Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Projet de loi de finances pour 2025 (seconde partie) (n° 324) : Mission Santé :
• Audition de Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins, et avis de M. Didier Le Gac, rapporteur pour avis 2
– Présences en réunion.................................21
Mardi
12 novembre 2024
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 22
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à seize heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission auditionne Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous suspendrons tout à l’heure la réunion pour aller voter dans l’hémicycle sur la première partie du projet de loi de finances (PLF).
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé et de l’accès aux soins. La mission Santé des ministères sociaux est composée de trois programmes. En lien avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), les crédits de cette mission sont la traduction budgétaire de notre politique globale de santé et d’accès aux soins, définie dans le cadre de notre stratégie nationale de santé, autour de trois objectifs. Le premier est de poursuivre et d’amplifier nos politiques en faveur de la prévention afin d’améliorer la santé pour tous. Notre société et notre système de santé doivent en effet adopter une vraie culture de la prévention. Le deuxième est de garantir l’accès à des soins de qualité à tous, dans tous les territoires, en poursuivant les investissements engagés, en ouvrant de nouveaux droits au service de nos concitoyens et en protégeant l’hôpital, ainsi qu’en améliorant l’organisation de notre système de santé et en favorisant l’attractivité des métiers du soin. Le troisième objectif est d’assurer la sécurité sanitaire et de protéger les Français contre les différents risques, comme les menaces épidémiologiques. Ce sont là des objectifs que le Gouvernement porte depuis 2017 et que nous souhaitons poursuivre et accentuer en 2025.
Dans cette perspective, les crédits de la mission Santé pour 2025 s’élèvent à 1,64 milliard d’euros. Si une baisse de 40 % en crédits de paiement est constatée par rapport à 2024, elle ne s’explique pas par une moindre ambition : elle résulte, pour l’essentiel, de l’évolution de la chronique des paiements réalisés au titre du programme 379, programme budgétaire temporaire qui permet le reversement effectif à la sécurité sociale des crédits européens relevant de la Facilité pour la reprise et la résilience de l’Union européenne. Le plan national de relance et de résilience et sa composante « Ségur investissement » est en voie d’achèvement. Le programme 379 est logiquement en force diminution pour 2025.
De même, le dispositif transitoire de compensation pour la branche maladie de la perte de recettes générées par la baisse d’un point de cotisations au titre de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales n’a pas été reconduit en 2025. En effet, le niveau de cotisation pour la branche maladie étant revenu au niveau de 2023, cette compensation n’est plus nécessaire.
Au cours du débat, le Gouvernement nous soumettra, comme il s’y est engagé, des amendements visant à diminuer les crédits de 5 milliards d’euros par rapport au projet de loi finances initial. Il s’agit d’un effort transverse et global et, à ce titre, les crédits du programme 379 seront diminués de 40 millions d’euros. Cette baisse ne signifiera néanmoins pas que nous allons arrêter de financer le Ségur investissement : nous serons au rendez-vous. Les remboursements à la sécurité sociale au titre du programme 379 seront simplement lissés par rapport à la prévision initiale. Cette décision a été prise en responsabilité.
J’en viens aux crédits des programmes 204 et 183.
Le programme 204, relatif à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l’offre de soins, se voit affecter près de 221 millions d’euros de crédits de paiement. Cette diminution de 18 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024 découle pour l’essentiel, comme c’est le cas pour le programme 379, d’une dynamique tendancielle de la dépense, avec en particulier l’appel à projets « Réserve européenne de ressources » (RescEU), dispositif important visant à constituer des stocks au niveau européen en cas de crise, afin de pouvoir nous prémunir et agir contre les risques nucléaires, radiologique, biologique et chimique. Un nouvel appel à projets, lancé en 2024, s’est traduit par un besoin de plus de 40 millions. En 2025, deuxième année du projet, le besoin est mécaniquement moindre que l’année précédente.
Hors dynamique tendancielle de la dépense, le Gouvernement procédera également à une baisse de 10 millions d’euros par amendements sur le programme 204 : c’est le pendant de l’effort de 40 millions réalisé sur le programme 379. Au total, la mission Santé contribuera à hauteur de 50 millions à la réduction supplémentaire de 5 milliards de dépenses. Je le répète, la situation de nos finances publiques implique un effort collectif. Je serai toutefois très attentive à ce que cela ne nous fasse pas revoir nos ambitions à la baisse. Notre système de santé l’exige.
L’action financée par ce programme budgétaire 204 se caractérise par la poursuite de la recherche d’efficacité et d’efficience, avec en ligne de mire notre volonté de poursuivre et d’amplifier nos politiques en faveur de la prévention, tout en ciblant toujours mieux l’action publique en fonction des besoins. C’est un impératif de santé publique, pour répondre aux enjeux démographiques et épidémiologiques auxquels nous faisons face. Pour répondre à cette préoccupation première des Français, nous concentrons nos efforts, dans le cadre de ce programme, sur quatre grands objectifs.
Le premier est de continuer à renforcer la prévention et le repérage à toutes les échelles et dans tous les secteurs, qu’il s’agisse de l’accès aux soins, de la psychiatrie ou des associations. Dans ce cadre, une attention particulière sera apportée au pilotage et à la coordination du niveau des agences, de l’Institut national du cancer (Inca) et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Deuxième objectif : nous poursuivrons la promotion de la recherche et la mobilisation des connaissances scientifiques pour une meilleure politique de santé publique. Les appels à projets de recherche en santé publique sont particulièrement ciblés sur la prévention, sur les services de santé de proximité et sur la performance des parcours de santé. Une meilleure utilisation des bases de données existantes devra permettre d’élaborer des programmes et actions de prévention plus ciblés.
Sensibiliser différemment en fonction des publics et en portant des messages adaptés pour renforcer les actions de prévention : tel est notre objectif. Un exemple concret est celui de la vaccination, qui est l’un des meilleurs outils de la prévention. Les taux de vaccination en France restent encore insuffisants. La faible adhésion aux campagnes de vaccination peut s’expliquer en partie par de fausses croyances et en partie aussi, semble-t-il, par de la lassitude dans cette période de post‑covid. Nous devons agir pour accompagner les Français afin qu’ils se fassent vacciner dès le plus jeune âge, car les inégalités de santé s’ancrent au moment de l’enfance.
Troisième objectif : afin d’améliorer la gestion des crises sanitaires et des situations d’urgence, nous renforçons les actions visant l’anticipation des risques, la prévention et la lutte contre les vecteurs de maladie. La poursuite de cet objectif est très concrète : les doctrines sanitaires de préparation et d’intervention seront adaptées, la formation des agents sera renforcée et la réalisation d’exercices de crise se verra donner un caractère prioritaire. Une attention particulière s’attachera aux systèmes d’information dédiés à la veille et à la sécurité sanitaire ; une attention particulière sera attachée à leur développement et à leur maintenance en condition opérationnelle. L’expérience du covid a montré la nécessité de cette adaptation permanente des agents et des outils à la crise, afin de faire face le moment venu.
Quatrième et dernier objectif : nous poursuivons la démarche de territorialisation de l’organisation des soins et des parcours, pour moderniser l’offre de soins. Nous continuons à soutenir la permanence de soins ambulatoires dans tous nos territoires, car c’est un enjeu majeur pour nos concitoyens que de pouvoir obtenir une réponse à leurs besoins de santé, en soutenant notamment les associations qui soutiennent cette permanence de soins. Une attention particulière sera apportée aux outre-mer, en particulier l’agence de santé de Wallis‑et‑Futuna, bénéficiaire de crédits issus du Ségur de la santé.
Au total, l’action conduite dans le cadre du programme 204 doit se lire dans le prolongement de celle qui est déclinée dans le cadre PLFSS, et en complémentarité avec elle. Le déploiement du service d’accès aux soins, qui couvre désormais 94 % de la population, sera poursuivi afin de répondre aux besoins de soins non programmés. Le maillage des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), véritable outil d’exercices coordonnés, continue de s’étendre et nous en poursuivrons le développement dans les zones qui n’en sont pas encore pourvues.
Au même titre que la prévention, dont j’ai déjà martelé l’importance durant nos échanges sur le PLFSS, on peut marteler aussi l’importance du besoin de l’accès aux soins dans tous nos territoires, en priorité dans ceux qui sont en déprise. Les financements permis par le programme 204 participent à la poursuite de cette stratégie.
