Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen de la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers (n° 769) (M. Benjamin Lucas‑Lundy, rapporteur) 2
– Examen de la proposition de loi visant à protéger les travailleuses et travailleurs du nettoyage en garantissant des horaires de jour (n° 770) (Mme Sophie Taillé‑Polian, rapporteure) 34
– Informations relatives à la commission......................46
– Présences en réunion.................................47
Mercredi
12 février 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 45
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à neuf heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission examine la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers (n° 769) (M. Benjamin Lucas‑Lundy, rapporteur).
M. le président Frédéric Valletoux. Mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les deux propositions de loi dont le groupe Écologiste et Social a proposé l’inscription à l’ordre du jour des séances qui lui seront réservées le jeudi 20 février prochain.
Nous commençons par la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. J’irai droit au but : je ne pense pas, comme l’affirmait le président Mitterrand en 1993, que, « dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé ». Si, comme l’affirmait plus tard Lionel Jospin, l’État ne peut pas tout – « Il ne faut pas attendre tout de l’État et du Gouvernement » –, je crois qu’il peut beaucoup ! Mon engagement à gauche est intimement lié au refus de la fatalité et de la résignation, inspiré par Blum, qui considérait le moment clef comme celui où l’on cesse de dire : « Bah ! C’est l’ordre des choses, il en a toujours été ainsi. »
Au nom du groupe Écologiste et Social, que je remercie pour sa confiance et dont je salue la présidente, j’ai l’honneur de vous présenter un texte de combat – au sens démocratique du terme – et de refus de l’impuissance, qui en appelle d’autres et qui s’inscrit dans l’histoire de notre République sociale, répondant à une actualité brûlante.
L’année 2025 s’annonce comme celle des records de plans sociaux. Allons-nous la laisser filer en nous lamentant, ou jouerons-nous pleinement notre rôle de législateurs et de défenseurs de notre industrie et des emplois ?
Les licenciements boursiers dictés par des logiques de profit, malgré la rentabilité des sites concernés et leur importance sur leurs territoires, sont le symbole d’une économie déséquilibrée, où l’enrichissement de quelques-uns à court terme l’emporte sur l’avenir de tous. Les pratiques consistant à supprimer des emplois dans des entreprises pourtant rentables n’ont pour but que d’augmenter la valeur des actions ou de maximiser les dividendes. Elles ne répondent ni à des nécessités économiques, ni à des impératifs de compétitivité, mais à une logique purement spéculative. Il s’agit d’un contresens économique, d’une faute sociale et – j’ose le dire – morale.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2023, près de 70 % des bénéfices des entreprises du CAC40 ont été redistribués aux actionnaires, tandis que les investissements productifs et la hausse des salaires restaient marginalisés. Dans le même temps, des milliers de salariés ont été sacrifiés sur l’autel de la rentabilité financière. Les conséquences de ces choix sont multiples et désastreuses.
La première des répercussions est une perte d’attractivité pour le pays et nos territoires. Des compétences, des savoir-faire et une productivité accumulés au fil des années sont balayés pour répondre à des impératifs financiers à court terme. Ce cercle vicieux freine l’innovation, réduit les capacités industrielles de notre pays et nous prive d’atouts stratégiques face à la concurrence internationale.
La deuxième conséquence est un impact social et territorial insupportable. Un licenciement n’est pas qu’un chiffre, mais une tragédie humaine : des familles sont plongées dans l’incertitude et des salariés démunis face à des perspectives de reconversion souvent insuffisantes. Ces suppressions d’emplois frappent de plein fouet nos territoires, notamment les bassins industriels, qui subissent une double peine : la montée du chômage et l’effondrement de l’activité économique locale. Les licenciements boursiers créent des déserts économiques où les solidarités s’effritent et où le sentiment d’abandon nourrit une crise de confiance envers nos institutions et tout notre édifice démocratique.
Le troisième corollaire est un détournement inacceptable des aides publiques. Nombre de ces entreprises ont bénéficié de subventions, d’exonérations fiscales ou d’autres formes d’aides publiques – crédit d’impôt recherche (CIR), crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – pour maintenir leur activité ou financer des investissements. Ces aides, issues de l’effort collectif des citoyens, sont souvent détournées de leur objectif initial pour servir des stratégies financières opaques. C’est une injustice criante, qui mine la légitimité même de l’action publique et exacerbe les inégalités.
La quatrième conséquence est la menace pour la souveraineté économique de la France. En laissant nos industries se désagréger sous la pression des marchés financiers, nous mettons en danger notre indépendance stratégique. Qu’il s’agisse de secteurs clefs comme l’énergie, la métallurgie ou la pharmacie, la France ne peut se permettre de perdre ses capacités industrielles au profit de délocalisations ou de restructurations destructrices.
Face à ces constats, il est urgent d’agir. Combattre les licenciements boursiers, ce n’est pas seulement répondre à une urgence sociale, c’est réaffirmer une ambition économique, visant à protéger les emplois d’aujourd’hui tout en préparant ceux de demain. Depuis plusieurs mois, notre pays est à nouveau confronté à une vague massive de plans de licenciements, qui se succèdent à un rythme effréné, détruisant et menaçant des milliers d’emplois partout en France.
Les données chiffrées publiées par le ministère du travail sont révélatrices des difficultés du moment : au bout des trois premiers trimestres de 2024, on recensait déjà autant de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) validés ou homologués par l’autorité administrative que sur l’ensemble de l’année 2023 ; entre ces deux années, le nombre de PSE mis en œuvre a augmenté de 40 % et le nombre de ruptures de contrats de travail qui en a résulté de 50 %. C’est un désastre.
À titre d’exemple, en novembre dernier, le distributeur Auchan a annoncé la suppression de 2 389 postes, le groupe Michelin la fermeture de deux sites de production, menaçant 1 254 salariés, et Valeo a dévoilé son plan de restructuration, qui prévoit la suppression de 868 postes en France. Au total, selon la CGT, près de deux cent cinquante plans de licenciements seraient en préparation, menaçant près de 300 000 emplois en France.
Ces licenciements sont qualifiés de « boursiers » en ce qu’ils n’obéissent pas à un impératif économique mais visent, pour les entreprises, à accroître toujours plus leur rentabilité financière. Ainsi, le groupe Michelin a dégagé un bénéfice net de 2,6 milliards d’euros en 2023 et versé 1,4 milliard d’euros de dividendes en 2024, considérant les salariés comme de simples coûts à réduire.
Les défaillances d’entreprises sont en nette hausse dans les petites et moyennes entreprises de plus de cinquante salariés – plus de 47 % selon les données publiées par Altares – et la majorité des PSE ont lieu dans les entreprises de moins de 1 000 salariés. Pourtant, elles ne sont pas soumises à l’obligation de recherche d’un repreneur en cas de fermeture de site.
