’ordre du jour de notre Assemblée.

Alors que la loi d'orientation agricole devait traiter du renouvellement des générations, le vide abyssal de ce texte à propos de la question foncière montre bien l’hypocrisie totale de la démarche. Madame la présidente, la création de la mission d’information sur le foncier que nous demandons depuis l’examen de ce texte est-elle à l’ordre du jour de la commission ?

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Cette proposition de nouvelle mission sera sans nul doute discutée lors du prochain bureau de la commission.

M. Peio Dufau, rapporteur. Chacun s’accorde à dire que l’agriculture ne subsistera qu’à condition de partager les terres et d’installer de nouveaux exploitants. C’est un enjeu essentiel, a fortiori au vu de la démographie agricole, y compris dans les zones en tension, où le prix du foncier est très élevé. Des dispositifs d’aide existent. Ce sujet ne sera pas traité dans le cadre du présent texte, mais il est effectivement majeur.

M. Jean-Pierre Vigier (DR). La perte de terres agricoles, alimentée par l’urbanisation et la spéculation foncière, est un défi majeur pour notre souveraineté alimentaire et pour l’équilibre environnemental. Cette proposition de loi qui vise à renforcer les pouvoirs des Safer constitue une avancée essentielle pour protéger les terres contre les dérives spéculatives.

Je tiens à souligner les spécificités des zones de montagne, où l’agriculture joue un rôle crucial dans la gestion des paysages et la préservation de la biodiversité. Le texte étend le droit de préemption des Safer à ces zones sensibles, tout en introduisant un droit de visite afin de permettre une meilleure évaluation des terres. C’est une bonne chose. Cependant, comment s’assurer que les Safer disposent des outils et des financements nécessaires pour agir efficacement dans ces zones, où les défis liés à l’isolement et aux coûts d’intervention sont particulièrement marqués ?

M. Peio Dufau, rapporteur. Nous construisons une boîte à outils qui devrait faciliter les préemptions partielles.

Le financement est un autre sujet. Au Pays basque, territoire que je connais le mieux, une convention a été passée entre la communauté d’agglomération et la Safer, qui travaillent main dans la main avec l’établissement public foncier pour trouver des solutions. En effet, les prix de l’immobilier et du foncier ont atteint des sommets et forcé tous les acteurs à se mettre autour de la table. Je me présente devant vous avec la volonté de travailler de façon transpartisane, comme nous le faisons là-bas. Nous sommes parfois limités par la législation – d’où la nécessité de la modifier pour mieux répondre aux besoins concrets – mais, en réunissant toutes les parties concernées, on peut agir.

M. François Ruffin (EcoS). Il y a quelques années, on disait au sujet des terres agricoles que l’équivalent d’un département français était bétonné tous les dix ans. Plus récemment, un rapport a indiqué que c’était finalement tous les sept ans. Le rythme serait désormais de 26 mètres carrés par seconde ! En Picardie, dans ce qui était le grenier à blé de la France, d’immenses hangars et de grands pôles logistiques viennent manger des dizaines d’hectares.

J’ai fait partie de la mission d’information sur le foncier agricole conduite par notre collègue Dominique Potier. La promesse d’une loi permettant de soustraire le foncier agricole au marché n’a jamais été suivie d’effets. Si nous subissons peu, en Picardie, l’achat de terrains d’agrément et la surattractivité, nous ne connaissons que trop bien l’accaparement et la spéculation. Vos auditions ont-elles permis de mettre en évidence des moyens qui permettraient de mieux réguler le foncier et d’éviter que les banques, les fonds de pension et les grandes entreprises ne s’en saisissent ?

M. Peio Dufau, rapporteur. C’est le travail de la Safer, qui doit permettre d’attribuer les terres aux agriculteurs. Tout le monde n’en a peut-être pas conscience, mais le milieu financier veut s’emparer du foncier agricole, parce qu’il sait que l’alimentation sera un des enjeux majeurs de demain. Si nous ne posons pas dès maintenant des verrous pour empêcher la financiarisation du foncier et son accaparement par des grands groupes et des fonds de pension, nous allons au-devant de graves problèmes. Il nous faut absolument trouver des solutions. Ce texte, qui n’est qu’une brique de l’édifice, doit s’inscrire dans une prise de conscience globale : pour l’instant, nous « collons des rustines », mais il faudra construire une digue pour contrer les velléités de certains. La France n’est d’ailleurs pas la seule concernée : la Chine achète de plus en plus de terres en Afrique et les terres européennes suscitent également des convoitises. Nous devons nous préparer à un enjeu qui est majeur.