Le programme 183 permet d’assurer la protection face à la maladie dans des situations relevant de la solidarité nationale, en complément des politiques de sécurité sociale. Il finance principalement l’aide médicale de l’État (AME), destinée aux personnes démunies en situation irrégulière ne pouvant accéder la protection universelle maladie. Les crédits de ce programme s’élèvent à près de 1,3 milliard d’euros en crédits de paiement.
Comme l’a indiqué le Premier ministre, les dépenses de l’AME doivent être maîtrisées. Le Gouvernement et le Parlement prendront toutes les dispositions nécessaires pour que ces dépenses ne progressent pas. Toutefois, l’AME, outre qu’elle est un dispositif bien géré et bien contrôlé, a une utilité sanitaire réelle. Elle répond à des objectifs de santé et de salubrité publiques et permet de limiter la propagation des maladies. Sa suppression aggraverait encore davantage la pression sur les services d’urgence. Comme l’a souligné récemment le rapport de MM. Claude Évin et Patrick Stefanini, très riche d’enseignements, l’AME est un dispositif de santé publique, qui doit continuer à vivre mais qui peut être adapté. Sans remettre en cause les principes essentiels de ce dispositif, nous envisagerons, bien sûr, de continuer à l’améliorer et à l’adapter.
Par ailleurs, sans remettre en cause son utilité incontestable pour la santé publique, nous souhaitons, en toute logique, une maîtrise des dépenses de l’AME, comme nous souhaitons c’est le cas pour toutes nos lignes budgétaires et toutes nos politiques. Nous prendrons en ce sens toutes les dispositions pour tendre vers une stabilité des dépenses entre 2004 et 2025. Il est évident que, dans le contexte actuel d’efforts dans tous les domaines pour maîtriser nos dépenses, il n’y a pas de logique à ce que l’AME fasse exception.
Je rappelle du reste que l’AME est déjà l’argent public le mieux contrôlé de la République. Nous continuerons nos efforts en matière de contrôle, que ce soit lors de l’attribution des droits ou a posteriori, pour améliorer l’efficacité de notre politique de lutte contre la fraude.
En un mot, la mission Santé mise sur la prévention, la poursuite de la sécurité sanitaire et l’organisation d’une offre de soins de qualité pour tous et partout.
Mme Anchya Bamana, rapporteure pour avis. J’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui mon avis sur la mission Santé du projet de loi de finances pour 2025. Ce travail m’a conduite à examiner de près les crédits de cette mission, mais également, à m’intéresser aux dramatiques inégalités de santé qui touchent Mayotte. Élue de ce département, je suis particulièrement investie dans cet effort pour porter la voix des Mahorais, qui subissent une crise sanitaire et sociale d’une ampleur inédite en France.
J’ai voulu donner la parole à toutes les parties prenantes et j’ai conduit pendant deux mois des dizaines d’auditions à l’Assemblée nationale, avec les agences régionales de santé (ARS) des Antilles-Guyane, à La Réunion, à Mayotte, puis en Corse, afin de donner une dimension comparative à mon propos et d’évaluer quels dispositifs pourraient être importés et adaptés à Mayotte.
Les crédits de la mission Santé présentés par le Gouvernement pour 2025 s’élèvent à 1,6 milliard d’euros. Ces crédits, qui portent sur une thématique relevant très largement du PLFSS, sont en grande partie liés à l’AME. Ce dispositif, destiné à financer les soins pour des personnes en situation irrégulière, concentre la quasi-totalité des crédits du programme 183 sur la protection maladie. La baisse significative de près de 40 % des crédits de la mission Santé par rapport à 2024 trouve donc avant tout son explication dans la quasi-extinction des crédits du programme 379, qui était un programme temporaire ajouté lors de la crise sanitaire. Elle ne doit pas masquer la hausse notable des crédits liés à l’AME, supérieurs de 9 % à ceux qui étaient prévus en 2024, soit un écart à la hausse de 111 millions. Le nombre de bénéficiaires de l’AME de droit commun atteint 457 000 au 31 décembre 2023, soit une hausse de 11 % entre 2022 et 2023. Ce nombre a plus que doublé en vingt ans.
Cette hausse tendancielle de la dépense appelle une réflexion et il est de notre devoir d’examiner l’efficience de ce dispositif. Il apparaît absolument indispensable de réformer l’AME, dont la vocation et la destination ont été largement dévoyées, afin de revenir à la philosophie d’origine de cette aide, qui avait pour but d’apporter uniquement des soins à caractère urgent et de lutter contre les maladies contagieuses importées, dans un souci de protection des Français et de la santé publique nationale. L’objectif n’est certainement pas d’arrêter toute forme de soins, mais de réduire le panier de soins au strict minimum.
À ce propos je poserai deux questions à Mme la ministre.
Premièrement, je rappelle qu’en janvier 2024, le Premier ministre, Gabriel Attal, avait annoncé une réforme de l’AME par voie réglementaire avant l’été 2024, sur le fondement des propositions du rapport Évin-Stefanini. Aucun texte n’a toutefois été publié à ce jour : où en est cette réforme et en quoi consistera-t-elle ?
Deuxièmement, votre collègue Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics, a annoncé que les crédits consacrés à l’AME dans le cadre de ce PLF seraient finalement gelés. Nous voyons tous les dissensions qui se manifestent entre vous mais, alors que le Gouvernement devait déposer un amendement dans le cadre de l’examen de la présente mission, nous ne voyons toujours rien : où est cet amendement censé geler les dépenses de l’AME ?
J’en viens à la seconde partie de mon rapport, portant spécifiquement sur les inégalités de santé à Mayotte.
Ce département souffre, je le répète, d’une situation exceptionnellement dégradée, sans comparaison avec celle de tout autre département, malgré l’ampleur des déserts médicaux dans notre pays. Bouleversée par une croissance démographique, alimentée par une immigration irrégulière massive et incontrôlée, qui pourrait conduire au doublement de la population de l’île d’ici 2050, la société mahoraise, ainsi que son système de santé et ses institutions, qui n’ont jamais été calibrés pour faire face à une telle situation, se trouvent au bord de l’effondrement. Le taux de pauvreté y est de 77 % et cette précarité extrême a un impact direct sur l’état de santé des habitants. À Mayotte, 70 % de la population vivent dans un habitat insalubre et 25 % des foyers ne sont pas raccordés à l’eau potable.
La plupart des indicateurs de santé sont alarmants : l’espérance de vie, par exemple, est de sept à onze ans inférieure à celle de l’Hexagone. Avec 4,5 enfants par femme en 2023, la fécondité reste exceptionnelle et dépasse fortement la moyenne métropolitaine, qui est de 1,68 enfant par femme. Les spécificités démographiques accentuent les besoins de santé dans un territoire où le système sanitaire est structurellement sous-dimensionné. Avec des infrastructures sanitaires dramatiquement insuffisantes, nous ne pouvons même pas parler, à Mayotte, de « désert médical » : nous comptons à peine 260 médecins au total, soit quatre fois moins que la moyenne française, et il y a seulement 30 médecins libéraux sur l’île.
Le système de santé repose presque exclusivement sur le centre hospitalier de Mayotte (CHM), seul établissement de santé de l’île, qui concentre 72 % des soins prodigués et subit une pression extrême, notamment à cause du service des urgences et de la maternité, qui sont submergés par des patients sans couverture sociale, d’autant plus que l’AME n’existe pas à Mayotte. Avec plus de 10 000 naissances par an, Mayotte est la plus grande maternité d’Europe. Le nombre de sages-femmes est pourtant largement insuffisant, surtout lors des périodes de vacances. Il se traduit par un taux d’accouchements hors maternité très préoccupant : c’est le cas de 7 % des naissances, soit vingt fois plus qu’en métropole.
Ainsi, le CHM est en état de crise permanente et des défaillances sont constatées dans tous ses services. Mis sous perfusion avec des contrats courts, la réserve sanitaire ou encore des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), il voit en outre apparaître un mercenariat au détriment des patients et des personnels permanents, dont je salue l’engagement. Au CHM, le taux de rotation est alarmant et dépasse les 220 % en 2023 pour les personnels médicaux.
