Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition de M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport relatif à l’accueil et au traitement des urgences à l’hôpital, communiqué à la commission des affaires sociales en application des dispositions de l’article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières              2

 Informations relatives à la commission......................16

– Présences en réunion.................................17

 

 

 

 

 


Mardi
19 novembre 2024

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 24

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président

 


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La réunion commence à seize heures trente.

(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)

 

La commission auditionne M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport relatif à l’accueil et au traitement des urgences à l’hôpital, communiqué à la commission des affaires sociales en application des dispositions de l’article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières.

M. le président Frédéric Valletoux. La commission des affaires sociales choisit chaque année un thème sur lequel la Cour des comptes est appelée à remettre les conclusions d’une enquête en application des dispositions de l’article L.O. 132-3 du code des juridictions financières. Je signale également que le bureau de notre commission se réunira le mercredi 11 décembre pour choisir le prochain thème qui sera soumis à la Cour des comptes.

Le 5 décembre 2023, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, alors présidente de la commission des affaires sociales, avait demandé à la Cour des comptes de nous communiquer les conclusions d’une enquête sur les urgences hospitalières, et je remercie M. Bernard Lejeune de venir nous les présenter.

M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Ce rapport a été construit par la sixième chambre de la Cour des comptes avec le concours de onze chambres régionales des comptes. Quarante structures hospitalières d’urgences ont été auditées, ce qui représente un panel important. Aussi, nous pouvons estimer que notre travail est particulièrement représentatif. Il a été mené par une équipe dont je remercie les membres, M. Yves Colcombet, rapporteur général, M. Christophe Gautier et Mme Alice Bonnet, rapporteurs généraux adjoints, et M. Sundar Ramanadane, administrateur territorial détaché en qualité de conseiller référendaire en service extraordinaire à la sixième chambre de la Cour des comptes.

Il n’est pas inutile de rappeler la définition exacte du service des urgences hospitalières, qui correspond à la prise en charge de tous les patients nécessitant des soins urgents, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Cette prise en charge ne doit pas excéder 24 heures, avant une hospitalisation ou un retour à domicile ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Les urgences recouvrent trois fonctions. La première est le recueil des appels et l’orientation des patients à travers deux dispositifs, le Samu-Centre 15, avec cent centres sur le territoire, soit un par département, et les services d’accès aux soins (SAS), progressivement mis en place afin de soutenir le Samu, qui reçoit, je le rappelle, près de 30 millions d’appels chaque année. La deuxième fonction des urgences est l’intervention sur place, avec les 388 structures mobiles d’urgence et de réanimation (Smur), qui réalisent plus de 700 000 sorties chaque année. Enfin, la troisième fonction, qui seule a fait l’objet de notre enquête et qui correspond à l’acception courante du terme « urgences », est l’accueil et le traitement des urgences en établissement hospitalier, à travers 694 structures en France.

Pourquoi les urgences sont-elles en difficulté ? Nous avons identifié cinq éléments, que nous avons déclinés dans les trois parties de notre rapport. Premièrement, la pénurie de médecins de ville fait des urgences une solution de repli. Deuxièmement, le vieillissement de la population aggrave le premier phénomène. Troisièmement, les ressources humaines au sein des urgences sont insuffisantes. Quatrièmement, les solutions manquent à la sortie des urgences, notamment en termes de lits d’hospitalisation. Cinquièmement, le pilotage du dispositif fait apparaître des défaillances. Les tensions que connaissent les urgences représentent un phénomène durable, pour lequel il n’existe pas de solution miracle. Et si nous formulons des recommandations visant à optimiser le dispositif, les problèmes de ressources humaines ou de vieillissement de la population s’inscrivent dans la durée.

Le recours aux urgences est massif et en augmentation continue, nonobstant le creux qu’a constitué la crise sanitaire du covid-19. En 2022, 21 millions de passages aux urgences ont été enregistrés, ce qui signifie que 14 millions de personnes sont passées au moins une fois aux urgences, soit 20 % de la population. Par ailleurs, 2 % de la population se rend au moins trois fois dans l’année aux urgences, ce qui représente 28 % des admissions et pèse fortement sur les services. Cette proportion s’explique par l’âge, par le manque de médecins de ville et par des situations sociales difficiles. En outre, certains patients fragiles, âgés, polypathologiques, ne disposent pas toujours, voire pas du tout de solutions de sortie. Ce public constitue un fil rouge dans notre étude.

On entend parfois que les Français abusent des passages aux urgences, puisque 70 % des admissions ne revêtent pas un caractère réellement urgent, et que les situations auraient pu être résolues par d’autres dispositifs que les urgences hospitalières. Mais il convient de mettre en regard cette situation avec la faiblesse des soins de ville, notamment pour les personnes âgées. Aussi, il serait inexact de penser que 20 % de la population se rend aux urgences par commodité. C’est bien davantage la difficulté à trouver des médecins traitants ou des médecins de ville qui explique la sursollicitation des urgences.

Cette affluence massive aux urgences n’est pas sans conséquences. Les durées de passage s’allongent, avec parfois l’impossibilité de trouver une solution avant la nuit. Pour les personnes de plus de 75 ans contraintes de passer la nuit aux urgences, le risque de mortalité augmente de 40 %. On observe également une hausse des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS), estimés entre 150 et 200 cas chaque année, dont certains auraient pu être évités dans des conditions moins tendues.

Enfin, la combinaison de l’afflux de patients et du manque de ressources humaines conduit à des fermetures temporaires, subies, qui obligent à rediriger les patients vers d’autres services, ou bien à des restrictions d’accès aux urgences, qui constituent une réponse organisée, impliquant une régulation via le 15 pour réorienter les cas les moins graves. Cette dernière mesure a permis de réduire de 15 à 30 % les passages aux urgences, principalement pour les situations les moins urgentes.