M. Jean-Luc Bourgeaux (DR). Les collectivités, particulièrement les départements, achètent chaque année des terres, le plus souvent dans des espaces classés, proches des rivages. Malheureusement, ces terres ne sont généralement plus exploitées ensuite, alors qu’elles sont parfois très fertiles. Ce problème peut concerner des dizaines, voire des centaines d’hectares par opération.

M. Peio Dufau, rapporteur. Pour avoir été adjoint à l’urbanisme dans une commune côtière, je vous rejoins sur ce point : les communes ou les départements qui achètent du foncier doivent prévoir des baux permettant le maintien de l’activité agricole. Une prise de conscience est nécessaire : chacun doit mesurer le caractère crucial du foncier agricole. Même si des terres sont préemptées par un autre acteur qu’une Safer, leur vocation agricole doit être préservée.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. En Allemagne, où aucun équivalent des Safer n’assure une régulation du foncier, on voit bien les conséquences en matière de prix des terres et de difficultés de transmission – elles sont autrement plus fortes. Cela montre le rôle essentiel des Safer : nous devons préserver cette spécificité française.

La question de l’artificialisation des terres a été évoquée par un certain nombre d’acteurs qu’une délégation de notre commission a rencontrés durant le Salon de l’agriculture. Je pense notamment, dans le domaine viticole, à la Confédération nationale des appellations d’origine contrôlées. Au-delà de cette proposition de loi très importante, nous devrons poursuivre le travail sur le foncier agricole.

 

Article 1er (art. L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime) : Possibilité accordée aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural de recevoir des vendeurs une notification séparant les biens à usage ou vocation agricole des autres biens

 

Amendement CE4 de Mme Claudia Rouaux

Mme Claudia Rouaux (SOC). Les ventes en démembrement de propriété se sont multipliées. En 2022, le marché des biens démembrés a atteint un niveau record, en surface et en valeur : 270 ventes d’usufruit et 980 cessions de nue-propriété ont été notifiées aux Safer, représentant, respectivement, des surfaces de 2 350 hectares (ha) et de 11 440 ha et des valeurs de 44 millions d’euros (M€) et de 183 M€. Les Safer ne disposent pas du temps et des leviers nécessaires pour mettre en évidence le caractère frauduleux de certains recours à ce montage juridique. Or la charge de la preuve, difficile à rapporter, pèse exclusivement sur elles. Les ventes en nue-propriété entravent leur mission d’intérêt général, qui consiste notamment à promouvoir l’installation des agriculteurs et à lutter contre la spéculation foncière.

L’amendement CE4 vise à mettre à la disposition des Safer des informations supplémentaires au sujet des opérations en démembrement de propriété. Cela permettra de vérifier la sincérité et l’exactitude des informations ainsi que la réalité juridique et économique des opérations et, partant, de limiter le contournement du droit de préemption.

J’ai également déposé un amendement CE5 qui renverse la charge de la preuve en cas de contentieux sur des cessions d’usufruit ou de nue-propriété. Il reviendrait au cédant et au cessionnaire de démontrer l’absence d’intention frauduleuse visant à contourner le droit de préemption de la Safer, laquelle est souvent dans l’incapacité de réunir des informations et des preuves suffisantes. Il s’agit de permettre à l’établissement public de mieux exercer son rôle de régulateur.

Un troisième amendement, qui visait à autoriser l’exercice du droit de préemption lorsque la durée de l’usufruit restant à courir ne dépasse pas neuf ans – au lieu de deux ans actuellement –, a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Une durée de deux ans est trop courte pour que la Safer puisse exercer son droit de préemption.

M. Peio Dufau, rapporteur. Il est indispensable de fournir aux Safer des compléments d’information. Tous les acteurs que nous avons auditionnés ont mentionné le démembrement du droit de propriété parmi les outils de contournement du droit de préemption. Les notaires n’ont pas fait exception – ils ont par ailleurs affirmé n’être pour rien dans la situation, ce dont on peut douter dans certaines zones géographiques comme la mienne. Renforcer l’information permettra aux Safer de mieux caractériser le contournement de la règle. Notre ancien collègue Vincent Bru avait travaillé sur ce sujet, comme notre collègue Claudia Rouaux et moi-même. Je suis très favorable à l’amendement CE4.