Dans ce contexte, le Gouvernement a eu la regrettable idée, en début d’année, de supprimer l’indemnité particulière d’exercice (IPE), prime spécifique dont bénéficiaient les praticiens hospitaliers pour compenser leurs conditions de vie et de travail. De nombreux praticiens, ayant le sentiment d’être poussés vers la sortie, ont depuis lors donné leur démission.
Par ailleurs, le CHM n’est pas financé par la tarification à l’activité, mais par une dotation annuelle fixe qui ne permet pas du tout de répondre aux besoins. Ainsi, l’hôpital connaissait en 2023 un déficit de plus de 22 millions d’euros.
Pour compenser les carences de l’offre de soins, le recours aux évacuations sanitaires (Evasan) est devenu un mode de prise en charge normal à Mayotte, bien au‑delà de ce qui est acceptable. En 2023, près de 1 800 patients, dont de nombreux enfants et 40 % de personnes en situation irrégulière, ont été évacués vers La Réunion. Ces évacuations dépendent d’une commission opaque, dont les décisions sont mal comprises par les usagers. La Cimade décrit ainsi « une procédure source d’angoisses et d’arrachement » et le « piétinement des liens familiaux et de l’intérêt des enfants », ce qui crée des « souffrances psychologiques et sociales graves ».
Dans ce contexte, les pouvoirs publics ne peuvent rester inactifs. Comme le souligne l’un des témoignages que j’ai recueillis, « nous sommes face à une situation catastrophique qui nécessite des mesures urgentes. Nous voyons nos services s’effondrer, et tout le travail fait est en train de disparaître. »
L’État doit prendre enfin la pleine mesure de cette situation : il est impensable que nous ne répondions pas de manière forte et rapide à cette crise. À Mayotte, le droit à la santé n’est pas respecté et la France ne peut pas tolérer une telle disparité au sein même de ses territoires. Je formule donc plusieurs recommandations.
À court terme, les moyens matériels et humains supplémentaires sont une priorité absolue pour mieux répondre aux besoins. Il est en effet impératif de mettre en place un choc d’attractivité pour encourager les praticiens à s’installer durablement à Mayotte.
La réintroduction de l’indemnité particulière d’exercice est cruciale. Elle doit être complétée dès demain par des mesures telles que, pour les professionnels de santé libéraux, la création d’une zone franche couvrant tout le territoire mahorais, comme c’est le cas dans les autres départements et régions d’outre-mer.
L’amélioration du parcours patient et la restructuration des Evasan sont tout aussi indispensables pour mieux répondre aux besoins des Mahorais. Il faut rendre à ce dispositif sa vocation initiale de solution exceptionnelle, en mettant à contribution la Caisse de sécurité sociale de Mayotte, comme cela est prévu réglementairement.
À moyen et long terme, il s’agit, en faisant émerger un vivier de cadres locaux, de piloter la construction d’une offre de soins robuste, ce qui demande d’agir sur plusieurs leviers.
Il est également nécessaire de développer la filière de formation locale. Cela suppose de renforcer la formation paramédicale, mais aussi de mettre en place une première année de médecine dans le cadre du parcours d’accès spécifique santé. L’exemple corse montre bien que cette voie est possible à Mayotte, dès lors qu’elle est soutenue par les pouvoirs publics, qu’elle s’appuie sur des partenariats robustes et que les étudiants peuvent bénéficier d’aides et de logements du centre régional des œuvres universitaires et scolaires, qui n’existent toujours pas à Mayotte.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des porte‑parole des groupes.
M. Thierry Frappé (RN). Ma question portera sur la suppression, demandée par notre mouvement depuis de nombreuses années, de l’AME. À la suite des élections législatives de juin et juillet dernier, les Français ont fait savoir que la question migratoire était centrale pour eux. Nous nous félicitons qu’un gouvernement entende enfin cette proposition.
Le rapport de Mme Bamana met en évidence la dernière analyse de la direction de la sécurité sociale, nous permettant d’analyser clairement l’augmentation des dépenses de l’AME au cours des dernières décennies. En 2023, elle a concerné 456 689 bénéficiaires de droit commun, ce qui s’est traduit par une augmentation de 11 % en un an et un doublement depuis 2003. Nous sommes loin d’une analyse stable et d’une perspective précise. En effet, la croissance du nombre de bénéficiaires de l’AME s’accélère, tout comme les coûts associés.
L’augmentation du budget alloué à ce dispositif est donc inéluctable, comme le démontre la hausse constatée en 2024, atteignant 72 millions d’euros et portant le montant total des dépenses d’AME à 1 210 millions d’euros, soit 1,2 milliard par an.
L’AME présente en outre un important problème de gestion : dix caisses primaires d’assurance maladie (Cpam) représentent 63 % de la dépense totale, dont la Cpam de Paris qui, à elle seule, englobe 20 % des dépenses, celle de Bobigny, qui compte pour 10 %, et celle de Cayenne, pour 8 %.
Cette répartition inégale des charges pèse lourdement sur les infrastructures sanitaires de certaines zones et sur leur capacité à répondre aux besoins de la population. Il faut également souligner la progression constante de la dépense moyenne par personne : elle a atteint 1 % en 2023 pour les produits de santé, 2,3 % pour les soins de ville et 0,6 % pour les prestations hospitalières. Cette dérive se poursuivra si aucune correction n’est envisagée. Nous entendons les inquiétudes des professionnels de santé, mais supprimer l’AME ne signifie pas négliger les questions de santé publique, bien au contraire. Nous appelons à une prise de responsabilité pour recentrer les ressources et préserver un système de santé solidaire envers ceux qui en ont le plus besoin. Nous ne pourrons pas indéfiniment dédier plus de 1 milliard d’euros à ce dispositif : la priorité doit être donnée à la protection sociale de nos concitoyens, d’autant que la pression sur les finances publiques et les défis économiques actuels imposent de faire des choix rationnels et justes. Comment pouvez-vous expliquer à nos concitoyens qu’il faut faire un effort sur le budget national, alors que vous ne cessez d’augmenter le budget alloué aux étrangers en situation irrégulière ? Comment le justifier auprès de nos concitoyens, eux qui ne peuvent ni consulter un médecin ni accéder à des soins auxquels les étrangers en situation irrégulière peuvent prétendre ? Il convient de revoir l’AME et de réduire son panier de soins au strict minimum.
Vous dites vouloir réformer les conditions d’accès à l’AME, mais dans quel délai ? Il est temps de la supprimer pour créer un nouveau dispositif essentiel au maintien de la vie des étrangers en situation régulière. La suppression du dispositif actuel permettrait de réorienter des moyens financiers vers des priorités de santé publique, de solidarité nationale et de soutien aux infrastructures médicales locales.
M. Michel Lauzzana (EPR). À 1,6 milliard d’euros, les crédits de la mission Santé du PLF 2025 connaissent une baisse significative qui tient essentiellement au programme 379, c’est‑à‑dire aux mesures temporaires de soutien s’inscrivant dans le plan de relance post‑covid.
Par ailleurs, le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins suit les grandes lignes de la future stratégie nationale de santé, dont les priorités sont les suivantes : renforcer la prévention et la sécurité sanitaire, améliorer la gestion des crises sanitaires et des urgences, moderniser l’offre de soins pour assurer un meilleur accès à la santé. Ses crédits diminuent, et notre groupe restera vigilant quant au suivi des objectifs – je pense notamment au déploiement d’une véritable politique de prévention dans l’ensemble du territoire.
La prévention, en particulier contre le cancer, doit être la feuille de route de votre ministère. Investir dans la prévention, c’est non seulement investir pour l’avenir, mais aussi alléger la charge qui pèse sur notre système de soins. J’en profite pour saluer votre décision, madame la ministre, d’interdire les sachets de nicotine prisés par les jeunes, porte d’entrée vers la dépendance tabagique aux conséquences sanitaires potentiellement graves – j’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens.
J’en viens au programme 183 Protection maladie, qui inclut l’ALE À ce sujet, notre groupe est clair : nous nous fondons en particulier sur le rapport Stefanini‑Évin de 2023, qui conclut que l’AME est utile, maîtrisée pour l’essentiel mais exposée à l’augmentation récente du nombre de bénéficiaires. Nous ne sommes aucunement favorables à sa suppression ni à son remplacement par une aide d’urgence, mais nous pourrons être attentifs à certaines propositions, concernant par exemple son périmètre. En conséquence, notre groupe votera les crédits de la mission Santé.
