Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen de la proposition de loi d’abrogation de la retraite à 64 ans (n° 438) (M. Ugo Bernalicis, rapporteur) 2
– Examen de la proposition de loi visant à régulariser les praticiens et pharmaciens à diplôme hors Union européenne (n° 432) (M. Damien Maudet, rapporteur) 31
– Présences en réunion.................................40
Mercredi
20 novembre 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 25
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à neuf heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission procède à l’examen de la proposition de loi d’abrogation de la retraite à 64 ans (n° 438) (M. Ugo Bernalicis, rapporteur).
M. le président Frédéric Valletoux. Nous examinons aujourd’hui quatre propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de la journée réservée du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire, le jeudi 28 novembre.
M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Je vous propose de revenir sur la réforme de 2023, que le Parlement et le pays tout entier ont vécue comme une injustice.
Cette réforme a passé l’âge de la retraite de 62 à 64 ans. Elle était injuste dans la forme, ayant fait l’objet d’un passage en force assumé, grâce au recours combiné à un nombre incroyable d’articles de la Constitution : l’article 47-1 pour contraindre les délais, en passant par un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) ; l’article 44, alinéas 2 et 3 ; le fameux article 40 ; pour finir, l’article 49, alinéa 3, évidemment. C’est une injustice démocratique majeure : l’Assemblée nationale n’a jamais adopté la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, ce qui la rend illégitime.
Elle est d’autant plus illégitime que le pays l’a largement rejetée, comme le montrent les sondages : plus de 70 % des Français, et 93 % des actifs, sont contre la retraite à 64 ans. Partout, les mobilisations ont été historiques, réunissant plus de 3,5 millions de manifestants – un record. Enfin, le Nouveau Front populaire, qui avait inscrit dans son programme l’abrogation de la réforme, est arrivé en tête le 7 juillet.
Sur le fond, il s’agit d’une injustice sociale. On a volé deux ans de vie aux gens ; on leur a volé deux ans de choix. En effet, le rehaussement de l’âge légal de la retraite est au cœur de la réforme. Les femmes en sont les principales victimes, alors qu’elles partaient déjà plus tard que les hommes et que leurs carrières sont dites hachées. Selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), la réforme retardera de neuf mois le départ des femmes nées en 1972, contre cinq mois seulement pour les hommes. Ainsi, elles participent davantage à l’effort. En sont également victimes ceux qui exercent les métiers les plus pénibles – à 55 ans, l’espérance de vie des ouvriers est trois ans inférieure à celle des cadres –, et ceux qui sont éloignés de l’emploi – pour eux, ce seront deux ans de plus passés aux minima sociaux. On connaît l’effet d’éviction, que l’ex-majorité relative macroniste n’avait pas anticipé : la mesure viendra grever d’autres dépenses sociales. Les jeunes, enfin, en souffriront : ils cotiseront davantage mais percevront sans doute des pensions inférieures à celles actuellement versées. Car l’abaissement des pensions sera votre seul levier pour équilibrer le système dans le temps.
En plus d’être injuste, cette réforme est économiquement inefficace. C’était pourtant l’objectif affiché : selon Emmanuel Macron et ses amis, le rehaussement de l’âge de départ était la martingale à même d’équilibrer le système de retraite ad vitam aeternam, en le finançant à hauteur de 13 % du PIB. C’est encore raté, et l’échec n’est pas pour dans dix ou vingt ans : dès 2024, vous réussissez la prouesse d’augmenter le déficit du régime de 0,2 point de PIB, selon le COR. Pire, ce dernier estime qu’il s’aggravera encore, de 0,4 % supplémentaire en 2030 et de 0,8 % en 2070.
Certaines mauvaises langues diraient que l’objectif était non d’équilibrer le financement, mais de faire travailler plus de gens plus longtemps, pour équilibrer les finances publiques, en augmentant les rentrées fiscales. M. Le Maire était encore ministre ; peut-être saviez-vous déjà que les comptes de l’État allaient droit dans le mur à cause du déficit abyssal que vous avez laissé – 60 milliards d’euros manquants dans les caisses, ça pousse à faire trimer les autres davantage ! De surcroît, il s’avère que vos projections économiques étaient mauvaises. Tout cela mis bout à bout, 3 milliards d’euros manquent.
Pour réparer ces injustices, quoi de mieux que l’abrogation ? Elle ramènerait l’âge légal de départ à 62 ans et le nombre d’années de cotisation à quarante-deux, afin que l’âge de départ effectif soit le plus proche possible de 62 ans. Finalement, c’est redonner le choix, à partir de 62 ans, de continuer ou de partir – il faut pouvoir choisir.
Par ailleurs, le texte tend à conserver les aspects positifs de la réforme de 2023 : les dispositifs relatifs aux carrières longues, qui seront quelque peu élargis, et le minimum contributif. Il s’agit de l’arnaque qui consistait à mettre en avant une pension minimum de 1 200 euros pour une carrière complète, alors que, selon les caisses, seules 10 000 à 20 000 personnes seront concernées. D’autres ont touché entre 1 et 80 euros de minimum contributif, en fonction de leur situation. Nous le maintenons, parce que c’est un peu mieux que si c’était pire, comme j’aime à le dire.
Vous arguerez que l’abrogation entraînera le système dans le mur, mais votre réforme l’y conduit déjà. Il faudra résoudre le problème économique. Comme pour le projet de loi de finances (PLF), c’est une affaire non pas de dépenses, mais de recettes. Or vous ne voulez pas entendre parler de la hausse des cotisations. Vous les avez pourtant augmentées pour 2024, sans l’assumer politiquement ni en débattre, pour éviter que la faille de votre propre réforme ne descende aux abysses.
La réforme que nous défendons coûtera 4 à 5 milliards d’euros en 2025 ; ce coût augmentera ensuite progressivement, pour atteindre 10 à 15 milliards en 2030 – on a le temps de voir venir. On l’avait d’ailleurs déjà, selon l’ancien président du COR. Le Fonds de réserve pour les retraites laisse un délai pour trouver des financements supplémentaires. Les membres de notre groupe ont défendu un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, tendant à instaurer une surcotisation sur les salaires supérieurs à deux plafonds annuels de la sécurité sociale (Pass), et une sur-surcotisation sur ceux supérieurs à quatre Pass. Ce dispositif aurait financé l’abrogation de la réforme des retraites dès la première année. Nous ne pouvons proposer de mesures de cette nature pour augmenter les recettes dans le cadre d’une proposition de loi, qui ne peut amender le PLFSS – je le regrette. On se rappellera qui a voté pour cet amendement lors de l’examen en séance, et qui a voté contre, c’est-à-dire qui est capable de financer ses réformes et qui ne l’est pas.
Si vous voulez d’autres sources de financement, nous avons l’embarras du choix. On peut évidemment augmenter les cotisations : 1 point de plus rapporterait 10 milliards d’euros, et le problème serait directement réglé. Mais je vous connais, dès qu’on augmente les recettes, vous hurlez qu’on ponctionne l’argent des gens, même si on le leur rend puisqu’il s’agit d’une caisse – c’est le propre du merveilleux système par répartition. Je peux donc également vous proposer d’augmenter les cotisations de 0,15 point par an, ce qui est très raisonnable. Selon l’économiste Michaël Zemmour, cela financerait le système sur le long terme, au-delà de l’abrogation. Une autre solution consisterait à accueillir dignement les personnes exilées : cela en ferait de nouveaux cotisants qui participent à la solidarité. Le COR a établi des projections en fonction d’hypothèses de solde migratoire compris entre 183 000 et 120 000 entrées. En restant à 183 000 entrées, on assurerait un solde migratoire positif et le problème du financement de l’abrogation de la retraite à 64 ans ne se poserait plus. L’humanité et la solidarité peuvent concourir à équilibrer le financement du système de retraite. Enfin, le texte prévoit de taxer les superprofits des sociétés pétrolières et gazières, ce qui rapporterait entre 7 et 40 milliards d’euros par an. Le problème n’est pas de financer le système mais de décider où on prend l’argent et à quel niveau.
L’abrogation est nécessaire pour des raisons démocratiques, sociales et économiques. J’ajoute que je ne suis pas favorable à une retraite à 62 ans avec quarante-deux années de cotisations. Comme les autres membres de mon groupe, je défends une retraite à 60 ans et quarante annuités. Pour plus d’explications, je vous renvoie à notre site internet où l’on peut lire la contre-proposition de 2023, toujours d’actualité. Toutefois, nous estimons qu’il est indispensable, dans un premier temps, d’abroger la réforme d’Emmanuel Macron, pour remettre les compteurs à zéro et ouvrir, avec les organisations syndicales, une discussion loyale et sincère, afin de pouvoir à terme financer une retraite à 60 ans et quarante annuités.
Je vous invite donc à voter ce texte.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Thomas Ménagé (RN). Voici venue l’heure de vérité sur l’abrogation de la réforme des retraites. Il est désormais largement admis que cette réforme était mauvaise. Premièrement, elle ne s’attaquait pas aux vraies causes du déficit de notre système : la situation globale des finances publiques ; le taux d’emploi des jeunes, des seniors et des moins qualifiés ; la natalité en berne ; la dégringolade de la productivité. C’est l’ensemble de ces éléments que les membres du groupe Rassemblement National ont mis en avant lorsque, les premiers, nous avons proposé d’abroger la réforme des retraites, à l’occasion de la niche de notre groupe. Or c’est vous, collègues de gauche, qui avez honteusement vidé notre texte de sa substance ; vous qui avez voté contre l’abrogation, simplement parce qu’elle venait du RN. Vous vous êtes opposés à ce texte pour des motifs hypocrites et politiciens, préférant votre petit intérêt à celui des Français qui travaillent et qui savent désormais, dans leur grande majorité, que seul le RN les défend.
Cependant, la réalité vous rattrape : ce matin, sans les députés du groupe Rassemblement National, rien ne sera possible, non plus que jeudi prochain, dans l’hémicycle. Sans eux, vous ne pourrez jamais abroger la réforme des retraites ; sans eux, votre proposition de loi serait à son tour vidée de sa substance. C’est donc seulement grâce au groupe Rassemblement National, le premier de cette assemblée, qui a recueilli 11 millions de voix aux élections législatives, que vous pourrez mettre fin à l’injustice de la réforme Borne.
Votre texte est le même que le nôtre. Mais nous, nous ne sommes pas sectaires. Nous n’avons qu’une seule boussole : l’intérêt général. Nous n’avons qu’une seule mission : défendre nos compatriotes. N’ayant, par conséquent, aucune raison de nous opposer à l’abrogation des pires dispositions de la réforme des retraites, nous voterons pour cette proposition de loi, avant de mettre en œuvre, en 2027, le projet de justice sociale que défendent Marine Le Pen et Jordan Bardella.
Mme Prisca Thevenot (EPR). Mesdames, messieurs de LFI, vous aimez à raison nous parler à l’Assemblée nationale des femmes et des hommes que vous rencontrez dans vos circonscriptions. À mon tour, je vous parlerai de Françoise, Gilles, Ahmed et Nadia, des prénoms qui racontent des vies et des avancées concrètes dont ils ont bénéficié grâce à la réforme des retraites. Françoise, 63 ans, mère de quatre enfants, verra ses congés parentaux valorisés. Gilles, ouvrier, a travaillé toute sa vie pour un Smic ; sa pension sera rehaussée. Ahmed, 56 ans, aidant auprès de son père handicapé, bénéficiera de nouveaux droits ; pour la première fois, son engagement sera reconnu et pris en compte. Quant à Nadia, jeune médecin libérale à Mayotte, ses prestations complémentaires vieillesse seront renforcées. Cette mesure constitue un progrès pour les professionnels de santé des territoires ultramarins, trop souvent oubliés.
Ces avancées, concrètes, améliorent la vie de tous les Français – des travailleurs, des maires, des aidants, des jeunes, de nos aînés. Pourtant, ces prénoms ne signifient rien pour vous. Un seul prénom occupe vos pensées en permanence, celui de Jean-Luc. Jean-Luc se revendique de gauche mais son groupe politique à l’Assemblée en est réduit à copier les propositions de loi du RN – vous allez finir par donner raison à celles et ceux qui vous disent plus dangereux que ce dernier. Vos méthodes ne produisent peut-être pas le même fracas que les extrêmes du passé, mais elles provoquent les mêmes dégâts : des reculs sociaux, un pays fracturé, des millions de Français sacrifiés pour satisfaire vos ambitions politiques personnelles.
Faisons le choix de défendre François, Gilles, Ahmed, Nadia, et pas Jean-Luc, dont le populisme rejoint aujourd’hui officiellement celui de Marine !
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi (LFI-NFP). Il est temps de raviver le souvenir d’une république sociale. Pour ceux que le travail use, il est temps de reprendre le chemin du progrès, et d’abroger cette réforme des retraites. En défendant cette proposition de loi, nous nous faisons les héritiers d’une histoire commune, les représentants d’une France qui protège ses travailleurs et écoute son peuple.
Une réforme des retraites, c’est un choix de société. Celle de 2023 a été défendue avec des arguments fallacieux, notamment en prétendant qu’on peut travailler plus longtemps, parce qu’on vit plus longtemps, alors que c’est parce qu’on travaille moins longtemps qu’on vit plus longtemps. Il est temps de rendre aux Français les deux années de vie que vous leur avez volées. Repousser l’âge du départ à la retraite, c’est porter atteinte au droit au repos et au temps libéré. Un quart des Français les plus pauvres sont morts à 62 ans. On passe sa vie au travail en exerçant les métiers les plus pénibles et on ne profitera jamais de sa retraite. En faisant adopter cette réforme impopulaire par la violence, avec un 49.3 dont tout le pays se souvient, la Macronie assume d’être à l’origine de maladies professionnelles, d’épuisement, de souffrances, d’usure et de mort au travail.
Cette réforme va aussi à l’encontre de l’intérêt des femmes, qui travailleront sept mois de plus que les hommes, car la Macronie refuse de s’attaquer aux inégalités structurelles du marché du travail. On leur a majoritairement imposé des carrières incomplètes ; elles seront les premières soulagées de cette abrogation. Ce que vous organisez, c’est un chômage de masse. Vous voulez faire travailler plus longtemps nos aînés alors que 5 millions de personnes sont inscrites à France Travail. Au cours du XXe siècle, le temps de travail a été divisé par deux, mais la productivité a été multipliée par quarante. Vous allez contre le sens de l’histoire, qui tend à redistribuer le travail, car c’est ce qui permet à toutes et à tous de mener une vie digne. Abrogeons cette réforme, il est temps !
M. Arthur Delaporte (SOC). « Dès demain, [...] tous les vieux relèveront le front, et tous les jeunes [...] se diront du moins que la fin de la vie ne sera pas pour eux le fossé où se couche la bête aux abois... » Ces mots que Jaurès prononça en 1910 résonnent encore aujourd’hui, tant l’enjeu de notre vote est symbolique. Nous avons l’occasion de réparer une double injustice et d’apporter une réponse à Angelica, aide à domicile, à Jean, enseignant, à Luc, manutentionnaire, à Laetitia, agricultrice. Deux minutes ne suffiront évidemment pas pour évoquer ces femmes et ces hommes à qui votre loi a volé les deux meilleures années de leur vie, comme ils nous le disaient. Les femmes surtout sont concernées : cette majorité paie le plus fort prix de cette réforme cynique en raison de leurs carrières courtes et hachées ; non seulement elles sont moins payées que les hommes, mais elles devront partir encore plus tard qu’eux.
