Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de Mme Anne-Isabelle Etienvre, dont la nomination aux fonctions d’administratrice générale du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est envisagée par le Président de la République, et vote sur ce projet de nomination (M. Christophe Naegelen, rapporteur). 2
Mercredi 9 juillet 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 123
session extraordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Aurélie Trouvé,
Présidente
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La commission des affaires économiques a procédé à l’audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de Mme Anne-Isabelle Etienvre, dont la nomination aux fonctions d’administratrice générale du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est envisagée par le Président de la République, et au vote sur ce projet de nomination (M. Christophe Naegelen, rapporteur).
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous recevons Mme Anne-Isabelle Etienvre, dont la nomination aux fonctions d’administratrice générale du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est envisagée par le Président de la République.
À l’issue de l’audition, notre commission procédera au vote à huis clos sur cette nomination, puis à un dépouillement simultané avec la commission des affaires économiques du Sénat, qui a entendu madame Etienvre avant nous. À cet égard, je rappelle que, en application de l’article 13 de la Constitution, le Président de la République « ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ».
Conformément à l’article 29-1 de notre règlement, le rapporteur sur cette proposition de nomination doit appartenir à un groupe d’opposition ou minoritaire. Notre commission avait désigné M. Christophe Naegelen, mais celui-ci étant souffrant, son collègue du groupe LIOT Salvatore Castiglione le suppléera, ce dont je le remercie.
Madame Etienvre, je vous remercie pour vos réponses au questionnaire adressé par monsieur Naegelen, lesquelles ont été transmises aux membres de la commission avant votre audition.
Lors de l’examen de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie, nous avons eu l’occasion de débattre de la construction de nouveaux réacteurs de type EPR 2 et du développement de petits réacteurs modulaires (SMR). Quel rôle le CEA est-il appelé à jouer dans cette trajectoire stratégique en matière de recherche, d’innovation et de soutien à l’industrie ? Pensez-vous qu’un équilibre puisse être trouvé entre le développement massif du nucléaire et celui des énergies renouvelables ?
Par ailleurs, d’après les données dont nous disposons, le CEA accueille 1 700 doctorants et post-doctorants et forme plus de neuf mille étudiants et stagiaires. Étant moi-même détachée d’un établissement situé sur le plateau de Saclay, j’en profite pour insister sur le fait que cette concentration d’organismes permet une convergence et une mise en commun des connaissances absolument exceptionnelles. Si votre nomination est approuvée, envisagez-vous de renforcer la formation au sein du CEA, afin de faire face notamment à la forte demande de personnels qualifiés dans toutes les filières de l’énergie ?
M. Salvatore Castiglione, rapporteur. Je vous remercie, madame la présidente, de m’accueillir au sein de votre commission et vous prie, madame Etienvre, d’excuser l’absence de mon collègue Christophe Naegelen.
Lorsque le Gouvernement provisoire a institué, par l’ordonnance du 30 octobre 1945, un Commissariat à l’énergie atomique chargé de faire rayonner « le génie de la France », c’était avec la conviction que la compréhension intime de la matière précède toute révolution industrielle. Huit décennies plus tard, l’ambition du rayonnement de la recherche française reste la même, mais elle est résolument tournée vers les énergies décarbonées, dont le nucléaire n’est qu’une simple composante.
L’ajout, en 2010, des mots « et aux énergies alternatives » au nom du CEA ne se résume pas, tant s’en faut, à un simple changement sémantique. L’institution demeure ce trait d’union singulier entre recherche fondamentale, souveraineté technologique et transitions énergétique, numérique et sanitaire ; un lieu où la quête de connaissances prépare les solutions concrètes dont notre pays a véritablement besoin.
C’est dans ce contexte exigeant que le Président de la République envisage de vous nommer, madame Etienvre, à la tête de cet établissement, après le départ pour le Centre national d’études spatiales de M. François Jacq, que la commission a d’ailleurs entendu le 29 avril dernier. Conformément à l’article 13 de la Constitution, il nous revient de vous auditionner avant de nous prononcer sur votre nomination aux fonctions d’administratrice générale du CEA.
Normalienne, agrégée de physique, docteure en physique des particules de l’université d’Orsay, ingénieure-chercheuse au CEA depuis plus de vingt ans, votre parcours professionnel témoigne d’un solide ancrage scientifique et d’une expérience éprouvée dans le suivi de grands projets scientifiques et techniques. Vous avez coordonné le laboratoire de physique des deux infinis et des origines de 2012 à 2016, puis dirigé l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’univers (Irfu) de 2016 à 2022, avant d’intégrer, de juin 2022 à novembre 2023, le cabinet de madame Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, pour piloter les grands dossiers scientifiques. Depuis lors, vous êtes retournée au CEA, où vous occupez les fonctions de directrice de la recherche fondamentale, au titre desquelles vous coordonnez plus de quatre mille chercheurs engagés dans des programmes allant de l’astrophysique aux sciences du vivant.
Ce parcours vous a valu, plus récemment, d’être la voix de la France au sein de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern), de signer avec le département de l’énergie des États-Unis (DOE) une déclaration d’intérêt sur le futur collisionneur électron-ion (EIC) et, surtout, de présider à la campagne expérimentale du tokamak West, à Cadarache, lequel, en février dernier, a établi un nouveau record de durée en maintenant un plasma pendant plus de vingt minutes – une prouesse saluée dans le monde entier.
Nous le savons, le CEA a toujours fait preuve d’un esprit de conquête et de renouvellement au cours de son histoire, malgré les attentes fortes de l’État à son égard. Les défis du moment sont immenses – vous l’avez d’ailleurs souligné dans vos réponses complètes et directes au questionnaire que vous a adressé Christophe Naegelen. Je m’attarderai sur deux d’entre eux.
Sans surprise, le premier est d’assurer la transition énergétique et de lutter contre le changement climatique. La France est engagée sur la voie de la neutralité carbone à l’horizon 2050, un objectif ambitieux qui repose en partie sur notre capacité collective à produire une énergie abondante, sûre et décarbonée. Le CEA est en première ligne et joue un rôle central en matière de recherche et d’innovation en faveur du nucléaire de demain – je pense aux petits réacteurs modulaires et aux réacteurs de quatrième génération – et poursuit ses efforts pour le développement des technologies de production d’énergie bas-carbone – qu’il s’agisse du solaire, de l’hydrogène bas-carbone ou des systèmes de stockage. Cette transformation exige rigueur scientifique, constance budgétaire et innovation soutenue.
À cet égard, j’aimerais savoir de quelle manière vous arbitrerez, dans un contexte budgétaire contraint, entre la montée en puissance du nouveau programme nucléaire et la poursuite des recherches de pointe hors nucléaire. De plus, quels jalons technico-économiques fixez-vous pour que la fusion expérimentale, puis le démonstrateur industriel, devienne compétitive avant 2050 ?
Le second grand défi est celui de l’innovation et de la souveraineté technologique. Le monde entre dans une ère d’hypercompétition ; le numérique, les technologies quantiques, l’intelligence artificielle (IA) ou les semi-conducteurs sont autant de domaines dans lesquels la France doit rester maîtresse de son destin. Le CEA est un acteur clé dans cette course mondiale à la maîtrise des technologies stratégiques, mais face à la pression internationale, en particulier des États-Unis et de la Chine, nous devons innover plus vite et coopérer plus intelligemment à l’échelle européenne. La sélection du CEA pour héberger et exploiter le futur supercalculateur exascale (supercalculateur exaflopique) et pour développer, dans le cadre du paquet européen sur les semi-conducteurs (European Chips Act), la ligne pilote FAMES, consacrée à la maturation de cinq technologies clés de la microélectronique, sont des marques de reconnaissance de son excellence. Ces efforts doivent toutefois être poursuivis et amplifiés.