Permettez-moi enfin de vous poser deux questions.
La médecine nucléaire est en pleine mutation et effectue des avancées significatives dans le traitement de certains cancers. Or les services qui la pratiquent manquent de moyens et de matériel. Quelles actions concrètes le Gouvernement envisage-t-il de mener pour soutenir le développement de cette nouvelle technique de lutte contre le cancer ? Un rapport gouvernemental sur le sujet serait bienvenu.
La prévention est par ailleurs un pilier essentiel de la stratégie nationale de santé. Quelles mesures phares comptez-vous lancer afin de la renforcer, notamment en matière de dépistage précoce, de sensibilisation aux risques évitables et de réduction des inégalités de santé ?
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Je commencerai par vous souhaiter bon courage, madame la ministre, pour mettre notre système de santé en état de fonctionnement ! Après sept années de Macronie, le constat est sans appel : notre modèle de santé publique est à bout de souffle. Les hôpitaux ont perdu plus de 43 000 lits en dix ans ; le nombre de médecins généralistes a baissé de 11 % en moyenne, et encore davantage dans les déserts médicaux ; plus de 31 % des professionnels de santé se disent épuisés. Vous avez été désavouée, puisque votre propre majorité a rejeté le PLFSS à l’unanimité en commission des affaires sociales ; en séance en revanche, nous avons fait adopter le PLFSS du Nouveau Front Populaire avec 20 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour financer notre modèle social, alors que vous cherchiez 15 milliards. Cela permettra de financer l’hôpital public et d’augmenter l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, qui baisse depuis des années – nous défendrons un amendement d’appel en ce sens. Que vous faut-il de plus ?
Le budget de santé de l’État s’effondre, puisque les dépenses chuteront de près de 40 % en 2025. La baisse la plus significative touche les crédits alloués au Ségur de la santé. Pourtant annoncés en grande pompe, les investissements du Ségur sont bien en deçà des besoins et des promesses : sur les 15 milliards d’euros promis, nous n’en sommes qu’à 6 milliards, dont 2 milliards pour le numérique. De qui se moque-t-on ? Nombre de professionnels de santé médico-sociaux et associatifs n’ont pas reçu leur prime Ségur, preuve que malgré les applaudissements durant le covid, les soignants sont encore méprisés. L’hôpital public est particulièrement touché, puisque seuls 95 millions d’investissement lui sont alloués en 2025. Les hôpitaux sont obligés de contractualiser avec les ARS, de sorte que la mainmise de l’État dans les politiques publiques de santé soit renforcée. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux.
Sur une note plus positive, nous constatons que l’idéologie réactionnaire et xénophobe de M. Retailleau et de ses amis d’extrême droite n’a pas encore infecté l’AME. Pilier de la santé publique et de l’équité d’accès aux soins, l’AME est aussi une mesure de bon sens économique : grâce à une prise en charge rapide, elle permet d’éviter que des maladies ne se propagent et que des patients ne se présentent dans un état catastrophique. Les moyens qui lui sont alloués sont néanmoins insuffisants : faute de soignants, des bénéficiaires ont dû attendre plus de neuf mois pour recevoir certains soins. Remettre en cause l’AME, comme le voudrait la grande coalition des xénophobes de la loi « asile et immigration », serait donc à la fois contre‑productif et profondément inhumain. Faut-il rappeler que 49 % des étrangers en situation irrégulière n’y ont même pas recours, et que les fraudes à ce dispositif sont quasiment inexistantes ? Le Gouvernement doit cesser de se contredire et doit s’engager fermement à préserver et à renforcer l’AME.
Pour ce qui concerne le programme Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins, c’est l’hécatombe : baisse des crédits pour la prévention des maladies chroniques, baisse des subventions de l’Inca alors que le nombre de cas augmente, baisse des investissements dans la recherche fondamentale, baisse des moyens pour la prévention contre les maladies sexuellement transmissibles et le VIH, alors que le nombre de cas remonte depuis cette année, baisse de 60 % des crédits alloués à la veille et à la sécurité sanitaire... Vous ne tirez aucune leçon de la crise du covid, alors que ce budget devrait permettre d’anticiper les crises sanitaires et de s’y préparer. C’est sans parler de la grande oubliée, la santé mentale, pourtant annoncée en grande pompe comme grande cause nationale de 2025 par le Premier ministre.
Revenons à l’essentiel : une bonne gestion consiste à prévenir, car mieux vaut prévenir que guérir. Nous avons besoin d’un plan de prévention efficace et d’investissements massifs dans le service de la santé publique ; pour cela, il faut adopter nos amendements de crédit dans la présente discussion budgétaire, et surtout, adopter le PLFSS 2025 du Nouveau Front Populaire.
M. Arthur Delaporte (SOC). De qui se moque-t-on ? On serait tenté d’examiner cette mission Santé comme si de rien n’était : on évoquerait la baisse drastique des crédits, alors que la santé est la première préoccupation des Français ; on évoquerait vos carences, alors qu’il faut offrir à l’hôpital des conditions plus dignes, mieux réguler les médecins pour lutter contre les déserts médicaux, défendre un système de santé plus juste, accorder des moyens supplémentaires à la prévention, à la santé mentale, à la santé des femmes ou encore à la lutte contre les addictions – à ce sujet, votre gouvernement fait preuve d’ambivalence, vu la stratégie du ministre de l’intérieur. Mais il se trouve qu’en ce moment même, l’Assemblée s’apprête à rejeter la première partie du PLF, rendant la présente audition presque caduque. Les groupes de la « majorité » – vos soutiens, madame la ministre – ont annoncé qu’ils voteraient contre le budget que nous sommes ici censés modifier. Avouez que la situation est cocasse ! Nous pourrions en sourire s’il ne s’agissait de la santé des Françaises et des Français.
Je ne peux m’empêcher de dénoncer le comportement du socle dit « commun », qui est fort désuni face au budget pour 2025, singulièrement en ce qui concerne la santé, les uns défendant l’AME, les autres voulant la réduire.
S’agissant du financement de la sécurité sociale, vous avez usé d’un article 49, alinéa 3, qui ne disait pas son nom : vous avez fait traîner les débats afin de transmettre le texte initial au Sénat, nous empêchant de discuter, par exemple, de l’article 23, qui entraîne une baisse des dépenses de retraites, et laissant ensuite le beau jeu à Laurent Wauquiez. Vous avez mis en scène votre démobilisation pour pouvoir rejeter la première partie du PLF et escamoter la santé. Il est tout de même facile de ne pas se mêler aux débats pendant trois semaines, pour affirmer ensuite que le budget est inacceptable !
En définitive, vous nous présentez une mission Santé sans que nous puissions examiner d’amendements ni voter de mesures. Le Gouvernement ne retiendra rien de nos propositions dans le texte final. Cette mission est sacrifiée. Les crédits de la santé baissent de 1 milliard d’euros ; la cause en est, selon vous, la disparition du financement de l’investissement annoncé lors du Ségur, le programme étant prétendument achevé. Êtes‑vous certaine, madame la ministre, que tous les établissements ont reçu leur dotation ? Si oui, pour quel montant ? Combien de places d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont été construites ou rénovées ? Sans indication précise sur l’emploi de ces sommes, nous ne comprenons pas pourquoi les versements post-covid sont supprimés, ni pourquoi le budget baisse dans de telles proportions.
J’ajoute que les crédits prévus pour la prévention, la santé environnementale ainsi que la modernisation de l’offre de soins, dont vous targuez, baissent également.
Je reviendrai enfin sur l’unique sujet évoqué par notre collègue de l’extrême droite, gangrenée par des obsessions racistes et stigmatisantes, qui cherche, avec son laïus habituel, à faire encore pire en réduisant le budget dédié à l’AME. J’espère que vous ne céderez pas aux sirènes du Rassemblement National, car l’AME est bel est bien menacée – aberration sanitaire et économique qui touche à la santé des personnes, à la prévention, à la santé publique, mais aussi aux conditions de travail du personnel soignant. Que direz-vous, collègues du RN, aux infirmières et aux médecins qui devront accueillir des malades encore plus malades ? Que direz‑vous aux hôpitaux qui devront assumer des dépenses nouvelles, la solidarité nationale n’ayant pas joué en amont ? Que direz-vous aux proches des malades pris en charge trop tardivement, alors qu’un simple contrôle de routine aurait pu éviter que leur état ne se dégrade ? Nous avons des propositions plus justes, plus adaptées à l’air du temps ; malheureusement, votre mascarade nous empêchera de les examiner.