Nous avons l’occasion d’abroger votre réforme pour défendre un système plus juste. Nous avons aussi l’occasion de revenir sur la brutalisation du Parlement, bâillonné par tous les instruments à votre disposition, et de reparlementariser la vie démocratique – nous en avons besoin. Nous pouvons surtout répondre à une attente forte des Françaises et des Français, qui manifestaient si massivement dans les rues il y a un an seulement, aux côtés des syndicats unis. Nous avons enfin la possibilité d’approuver une mesure de justice sociale défendue par la gauche, qui sera demain soutenue au Sénat.
En 2010, lors de l’examen de la réforme Woerth qui revenait sur les droits conquis par la gauche, en 1981 notamment, Pierre Mauroy rappelait comment les ouvriers allaient voir leurs élus pour dire : « Je ne peux plus avancer. » Saisissons l’occasion d’avancer, pour préserver ces corps et ces vies, et leur offrir un avenir plus serein.
M. Thibault Bazin (DR). Votre proposition de loi vise à abroger la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, ainsi que celle de François Hollande. Dans notre situation, c’est irresponsable. Votre irresponsabilité budgétaire est la même que celle du RN ; vous niez les réalités démographiques et économiques – ce n’est pas sérieux.
Vous voulez abaisser l’âge légal de départ à la retraite tout en réduisant la durée de cotisation. Il y aurait donc moins de cotisants mais beaucoup plus de bénéficiaires, alors que le vieillissement de la population entraîne déjà une augmentation relative du nombre de retraités par rapport au nombre d’actifs. À moyen terme, la situation risque de s’aggraver encore, la fécondité ayant chuté à 1,68 enfant par femme. En aggravant le déséquilibre démographique, vous aggraveriez le déséquilibre financier. Le déficit ne fera donc que se creuser, pour s’établir à 14 milliards d’euros en 2030 et à 21 milliards en 2035. En 1970, on comptait 3 cotisants pour un retraité, 2 en 2000, 1,7 seulement aujourd’hui. Et vous voulez encore engendrer du déficit !
Beaucoup de nos concitoyens savent que vos propositions sont déraisonnables, qu’un tel déséquilibre leur porterait préjudice. Vos mesures instaureraient un système structurellement sous-financé, mettant en péril la retraite par répartition. Le niveau des pensions serait menacé d’une baisse durable, tandis que les cotisations des actifs pourraient augmenter, grevant d’autant leur pouvoir d’achat, sans leur assurer que leur pension future serait à la hauteur de leurs espérances. Ceux qui travaillent comme ceux qui ont travaillé perdraient donc du pouvoir d’achat : c’est inacceptable.
Bien conscients de l’équation, les Français attendent plus de justice sociale et une amélioration du système de retraite. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a indiqué que certaines faiblesses pouvaient être corrigées, concernant notamment les retraites progressives, l’usure professionnelle et l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous devons engager un dialogue avec les partenaires sociaux pour réfléchir à des aménagements raisonnables et justes de la loi.
M. Alexis Corbière (EcoS). Les membres du groupe Écologiste et Social voteront pour ce texte. Nous ouvrons sans doute le débat le plus important de la législature, au carrefour entre la question sociale et la question démocratique, les deux grands sujets qui déchirent la société.
La contre-réforme des retraites de 2023 est injuste socialement. Actuellement, 40 % des travailleurs ne restent pas en emploi jusqu’à 62 ans ; avec son application, 110 000 personnes supplémentaires basculeront dans les minima sociaux et, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, on comptera 280 000 nouveaux demandeurs d’emploi.
Le problème est aussi démocratique. Collègues macronistes, si vous vous demandez pourquoi vous avez subi une défaite aux dernières élections, sachez que l’explication réside dans l’adoption de cette réforme. On ne peut impunément recourir au 49.3 pour imposer à un peuple une mesure dont il ne veut pas. C’est le théorème de Macron : toute force politique non majoritaire plongée dans l’action illégitime pour infliger au monde du travail des reculs sociaux sera rudement battue. Il s’agit maintenant de respecter les électeurs. Deux tiers des citoyens qui sont allés voter aux dernières législatives ont choisi des forces politiques qui défendaient l’abrogation de la réforme. Même si vous soutenez cette dernière, respectez leur demande.
Le 8 juin 2023, les forces de la NUPES ont prêté serment d’abroger la réforme des retraites. Respectons le programme du Nouveau Front populaire, au fondement de notre mandat : la suppression de la réforme figure en tête des propositions, il est temps de l’appliquer. Ne vous obstinez pas à défendre un texte dépourvu de toute légitimité, injuste socialement. C’est le président Macron qui a voulu la dissolution ; respectez le vote. Le message est clair : abrogation de la réforme des retraites.
M. Nicolas Turquois (Dem). Dans la série Annulation de la réforme des retraites, nous allons découvrir l’épisode 18. Privilège du député que je suis, j’ai eu un accès exclusif au script ; il ressemble furieusement à celui de l’épisode 17, lui-même jumeau du 15 et du 16. Certes, le réalisateur a changé, mais les acteurs sont les mêmes. La blonde Chimène à droite et l’invisible Rodrigue à gauche vont-ils, cette fois, unir leurs forces ? Dans le précédent épisode, spin-off du RN, Rodrigue a éconduit Chimène. Cette fois, pris de remords, il va essayer de la séduire. Y arrivera-t-il ? Le groupe politique du bloc central conserve le rôle d’affreux méchant, avide de chair humaine et d’argent.
Pourtant, dans l’épisode initial, compte tenu du rapport toujours plus défavorable entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités, les membres de ce groupe avaient défendu des mesures à même de protéger le système par répartition, en demandant des efforts certes importants, mais équilibrés. Ils avaient aussi voulu corriger des injustices, notamment en revalorisant des petites pensions, en permettant des départs anticipés pour les carrières longues, en favorisant les retraites progressives, en instaurant une assurance vieillesse pour les aidants, en renforçant le compte professionnel de prévention. Mais considérant que tout cela n’est que balivernes, Rodrigue va sortir le grand jeu : les taxes, exorbitantes, sur le tabac, qui transféreront massivement la consommation sur des cigarettes d’importation, et l’imposition des superdividendes qui, par nature, ne sont pas pérennes. Quoi de mieux ?
Du reste, Rodrigue doit avoir des problèmes de mémoire. En contradiction avec le texte qu’il déclamait il y a encore quelques mois, il ne défend plus l’objectif commun du droit à la retraite à 60 ans, ni la prise en compte du revenu de solidarité active pour valider des trimestres, ni l’indexation du montant des retraites sur les salaires.
C’est un vrai soap opera ! L’épisode aurait été bien plus captivant si la proposition avait été de confirmer le recul de l’âge de départ et de travailler davantage sur des sujets tels que la retraite des femmes et la pénibilité. Mais cela nécessitait d’améliorer sérieusement le scénario. Notre groupe remettra donc la palme citron à ce triste feuilleton.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). La journée réservée a été créée pour renforcer les pouvoirs du Parlement et valoriser l’initiative parlementaire. Il est difficile d’affirmer que l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour valorise le travail de cette assemblée.
Après avoir, discrètement, lié vos voix aux nôtres le 31 octobre pour rejeter la même proposition défendue par les membres du groupe Rassemblement National, dans l’unique but de réclamer pour vous seuls ce simulacre de victoire politique ; après avoir associé vos voix aux leurs le 4 novembre pour adopter une pseudo-abrogation de la réforme des retraites dans l’annexe du PLFSS, vous défendez un copié-collé de la proposition de loi du RN. Votre rapport n’est qu’une vague reformulation de celui, déjà lacunaire, de M. Ménagé, avec encore moins de propositions de financement.
Le système par répartition a été instauré, en 1946, sur la base de 4 actifs pour 1 retraité ; elle est aujourd’hui de 1,7 actif pour 1 retraité – ce n’est plus tenable. Pour le sauver, nous avons trois possibilités : diminuer le montant des pensions, augmenter les cotisations, travailler collectivement plus longtemps. En refusant ce choix, vous voulez faire croire aux Français que nous pouvons travailler toujours moins et recevoir toujours plus, sans affecter la dette, l’économie, le pouvoir d’achat, les taux d’intérêt, le système social tout entier. Cette vision est attrayante mais délétère. Les membres du groupe Horizons & Indépendants diront toujours la vérité aux Français sur la réalité budgétaire. Nous voterons donc contre cette proposition de loi, populiste et irresponsable.
M. Laurent Panifous (LIOT). Ce texte a le mérite de remettre sur la table un problème qui est loin d’être soldé : l’injustice, sur le fond et sur la forme, de la réforme de 2023.
Avec plusieurs députés de mon groupe, nous avions défendu, parmi d’autres idées, celle d’élargir la base de financement aux revenus du capital. La réalité budgétaire et démographique rend difficilement soutenable un financement limité aux seuls revenus du travail. Nous avons aussi insisté sur l’importance de la pénibilité, dont certains des critères introduits au fil des réformes successives ont été anormalement supprimés ces dernières années – j’espère que nous serons capables d’intégrer dans une inévitable prochaine réforme des critères objectifs. Nous soutenons également l’incitation à travailler plus longtemps pour ceux qui le souhaitent – augmenter le bonus de 5 % qui s’applique actuellement par année supplémentaire serait bénéfique pour le financement du système –, mais aussi la retraite progressive et le cumul emploi-retraite. Globalement, il faudrait réunir une conférence de financement pour étudier toutes les pistes possibles.
Ce texte tend à supprimer les deux réformes Touraine et Macron. La première était difficile mais elle était juste, car tout le monde devait cotiser un peu plus. Je défendrai un amendement en vue de la maintenir ; s’il est adopté, je soutiendrai cette proposition de loi.
M. Yannick Monnet (GDR). Nous aurions pu saisir l’occasion de l’examen de ce texte pour avoir un vrai débat de fond sur le sujet des retraites. Je suis toujours surpris du mépris que nous manifeste le bloc central : ici, ceux qui gèrent depuis sept ans le pays, dont on voit dans quel état il est, nous donnent des leçons de gestion ; là, M. Le Maire, autrefois membre du parti Les Républicains nous explique qu’on dit la vérité aux Français. Il me semble que le débat mérite notre humilité. Nous n’avons pas les mêmes projets de société, et c’est tant mieux, mais il est gênant que certains essaient d’avoir raison tout seuls – plus de 70 % des gens opposés à une réforme devraient être un indicateur.
S’agissant des leçons de gestion, l’augmentation des salaires est une proposition de financement. Cela permettrait d’augmenter les cotisations tout en réglant le problème du pouvoir d’achat. Et puisque nous pensons que la retraite doit être intégralement financée par les cotisations, l’article 3 du texte n’est pas satisfaisant à nos yeux. Mais on fait avec les outils législatifs dont on dispose : une proposition de loi doit être gagée.
J’entends dire qu’il faut sauver le régime par répartition. Par principe, il ne peut se trouver en faillite, puisque la caisse est toujours alimentée. Ce n’est pas le cas de la retraite par capitalisation, que la droite défend.
On nous oppose que notre pays est celui qui prélève le plus. Mais il faut tout comparer ! Nous avons la sécurité sociale mais nous sommes aussi le seul pays européen à disposer de la force de dissuasion nucléaire, qui coûte 20 millions d’euros par jour : nous avons aussi plus de dépenses que les autres.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Sylvie Bonnet (DR). La réforme Macron est profondément injuste ; il faut la corriger, et le Premier ministre Michel Barnier s’y est engagé. Il faut mieux prendre en compte la pénibilité, les responsabilités assumées et la situation des femmes. Corentin Le Fur et moi avons déposé une proposition de loi visant à prendre réellement en compte les trimestres acquis au titre de la maternité, afin que les femmes perçoivent une retraite décente.
Il faut être honnête avec les Français : la situation des finances publiques ne permet pas de ramener la durée de cotisation à quarante-deux annuités.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je reconnais à la gauche une certaine constance : elle suit la même voie depuis 1981 et l’adoption de la retraite à 60 ans. Mais depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Souvenons-nous de Michel Rocard annonçant que le sujet des retraites ferait tomber des gouvernements : nous y sommes !
Il est confortable d’être dans l’opposition, de critiquer et de faire des propositions démagogiques – revenir à un départ à 62 ans et pourquoi pas à 60 ! –, mais force est de constater que lorsque la gauche est au pouvoir, elle ne revient jamais sur les mesures prises.
Collègues de gauche et du RN, amusez-vous tant que vous êtes dans l’opposition, mais je vous mets au défi de présenter à nouveau ce texte d’abrogation si vous deviez un jour arriver au pouvoir ! Lorsque l’on est aux manettes, on comprend très bien qu’il n’est pas finançable.
M. Philippe Vigier (Dem). L’alliance d’un jour entre le NFP et le RN ne trompe personne. Il est tellement facile d’expliquer qu’on peut percevoir une bonne pension en travaillant moins, en mettant les déficits sous le tapis ! Pour financer le système de retraite, monsieur le rapporteur, ce ne sont pas 5 milliards d’euros qui manquent, mais 40 milliards d’euros – je vous renvoie au rapport du haut-commissariat au plan.
La réforme de 2023 était indispensable, en raison de la démographie. Contrairement à ce qu’a dit M. Monnet, si le système de retraite par répartition est à l’équilibre avec quatre actifs pour un retraité, ce n’est plus vrai avec un actif et demi pour un retraité. On le voit douloureusement dans la fonction publique, c’est ce qui rend l’équation insupportable pour les collectivités territoriales dans le projet de budget. Efforçons-nous de dire les choses honnêtement et d’améliorer les imperfections restantes.
Par ailleurs, je rappelle que la prise en considération des trimestres de grossesse résulte de l’adoption d’amendements du groupe Les Démocrates. Ces avancées sont cependant insuffisantes et nous devons aller plus loin, notamment pour les travailleurs âgés et pour les femmes. Nous serons au rendez-vous de la justice sociale et notamment de la défense des petites retraites ; systématiquement oubliées, elles sont notre cheval de bataille.
M. Hendrik Davi (EcoS). Faut-il revenir sur la réforme des retraites de 2023 ? Oui, parce qu’elle est injuste socialement : les travailleurs les plus âgés se retrouvent au chômage ou en arrêt de travail et ne peuvent partir à la retraite. Oui, parce qu’elle est injuste démocratiquement : le peuple français n’en voulait pas.
La présente proposition de loi est-elle finançable ? Oui, comme le prévoyaient les différents amendements au PLFSS que nous avons déposés : l’un d’entre eux avait notamment pour but de revoir les exonérations de cotisations sociales pour dégager 13 milliards d’euros ; un autre visait à obtenir 5 milliards en augmentant de 9,2 % à 12 % le taux de la contribution sociale généralisée sur les revenus du capital. Ces 18 milliards dépassent largement le montant nécessaire au financement du texte.
J’invite les collègues qui ont soulevé le problème, réel, du ratio entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités, à transposer leur raisonnement au domaine de l’agriculture. En 1850, près de 52 % des Français étaient paysans et ils ne nourrissaient pas la France dans son ensemble ; ils sont désormais trop peu nombreux, mais y parviennent néanmoins, notamment grâce à l’augmentation de la productivité. Pourquoi ne comprenez-vous pas que la même évolution a concerné la population active ?