C’est pourquoi cette proposition de loi étend à toutes les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés l’obligation, introduite par la loi du 29 mars 2014, la loi « Florange », de rechercher un repreneur pour les entreprises envisageant la fermeture d’un de leurs établissements, avec pour conséquence un projet de licenciement collectif se traduisant par la mise en œuvre d’un PSE. Une telle obligation contraint les directions d’entreprises à informer et consulter le comité social et économique (CSE) sur les offres éventuelles de reprise et sur les projets de fermeture.
Face à la multiplication des plans de licenciements collectifs, il est par ailleurs nécessaire de renforcer le dialogue social, en donnant plus de poids à la voix des représentants du personnel. Alors qu’un employeur procédant à un PSE n’est actuellement tenu de consulter le CSE de l’entreprise qu’à titre informatif, il n’est plus acceptable qu’un PSE dont les contreparties sociales ne seraient pas satisfaisantes ou dont les alternatives, en particulier sur la recherche d’un repreneur dans le cadre de la loi « Florange », n’auraient pas été suffisamment explorées, puisse être effectué contre l’avis des salariés et de leurs représentants.
Pour y remédier, la proposition de loi introduit un droit nouveau pour les représentants des salariés, en conférant au CSE un droit de veto suspensif lors de l’engagement d’un PSE par l’employeur. Il a vocation à donner plus de temps à l’entreprise pour revoir sa copie et chercher des alternatives à la fermeture d’un site industriel, lorsque les représentants des salariés estiment que des alternatives au plan de licenciement peuvent être trouvées ou que le contenu du PSE est insuffisant pour les salariés.
Alors que les aides publiques aux entreprises représentent aujourd’hui près de 200 milliards d’euros par an et que leur versement n’est pas conditionné à un strict usage d’investissement et de maintien de l’emploi sur le territoire national, ce texte prévoit que les groupes procédant à des PSE restituent, pour les trois derniers exercices, les exonérations de cotisations sociales perçues au titre des emplois concernés par le licenciement collectif, ainsi que le CIR dont ils ont bénéficié.
Enfin, dans la mesure où les plans de licenciements collectifs ont des conséquences particulièrement néfastes pour les territoires, cette proposition de loi prévoit d’augmenter le coût plancher des mesures de revitalisation pour les bassins d’emplois qui subissent des PSE. Alors que les conventions de revitalisation mobilisent souvent des montants plus importants que le seuil minimum prévu par le code du travail, le rehaussement du coût minimum des obligations de revitalisation vise à mettre davantage à contribution les grandes entreprises qui procèdent à des PSE, dans une logique de licencieur-payeur.
Notre histoire républicaine et sociale est intimement liée à notre histoire industrielle. Avec les révolutions industrielles sont venus, par les luttes collectives, d’immenses progrès sociaux et démocratiques. Le sens de notre histoire sociale est clair : subordonner l’ordre économique à l’intérêt général. Ainsi, nous avons pu construire une grande nation industrielle et un État social protecteur. Tant de conquêtes arrachées de haute lutte, d’emplois indispensables ont été et sont menacés par la recherche effrénée du profit à outrance, la mondialisation dérégulée, les logiques purement financières, l’abdication du politique devant la main invisible du marché.
Le désastre des suppressions d’emplois industriels en France constitue un terrible renversement des principes qui ont guidé notre pacte républicain. Chaque usine qui ferme malgré des bilans financiers positifs, chaque territoire abandonné à la désindustrialisation est une négation des luttes passées et une atteinte au contrat social qui unit notre pays. L’avenir est hypothéqué et le déclin gagne du terrain. Notre pays ne peut accepter un tel déclassement.
Avec ce texte, nous entendons redonner à la puissance publique les moyens de réguler et d’orienter l’économie, et redonner aux citoyens, aux élus et aux représentants des salariés la capacité d’intervenir pour défendre l’emploi et préserver nos territoires.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). D’une manière générale, cette proposition de loi nous invite à réfléchir à la manière de responsabiliser les entreprises qui déclenchent un PSE. La discussion sur les amendements me permettra d’expliciter la position du groupe Rassemblement National sur les quatre articles du texte. Aussi, je m’exprimerai plus particulièrement sur l’article 1er, visant à étendre la loi « Florange » aux entreprises de plus de deux cent cinquante salariés, contre mille salariés actuellement : nous le soutiendrons dans sa rédaction actuelle. Nous considérons en effet que ce critère est le bon, puisque les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés peuvent être confrontées aux deux phénomènes que sont la financiarisation et l’internationalisation des échanges : sous couvert de rechercher toujours du profit, l’emploi des Français devient la variable d’ajustement des ambitions de ces entreprises.
J’ai toutefois le sentiment que le groupe Écologiste et Social, à l’origine de ce texte, cherche, comme une grosse partie de la classe de gauche, à se racheter une bonne conscience. Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, un désastre industriel. Si certains licenciements collectifs sont effectivement abusifs et motivés par de bas instincts de recherche de profit, au mépris de la vitalité des territoires et des emplois français, d’autres sont aussi dus à un climat économique devenu irrespirable et épouvantable pour les entreprises françaises, particulièrement pour les industries.
La responsabilité en incombe à votre groupe, qui s’est livré pendant des années à du lobbying antinucléaire – s’attaquant ainsi à un atout français qui nous fournit une énergie peu chère et décarbonée – et qui a fait de la France un enfer énergétique. Au Parlement européen, avec Mme von der Leyen et les amis d’Emmanuel Macron, vous avez soutenu le pacte vert, qui a fait de la décroissance industrielle la règle de toute législation. Le rôle de notre groupe est de dire la vérité et de vous aider à faire une meilleure loi au service des ouvriers français.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je pensais naïvement que la gauche sociale-libérale-démocrate s’était réconciliée avec l’entreprise. Cette proposition de loi a un côté vintage qui nous ramène quarante ans en arrière : les licenciements boursiers sont de retour et l’entreprise serait l’ennemie, comme si elle ne créait pas de valeur et d’emploi, ni ne participait à l’attractivité de notre pays. Vous voulez la brider, l’imposer et l’exporter.
Depuis sept ans, nous avons fait exactement le contraire. Nous avons aidé les entreprises, en baissant l’impôt sur les sociétés et les impôts de production, en soutenant le CIR et dans le cadre du plan de relance France 2030 en matière d’innovation. Cela a payé. Le chômage a reculé, pour atteindre 7,3 % de la population active. La France est de nouveau compétitive, même si la censure, que vous avez votée, ne nous a pas aidés. Depuis 2016, nous comptons 500 usines de plus sur notre territoire.