Dans ce contexte de compétition internationale et, par conséquent, de lutte pour attirer les talents scientifiques, de quelle manière le CEA peut-il offrir à ses chercheurs des trajectoires de carrière et de rémunération rivalisant avec les grands laboratoires internationaux et les géants du numérique, pour éviter la fuite de ses meilleurs scientifiques ? De même, quelles garanties proposez-vous pour maintenir un dialogue social apaisé et porteur au sein de l’établissement ?
Madame Etienvre, votre itinéraire allie l’excellence scientifique à l’expérience managériale : il s’accorde pleinement avec les défis du CEA et, plus largement, avec l’ambition de la France de demeurer une nation de chercheurs-innovateurs, au service de la transition écologique, de la souveraineté énergétique et de la compétitivité industrielle. Au vu de votre parcours, de la clarté de vos réponses écrites et de la vision stratégique que vous avez déjà exposée, j’aurai l’honneur de proposer à nos collègues d’émettre un avis favorable à votre nomination.
Mme Anne-Isabelle Etienvre, directrice de la recherche fondamentale au CEA. C’est un très grand honneur pour moi de me trouver devant vous pour présenter ce que sont, à mes yeux, les enjeux clés du CEA pour les quatre prochaines années. Je sais l’intérêt que votre commission porte aux enjeux relatifs à la recherche et à l’innovation, qui constituent l’ADN du Commissariat. Le CEA s’inscrit pleinement dans les défis majeurs auxquels le monde est actuellement confronté, en tant qu’organisme national de recherche au service des politiques publiques, ancré dans le besoin de souveraineté depuis quatre-vingts ans, tout en ayant montré, au fil des décennies, une formidable capacité d’adaptation.
Le CEA mène à bien ses activités de recherche et de développement de manière ciblée, par le biais de programmes, ce qui permet d’assurer un continuum dans les domaines qui lui incombent, depuis la recherche en amont jusqu’aux transferts technologiques. Il se positionne donc de manière très spécifique dans l’écosystème de recherche national et international.
Voici, en quelques mots, le cap que je donnerai si je suis nommée à la tête du CEA, s’agissant de ses principales activités, qui résonnent fortement avec les défis auxquels nous sommes tous confrontés. Il se décline en sept priorités.
La première concerne la défense, le CEA étant un acteur clé en matière de dissuasion nucléaire et de recherche duale. Par l’intermédiaire de la direction des applications militaires (DAM), le Commissariat a pour responsabilité de mener à bien les programmes que l’État lui confie dans le cadre de la mise en œuvre et du renouvellement de sa dissuasion nucléaire. Cela concerne notamment les armes et les chaufferies nucléaires embarquées au sein des sous-marins et du porte-avion de la marine nationale. Il s’agit bien sûr d’une responsabilité majeure, exercée avec la plus grande rigueur au service des besoins régaliens de l’État.
De surcroît, le CEA conduit des activités de recherche duale en mobilisant toutes ses équipes, civiles comme militaires, au sein du programme de lutte contre le terrorisme NRBC-E (nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosifs), et en proposant des solutions technologiques allant des diagnostics à l’identification et aux contre-mesures médicales face à des risques en constante évolution.
La mobilisation des compétences des équipes de recherche du CEA pourrait être renforcée au service de l’innovation de défense dans plusieurs domaines clés, tels que les composants électriques sécurisés, la simulation et les moyens de calcul – notamment grâce à la machine européenne exascale Alice Recoque que vous avez mentionnée, monsieur le rapporteur, et qui est hébergée à Bruyères-le-Châtel, en Essonne –, la physique nucléaire, l’étude des matériaux ou les développements instrumentaux, soit autant d’exemples qui illustrent les compétences transversales de nos équipes. Je crois beaucoup à cette fertilisation croisée entre les différents domaines du CEA, un levier d’action très efficace que je m’attacherai à renforcer.
La deuxième priorité est la recherche et développement (R&D) en faveur d’une production d’énergies décarbonées efficace, souveraine et au coût maîtrisé, un enjeu majeur pour la société et l’industrie. La relance du nucléaire, aux côtés des énergies renouvelables, permet de répondre à ce besoin.
La relance du nucléaire sera naturellement au cœur de la stratégie du CEA dans le domaine de l’énergie. Je souhaite donc que nous allions de l’avant, conformément aux décisions prises lors du conseil de politique nucléaire. Plus particulièrement – et ce sera l’un de mes premiers objectifs si je suis nommée à ce poste – je veux bâtir une relation solide et de confiance avec les principaux industriels du secteur, en tenant compte des besoins de chacun.
Dans le domaine du nucléaire civil, il s’agira d’utiliser nos compétences en R&D pour accompagner les besoins immédiats de la filière, ainsi que les demandes d’expertise des projets émergents, par exemple des start-ups impliquées dans le développement des SMR, et de définir dès cette année, avec l’ensemble des acteurs concernés, un programme de travail permettant d’atteindre la fermeture complète du cycle du combustible nucléaire. Je mobiliserai les compétences historiques des équipes du CEA, en particulier dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides.
Autre élément très important : il convient de maintenir à un bon niveau nos infrastructures de recherche nucléaire, qui sont essentielles pour nos propres programmes, mais aussi pour les industriels. Je suivrai très attentivement la trajectoire de construction du réacteur de recherche Jules Horowitz, tout comme j’accorderai la plus grande attention au programme d’assainissement et de démantèlement des anciennes installations nucléaires de recherche.
Outre le nucléaire, je suivrai de près l’ensemble des travaux de R&D relatifs à la production d’autres formes d’énergie bas-carbone, ainsi qu’au stockage et au transport de l’énergie. Je pense, entre autres, à la conception de cellules photovoltaïques à haut rendement, dont il faut augmenter la recyclabilité, à la durabilité et à la performance des systèmes d’électrolyse à haute température en ce qui concerne la filière de l’hydrogène ou encore à la conception de batteries performantes, plus durables et plus recyclables.
À plus long terme et en écho à l’une de vos questions, monsieur le rapporteur, la fusion thermonucléaire est un défi qui sera difficilement atteint avant 2050, mais sur lequel se positionnent les acteurs internationaux majeurs. La France joue un rôle particulier en ce domaine en tant que pays hôte du réacteur thermonucléaire expérimental international (Iter), à Cadarache. Plus généralement, il est indispensable que le CEA bâtisse une feuille de route programmatique reposant sur nos compétences préexistantes. Monsieur le rapporteur a cité le tokamak West, mais nous aurions aussi pu évoquer les aimants supraconducteurs. C’est important à l’heure où l’Europe affiche sa propre stratégie en la matière.
Enfin, toujours dans le domaine de l’énergie, la création de l’agence de programme sur l’énergie décarbonée, dont le pilotage a été confié au CEA, permettra de renforcer la coordination entre les partenaires académiques et industriels, d’accélérer la définition et le déploiement des programmes de recherche, tout en servant notre vision stratégique nationale.
J’en viens au numérique, troisième de mes priorités. La maîtrise des technologies numériques constitue en effet un autre enjeu de souveraineté, qu’il s’agisse de la microélectronique, des logiciels et systèmes ou encore des infrastructures essentielles pour le calcul et l’intelligence artificielle. Le CEA se positionne sur les technologies quantiques, mais aussi sur le développement de composants microélectroniques, en tirant profit du European Chips Act. Le Commissariat est chargé de conduire le projet de construction, puis d’exploitation, de lignes pilotes de production de composants, sur le site du Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information (Leti) à Grenoble, ce qui demande d’assurer une articulation efficace avec l’ensemble des industriels de la microélectronique – un autre enjeu majeur. L’agence de programme Asic sur les composants, systèmes et infrastructures numériques, confiée au CEA, permettra, de la même manière que pour l’énergie, de consolider une stratégie nationale dans ce domaine important.