L’enjeu de l’abrogation de la réforme des retraites est celui de la répartition des richesses : les exonérations de cotisations sociales s’élèvent à près de 80 milliards d’euros alors que 70 milliards de dividendes sont versés aux actionnaires. C’est très simple !
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). L’air sera plus léger quand nous aurons voté l’abrogation de la retraite à 64 ans, imposée en recourant au 49.3 et toujours rejetée par 71 % des Français, dont plus de 90 % d’actifs. Vous avez arraché deux années de vie à des millions de travailleuses et travailleurs sans aucune honte, avec des mensonges sur les pensions de 1 200 euros, des violences policières et des gardes à vue arbitraires.
Qui sont, comme d’habitude avec vous, les premières victimes ? Les femmes et les hommes qui exercent les métiers les plus pénibles, que personne dans cette salle n’a exercé. Personne ici ne sait ce que c’est que d’avoir le dos cassé pour 1 000 euros mensuels, tout en étant forcé de travailler jusqu’à 64 ans, à part peut-être ma collègue Mathilde Hignet, qui était ouvrière agricole !
Le prix de vos cadeaux aux plus riches, vous le faites payer aux femmes qui traînent toute leur vie des petits salaires, des temps partiels subis, des carrières morcelées, des corps usés par des emplois pénibles au service du plus grand nombre. Avant même la réforme de 2023, 40 % des femmes partaient à la retraite après une carrière incomplète et 19 % d’entre elles attendaient d’avoir 67 ans pour éviter la décote. Déjà, elles partaient à la retraite en moyenne six mois après les hommes, au terme d’une vie professionnelle pendant laquelle elles avaient gagné 15 % de moins, à temps de travail égal.
Dès le début de l’année 2023, votre propre étude d’impact annonçait que la retraite à 64 ans allait infliger deux années complètes de décalage à une femme sur quatre ; que deux tiers des personnes qui devraient partir plus tard seraient des femmes ; que leur âge de départ augmenterait deux fois plus que celui des hommes. Votre réforme diminue aussi le niveau des pensions des femmes. Franck Riester avait vendu la mèche, vous saviez que les femmes allaient être « pénalisées par le report de l’âge légal ». Vous vous êtes pourtant dit que c’était une bonne idée ! De qui vous moquez-vous ?
Nous avons toujours été opposés à la retraite à 64 ans, aux quarante-trois annuités et au gel des pensions que vous prévoyez, parce que nous nous tenons aux côtés des trois quarts des Français opposés à cette réforme. Rendez-vous en séance publique le 28 novembre !
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). On entend beaucoup dire, notamment dans les rangs des partisans de la retraite à 64, 65 ou 66 ans – bientôt 85 ans ! –, que les chiffres sont révélateurs. Mais en langage des chiffres comme en langage des fleurs on peut dire n’importe quoi, a fortiori après avoir licencié le président du COR dont l’analyse déplaît !
De façon intéressante, notre collègue Bazin a convoqué le ratio entre cotisants et retraités, qui est le nœud de la discussion. En l’an 2000, il y avait 2 cotisants pour 1 retraité, contre 1,7 actuellement ; le ratio a reculé de 15 %. De mon côté, j’ai examiné l’évolution de la productivité du travail depuis l’an 2000 : elle a augmenté de 16 %, soit davantage que la dégradation du ratio. Cela signifie que 1,7 cotisant aujourd’hui produit plus que 2 cotisants en l’an 2000. Non seulement la dégradation du ratio n’est pas problématique, mais la situation est même meilleure qu’en l’an 2000 ! Si l’on distribuait les richesses de la même manière qu’il y a vingt-cinq ans, il n’y aurait aucun problème. Merci beaucoup, monsieur Bazin, pour votre plaidoyer visant à reprendre au capital ce qu’il a ponctionné pendant cette période pour le remettre dans les caisses de retraite.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Mme Cathala a parfaitement raison, la réforme d’Emmanuel Macron a surtout pénalisé les femmes, comme le reconnaissait en 2023 l’étude d’impact du Gouvernement expliquant que les femmes, parce qu’elles connaissent des carrières hachées et subissent davantage le temps partiel, seraient pénalisées deux fois plus que les hommes. Dès lors, il est intéressant d’entendre ses promoteurs nous expliquer qu’il s’agit d’une réforme de justice sociale !
Le problème du financement du système de retraite tient à la politique économique menée par Emmanuel Macron et ses prédécesseurs. On peut financer ce système si l’on est capable de mener une politique économique créant de la richesse et des emplois, et favorisant la productivité et la réindustrialisation. Essayez de redresser les résultats piteux des gouvernements depuis sept ans plutôt que de faire payer aux Français le prix de votre incompétence !
Enfin, vous utilisez l’appui du groupe RN à cette abrogation pour stigmatiser ceux qui la soutiendraient, alors qu’elle est souhaitée par plus de 70 % des Français ! S’adjoindre les voix du RN, ce n’est pas pactiser avec le diable puisqu’elles sont indispensables à l’adoption du texte. En tout état de cause, nous serons particulièrement fiers de contribuer à revenir sur cette réforme profondément injuste, imposée à coups de 49.3 contre la volonté populaire.
M. Laurent Baumel (SOC). Chers collègues macronistes et de la Droite Républicaine, vous avez le droit d’avoir un tropisme idéologique. Dans vos milieux politiques et économiques, la réforme des retraites représente depuis plusieurs décennies une sorte de totem, qui vous conférerait une forme de responsabilité par rapport aux finances du pays. Vous vous sentez obligés de mener cette réforme, quels que soient les arguments, objectifs ou non, relatifs à sa nécessité, poursuivant ainsi votre idée fixe. Or le peuple l’a massivement rejetée et elle n’a pu être adoptée que grâce au recours au 49.3.
Certes, cette assemblée est dépourvue de majorité absolue et la gauche ne dispose que d’une majorité relative – un peu plus solide que la vôtre –, mais regardez ce qui s’est passé dans le pays ! Vous devriez en tenir compte, si vous avez un peu de conscience démocratique, et entendre la nécessité de revenir sur cette tâche du second quinquennat Macron.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Le peuple sera toujours majoritairement opposé à cette réforme, pour une raison simple : repousser l’âge de départ à la retraite est injuste, a fortiori si vous supprimez les critères de pénibilité. Il est incroyable que vous ne l’entendiez pas ! Posez-vous la question : à quoi sert la démocratie ? Quel est le rôle d’un représentant du peuple ?
Madame Thevenot, vous avez évoqué Françoise, qui est venue vous dire à quel point elle était contente de sa situation, mais elle n’a sans doute pas fait le siège de votre permanence pour réclamer deux ans supplémentaires de travail. Et quand bien même voudrait-elle travailler plus longtemps, elle n’a pas besoin de cette réforme pour le faire.
Pour mener à bien cette réforme, vous avez choisi de ne pas toucher aux cotisations sur les hauts salaires, ce qui la rend particulièrement injuste et en fait un impôt sur le corps des plus précaires, au bénéfice des détenteurs des emplois les moins pénibles et les mieux payés.
La question n’est pas tant l’âge de départ que le taux d’emploi des plus de 55 ans. Il aurait suffi d’une politique volontariste de remise à l’emploi de ces derniers pour résoudre le problème du financement des retraites. Cet aspect a été passé sous silence, au profit d’une réforme autoritaire qui s’impose à tous. Bien au-delà de votre camp, qui a fondu lors des dernières élections, ce que vous faites abîme la démocratie tout entière.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Je ne peux m’empêcher de penser au film Un jour sans fin, tant nous réitérons nos discussions sur la réforme des retraites. En tant que rapporteure du PLFRSS, que j’ai défendu avec conviction, je me souviens bien du débat initial qui a duré plusieurs semaines.
Notre désaccord porte sur un principe fondamental. En raison de l’évolution démographique, les actifs, sur lesquels repose le financement du système de retraite par répartition, sont de moins en moins nombreux. Pour protéger ce système, comme nous le souhaitons tous, trois solutions s’offrent à nous : augmenter les cotisations, diminuer les pensions ou repousser l’âge de départ à la retraite. Nous avons choisi cette dernière solution pour préserver le pouvoir d’achat des actifs et des retraités. Vous ne partagez pas notre vision et vous n’approuvez pas ce choix, mais soyons honnêtes : si la réforme de 2023 est abrogée, les salariés pourront certes partir à la retraite à 60 ans, mais avec une pension plus faible – si elle est encore versée – et un pouvoir d’achat diminué.
Mme Béatrice Bellay (SOC). À l’heure où plusieurs territoires, dont la Martinique, sont en proie aux révoltes, certains ne veulent manifestement pas comprendre qu’une partie de la population vit, malgré son travail, dans la plus grande des misères et refuse d’être privée de deux années de vie exemptes de travaux parfois pénibles, après des carrières hachées et mal payées.
Ce ne sont pas tant vos choix idéologiques qui nous surprennent, que votre mépris pour la démocratie et pour les Français, qui vous ont dit non. Vous persistez, inlassablement, dans votre refus de les entendre, avec des 49.3 à répétition et aujourd’hui, alors que l’on vous donne l’occasion de changer d’avis, vous signez !
Ces dernières années, vous nous avez donné des leçons sur bien des sujets, notamment votre capacité à gérer la France en bon père de famille, ou plutôt en banquier. Nous avons surtout remarqué que vous êtes les pires élèves qu’on ait jamais vus en la matière : le congrès de l’Association des maires de France se tient juste après la proposition la plus infâme concernant les dotations aux collectivités territoriales. De grâce, ne nous donnez pas de leçons ! Certes, nos avis divergent, mais c’est celui des Français auquel vous devez vous conformer.
Mme Océane Godard (SOC). Je ne reviens pas sur l’adoption brutale de cette réforme des retraites, en 2023, qui a scellé un véritable divorce entre le peuple et le pouvoir, entérinant la détérioration profonde de l’esprit de la démocratie. Elle a rompu la confiance et a remis en question la légitimité du pouvoir alors en place, dont l’autorité naturelle a été abîmée. C’est cela dont nous avons conscience et que nous exprimons aujourd’hui.
À aucun moment celles et ceux qui défendent cette réforme ne parlent de la réalité du marché du travail ni ne prennent en considération le souhait des Français d’une meilleure conciliation de leur vie personnelle et de leur vie professionnelle. La place du travail a évolué, les Français ne sont plus prêts à sacrifier leur vie pour la gagner ! Vous ne tenez pas davantage compte des mutations économiques qui transforment les métiers, octroyant une place beaucoup plus importante à la formation et aux compétences. Les vies sont plus longues – tant mieux –, mais se déroulent en séquences plus courtes. Nous regrettons que vous soyez dans le déni de ces réalités.
M. Didier Le Gac (EPR). Je peux entendre que LFI et le RN s’opposent, pour des raisons différentes, à cette réforme prévoyant l’allongement de la durée du travail et s’accordent sur ce texte, mais j’ai du mal à entendre les deux dernières oratrices, du Parti socialiste, nous expliquer que les carrières hachées pénalisent les travailleurs, alors que la réforme Touraine prévoyait quarante-trois ans de cotisations ! Cela signifie que quelqu’un qui a commencé à travailler à 23 ans et dont la carrière est hachée ne peut pas partir à la retraite avant 64 ou 65 ans. Vous parlez de la confiance du peuple, mais commencez par lui dire la vérité ! Vous avez beau jeu de critiquer cette réforme, mais soyez cohérents avec les mesures prises par votre parti !
Mme Karine Lebon (GDR). J’ai failli bondir quand Mme Thevenot a parlé d’un médecin libéral de Mayotte, parce que les outre-mer ont été particulièrement touchés par votre réforme.
À l’exception de Mayotte – un colloque entier ne suffirait pas à épuiser les sujets relatifs aux inégalités dont elle souffre –, c’est à La Réunion que l’on touche les pensions les plus faibles ; 37 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté, contre 13 % dans l’Hexagone. Les retraités réunionnais touchent en moyenne 1 160 euros bruts par mois, soit 28 % de moins que ceux de l’Hexagone, ce qui les place sous le seuil de pauvreté ; la moitié d’en eux perçoivent un montant brut inférieur à 850 euros par mois – soit 43 % de moins. Qu’est-ce qu’on peut faire avec cette somme ? Les Réunionnais sont particulièrement nombreux à dépendre du minimum vieillesse : 17 %, contre 4 % dans l’Hexagone. Les seniors réunionnais sont trois à quatre fois plus nombreux à être pauvres.
Quand on est réunionnais, on ne peut pas cautionner votre réforme, rejetée par 70 % de la population française. Les macronistes de mon territoire n’ont d’ailleurs pas fait ce choix : le président du département, qui soutenait Emmanuel Macron, a demandé au gouvernement précédent de revenir dessus, et à tout le moins de ne pas l’appliquer outre-mer. Mais comme toujours, vous avez fait kom zoreil cochon dans marmite pois – la sourde oreille.
M. le rapporteur. Vos nombreuses interventions confirment l’importance de ce texte. Avant tout, je voudrais clarifier certains points, évoqués notamment par les députés du groupe EPR. Vous faites valoir les avancées de la réforme de 2023 concernant les plus petites pensions, notamment le minimum contributif ; soyez rassurés, cette proposition de loi d’abrogation n’a pas pour but d’y toucher, pas plus qu’aux autres avancées.
En revanche, ce que vous ne dites pas, c’est que votre réforme ne permet pas d’atteindre l’équilibre financier, et ce, dès 2024. J’ai moi-même eu du mal à le croire, mais elle est ratée dès le départ ! C’était pourtant ce qu’on nous avait vendu : « vous trimerez plus, mais le système des retraites sera mieux financé ». Ce n’est pas le cas, parce que les paramètres que vous avez mis en avant – la durée des cotisations et la démographie – ne sont pas les seuls à entrer en ligne de compte. Vous avez habilement évacué la question des recettes et délaissé celle de la productivité. Je m’attendais à des interventions mettant en avant le taux d’emploi, en particulier celui des seniors, sujet défendu par l’ancienne majorité relative. On comprend que vous n’en ayez pas parlé, puisque vous n’avez atteint aucun des objectifs annoncés initialement.
Votre politique économique passée, tout comme celle qui s’annonce pour 2025, reposant sur la réduction des dépenses publiques, va nous conduire à une récession qui ne va améliorer ni les comptes de la sécurité sociale ni la situation des retraites. Les projections du COR en tiennent d’ailleurs compte. Vous avez finalement renoncé à améliorer la productivité, parce qu’elle dépend en particulier de la qualité de vie au travail tout au long de la carrière. Or celle-ci se dégrade, en raison des différentes réformes du marché du travail que vous avez menées, prévoyant notamment la suppression des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Pour être en bonne santé en fin de carrière, encore faut-il avoir été en bonne santé tout au long de sa carrière.
J’entends vos arguments en faveur de la prise en considération de la pénibilité. Cela tombe très bien, car ma collègue Gabrielle Cathala défendra tout à l’heure une proposition de loi visant à reconnaître la pénibilité des métiers « féminisés », qui exaucera vos vœux. Je ne doute donc pas de votre soutien, à moins que vous ne fassiez preuve de la même hypocrisie que lors de vos interventions matinales.