De même, je soutiens la proposition de notre collègue Claudia Rouaux de faire passer de deux à neuf ans le délai concernant les ventes en nue-propriété. Les règles de recevabilité financière nous empêchant d’adopter un amendement en ce sens, nous allons essayer de faire reprendre cette disposition par le Gouvernement – j’espère que vous serez tous d’accord pour appuyer une telle demande.

M. Dominique Potier (SOC). Nous avions identifié dès 2014 le problème du démembrement de propriété, qui était abondamment employé pour contourner les droits des Safer. À l’époque, nous avions opté pour une durée de deux ans, de crainte d’une censure du Conseil constitutionnel. J’avais déposé un amendement en ce sens au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, et nous avions obtenu l’accord du ministre Stéphane Le Foll.

Les faits et l’évolution du droit nous laissent espérer que d’autres dispositions pourraient être adoptées. Un amendement avait ainsi été introduit dans le dernier projet de loi d’orientation agricole ; la ministre Annie Genevard, à l’instar des Républicains, s’y était montrée sensible, mais les dispositions en question ont été édulcorées au Sénat et n’ont plus de portée normative. L’amendement de notre collègue est donc particulièrement heureux.

Si le démembrement de propriété est revenu « à la mode », c’est en partie parce que la loi Sempastous a institué un contrôle sur les sociétés. Le démembrement est un outil employé partout en France par certains organismes agricoles et des cabinets d’avocats qui s’efforcent, en permanence, de contourner la loi – cela s’apparente à un sport. Tant que nous n’aurons pas réglé les questions de la définition de l’actif, de la régulation de l’ensemble des marchés agricoles – y compris ceux des prestations de services et de la propriété – et de la réorganisation des autorités compétentes en la matière, nous n’aboutirons pas. Les pas que nous accomplissons aujourd’hui sont néanmoins précieux pour lutter contre l’accaparement des terres.

M. Peio Dufau, rapporteur. Il est effectivement nécessaire, je l’ai dit, de renforcer l’information. Tous les acteurs le demandent.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CE12 de M. Peio Dufau

M. Peio Dufau, rapporteur. Il s’agit de rendre plus acceptable l’article 1er sans en changer l’objectif ni en réduire l’ambition, en précisant et en sécurisant juridiquement sa rédaction. Le droit de préemption partielle des Safer s’applique dans les mêmes conditions que le droit de préemption simple lorsque la déclaration d’intention d’aliéner comporte des valeurs distinctes pour chaque catégorie de biens, préemptables ou non. Il convient de généraliser le recours à la ventilation des prix car elle favorise la transparence et permet de lutter plus efficacement contre la spéculation.

Pour préserver les droits et les libertés des propriétaires, il est proposé que les biens non agricoles concernés puissent inclure des bâtiments et les terrains d’agrément qui leur sont attachés, dans la mesure où ces terrains sont indispensables et proportionnés à la surface du bâti. Fixer une surface précise paraîtrait, en revanche, une contrainte excessive. Le vendeur pourra, s’il le souhaite, prendre l’initiative du redécoupage. Ces modifications visent à éviter de porter atteinte à la sacro-sainte propriété privée.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle adopte l’article 1er modifié.

 

 

Après l’article 1er

 

Amendement CE5 de Mme Claudia Rouaux

M. Peio Dufau, rapporteur. L’inversion de la charge de la preuve, déjà évoquée tout à l’heure, devrait permettre aux Safer de lutter plus efficacement contre le contournement des règles. Elles seront aidées en cela par l’information renforcée que nous avons décidé de mettre à leur disposition. Avis favorable.

M. Antoine Armand (EPR). L’amendement prévoit que le cédant et le cessionnaire doivent démontrer l’absence d’intention frauduleuse. Or il est assez difficile, en droit, de démontrer une absence d’intention. Je ne sais pas comment cette mesure sera déclinée réglementairement ni, surtout, comment le juge appréciera les faits. Quelles preuves permettront de démontrer qu’il n’y a pas eu de volonté de contourner la règle ? Notre droit repose, au contraire, sur la mise en évidence d’une intention, au moyen de preuves ou d’un faisceau d’indices. Si je partage l’objectif de l’amendement, il me semble que sa rédaction pourrait se révéler inconstitutionnelle ou du moins, en pratique, très problématique pour le juge.