Mme Josiane Corneloup (DR). En dehors du programme 379, la mission Santé recouvre les crédits du budget de l’État destinés à l’élaboration et à la conduite de la politique globale de santé ; elle met l’accent sur la prévention, la sécurité sanitaire et l’organisation d’une offre de soins de qualité dans tous les territoires. Son budget baisse d’environ 40 %, ce qui s’explique en grande partie par l’amenuisement des crédits de paiement du canal budgétaire de reversement de fonds européens à la sécurité sociale que constitue le programme 379.
Les évolutions sont plus limitées pour les deux autres programmes structurants de la mission. L’AME de droit commun constitue 80 % des crédits du programme 183, à 1,319 milliard d’euros en 2025, en hausse de 9,15 % par rapport à la LFI 2024. Selon Véronique Louwagie, rapporteure spéciale de la commission des finances, que nous saluons pour la précision de son avis et la qualité de son analyse, l’AME de droit commun doit faire l’objet d’une réforme structurelle. Seule une maîtrise ferme de l’immigration illégale permettrait de la contenir à un niveau raisonnable pour la solidarité nationale – on ne peut pas demander aux Français des efforts sans que l’État rationalise ses dépenses. Nous estimons que l’AME devrait être limitée aux soins urgents et aux soins liés à la lutte contre les pandémies, à la grossesse et aux vaccinations obligatoires, afin d’aligner la situation française sur celle des autres pays européens. Notre régime d’AME constitue une exception en Europe, la plupart des pays voisins ne prenant en charge gratuitement, pour les étrangers en situation irrégulière, qu’un éventail de soins urgents liés à la maternité et aux mineurs ou une série de soins préventifs dans des programmes sanitaires publics. Les conditions d’éligibilité à l’AME ont été légèrement durcies par l’article 264 de la loi de finances pour 2020 afin d’éviter des détournements et de renforcer la lutte contre la fraude. Néanmoins ces dispositions ne compensent pas la progression continue du nombre d’étrangers en situation irrégulière éligibles à cette prestation, et ne parviennent pas à freiner l’augmentation tendancielle des dépenses de l’AME. Il est nécessaire de prévenir les risques de détournement du dispositif et de renforcer la lutte contre la fraude, tout en favorisant l’accès aux soins des plus vulnérables.
Les crédits de paiement du programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins baissent par rapport à la loi LFI 2024, passant de 267 à 229 millions d’euros – tendance à relativiser si l’on prend en considération les 20 millions d’annulations de crédits décidées début 2024.
En matière de prévention, je souhaite insister sur la nécessité de mener des campagnes de sensibilisation sur l’endométriose – de nombreuses femmes ignorent qu’elles en sont atteintes – et sur les cancers gynécologiques. Trop méconnus, ces derniers touchent 17 400 nouvelles patientes chaque année et sont souvent oubliés des stratégies de prévention et de dépistage, ce qui empêche les femmes de bénéficier d’une prise en charge rapide. Les cancers de l’ovaire et de l’endomètre, en particulier, sont peu dépistés et généralement détectés à un stade avancé.
Enfin, compte tenu du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques, le Gouvernement doit élaborer une stratégie de prévention globale et de long terme.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Permettez-moi tout d’abord d’exprimer notre profond désarroi face à cet examen kafkaïen des lois financières relatives à la santé et à la prévention. Nous dénonçons l’absurdité de cette séquence budgétaire où chacun se renvoie les sujets qui comptent, entre le PLFSS et le volet Santé du PLF. C’est ainsi qu’une fois de plus, nous ne pourrons pas aborder la santé mentale, grande cause dont nous ne voyons toujours pas la couleur : ni formation aux premiers secours en santé mentale, ni recrutement de psychologues dans les centres médico-psychologiques pour pallier les immenses carences du dispositif Mon soutien psy... Nous ne pourrons pas non plus, ni à l’occasion du PLF, ni à l’occasion du PLFSS, discuter sérieusement du congé pour fausse couche et de la prise en charge du test de détection de l’endométriose, qui épargnerait aux femmes des années d’errance médicale.
La seule avancée pour la santé des femmes actée l’an passé, le remboursement des protections menstruelles pour les moins de 25 ans, n’a toujours pas été appliquée, faute de décret.
L’effort budgétaire visant à renforcer les CPTS et les centres de santé pluriprofessionnels ne parvient pas à cacher la baisse inédite des crédits alloués aux programmes de prévention. Pourquoi avoir réduit de 20 % les crédits dédiés au développement de la démocratie sanitaire et à la recherche en santé publique ? Comment expliquer la baisse de 66 % des crédits alloués à l’anticipation des crises sanitaires ? Cette saignée de 38 millions d’euros ne fera que reproduire l’impréparation totale qui a présidé à la crise du covid-19. En tant que médecin, vous savez pourtant que, si le coronavirus était exceptionnel par ses dégâts, les pandémies seront de plus en plus fréquentes puisque la perturbation des écosystèmes accroît la transmission des virus.
L’amputation de 30 millions d’euros des crédits dédiés à la prévention des risques liés à l’environnement témoigne du manque de considération du Gouvernement pour la santé environnementale. La pollution de l’air à elle seule est responsable d’environ 48 000 décès prématurés chaque année, et les pesticides provoquent 20 000 cancers annuels. La chlordécone, pourtant interdite depuis plus de trente ans, continue d’empoisonner la population dans les Antilles. Nous apprenions il y a quelques jours l’existence d’un risque de contamination généralisée au mercure dans les boîtes de thon. Comment répondre à ces enjeux cruciaux, alors que les crédits baissent de façon incompréhensible ? Sans une politique de santé environnementale ambitieuse, qui prévienne avant de guérir, nous n’y arriverons pas.
Prévenir avant de guérir, c’est également l’adage que doit suivre l’AME. L’Espagne a abrogé les restrictions d’accès aux soins pour les étrangers qu’elle avait un temps décidées, et qui ont eu des conséquences humaines et sanitaires catastrophiques. Nous ne devons pas céder aux vindictes xénophobes du Rassemblement National. Quand la digue de l’humanité s’affaisse, quand les chantres de la haine – celle-là même qui a mené à l’élection de Donald Trump – appellent à restreindre un dispositif qui ne prend même pas en charge les frais de traitement des handicapés en situation irrégulière, nous devons résister. Le groupe Écologiste et Social sera force de proposition pour apporter des réponses financières aux besoins du pays, alors que le budget qui nous est soumis est incapable de protéger la population.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je souhaite vous interroger tout particulièrement sur le programme 204 touchant à la prévention et à l’AME. Comme vous, le groupe Les Démocrates défend une approche populationnelle de la santé, ciblée vers ceux qui en ont le plus besoin. Cette stratégie de prévention repose sur plusieurs piliers : un portage politique fort et interministériel, un budget propre et ambitieux, des priorités et des objectifs identifiés, des acteurs nationaux et locaux chargés de déployer les orientations.
Le « jaune » budgétaire relatif à la prévention en santé est riche d’enseignements. Au-delà des questions budgétaires, il insiste sur la nécessité de mieux coordonner des acteurs et des dispositifs foisonnants. La politique de prévention est ainsi soutenue par le fonds d’intervention régional, à la main des ARS, doté de 571 millions d’euros, tandis que 905 millions sont alloués à la promotion de la santé dans son ensemble. Elle passe aussi par d’autres fonds gérés par l’assurance maladie, comme le fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaire, pour 470 millions. S’y ajoutent des financements par le biais de la Mutualité sociale agricole pour plusieurs dizaines de millions d’euros, des fonds destinés à la lutte contre les addictions pour 130 millions, le fonds pour l’innovation du système de santé pour 125 millions, ou encore les fonds liés aux accidents du travail et aux maladies professionnelles pour plusieurs centaines de millions. Quelle politique entendez‑vous mener pour coordonner l’ensemble de ces acteurs, qui ont tendance à intervenir en silos ? Une politique interministérielle s’impose.