Concernant l’intelligence artificielle, en plein essor, les développements logiciels se poursuivront, en mettant à profit cette technologie pour la science, sans oublier le potentiel de l’IA générative, que nous pourrons mobiliser pour l’ensemble de nos applications fonctionnelles, tout en veillant à ce que son utilisation soit particulièrement responsable et frugale.
Enfin, la cybersécurité, aussi bien matérielle que logicielle, fera l’objet d’une attention particulière en tant qu’enjeu de souveraineté, une fois de plus incontournable.
Quatrième élément : nos programmes nécessitent une recherche fondamentale d’excellence dans les disciplines clés de l’organisme. Ces recherches sont essentielles en ce qu’elles permettent de faire progresser les connaissances, tant conceptuelles qu’instrumentales, et sont donc mobilisées pour nos principaux programmes. Elles font l’objet de choix assumés et partagés et bénéficieront d’une trajectoire financière renforcée, y compris en ce qui concerne les énergies alternatives, grâce aux programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) lancés dans le cadre du plan « France 2030 ». Dans un monde où le cycle de l’innovation s’accélère, je souhaite que la veille scientifique et technique soit renforcée dès l’an prochain dans ces domaines.
S’agissant ensuite de la santé, si importante pour nos concitoyens, le CEA apporte une spécificité autour de trois lignes de force : l’imagerie – l’IRM (imagerie par résonance magnétique) Iseult en est un bel exemple –, les dispositifs médicaux de tests et de diagnostics ainsi que la santé numérique. Le CEA a historiquement joué un rôle clé dans la naissance et l’essor de la médecine nucléaire, essentielle pour répondre aux besoins de santé. Notre stratégie en ce domaine s’est affûtée ces dernières années et je souhaite qu’elle se déploie en lien avec les partenaires académiques, hospitaliers et industriels.
Le CEA contribue également de façon substantielle aux infrastructures de recherche nationales et internationales, comme le Cern, le Grand accélérateur national d’ions lourds (Ganil) ou l’infrastructure de calcul exascale. Éléments très structurants de nos activités de recherche et facteurs d’attractivité internationale, il faut veiller à ce que ces infrastructures soient aussi ouvertes que possible, afin que tout le monde en bénéficie.
Enfin, le ressourcement scientifique et technique en amont, qui est essentiel, a été réamorcé grâce à la création, l’an dernier, du programme de recherche Audace. Mené conjointement avec les universités, il permet l’émergence d’idées nouvelles, en rupture technologique. S’il est prolongé par l’État et qu’il s’ancre dans la durée, le programme permettra de détecter et d’accompagner de manière très agile les idées les plus novatrices, donc de renforcer un esprit pionnier, indispensable dans un organisme de recherche.
La cinquième de mes priorités est le positionnement européen et international du CEA. Face aux défis que posent la compétition internationale ainsi que, plus récemment, le changement d’orientation des États-Unis, l’Europe représente l’échelon adéquat pour faire résonner notre recherche et développement. Il importe donc de contribuer à la structuration et à la réalisation des programmes clés européens de R&D, de sorte que l’Europe soit aussi souveraine que possible. Le prochain programme-cadre européen représente un enjeu clé pour le CEA. Il faudra nous coordonner étroitement avec nos homologues européens, comme la Fraunhofer-Gesellschaft allemande, afin d’être force de propositions et d’imaginer des initiatives aussi structurantes dans les domaines de l’énergie ou du numérique, par exemple, que l’est le European Chips Act en matière de microélectronique.
Au niveau international, le CEA noue depuis de nombreuses années des partenariats solides avec ses principaux homologues européens, mais également américains et asiatiques. Le contexte actuel requiert naturellement une vigilance particulière s’agissant de ces collaborations. Il conviendra d’examiner attentivement l’impact des évolutions des politiques publiques des pays partenaires en matière de recherche et d’innovation.
J’en viens à mon sixième objectif, qui me tient à cœur et qui entrera, lui aussi, en résonance avec certaines de vos questions. Je souhaite vraiment que le CEA renforce son ancrage dans le monde académique et qu’il soit encore plus ouvert sur la société. Le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche français poursuit sa restructuration et le CEA s’inscrit évidemment dans cette dynamique depuis plusieurs années. Il continuera de le faire grâce à des partenariats très solides avec les autres organismes nationaux de recherche et les universités.
Très concrètement, je traduirai cela par un soutien aux politiques de site, en particulier celles des universités Paris-Saclay et Grenoble Alpes. Je souhaite aussi renforcer nos activités d’enseignement, particulièrement dans le cadre du dispositif Compétences et métiers d’avenir, qui concerne des domaines stratégiques tels que le nucléaire, l’énergie et le numérique. Il faut que nous poursuivions le suivi de la formation par la recherche, en veillant à une bonne insertion post-doctorale dans le monde socio-économique ; c’est extrêmement important.
Je veillerai aussi à renforcer nos actions de communication relatives aux formations diplômantes en lien avec les métiers du CEA, afin d’attirer tous les talents et de renforcer l’engouement pour les sciences, celui des jeunes femmes en particulier.
Par ailleurs, la diffusion des savoirs scientifiques et techniques vers le plus grand nombre fait partie intégrante de nos missions. Elle est d’autant plus essentielle qu’il faut à la fois renforcer l’attractivité des métiers auprès des plus jeunes, mais aussi – et c’est un point très important – donner confiance au grand public vis-à-vis du progrès scientifique et technique face aux différents défis auxquels nous sommes confrontés.
Septième et dernier point : le sujet crucial des enjeux managériaux qu’implique ce poste. Le CEA, c’est avant tout des femmes et des hommes reconnus pour leur grande compétence dans des métiers variés et qui font preuve d’un niveau d’engagement remarquable. J’aurai à cœur d’échanger avec nos équipes sur le terrain et de me montrer à l’écoute de leurs préoccupations comme de leurs suggestions, dans le respect de chacun, afin d’assurer un dialogue social serein. Il me paraît essentiel d’exercer ce mandat en gardant constamment à l’esprit des lignes directrices claires : mener à bien nos programmes avec rigueur et efficacité dans un contexte budgétaire contraint ; porter une attention constante aux enjeux de sûreté et de sécurité ; mobiliser les fonds européens grâce à un plan d’action déployé à l’échelle du CEA ; simplifier les processus de gestion pour bien maîtriser les dépenses ; garder le cap et maintenir l’ambition de l’organisme au moyen d’un management serein qui repose sur un collectif soudé et une communication interne renforcée ; garantir l’adhésion collective du personnel, qui se nourrit d’un fort sentiment d’appartenance, aux axes programmatiques du CEA.
Si je suis nommée, j’assumerai cette belle responsabilité avec autant d’humilité que de détermination et je mettrai mes compétences scientifiques, mon vécu managérial et mon expérience dans le suivi de projets complexes au service de l’État et des besoins de la société, afin que le CEA progresse vers ses objectifs avec force et sérénité.
M. Maxime Amblard (RN). Votre nomination à la tête du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives intervient dans un contexte énergétique particulièrement tendu, tant sur le plan géopolitique que relativement à la stratégie de la France, en pleine discussion de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie.