M. Dominique Potier (SOC). Il faut en effet tenir compte de l’argument de notre collègue Antoine Armand : l’amendement recèle peut-être une fragilité. Cela étant, je voudrais rappeler le contexte. Dans 90 % des cas, la nue-propriété est cédée. Il arrive ainsi qu’un propriétaire exploitant la transfère à un tiers qui poursuit l’exploitation des terres dans le cadre d’une prestation de services alors que, en l’absence de démembrement, l’opération aurait fait l’objet d’une préemption de la Safer. Démontrer une intention frauduleuse consisterait, par exemple, à mettre en évidence l’absence d’intérêt pour l’exploitation des terres dans le temps. Les organisations agricoles souhaitent unanimement consolider le dispositif. Je propose que l’on travaille à remédier à la fragilité identifiée par notre collègue.

Mme Claudia Rouaux (SOC). On nous a fait part de cette réserve. La Safer ne peut intervenir que si l’usufruit restant à courir au jour de la vente n’excède pas deux ans. Elle n’a absolument pas la capacité et l’ingénierie nécessaires pour démontrer la volonté de contourner le droit de préemption. L’amendement a d’abord un objectif de dissuasion, en faisant en sorte que l’acquéreur ne dispose pas forcément du bien à la suite de la vente. L’inversion de la charge de la preuve se développe beaucoup en droit européen, mais aussi dans notre droit – je pourrais vous fournir quelques exemples. Il faut tenter d’appliquer cette mesure, me semble-t-il, car aujourd’hui les Safer sont réduites à constater, impuissantes, l’explosion des ventes en nue-propriété.

M. Peio Dufau, rapporteur. Nous pouvons voter l’amendement tel quel, mais il est également possible de continuer à y travailler. Je laisse notre collègue Claudia Rouaux exprimer sa préférence.

M. Julien Dive (DR). Comme notre collègue Antoine Armand l’a montré au moyen d’arguments très pertinents, l’amendement sera difficilement applicable. Personne ne remet en cause l’objectif mais il faut s’assurer du caractère opérationnel de la disposition. La méthode la plus adaptée, d’un point de vue légistique, me semble être de retirer l’amendement et d’améliorer sa rédaction en vue de la séance.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je vais retirer l’amendement afin que l’on y travaille d’ici à la séance. Nous nous sommes longuement penchés sur la question avec des juristes, notamment ceux des Safer. Nous ne voyons pas comment nous pourrions soutenir ces dernières sans inverser la charge de la preuve.

L’amendement est retiré.

 

 

Article 2 (art. L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime) : Élargissement du champ du droit de préemption des sociétés d’aménagement et d’établissement rural dans les communes limitrophes des communes littorales et les communes en « zone tendue »

 

Amendement CE9 de Mme Géraldine Grangier

Mme Géraldine Grangier (RN). Cet amendement vise à renforcer le contrôle de la cession de terres agricoles en cas d’implication d’investisseurs étrangers. Notre foncier est de plus en plus convoité par des acteurs extérieurs qui spéculent sur les terres ou les exploitent – chez moi, l’exploitation est parfois assurée par des ressortissants suisses. Nous proposons de soumettre toute transaction de ce type à une obligation de signalement et à un examen préalable par les autorités compétentes. Cela permettrait à la Safer d’exercer son droit de préemption et, ainsi, de garantir que nos terres restent accessibles aux agriculteurs français, en particulier aux jeunes qui veulent s’installer. Nous nous prémunirions, ce faisant, contre une concurrence étrangère déloyale.

M. Peio Dufau, rapporteur. On peut s’interroger sur la conformité de cette disposition à la Constitution et au droit de l’Union européenne dans la mesure où elle créerait, sans discernement, une discrimination envers tous les étrangers. Avis défavorable.

M. Patrice Martin (RN). Je soutiens cette proposition pour avoir connu ce genre de problème dans ma circonscription, où un agriculteur étranger, belge ou hollandais, a proposé de reprendre une exploitation d’une taille importante au prix de trente mille euros l’hectare. La Safer a exercé son droit de préemption, ce qui a permis à cinq jeunes agriculteurs de s’installer sur ces terres vendues à moindre prix.

M. Peio Dufau, rapporteur. Nous sommes précisément en train de renforcer le droit de préemption des Safer, ce qui évitera que des terres soient vendues à des exploitants ou à des fonds de pension étrangers.