Le groupe Ensemble pour la République s’opposera donc vivement à ce texte, qui alourdit les procédures, rigidifie le marché du travail et envoie un signal extrêmement négatif aux investisseurs. Il est actuellement très difficile de licencier et cela est normal, mais n’envoyons pas des signaux qui nuiraient à la réindustrialisation de notre pays et à son attractivité. Les entreprises cherchent toutes à se développer et ne licencient pas pour se faire plaisir.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Contrairement à ce qui vient d’être dit, depuis septembre 2024, les plans sociaux se succèdent à un rythme effréné et le pays est entré dans une période de choc économique et social sans précédent. En fin d’année, le groupe Michelin a annoncé la fermeture des sites de Cholet et Vannes, concernant plus de 1 200 salariés. De son côté, Auchan a indiqué licencier près de 2 400 salariés en France. Ces annonces s’ajoutent à celles de Sanofi, de General Electric, de Valeo, de Saunier Duval, de Vencorex, d’ArcelorMittal, de MA France, de Stellantis, de Renault, d’Alpine, de Novares, de Carrefour, de Casino, d’Air Liquide, de La Fonderie de Bretagne et de dizaines d’autres sites.
Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, le nombre de demandeurs d’emploi pour cause de licenciement économique a fortement augmenté – de 27,1 % en 2024 et de près de 15 % au seul deuxième trimestre 2024. L’Observatoire français des conjonctures économiques prévoit quant à lui que 143 000 emplois seront détruits en 2025 en France, le cabinet Altares estimant même ce chiffre à 300 000. L’industrie est particulièrement touchée, avec des secteurs stratégiques pour la souveraineté nationale et la bifurcation écologique – médicament, automobile, rénovation énergétique, énergies renouvelables, chimie.
Pourtant, le Gouvernement considère que ces plans de licenciement sont des phénomènes inéluctables, sur lesquels il n’y aurait aucune prise ni responsabilité. Cela revient à oublier que la désindustrialisation du pays, qui malheureusement s’accélère, est une conséquence directe de l’échec total de la politique macroniste menée depuis 2017. Cette politique de l’offre néolibérale consiste à distribuer des crédits d’impôts, des exonérations de cotisations et des aides diverses sans contrepartie, principalement aux plus riches et aux grandes multinationales, dont les bénéfices servent de plus en plus à rémunérer les actionnaires et de moins en moins à verser des salaires ou à réaliser des investissements productifs.
Avec près de 100 milliards d’euros versés en 2024, la France est championne d’Europe des dividendes et des rachats d’actions ; cette somme a doublé en dix ans. Il est inacceptable que des licenciements dits économiques aient lieu dans des entreprises qui accumulent depuis des années de l’argent public. Cette proposition de loi propose des pistes pour y remédier.
M. Arthur Delaporte (SOC). « On a conjuré des décennies de désindustrialisation, on a mis fin à cette période. » Ces mots sont ceux d’Emmanuel Macron, en mai 2023. Déjà à l’époque, il vivait dans une réalité parallèle. Depuis 2017, la désindustrialisation s’accélère dans notre pays, alors même que la politique industrielle – votre politique industrielle –, caractérisée par des aides aux entreprises sans contrepartie, ne produit pas d’effets notables.
Dans le Calvados ou dans le Gers, comme partout, on ne peut qu’être sous le choc de cette hémorragie industrielle – fermetures d’usines, suppression d’emplois. Dans ma circonscription, en juillet 2024, le groupe Bosch a annoncé la fermeture de son usine de Mondeville, pourtant élue meilleure usine de France en 2018. Prévue pour juin 2026, elle entraînera la suppression de 413 emplois, alors que le site est extrêmement rentable. On pourrait citer d’autres cas, comme celui de Sanofi, qui, avec un chiffre d’affaires de 40 milliards d’euros, réalise des profits importants en France : le groupe a décidé de céder un certain nombre de sites liés à la production du Doliprane, menaçant des emplois dans mon département, autour de Lisieux. Selon la CGT, 180 plans de licenciements boursiers ont été recensés entre septembre 2023 et septembre 2024, menaçant 47 272 emplois.
Les cas d’Auchan et de Michelin, qui ferme deux sites de production malgré 1,5 milliard d’euros de dividendes, ont déjà été évoqués. Force est de constater le décalage avec les milliards préalablement injectés : ces licenciements boursiers ne sont pas tolérables. Cela n’est pas vintage, même François Hollande en avait fait un engagement de campagne.
M. Fabien Di Filippo (DR). Ce texte nous éloigne des réalités du pays. L’approche de l’économie et de l’entreprise de nos collègues du groupe Écologiste et Social est toujours aussi négative. J’ai été surpris par le propos introductif du rapporteur, qui a présenté les décisions de création d’emplois, d’embauche ou de localisation des activités comme des décisions politiques ou administratives liées au bon vouloir des acteurs, comme si elles ne dépendaient d’aucun facteur de compétitivité et pouvaient s’affranchir de toutes les réalités du marché économique mondial.
Je reviens tout d’abord sur la volonté de punir les entreprises qui toucheraient des crédits d’impôts, toujours de manière de manière indue. Le CICE est à cet égard très parlant : il est reproché aux entreprises d’avoir touché 25 milliards d’euros sans avoir créé d’emplois – une honte. J’en rappellerai simplement le contexte d’origine. L’arrivée de François Hollande au pouvoir, en 2012, s’est traduite par un matraquage fiscal sans précédent, provoquant des sueurs froides à ceux qui, chaque matin, regardaient les comptes de résultat. Les prélèvements supplémentaires sur l’activité économique se sont élevés à 50 milliards d’euros. Le CICE a été mis en place dans la foulée, pour adoucir cette bombe fiscale. Cela est typique du mal français : on crée des impôts et des taxes à un niveau extrêmement élevé, dont les effets sont ensuite atténués avec des dispositifs qui génèrent de la complexité et que la gauche utilise pour jeter l’opprobre sur les entreprises. Vous vous plaignez d’un mal dont vous chérissez les causes !
J’en viens au texte. L’article 1er contraint les directions d’entreprise à informer et consulter le CSE sur des projets de fermeture. Une fois de plus, vous créez un dispositif qui alimente les effets de seuil. Notre pays compte déjà un nombre anormalement élevé d’entreprises de 49 ou de 249 salariés qui brident leur croissance parce que vous les punissez. L’article 2 est pour sa part complètement contre-productif. Quant aux articles 3 et 4, ils sont des véritables repoussoirs à la création d’activités et à leur implantation en France.
M. Damien Girard (EcoS). La semaine dernière, une centaine d’ouvriers du Morbihan ont assisté à l’audition du PDG de Renault à l’Assemblée nationale. En effet, leur usine – La Fonderie de Bretagne – est menacée. Pourtant, ce site a tout pour réussir – des équipements modernes, des compétences reconnues, des capacités de production solides –, mais Renault refuse de lui garantir deux ans de commandes, pour s’adapter, innover, trouver un avenir durable. Il ne s’agit pas d’un cas isolé – les usines Michelin à Vannes et à Cholet, La Fonderie de Bretagne, la liste est immense. Le scénario est toujours le même : des aides publiques, massives, puis une fermeture brutale, sans contrôle ni contrepartie.