Notre groupe est par ailleurs attaché à l’AME, qui prend en charge les frais de santé des personnes démunies en situation irrégulière ne pouvant accéder à la protection universelle maladie. Ce programme peut toutefois être amélioré. Dans le cadre de la migration légale, l’Office français de l’immigration et de l’intégration impose une visite médicale aux primo‑arrivants. Outre un examen clinique général, elle est l’occasion de vérifier les vaccinations, dans un objectif de prévention et de dépistage. Pourquoi ne pas proposer un dispositif similaire aux étrangers en situation irrégulière lors de leur demande d’asile ? À l’issue de la consultation, un certificat médical leur serait remis et figurerait dans leur dossier. Seriez-vous prête à soutenir une telle mesure de santé publique ?
L’audition est suspendue de dix-sept heures vingt-cinq à dix-sept heures quarante.
M. Laurent Panifous (LIOT). Le champ de la mission Santé est assez restreint, et traduit la stratégie nationale de santé 2023-2033. L’absence de publication officielle de cette dernière nous interroge, d’autant que les chiffres inscrits dans le bleu budgétaire sont imprécis et permettent difficilement de suivre l’évolution réelle des crédits. La plupart diminuent en 2025, alors que les enjeux sanitaires sont de plus en plus prégnants. Les crédits de l’action Veille et sécurité sanitaire reculent de 65 %, sans que nous puissions connaître en détail la nature de cette baisse. Nous aimerions obtenir davantage de précisions, d’autant que vous dites vouloir renforcer la préparation et la réponse aux crises sanitaires.
La précédente stratégie nationale de santé nous livre deux enseignements : d’une part, la prévention des maladies chroniques est insuffisante alors que la population vieillit ; d’autre part, de très fortes inégalités sanitaires, aussi bien sociales que territoriales, persistent. Pourtant, les crédits consacrés aux actions Santé des populations et Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades diminuent. De telles évolutions suscitent des interrogations, sachant que les infections sexuellement transmissibles – notamment au VIH – progressent, que le Gouvernement dit vouloir faire de la santé mentale une priorité, ou encore que la prévention et la prise en charge des pathologies gynécologiques comme l’endométriose accusent des retards – et ce ne sont là que quelques exemples. Je pourrais aussi citer le danger que représentent les risques environnementaux, la récurrence des maladies vectorielles et la pollution – je pense notamment au chlordécone aux Antilles ou aux polluants éternels, qui doivent être pris très au sérieux. Dans ce contexte, il est indispensable de préserver les moyens de l’Anses ; le récent scandale des eaux minérales Nestlé ne peut qu’y encourager.
La future stratégie nationale affirme vouloir assurer un égal accès aux soins pour chacun en rendant les soins financièrement plus accessibles à tous. Mais comment cela pourrait-il être le cas, alors que les franchises médicales et le ticket modérateur augmentent ?
Concernant l’AME, qui concentre l’essentiel des crédits, on ne peut que déplorer que chaque année, l’examen de cette mission soit prétexte à un débat nourri de fantasmes et de stéréotypes. Oui, ces crédits augmentent ; c’est l’effet d’une hausse du nombre de bénéficiaires, et notre volonté d’apporter des soins à ceux qui en ont besoin ne doit pas faillir. Aucun rapport ne démontre l’existence d’un tourisme médical. La dernière réforme a déjà fortement limité l’accès à l’AME en introduisant notamment un délai de carence. Les contrôles font état d’une infime part de dossiers rejetés, preuve d’une absence de fraude. En revanche, le non-recours existe bien et bien, ce qui va au détriment de la santé de tous. Par conséquent, je m’inquiète de la décision du ministre du budget et des comptes publics de déposer un amendement visant à geler ces crédits, ainsi que des propos du Premier ministre indiquant que l’AME ne doit pas être détournée de son but, c’est‑à‑dire être un outil de santé publique. Or c’est déjà le cas. Doit-on s’attendre à une nouvelle réforme de l’AME ? Je sais votre volonté de la préserver, madame la ministre, mais pouvez-vous nous assurer de l’engagement du Gouvernement dans son ensemble ?
M. François Gernigon (HOR). La mission Santé finance, d’une part, le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins et le programme 183 Protection maladie. Pour l’année 2025, les autorisations d’engagement de cette mission s’inscrivent en baisse de près de 40 % à quelque 1,6 milliard d’euros, ce repli étant essentiellement dû à l’extinction progressive du programme 379, lié à la crise sanitaire du covid‑19.
Le programme 204 finance les politiques de prévention nationale, notamment les agences de santé ou les campagnes de communication destinées au grand public. Il s’inscrit dans la politique globale de prévention voulue par le Gouvernement, qui s’est élargie à de nouvelles mesures prises dans la loi de finances pour 2024, telles que le déploiement des rendez-vous de prévention aux âges clefs de la vie ou l’amplification de la politique de vaccination. Ce programme est en baisse, mais je me réjouis que, lors de nos débats sur le PLFSS, la représentation nationale ait émis des propositions nombreuses et sérieuses afin de renforcer ces politiques. Nous pouvons en effet tous nous accorder sur le fait qu’il reste beaucoup à faire dans le domaine essentiel de la prévention. Mon groupe estime que cette baisse de crédits, bien que nécessaire à court terme, doit s’accompagner d’une réflexion plus globale sur des réformes structurelles capables de garantir la viabilité à long terme de notre système de sécurité sociale. Dans cette perspective, la prévention doit être considérée comme un investissement à long terme pour la santé de nos concitoyens et le contrôle des dépenses d’assurance maladie.
Le programme 183 finance l’AME, dispositif créé pour prendre en charge les soins de santé des étrangers en situation irrégulière, afin de garantir un accès aux soins essentiels pour cette population dans le respect des engagements humanitaires de la France. Pour ses bénéficiaires, l’AME couvre les soins d’urgence, les consultations et traitements liés à des maladies chroniques, et, dans certains cas, des interventions médicales spécialisées. Elle inclut également des volets de prévention, ce qui la distingue d’une simple aide d’urgence. Cette couverture doit poursuivre un objectif essentiel de salubrité publique, puisqu’elle a pour but d’éviter que des pathologies transmissibles ne se propagent par manque de prise en charge.
Il était prévu d’augmenter de 8 % les crédits alloués à l’AME. Cette hausse correspondait-elle, à droits constants, à une augmentation du nombre de bénéficiaires ? Dans ce cas, comment son annulation, annoncée par le ministre du budget et des comptes publics, sera-t-elle mise en œuvre ? Ces derniers temps, il a été beaucoup question de recentrer ce dispositif sur les soins d’urgence, voire de le supprimer purement et simplement. Le Gouvernement envisage-t-il une réforme qui saurait préserver l’impératif de salubrité publique, en assurant notamment que les risques sanitaires liés à une réduction de la prise en charge seront correctement évalués et prévenus ? Un éclairage de votre part sur la compatibilité entre une éventuelle refonte de l’AME et la préservation de cet impératif de santé publique serait particulièrement précieux pour guider notre réflexion.
M. Yannick Monnet (GDR). L’Assemblée nationale venant de rejeter la partie « Recettes » du budget pour 2025, je suis un peu surpris que nous poursuivions des travaux dont l’utilité m’apparaît douteuse...
M. le président Frédéric Valletoux. Vous pouvez renoncer à vous exprimer...
M. Yannick Monnet (GDR). Non, je vais me prêter au jeu parce que j’ai toujours quelque chose à dire... mais j’aime bien faire des choses qui me paraissent utiles.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous allons achever l’audition en cours et procéder également à l’audition des ministres qui était prévue ce soir sur la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, car l’examen du budget n’est pas terminé : le texte part au Sénat mais il reviendra devant notre assemblée.
M. Yannick Monnet (GDR). Si nos débats sont entendus et pris en compte, pourquoi pas ?
Quoi qu’il en soit, j’ai deux motifs de satisfaction : l’adoption de plusieurs amendements en commission des finances ; le maintien de l’AME.