J’aimerais rappeler une évidence qui n’est malheureusement pas partagée par tous : la France ne retrouvera pas sa souveraineté énergétique ni une industrie compétitive et elle ne décarbonera pas son mix énergétique sans une relance massive, assumée et durable du nucléaire. L’électricité ne doit pas devenir un luxe. Elle est un bien stratégique essentiel pour les foyers comme pour le tissu économique ; sans elle, la réindustrialisation et le maintien de notre prospérité ne seraient pas possibles. Pourtant, depuis des années, des choix dictés par l’idéologie plus que par la raison ont affaibli notre parc nucléaire, gelé l’innovation, mis en péril notre souveraineté énergétique et fortement ralenti notre décarbonation. Des projets comme Astrid ou Superphénix, abandonnés sans débat démocratique et sacrifiés sur l’autel d’une idéologie criminelle, sont les symboles d’un pilotage stratégique défaillant que nous refusons de voir se reproduire.
Le CEA dispose d’un potentiel considérable en matière d’innovation et de recherche sur les réacteurs de quatrième génération, la gestion des déchets radioactifs, la fermeture du cycle du combustible et la fusion nucléaire. Il doit être un acteur majeur pour la souveraineté énergétique de la France. Nous souhaitons donc nous assurer que vous assumerez pleinement, si vous êtes nommée, ces missions vitales pour notre avenir et notre prospérité.
À ce titre, il nous paraît indispensable de rappeler que le mix énergétique français devra reposer prioritairement, en toute cohérence scientifique, sur des sources décarbonées, pilotables et concentrées. Il est essentiel que le CEA poursuive ses efforts dans le développement de technologies nucléaires bas-carbone plutôt que de diluer ses moyens dans des projets reposant sur des sources intermittentes qui n’ont pas leur pertinence dans le mix électrique français.
En outre, le CEA ne peut plus être perçu comme un simple centre de recherche technique mis au service de décisions politiques floues. Nous estimons qu’il doit se recentrer clairement sur sa vocation première : la recherche nucléaire dans toutes ses dimensions, civile et militaire, pour l’énergie et pour la médecine, de la fission à la fusion en passant par la gestion des déchets et le cycle du combustible. Dans une période marquée par l’urgence climatique et la raréfaction des ressources, notamment fossiles, nous ne pouvons plus nous permettre que le CEA disperse ses efforts, son expertise et ses moyens dans des projets peu structurants. Il doit au contraire redevenir le pilier scientifique et stratégique de la filière nucléaire française au service de notre souveraineté.
Dans cet esprit, permettez-moi de vous interroger sur un sujet essentiel : êtes-vous personnellement convaincue que l’avenir énergétique de la France repose sur le nucléaire ? Ne pensez-vous pas que le CEA devrait recentrer ses activités sur son canal historique, à savoir la recherche nucléaire ? Plus précisément, quelles sont vos ambitions concernant les réacteurs de quatrième génération et la fermeture du cycle du combustible, sujet sur lequel le CEA était historiquement à la pointe ? Nous espérons que vous donnerez à cet organisme une direction lucide, pragmatique et inscrite dans le temps long, à la hauteur des défis et affranchie des renoncements politiques du passé.
Mme Anne-Isabelle Étienvre. Les décisions prises dans le cadre du Conseil de politique nucléaire sont claires et le CEA compte bien remplir la mission qui lui a été réaffirmée par l’État en jouant son rôle d’organisme national de recherche dans le domaine du nucléaire. Ma priorité sera d’élaborer une feuille de route commune avec l’industrie nucléaire, qui est bien structurée en France et avec laquelle nous entretenons une relation de confiance. Conformément aux décisions du Conseil de politique nucléaire, le premier exercice consistera à proposer à l’État, d’ici à la fin de l’année, un programme de recherche sur la fermeture du cycle, sujet sur lequel le CEA dispose de compétences historiques.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Au nom du groupe Ensemble pour la République, je tiens à saluer votre parcours scientifique remarquable et votre engagement au service de la recherche publique. Votre expérience au sein du CEA, marquée par une exigence scientifique de haut niveau et un sens affirmé du service public, constitue un atout pour prendre les rênes de cette grande institution. Elle vous a aussi amenée à conseiller Mme Sylvie Retailleau lorsqu’elle était ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. À titre personnel, en tant qu’enseignant-chercheur, je porte une attention particulière à des itinéraires comme le vôtre – surtout dans notre institution, qui manque parfois de science.
Vous êtes candidate à un poste stratégique dans un contexte déterminant pour notre avenir énergétique. En effet, pour sortir progressivement des énergies fossiles, la France a fait le choix de s’appuyer à la fois sur le nucléaire et sur les énergies renouvelables. C’est une position que notre groupe défend avec détermination et constance. Pour nous, il faut additionner plutôt qu’opposer les solutions qui permettront de décarboner au maximum notre mix énergétique global, lequel est encore constitué d’énergies fossiles à 60 %. Je tenais à le rappeler, compte tenu des attaques régulières qu’essuient régulièrement les énergies renouvelables à l’Assemblée nationale ou ailleurs, dans des tribunes à n’en plus finir.
Le CEA est au cœur de la stratégie de relance affirmée de la filière nucléaire. Elle impose un niveau de coordination, d’innovation et de mobilisation sans précédent. Outre les SMR, il y a les nouveaux EPR 2, dont la mise en service a été fixée à l’horizon 2038. Cette échéance est-elle réaliste ? En réponse au questionnaire qui vous a été adressé, vous avez évoqué votre volonté d’anticiper le calendrier et non de le subir. Quels leviers concrets pensez-vous utiliser pour tenir cet objectif ambitieux ?
Ma deuxième question porte sur la création de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), fruit du rapprochement entre l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), au terme d’une réforme qui visait à rendre plus efficace la gouvernance de la sûreté nucléaire et dont vous avez salué les premiers effets positifs, à commencer par une plus grande lisibilité des échanges. Je tiens à vous interroger plus précisément sur la reprise par le CEA de l’activité de dosimétrie : en a-t-il les moyens techniques et humains ?
Enfin, comment comptez-vous renforcer l’engagement du CEA auprès des jeunes générations – étudiants et lycéens, plus particulièrement peut-être lycéennes –, pour les encourager à suivre des études scientifiques et à envisager une carrière dans le milieu de l’énergie nucléaire et renouvelable ? Cette question me tient particulièrement à cœur.
Mme Anne-Isabelle Étienvre. Pour accélérer la relance du nucléaire, il faut dresser une feuille de route claire et partagée avec l’industrie, mobiliser nos compétences internes et celles de l’agence de programme que nous pilotons et fédérer l’ensemble des acteurs académiques ; ainsi, bien programmés et bien aiguillés, nous irons plus vite.
Depuis la création de l’ASNR, le CEA a la responsabilité de la dosimétrie passive ; c’est une activité commerciale que nous suivons dans un cadre spécifique et cloisonné, doté de ses moyens propres, et pour laquelle je n’ai pas identifié de difficulté. Nous serons vigilants à la bonne intégration des collègues venus de l’IRSN.
Nous accueillons activement les stagiaires de seconde dans l’ensemble de nos centres et nous devons intervenir autant que possible dans les lycées pour donner envie aux lycéennes et aux lycéens de rejoindre les sciences et de relever les défis du moment.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Votre prédécesseur, François Jacq, passé au Cnes, a mené une politique budgétaire austéritaire défavorable au personnel. Or les besoins de sécurité sur les installations de recherche – gestion des déchets notamment – sont toujours aussi critiques et nécessitent une main-d’œuvre supplémentaire. Le recours à la sous-traitance est souvent l’unique solution proposée. Pourtant, cette solution n’en est pas une : d’une part, la sécurisation des installations nécessite des salariés en pleine autonomie ; de l’autre, l’encadrement des sous-traitants mobilise un personnel qui serait plus utilement employé ailleurs. J’aimerais connaître votre évaluation sur ce point.