Le but du texte de notre collègue Benjamin Lucas-Lundy est de corriger ce scandale et je le remercie de poser cette question d’intérêt général. Créer des marges de manœuvre pour les CSE, donner du temps pour encourager une vraie recherche de repreneurs, contrôler enfin l’usage des aides publiques : ces mesures ne sont pas idéologiques, mais des protections essentielles. La Cour des comptes et l’Inspection générale des finances réclament elles‑mêmes davantage de contrôle des aides publiques aux entreprises.
Si ces mesures étaient déjà en place, l’hiver social que traverse notre industrie serait moins rude. La menace du remboursement d’aides publiques et l’augmentation du coût plancher des mesures de revitalisation sont des outils forts, permettant à l’État de donner une cohérence territoriale et stratégique à sa politique industrielle. Avec ce texte, nous pouvons reconstruire une industrie qui ne se plie pas aux logiques financières de court terme mais investit sur l’avenir, qui ne délocalise pas après avoir encaissé l’argent public mais s’ancre sur nos territoires. Vous l’aurez compris, les élus du groupe Écologiste et Social voteront et défendront ce texte.
M. Philippe Vigier (Dem). Tout d’abord, le titre de la proposition de loi me semble mal choisi, car les licenciements boursiers ne sont pas seuls en cause. Par ailleurs, je me tourne vers la gauche de gouvernement, qui, avec Lionel Jospin, disait que l’on ne peut pas tout mais que l’on peut beaucoup. Il est bizarre que le représentant de l’État au conseil d’administration de Renault, à la main du Gouvernement, n’ait à l’époque pas bougé : je vous invite à revisiter le passé. Troisièmement, mon territoire rural a malheureusement connu 2 000 licenciements : j’y ai accompagné les PSE.
Le texte comporte-t-il des mesures qui vont dans le bon sens ? Je suis favorable à l’une d’entre elles, qui consiste à baisser le seuil de mille à deux cent cinquante salariés, mais j’ai beaucoup à dire sur le reste. Vous proposez de doubler les indemnités, mais qui en décide actuellement ? Le préfet fixe le montant de la contribution réclamée à l’entreprise au titre de l’obligation de revitalisation, pouvant aller jusqu’à quatre smic par emploi supprimé. J’ai fait bouger les curseurs pour que ce montant soit deux fois supérieur au niveau légal. Votre proposition de loi n’apportera donc rien.
De plus, vous ne dites pas un mot sur le vrai sujet, celui de l’accompagnement des salariés. Connaissez-vous le montant des honoraires pratiqués par les cabinets de revitalisation ? Je vous invite à prendre connaissance du taux de retour à l’emploi, au cœur du problème. Quant aux mesures sur le remboursement des exonérations sociales et des crédits d’impôts, elles ne fonctionneront pas.
Nous pouvons nous réjouir d’un taux de chômage historiquement faible : reconnaissez-nous au moins le mérite de cet effet positif, malgré les difficultés actuelles. J’ai en effet connu l’époque – en 2017 – où l’on nous a dit : « Si la courbe du chômage baisse, je me présente à l’élection présidentielle ; si elle ne baisse pas, je renonce. »
M. François Gernigon (HOR). Cette proposition de loi prétend répondre aux licenciements boursiers, un concept militant dépourvu de définition juridique. Ce terme traduit une vision punitive de l’entreprise, au détriment d’une politique ambitieuse pour l’emploi et la réindustrialisation. Licencier n’est jamais un acte de complaisance. Aucune entreprise ne prend de telles décisions à la légère. Il s’agit souvent du dernier recours pour faire face à des difficultés économiques, dans un contexte de concurrence accrue.
Plutôt que de traiter les causes profondes de la désindustrialisation, ce texte opte pour la sanction : veto syndical sur les plans sociaux, extension démesurée de l’obligation de recherche de repreneurs et hausse des contributions des entreprises. Prenons l’exemple de l’article sur le veto du CSE : il institue un pouvoir de blocage asymétrique et constitue une atteinte à la liberté d’entreprendre. Ce rôle revient à l’administration, qui est déjà chargée de contrôler la légalité et le bien-fondé des plans de sauvegarde de l’entreprise. Quant à l’extension de l’obligation de recherche d’un repreneur aux entreprises de deux cent cinquante salariés, elle risque de fragiliser les entreprises de taille intermédiaire (ETI), pourtant essentielles pour l’innovation et l’emploi dans nos territoires. Assimiler ces entreprises aux multinationales est une erreur qui pourrait ralentir leur développement, alors qu’elles doivent rester les moteurs de notre économie.
En adoptant ce texte, la France enverrait un signal négatif aux investisseurs et compromettrait sa compétitivité. À l’heure où nos voisins facilitent l’investissement, notre priorité devrait être de créer un cadre stable et incitatif pour accompagner les entreprises dans leur évolution et de soutenir durablement l’emploi. Le groupe Horizons & Indépendants votera contre ce texte. Nous croyons en un État qui encourage et accompagne, plutôt qu’il ne contraigne. C’est ainsi que nous favoriserons la réindustrialisation et le dynamisme économique de notre pays.
M. Paul-André Colombani (LIOT). La désindustrialisation massive est un fléau que nous peinons à combattre. Elle se traduit par une baisse d’attractivité immense pour nos territoires et par des pertes de compétences durables. Elle se manifeste par un appauvrissement et une augmentation du chômage, avec des conséquences immenses sur les familles concernées par les licenciements et sur les territoires entiers. Ce phénomène est malheureusement alimenté par des licenciements qui interrogent et sont difficilement compréhensibles sur le plan économique, lorsqu’ils sont réalisés par des groupes qui se portent bien financièrement, et qui, dans le même temps, parviennent à reverser des dividendes considérables à leurs actionnaires. Ces licenciements dits boursiers sont d’autant moins acceptables lorsque les entreprises ont bénéficié d’aides publiques importantes. Il faut donc exiger davantage de contreparties de la part des entreprises qui ne jouent pas le jeu de l’emploi.
En ce sens, notre groupe partage les objectifs de cette proposition de loi mais s’interroge sur sa capacité à les atteindre. La présente proposition de loi a le mérite de rappeler un certain nombre d’angles morts de la loi « Florange ». Nous avons besoin de faire le bilan de cette loi. Au-delà de la taille de l’entreprise, plusieurs lacunes méritent d’être corrigées. Il faut étudier l’opportunité d’inclure les entreprises placées en redressement ou en liquidation judiciaire, de revoir le délai de recherche d’un repreneur, trop serré. Notre groupe partage la volonté de renforcer le dialogue social, particulièrement dans des moments difficiles et de crise. Toutefois, des mesures visant à encadrer le veto du CSE permettraient d’éviter des situations de blocage.
M. Yannick Monnet (GDR). Nous soutiendrons cette proposition de loi, qui comporte des dispositions très intéressantes. Toutefois nous considérons que, contrairement à ce qu’indique son titre, elle ne parviendra pas à empêcher les licenciements boursiers – expression qui n’a pas quarante ans puisqu’elle a été forgée en 2001 par Alain Bocquet.