La gauche, avec constance, maintient son objectif de diminuer le temps de travail, par jour, par semaine, par année et tout au long de la vie, afin de dégager du temps choisi, pour soi ou pour la collectivité. Nous avons vu à quel point les retraités ne sont pas inactifs ; à leur manière, ils participent à la cohésion sociale et à la solidarité.
J’entends les arguments, de la droite en particulier, concernant le financement. Comme l’ont expliqué plusieurs collègues, trois solutions permettent de l’assurer : diminuer les pensions, augmenter la durée du travail ou augmenter les cotisations. Cette dernière est la solution politique que nous avons choisie ! À défaut d’augmenter les cotisations, on peut imaginer ne pas les diminuer autant que la réforme le prévoit. Les exonérations de cotisations représentant 77 milliards chaque année, on pourrait les réduire pour atteindre l’équilibre. Les sources de financement que nous proposons sont multiples, viables et chiffrées, ce qui constitue une différence notable avec le texte examiné le mois dernier. Nous ne proposons pas de jouer notre va-tout sur une hypothétique relance de la natalité, qui serait pour le moins incertaine.
Tous les ingrédients sont donc réunis pour que nous ayons un débat éclairé, serein et loyal, et que des choix politiques soient opérés. J’ai énuméré les financements supplémentaires : nous ne proposons pas de raser gratis ! M. Vigier s’inquiétait du déficit à venir en cas d’adoption de notre texte d’abrogation ; il peut déjà s’inquiéter du déficit provoqué par la réforme elle-même ! D’ici à 2070, 30 milliards d’euros manqueront, toutes choses étant presque égales par ailleurs, les projections du COR variant en fonction de différents paramètres. Notre proposition de loi tend à ajouter 20 milliards, mais nous proposons différents financements pour régler le problème de financement, comme l’augmentation des cotisations de 0,15 point pendant sept ans ou la relance de la productivité par l’amélioration de la qualité de vie au travail tout au long de la vie.
L’indexation des pensions de retraite sur les salaires figure toujours dans nos propositions, mais le présent texte vise seulement à abroger la réforme de 2023 et non à créer un système de retraite idéal. Toutefois, si vous souhaitez mettre à l’ordre du jour l’élaboration d’un tel système, il vous suffit de censurer le gouvernement Barnier et d’expliquer au président Macron qu’il doit nommer un Premier ministre issu du Nouveau Front populaire, tout en vous engageant à ne pas censurer ce futur gouvernement pour qu’il puisse convoquer une conférence de financement permettant de conduire une réforme juste démocratiquement, socialement et économiquement. Joignez l’acte à la parole et laissez-nous faire !
Avec le présent texte, nous disposons de tous les ingrédients nécessaires à l’abrogation de la réforme de 2023, sans que cela empêche ceux qui souhaitent travailler jusqu’à 64 ans de le faire, avec une surcote. Avec votre réforme en revanche, un travailleur partant à 64 ans ne bénéficie plus de la surcote de 10 % qui existait précédemment ; s’il perçoit une petite pension, celle-ci n’excédera pas 30 à 40 euros bruts grâce au minimum contributif supplémentaire. Ne dites pas qu’il s’agit d’une avancée ! Quand le montant de la pension diminue pour la même durée de cotisation, c’est un recul.
Vous pouvez donc voter tranquillement pour ce texte visant à abroger la réforme de 2023. Nous nous reverrons pour débattre de son financement concret lors de l’examen du PLFSS à son retour du Sénat, ou sous le prochain gouvernement issu du Nouveau Front populaire.
Article 1er : Abrogation du report de l’âge légal de départ à la retraite, d’autres mesures d’âge ainsi que de l’augmentation de la durée de cotisation
Amendement de suppression AS1 de Mme Prisca Thevenot
M. le président Frédéric Valletoux. Sur cet amendement, je suis saisi par plusieurs commissaires des groupes Rassemblement National et La France insoumise - Nouveau Front Populaire d’une demande de scrutin.
Mme Prisca Thevenot (EPR). Pour toutes les raisons évoquées dans les propos liminaires et les prises de parole des députés du socle commun, nous souhaitons supprimer cet article et travailler sur les sujets de fond.
Le rapporteur l’a lui-même rappelé, l’abrogation de la réforme des retraites de 2023 vise un seul objectif : faire de la politique, non pas pour les Français, mais uniquement pour les membres de cette commission ; faire preuve de démagogie et polémiquer sans rien proposer.
Vous dites vouloir améliorer différents points de la réforme de 2023, comme la situation outre-mer – au sujet de laquelle vous avez expliqué être opposés à la revalorisation des petites pensions permise par la réforme –, la retraite des femmes, les droits parentaux et la pénibilité : faisons-le ! Cet outil législatif ne le permet pas et il est faux de faire croire le contraire.
M. le rapporteur. J’ai cru un instant me trouver dans le métavers : lorsque vous évoquiez la démagogie et la polémique, je pensais que vous parliez de vous-même. Depuis ce matin, votre seule intervention a porté sur des cas particuliers de personnes ayant touché le minimum contributif, que cette proposition de loi ne vise pas à supprimer ! Vous n’avez donc pas épuisé les arguments de fond – encore un effort !
Pour la beauté du débat, je veux bien faire semblant de vous croire, mais vous pouvez tout à fait voter ce texte si vous souhaitez maintenir le minimum contributif. Les retraités qui perçoivent les plus petites pensions seront d’ailleurs les premiers gagnants de la modification de la borne d’âge.
Je ne comprends donc pas vos arguments en faveur de la suppression de cet article. Des députés d’autres groupes ont argumenté au sujet des méthodes de financement, de la productivité ou de la démographie, mais de la part des membres du groupe EPR, je n’ai entendu que des propos dilatoires, démagogiques et polémiques, comme vous dites.
M. Thibault Bazin (DR). Monsieur le rapporteur, monsieur Clouet, vous avez raison d’évoquer la productivité : si sa croissance est au rendez-vous, l’équilibre budgétaire du système de retraite sera amélioré. Or les projections du COR varient en fonction des hypothèses de gains de productivité : au-dessus de 1,5 % de croissance par an, le système sera excédentaire, en dessous de 1,3 %, il sera déficitaire. Mais vous ne pouvez nous assurer qu’elle sera supérieure à 1,3 % par an au cours des prochaines années !
Durant la décennie qui a précédé la crise sanitaire, alors que la gauche était au pouvoir une grande partie du temps, les gains de productivité apparents du travail en emploi par tête se sont établis à 0,5 % ou 0,6 % par an. En outre, la plupart des pays avancés connaissent un ralentissement des gains de productivité. La croissance de la productivité pourra bénéficier aux salariés, mais pas aux retraités puisque les pensions n’évoluent pas en fonction des gains de productivité courante.
Monsieur le rapporteur, nous avons un désaccord profond : vous voulez augmenter les cotisations des actifs, c’est-à-dire diminuer le pouvoir d’achat des travailleurs, alors que nous voulons tout l’inverse ! C’est la raison pour laquelle nous voterons cet amendement de suppression.
M. Alexis Corbière (EcoS). Mme Thevenot a utilisé le mot « démagogie » : ce serait donc flatter les gens que de vouloir respecter leur souhait ?
En République, le peuple est souverain. Dès lors qu’il est très majoritairement favorable à l’abrogation de cette réforme, qu’il l’exprime par des manifestations et des mobilisations sociales, mais aussi dans les urnes, vous ne pouvez considérer que ce qu’il souhaite est démagogique ! Dire cela traduit une forme d’arrogance de votre part et une pensée profondément antidémocratique.
Vous êtes tellement persuadés d’avoir raison qu’il vous semble légitime qu’une minorité impose ses choix au plus grand nombre. Votre système intellectuel est celui de l’aristocratie, d’une petite minorité de sachants ; il est profondément antirépublicain. C’est la raison pour laquelle vous avez perdu les dernières élections, sans être capables d’en tirer aucune conclusion ! À force de réfléchir comme vous le faites, vous fabriquez une pensée autoritaire. Fort heureusement, vous êtes battus à chaque élection, mais de grâce, cessez d’utiliser ce vocabulaire hautain qui reflète votre mépris de classe ! Cessez de croire, à chaque prise de parole, que vous êtes intellectuellement supérieurs au peuple, parce que vous ne l’êtes pas !
Mme Karine Lebon (GDR). Comment ce qu’il convient d’appeler le bloc central peut-il continuer à déverser les mêmes éléments de langage alors qu’il a réussi l’exploit de mobiliser la quasi-totalité des Français contre sa réforme des retraites ? Ce n’est pas en répétant inlassablement qu’il est nécessaire et utile de faire travailler nos concitoyens deux ans de plus que vous ferez de cette affirmation une vérité. Vous prétendez défendre les plus précaires, mais vous les appauvrissez. Vous prétendez prendre en compte les métiers difficiles, mais vous ne faites qu’accentuer le problème de la pénibilité. La réforme de 2023 ne correspond en rien à l’intérêt général ; au contraire, elle se soumet aux directives des marchés financiers.
Dans l’exposé sommaire de son amendement, Mme Thevenot ose même affirmer que laisser partir les gens à la retraite à 62 ans compromettrait la stabilité financière de la sécu. Quel étrange argument pour qui n’a cessé de défendre le déploiement et le renforcement du service national universel ! Pourquoi ne pas supprimer ce dispositif inutile et très coûteux ? Voilà une idée d’économie que vous pourriez souffler au Gouvernement, au lieu de vous attaquer brutalement aux travailleurs.
Comme nous l’avions promis lors des élections législatives, nous saisissons l’occasion qui nous est offerte de revenir sur la réforme des retraites. C’est pourquoi je vous invite à rejeter l’amendement de suppression.
M. Laurent Panifous (LIOT). Je ne voterai pas pour cet amendement, qui balayerait à la fois l’abrogation de la mesure d’âge prise en 2023 et celle de l’allongement de la durée de cotisation instaurée par la loi Touraine de 2014. Si la mesure d’âge est injuste et mérite d’être remise en cause, tel n’est pas le cas de la réforme Touraine qui, bien qu’impopulaire, n’en est pas moins juste.
M. Thomas Ménagé (RN). Bien entendu, nous voterons contre cet amendement de suppression. Pour s’opposer à cette proposition de loi, Mme Thevenot utilise, dans l’exposé sommaire de son amendement, les mêmes arguments que ceux qu’elle a employés il y a quelques semaines contre notre texte. Or, ni dans cette proposition de loi ni dans celle du RN, il n’est question de revenir sur la revalorisation de la retraite minimale, les départs anticipés, l’ouverture de nouveaux droits familiaux et sociaux incluant la création de pensions pour enfants orphelins jusqu’à 21 ans, le renforcement des droits des aidants familiaux ou la suppression des régimes spéciaux.
Il faut dire qu’après s’être permis, dans une diatribe digne de Mme Rousseau, experte en la matière, d’insulter Laure Lavalette, qui avait soulevé la question de la natalité lors de l’examen de la réforme des retraites en séance publique, Mme Thevenot vient de diffuser une vidéo dans laquelle elle souligne précisément la nécessité de mener une politique nataliste en vue d’un réarmement démographique...
Les arguments d’EPR, populistes et démagogiques, sont toujours à côté de la plaque quand il ne s’agit pas de fake news et de mensonges. Ainsi, Mme Rist affirme qu’il faut rejeter cette proposition de loi pour maintenir le niveau des retraites, retraites que le gouvernement Barnier est justement sur le point de désindexer.
M. Michel Lauzzana (EPR). Si nous avons réformé les retraites, c’est pour protéger notre modèle social et éviter qu’il ne s’effondre sous le poids des déficits. Au reste, ce diagnostic était partagé par la gauche de gouvernement – la vraie, pas celle qui est à la solde de LFI –, puisque, avec la loi Touraine, ils ont prolongé la durée de cotisation et ont même augmenté ces cotisations. De fait, nos déficits sont importants : aux 16 milliards d’euros que vous avez mentionnés, monsieur le rapporteur, il faut ajouter les 35 milliards de la fonction publique, soit un déficit total du régime des retraites d’environ 50 milliards. Il ne faut pas mentir aux Français. Je voterai pour l’amendement de suppression.
M. Fabien Di Filippo (DR). Je ne ferai pas le procès à M. Bernalicis de masquer ses intentions concernant le financement d’une réforme du système de retraite, comme j’avais pu le faire aux auteurs du texte du RN. Les intentions de l’extrême gauche sont claires, au contraire, et ceux qui soutiennent ce texte devront assumer leurs responsabilités devant les travailleurs, car les financements nécessaires – 3,5 milliards d’euros dès cette année, 16 milliards l’an prochain et jusqu’à 30 milliards dans les années qui viennent – seront assurés par une hausse des cotisations, c’est-à-dire par une diminution du salaire des travailleurs et une augmentation des charges des entreprises. C’est un suicide économique !
Je ne suis cependant pas de ceux qui pensent que la réforme de 2023 règle tous les problèmes, car la tendance démographique actuelle condamne le système par répartition. Or votre déni de la problématique démographique est inquiétant. Dès lors que le ratio ne sera même plus de 1,5 actif pour un retraité, imaginez le niveau que devront atteindre les cotisations pour soutenir le système : les charges des entreprises vont devenir insupportables ! Encore une fois, il est suicidaire d’approuver un tel texte.
M. Arthur Delaporte (SOC). La démagogie – puisqu’il en a été beaucoup question – me semble très bien illustrée par l’exposé sommaire de l’amendement : il y est question de tout sauf du texte. On y détaille les éléments positifs de la loi de 2023, et il y en a, comme l’article 11, relatif aux travaux d’utilité collective, qui reprenait une proposition d’une mission « flash » dont j’avais été le rapporteur. Or là n’est pas la question : ce ne sont pas ces mesures que la proposition de loi tend à supprimer, c’est la plus grande des injustices.
On continue, en outre, d’y relayer les mensonges de la propagande gouvernementale, que nous avons pourtant démontés pièce par pièce l’an dernier. Mme Thevenot affirme ainsi que la revalorisation de la retraite minimale sera « portée à 1 200 euros brut par mois, soit 85 % du Smic net » et qu’en bénéficieront chaque année « 180 000 à 200 000 personnes » alors que cette mesure – l’argument phare de la réforme ! – ne concernera, dans le meilleur des cas, que 10 000 à 20 000 personnes.
La démagogie est le fait, non pas de la gauche, mais de ceux qui s’arc-boutent sur une loi passée grâce au 49.3, contre la volonté des Français !
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Il est savoureux d’entendre nos collègues du bloc central paniquer au point de relayer des fake news : on se croirait sur un plateau de CNews ! Je me dois donc d’apporter quelques rectifications.
Premièrement, la proposition de loi ne fera pas baisser les pensions.
Deuxièmement, notre texte n’est pas identique à celui du RN, qui ne comportait aucune proposition de financement. Le RN veut abroger la réforme des retraites tout en s’opposant à toute augmentation des cotisations, de sorte qu’il en est réduit à compter sur la hausse du nombre des bébés...