Les questions de la perte de sens, du manque de reconnaissance et même de la souffrance au travail se posent également. Quinze ans de non-revalorisation du point d’indice et plusieurs mois d’inflation non compensée ont suscité chez le personnel un sentiment de déclassement et la fierté de participer à la recherche publique ne pèse pas lourd face aux promesses salariales des start-up gavées de fonds publics. En 2022, un rapport d’expertise mené par le cabinet Technologia sur les risques psychosociaux pointait un système managérial décrié par les salariés, autoritaire, peu participatif et très verticalisé, et un déficit de confiance vis-à-vis de la direction générale ; il appelait à des actions correctives. Comment comptez-vous garantir l’épanouissement au travail des salariés du CEA ?
D’importants investissements dans diverses start-up promettant monts et merveilles ont été réalisés ces dernières années dans le cadre du développement des SMR et des AMR (réacteurs modulaires avancés), dont les délais de transfert technologique demeurent inconnus. Quels processus d’évaluation comptez-vous mettre en place pour assurer le suivi et la pertinence des investissements et des partenariats du CEA avec les acteurs privés, notamment ceux effectués par l’intermédiaire de la direction de la recherche technologique (DRT) ?
Pourriez-vous détailler votre vision de l’interaction entre les activités de recherche civile et militaire au CEA, notamment en ce qui concerne la physique nucléaire, la cybersécurité et le calcul numérique à haute performance ?
Vous engagez-vous à ce que le haut-commissaire à l’énergie atomique, Vincent Berger, ait accès à tous les documents dont il pourrait avoir besoin dans le cadre de sa mission ?
Enfin, quelles études comptez-vous réaliser pour évaluer l’évolution du pilotage des centrales intégrant les modulations de forte amplitude induites par le développement des énergies renouvelables, qui causeront un endommagement supplémentaire et des difficultés d’exploitation accrues ?
Votre CV scientifique est excellent et votre riche expérience institutionnelle vous place en position optimale pour présider le CEA. Néanmoins, vous en assumez de fait les axes de développement, que le groupe LFI-NFP ne trouve pas sensés, à commencer par la relance obstinée du nucléaire dont il faudrait, au contraire, planifier méthodiquement l’arrêt en accélérant en parallèle le développement des énergies renouvelables pour atteindre 100 % de renouvelables à l’horizon 2050. Or, cette orientation ne figure qu’au second plan pour le CEA, dont vous reconduisez l’orientation pronucléaire. C’est pourquoi nous voterons contre votre nomination.
Mme Anne-Isabelle Étienvre. Dans le cadre d’un budget contraint, il convient d’examiner toutes les marges d’optimisation qui permettront de préserver autant que possible l’emploi scientifique et technique ; l’une de ces marges peut être trouvée dans la simplification de nos processus de gestion interne, y compris par l’utilisation de l’IA générative. La DITP (direction interministérielle de la transformation publique) est venue examiner nos processus et a émis des recommandations dont je m’emparerai.
Le dialogue social est pour moi une priorité. Je veux renouer un dialogue de confiance avec les représentants du personnel et avec l’ensemble des salariés en partageant avec eux les décisions et les objectifs, dans un dialogue aussi transparent et serein que possible. Le contexte budgétaire est difficile, la société est tendue ; il est indispensable de nourrir un dialogue de confiance au sein du CEA.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nos collègues reviendront sans doute sur les quatre derniers points évoqués par M. Saint-Martin. Si vous en êtes d’accord, je vous propose d’y répondre plus tard.
M. Karim Benbrahim (SOC). Je vous remercie pour la précision des réponses apportées au questionnaire de M. le rapporteur ; elles donnent une vision claire de votre projet pour le CEA.
Le CEA a été fondé pour mener des recherches sur l’énergie nucléaire ; depuis les années 2010, ses missions ont été étendues aux énergies renouvelables. Si ces deux domaines sont appelés à coopérer, ils peuvent parfois entrer en concurrence dans l’allocation des financements publics. Dans vos réponses, vous proposez un programme de recherche intégrant la relance du nucléaire, avec la recherche sur la fermeture du cycle du combustible, sur les réacteurs à neutrons rapides et sur les SMR ; dans le même temps, vous proposez un programme de recherche ambitieux sur les batteries, le photovoltaïque, l’hydrogène et les carburants de synthèse. Où placez-vous le curseur entre ces deux priorités complémentaires, qui sont parfois en tension sur les plans budgétaire et industriel ? J’ai cru comprendre de votre réponse à M. le rapporteur que votre ambition pour la recherche était indépendante de toute contrainte financière. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos priorités et sur les points qui pourraient faire l’objet d’arbitrages dans le programme de recherche ?
Ma deuxième question porte sur l’ancrage territorial du CEA. Ma visite de l’antenne de Bouguenais, en Loire-Atlantique, laquelle travaille notamment sur la décarbonation du transport maritime, a été particulièrement éclairante. Elle montre combien l’implantation locale peut créer des synergies concrètes entre la recherche et l’industrie au service des transitions que nous voulons réussir. Le CEA reste encore marqué par une certaine forme de centralisation, alors que l’avenir de la réindustrialisation passe par un maillage territorial équilibré des capacités de recherche et d’innovation. Comment entendez-vous renforcer son ancrage territorial pour faire émerger des écosystèmes régionaux intégrant les antennes existantes ou à venir ? Comment envisagez-vous de mieux structurer les liens entre les centres du CEA, les universités et les pôles industriels des territoires afin de faire de cet organisme un acteur encore plus proche des besoins du pays ?
Mme Anne-Isabelle Étienvre. Le CEA est très attendu sur son programme nucléaire, dont l’efficacité repose sur une complémentarité avec la filière industrielle et l’établissement d’une feuille de route commune.
S’agissant des autres formes d’énergie décarbonée sur lesquelles le CEA fait de la recherche, la dynamique programmatique mobilise des moyens différents : nous avons la chance de bénéficier des PEPR de France 2030 et nous faisons de plus en plus appel aux moyens européens, ce qui permet de mener ces deux volets de recherche en parallèle en sollicitant des guichets complémentaires. Par ailleurs, le CEA a la responsabilité de l’agence de programme sur l’énergie décarbonée, dont le rôle est d’embarquer tous les acteurs académiques et industriels pour articuler et optimiser les programmes de recherche au niveau national et de formuler des propositions pour les futurs programmes de recherche.
Je crains de devoir répondre ultérieurement à votre deuxième question.
M. Guillaume Lepers (DR). Cette audition revêt une importance toute particulière eu égard aux missions stratégiques et scientifiques du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives. Le CEA est un pilier de la politique énergétique, de la recherche technologique et, plus largement, de la souveraineté nationale.
Je souhaite pour ma part évoquer une filière qui suscite depuis plusieurs années autant d’espoir que de frustration : celle des réacteurs à neutrons rapides. La France était historiquement en pointe sur cette technologie dite du nucléaire durable avec des projets comme Phénix et Superphénix, capables d’utiliser les déchets nucléaires comme combustible et de prolonger considérablement nos ressources énergétiques. L’arrêt du programme en 1998, sous la pression politique, a mis un terme à une avance technologique que beaucoup considèrent aujourd’hui comme décisive pour notre indépendance énergétique. En 2006, la loi de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs a pourtant fixé un cap clair : préserver les acquis techniques dans ce domaine. Elle a donné lieu au programme Astrid, lui aussi abandonné en 2019.
Comment voyez-vous l’avenir de la filière des réacteurs à neutrons rapides ? Le CEA prévoit-il des recherches ou programmes spécifiques en ce sens, y compris sur la question clé des usines de fabrication du combustible associé à cette technologie ?