Il apparaît nécessaire de soutenir les urgences par une offre de soins non programmés plus étoffée, compte tenu de la diminution du nombre de médecins de ville. La permanence des soins ambulatoires (PDSA), anciennement appelée gardes de médecins, n’est plus obligatoire depuis 2003 et repose désormais sur le volontariat. Environ 40 % des médecins y participent, ce qui contribue à désengorger les urgences. Cependant, des disparités territoriales subsistent, les zones rurales sollicitant davantage les praticiens pour assurer ces gardes. Des mesures incitatives et la création de maisons médicales de garde ont permis d’améliorer ce dispositif qui, s’il a montré son efficacité, pâtit d’un manque de coordination avec les SAS.

Les centres de soins non programmés (CSNP) forment un dispositif en plein essor, et sont actuellement au nombre de 300. Ces structures privées libérales se développent de manière autonome, mais leur absence de régulation pose deux problèmes majeurs : d’une part elles représentent une potentielle concurrence avec les dispositifs existants, d’autre part elles recrutent des médecins urgentistes au détriment des services d’urgences.

Face à ces constats, nous formulons quatre recommandations : améliorer l’évaluation des EIGS ; renforcer la coordination entre les équipes de médecins intervenant dans la PDSA et le SAS ; établir un régime spécifique d’autorisation pour les CSNP afin d’assurer leur cohérence avec les dispositifs existants ; développer des connexions directes entre la médecine de ville, les Ehpad et les services hospitaliers pour éviter le passage aux urgences des personnes âgées, souvent préjudiciable à leur santé.

Concernant la situation interne des services d’urgences, le manque de médecins urgentistes demeure problématique. Malgré la création de nombreux postes, 20 % d’entre eux sont restés vacants. Et si une augmentation de 7 % des effectifs réels entre 2018 et 2021 témoigne d’une évolution positive, la pression sur les urgences s’est intensifiée en raison des besoins croissants, de l’évolution démographique et des nouvelles pratiques de travail. Cette vacance des postes s’explique par une crise d’attractivité liée à la pénibilité des conditions d’exercice de la médecine d’urgence. Si la problématique de recrutement est moindre concernant le personnel paramédical, le turnover y demeure élevé.

Face à cette pénurie, nous ne disposons pas de solution miracle. L’augmentation du nombre de médecins en formation requiert du temps. En attendant, nous préconisons la mutualisation des ressources entre les hôpitaux d’un même territoire, afin de constituer des équipes territoriales et d’optimiser le temps médical.

Au niveau de l’organisation des structures des urgences, une amélioration de la situation bâtimentaire est à noter. Les investissements ont permis de meilleures conditions de travail et un meilleur accueil des patients, bien que des efforts restent nécessaires. De même, l’organisation du circuit des patients s’est affinée, distinguant plus précisément et plus rationnellement entre les parcours courts et longs selon la gravité des cas.

Le problème majeur réside dans les sorties des urgences, notamment les hospitalisations, et la difficulté à trouver des lits d’aval, puisque des lits ferment par manque de personnel. À cet égard, il convient d’optimiser l’ordonnancement des lits, c’est-à-dire la priorisation de l’attribution des places disponibles, tant au niveau de l’hôpital qu’au niveau d’un territoire.

Sur la question particulière des personnes âgées, et j’insiste sur cette population parce qu’elle est au cœur des problématiques des urgences, nous avons constaté que les patients sont régulièrement placés en unité d’hospitalisation de courte durée, faute de solution adaptée. Cela traduit le manque d’un service dédié à la prise en charge des patients âgés à la sortie des urgences.

Nous formulons trois recommandations relatives à l’organisation des structures d’urgences : établir précisément les besoins de médecins à moyen terme ; généraliser les équipes territoriales afin d’optimiser l’utilisation des ressources ; poursuivre l’enquête nationale sur la gestion des lits en aval des urgences, qui s’avère nécessaire pour vérifier la performance de la fonction d’ordonnancement des lits et améliorer l’allocation des moyens hospitaliers.

Enfin, en matière de pilotage, nous considérons que la réforme du financement des urgences constitue un point positif. Nous sommes passés d’un système basé sur la tarification à l’activité à un modèle qui nous semble plus pertinent, articulé autour de trois dimensions : une composante populationnelle couvrant les charges fixes, une dotation à l’activité prenant en compte la complexité des actes, et une part de 2 % liée à la qualité des soins. Cependant, cette dernière dimension demeure insuffisamment prise en compte et ses indicateurs mériteraient d’être affinés afin de mieux refléter la qualité des soins prodigués aux patients.

Par ailleurs, nous constatons des lacunes importantes dans la collecte et l’exploitation des données relatives aux urgences. Les outils informatiques et les bases de données s’avèrent fragiles, incohérents et non interconnectés. Certaines informations, comme celles concernant les ressources humaines, sont particulièrement mal renseignées. En outre, la fiabilité des données et leur cohérence s’avèrent parfois douteuses, notamment les données relatives au niveau de gravité des cas, qui varient selon qu’elles sont déclarées dans les résumés de passage aux urgences (RPU) ou lors de la facturation. L’absence de continuité des données entre les différents dispositifs, du Samu à la prise en charge aux urgences, engendre des ressaisies et des incohérences. Cette situation complique considérablement le pilotage du dispositif et représente une charge de travail supplémentaire pour le personnel.

À l’égard des sujets de pilotage, nous formulons quatre recommandations : achever la nouvelle version du RPU en la corrélant au programme de médicalisation des systèmes d’information ; interfacer les données des RPU aux urgences avec les données enregistrées par le Smur, les SAS, les centres 15-Samu et celles du programme de médicalisation des systèmes d’information ; contrôler systématiquement la cohérence entre les déclarations des établissements destinées au suivi de l’activité sanitaire et les cotations des passages aux urgences destinées à la facturation ; mettre à la disposition des usagers, en continu, les données concernant les urgences telles que les structures ouvertes à proximité de leur localisation.