La commission rejette l’amendement.

 

M. Peio Dufau, rapporteur. Je souhaite apporter une précision avant que nous ne passions au vote sur l’article.

Pour en avoir discuté avec les personnes auditionnées ainsi qu’avec plusieurs d’entre vous, il me paraît nécessaire d’améliorer la rédaction de l’article 2 en ce qui concerne le zonage et le passage de cinq à vingt ans de la durée prise en compte pour l’exercice d’une activité agricole. Nous avons souhaité confier au préfet le pouvoir de désigner les communes concernées, mais cette solution ne semble pas être la plus appropriée. On pourrait en revanche envisager de conférer cette prérogative aux communes. En tout état de cause, il sera nécessaire de déposer un amendement de réécriture en séance. J’aimerais recueillir vos points de vue afin que nous procédions à cet ajustement ensemble.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je rappelle qu’il n’y a pas d’explications de vote en commission. Je vous cède néanmoins la parole, monsieur Armand, parce que vous aviez déposé un amendement avant de le retirer.

M. Antoine Armand (EPR). J’avais en effet déposé un amendement, jugé irrecevable par le président de la commission des finances, afin d’étendre le droit de préemption des Safer aux biens qui ont connu un usage agricole au cours des vingt ans précédant la cession. Il a été considéré que cette disposition créerait une charge pour les finances publiques, ce qui est discutable, pour ne pas dire inexact, car non seulement les décisions se prennent au cas par cas mais le délai n’a, a priori, aucun impact sur le prix.

Les dispositions que nous sommes sur le point de voter me paraissent problématiques. L’article 2 pourrait permettre de porter la durée prise en compte en matière de vocation agricole des bâtiments à vingt ans dans cinquante-neuf départements : pourquoi pas ? Mais la question est de savoir si cette prérogative doit être confiée aux préfets ou si, étant donné que les deux tiers du territoire sont concernés, elle doit relever de la loi. Le préfet pourra permettre de passer à vingt ans dans une zone qui n’est pas en tension et, a contrario, ne pas l’autoriser dans un département en tension comme le mien, la Haute-Savoie, sans avoir à fournir d’explications. En l’état, la rédaction complexifiera la procédure et sera peu opérante.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je précise simplement, pour éviter toute confusion, que c’est votre amendement déposé après l’article 2 qui a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Vous avez, en revanche, retiré celui portant sur l’article 2.

M. Peio Dufau, rapporteur. Je vous propose d’adopter cet article dans sa rédaction actuelle et de travailler ensemble, d’ici à la semaine prochaine, sur la meilleure solution possible. Nous avons bien cerné la problématique et nous sommes d’accord sur le principe, mais il nous reste à améliorer la mise en œuvre.

 

La commission adopte l’article 2 non modifié.

 

 

Après l’article 2

 

Amendement CE13 de M. Peio Dufau

M. Peio Dufau, rapporteur. Cet amendement vise à permettre à la Safer de réviser le prix total du bien, dans le cas où il n’a pas été ventilé par le vendeur, en s’appuyant notamment sur les commissaires du Gouvernement, comme elle le fait lorsqu’elle peut préempter avec révision du prix. En cas de refus par le vendeur, il appartiendra au tribunal de trancher.

Si la Safer doit acheter la totalité des biens, ce sera à un prix fondé sur des critères objectifs visant à prévenir la spéculation et l’aggravation de la pression sur le foncier agricole. Si le propriétaire préfère ventiler le prix dès le départ, afin d’éviter une révision à la baisse pour les biens non préemptables, il pourra tirer profit de la faculté que nous lui offrons à l’article 1er.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CE7 de M. Thierry Benoit

M. Thierry Benoit (HOR). Je propose d’accorder aux Safer un droit de préemption prioritaire par rapport à celui des collectivités publiques et des établissements publics avec lesquels elles sont parfois en concurrence. Les syndicats des eaux, les établissements publics de coopération intercommunale ou les départements pourraient travailler dans le cadre d’un conventionnement avec les Safer à la création d’espaces naturels sensibles, de périmètres de protection de l’eau potable, de projets agricoles alternatifs, etc. Toutefois, ce sont les Safer, dont c’est le métier – et donc, plus largement, la profession agricole – qui auraient la main.