Mme Anne-Isabelle Étienvre. En cohérence avec la décision prise en Conseil de politique nucléaire, le CEA se positionne clairement en faveur d’un programme de recherche pour la fermeture du cycle, que nous définirons avec la filière industrielle du nucléaire d’ici à la fin de l’année et qui prendra en compte, par cohérence, l’intégralité des éléments : le combustible, le démonstrateur et l’usine de retraitement. Il faudra mobiliser nos compétences historiques dans ce domaine, travailler main dans la main avec l’industrie et observer ce qui se fait à l’international pour profiter d’un retour d’expérience complet de ce qui a été fait dans ce domaine. La bonne volonté collective est présente au sein de l’organisme.
Pour répondre à la question précédente sur l’ancrage local, le CEA a des centres répartis sur le territoire ainsi que sept plateformes régionales de transfert de technologie (PRTT), dont celle de Loire-Atlantique. C’est une richesse qui nous permet d’être au plus près du territoire. Nous veillons à maintenir un dialogue constant avec les collectivités territoriales et avec le tissu industriel : répondre à leurs préoccupations est un enjeu important à l’heure où nous essayons de réindustrialiser le pays. Depuis la création des PRTT, il y a plus de dix ans, le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche a changé ; les pôles d’innovation se sont renforcés au sein des établissements et les collectivités territoriales ont multiplié les initiatives. Je m’emploierai à optimiser notre présence pour éviter les redondances et garantir une efficacité collective au plus proche des besoins territoriaux.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. J’ai cité tout à l’heure le site de Paris-Saclay, mais le CEA possède effectivement d’autres centres – neuf en tout.
M. Philippe Bolo (Dem). Je ne reviendrai pas sur l’histoire, la compétence et les missions du CEA ni sur votre parcours scientifique et professionnel, qui vous qualifie pour prendre la direction de cet organisme. Je me contenterai de vous poser trois questions en lien avec les activités de recherche du CEA pour connaître votre vision et vos ambitions.
Tout d’abord, je souhaite connaître l’avancement du projet de réacteur nucléaire Jules Horowitz, destiné à tester le comportement des matériaux sous irradiation – outil essentiel alors que nous voulons relancer notre ambition nucléaire et construire de nouveaux réacteurs – et à produire des radioéléments indispensables à la souveraineté médicale de la France. Alors que ce projet est le fruit d’une collaboration internationale, la moindre appétence actuelle pour le multilatéralisme et la remise en cause de la coopération risquent-elles de le ralentir ?
Deuxièmement, quand on parle d’électricité, on évoque souvent la production, la composition du mix énergétique, la puissance, la consommation et la sobriété ; toutefois, au carrefour de la production et de la consommation, il y a les réseaux. Quelles sont vos ambitions en matière de recherche sur les réseaux ? L’électrification conduit à une production décentralisée, dispersée et variable qui nécessite sans doute des axes stratégiques de recherche tels que le recours à l’intelligence artificielle, le numérique et le stockage de l’électricité.
Enfin, face à la montée de la défiance vis-à-vis des sciences et du déni du changement climatique, votre axe de recherche concernant l’impact des activités humaines sur le climat inclut-il le recours aux sciences humaines et sociales et l’accompagnement des acteurs pour atteindre nos objectifs climatiques ?
Mme Anne-Isabelle Étienvre. Le réacteur Jules Horowitz est un réacteur de recherche unique qui permet de répondre à des besoins régaliens. Il a connu des difficultés technologiques induisant un retard et certains surcoûts, mais sa trajectoire est stabilisée depuis plusieurs années et je m’emploierai à la garder sous contrôle jusqu’à son démarrage, prévu en 2032. Aucune perturbation forte n’est attendue du fait du contexte international.
Dans notre vision intégrée de l’énergie, nous travaillons effectivement, avec d’autres, sur plusieurs sujets qui contribuent à une réflexion de plus grande envergure sur la maîtrise des réseaux, dont les smart grids et les jumeaux numériques.
Enfin, une réflexion a été amorcée par mon prédécesseur pour étudier comment les sciences humaines et sociales, qui ne sont pas présentes au CEA – contrairement au CNRS –, peuvent éclairer nos recherches sur le climat. Dans le cadre des PEPR de France 2030, nous avons noué des collaborations avec d’autres établissements pour intégrer ces collègues à la réflexion sur l’acceptabilité sociétale de tel ou tel sujet ainsi que sur les réactions et la résilience des sociétés face au changement climatique.
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Je salue votre parcours, reflet de l’excellence scientifique française, et je vous félicite pour cette proposition de nomination.
Le CEA est un pilier stratégique de notre souveraineté énergétique et technologique. À l’heure où la France s’engage résolument dans la relance de sa filière nucléaire, votre mission sera déterminante pour renforcer notre indépendance, tout en consolidant notre position de nation souveraine et innovante dans le domaine énergétique.
Notre pays doit pouvoir produire une énergie bas-carbone, disponible et compétitive. En travaillant à la recherche sur les réacteurs de nouvelle génération, y compris les petits réacteurs modulaires, le CEA joue un rôle essentiel pour y parvenir. Les technologies de rupture, comme la fusion nucléaire et l’hydrogène bas-carbone, constituent également des leviers décisifs pour l’avenir.
Cependant, la souveraineté énergétique ne peut être envisagée sans une coopération étroite avec nos partenaires, notamment européens. La transition vers une économie bas-carbone nécessite de partager les savoir-faire, de mutualiser les moyens et de développer des projets communs ambitieux.
Comment envisagez-vous d’affirmer la place du CEA dans les grands programmes européens, comme Euratom, la Communauté européenne de l’énergie atomique, ainsi que dans les alliances industrielles européennes sur le nucléaire et l’hydrogène ? Quelles coopérations internationales souhaitez-vous développer en priorité pour conforter notre autonomie, tout en contribuant à la sécurité énergétique du continent ?
La souveraineté repose aussi sur la capacité à former et à attirer les meilleurs talents. Comment le CEA peut-il renforcer son attractivité et créer un écosystème d’excellence, de la recherche fondamentale au déploiement industriel ?
Nous attendons de votre mandat qu’il conjugue exigence scientifique, ambition industrielle et responsabilité internationale.
Mme Anne-Isabelle Etienvre. La dimension européenne est essentielle pour être impactant. Si je suis nommée, j’aurai à cœur de travailler avec tous nos partenaires européens, comme la Fraunhofer-Gesellschaft. Nous travaillons déjà très bien avec eux, dans le cadre de l’alliance des organismes de recherche et de technologie (RTO). C’est ainsi que nous pourrons ensuite peser sur la définition des nouveaux programmes-cadres et soumettre, peut-être, des initiatives aussi ambitieuses que le European Chips Act.
Nos relations avec nos autres partenaires internationaux sont solides également, que ce soit avec les États-Unis, où l’homologue du CEA, le DOE, est un partenaire historique, ou avec le Japon. C’est la clé : il faut travailler avec des partenaires qui nous ressemblent, qui ont la même approche de la recherche, de l’amont jusqu’à la technologie, et des axes de recherche importants dans les domaines de l’énergie et du numérique en particulier.
S’agissant des talents, je pense que l’un des meilleurs outils pour les attirer, c’est l’enseignement. Le CEA n’est pas situé dans des centres universitaires ; il doit s’impliquer fortement dans ce domaine. Il bénéficie de la présence en son sein de l’Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN), qui prodigue des formations très pertinentes. Les membres de nos équipes enseignent déjà beaucoup dans les établissements d’enseignement supérieur ; il faut renforcer cette dynamique pour attirer les talents.
Par ailleurs, nous devons renforcer notre communication pour expliquer au grand public ce que l’on fait au CEA, afin de donner aux jeunes l’envie de faire des sciences, au CEA ou ailleurs – si c’est au CEA, c’est encore mieux.