Cette dernière recommandation vise à prendre en compte les attentes des patients en matière d’information. Contrairement à d’autres pays, la France ne fournit aucune donnée aux usagers sur les services d’urgences, telles que les durées de passage, l’encombrement ou la qualité des soins. Des dispositifs intéressants existent à l’étranger, au Québec par exemple, et pourraient servir de modèles pour améliorer la transparence et rassurer les citoyens sur ce service public essentiel.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Christophe Bentz (RN). La Cour des comptes décrit avec justesse la situation critique des urgences et des tensions hospitalières. Elle pointe une saturation totale des services ainsi qu’une perte de spécificité pour la médecine d’urgence, pourtant indispensable aux publics les plus fragiles, notamment les personnes âgées. Sur le plan fonctionnel, le rapport montre que les urgences sont devenues le réceptacle de la plupart des débordements du système de santé.

La crise des urgences est indissociable de la crise générale de l’accès aux soins. Il est régulièrement proposé des conventionnements sélectifs, des modes de régulation coercitifs ou des délégations et transferts d’actes. Ces pansements sur un système de santé malade représentent-ils une solution durable ? Permettent-ils d’appréhender des questions telles que l’attractivité des métiers de santé ou la liberté d’installation, notamment dans une médecine de ville qui voit déjà beaucoup de jeunes praticiens se diriger vers le salariat public ?

Nous constatons que l’engorgement des services d’urgences est amplifié par le manque croissant de lits à l’hôpital, causé par un défaut de prise en charge par la médecine de ville, mais aussi par les choix politiques des gouvernements successifs de réduire les capacitaires hospitaliers dédiés. La désertification médicale et la carence grandissante du nombre de soignants dans notre pays aggravent cette saturation des urgences. L’interdépendance entre l’hôpital et la médecine de ville demande une réponse globale.

La situation critique des urgences exige la mise en place d’un plan Marshall afin de rendre aux Français la possibilité d’accéder partout à des soins dignes et de proximité. Je parle de dignité, car la semaine dernière, l’hôpital de Langres a défrayé la chronique, puisqu’il accueille depuis près de deux ans, faute de place, des patients dans des lits de fortune installés dans des garages. Cette situation est le symptôme d’une véritable tiers-mondisation de l’hôpital public en France.

Mme Annie Vidal (EPR). Le rapport de la Cour des comptes permet dresser un état des lieux des conditions d’accès et de prise en charge dans les services d’urgences. Si nous sommes tous conscients des difficultés persistantes, j’aimerais rappeler que des efforts significatifs ont déjà été engagés pour améliorer la prise en charge des patients. Le pacte de refondation des urgences, porté par notre groupe, a posé des bases importantes pour désengorger les services hospitaliers, notamment via les services d’accès aux soins, et favoriser une meilleure régulation.

Malgré cela, les difficultés d’accès aux urgences restent prégnantes, et accrues par le vieillissement de la population. Par ailleurs, le coût croissant des urgences pour notre système de santé nécessite des ajustements pour garantir une pérennité financière sans nuire à la qualité de la prise en charge. Pour nos aînés en particulier, la question du juste soin est centrale. Le renforcement des services de médecine gériatrique et le développement d’équipes mobiles de gériatrie pour intervenir en Ehpad ou à domicile représentent des avancées notables, certes insuffisantes, mais qu’il convient de poursuivre. En effet, les équipes mobiles de gériatrie jouent un rôle clé pour éviter des hospitalisations inutiles voire délétères et réduire les ruptures de parcours.

La gestion des lits post-urgences demeure également un enjeu de premier plan. Pensez-vous, monsieur Lejeune, qu’il serait pertinent de « geler » dans chaque service de spécialité des lits pour l’hospitalisation des patients en sortie des urgences ?

La pénurie de professionnels de santé est un défi majeur et la crise des vocations exige une attention constante. Comment, selon vous, affronter ces défis et renforcer l’accessibilité aux urgences ? Comment sensibiliser la population à un usage plus ciblé, plus pertinent des urgences ? Quels sont, selon vous, les freins à l’accès direct, notamment pour la gériatrie ?

M. Damien Maudet (LFI-NFP). La situation des urgences à l’hôpital de Limoges est alarmante, et fait courir des risques en matière de santé des patients. J’y ai constaté une surpopulation critique : quatre-vingts patients pour seize box, ce qui obligeait les médecins à enjamber des malades pour en soigner d’autres.

Si les hôpitaux ont résisté pendant la crise du covid-19, ils ont ensuite cédé, à commencer par les urgences. Pourquoi ? Emmanuel Macron a fait l’éloge de l’Étatprovidence comme d’un atout indispensable quand le destin frappe. Mais, en vérité, rien n’a été fait qui soit à la hauteur de l’enjeu. Le Ségur de la santé est jugé inefficace par 70 % des soignants, et les budgets alloués à la santé ne répondent pas aux besoins réels. Les syndicats, les fédérations hospitalières et même le conseil d’administration de la Caisse nationale de l’assurance maladie ont rejeté le budget de la sécurité sociale pour 2025. Malgré ces oppositions, le sous-financement perdure et la pénurie de personnel s’aggrave. Depuis 2017, 33 800 lits ont été fermés.

Le rapport de la Cour des comptes met en évidence les résultats de cette politique : dégradation des services, restrictions d’accès, fermetures de services et risques accrus pour les patients, tant dans les services d’urgences fermés et régulés que dans les services ouverts. Comme l’indique le rapport de la Haute Autorité de santé (HAS), des patients attendent des heures sur des brancards, certains y meurent. Les EIGS sont à 68 % liés à des décès de patients, et 63 % d’entre eux sont considérés comme évitables par les déclarants, principalement en raison de retards de prise en charge.

Ainsi, la Cour des comptes rejoint le constat effectué par la HAS sur l’analyse des causes des EIGS, qui se rapportent à la charge de travail, à la fatigue des professionnels et à des défaillances matérielles. En d’autres termes, c’est bien le manque de personnel qui est grandement responsable des EIGS. Pourtant, le Gouvernement s’obstine dans sa politique.

La question budgétaire me semble faire défaut dans le rapport de la Cour des comptes. Dès lors, j’aimerais connaître votre sentiment, monsieur Lejeune, sur le dernier budget de la sécurité sociale tel qu’il est proposé. Est-il, selon vous, à la hauteur des enjeux ?