Ces licenciements procèdent des assouplissements successifs qu’ont connus les licenciements économiques. Au fil des réformes du droit du travail, le motif économique a perdu en précision tandis que ses conditions de mise en œuvre ont gagné en souplesse. La dérégulation de l’économie a provoqué une dérégulation du marché du travail : les entreprises ont été incitées à recourir à des licenciements massifs pour limiter leurs risques de pertes de parts de marché par rapport à leurs concurrents et à considérer les salariés comme de simples coûts à réduire, à externaliser ou à délocaliser.
Étendre aux entreprises d’au moins deux cent cinquante salariés l’obligation de réunir et d’informer le CSE en cas de PSE, poser le principe selon lequel le PSE doit être validé par le CSE même en cas d’échec de l’accord collectif, augmenter la contribution des entreprises et leur demander le remboursement des aides publiques qu’elles ont perçues sont autant de dispositions susceptibles de redonner un peu de pouvoir aux organisations syndicales et de responsabiliser davantage les employeurs ; toutefois, elles n’éviteront pas qu’un PSE soit déclenché, particulièrement dans le cas des licenciements dits boursiers.
Ce qui est en jeu, c’est la définition même du motif économique telle qu’elle est donnée par l’article L. 1233‑3 du code du travail. Le fait qu’une entreprise puisse élaborer un projet de licenciement de manière préventive, même en l’absence de difficultés économiques, du moment qu’il est justifié par une « réorganisation nécessaire à sa sauvegarde et à sa compétitivité », revient à considérer que la suppression des emplois d’aujourd’hui est légitime dès lors qu’elle assure la sauvegarde des emplois de demain. En conséquence, seule une redéfinition plus restrictive du motif économique autorisant un licenciement pourrait contrecarrer les licenciements dits boursiers.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Thibault Bazin (DR). Monsieur le rapporteur, je ne comprends pas le titre de votre proposition de loi. Il s’agirait de « sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers » ; or il n’est nullement question d’entreprises cotées en Bourse dans les articles qu’elle comporte. Du reste, l’immense majorité des emplois industriels dans nos territoires relèvent d’entreprises n’ayant pas d’actionnaires.
Autant je partage votre objectif de sauvegarder et pérenniser les emplois industriels, autant je m’interroge sur les dispositions que vous envisagez pour l’atteindre. Quel lien faites‑vous entre compétitivité et emploi ? Votre programme économique et environnemental nous pousse à nous interroger. Les surtranspositions normatives n’ont‑elles pas tué certains emplois industriels ? Au vu de certaines de vos propositions, on peut se demander si vous souhaitez vraiment qu’il y ait des usines, donc des emplois industriels, dans la France de demain.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Nous partageons votre constat sur la désindustrialisation de la France : le nombre des emplois industriels est passé de 5,7 millions en 1974 à 3,3 millions en 2023. Dans tous nos territoires, il y a des fermetures d’usines, des délocalisations, des pertes d’emplois, des familles frappées par le chômage et, quelle que soit notre sensibilité politique, nous sommes souvent mobilisés pour aider à trouver un repreneur et sauver le maximum d’emplois. Toutefois nous ne voterons pour cette proposition de loi : les limitations qu’elle impose dissuaderaient d’investir en France et aggraveraient le chômage au lieu de créer et sauver des emplois.
M. François Ruffin (EcoS). Le 2 octobre dernier, la direction française du groupe américain Watts Water Technologies annonçait sa décision unilatérale de fermer son site de la Somme, qui emploie 98 salariés et 25 intérimaires dans un village de 543 habitants, Hautvillers-Ouville. Pourtant le carnet de commandes de cette usine est plein, et le groupe, avec 340 millions d’euros de bénéfices et 49 millions de dividendes, vient de réaliser, selon la presse, une année record.
Face cette situation, l’État est impuissant. Il faudrait parler de « non‑pouvoirs publics », réduits à jouer un rôle de pleureuse et à améliorer voire seulement accompagner des plans de reclassement. Depuis quarante ans que cette histoire dure, on n’entend parler que de formation et de revitalisation.
Il faudrait que le motif économique invoqué par les entreprises soit contrôlé en amont par les administrations. Quand il est apprécié a posteriori parce que son caractère réel et sérieux est contesté devant la justice par les salariés, il est trop tard car la décision intervient des années après. Même si un dédommagement aura été obtenu, l’usine aura été fermée, le matériel envoyé en Bulgarie et les emplois auront été supprimés.
Je suis favorable à la proposition de loi de mon collègue et camarade Benjamin Lucas et à la mise en place d’un contrôle réel du motif économique des licenciements.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). On connaît le mythe fondateur de la Macronie : facilitez les licenciements et l’embauche se fera magiquement. En réalité, comme nous le voyons depuis une décennie, plus les licenciements sont facilités, plus ils sont nombreux. En témoigne le bilan d’Emmanuel Macron.
Mme Annie Vidal (EPR). C’est faux !
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). C’est vrai, les données de France Travail le montrent. Il y avait 6,1 millions demandeurs d’emplois inscrits quand il a été nommé ministre de l’économie, il y en a 6,3 millions aujourd’hui, soit 200 000 chômeurs en plus. Pendant cette même décennie, les États-Unis ont racheté 1 570 entreprises françaises. Si c’est votre définition de la réussite, voilà qui donne encore plus envie de vous mettre dehors ! J’aimerais que certaines et certains d’entre vous se rendent aux piquets de grève devant les sites de Thales ou Airbus pour expliquer que tout va bien en France. L’industrie de notre pays est démantelée et nous voterons avec enthousiasme cette proposition de loi de nos collègues qui offre des solutions face à la nécessité de bloquer les licenciements boursiers.
M. le rapporteur. Les remarques de plusieurs d’entre vous sur le titre me vont droit au cœur car elles traduisent une préoccupation pour l’esthétique de ma proposition de loi. Si j’ai choisi les termes de « licenciements boursiers », c’est que des entreprises rattachées à des groupes cotés en Bourse procèdent de manière massive à des licenciements dans des logiques purement spéculatives. C’est une réalité qui s’impose à tous. Les nombreux exemples qui ont été cités le montrent.
Je répondrai aux orateurs dans le désordre, sans prétendre à l’exhaustivité.
Monsieur Monnet, je suis le premier à considérer que ce texte n’est qu’un point de départ pour faire plus et mieux. C’est la raison pour laquelle, avec nos collègues du Nouveau Front populaire, nous devons consacrer toute notre énergie à accéder rapidement aux responsabilités pour faire œuvre utile pour le pays, l’intérêt général et nos entreprises.