M. Peio Dufau, rapporteur. L’enjeu principal est la coordination des acteurs : la multiplication des outils de préemption peut en effet entraîner une certaine concurrence. Il est indispensable que les différentes parties prenantes se mettent autour de la table pour éviter les incohérences et les oppositions en menant une réflexion globale. Néanmoins, je ne suis pas très favorable à cet amendement, car il sort quelque peu du cadre de la proposition de loi.

M. Antoine Armand (EPR). Au nom du groupe Ensemble pour la République, je soutiens cet amendement qui vise à remédier au problème aigu de la fragmentation et de la juxtaposition des droits de préemption. Ces difficultés apparaissent notamment à propos des espaces naturels sensibles et de la ressource en eau. Il est important de débattre de cette question en commission et, plus largement peut-être, en séance publique. Cet amendement permettrait de renforcer la clarté et l’efficacité de la préemption.

M. Dominique Potier (SOC). Je partage tout à fait l’objectif de notre collègue Thierry Benoit. La proposition de loi de notre collègue Pascal Lecamp sur la régulation de l’agrivoltaïsme, que nous avons été nombreux à cosigner, contient une disposition inspirée par la même philosophie, qui confère le droit de préemption aux établissements publics de coopération intercommunale faisant le choix d’exercer une compétence en matière de production d’énergies renouvelables. En matière de captage, je serais partisan d’aller jusqu’à l’expropriation, compte tenu des enjeux qui s’attachent à la protection de l’eau. Une certaine confusion règne quant au fait de savoir qui, de la collectivité ou de la Safer, détient le droit de préemption.

Dans mon département, nous avons obtenu des résultats extraordinaires grâce à des conventions conclues entre les collectivités locales et la Safer, qui ont permis de réaménager les coteaux viticoles.

Cela étant, vous proposez une forme de régulation qui mérite un minimum d’examen. Il serait souhaitable que nous prenions le temps, d’ici à la séance, de vérifier que cette disposition n’enfreint pas, sur des points fondamentaux, les droits des collectivités en matière d’urbanisme et ne confère pas un pouvoir excessif à l’un ou l’autre des acteurs. La prudence imposerait, de notre point de vue, de retirer l’amendement pour le retravailler.

M. Thierry Benoit (HOR). Je propose qu’à l’instar de ce qui est fait lors de la construction d’une grande infrastructure ferroviaire, routière ou aéroportuaire, on confie le soin à la Safer, par convention, de constituer des réserves foncières, d’effectuer de l’aménagement foncier et de réorganiser les espaces. Dans le cadre de l’instauration d’un périmètre de protection ou d’un espace naturel sensible, par exemple, il serait souhaitable de charger la Safer, par conventionnement, de ces missions. La proposition de loi offre l’occasion d’avancer dans ce sens.

Je vais néanmoins retirer l’amendement afin que nous puissions peaufiner la rédaction d’ici à la séance. Je souhaite, monsieur le rapporteur, que nous travaillions, avec quelques députés, sur une proposition susceptible de recueillir un consensus. Je tiens à ce que vous nous aidiez à prendre en compte cette problématique.

M. Peio Dufau, rapporteur. Je suis d’accord pour y travailler ensemble – c’est la voie que nous empruntons.

L’amendement est retiré.

 

 

Article 3 (art. L. 143-8 du code rural et de la pêche maritime) : Renforcement du droit des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural de procéder à la visite des biens qu’elles souhaitent préempter

 

Amendement CE10 de Mme Géraldine Grangier

Mme Géraldine Grangier (RN). Cet amendement précise les objectifs auxquels doit répondre la visite effectuée par une Safer avant d’exercer son droit de préemption. Il s’agira de vérifier la vocation agricole de la terre, d’identifier d’éventuelles conversions illégales, d’empêcher des manœuvres frauduleuses visant à favoriser l’acquisition par des investisseurs étrangers et de renforcer la transparence et la régulation du foncier agricole au bénéfice des agriculteurs français. Nous doterons ainsi les Safer d’un outil efficace destiné à protéger notre patrimoine agricole et à garantir que nos terres restent entre les mains de ceux qui les cultivent.

J’anticipe votre réaction, monsieur le rapporteur : comme mon amendement comporte le mot « étranger », vous considérerez qu’il est discriminatoire. Or nous ne sommes pas confrontés aux mêmes réalités : sur votre littoral, vous voulez préserver vos terres agricoles face aux investisseurs immobiliers ; dans ma circonscription, située en zone frontalière, nous sommes menacés par des exploitants étrangers, suisses en l’occurrence, auxquels va la priorité. Je ne pense pas, dans ces conditions, que nos agriculteurs trouveront l’amendement discriminatoire.