On nous dit que l’augmentation des cotisations pèsera sur la France qui se lève tôt pour aller travailler. Attendez, ce n’est pas cette France-là qui se gave des exonérations de cotisations sociales sur les hauts revenus ou des cadeaux que vous faites aux entreprises sans que cela ait d’effets sur l’emploi ! Le montant de ces exonérations est compris entre 80 et 100 milliards d’euros : on a de la marge pour trouver des financements alternatifs. Il s’agit donc, là encore, d’un mensonge.
Par ailleurs, notre proposition de loi n’est pas, contrairement à ce que vous prétendez, un coup de communication politique, et ce pour une raison très simple : nous sommes majoritaires ! Nous ferons donc passer le texte à l’Assemblée nationale, puis la navette se poursuivra.
Enfin, vous dénoncez un vote commun avec le RN. Mais le pays tout entier veut abroger votre réforme des retraites ! D’ailleurs, il est plus honteux de voter avec le RN sur la loi immigration que de revenir sur une réforme injuste, rejetée par la majorité du peuple français, qui sourit de votre arrogance et de votre panique face à la démocratie qui vient abroger votre réforme.
M. Philippe Vigier (Dem). S’agissant des retraites, que voient les Français ? Tout d’abord, le problème démographique, qui est évident : le nombre des cotisants n’augmente pas, et le rapporteur le sait parfaitement. Il nous dit que la réforme de 2023 n’a pas tout réglé, et c’est vrai. Mais le financement qu’il propose se traduira par des salaires moindres si l’on augmente les cotisations salariales et par un coût du travail plus élevé, donc par la destruction d’emplois, si l’on rehausse les cotisations patronales. Il est vrai que la productivité a augmenté en France, mais nous ne sommes pas isolés du reste du monde : elle a également augmenté dans les pays voisins !
Si l’on commence à travailler à 23 ans et que l’on doit cotiser pendant quarante ans, on ne pourra partir à la retraite avec un taux plein qu’à 63 ans. Il faut dire aux Français que, dans cette hypothèse, ils ne pourront partir à 60 ans qu’avec une décote. Or, ce qui leur importe, c’est le montant qu’ils percevront. Il faut leur dire la vérité !
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Puisque j’entends encore parler de charges à propos des cotisations, je rappelle que celles-ci consistent à socialiser la richesse créée, donc une partie du revenu, en faveur de la solidarité. Lorsqu’on les augmente, on diminue, non pas les salaires, mais la part du bénéfice qui va au capital. Ce faisant, on rééquilibre le partage entre le capital et le travail, et c’est d’autant plus indispensable que le montant des dividendes bat des records chaque année.
Par ailleurs, puisqu’on m’a interpellée à ce sujet, je précise que je ne suis pas experte ès natalité, mais je défends le droit des femmes à disposer de leur corps. À tous les obsédés de la natalité, je rappelle qu’il est possible d’augmenter simplement et rapidement le nombre des cotisants : il suffit d’ouvrir un peu les frontières. Parce que vous ne voulez pas de salariés étrangers en France, vous êtes prêts à assigner les femmes à la maternité !
M. le rapporteur. Il est certain, et cela n’a rien de démagogique, qu’en abrogeant la mesure d’âge prise en 2023, on offre à nouveau aux gens le choix de partir à 62 ans. C’est de ce choix que vous les avez privés, monsieur Vigier. Si nous fixons l’âge de départ à 60 ans et le nombre d’années de cotisations à quarante, celui qui a commencé à travailler à 23 ans, pour reprendre votre exemple, pourra partir à 60 ans – certes, en se voyant appliquer une décote, mais il aura le choix. À l’heure actuelle, il n’en a pas d’autre, s’il veut percevoir une retraite à taux plein, que de bosser jusqu’à 66 ans. Reconnaissez donc que le système que nous proposons est, en tout état de cause, plus avantageux et offre davantage de choix.
La réforme de 2023, dites-vous, visait à sauver notre modèle. Or le régime est déficitaire dès cette année, et il le restera sur le long terme, pour des raisons liées notamment à la productivité, laquelle dépend de la politique économique. Voilà une manifestation supplémentaire de la faillite de sept ans de macronisme !
Vous semblez vous inquiéter d’une baisse des salaires nets en cas d’augmentation des cotisations. Tel ne serait pas le cas si l’on choisissait de rehausser plutôt les cotisations patronales, mais admettons que vous disiez vrai. Soutenez alors la nomination d’un gouvernement du Nouveau Front populaire, et vous verrez : le Smic passera à 1 600 euros net et les caisses seront remplies grâce à des cotisations supplémentaires, à l’augmentation des salaires nets et à la relance de l’activité économique !
Quant à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, si elle est en difficulté, c’est parce que les collectivités, soumises à une politique austéritaire, ont cessé de recruter, si bien que leur pyramide des âges a vieilli. Quand vous créez de l’emploi public local, vous renforcez le service public, vous améliorez la vie des gens et la situation des caisses de retraite.
Enfin, il n’y a pas de dette cachée : la retraite des fonctionnaires de l’État correspond, dans le budget, y compris ceux que vous avez fait passer par 49.3, à une ligne bien visible, que vous avez adoptée. Encore heureux, du reste, car, si vous ne voulez pas de cette dette prétendument cachée, que voulez-vous ? L’emploi à vie des fonctionnaires ?
Il est inutile d’utiliser des arguments fallacieux pour rejeter l’abrogation de la mesure d’âge de 2023. Vous pouvez à présent faire un véritable choix politique, car vous savez que l’on peut financer cette mesure et, plus largement, la retraite à taux plein à 60 ans.
Il est procédé au vote, par scrutin public et par appel nominal, sur l’amendement.
Votent pour :
M. Thibault Bazin, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, Mme Sophie Delorme Duret, M. Fabien Di Filippo, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, Mme Brigitte Liso, M. Pierre Marle, Mme Joséphine Missoffe, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, Mme Prisca Thevenot, M. Frédéric Valletoux et M. Philippe Vigier.
Votent contre :
M. Joël Aviragnet, Mme Anchya Bamana, M. Laurent Baumel, Mme Béatrice Bellay, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Karim Ben Cheikh, M. Christophe Bentz, M. Ugo Bernalicis, M. Théo Bernhardt, M. Louis Boyard, M. Pierre-Yves Cadalen, M. Elie Califer, Mme Gabrielle Cathala, M. Hadrien Clouet, M. Paul-André Colombani, M. Alexis Corbière, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Arthur Delaporte, Mme Sandrine Dogor-Such, M. Gaëtan Dussausaye, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Océane Godard, Mme Céline Hervieu, Mme Mathilde Hignet, Mme Karine Lebon, M. René Lioret, Mme Christine Loir, M. Damien Maudet, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, Mme Sandrine Rousseau, M. Fabrice Roussel, M. Emmanuel Taché de la Pagerie et M. Matthias Tavel.
S’abstiennent :
M. Olivier Fayssat et Mme Hanane Mansouri
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 59
Pour : 15
Contre : 42
Abstentions : 2
En conséquence, la commission rejette l’amendement.
La séance, suspendue à onze heures quinze, est reprise à onze heures vingt-cinq.
Amendement AS4 de Mme Prisca Thevenot
Mme Brigitte Liso (EPR). L’amendement est défendu.
M. le rapporteur. L’amendement est satisfait. Il n’y a pas lieu d’obliger les caisses d’assurance vieillesse à informer les assurés des possibilités d’accès au cumul emploi‑retraite : elles n’en sont pas empêchées et, pour une bonne part d’entre elles, communiquent déjà cette information. Au demeurant, s’il fallait en faire une obligation, elle aurait davantage sa place dans la convention d’objectifs et de gestion signée entre l’État et les caisses.
Par ailleurs, ne croyez pas que le cumul emploi-retraite soit l’autre martingale qui permettrait aux retraités de percevoir un revenu satisfaisant. En tout cas, mieux vaut ne pas être licencié lorsqu’on est dans cette situation, car on ne touche pas d’indemnités chômage, de sorte qu’on retombe immédiatement dans la pauvreté. Je préfère donc que le niveau des pensions soit bon et que les minima sociaux, dont le minimum vieillesse, soient au moins égaux au seuil de pauvreté. D’autant qu’il n’est pas facile de trouver un emploi lorsqu’on est âgé, comme vous le savez vous-mêmes puisque vous déplorez le faible taux d’emploi des seniors.
M. Thibault Bazin (DR). Je suis favorable à l’amendement. Tout n’est pas blanc ou noir. Parmi les personnes qui cumulent emploi et retraite, certaines reprennent un travail parce que leur situation économique ou familiale les amène à faire ce choix. Le problème, c’est que de nombreuses femmes notamment ont des carrières incomplètes – c’est le cas de 75 % des mères – et n’ont donc pas le droit de cumuler emploi et retraite. Ainsi, on empêche de travailler ceux qui en auraient le plus besoin. C’est profondément injuste, et cet enjeu devrait nous rassembler.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS12 de M. Laurent Panifous
M. le président Frédéric Valletoux. Sur cet amendement, je suis d’une demande de scrutin public par plusieurs commissaires du groupe La France insoumise - Nouveau Front populaire.
M. Laurent Panifous (LIOT). Pour réformer le régime actuel des retraites, on dispose de trois leviers : la durée de cotisation, le montant des cotisations et l’âge légal de départ à la retraite.
Ces dernières années, la loi Touraine a modifié le premier paramètre, en portant de quarante-deux ans à quarante-trois ans la durée de cotisation. Cette réforme fut difficile – il n’est jamais facile de réformer les retraites –, mais elle touchait l’ensemble des assurés de manière équitable et égale. Puis, en 2023, la réforme Macron a repoussé l’âge légal. Cette réforme-là est apparue à beaucoup de députés de mon groupe comme injuste, dans la mesure où elle ne concernait qu’une partie des Français : celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt et dont le travail est parmi les plus pénibles.
C’est pourquoi je souscris à la proposition de revenir sur le report de l’âge légal. En revanche, je suis opposé à l’abrogation de la loi Touraine, qui s’inscrivait dans une démarche responsable : elle avait pour objet de trouver une solution au problème démographique, c’est‑à‑dire à l’évolution défavorable du rapport entre actifs et inactifs. Peut-être faudra-t-il d’ailleurs trouver une autre solution concernant le financement de notre régime de retraite, solution qui pourrait consister à étendre l’assiette de son financement aux revenus du capital. Nous avons également évoqué la question de la pénibilité.
Par cet amendement, nous proposons donc d’exclure de la proposition de loi l’abrogation de la réforme Touraine, certes dure mais juste. En tout état de cause, je ne pourrais pas soutenir un texte qui reviendrait sur les deux réformes.
M. le rapporteur. Nous ne voulons pas abaisser l’âge de la retraite à 62 ans pour faire de ce nombre un emblème. Notre objectif est que le plus grand nombre possible de personnes puisse partir à 62 ans sans subir une décote trop importante ou sans décote du tout. La durée de cotisation est donc un enjeu – vous le savez, du reste, puisqu’avant même la réforme d’Emmanuel Macron, elle conduisait les gens à partir à la retraite à un peu moins de 64 ans. C’est pourquoi nous proposons également de l’abaisser de quarante-trois à quarante‑deux annuités.
On peut discuter de la question du financement ; c’est le cœur de l’affaire. L’augmentation des cotisations que j’ai évoquée permettrait, selon le COR, de financer l’intégralité de la mesure proposée. Je me suis interrogé, car je me souviens que nous avons nous-mêmes utilisé l’argument selon lequel le report de l’âge légal avait pour conséquence de fragiliser la confiance dans le système de retraite, les gens ne le croyant plus capable de leur assurer une pension d’un niveau suffisant pour pouvoir vivre dignement, au point de se tourner vers les produits d’épargne par capitalisation. De fait, depuis 2019 et l’annonce par Emmanuel Macron de sa première tentative de réforme, beaucoup de plans d’épargne retraite ont été créés. La ressource existe donc, puisque les gens sont prêts à mettre de l’argent de côté pour leur retraite. Nous proposons simplement qu’ils le fassent au profit du système par répartition.
Ainsi, nous avons tous les ingrédients pour revenir à quarante-deux annuités. Ensuite, nous pourrons ouvrir une conférence de financement et discuter avec les organisations syndicales. On doit cette mesure de justice aux gens. À quoi bon, en effet, abaisser l’âge légal à 62 ans si une minorité seulement des gens peuvent partir à cet âge-là avec un taux plein ?
M. Yannick Monnet (GDR). Nous sommes, bien entendu, contre cet amendement puisque nous nous sommes battus contre la loi Touraine. Je rappelle à nos collègues du bloc central que, lors de la réforme de M. Macron, le COR estimait que le système de retraite n’était pas en faillite mais qu’il lui fallait simplement de nouvelles recettes. Or la réforme Touraine traduit précisément le renoncement à conquérir de nouvelles recettes pour améliorer le système de retraite. Ce faisant, elle illustre cette période politique, un quinquennat du renoncement, qui fut d’ailleurs bien utile au bloc central par la suite.
M. Thomas Ménagé (RN). Cet amendement et, surtout, la demande d’un scrutin par le groupe LFI témoignent de l’immixtion de la guerre entre LFI et le PS au sein de notre commission et de l’incohérence du NFP – feue la NUPES –, que n’a cessé de dénoncer le RN. Comment, en effet, peut-on courir les plateaux télé pour défendre un âge de départ à 60 ans lorsqu’on a fait voter, avec M. Hollande, une durée de cotisation de quarante-trois annuités ? Les Français pensent que vous défendez les travailleurs, mais vous œuvrez, par-derrière, avec les socialistes, pour que cette mesure soit illusoire. C’est un mensonge, une preuve supplémentaire de votre tartufferie.
Nous voterons contre cet amendement, mais il faudra que le NFP se demande si M. Hollande, M. Faure, Mme Pires Beaune et M. Guedj, qui ne se sont pas opposés à la réforme Touraine, ont encore leur place en son sein. L’heure de vérité a sonné, pour les socialistes : le scrutin public permettra à nos concitoyens de savoir qui fait preuve de cohérence dans sa défense des travailleurs. Nous souhaitons, quant à nous, que les Français puissent partir réellement à la retraite à 62 ans, ce qui suppose que la durée de cotisation soit de quarante-deux annuités.
M. Arthur Delaporte (SOC). Je ne répondrai pas aux provocations du RN, qui défendait il y a deux ans la retraite à 67 ans.
Nous soutiendrons l’amendement de Laurent Panifous parce que nous estimons nécessaire de choisir nos combats pour répondre à l’attente sociale majeure et au consensus intersyndical qui s’expriment en faveur de l’abrogation de la réforme Borne. En l’occurrence, cet amendement, en retirant du texte le retour sur l’allongement de la durée de cotisation prévue par la réforme Touraine, nous permettrait de soutenir ce message unanime et de ne pas fracturer le front social.
Nous avons souligné, dès notre intervention liminaire, la nécessité d’ouvrir une conférence sociale sur le financement et l’équilibre du régime, ainsi que sur les ajustements à apporter pour lutter contre les injustices qui persistent et que vous avez renforcées avec votre réforme, que nous nous apprêtons, je l’espère, à abroger.
L’objectif est de lancer un processus. C’est pourquoi nous préférerons adopter le texte le plus consensuel possible, pour qu’il puisse non seulement être adopté à l’Assemblée nationale, mais aussi engager un grand mouvement qui permettra d’aboutir à une réforme plus juste.