La commission des finances avait ainsi décidé d’accorder une dotation de 100 millions d’euros pour l’Établissement français du sang, une compensation de l’inflation pour les Ehpad à hauteur de 650 millions, une prise en charge spécifique des femmes victimes de violences pour 20 millions, ou encore une dotation supplémentaire de 20 millions d’euros pour assurer un égal accès aux soins. L’adoption de ces amendements montre que de gros besoins ne sont pas couverts par cette mission budgétaire.
Quant au maintien de l’AME, j’espère qu’il survivra jusqu’à la fin des discussions budgétaires. L’AME est un sujet de santé publique et non pas un sujet d’immigration. Pour les finances publiques, le maintien de cette aide coûte moins cher que sa suppression. La façon qu’ont certains d’instrumentaliser le sujet est vraiment terrible.
Mais je voulais surtout intervenir sur la prévention, dont vous avez fait une priorité, en renchérissant sur les critiques déjà émises par les précédents orateurs. Non seulement les crédits sont éparpillés, mais les budgets de toutes les actions concernées sont en baisse. Au‑delà de la question des moyens, il faut admettre un déficit de la politique de prévention. Dans un rapport publié en décembre 2021, la Cour des comptes jugeait les résultats de la France globalement médiocres dans ce domaine. Quant à l’Organisation européenne du cancer, elle estime que notre pays a pris du retard en matière de détection, l’écart le plus important étant constaté pour le cancer du sein dont le taux de dépistage est de 46,9 % en France, contre 54 % à l’échelle européenne. Or les oncologues sont les premiers à souligner l’importance des campagnes de prévention.
Puisque vous faites de la prévention une priorité, quelle proposition formulez‑vous pour qu’une réelle politique publique soit enfin lancée ? Doit-elle intégrer les lois de financement de la sécurité sociale ? Que devrait être le rôle des mutuelles en la matière ? Comment une politique de prévention peut-elle se mettre en place dès lors que les gouvernements successifs ont réduit à peau de chagrin la médecine scolaire et la médecine du travail, qui sont pourtant des relais essentiels de la prévention aux différents âges de la vie ?
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Thibault Bazin (DR). L’AME représente 80 % des crédits de la mission Santé, soit 1,3 milliard d’euros pour 2025, ce qui correspond à un accroissement de 9 % par rapport à la LFI 2024. L’article 264 de la loi de finances pour 2020 avait introduit des conditions d’éligibilité à l’AME afin de lutter contre la fraude, mais force est de constater que ces mesures ne parviennent pas à pondérer l’effet de la progression continue du nombre d’étrangers en situation irrégulière éligibles à cette prestation. Le nombre de bénéficiaires de l’AME a augmenté de 8 % en un an pour atteindre près de 480 000 en 2024. Puisque les deux facteurs sont corrélés, si nous luttons mieux contre l’immigration illégale, nous diminuerons d’autant les dépenses de l’AME.
Il faut aussi réformer le périmètre de prise en charge pour le rapprocher de celui dont tous les Français peuvent bénéficier, en se concentrant sur les soins urgents. Avec mon collègue Philippe Juvin, j’ai proposé un amendement qui permettrait de s’atteler au problème : les frais ne seraient plus pris en charge lorsqu’ils correspondent à des prestations liées à des pathologies non sévères, quand elles ne concernent pas des traumatismes, fractures, brûlures, infections, hémorragies, tumeurs suspectées ou avérées. Comment peut-on accepter que des interventions pour oreilles décollées soient prises en charge pour les étrangers en situation irrégulière ? Madame la ministre, comment comptez-vous faire pour que l’AME se concentre sur les soins urgents ?
M. Fabien Di Filippo (DR). Mon intervention va compléter celle de mon collègue Thibault Bazin. En réponse à l’une de mes questions sur le budget de l’AME, le Gouvernement s’était engagé à faire en sorte que ces crédits n’augmentent pas, voire qu’ils diminuent pour l’exercice budgétaire à venir. Madame la ministre, nous avons d’ailleurs eu un échange au sujet de ces prestations qui ne relèvent pas du soin urgent, telles que les gastroplasties ou le recollement des oreilles, évoqué par mon collègue. Vous étiez sceptique, alors que ces interventions figurent dans des listes sur le site de la sécurité sociale, voire dans des documents du ministère. Vous m’aviez alors dit que vous alliez vous informer sur le nombre d’interventions de ce type financées par l’AME. Qu’en est-il ? Si aucune intervention n’a été effectuée, alors il est possible de sortir ces indications de la liste. S’il y en a, nous devons remette en question notre politique de solidarité.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je ne vais pas parler d’AME car je veux vous interroger, madame la ministre, sur un vrai sujet : l’accès à la protection vaccinale contre le papillomavirus humain (HPV), une infection sexuellement transmissible qui cause chaque année près de 30 000 lésions précancéreuses, ce qui conduit à 7 000 à 8 000 cancers effectifs. À une large majorité, l’Assemblée nationale avait décidé de développer des équipes mobiles dans les collèges, afin de vacciner gratuitement les élèves des deux sexes. Au nombre des obstacles à lever, vous avez évoqué les croyances personnelles des personnes qui s’inscriraient en rupture par rapport aux pratiques vaccinales. Pour ma part, je pense que les infirmières scolaires sont trop peu nombreuses – une pour 1 600 élèves – pour être en mesure de faire de la prévention et encore moins de vacciner. Je pense aussi à un manque de pédagogie sanitaire mettant en lumière le lien entre HPV et cancer, au fait que l’on superpose une campagne de vaccination et un dépistage par frottis, ce qui rend peu évidente la distinction entre les deux. N’oublions pas non plus le rôle des inégalités sociales de santé : le cancer du col de l’utérus est particulièrement corrélé au niveau de diplôme et de revenu. En résumé, les institutions ne sont pas adaptées à la protection vaccinale, ce qui relativise le rôle des croyances personnelles.
M. Jérôme Guedj (SOC). Vous me permettrez de squatter le débat pour revenir sur le budget de la sécurité sociale, dont nous n’avons pas pu aller au bout de l’examen, à un moment où Laurent Saint-Martin promet de reprendre des amendements sur la partie « Recettes » du budget de l’État. Lors des débats sur le PLFSS, 213 amendements ont été adoptés, certains relatifs à des questions auxquelles vous êtes sensible, notamment dans le domaine de la prévention. Très peu d’entre eux ont été retenus dans le texte transmis au Sénat. Vous aviez pourtant manifesté beaucoup d’enthousiasme pour la taxe sur les sodas – l’un des rares amendements à avoir été retenu et pour lequel vous aviez demandé une seconde délibération –, mais aussi pour d’autres mesures concernant notamment le nutri‑score et le sucre ajouté, que l’on ne retrouve pas dans le texte transmis au Sénat. C’est dommage.
Mme la ministre. Vos interventions tournent autour de trois grands thèmes : la prévention, l’AME et les moyens d’investissement.
Quant à vous, madame la rapporteure pour avis, vous m’avez interrogée sur la situation de Mayotte, où tout repose sur un établissement hospitalier en raison du manque de médecins, qui sont difficiles à fidéliser, et de centres médicaux où les gens ne se rendent d’ailleurs pas facilement. Je peux vous informer que j’ai signé une lettre de couverture visant à renouveler l’IPE. Il nous faut désormais travailler sur la rémunération des praticiens, afin de la rendre suffisamment attractive pour qu’ils restent plus longtemps sur le territoire, et aussi sur leur formation. Le recours aux Padhue doit être encore plus facilité en outre-mer que dans l’Hexagone, et Mayotte va bénéficier en partie de l’ouverture de quatre-vingts postes par les ARS. L’intervention de la réserve sanitaire n’est pas une solution satisfaisante, mais l’expression d’une solidarité nationale qui doit continuer à s’affirmer le temps que nous trouvions les moyens de créer une situation plus pérenne pour les professionnels de santé dans ce département.
S’agissant du programme 204, il faut souligner que ces crédits s’imbriquent avec ceux du PLFSS. Notons que les enveloppes budgétaires sont maintenues au même niveau que l’an passé pour l’Inca, l’Anses et les nombreuses associations qui luttent contre les addictions au tabac, à alcool et autres. La diminution du budget est due pour l’essentiel aux stocks européens RescEU, constitués en cas de crise sanitaire et payés en partie par l’Union européenne : l’enveloppe correspond aux besoins, mais elle est moins importante que l’an dernier. L’agence de santé du territoire des îles Wallis et Futuna bénéficie d’une hausse de 4 millions d’euros de ses crédits de fonctionnement ainsi que de ses crédits d’investissement. Aucun de nos acteurs majeurs en prévention ne souffre donc d’une perte de moyens.