M. Joël Aviragnet (SOC). Le rapport de la Cour des comptes résonne comme un cri d’alarme. Nos urgences hospitalières sont en effet au bord de l’effondrement : saturation permanente, manque de lits d’aval, pénurie de personnels médicaux et paramédicaux, autant de dysfonctionnements qui aggravent les pronostics des patients et parfois coûtent des vies. Cette situation est la traduction concrète de dispositions budgétaires inadaptées et insuffisantes. Depuis 2017, les gouvernements successifs ont échoué à résoudre les problèmes structurels de nos hôpitaux, aggravés par la crise sanitaire. Les réformes censées fluidifier les parcours de soins et désengorger les urgences, telles que la mise en place des SAS, demeurent inabouties et inefficaces, faute d’investissements suffisants.

Le rapport de la Cour des comptes insiste à raison sur les sous-effectifs, et ses recommandations vont dans le bon sens. Cependant, j’aimerais connaître vos préconisations pour pallier ce manque de personnel soignant, car une meilleure coordination entre médecine de ville et hôpital ne pourra résoudre à elle seule tous les maux qui minent nos urgences. Comment le Gouvernement pourrait-il agir rapidement pour pallier la pénurie de soignants ? Je pense notamment à l’attractivité des métiers de médecins urgentistes ou d’infirmiers.

M. Yannick Neuder (DR). Du rapport de la Cour des comptes et de nos échanges, il ressort qu’une meilleure organisation des urgences ne saurait être possible sans une médecine de ville robuste. À cet égard, il est indispensable d’impliquer les acteurs du territoire, en particulier les collectivités locales qui, je le remarque, sont peu mentionnées par le rapport.

Pensez-vous, monsieur Lejeune, que des petites unités de soins primaires, intégrant des biologistes, des radiologues et des CSNP, pourraient, dans le cadre de conventions territoriales assorties d’une tarification spécifique, contribuer significativement à réduire le recours systématique aux consultations d’urgence ? Cette solution semble particulièrement pertinente pour nos territoires où les urgences constituent souvent le seul point d’accès aux soins.

Par ailleurs, je m’interroge sur les quotas de soignants affectés aux services hospitaliers, urgences comprises. Si les dispositions contenues dans la proposition de loi adoptée au Sénat ne dégradent pas la qualité du service médical, elles interrogent au regard du manque de personnel soignant. En effet, il serait regrettable que cette initiative louable entraîne la fermeture de services faute d’effectifs suffisants.

Enfin, concernant la formation, que vous inspire l’exode des soignants qui ne parviennent pas à se former en France ? Dans certaines spécialités, jusqu’à 50 % des praticiens sont formés à l’étranger. Estimez-vous que la formation des urgentistes est adaptée à leur mission ? La réalité des urgences les contraint souvent à gérer des situations de grande précarité sociale, ce qui requiert des compétences spécifiques.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). La crise des urgences nécessite une refondation profonde. La Cour des comptes mentionne certains facteurs de cette crise, tels que la désertification médicale et la démographie des médecins de ville. Sur ce dernier point, il convient d’ajouter que les médecins qui remplacent des praticiens partant à la retraite prennent en charge des files actives plus réduites, diminuant ainsi l’offre de soins.

Le vieillissement de la population constitue bien entendu un autre enjeu majeur. Les personnes âgées sont non seulement plus demandeuses de soins, mais présentent aussi des pathologies spécifiques. Les établissements d’accueil tels les Ehpad ne sont pas toujours suffisamment équipés pour gérer les démences et les maladies neurodégénératives, susceptibles, parfois, d’entraîner des comportements auto ou hétéroagressifs qui aboutissent souvent aux urgences.

J’aimerais attirer l’attention sur le sujet de la psychiatrie, bien que les urgences psychiatriques ne soient pas abordées dans le rapport. Depuis 2019, le nombre de patients en crise psychiatrique admis aux urgences générales a augmenté de 20 %, un chiffre considérable. Or les services d’urgences générales ne sont pas adaptés, ni dans leur organisation spatiale ni dans leur fonctionnement, pour accueillir ces patients potentiellement agités et bruyants. Cette situation soulève également des questions éthiques relatives au respect de leurs droits, certains services recourant à la contention pour maintenir le calme. Des cas dramatiques ont été rapportés, comme à Toulouse où un patient atteint de troubles psychiatriques graves est décédé par suicide après neuf jours de contention aux urgences.

J’aimerais vous interroger, monsieur Lejeune, sur trois points selon moi insuffisamment traités dans votre rapport : quelles sont vos propositions pour améliorer l’attractivité des conditions de travail aux urgences ? Comment envisagez-vous la question de la permanence des soins, notamment en lien avec le secteur libéral ? Quelle est votre analyse concernant les aspects budgétaires ?

M. Yannick Monnet (GDR). Une enquête de Samu-Urgences de France publiée en septembre dévoile le fonctionnement extrêmement dégradé des urgences médicales : l’été dernier, 61 % des services d’urgences ont dû fermer au moins une ligne médicale, et 51 % des Smur, qui constituent le dernier rempart face aux urgences vitales, ont également été contraints de fermer des lignes. Ces fermetures, qui affectent autant les départements ruraux que les centres urbains, ont privé de nombreux territoires d’une couverture médicale adéquate. Cette situation est d’autant plus préoccupante que 1 500 lits supplémentaires ont été fermés dans les services de médecine et de chirurgie, accentuant la pression sur les équipes soignantes.

Je rappelle qu’Emmanuel Macron s’était engagé à désengorger les urgences d’ici fin 2024, un objectif qui semble désormais irréaliste. En outre, le problème ne se limite pas au désengorgement des urgences. S’il n’est pas impossible de réduire le nombre de passages aux urgences, parfois au prix de mesures de régulation artificielles, la question de la qualité de la prise en charge des patients, aux urgences et en dehors, demeure entière.