Il est procédé au vote, par scrutin public et par appel nominal, sur l’amendement.
Votent pour :
M. Joël Aviragnet, M. Laurent Baumel, Mme Béatrice Bellay, M. Elie Califer, M. Paul-André Colombani, M. Arthur Delaporte, M. Yannick Favennec-Bécot, Mme Océane Godard, Mme Céline Hervieu, M. Laurent Panifous et M. Fabrice Roussel.
Votent contre :
M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Karim Ben Cheikh, M. Christophe Bentz, M. Ugo Bernalicis, M. Théo Bernhardt, M. Louis Boyard, M. Pierre‑Yves Cadalen, Mme Gabrielle Cathala, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Alexis Corbière, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Fabien Di Filippo, M. Gaëtan Dussausaye, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, Mme Mathilde Hignet, Mme Karine Lebon, M. René Lioret, Mme Christine Loir, M. Damien Maudet, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, Mme Sandrine Rousseau, M. Emmanuel Taché de la Pagerie et M. Matthias Tavel.
S’abstiennent : Mme Sophie Delorme Duret, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Fayssat, Mme Brigitte Liso, M. Pierre Marle, Mme Joséphine Missoffe, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, Mme Prisca Thevenot, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier et M. Stéphane Vojetta.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 59
Pour : 11
Contre : 33
Abstentions : 13
En conséquence, la commission rejette l’amendement.
Amendements AS15, AS16, AS18 et AS17 de M. Ugo Bernalicis
M. le rapporteur. Je remarque avec gourmandise que la rigueur budgétaire chère à la majorité s’est effondrée en l’espace d’un vote – peut-être estime-elle finalement préférable de ramener la durée de cotisation à quarante-deux années –, et même que certains de nos collègues de DR souhaitent être réélus après la prochaine dissolution, puisqu’ils semblent soudain se soucier de l’avis des habitants de leur circonscription.
Mes quatre amendements sont rédactionnels ou de coordination.
M. Fabien Di Filippo (DR). Si tout l’argument des auteurs de cette proposition de loi consiste à dire que le peuple y est favorable parce qu’il préférerait partir en retraite à 62, voire à 60 ans, peut-être le rapporteur devrait-il tenir compte de certains autres de ses desiderata. Le peuple souhaite moins d’immigration et de personnes vivant dans la clandestinité en France, par exemple ; certains sondages montrent même qu’une majorité de nos concitoyens seraient favorables au rétablissement de la peine de mort.
Cessons donc avec les arguments populistes selon lesquels tout ce que le peuple veut devrait être voté, en faisant fi de toute cohérence politique. Nous représentons avant tout l’intérêt général qui, en l’occurrence, nous impose de préserver l’avenir du pays.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). La France insoumise présente un magnifique copié‑collé de notre proposition de loi, mais la copie n’est pas parfaite. Nous n’avions pas eu besoin, pour notre part, de déposer des amendements rédactionnels, peut-être parce que nous avions un peu mieux travaillé notre texte en amont.
En tout état de cause, ces amendements et cet article, dont des millions de Français attendent l’adoption, ne pourront être adoptés que grâce aux voix du RN, ce dont je me félicite.
La commission adopte successivement les amendements.
À la demande de plusieurs commissaires des groupes Rassemblement National et La France insoumise - Nouveau Front Populaire, il est procédé au vote, par scrutin public et par appel nominal, de l’article 1er.
Votent pour :
M. Joël Aviragnet, M. Laurent Baumel, Mme Béatrice Bellay, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Karim Ben Cheikh, M. Christophe Bentz, M. Ugo Bernalicis, M. Théo Bernhardt, M. Louis Boyard, M. Pierre-Yves Cadalen, M. Elie Califer, Mme Gabrielle Cathala, M. Hadrien Clouet, M. Alexis Corbière, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Arthur Delaporte, M. Gaëtan Dussausaye, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Océane Godard, Mme Céline Hervieu, Mme Mathilde Hignet, Mme Karine Lebon, M. René Lioret, Mme Christine Loir, M. Damien Maudet, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, Mme Sandrine Rousseau, M. Fabrice Roussel, M. Emmanuel Taché de la Pagerie et M. Matthias Tavel.
Votent contre :
M. Thibault Bazin, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, Mme Sophie Delorme Duret, M. Fabien Di Filippo, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Brigitte Liso, M. Pierre Marle, Mme Joséphine Missoffe, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, Mme Prisca Thevenot, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier et M. Stéphane Vojetta.
S’abstiennent :
M. Paul-André Colombani, M. Yannick Favennec-Bécot et M. Laurent Panifous.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 57
Pour : 38
Contre : 16
Abstentions : 3
En conséquence, la commission adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendement AS2 de Mme Prisca Thevenot
Mme Prisca Thevenot (EPR). La réforme votée en 2023 permet de garantir le financement de notre système reposant sur la solidarité intergénérationnelle, absolument nécessaire à celles et ceux qui travaillent dur mais ne perçoivent pas des revenus suffisants pour souscrire à des dispositifs de capitalisation afin de s’assurer de toucher une pension à la fin de leur carrière. Nous souhaitons l’améliorer en nous appuyant sur les derniers échanges entre le Gouvernement et les organisations syndicales quant à l’emploi des seniors. Nous proposons ainsi de créer un indicateur pour mieux évaluer, appréhender et accompagner ce dernier.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
Les indicateurs ou index sont de fausses bonnes idées. D’abord, l’exemple de l’index de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes montre qu’ils ne portent pas souvent leurs fruits.
Ensuite, plusieurs économistes et sociologues que j’ai auditionnés ont indiqué que le fait de se concentrer sur l’emploi des seniors en tant que tel est une erreur. Pour que l’état de santé des salariés ne les contraigne pas à partir en retraite ou à être placés en invalidité avant l’âge de départ, il faut s’attacher à améliorer la qualité du travail dès l’entrée en fonction puis tout au long de la carrière, et pas seulement à partir de 55 ans. Ce sont bien les risques professionnels auxquels les travailleurs sont exposés quand ils sont jeunes qui ont les plus fortes conséquences sur leur fin de carrière. Les publics les plus jeunes et les plus âgés sont d’ailleurs les plus exposés aux accidents du travail. L’enjeu est donc bien d’améliorer la qualité de vie au travail pendant toute la carrière, et non de se concentrer sur les seuls seniors.
Un indicateur ne résoudrait rien et pourrait même permettre à des entreprises de se faire passer pour vertueuses en la matière, sans pour autant avoir d’impact réel.
M. Thibault Bazin (DR). Il ne faut pas compliquer la vie des entreprises, qui ont, au contraire, besoin de simplification. Imposer un nouvel index poserait problème, d’autant que vous allez encore plus loin que le dispositif proposé dans le cadre de la réforme de 2023 et qui avait été censuré par le Conseil constitutionnel : alors qu’il devait concerner les entreprises de plus de 1 000 salariés avant d’être progressivement étendu, vous entendez l’appliquer directement à toutes les entreprises employant plus de 300 personnes.
La publication d’un index ne fera qu’alourdir la charge administrative des entreprises, sans résoudre le problème de l’emploi des seniors. Pour améliorer la situation, il faut s’en donner les moyens. Un contrat à durée indéterminée de fin de carrière ou des mesures d’accompagnement dans l’emploi, par exemple, seraient bien plus adaptés.
M. Philippe Vigier (Dem). Je soutiens l’amendement de notre collègue Thevenot. Vous n’avez pas le monopole de la bienveillance, monsieur le rapporteur : nous nous inquiétons de l’état de santé des seniors. Un indicateur nous permettrait de disposer d’éléments objectifs en la matière et de les suivre dans la durée.
M. Bazin, qui est élu dans un département frontalier, sait pertinemment que le taux d’emploi des seniors est bien plus faible en France que chez nos partenaires européens. La loi de 2023 prévoyait des bilans de santé réguliers. L’index permettrait à la fois de préserver la santé des seniors et de connaître les raisons pour lesquelles ils ne sont plus employables ou employés : il constituerait un élément d’appréciation supplémentaire pour comprendre finement la structuration du marché du travail.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Je reconnais aux macronistes une certaine constance dans leur volonté d’imposer des mesures dont personne ne veut. Ici, il s’agit de réintroduire l’article 2 de la réforme de 2023 instaurant un index senior qui a été rejeté en première lecture par l’Assemblée nationale, imposé par le biais de l’article 49, alinéa 3, et censuré par le Conseil constitutionnel. Nous ne voulons pas de cet index qui, n’étant assorti ni d’obligations de performance ni de sanctions réellement dissuasives et ne s’appuyant sur aucun indicateur détaillé, serait inefficace.
J’invite ceux des intervenants qui ont estimé que nos débats étaient redondants à prendre leur mal en patience : une fois la navette parlementaire de ce texte accomplie, la réforme injuste adoptée avec l’article 49, alinéa 3, sera abrogée grâce au Nouveau Front populaire.
Mme Olivia Grégoire (EPR). Je m’étonne d’entendre le rapporteur expliquer que la présence des seniors dans l’entreprise n’est pas un enjeu. La question de la qualité de vie au travail est certes importante, et il faut évidemment se soucier d’adapter les postes de travail tout au long de la carrière, mais il n’empêche que la France affiche un taux d’emploi des seniors inférieur à la moyenne de l’Union européenne. Elle se classe même seizième sur vingt-sept.
Loin d’être inutile, un index permettrait de disposer de données documentées, donc de susciter l’action : avant de déployer une stratégie d’entreprise pour accroître le travail des seniors, encore faut-il disposer d’éléments précis.
Enfin, plusieurs directives européennes entrent en vigueur ces mois-ci, notamment celle relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, la directive CSRD, qui inclut des éléments relatifs au climat social, donc au traitement des seniors dans l’entreprise. De nombreuses entreprises se penchent sur cette question et plusieurs chercheurs y voient un indicateur de performance économique.
Cet amendement me semble frappé au coin du bon sens. En économie, ce qui ne se mesure pas n’existe pas. En l’occurrence, mesurer me semblerait assez utile.
M. le rapporteur. Vous avez fait adopter une réforme des retraites au doigt mouillé, sans recueillir de données ni établir d’indicateurs, et ce n’est que maintenant que vous vous souciez de l’emploi des seniors. Une si belle argumentation contre votre propre réforme est donc savoureuse.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS11 de Mme Prisca Thevenot
Mme Prisca Thevenot (EPR). Il s’agit ici de mesurer l’impact des différentes réformes des retraites appliquées ces dernières années.
La proposition de loi défendue par La France insoumise, comme celle présentée précédemment par le RN – ce sont d’ailleurs les mêmes – relève principalement d’une volonté populiste d’être dans l’immobilisme. Vous reconnaissez pourtant vous-mêmes que nous devons assurer le financement de notre système de retraite si nous voulons conserver un système reposant sur la solidarité intergénérationnelle. Le rapport que je demande nous permettrait de disposer d’indicateurs précis en la matière.
M. le rapporteur. Votre demande est satisfaite, puisque telle est précisément la mission du COR. Il me semble d’ailleurs que vous avez œuvré à la nomination de son nouveau président.
La commission rejette l’amendement.
Puis, suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements AS9 et AS10 de Mme Prisca Thevenot.
Amendements AS6, AS5, AS7 et AS8 de Mme Prisca Thevenot
Mme Prisca Thevenot (EPR). L’examen de la proposition de loi du RN avait été l’occasion d’un travail parlementaire très riche. M. Viry, notamment, avait déposé des amendements que nous n’avions alors pas pu étudier. Je souhaite les remettre à l’ordre du jour de notre commission, le présent texte étant identique à celui qui avait été rejeté.
M. le rapporteur. Je suis défavorable à chacun de ces amendements, car nous disposons déjà de nombreuses données sur les questions évoquées. Si vous cherchez réellement « des sources différentes et novatrices du financement du système de retraite », je vous renvoie d’ailleurs à mon rapport.
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Il y a une différence entre avoir une idée nouvelle et, en l’absence de toute idée neuve, plaider pour l’innovation. Dans cet écart se niche le cœur de la rhétorique macroniste et naissent les termes les plus fumeux pour qualifier les idées les plus bancales. Aujourd’hui, nous abrogeons la réforme injuste et violente que vous avez imposée au pays, nous nous faisons l’écho des millions de manifestants qui ont lutté pied à pied, nous faisons respecter la volonté populaire.
Vous demandez « un rapport détaillé étudiant des sources différentes et novatrices de financement du système de retraite ». Encore une merveille ! Une solution différente et novatrice pour vous serait de reconnaître vos erreurs et d’accepter l’abrogation de la réforme des retraites.
Au lieu de cela, vous persistez avec une certaine indécence. En repoussant l’âge de la retraite, vous dites faire un choix difficile, courageux. Quelle difficulté que de faire travailler d’autres davantage ! Quel courage que de priver définitivement de leurs droits à la retraite des dizaines de milliers de personnes qui mourront avant de l’avoir prise ! L’espérance de vie à 35 ans des ouvriers est inférieure de cinq ans à celle des cadres : les faire travailler deux ans de plus n’est pas courageux, c’est violent. Lorsque vous reculez l’âge de départ à la retraite, vous mettez également en difficulté tout le secteur associatif.
Nous défendons de merveilleuses inventions : le système par répartition, qui organise une solidarité concrète et continue entre les retraités et les actifs, et la cotisation interprofessionnelle unique placée sous contrôle direct des représentants des travailleurs. Nous les protégerons de vos assauts répétés. Ne cherchez pas, vous n’aurez pas de meilleures idées.
Les amis de M. Ciotti, alliés au RN, n’hésitent pas à sauter de joie en évoquant la capitalisation, qui leur permettra de livrer les pensions de retraite au secteur privé et à la spéculation. Les macronistes, quant à eux, préfèrent parler de « sources différentes et novatrices de financement » : ils ont le goût de la subtilité dans l’exercice de la violence sociale. Une élection a eu lieu. Les Français ne partagent ni le vide de votre rhétorique de l’innovation ni le contenu très banal de vos politiques de dégradation des droits. Nous exprimons leur volonté : votre inique réforme des retraites sera abrogée.
M. Arthur Delaporte (SOC). Je trouve un peu culotté de la part de Mme Thevenot de déposer des amendements afin de défendre le paritarisme que son camp a mis à mal depuis sept ans. Qui a cassé le paritarisme en matière d’assurance chômage et est resté sourd à la parole des syndicats pendant l’examen de la réforme des retraites ? Ce sont les gouvernements macronistes successifs. Il aurait mieux valu faire votre mea culpa, plutôt que de présenter des amendements qu’on pourrait qualifier de démagogiques. L’amendement AS8, relatif à la politique de natalité, me semble en outre problématique.
Mme Annie Vidal (EPR). Nous assumons d’être opposés à l’abrogation de la réforme des retraites adoptée en 2023. Abroger cette réforme, ce serait revenir sur la revalorisation de la retraite minimale, sur la prise en compte des congés maternité et sur les progrès réalisés en matière de pénibilité. Ce serait aussi exposer les générations futures, qui ne bénéficieront plus de notre système de retraite si nous échouons à le protéger. Je note d’ailleurs sans surprise l’âgisme du rapporteur, pour qui l’index seniors ne présente pas grand intérêt.
M. le rapporteur. La proposition de loi ne prévoit pas l’abrogation du minimum contributif.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Si, puisque vous en abrogez les financements !