Faut-il améliorer la visibilité et les politiques de prévention ? Oui, en effet. Ces politiques sont éparpillées par nature puisqu’elles relèvent de divers ministères : l’éducation nationale, le travail, l’environnement, l’agriculture. Les financements viennent majoritairement du programme 204 de cette mission, mais certains émanent du PLFSS par le biais de la Caisse nationale de l’assurance maladie, des mutuelles, du tissu associatif. Nous devons dépasser cette complexité et parvenir à structurer cette politique, je suis entièrement d’accord avec vous tous sur ce point. Peut-être faut-il aussi envisager une évolution de son financement ? Je vais lancer une mission et demander l’aide de parlementaires pour réfléchir à tout cela. La création d’agences n’a pas le vent en poupe, mais il faudra se placer à l’échelle interministérielle pour plus de visibilité, moins de redondances, plus de rationalité et d’efficacité. Selon les évaluations, la prévention reçoit environ 5,5 milliards d’euros de divers canaux, ministères et collectivités territoriales.
Sur l’AME, je tiens à éviter toutes les caricatures. Femme de bon sens, pragmatique, je regarde les chiffres et lis les rapports écrits par des personnes aux opinions diverses – tel celui, fort intéressant, de MM. Claude Évin et Patrick Stefanini, que j’ai rencontrés. L’AME est un problème de santé publique. Les médicaments représentant la charge financière la plus élevée au titre de l’AME sont des traitements antiviraux contre le VIH : il ne s’agit pas d’une thérapeutique d’urgence, mais d’une urgence sanitaire. Si nous ne soignons pas ces personnes, qui ont souvent été infectées en France, nous devrons affronter un vrai problème de santé publique dû au risque de transmission de maladies dangereuses.
L’exemple des oreilles décollées est caricatural : l’objectif de l’intervention, dont le coût était de 10 000 euros en 2023, n’était pas esthétique mais anti‑infectieux ; quant à l’anneau gastrique, dont j’ignore l’indication médicale, l’intervention a coûté 4 000 euros. Mettre en avant ces deux exemples n’a d’autre but que de dire, de manière malhonnête, que la population française serait privée de soins offerts aux étrangers. Il faut adopter une approche responsable, fondée sur le souci de la santé publique : dans cette optique, l’AME doit rester ce qu’elle est.
Le ministre de l’intérieur a convenu avec moi que l’AME était bien un sujet de santé publique : nous allons travailler ensemble pour améliorer le dispositif et en gommer les aspects injustes, comme le propose le rapport de MM. Stefanini et Évin.
Le contrôle de la fraude s’effectue a priori sur les dossiers d’inscription : 2 % des dossiers examinés ne se sont pas révélés conformes à la législation. Des contrôles a posteriori sont également effectués sur les dépenses : là encore, les fraudes sont très marginales. L’AME donne accès à la médecine de ville pour les immigrés en situation irrégulière ayant des revenus inférieurs à 847 euros par mois : la dispense de ces soins détourne cette population de l’hôpital et allège le coût de leur prise en charge. Une aide médicale urgente coûterait beaucoup plus cher, car les patients seraient pris en charge plus tardivement ; elle augmenterait en outre le risque sanitaire encouru par la population française. Ma position est à la fois rationnelle et humaine.
En matière de médecine nucléaire, notre objectif est d’assurer la qualité et la sécurité du parcours des patients. Le nombre de professionnels formés doit être suffisant ; celui de médecins nucléaires a d’ailleurs augmenté de 32 % entre 2012 et 2023 : vous pouvez juger que leurs effectifs étaient si faibles que ceux-ci restent déficitaires, voilà pourquoi nous devons maintenir notre effort. Nous devons ouvrir une réflexion sur la pratique avancée, notamment pour les manipulateurs en électroradiologie médicale, catégorie où des besoins existent. Le Ségur de la santé revalorisera leur rémunération ainsi que celle des praticiens des services de médecine nucléaire des établissements de santé.
Je vous remercie, monsieur Lauzzana, pour votre engagement en faveur de l’interdiction, à visée préventive, des produits de vapotage de type « puff ».
La lutte contre l’endométriose entre dans la politique de prévention : la Haute Autorité de santé vient d’autoriser un nouveau test salivaire de détection.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Il coûte 1 000 euros !
Mme la ministre. Oui, il est très cher, mais si son utilisation se répand, son prix baissera.
Je souhaite agir globalement pour la santé des femmes, en commençant par celle des adolescentes. La prise en compte des risques liés à la sexualité comme le VIH est essentielle. Nous devons également porter notre attention sur la périnatalité et mieux accompagner, notamment sur le plan mental, les femmes qui viennent d’accoucher. Les sujets sont nombreux : je pense notamment aux ovaires polykystiques ou à la ménopause, sur laquelle j’ai confié une mission à Stéphanie Rist. Le financement des serviettes périodiques est inscrit au PLFSS et non au PLF. Je vais signer, sur ce sujet comme sur les autres, tous les décrets en attente.
Dans le PLF 2025, les crédits de l’AME croissent de 8 % ou 9 % : traduisant le travail préparatoire réalisé avant la dissolution de l’Assemblée nationale, cette augmentation correspond à l’estimation de la hausse des besoins. La lutte contre la fraude et contre le recours à des soins inadaptés est essentielle. Le travail sur l’évolution des droits de l’AME permettra de tenir en 2025 l’enveloppe de cette année. Le ministre du budget et des comptes publics a évoqué le dépôt d’un amendement allant en ce sens.
Il n’est pas toujours aisé de comprendre l’articulation entre les crédits de la mission Santé du PLF et le PLFSS. Les dépenses d’investissement, issues d’un financement européen, se trouvent dans le programme 379 Reversement à la sécurité sociale des recettes de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) européenne au titre du volet « Ségur investissement » du plan national de relance et de résilience (PNRR). Leur montant de 6 milliards d’euros est identique aux prévisions, preuve que l’Union européenne n’a pas réduit son soutien. Dans le PLFSS figure le déploiement des crédits de financement des investissements. Nous devrons reporter certaines dépenses car certains projets ne sont pas prêts : les capacités de déploiement des investissements annoncés se révèlent en effet variables. Il conviendrait de privilégier une approche pluriannuelle, fondée sur la définition de priorités. Les services du ministère et mon cabinet travaillent actuellement à faire émerger une vision précise des investissements à venir.
M. le président Frédéric Valletoux. Le rejet par notre assemblée de la première partie du PLF nous empêchera d’examiner demain matin les amendements à la mission Santé. Nous auditionnerons ce soir les quatre ministres concernés par les crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances : ainsi, après avoir reçu la ministre du travail et de l’emploi la semaine dernière, nous aurons entendu le Gouvernement sur l’ensemble des missions relatives au périmètre de notre commission. Ces auditions sont utiles car le PLF reviendra à l’Assemblée après son passage au Sénat.
Mme la rapporteure pour avis. Je vous invite, mes chers collègues, à lire mon rapport, centré sur Mayotte. Madame la ministre, la situation sur place est catastrophique et la perfusion de la réserve sanitaire a atteint ses limites. J’ai formulé quelques recommandations dont j’aimerais discuter avec vous.
Mme la ministre. Je suis à votre disposition et à celle de l’ensemble des députés de la commission pour évoquer tout sujet qui vous paraîtrait important. S’agissant de Mayotte, je suis preneuse de toute piste d’amélioration.
La réunion s’achève à dix-huit heures vingt.
Présents. – Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Hadrien Clouet, Mme Josiane Corneloup, M. Arthur Delaporte, Mme Sophie Delorme, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Olivier Fayssat, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jérôme Guedj, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, M. René Lioret, Mme Christine Loir, Mme Hanane Mansouri, M. Pierre Marle, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, M. Jean-François Rousset, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal
Excusés. – Mme Béatrice Bellay, M. Elie Califer, Mme Karine Lebon, M. Yannick Neuder, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon
Assistait également à la réunion. – M. Belkhir Belhaddad