Je veux dire à notre collègue du Rassemblement national qu’il s’est trompé de client. Je n’ai pas besoin de me racheter une bonne conscience car, même si j’étais très jeune, j’ai fait partie de ceux qui, à gauche, ont refusé le traité constitutionnel européen en 2005, notamment parce qu’il traduisait une obsession pour la concurrence dite libre et non faussée et pour la dérégulation ainsi qu’une acceptation de la mondialisation libérale. J’ai combattu, à la place qui était la mienne, certaines dérives du quinquennat de François Hollande comme les cadeaux aux grandes entreprises sans contrepartie. Et je sais que ces critiques sont partagées par certains collègues socialistes qui se sont livrés à un inventaire de la politique de l’offre qui a commencé à être appliquée à cette époque-là. Monsieur Dussausaye, entre 2005 et 2015, votre parti politique était quant à lui enfermé dans un programme ultralibéral : la dérégulation de l’économie, c’est vous qui la défendiez et nous qui la combattions. C’est donc plutôt vous qui aurez intérêt à vous racheter une bonne conscience.
Dans vos propos, cher Jean-René Cazeneuve, il y a à boire et à manger. Vous affirmez, de façon caricaturale et un peu facile, que nous n’aimons pas l’entreprise. C’est totalement absurde, c’est comme si je vous disais « vous n’aimez pas la pluie » ou « vous n’aimez pas le soleil ». J’adore les entreprises parce que j’adore les salariés, qui contribuent à créer de la valeur, à donner de la force industrielle et économique à notre pays et à nous en rendre fiers.
M. Didier Le Gac (EPR). Vous n’aimez pas les patrons.
M. le rapporteur. J’aime aussi les patrons monsieur Le Gac, quand ils créent des emplois, quand, au sein de leurs entreprises, ils partagent les richesses et explorent de nouvelles formes de gouvernance et quand ils sont vertueux d’un point de vue environnemental et social. J’aime nos entreprises quand elles investissent, qu’elles font vivre des territoires, qu’elles se développent. J’aime La Fonderie de Bretagne, citée par mon collègue Damien Girard, et son modèle vertueux qui montre que nous sommes capables d’être une grande nation en matière de production automobile. Si je ne vous connaissais pas, cher Jean-René Cazeneuve, je pourrais voir dans vos déclarations une forme d’insensibilité au sort des salariés déjà frappés et de ceux qui subiront la destruction de milliers d’emplois.
Vous reprochez à ma proposition de loi d’avoir un côté vintage. Je l’assume car de manière générale, je suis assez nostalgique, notamment de l’époque où l’État – pardon pour ce gros mot – assumait sa volonté de protéger les emplois et l’industrie. En ces temps de retour des impérialismes et de montée des guerres commerciales, il est extrêmement moderne de croire dans l’État stratège et dans les leviers qu’il peut actionner avec les collectivités locales pour influer sur la politique économique, sur la politique industrielle au nom de l’intérêt général et de notre souveraineté. D’un point de vue politique, je suis aussi nostalgique de l’époque où la distinction entre la gauche et la droite était claire. Et ce matin, nous voyons bien qu’il y a, d’un côté, une gauche et, de l’autre, une droite. Je ne vous ferai pas reproche, monsieur Cazeneuve, d’incarner ce que celle-ci a toujours été, notamment lorsque vous défendez, en toute transparence et je vous en remercie, le bilan d’Emmanuel Macron, rien que le bilan d’Emmanuel Macron, tout le bilan d’Emmanuel Macron.
J’estime qu’il faut mettre fin au laxisme fiscal à l’égard des grands groupes et à la débauche d’argent public en leur faveur alors même qu’ils licencient tout en faisant des bénéfices. Je rejoins mon collègue Clouet. Je ne crois pas que faciliter les licenciements favorise la création d’emplois, pas plus que faciliter les divorces ne favorise les mariages. Il est parfois bon de se sentir liés sur le long terme – je me suis marié récemment.
Je passerai rapidement sur l’idée exprimée par certains selon laquelle nous voudrions punir les entreprises. Pardon, mais je ne considère pas comme une sanction le fait de leur demander de rembourser les aides qu’elles ont perçues lorsqu’elles procèdent à des licenciements tout en faisant des bénéfices. Je ne suis pas opposé aux aides aux entreprises car, je le répète, j’estime important qu’un État stratège accompagne l’industrie dans ses mutations. L’argent public doit servir à préserver nos industries et nos emplois et à soutenir notre économie. Simplement, pour reprendre la formule d’un penseur bien connu : « Tu casses, tu répares » ; donc : « Tu licencies, tu payes et tu rembourses l’argent qui t’a été versé. »
À l’heure où – et je parle sous le contrôle de Jean-René Cazeneuve, qui a exercé l’éminente fonction de rapporteur général de la commission des finances – l’argent public se fait rare, d’autant que vous ne voulez pas aller chercher des recettes supplémentaires, et où les déficits publics ont atteint les niveaux que nous connaissons, compte tenu de l’état lamentable dont lequel vous avez laissé les finances publiques, il me semble qu’il est juste d’exiger qu’un bon usage des deniers publics soit fait. Quand une entreprise n’a pas rempli le contrat moral qu’elle a passé avec la nation, quand elle n’a pas été à la hauteur de l’effort consenti par les contribuables, qu’elle rembourse l’argent public me semble la moindre des choses.
Monsieur Di Filippo, je vous ai entendu pas plus tard que la semaine dernière, au sein de cette même commission des affaires sociales, affirmer au sujet des allocataires de minima sociaux et des bénéficiaires de prestations sociales qu’à des droits devaient correspondre des devoirs. C’est cette philosophie-là que je vous propose d’appliquer ici : aux droits qu’ont les entreprises de prétendre à cet argent public pour développer leurs activités, doivent correspondre des devoirs, notamment celui d’en faire un bon usage.
Enfin, monsieur Bazin, je ne crois pas qu’un membre du groupe Écologiste et Social ait jamais été à Matignon ou à l’Élysée et je trouve curieux de nous faire le reproche, à nous, du désastre industriel de ce pays, vous qui, avec vos amis, n’avez été capables ni de protéger les emplois industriels ni de penser aux mutations à venir. À l’heure du péril climatique, ce sont ces changements qu’il faut engager si nous voulons avoir une industrie puissante. Votre déni face aux évolutions du monde et votre obsession pour les normes environnementales me paraissent problématiques. Si nous nous contentons de cette attitude, nous irons droit dans le mur et nous ne pourrons pas avoir une industrie performante.
Article 1er : Appliquer les dispositions relatives à la recherche d’un repreneur dans l’hypothèse d’une fermeture d’établissement aux entreprises employant au moins deux cent cinquante salariés
Amendement AS3 de M. Yannick Monnet
M. Yannick Monnet (GDR). Cet amendement vise à remplacer les mots « licenciement collectif » par les mots « réduction d’effectifs ». Cela permettra d’enclencher le dispositif prévu dans la loi « Florange » en cas d’accords de rupture conventionnelle collective également.