M. Peio Dufau, rapporteur. Ce sont les informations données qui permettront d’atteindre votre objectif et non la visite du bien. On fait celle-ci avec le vendeur, ce qui ne permet pas, en soi, d’en savoir plus sur d’éventuels acheteurs, étrangers ou non. Avis défavorable.

M. Julien Dive (DR). Cet amendement aurait peu d’effets. Certes, on observe dans les zones frontalières une forme d’accaparement des terres agricoles mais cela ne passe pas par les acquisitions. En France, il y a plus de quatre millions de propriétaires agricoles pour cinq cent mille agriculteurs, dont bon nombre sont locataires. Le problème porte sur la sous-location des terres – pratique qui, du reste, est interdite. Dans les Hauts-de-France, des producteurs belges viennent ainsi sous-louer des terres – 2 000 euros par hectare (€/ha), contre 1 500 €/ha il y a quelques années – à des agriculteurs français aux abois, pour cultiver des pommes de terre issues de plants belges qui sont acheminées, une fois récoltées, en Belgique, où elles sont transformées en produits alimentaires vendus ensuite dans notre pays. Ces pratiques de sous-location s’observent dans différentes parties du territoire mais, malheureusement, la proposition de loi ne répond pas à cet enjeu.

M. Pascal Lecamp (Dem). Le travail effectué par les Safer depuis leur création en 1960, le bail rural et, peut-être, la complexité de la gestion du foncier agricole ont contribué à rendre nos terres parmi les moins chères d’Europe. Nous vivons dans un monde global et la distinction entre Français et étrangers me gêne. Je citerai un exemple concret : dans ma circonscription, un agriculteur belge rebuté par les prix atteints dans son pays est venu acheter des terres agricoles dans une zone difficile à cultiver où peu de jeunes s’installent et il s’est établi avec sa femme médecin, qui exerce dans une maison de santé.

M. Peio Dufau, rapporteur. Le problème des sous-locations se pose en effet, mais c’est sur les ventes que porte cette proposition de loi.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’article 3 non modifié.

 

 

Article 4 : Gage financier

 

La commission adopte l’article 4 non modifié.

 

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

 

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Information relative à la commission

La commission a créé une mission d’information sur les effets de l’intelligence artificielle sur l’activité et la compétitivité des entreprises françaises (M. Antoine Golliot  et Mme Emmanuelle Hoffmann, rapporteurs, et MM. Charles Alloncle. Pascal Lecamp, Laurent Lhardit, René Pilato et Mme Danielle Simonnet, membres de la mission).

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 5 mars 2025 à 9 h 35

Présents. - M. Laurent Alexandre, M. Henri Alfandari, M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Charles Alloncle, M. Maxime Amblard, M. Antoine Armand, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Karim Benbrahim, M. Thierry Benoit, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Stéphane Buchou, M. André Chassaigne, M. Julien Dive, M. Peio Dufau, M. Inaki Echaniz, M. Frédéric Falcon, M. Charles Fournier, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, Mme Géraldine Grangier, Mme  Mathilde Hignet, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Maxime Laisney, M. Thomas Lam, Mme Nicole Le Peih, M. Robert Le Bourgeois, M. Pascal Lecamp, M. Hervé de Lépinau, M. Laurent Lhardit, M. Alexandre Loubet, M. Bastien Marchive, M. Patrice Martin, M. Nicolas Meizonnet, Mme Manon Meunier, Mme Louise Morel, Mme Sandrine Nosbé, M. Jérôme Nury, M. Hubert Ott, M. Stéphane Peu, M. René Pilato, M. François Piquemal, M. Dominique Potier, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Richard Ramos, M. Joseph Rivière, M. Vincent Rolland, Mme Claudia Rouaux, M. François Ruffin, M. Matthias Tavel, M. Boris Tavernier, Mme Mélanie Thomin, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Jean-Pierre Vigier, M. Stéphane Vojetta, M. Frédéric Weber

Excusés. - M. Harold Huwart, Mme Julie Laernoes, M. Max Mathiasin, M. Lionel Tivoli

Assistaient également à la réunion. - M. Philippe Schreck, M. David Taupiac