La commission rejette successivement les amendements.
Article 2 : Gage financier
La commission adopte l’article 2 non modifié.
Article 3 : Création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des sociétés pétrolières et gazières
La commission adopte l’article 3 non modifié.
À la demande de plusieurs commissaires des groupes Rassemblement National et La France insoumise - Nouveau Front Populaire, il est procédé au vote, par scrutin public et par appel nominal, sur l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
Votent pour :
M. Joël Aviragnet, Mme Béatrice Bellay, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Karim Ben Cheikh, M. Christophe Bentz, M. Ugo Bernalicis, M. Théo Bernhardt, M. Louis Boyard, M. Pierre-Yves Cadalen, M. Elie Califer, Mme Gabrielle Cathala, M. Hadrien Clouet, M. Alexis Corbière, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Arthur Delaporte, Mme Sandrine Dogor-Such, M. Gaëtan Dussausaye, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Mathilde Hignet, Mme Karine Lebon, M. René Lioret, Mme Christine Loir, M. Damien Maudet, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, Mme Sandrine Rousseau, M. Fabrice Roussel, M. Emmanuel Taché de la Pagerie et M. Matthias Tavel.
Votent contre :
M. Thibault Bazin, Mme Josiane Corneloup, Mme Sophie Delorme Duret, M. Fabien Di Filippo, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Brigitte Liso, M. Pierre Marle, Mme Joséphine Missoffe, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, Mme Prisca Thevenot, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier et M. Stéphane Vojetta.
S’abstiennent :
M. Yannick Favennec-Bécot, M. Olivier Fayssat et M. Laurent Panifous.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 54
Pour : 35
Contre : 16
Abstentions : 3
En conséquence, la commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
*
La commission procède ensuite à l’examen de la proposition de loi visant à régulariser les praticiens et pharmaciens à diplôme hors Union européenne (n° 432) (M. Damien Maudet, rapporteur).
M. Damien Maudet, rapporteur. Au cœur de la crise du covid, le Président de la République a fait une déclaration, presque une promesse : « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans conditions de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. » L’urgence de préserver notre système de santé, les Français l’ont bien comprise, mais manifestement pas les majorités relatives et leurs gouvernements qui se sont succédé depuis 2020.
Urgences fermées ou sous tension – la Fédération hospitalière de France (FHF) signale une dégradation des services d’urgence dans plus du tiers des hôpitaux –, soignants épuisés et en sous-effectifs, patients qui attendent des heures sur des brancards et qui, parfois, y meurent, selon Samu-Urgences de France, « la sécurité sanitaire n’est parfois plus assurée », ce que confirme la Haute Autorité de santé. L’hôpital public est à l’agonie et aucune réponse structurelle ne vient. Les dernières lois de financement de la sécurité sociale ont été bien en deçà des besoins.
Chacun peut en convenir, cette situation s’explique en grande partie par la pénurie de médecins. Par souci d’économie, le numerus clausus a été limité à outrance. On manque de praticiens dans les services hospitaliers, aux urgences, mais aussi dans les campagnes et les villes ; depuis le quartier de La Bastide à Limoges jusqu’au village de Domps dans la Haute‑Vienne, les déserts médicaux progressent : 6 millions de nos concitoyens n’ont pas de médecin traitant et, parmi eux, 400 000 souffrent d’une affection longue durée. Le texte qui vous est soumis reprend d’ailleurs une des dispositions de la proposition de loi d’initiative transpartisane, défendue par Guillaume Garot, dont l’objet est de lutter contre les déserts médicaux.
En dépit de cette profonde pénurie de professionnels de santé, notre pays ne reconnaît toujours pas correctement, dignement, les praticiens – médecins, dentistes, sages‑femmes... – et les pharmaciens à diplôme hors Union européenne, communément appelés les Padhue. Dans la majorité des cas, ce sont des étrangers – mais pas toujours – qui veulent soigner en France. L’exposé des motifs de la proposition de loi évoque 5 000 Padhue, mais, aux dires du Conseil national de l’Ordre des médecins, ils seraient bien plus nombreux, aucune statistique fiable ne permettant d’identifier et de recenser le nombre exact de Padhue exerçant dans des établissements français.
Le système est complexe et fait cohabiter plusieurs statuts. De façon générale, les praticiens qui n’ont pas passé les épreuves de vérification des connaissances (EVC) exercent comme faisant fonction d’interne ou stagiaire associé. Ceux qui ont réussi leurs EVC ont le statut de praticien associé et doivent valider un parcours de consolidation des compétences de deux ans pour devenir médecins de plein exercice.
La part des médecins étrangers dans les effectifs soignants est croissante : elle est passée de 7,1 % à 12,5 % entre 2010 et 2023. Ce sont des médecins du quotidien, qui s’occupent de nos enfants, de nos aînés, de notre santé. En 2018, les 6 400 Padhue de plein exercice comptaient 740 psychiatres, 390 pédiatres, 566 gériatres et 152 ophtalmologues. Les représentants d’un établissement auditionné ont indiqué que 23 % de leur effectif médical était composé de Padhue non inscrits au tableau de l’Ordre.
Au ministre de l’intérieur, pour qui l’immigration n’est pas une chance, nous répondons qu’elle est, plus encore, une nécessité sanitaire. Sans médecins étrangers, des services s’effondreraient.
La proposition de loi vise deux objectifs. Le premier est de reconnaître et de sortir de la précarité les Padhue qui viennent nous soigner et comblent un manque croissant de soignants. Les statuts actuels ne sont pas clairs. Certains Padhue ont le statut de fonction d’interne ou sont stagiaires associés sur le papier, alors qu’ils tiennent des services entiers – à l’instar, parfois, des internes –, cela pour 1 400 ou 1 600 euros. Parfois, ils exercent sous des statuts qui ne correspondent pas à leur situation, voire qui n’existent plus. Le président du Conseil national de l’Ordre des médecins y voit un système d’exploitation organisé dans lequel les gratifications sont insuffisantes et n’assurent pas une reconnaissance, alors que les Padhue tiennent des services à bout de bras. Toutes les personnes auditionnées ont reconnu qu’ils exerçaient sous des statuts plus ou moins légaux, parfois même en faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français.
La loi de 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (« OTSS ») et la loi de 2023 visant à améliorer l’encadrement des centres de santé, dite « loi Valletoux », ont cherché à améliorer cette situation, mais nous devons à ces médecins, souvent étrangers, qui donnent pour notre pays et pour notre santé de faire plus. Je rappelle que le premier médecin décédé du covid-19, Jean-Jacques Razafindranazy, était un Padhue retraité qui avait repris du service.
Le deuxième objectif de la proposition de loi est d’augmenter le nombre de praticiens de plein exercice. Selon la FHF, les établissements de santé comptaient quelque 7 000 Padhue non régularisés en 2023, c’est-à-dire autant de futurs médecins potentiels. Ils constituent une source importante de recrutement dans les disciplines en tension : psychiatrie, pédiatrie, urgences, gériatrie, gynécologie obstétrique. Le Gouvernement en prend certainement conscience, puisque le nombre de postes ouverts aux EVC a été multiplié par 7 depuis 2018, en augmentation de plus de 600 %. Les Padhue répondent aux besoins non couverts de la population, qui s’accentueront sous l’effet du vieillissement démographique : en 2040, le pays comptera 2,5 millions de personnes de plus de 80 ans, c’est-à-dire de 60 % de plus qu’aujourd’hui.
La France ne mobilise pas les moyens nécessaires pour respecter les Padhue et améliorer l’offre de soins. Dans le droit commun, leur régularisation passe par un concours ouvrant un nombre défini de postes, les EVC, suivi d’un parcours de consolidation des compétences. Extrêmement difficiles, les EVC affichent un taux de réussite de moins de 25 %, selon le Centre national de gestion, et sont souvent déconnectés de la médecine. Des Padhue qui exercent depuis dix ans en France et qui obtiennent une moyenne de 13,25 au concours sont écartés si le jury a fixé une note plancher de 13,95. Le nombre de passages est limité, si bien que certains n’osent plus se présenter au concours de peur d’être reconduits à la frontière s’ils échouent. Ils préfèrent exercer sous un statut précaire.
Les dispositions de la loi OTSS ont permis de régulariser un certain nombre de Padhue, mais le « stock » n’a pas été épuisé. Pour sa part, la loi Valletoux permet aux Padhue disposant d’une expérience professionnelle d’exercer deux fois treize mois avec le statut de praticien associé contractuel temporaire s’ils s’engagent à passer les EVC. Pour répondre à l’urgence dans certains territoires d’outre-mer, le dispositif communément appelé « Antilles-Guyane » permet à des médecins à diplôme hors Union européenne n’ayant pas obtenu leurs EVC de passer devant une commission pour obtenir une autorisation d’exercice temporaire sur un poste précis. Ce dispositif fonctionne très bien – les ruptures de missions sont rares – et soulage de nombreux services. Nous proposons de le pérenniser et de l’étendre à l’ensemble du pays pour combler des besoins locaux, sans remettre en cause la nécessité d’obtenir une validation des compétences pour être autorisé à exercer de façon pleine et entière. Ce statut assurerait une meilleure rémunération des Padhue, leur responsabilisation et leur enregistrement temporaire au tableau du Conseil national de l’Ordre des médecins, ce qui représente une sécurité pour les patients.
Nous proposons par ailleurs, par l’article 2, de créer des EVC spécifiques pour les Padhue ayant déjà exercé en France. La direction générale de l’offre de soins mène une réflexion en ce sens.
Enfin, l’article 3 vise à gager les dépenses par une majoration de l’accise sur les tabacs.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Sandra Delannoy (RN). Primum non nocere, d’abord, ne pas nuire, c’est le premier principe de prudence enseigné aux étudiants en médecine. Ce même principe a guidé nos réflexions et la rédaction de nos amendements concernant cette proposition de loi qui vise à autoriser les Padhue à exercer en France métropolitaine sur simple dossier de candidature, sans examen systématique permettant de s’assurer de leur niveau de langue française, de leur capacité à prendre en charge des cas cliniques ni même de leurs connaissances en santé.
Nous sommes conscients des besoins en médecins et praticiens de santé ainsi que des déserts médicaux qui s’intensifient chaque jour. Mais la réputation de la médecine française, nos malades, les sacrifices demandés aux étudiants en médecine des universités françaises et les difficultés d’accès aux soins que connaissent les Français nous obligent à une analyse plus fine.
Dans son avis sur la mission Santé du projet de loi de finances pour 2025, ma collègue Anchya Bamana souligne que le dispositif dérogatoire en vigueur à Mayotte est particulièrement contesté et suscite de vives inquiétudes, notamment quant à la capacité d’évaluer le diplôme et les compétences des Padhue. La crainte est aussi que ce dispositif dérogatoire ne devienne un mode de recrutement classique se substituant au vivier local.
La régularisation des Padhue à tour de bras, telle une distribution de chèques en blanc, n’est pas la solution de qualité que la médecine française et sa réputation méritent. Nous souhaitons que les Padhue désireux d’exercer en France continuent d’être soumis à des épreuves préalables de vérification de leurs connaissances médicales et de leur niveau de français. Cela permettra d’assurer la qualité des soins et offrira une garantie de sécurité.
M. Jean-François Rousset (EPR). Nous sommes tous conscients du manque de médecins. Les patients attendent que nous fassions davantage pour assurer l’accès aux soins. Nous y travaillons depuis sept ans : nous avons ainsi supprimé le numerus clausus pour augmenter le nombre d’étudiants en médecine, accru le temps médical en promouvant les structures d’exercice coordonné, facilité le transfert de compétences entre professionnels de santé et introduit des dispositions de régulation comme le service d’accès aux soins.
En parallèle, dans l’attente des effets de la suppression du numerus clausus, nous devons agir pour accroître le nombre de médecins. Les Padhue sont une composante indispensable du bon fonctionnement de notre système de santé ; ils seraient entre 4 000 et 5 000. La loi Valletoux a facilité leur activité en prévoyant une autorisation d’exercice provisoire. Une question demeurait néanmoins, et la proposition de loi s’en empare : comment faciliter la régularisation de ces professionnels ?
L’article 1er vise à exonérer certains Padhue d’une évaluation, comme cela se pratique de manière dérogatoire dans les territoires ultramarins. La généralisation, et surtout la pérennisation de cette faculté dévolue aux agences régionales de santé (ARS), nous semblent toutefois disproportionnées par rapport aux besoins.
L’article 2 prévoit que les professionnels présents dans nos établissements depuis au moins deux ans passent des épreuves de vérification de connaissances spécifiques. Ce principe nous paraît intéressant ; nous proposerons de l’améliorer.
Sous ces réserves, le groupe Ensemble pour la République soutiendra la proposition de loi.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous débattons ici d’une question autant d’humanité – la justice pour les soignants, l’accès aux soins pour les patients – que d’intérêt général et d’ordre public.
Pour illustrer le sujet, je prendrai l’exemple d’un médecin français qui a obtenu son diplôme en Algérie, où il résidait pour des raisons familiales, et qui exerce depuis plus de cinq ans en France. Il détient quatre diplômes universitaires dans des domaines où nous manquons de soignants – tabacologie, diabétologie, obésité et nutrition –, a réalisé 287 gardes en deux ans dans quatre sites, a exercé dans un hôpital de campagne pendant le covid, s’est inscrit comme volontaire sur le 15, a publié des articles dans des revues scientifiques internationales, jouit de la reconnaissance de grands spécialistes français, a reçu les félicitations du ministère de l’intérieur et travaille dans des hôpitaux qui manquent de personnel – le tout, pour un salaire inférieur de moitié à celui de ses homologues en France en début de carrière, et pour la simple raison qu’il n’a pas obtenu son diplôme au même endroit qu’eux. Il doit enchaîner des contrats précaires et se demande chaque année ce qu’il fera l’année suivante, alors que ses collègues diplômés en France sont des agents publics sous statut. En plus d’un rythme de travail infernal, il a préparé un concours offrant un nombre de places ultralimité. S’il échoue, on l’invitera à se reconvertir ou on lui permettra de continuer à exercer grâce à des recommandations arbitraires de ses pairs, toujours sous statut précaire. Et je ne parle même pas des Padhue de nationalité étrangère qui, comme seule reconnaissance pour leurs années d’engagement, reçoivent une obligation de quitter le territoire français.
Ce système engendre des situations absurdes. Je pense à ce Padhue qui a vu son chef de service faire un malaise cardiaque : s’il le ranimait, on pouvait lui reprocher l’exercice illégal de la médecine – le cas est véridique.
Nous proposons de revenir sur la gestion des Padhue effectuée dans une logique de flux et de stock. Je sais cette proposition consensuelle, comme en témoignent plusieurs votes dans l’hémicycle. Je pense aussi que nous pouvons nous accorder sur la régularisation de ces professionnels.