Je dois dire que je suis un peu déçu par la nature de notre discussion, et j’aimerais qu’on arrête avec les caricatures. Nous pouvons avoir des points de désaccord mais nous ne saurions nous exonérer de la nécessité de mener un débat sur la politique de l’emploi et sur la politique d’industrialisation de la France. Le besoin s’en fait sentir et la proposition de loi arrive à point nommé. Alors que trois cents plans de licenciement sont prévus, nous venons de discuter, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale de 80 milliards d’euros d’exonérations pour les entreprises. Il est indispensable de se poser la question de savoir si une entreprise ayant une bonne viabilité économique peut licencier. Que chacun assume ses positions. Nous, à gauche, nous refusons qu’une entreprise se portant bien licencie, surtout lorsqu’elle a perçu des aides publiques.
M. le rapporteur. Votre proposition, cher collègue, si je la comprends, suscite des réserves de ma part. Cette possibilité échappe au champ d’application du texte et n’a pas été abordée lors de nos travaux préparatoires. La solution que vous proposez constituerait un changement significatif sur le plan juridique et je considère qu’elle devrait faire l’objet d’une discussion avec les partenaires sociaux, largement associés à l’élaboration de cette proposition de loi.
Sur la nécessité de faire évoluer la loi « Florange », en revanche, je vous rejoins. L’amendement AS1 du groupe Écologiste et Social propose qu’une réflexion soit entamée sur cette question et j’inviterai les membres de la commission à lui réserver un accueil favorable.
En soumettant les entreprises de plus de deux cent cinquante salariés à l’obligation de rechercher un repreneur, l’article 1er apporte déjà un changement important qui nous paraît justifié dans la mesure où la grande majorité des plans de sauvegarde de l’emploi, 89 % pour être précis, sont mis en œuvre dans des structures de moins de mille salariés. Il me paraît donc pertinent de nous en tenir là.
Par ailleurs, il n’est pas évident que les mots « réduction d’effectifs », qui ne figurent pas dans la partie législative du code du travail, soient suffisamment précis pour traduire l’intention qui sous-tend votre amendement.
Je vous invite à le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. Yannick Monnet (GDR). Lors de la préparation de notre proposition de loi visant à encadrer le recours au licenciement économique et à interdire les licenciements dits boursiers, déposée en décembre dernier, nous avons rencontré les organisations syndicales et les amendements que nous proposons sont aussi le fruit des discussions que nous avons eues avec elles. Je ne retirerai donc pas cet amendement AS3.
M. Arthur Delaporte (SOC). On peut comprendre cette volonté de mener une réflexion à la fois sur le seuil et sur le périmètre.
M. Lucas-Lundy, que j’affectionne, semble dire que les socialistes ont fait n’importe quoi jusqu’en 2017 ; mais rappelons que l’article 1er de sa proposition de loi vise à modifier la loi « Florange », avancée permise par les socialistes à un moment où lui-même appartenait au Parti socialiste.
M. Philippe Vigier (Dem). En effet, monsieur Monnet, cet enjeu mérite des débats un peu plus sereins, apaisés et respectueux, d’autant qu’à l’exception des Insoumis, toutes les forces politiques présentes ont été au pouvoir ces vingt dernières années.
Il me semble pertinent de prendre en compte la réduction d’effectifs. Un plan de licenciements collectifs peut être déclenché pour moins de neuf salariés, et certaines entreprises, j’ai pu le constater, procèdent par paquets de huit, ce qui tend à masquer la réalité des choses. Je serai donc favorable à cet amendement.
Enfin, je trouve qu’on ne parle pas suffisamment du délit d’entrave. Les élus sont prévenus après tout le monde alors que, s’ils étaient informés plus tôt, ils pourraient s’attacher à trouver des pistes.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous estimons qu’une réflexion doit être menée sur ce qu’évoque notre collègue Monnet. Les mots tendent à perdre leur sens dans le domaine du droit social et il importe de chercher à appliquer des dispositifs adaptés aux situations réelles. Les plans de licenciements sont désignés sous les termes de « plans sociaux » alors même qu’ils n’ont rien de social et qu’ils répondent à une démarche bien planifiée. Les ruptures conventionnelles collectives, elles, viennent se substituer dans certains cas aux licenciements collectifs. Les gens sont alors jetés comme des Kleenex sans que les employeurs fassent l’objet d’obligations de reclassement. Il faut trouver une solution collective pour mettre fin à ces pratiques, en particulier dans les grands groupes.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS21 de M. Benjamin Lucas-Lundy
M. le rapporteur. Monsieur Delaporte, je n’ai pas dit que tout ce que nous avons fait lorsque nous étions au pouvoir était à jeter. En tant que président des Jeunes socialistes, j’ai même soutenu certaines dispositions, notamment la loi « Florange ». Simplement, je considère qu’un devoir d’inventaire s’impose à la gauche, attachée qu’elle est à la démocratie.
L’amendement AS21 tend à éviter les effets de bord indésirables. La rédaction actuelle exclurait en effet de l’assujettissement à l’obligation de rechercher un repreneur en cas de fermeture d’un établissement des entreprises qui y sont aujourd’hui soumises.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement AS4 de Mme Karine Lebon tombe.
La commission adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendement AS5 de M. Emmanuel Fernandes
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Cet amendement reprend des éléments de la proposition de loi visant à mettre fin aux licenciements économiques abusifs dans les grandes entreprises déposée en décembre 2024 par notre présidente de groupe, Mathilde Panot. La France subit un plan social national de grande envergure à travers un nombre très élevé de défaillances d’entreprises : 66 420 en 2024, soit 16,8 % de plus qu’en 2023, année où les aides publiques aux entreprises ont atteint 203,2 milliards d’euros. Les femmes et les hommes qui travaillent, qui produisent les richesses ne sauraient être considérés comme des variables d’ajustement, comme des éléments accessoires. Il est d’autant plus insupportable que des vies soient sacrifiées sur l’autel de la maximisation des marges et des profits, que des familles entières soient brisées, lorsqu’il s’agit d’entreprises qui gavent leurs actionnaires tout en touchant de l’argent public.
Nous proposons que le licenciement pour motif économique soit considéré comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse quand l’entreprise qui y procède a distribué des dividendes, des actions gratuites ou stock-options, a réalisé un résultat net positif ou bien bénéficié d’allégements généraux de cotisations sociales ou du CIR.
M. le rapporteur. Vous savez qu’il revient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux d’un licenciement pour motif économique. En réservant une place particulière dans la loi à certains cas limitativement énumérés, nous nous exposerions au risque d’interprétations a contrario. Une fois la réforme passée, quelle valeur et quelle validité auraient les motifs dépourvus de base légale ? Mieux vaut laisser au juge son pouvoir d’appréciation au cas par cas plutôt que de figer les choses dans la loi, ce qui pourrait pénaliser excessivement les entreprises et leurs salariés.
Par ailleurs, l’article 4 de la proposition de loi introduit dans le code du travail un article destiné à organiser le remboursement par les entreprises mettant en œuvre un PSE des sommes perçues au titre de la réduction générale de cotisations et contributions patronales et du crédit d’impôt recherche.