En d’autres termes, la question des urgences ne saurait être traitée isolément, sans appréhender les urgences comme un maillon spécifique de la chaîne des soins. D’ailleurs les urgentistes insistent sur ce point : les services d’urgences sont les réceptacles de la crise générale du système de soins. Porte d’entrée des hôpitaux, ils absorbent les conséquences des défaillances de prise en charge en amont et en aval, telles que le manque de lits d’hospitalisation ambulatoire et l’insuffisance de la prise en charge à domicile.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de cette année, malheureusement, n’a pas fourni l’opportunité de traiter ce sujet dans sa globalité, ce qui m’amène à vous adresser, monsieur Lejeune, les questions qui n’ont pas pu être posées. Comment rouvrir des lits à l’hôpital pour enrayer le phénomène des lits-brancards ? Comment redonner de l’attractivité à l’hôpital ? Quand mettrons-nous fin à la tarification à l’activité ? Quelles obligations seront imposées au secteur privé en matière d’implication dans la permanence des soins ?

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Stéphanie Rist (EPR). Le rapport de la Cour des comptes insiste sur la nécessité d’accroître le nombre de médecins formés et de poursuivre le développement du partage des compétences, notamment avec les infirmiers en pratique avancée (IPA), ce qui implique également d’augmenter leurs effectifs en formation. Ces mesures me semblent en effet essentielles pour améliorer notre système de santé.

Je souhaite évoquer la régulation de l’accès aux services d’urgences, au regard de l’organisation en ville, notamment avec les communautés professionnelles territoriales de santé et les SAS. J’aimerais comprendre pourquoi la Cour des comptes ne préconise pas de généraliser ce dispositif susceptible de réduire de 30 % le nombre de passages aux urgences. À cet égard, reconsidérer le principe d’accueil inconditionnel me semble incontournable. Assurer les soins des patients, c’est aussi les placer au meilleur endroit et intervenir au meilleur moment, éventuellement le lendemain. C’est la raison pour laquelle je suggère d’inclure cette recommandation dans le rapport de la Cour des comptes.

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Les soignants et les patients lancent depuis longtemps des alertes quant à la situation dramatique de l’hôpital et des urgences. Le rapport de la Cour des comptes souligne que le principe fondamental de l’accueil inconditionnel et permanent aux urgences se trouve menacé par des années de sous-financement, de réduction de l’offre de formation et de dégradation des conditions de travail du personnel.

La Cour des comptes relève la multiplication des restrictions d’accès et des fermetures de services. En août, les urgences de l’hôpital de Bayeux ont été fermées les week-ends, jours fériés et toutes les nuits. Mon département n’est pas épargné, puisque les hôpitaux de Saint-Calais et de La Ferté-Bernard ont également connu des fermetures répétées de leur service d’urgences.

Ces fermetures s’ajoutent au problème de la désertification médicale. La moitié des habitants du département de la Sarthe rencontrent de sérieuses difficultés pour consulter un médecin généraliste. Le 5 septembre, le groupement hospitalier de territoire (GHT) de la Sarthe a déclaré qu’il cesserait de communiquer sur les ouvertures et fermetures des urgences afin d’éviter que les patients ne se présentent spontanément à un service potentiellement fermé.

Avez-vous connaissance, monsieur Lejeune, d’autres GHT qui auraient pris des décisions similaires ? Quels sont, selon vous, les risques liés à ces situations ? Quelles mesures le législateur et le gouvernement devraient-ils adopter pour aider les établissements de santé à améliorer l’information du public ?

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Dans ce rapport qui s’apparente à un réquisitoire, la Cour des comptes démontre l’insuffisance des moyens alloués au système de santé, et de quelle manière les notes planchers à l’internat nous privent de centaines de soignants disponibles. Pris dans cet effet ciseaux, des patients décèdent aux urgences en raison de délais de prise en charge excessifs.

À cet égard, j’aimerais évoquer la dilapidation d’argent public dans le consulting. Au lieu d’investir dans le recrutement de personnel nécessaire, de revaloriser les salaires des employés actuels ou de rouvrir des lits, une sorte de foire aux métiers plus ou moins farfelus s’est immiscée dans la chaîne des soins.

Il y a ces postes qui génèrent de la souffrance chez ceux-là même qui les occupent, comme les bed managers, dont l’appellation interpelle, et qui consiste à annoncer à leurs collègues qu’il manque des lits et à gérer la pénurie rationnée. Pire encore, il y a ces prestataires douteux, ces facilitateurs, ces consultants qui, à grands coups de PowerPoint, expliquent qu’ils vont fast-tracker un down-sizing des teams...  Personne n’y entend rien, mais à la fin, on comprend tout de même une chose, à savoir que le nombre de lits diminue.

Monsieur Lejeune, confirmez-vous les conclusions antérieures de la Cour des comptes relatives aux ressources immédiatement mobilisables en récupérant l’argent gaspillé auprès des cabinets de consultants ? À combien estimez-vous cette somme potentiellement disponible ?

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). J’aimerais savoir si la Cour des comptes a pris en considération dans son enquête les actions récentes de certains élus locaux, notamment bretons, qui se sont saisis de leur pouvoir de maintien de l’ordre public pour interpeller l’État sur son obligation d’assurer l’accès aux soins pour tous les citoyens. Ces élus ont notamment pris des arrêtés municipaux pour attirer l’attention sur les conséquences locales des fermetures de services, en particulier l’augmentation des frais liés aux Smur et aux services départementaux d’incendie et de secours. En effet, lorsque les services ambulanciers doivent parcourir non plus 50, mais 200, 300 voire 400 kilomètres pour trouver un service d’urgences, cela engendre des coûts supplémentaires. Avez-vous pu évaluer l’impact de ces fermetures de services ou d’établissements sur l’ensemble de l’écosystème entourant l’accès aux urgences ?