M. Julien Brugerolles (GDR). Le contexte géopolitique et climatique est toujours plus inquiétant ; la souveraineté énergétique, la décarbonation du mix et la réindustrialisation sont des enjeux majeurs. Le CEA a toujours joué un rôle central dans la politique énergétique de la France. Vous avez exposé vos priorités et souligné que le Conseil de politique nucléaire avait marqué, au mois de mars, une inflexion notoire de notre politique, en faveur de la relance du nucléaire et de la reprise des recherches sur la fermeture du cycle du combustible. Quels programmes envisagez-vous de développer concernant la filière à neutrons rapides ainsi que la fabrication de combustible, y compris de mox ?
La prolongation du parc nucléaire existant nécessite d’approfondir les recherches relatives au vieillissement des installations. Avez-vous prévu des actions spécifiques dans ce domaine critique ? Je pense notamment à la corrosion sous contrainte et aux effets de l’irradiation des matériaux.
Au-delà de la recherche, le lien avec les industriels de la filière est décisif. Comment envisagez-vous la collaboration entre le CEA et les principaux acteurs du nucléaire, en particulier EDF, Framatome et Orano, notamment en matière de gouvernance ?
Le mix énergétique de demain combinera nucléaire et énergies renouvelables. Quelles études le CEA entend-il mener pour analyser les conséquences sur la stabilité du réseau et sur la modulation des réacteurs d’un système de production toujours plus décentralisé et qui intègre une part croissante d’énergies intermittentes ?
Quelles relations entre le CEA et le haut-commissariat à l’énergie atomique (HCEA) envisagez-vous, de façon à ce que ce dernier puisse jouer pleinement son rôle de conseil auprès du gouvernement, en lui donnant un total accès à vos programmes et à vos compétences ?
Mme Anne-Isabelle Etienvre. Sur la fermeture du cycle, je pense que les compétences du CEA seront bientôt mobilisées pour définir un programme de recherche conjoint avec l’industrie, parce qu’il est essentiel qu’il réponde à ses besoins. Il prendra en considération à la fois la question du démonstrateur, celle du combustible et celle de l’usine de retraitement. Nous ne le ferons pas seuls, nous le ferons avec l’industrie nucléaire. Nous nous y mettons dès maintenant.
Le vieillissement des installations et la prolongation du parc sont des sujets primordiaux. Dans ce domaine, nous pouvons mettre au service de l’industrie nos compétences en physico-chimie et en matériaux. Nous pouvons en outre offrir à nos partenaires industriels nos infrastructures de recherche, nos capacités en simulation numérique et en code de calcul afin de les aider à mener à bien toutes les études nécessaires à l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection pour prolonger le parc.
Nous devons entretenir des relations sereines avec la filière nucléaire. Elle est structurée, c’est une force. Nous devons pouvoir élaborer une feuille de route commune pour travailler en confiance, de manière fluide : c’est indispensable pour être efficace et aller de l’avant.
La question des réseaux intéresse le CEA mais aussi d’autres acteurs, Réseau de transport d’électricité (RTE) en particulier. Le CEA est à leur service, en lien avec les autres acteurs de l’agence de programme. Il poursuivra ses efforts de R&D sur ce sujet.
La réunion est suspendue de seize heures dix à seize heures trente.
Mme Nicole Le Peih (EPR). Le plateau de Saclay est un pilier stratégique de la recherche, notamment dans le domaine de la physique quantique : nos chercheurs sont prisés dans le monde entier. En effet, le calcul quantique accélérera radicalement la simulation numérique tout en réduisant son impact énergétique. Comment préserverez-vous l’appétence de nos jeunes chercheurs et de nos pépites pour éviter qu’ils ne partent à l’étranger ? Comment participerez-vous à Choose Europe for Science ?
Mme Anne-Isabelle Etienvre. Dans le domaine de la physique quantique, le programme de recherche de la France, en particulier du CEA, est ambitieux ; il va de l’amont jusqu’à l’aval et concerne à la fois les capteurs et le développement des briques essentielles pour le futur ordinateur quantique, avec les technologies qubits et habilitantes. C’est tout cet écosystème riche et fécond qu’il faut parvenir à ancrer en France, en gardant nos meilleurs cerveaux. Pour cela, la recherche amont doit rester attractive ; nous devons conserver l’esprit pionnier dans ce domaine qui fait notre force, notamment sur le plateau de Saclay. Des programmes de recherche séduisants peuvent y contribuer, comme les personnalités emblématiques de la recherche quantique – nous devons les mobiliser.
S’agissant de Choose France et de Choose Europe, le CEA a étudié la possibilité de faire venir des collègues dans leur cadre. Cela concerne quelques personnes, dont le CV est très intéressant dans les domaines de la santé et du climat en particulier – ceux où le risque est le plus fort. Elles viennent parfois dans la perspective de déposer une demande de financement du Conseil européen de la recherche (ERC).
Mme Marina Ferrari (Dem). Une dichotomie persiste entre les activités nucléaires historiques du CEA et celles liées au développement des énergies renouvelables. De quelle façon pensez-vous dépasser cette opposition ? Comment envisagez-vous de soutenir l’industrie des énergies renouvelables, notamment dans le secteur solaire ? J’ai la chance d’avoir dans ma circonscription l’Institut national de l’énergie solaire (Ines), qui est une émanation du CEA. Deux projets majeurs, Holosolis et Carbon, auxquels le CEA est associé, nous offrent une occasion historique de relancer cette industrie.
Mme Anne-Isabelle Etienvre. L’Ines est l’une de nos pépites. Il est très important de conserver dans ce domaine une recherche amont, qui ira, avec la maturité, jusqu’à l’industrie. Il ne faut pas opposer les types d’énergie entre eux mais avoir une vision intégrée. C’est ce que nous essayons de faire, avec notre direction des énergies.
S’agissant du lien avec l’industrie, vous avez cité deux projets très prometteurs. D’autres start-up françaises travaillent dans ce domaine. Il faut les accompagner, avec un ressourcement amont, afin d’obtenir des cellules photovoltaïques encore plus rentables et d’atteindre, voire de dépasser, un rendement de 30 %. Nous y travaillons pour préparer l’avenir, tout en assurant le transfert industriel des projets les plus prometteurs.
Mme Josiane Corneloup (DR). Peut-on réellement compter sur un déploiement mondial du nucléaire, notamment dans les pays émergents, comme l’Inde, la Chine et ceux de l’Afrique ? Étant donné les délais de construction ainsi que les défis de financement, de formation, d’acceptation sociale et de gestion des déchets, ce déploiement pourra-t-il se faire à une échelle suffisante pour essayer d’atteindre une neutralité carbone mondiale d’ici à 2050 ?
Comment le CEA évalue-t-il la résilience des filières nucléaires face aux difficultés d’approvisionnement en uranium et à l’instabilité géopolitique de certaines régions ?
Quels leviers envisagez-vous d’activer pour réduire les coûts de construction et améliorer les délais de mise en service des centrales ?
Mme Anne-Isabelle Etienvre. Le développement du nucléaire est réel. Dans de nombreux pays émergents, il passe parfois par des SMR ou par des projets de plus petite envergure. La Chine et l’Inde sont déjà très compétitifs. Pour participer à la création d’une équipe France dans ce secteur, le CEA accompagne l’ensemble de l’industrie à l’échelle internationale, en proposant ses capacités de collaboration en R&D et son offre de formation, en particulier aux pays émergents qui souhaitent se lancer dans le nucléaire.
Les tensions sur l’uranium retiennent évidemment notre attention. Le programme de fermeture du cycle décidé lors du dernier Conseil de politique nucléaire contribuera à les réduire.