M. Guillaume Garot (SOC). Les Padhue, ce sont 4 000 à 5 000 personnes qui tiennent à bout de bras nos établissements de santé, en particulier, nos hôpitaux. S’ils n’étaient pas là, les soignants peineraient encore plus à apporter les meilleurs soins possibles aux Français – je salue l’investissement des uns et des autres. Des pas en avant ont été faits, notamment grâce à la loi Valletoux, et la présente proposition de loi propose de faire mieux. Elle s’inscrit dans la philosophie du groupe de travail transpartisan sur les déserts médicaux, dont elle reprend une disposition parmi celles que nous avons mises en avant. Le débat porte sur la qualité des soins dispensés et de l’exercice dans les règles de l’art par les Padhue, la grande majorité d’entre eux n’ayant pas effectué ses études en France – il est bien normal de s’en assurer. La proposition de loi me semble tout à fait prendre en considération cette exigence de sécurité et de qualité. Peut-être nécessitera-t-elle d’être précisée, mais, en tout état de cause, nous la soutenons.
M. Fabien Di Filippo (DR). Les nombreux recrutements de Padhue sont nécessaires pour faire fonctionner nos hôpitaux ; cela participe d’une immigration choisie et tout à fait bienvenue. Mais en se concentrant sur la facilitation des régularisations, la proposition de loi passe à côté du véritable enjeu de l’intégration de ces professionnels. Il ne faut pas revenir sur la validation de leurs compétences en baissant le niveau d’exigence et en créant des dérogations. Il faut conserver le même degré d’exigence académique, car celle-ci garantit la qualité des soins que l’on doit à nos compatriotes.
Pour ceux qui remplissent les critères de compétence et qui travaillent déjà depuis plusieurs mois ou plusieurs années dans des services hospitaliers, il faudrait simplifier, si possible drastiquement, la procédure d’autorisation d’exercice. Cela permettrait de sortir de la précarité administrative des gens qualifiés qui ont vocation à rester sur notre territoire. Parfois, certains d’entre eux demeurent dans l’incertitude, sans titre de séjour pérenne, pendant plus de deux ans. C’est là le cœur du problème.
Il arrive aussi que des praticiens venant de pays extérieurs à l’Union européenne connaissent un échec flagrant du point de vue de la maîtrise des compétences hospitalières, de la langue, de l’intégration dans nos équipes. Cela justifierait une harmonisation des standards de formation à l’échelle internationale.
Une autre question que nous devrions aborder est la fuite des étudiants en santé français.
Nous sommes opposés à ce texte, notamment au passage des EVC sans limite. Lorsque la compétence médicale ou la langue ne sont pas au rendez-vous, les intéressés ne peuvent rester dans nos hôpitaux ni, plus généralement, en France.
M. Hendrik Davi (EcoS). Un jour, un énarque à qui l’on demandait de faire des économies s’est exclamé : « C’est évident, pour diminuer les dépenses de santé, il suffit de baisser le nombre de médecins ! » À la fin des années 1970, on formait chaque année 8 500 médecins ; le chiffre est tombé à 3 500 au début des années 2000. Certes, il a remonté depuis, mais il est encore loin d’être suffisant. Une infirmière, citée par Damien Maudet dans l’exposé des motifs de cette excellente proposition de loi, témoigne : « Certains soirs, il y a dix brancards que l’on range en épis. Je dis aux patients : “Je vais vous garer.” C’est devenu un parking de supermarché. » Un syndicaliste explique : « À l’hôpital, les gens crèvent, les collègues rendent leur blouse parce qu’ils ne veulent plus rentrer chez eux, pleurer et revenir le lendemain. Ça ne peut plus tenir. »
L’austérité organisée par les gouvernements successifs nous contraint à aller chercher des médecins à l’étranger, ce qui n’est pas forcément souhaitable. Le comble de cette fable contemporaine, c’est que, par racisme, tout est fait pour compliquer la tâche des médecins étrangers. Les Padhue jouent un rôle clé dans l’offre de soins, notamment en zone rurale, pourtant, pour faire reconnaître leurs qualifications et pouvoir exercer pleinement leur métier, ils doivent en passer par un véritable parcours du combattant : il leur faut d’abord réussir l’épreuve de vérification des connaissances puis effectuer un parcours de consolidation des compétences de deux ans, alors même qu’ils exercent déjà depuis plusieurs années en France. Or l’EVC n’est pas une simple vérification des compétences, c’est un concours assorti de quotas. En attendant leur titularisation, les Padhue travaillent souvent sous un statut très précaire – stagiaire associé ou faisant fonction d’interne – et sont rémunérés 1 500 euros par mois. Cela n’est pas digne des responsabilités qu’ils assument au quotidien.
Beaucoup de ces médecins envisagent de partir, ce qui ferait courir un risque à notre système de santé, car ils représentent près de 16 % des médecins en activité. Nous devons mettre fin à leur précarité administrative et financière. Nous voterons en faveur de la proposition de loi.
M. le président Frédéric Valletoux. Je ne défends pas les énarques, mais la demande d’instauration du numerus clausus émanait, dans les années 1970, des syndicats de médecins, et les politiques ont eu la faiblesse de les écouter.
M. Philippe Vigier (Dem). Nous discutons de la régularisation des Padhue au sein de cette commission depuis près de huit ans. Vous-même, monsieur le président, lorsque vous étiez ministre, expliquiez combien ces professionnels de santé avaient été maltraités pendant de longues années. Ils sont plus de 12 000 à faire tourner nos hôpitaux, alors qu’ils relèvent de statuts précaires et sont moins bien payés que leurs homologues. Le système de validation de leurs compétences est très complexe. L’année dernière, plus de 2 600 Padhue ont réussi les EVC.
Si l’on ne peut pas transiger sur la qualité de ces professionnels, cela n’empêche pas de leur permettre de passer le concours un plus grand nombre de fois, ni d’améliorer les modalités de validation. J’ai moi-même rempli un dossier pour me faire une idée : nous avons de gros progrès à faire pour réduire la complexité des procédures ! Nous déposerons des amendements en séance pour améliorer certaines dispositions.
La dérogation en vigueur dans les départements français d’Amérique est accordée à titre provisoire. Ces territoires connaissaient des distorsions de salaire encore plus marquées que dans l’Hexagone, pouvant aller de 1 à 10. La dérogation est, de ce point de vue, une mesure juste. Il faut toutefois sortir du provisoire et avoir des professionnels compétents, qui restent en place.
M. Pierre Marle (HOR). Chacun s’accorde à reconnaître que les médecins et les pharmaciens diplômés de pays situés hors de l’Union européenne jouent un rôle crucial dans notre système de santé. Ils sont des centaines à œuvrer chaque jour dans nos hôpitaux, souvent dans des conditions difficiles, pour répondre aux besoins de santé de nos concitoyens.
Ces professionnels doivent mener des démarches administratives complexes pour faire reconnaître leurs compétences en France. Le groupe Horizons & Indépendants a soutenu plusieurs initiatives législatives pour améliorer cette solution, notamment en 2023 la loi Valletoux, qui a créé une attestation d’exercice temporaire simplifiant l’intégration de ces praticiens étrangers.
Il est essentiel de distinguer l’intégration et la dérégulation. La qualité et la crédibilité de l’exercice médical dans notre pays reposent sur la garantie que tous les professionnels de santé, quelle que soit leur origine, possèdent les compétences nécessaires. Ce principe est au cœur de la confiance que nos concitoyens accordent au système de soins. Nous ne pouvons pas nous permettre de compromettre l’exigence d’excellence dans un domaine aussi vital que celui de la santé. C’est pourquoi nous estimons que les épreuves de vérification des connaissances et les examens spécifiques aux Padhue doivent être maintenus. La proposition de loi risque, à cet égard, de diminuer la valeur des évaluations et de fragiliser la qualité des soins prodigués.
En outre, permettre aux ARS d’octroyer une autorisation d’exercice à un praticien qui n’a pas passé d’EVC créerait un déséquilibre entre les territoires et porterait atteinte à la cohérence nationale de notre système de santé.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons & Indépendants ne soutiendra pas la proposition de loi.
M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). La proposition de loi soumise à notre examen contient des dispositions similaires à celles de l’article 5 de la proposition de loi transpartisane issue du groupe de travail sur les déserts médicaux – auquel je participe, avec Damien Maudet. Pour lutter contre la désertification médicale, il nous faut prendre des mesures efficaces, à savoir mieux répartir, mieux former, mieux accompagner ceux qui nous soignent au quotidien.
Faciliter l’exercice des Padhue, qui œuvrent quotidiennement dans les établissements de santé les plus isolés du territoire, sans compter leurs heures, est une nécessité. Ces professionnels connaissent la précarité et l’instabilité, à telle enseigne que certains sont forcés de quitter l’hôpital public alors que nous manquons cruellement de personnel. Dans un contexte d’aggravation continue de la désertification médicale, ces médecins sont d’indispensables renforts dans nos hôpitaux ; dans les zones rurales, l’offre de soins repose pour beaucoup sur eux. Les mesures qui ont été prises depuis 2020, au nombre desquelles la loi Valletoux et les autorisations temporaires accordées à ces médecins, ne constituent que des solutions dérogatoires, provisoires et restrictives. Elles ne permettent pas à ces praticiens de se projeter et d’envisager sereinement l’exercice de leurs fonctions au sein des structures.
Il faut cependant s’assurer de leurs compétences et de la sécurité des patients. Les mesures proposées par le texte ont vocation, non seulement à répondre aux attentes des Padhue en les faisant sortir de la précarité administrative et salariale, mais aussi à satisfaire les besoins exprimés par de nombreux chefs de service de nos hôpitaux. Notre groupe votera en faveur de la proposition de loi, qui constitue un premier pas.
Mme Karine Lebon (GDR). La France souffre depuis trop longtemps d’une pénurie de médecins. L’absence de réaction des pouvoirs publics a contraint les hôpitaux à s’adapter en recourant aux maigres moyens dont ils disposent. Nos soignants se sont transformés en logisticiens, nos hôpitaux en usines de tri. Cette situation plonge le personnel soignant dans la précarité, par le recours à l’intérim, aux contrats à durée déterminée, aux heures supplémentaires non payées, et ce n’est pas le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui améliorera la situation.
Tous les médecins de l’hôpital public, d’où qu’ils viennent et dans quelque pays qu’ils aient obtenu leur diplôme, sont en première ligne et tentent d’assurer au mieux le bon fonctionnement des services. Ils tiennent le système de santé à bout de bras. Parmi eux, les Padhue sont sévèrement maltraités. Leur statut est précaire, sous-payé, négocié de gré à gré, souvent même à la limite de la légalité. L’opacité et la complexité de la situation des Padhue ont été dénoncées par leurs pairs. Les épreuves de vérification des connaissances, sans lesquelles ils ne peuvent exercer librement leur profession, sont devenues un concours. Les notes d’admission sont de plus en plus élevées et le nombre de places demeure limité, en contradiction totale avec les besoins et les compétences dont font preuve au quotidien, depuis plusieurs années, ces médecins.
Les collectifs de Padhue citent souvent la procédure dérogatoire instaurée dans certains territoires dits d’outre-mer – je regrette d’ailleurs qu’elle ne s’applique pas à mon territoire de La Réunion –, qui autorise le recrutement de ces praticiens sur simple examen de dossier. Cette procédure ayant fait ses preuves, les collectifs se demandent pourquoi elle n’est pas étendue à l’ensemble du territoire français. Puisque le cabinet de la ministre de la santé a indiqué, le mois dernier, à l’Association pour l’intégration des praticiens engagés contre le covid qu’il était en quête d’un vecteur législatif pour régulariser la situation des Padhue, cette proposition de loi tombe à point nommé : le Président de la République pourra enfin tenir sa promesse à ces praticiens.
M. Olivier Fayssat (UDR). Le groupe UDR n’est pas favorable à ce texte. D’abord, nous craignons une dépendance croissante aux médecins formés à l’étranger, dont le maintien sur le territoire national n’est pas garanti, ce qui pourrait fragiliser, à terme, l’offre de soins. Ensuite, l’exemption des épreuves de vérification des connaissances empêche de contrôler l’aptitude professionnelle et la maîtrise de la langue française de ces praticiens. Enfin, cette proposition de loi met en péril la souveraineté sanitaire de la France, tout en privant de leurs talents de nombreux pays en développement.
M. le rapporteur. Pour être inscrit au tableau de l’Ordre des médecins, il faut maîtriser la langue française, ce qui rend sans objet les amendements déposés par la droite pour détricoter le texte. Il faut en finir avec le fantasme que des médecins, même inscrits temporairement à l’Ordre, ne parleraient pas notre langue.
Nous ne proposons pas de mettre fin à l’examen de validation des compétences ni d’accorder une autorisation générale d’exercice : ce dernier serait limité à un seul service ou à un seul poste, par exemple. Je rappelle que l’Ordre des médecins est présent au cours des entretiens, au côté de l’ARS. À l’heure actuelle, comme nous l’ont dit les directeurs d’ARS, les ruptures de contrats sont assez rares, ce qui témoigne du fait que les Padhue ont le niveau requis.
Nous ne proposons pas non plus de supprimer les EVC. Mais sachant que les Padhue n’osent pas les passer de crainte, en cas d’échec, d’être raccompagnés à la frontière ou de ne plus pouvoir exercer, ne rien faire pour eux, c’est les laisser dans le précariat et les empêcher de tenir un service – ce qui est pourtant fort utile pour le pays, en particulier là où l’on manque de médecins.
Le raccourcissement du parcours de compétences a déjà été décidé : il sera effectif en janvier 2025. La suppression de la limitation du nombre de présentations aux EVC ne va pas non plus faire baisser le niveau – si un médecin étranger exerce dans un hôpital français depuis un certain nombre d’années, on peut en déduire qu’il a les compétences nécessaires et que, dans le cas contraire, le chef de service aurait mis fin à son contrat. Il faut encourager les médecins à passer les EVC, car cela leur permettra d’être régularisés, mieux rémunérés et d’assurer le bon fonctionnement d’un service.
J’entends dire à droite que ce texte ne serait pas la solution. C’est la même droite qui a refusé de réguler l’installation des médecins, qui s’oppose aujourd’hui à la régularisation des médecins étrangers et qui ne propose – je parle du RN – jamais rien, si ce n’est des aides de-ci, de-là aux médecins, qui ne fonctionnent pas.
Les mesures concrètes que nous proposons sont susceptibles d’améliorer la santé des Français et les conditions de travail de nombreux médecins qui s’investissent pour notre pays.
La réunion s’achève à treize heures.
Présents. – M. Joël Aviragnet, Mme Anchya Bamana, M. Laurent Baumel, M. Thibault Bazin, Mme Béatrice Bellay, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Karim Ben Cheikh, M. Christophe Bentz, M. Ugo Bernalicis, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Louis Boyard, M. Pierre-Yves Cadalen, M. Elie Califer, Mme Gabrielle Cathala, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Paul-André Colombani, M. Alexis Corbière, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Arthur Delaporte, Mme Sophie Delorme Duret, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, Mme Céline Hervieu, Mme Mathilde Hignet, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Karine Lebon, M. René Lioret, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, Mme Hanane Mansouri, M. Pierre Marle, M. Damien Maudet, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Fabrice Roussel, M. Jean-François Rousset, Mme Sandrine Runel, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Matthias Tavel, Mme Prisca Thevenot, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Vojetta
Excusés. – Mme Justine Gruet, M. Yannick Neuder
Assistaient également à la réunion – M. Pierre Cazeneuve, M. Guillaume Garot, Mme Olivia Grégoire, Mme Zahia Hamdane, Mme Chantal Jourdan, M. Jean-Philippe Nilor