Ma seconde question porte sur la pénurie de personnel soignant. Avez-vous envisagé l’intégration d’autres professionnels de santé, des professions paramédicales telles que les ostéopathes par exemple ? Ces derniers sont formés dans des écoles agréées par l’État. Aux États-Unis, où ils sont également médecins, les ostéopathes réalisent en moyenne 1,7 acte par patient pris en urgence. Une étude menée il y a une dizaine d’années suggérait même la possibilité pour les ostéopathes de prendre en charge entre 15 et 25 % des patients aux urgences.

Mme Josiane Corneloup (DR). La Cour des comptes souligne que les difficultés des urgences hospitalières reflètent l’ensemble des dysfonctionnements de notre système de santé. Cette question concerne directement nos concitoyens, puisque près d’un Français sur six se rend aux urgences chaque année, parfois à plusieurs reprises. Pour ces patients, les services d’urgences représentent non seulement la garantie d’une prise en charge sanitaire de haut niveau face à la désertification médicale, mais aussi un filet de sécurité pour des situations de détresse, y compris sur le plan social. Le service public des urgences se trouve ainsi à l’interface de la médecine et des maux de société, ce qui constitue à la fois son originalité et un facteur de vulnérabilité.

L’engorgement des services, le manque de lits et de personnel, les questions d’attractivité des métiers, tous ces problèmes sont désormais bien identifiés. Dès lors, ne serait-il pas plus pertinent de considérer, plutôt que les conséquences, les causes de cette situation ? La Cour des comptes pointe un déficit de données. Savons-nous, par exemple, combien de personnes fréquentent les urgences pour un motif autre qu’une urgence vitale ?

Cette question en soulève d’autres, celle de la PDSA, celle des problématiques d’addictologie avec des patients qui reviennent aux urgences de façon récurrente, celle des patients souffrant de troubles psychiatriques et qui ne font qu’entrer et sortir des services, ou encore celle des jeunes parents qui, faute d’une éducation à la parentalité adéquate, se rendent aux urgences dès que leur enfant a un peu de fièvre. Ne devrions-nous pas réfléchir à des moyens plus efficaces d’éviter les passages répétés aux urgences ?

M. Fabien Di Filippo (DR). La problématique des urgences est liée à deux aspects majeurs. Premièrement, la démographie médicale et la situation de nos hôpitaux entraînent des fermetures croissantes des services d’urgences, notamment durant l’été et certains week‑ends. On évoque plus de 200 services d’urgences ayant connu de telles fermetures au cours des douze derniers mois.

La Cour des comptes met l’accent sur l’organisation des soins et la coordination avec la médecine de ville, mais je souhaite pousser la réflexion au-delà de la baisse de la démographie médicale, et interroger le temps de travail des nouveaux médecins. Le rapport esquisse une interrogation à propos de la contrainte sur les permanences, ce qui me paraît courageux. Cependant, mesure-t-on l’impact des nouveaux médecins de ville qui limitent leur temps de travail à deux ou trois jours par semaine ? Cette situation affecte la disponibilité des médecins-soignants et pousse les patients vers les urgences le week-end.

Le second aspect concerne le recours abusif aux urgences. Certaines études révèlent que 70 % des passages aux urgences ne sont pas justifiés. Le forfait patient urgences (FPU) a été instauré il y a deux ans. Disposez-vous de données sur son recouvrement et l’adaptation de son montant ? Celui-ci s’élève à près de 20 euros, souvent pris en charge par la mutuelle, pour un patient classique, tandis que certains publics déboursent environ 8 euros, quand d’autres en sont exonérés.

Je m’interroge particulièrement sur les bénéficiaires de l’aide médicale de l’État et les détenus, qui ne paient aucun forfait. Avons-nous des données chiffrées sur l’application du FPU et son efficacité ? Ces informations permettraient d’évaluer l’opportunité de réévaluer son montant ou de déterminer si cette solution est pertinente.

M. René Lioret (RN). En 1970, la population française s’élevait à 51 millions d’habitants. Elle a, depuis, augmenté de 18 millions d’habitants, soit une hausse de près de 40 %. Pourtant, le nombre de médecins en exercice n’a guère évolué depuis l’instauration du numerus clausus il y a cinquante ans.

Lorsque j’ai débuté mes visites médicales en 1976, les salles d’attente étaient combles et les médecins entamaient souvent une seconde journée de consultations après avoir passé la matinée en déplacements. À l’époque, il n’était pas rare qu’un praticien effectue entre 30 et 40 actes quotidiens, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Ainsi la population est en forte croissance, le nombre de médecins est stable, les praticiens travaillent moins et consacrent une à deux journées par semaine à leur formation, et les services d’urgences se trouvent sollicités par des patients qui n’en ont pas nécessairement besoin, mais qui ne trouvent pas de médecins disponibles.

Dans ce contexte, ne peut-on pas envisager de confier à des pharmaciens, des infirmiers ou des infirmières, certains compléments de mission ? Cela permettrait de décharger les médecins généralistes, leur offrant ainsi plus de temps pour traiter les cas plus complexes.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous suspendons l’audition quelques minutes afin de permettre aux députés qui le souhaitent de se rendre dans l’hémicycle pour voter.

L’audition est suspendue de dix-sept heures trente à dix-sept heures quarante-cinq.

M. le président de la sixième de la Cour des comptes. Permettez-moi, avant d’y répondre, de resituer le rapport de la Cour des comptes dans son contexte. Les recommandations que nous y formulons représentent des pistes pour optimiser l’utilisation des ressources dont dispose l’hôpital et, plus largement, le système de soins. Nous n’avons pas, je le répète, de solution miracle pour pallier le manque de médecins et le vieillissement de la population.

Nos préconisations visent à améliorer ce qui l’a été par le pacte de refondation des urgences de 2019. Des progrès ont été réalisés, comme le souligne le rapport, mais des marges de progression subsistent. À l’avenir – je veux dire : dans quelques années –, les questions de l’augmentation du nombre de médecins et de l’amélioration de leurs conditions d’exercice ne manqueront pas de se poser pour permettre un fonctionnement normal des urgences.