La diminution des coûts de construction relève de l’industrie nucléaire. Pour y contribuer, le CEA peut mettre à disposition ses capacités de recherche et de développement, ses capacités numériques et ses infrastructures de recherche, afin de l’aider à instruire les projets de la filière.
M. Paul Midy (EPR). Je salue votre parcours au sein du CEA Paris-Saclay, qui a commencé à l’université Paris-Saclay, sur le plateau de Saclay, territoire d’excellence. J’en profite pour rendre hommage aux femmes et aux hommes qui font le CEA et la fierté de notre pays. Nous lui devons beaucoup ; il est au service du progrès et de la prospérité, notamment dans les domaines de la défense et de la transition écologique.
Merci pour l’exposé de vos priorités, que je partage. Je voterai en faveur de votre nomination.
Dans la relance du nucléaire, quelle place donnez-vous à l’innovation de rupture ? De nombreuses start-up, issues du CEA et d’ailleurs, travaillent sur les SMR. Quelles conséquences industrielles sont estimées à court terme ? À long terme, dans quelle mesure la fusion pourra-t-elle contribuer à nous faire atteindre nos objectifs ?
Mme Anne-Isabelle Etienvre. On compte, je crois, onze start-up de fission. Le CEA, c’est son devoir, les accompagne, avec son agence de programme nucléaire innovant. Il répond à leurs demandes d’expertise : neuf nous ont sollicités, notamment sur le numérique et sur nos infrastructures de recherche. L’État aussi demande notre avis, sur les technologies développées, qui sont très complémentaires.
Ces start-up sont trop récentes pour pouvoir prédire avec certitude leur succès, mais nous devons leur souhaiter de réussir : cela nous permettra d’innover et de progresser. En revanche, je peux affirmer que, si certaines y parviennent, nous les accompagnerons sur le chemin de l’industrialisation.
S’agissant de la fusion, il ne faut probablement pas attendre de résultats avant 2050. L’Europe a une feuille de route, comme les États-Unis, le Japon et la Chine. Dans ce domaine historique, le CEA a des atouts : nous devons aussi élaborer une feuille de route.
M. Hervé de Lépinau (RN). Ma question concerne la dissuasion nucléaire. Si votre nomination est confirmée, vous aurez sous votre autorité la direction des applications militaires, qui a besoin des supercalculateurs de Bull, filiale d’Atos. Or le groupe est en déconfiture. Il est question que l’État rachète les supercalculateurs mais, pour maintenir la technologie à un niveau de fonctionnement efficace et pouvoir la faire progresser, la commande doit atteindre une masse critique. Aurez-vous un poids suffisant pour que le rachat de Bull ne soit pas vain ?
Mme Anne-Isabelle Etienvre. Le CEA-DAM et Atos, avec Bull, ont un partenariat historique important et structurant. Étant donné que l’État s’est engagé à sécuriser l’entreprise, qui en effet est essentielle, nous n’avons pas, à ma connaissance, d’inquiétude sur la capacité d’Atos de remplir ses missions nécessaires à notre programme de simulation.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Pourriez-vous développer votre réponse relative aux EPR, qui n’ont pas prouvé leur fiabilité ?
Ma seconde question concerne le contrôle démocratique. Le CEA, en orientant les programmes de recherche et de développement en matière énergétique, joue un rôle politique. Par ailleurs, il gère un budget de plusieurs milliards d’euros. Au-delà de l’Opecst, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, comment rendrez-vous compte de vos activités au Parlement, à l’État et au public ?
Mme Anne-Isabelle Etienvre. Le CEA, en tant qu’opérateur de l’État, lui rend compte très régulièrement de son action – c’est essentiel. Par ailleurs, je m’y engage formellement, il est à la disposition du Parlement, en tant que de besoin, pour répondre à toute question relative à nos programmes ou nécessitant notre expertise, afin d’éclairer vos choix.
Pour ce qui est du grand public, je le redis avec force : j’estime de notre devoir de faire connaître notre action, de façon transparente. De plus, cela doit contribuer à donner au plus grand nombre envie de faire des sciences. Cette dimension me tient à cœur : j’y ai toujours veillé au long de mon parcours et je continuerai à le faire.
D’autres questions sont restées en suspens. L’une concernait les liens entre le CEA et le haut-commissariat à l’énergie atomique. Je vous rassure, si je suis nommée, ils seront fluides. Nos rôles sont définis et complémentaires : chacun jouera le sien dans les limites de ses prérogatives. Il se trouve que je connais très bien le haut-commissaire mais j’estime que, quelles que soient les personnes, il est dans l’intérêt collectif, national, que le dialogue soit fluide et confiant.
Le CEA civil doit partager son savoir académique, qui relève de la science ouverte, avec la direction des applications militaires, dans un souci d’efficacité collective. Nous le faisons mais nous pourrions le faire davantage.
En matière de simulation, nous avons la chance de disposer de moyens de calculs très puissants. Nous avons par ailleurs plusieurs disciplines, comme l’astrophysique, les sciences du climat et la fusion, qui sont à la pointe de l’art dans le développement de logiciels et le traitement de données massives. Elles peuvent faire progresser nos grands calculateurs, au bénéfice de tous.
Pour les EPR et les EPR 2, le CEA soutiendra l’industrie nucléaire en répondant à ses demandes d’expertise, sur les études de design par exemple.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Des doutes ont tout de même été émis sur leur fiabilité.
Mme Anne-Isabelle Etienvre. Le démarrage récent du réacteur de Flamanville nous donne confiance dans cette technologie. Nous avons également le retour d’expérience du démarrage d’un EPR en Chine, que la CEA a suivi de très près. Notre vision d’ensemble de la technologie est maintenant plus consolidée. Bien entendu, nous en suivrons attentivement les évolutions, avec nos partenaires industriels, afin de bénéficier d’un retour d’expérience pour les EPR 2.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Merci, madame Etienvre, pour cet échange. Monsieur le rapporteur, quel est votre avis sur le projet de nomination ?
M. Salvatore Castiglione, rapporteur. Étant donné, d’une part, l’expérience scientifique et managériale de Mme Etienvre et la clarté de son exposé, ainsi que de ses réponses à nos questions écrites et orales et, d’autre part, les défis que le CEA devra relever pour que la France réalise son ambition de demeurer une nation de recherche et d’innovation, au service notamment de la transition écologique, j’émets un avis favorable.
Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l’article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination.
*
Après le départ de Mme Anne-Isabelle Etienvre, il est procédé au vote sur le projet de nomination, par appel nominal et à bulletins secrets, les scrutateurs d’âge étant M. Maxime Amblard et Mme Louise Morel.
*
Les résultats du scrutin qui a suivi l’audition sont les suivants :
Nombre de votants |
28 |
Abstentions |
4 |
Bulletins blancs ou nuls |
0 |
Suffrages exprimés |
24 |
Pour |
22 |
Contre |
2 |
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 9 juillet 2025 à 15 heures
Présents. - M. Maxime Amblard, M. Karim Benbrahim, M. Thierry Benoit, M. Philippe Bolo, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Julien Brugerolles, Mme Danielle Brulebois, Mme Françoise Buffet, M. Salvatore Castiglione, Mme Josiane Corneloup, M. Julien Dive, Mme Marina Ferrari, M. Jean-Marie Fiévet, M. Jean-Luc Fugit, M. Thomas Lam, Mme Annaïg Le Meur, Mme Nicole Le Peih, M. Robert Le Bourgeois, M. Guillaume Lepers, M. Hervé de Lépinau, M. Laurent Lhardit, M. Eric Liégeon, M. Bastien Marchive, M. Paul Midy, Mme Louise Morel, Mme Sandrine Nosbé, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Stéphane Vojetta
Assistait également à la réunion. - M. Arnaud Saint-Martin