Nous n’avons pas mené d’étude approfondie sur le temps de travail des médecins en ville. Cependant, les échanges avec les acteurs du terrain révèlent que l’approche du travail a évolué. Aujourd’hui, les médecins sont davantage salariés que libéraux, avec des horaires et une organisation différents. Cela implique parfois que le départ d’un médecin ne saurait être compensé par le recrutement d’un seul autre praticien.

Mme Vidal a évoqué la possibilité de geler des lits pour l’hospitalisation des patients en sortie des urgences. Au verbe « geler », je préfère celui de « réserver », mais en effet l’objectif de l’ordonnancement des lits est d’identifier un certain nombre de places susceptibles d’accueillir des patients, évitant ainsi les situations où tous les lits sont préemptés et où des patients passent la nuit aux urgences alors que des lits sont disponibles ailleurs dans l’hôpital. Cette mutualisation est difficile à mettre en place, mais elle est nécessaire pour optimiser l’utilisation des ressources.

Des solutions d’accès direct existent pour les personnes âgées. Des équipes mobiles d’infirmières sont en mesure d’intervenir dans les Ehpad. Inversement, installer des lignes téléphoniques directes entre les Ehpad et les médecins de ville et les hôpitaux, représente une bonne méthode. Néanmoins, ces dispositifs sont eux aussi conditionnés par la disponibilité du personnel soignant.

M. Aviragnet m’a interpellé sur les moyens de remédier au manque de personnel médical. Des pistes en interne sont susceptibles d’être envisagées, mais la prudence est requise. Des moyens de former des infirmières pour effectuer certains actes existent, notamment pour les infirmières d’orientation, un métier moins en tension. Faire monter en compétence le personnel disponible pour pallier le manque de médecins représente donc une solution partielle, mais, in fine, seul le médecin urgentiste possède le savoir-faire nécessaire pour répondre aux besoins. À cet égard, j’estime que la formation des urgentistes en France est de très grande qualité. La difficulté réside davantage dans la diversité des publics accueillis dans les services d’urgences, en partie parce que les soins de ville peinent à les prendre en charge.

Notre rapport ne remet pas en cause l’utilité des CSNP, mais appelle à la vigilance. En effet, il convient de s’assurer de leur complémentarité avec les autres dispositifs et des équilibres territoriaux. C’est la raison pour laquelle nous préconisons d’encadrer les CSNP par un système d’autorisation, dans un souci de coordination avec les autres dispositifs.

Mme Rousseau a souligné avec raison l’importance de la psychiatrie. Nous n’avons pas abordé ce sujet dans notre rapport parce que nous avons restreint notre champ d’étude aux urgences générales, mais nous avons constaté, lors de nos visites dans quarante services d’urgences, les difficultés que vous évoquez, et qui demandent des réponses spécifiques.

Quant à l’attractivité des urgences, il s’agit d’un problème récurrent. Des urgentistes quittent leur poste, il est vrai, en raison de conditions de travail difficiles. Cependant, des actions ont été menées pour les améliorer, et j’ai évoqué à titre d’exemple les travaux entrepris sur le bâti. De même, des efforts en termes de rémunération ont été produits dans le cadre du pacte de refondation des urgences. Néanmoins, tous ces efforts ont une limite, et augmenter indéfiniment les urgentistes ne résoudra pas à lui seul le problème de la pénurie.

À Mme Rist qui demandait la généralisation des SAS, je répondrai que ce dispositif a atteint sa limite, avec un SAS par département.

Concernant les éventuels abus des passages aux urgences, il convient de nuancer l’interprétation des statistiques sur la gravité des cas. Bien que 70 % des patients soient cotés, selon la classification clinique des malades aux urgences, CCMU 1 ou 2, cela ne signifie pas que leur venue aux urgences était injustifiée. Les raisons pour lesquelles on se rend aux urgences peuvent être légitimes, comme l’inquiétude face à un enfant malade en l’absence de médecin disponible, sans que la gravité soit avérée. En outre, les cotations 1 et 2 peuvent nécessiter des examens complémentaires pour confirmer ou non un diagnostic.

Les fermetures des services d’urgences surviennent lorsque l’accueil n’est plus possible faute de moyens. Bien que nous ne disposions pas de chiffres précis, nos enquêtes montrent qu’en cas de fermeture, un service d’urgence reste ouvert dans chaque secteur territorial afin d’assurer une solution de repli, notamment à la faveur d’un pilotage par les agences régionales de santé (ARS).

M. Yves Colcombet, conseiller maître à la Cour des comptes. Notre rapport mentionne un chiffre significatif : l’activité de médecine d’urgence a été évaluée à 5,597 milliards d’euros en 2023, dont 5,312 milliards d’euros pris en charge par l’assurance maladie. La différence, soit 285 millions d’euros, correspond au FPU, assumé par les patients eux‑mêmes ou par les mutuelles.

Les décrets de décembre 2023 autorisent et encadrent la régulation dans tous les services d’urgences. Cette régulation s’effectue sous le contrôle des ARS et nécessite une organisation minutieuse, dans la mesure où il s’agit d’un changement majeur. En effet, substituer à l’accès direct aux urgences un système d’orientation dans lequel le patient est susceptible de se voir refuser l’accès aux urgences, constitue un changement majeur. Généraliser cette possibilité était une option envisageable, mais elle n’a pas été retenue.

Notre rapport préconise une régulation via les SAS afin d’éviter que des patients qui se présentent aux urgences se voient potentiellement refuser l’entrée. Nous estimons que la régulation téléphonique est plus appropriée. Il est bien entendu qu’en cas d’urgence vitale, l’accès est systématiquement accordé, même lorsque le service est théoriquement fermé. Toutefois, cette situation relève de l’exception.

De manière générale, nous pouvons dire qu’un dispositif cohérent se met progressivement en place, bien qu’il ne soit pas encore suffisamment répandu. Certes, la pénurie de soignants engendre des tensions, mais la régulation en lien avec la médecine de ville et les SAS s’avère essentielle.

M. le président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Plusieurs questions nous ont été adressées sur les aspects budgétaires, qui renvoient à celle de la PDSA. Notre rapport ne formule pas de recommandations sur l’obligation de permanence des soins, car ce sujet dépasse le cadre des urgences et soulève des questions systémiques. Rendre obligatoire la PDSA pourrait s’avérer problématique dans les zones rurales, où le manque de personnel risquerait d’accroître la charge de travail des praticiens et de provoquer leur départ. Néanmoins, cette question devra être appréhendée et, à ce sujet, permettez-moi de lire un extrait de notre rapport : « Les effets limités de ces mesures, face à la dégradation de l’accès aux soins, conduisent à la question du rétablissement de la participation obligatoire à la permanence des soins ambulatoires, couplé à des mesures d’équilibrage territorial de l’installation des médecins afin de mieux répartir la charge de son exercice entre les médecins. » Nous touchons là des sujets sensibles pour les médecins, et nous nous en remettons à la sagesse du législateur.

Concernant le budget de la sécurité sociale, il convient de distinguer la partie du budget de santé dans l’objectif national de dépenses d’assurance maladie du financement spécifique des hôpitaux et des urgences. Pour ces derniers, le financement semble bien établi, mais le problème réside davantage dans le recrutement de personnel pour les postes vacants que dans le financement lui-même.

Une note transmise à votre commission sur la situation de la sécurité sociale me permet de répondre plus précisément à la question de M. Maudet. Nous avons lancé une alerte dans cette note au sujet de la nécessité de ne pas laisser perdurer le déficit actuel de la sécurité sociale. L’an dernier, celui-ci s’élevait à environ 10 milliards d’euros. Cette année, il atteint 18,5 milliards d’euros et aurait pu atteindre 28 milliards d’euros sans les mesures prises dans le PLFSS, qui visent à le contenir à 16 milliards d’euros. Les deux points critiques sont l’assurance vieillesse et surtout l’assurance maladie. La dette dont l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale a la charge est particulièrement élevée, et je rappelle qu’elle ne peut être financée que par des emprunts à court terme.

M. le président Frédéric Valletoux. Concernant cette note de la Cour des comptes, je tiens à préciser que nous n’avons pas pu organiser l’audition du président Lejeune, qui venait de prendre ses fonctions. Toutefois, la note avait été transmise aux commissaires préalablement à l’examen du PLFSS. Si vous souhaitez la consulter à nouveau, nous vous la retransmettrons volontiers.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Dans les zones sous-denses, la typologie habituelle révèle des médecins généralement plus âgés et en nombre restreint. Estimez-vous pertinent d’imposer une PDSA obligatoire à des praticiens qui effectuent déjà entre 50 et 60 heures hebdomadaires ? Cette mesure ne risque-t-elle pas de provoquer leur départ ?

M. le président de la sixième chambre de la Cour des comptes. J’ai précisément soulevé ce risque.

M. Yannick Neuder (DR). Bien que le poids de la branche maladie dans le déficit de la sécurité sociale soit indéniable, il convient de rester attentif à d’autres aspects. Ainsi, l’année dernière, nous n’avons pas été alertés comme nous le sommes cette année sur le déficit de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), ce que je déplore. En effet, ce déficit, qui ne s’est pas constitué subitement entre le PLFSS 2024 et le PLFSS 2025, atteindra environ 11 milliards d’euros annuels à partir de 2030, ce qui requiert notre vigilance. Par ailleurs, il est nécessaire de prendre en compte qu’une abrogation de la réforme des retraites impliquerait de trouver environ 28 milliards d’euros supplémentaires à ce même horizon 2030.

Je souhaitais simplement mettre ces deux éléments en perspective avec la prépondérance du déficit de la branche maladie.

M. le président de la sixième chambre de la Cour des comptes. La Cour des comptes a émis une première alerte concernant la CNRACL dans son rapport annuel sur les finances publiques locales, qui mettait les collectivités en garde contre la dérive de leur régime de retraite.

M. le président Frédéric Valletoux. Au nom de la commission, je remercie M. le président Lejeune et son équipe.

 

La réunion s’achève à dix-huit heures vingt.

 


Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

 M. Paul-André Colombani rapporteur de la proposition de loi visant à la création d’un centre hospitalier universitaire en Corse (n° 341) ;

 M. Vincent Thiébaut rapporteur de la proposition de loi visant à optimiser la protection et l’accompagnement des parents d’enfants atteints de cancers, de maladies graves et de handicaps (n° 277) ;

 M. Sébastien Peytavie rapporteur de la proposition de loi sur le remboursement intégral des fauteuils roulants par l’Assurance maladie (n° 203) ;

 M. Guillaume Garot rapporteur de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé (n° 104) ;

 Mme Céline Hervieu rapporteure de la proposition de loi prenant des mesures d’urgence pour protéger nos enfants accueillis en crèches privées à but lucratif (n° 517) ;

 Mme Chantal Jourdan rapporteure de la proposition de loi visant à former les jeunes aux premiers secours en santé mentale (n° 521).

 Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, MM. Théo Bernhardt, Olivier Fayssat, François Gernigon, Mmes Justine Gruet, Karine Lebon, MM. Arnaud Simion, Nicolas Turquois et Stéphane Viry, membres de la mission d’évaluation de la loi n° 2005  102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées dont Mme Christine Le Nabour et M. Sébastien Peytavie sont rapporteurs.

 


Présences en réunion

Présents.  Mme Ségolène Amiot, Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, M. Elie Califer, M. Hadrien Clouet, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sophie Delorme Duret, M. Fabien Di Filippo, M. Olivier Falorni, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Océane Godard, Mme Zahia Hamdane, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Chantal Jourdan, M. Michel Lauzzana, Mme Élise Leboucher, M. René Lioret, Mme Joséphine Missoffe, M. Christophe Mongardien, M. Yannick Monnet, M. Yannick Neuder, Mme Angélique Ranc, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean‑François Rousset, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal

Excusés.  Mme Justine Gruet, M. Didier Le Gac, Mme Karine Lebon, M. Jean‑Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, M. Jean-Hugues Ratenon

Assistaient également à la réunion.  M. Joël Aviragnet, M. Damien Maudet