Il serait paradoxal, et pour le moins difficilement intelligible, que soient inscrits dans le même texte deux dispositifs incompatibles : le licenciement décidé par une entreprise ayant bénéficié d’aides publiques serait selon l’article 4 admis, dès lors que les sommes reçues seraient remboursées, tandis qu’aux termes de l’article additionnel que vous proposez, il serait considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement pour que nous puissions, d’ici à l’examen en séance, le retravailler ensemble.
L’amendement est retiré.
Amendement AS1 de M. Damien Girard
M. Damien Girard (EcoS). Nous proposons que le Gouvernement remette un rapport au Parlement pour évaluer l’intérêt, d’une part, d’une révision des modalités d’information et de consultation du CSE dans le cadre d’un projet d’un licenciement collectif, et, d’autre part, des dispositions encadrant la recherche d’un repreneur dans l’hypothèse d’une fermeture d’établissement.
Le délai de deux à quatre mois laissé par la loi « Florange » aux entreprises soumises à l’obligation de rechercher un repreneur est souvent trop court. La plupart du temps, la recherche du repreneur est menée en même temps qu’est négocié le PSE, ce qui réduit les chances de succès. Ce sujet complexe mérite réflexion. Il faut savoir où placer le curseur.
M. le rapporteur. Selon les organisations syndicales, le délai dans lequel s’effectue la recherche d’un repreneur lorsque l’entreprise envisage la fermeture d’un établissement apparaît trop bref au regard de la complexité et de la lourdeur du processus. S’il n’y a sans doute pas de solution miracle en la matière, il n’en reste pas moins pertinent de réfléchir aux améliorations à apporter à la législation pour que la recherche d’un repreneur trouve, plus souvent qu’aujourd’hui, un dénouement positif.
Il me semble bon, par ailleurs, que soit conduite une réflexion sur le rôle et les prérogatives du CSE à l’occasion de la mise en œuvre d’un projet de licenciement collectif et que soient envisagées des évolutions susceptibles de donner plus de poids aux représentants du personnel lorsque l’entreprise établit et met en œuvre un PSE.
Avis favorable.
M. François Ruffin (EcoS). Je voterai pour cet amendement mais j’aimerais revenir sur vos propos, monsieur le rapporteur. Vous affirmez qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux d’un licenciement pour motif économique : je ne suis pas d’accord. Le jugement intervient trop tard : il n’y a plus qu’à passer la serpillière.
Prenons des exemples. Le groupe Continental a détruit l’usine de Compiègne en 2009 mais le jugement n’a eu lieu que six ans plus tard, en 2015. Pour absence de justification économique des licenciements et défaut de reclassement, il a été condamné à verser aux anciens salariés 11 millions d’euros d’indemnités mais cela n’a rien changé au fait qu’ils ont perdu leur emploi et que treize d’entre eux se sont suicidés. Toujours dans notre région, monsieur le rapporteur, l’usine Whirlpool d’Amiens a fermé en 2017 : 279 salariés ont porté plainte et le tribunal administratif d’Amiens a reconnu l’absence de motif économique du licenciement. Citons encore les usines Molex à Toulouse, Michelin à Joué-lès-Tours, Plysorol à Lisieux, Matra à Romorantin : la justice, là encore, a reconnu l’absence de motif économique mais les usines ont fermé, les emplois n’existent plus et les familles vont très mal.
M. Philippe Vigier (Dem). Autant mon opposition à ce texte est frontale car j’estime qu’il risque de rigidifier les procédures, autant j’estime que cet amendement ne va pas assez loin en se contentant de demander un rapport. Quatre mois pour retrouver un repreneur, c’est trop court. On ne parle jamais du fait que les collectivités se retrouvent face à des bâtiments vides pendant des années. Cela a été le cas dans ma circonscription après la fermeture de l’usine de fils de suture du groupe Ethicon, qui a préféré délocaliser son activité au Brésil : que faire de salles blanches pendant trois ans ? Si nous voulons vraiment aider les entreprises à trouver un repreneur, il faut allonger les délais qui leur sont laissés.
M. Damien Girard (EcoS). Les échanges que nous avons eus avec les organisations syndicales montrent que déterminer la bonne durée n’a rien d’évident. Nous suggérons donc de prendre le temps pour trouver le délai pertinent : comment être efficaces sans rigidifier le processus ?
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Monsieur Vigier, comme vous, j’estime qu’un délai de quatre mois est insuffisant. En Isère, si un repreneur n’est pas trouvé et si l’État n’intervient pas pour nationaliser temporairement l’entreprise, ce sont 120 hectares d’une plateforme industrielle potentiellement pollués au mercure qui risquent d’être laissés à l’abandon. Il faut adopter cet amendement et dans le même mouvement voter les dispositions qui permettent au CSE de se donner le temps de trouver un repreneur.
M. le rapporteur. Monsieur Ruffin, j’ai le souci de garantir la constitutionnalité du texte : je suis favorable à une révision de la Constitution mais je m’adapte aux contraintes.
Comme vous, je constate la lenteur de la justice ; il faut lui consacrer davantage de moyens pour ne pas attendre aussi longtemps des décisions aux conséquences déterminantes pour les emplois, l’industrie et les salariés concernés. Parce que je crois nécessaire d’y investir massivement, je soutiens la motion de censure que nous examinerons cet après-midi.
La commission rejette l’amendement.
Article 2 : Confier au comité social et économique le soin d’approuver le document élaboré par l’employeur aux fins de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi
Amendement de suppression AS6 de M. Gaëtan Dussausaye
M. Gaëtan Dussausaye (RN). L’article 2 tend à donner un droit de veto au CSE. Cela risque de retarder le déploiement du PSE alors que l’attente est difficile pour les employés. Il y a déjà des concertations ; tout ne se fait pas à la va-vite : la plupart des chefs d’entreprise font ce travail, même lorsque la loi ne le leur impose pas. De plus, les autorités administratives et l’État prennent part aux discussions. Le présent amendement vise donc à supprimer l’article 2.
M. le rapporteur. L’article 2 tend à donner du pouvoir aux salariés, à octroyer du temps au collectif pour créer un rapport de force et négocier. Je sais que le Rassemblement national n’a pas coutume de se tenir aux côtés des salariés dans les luttes sociales : celles-ci nécessitent du temps. Il faut se donner les moyens d’inverser le cours des choses. Le dispositif est perfectible mais il est indispensable, notamment pour protéger nos emplois. Nous l’avons élaboré avec les organisations syndicales : je sais que ces dernières vous posent un problème mais moi, je crois au dialogue social.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Nous sommes défavorables au texte mais nous n’avons pas déposé d’amendements de suppression afin que le débat ait lieu.
Je condamne la duplicité du groupe Rassemblement National : de même que ses membres sont favorables à la censure le matin mais s’y opposent l’après-midi, ils soutiennent les entreprises le matin mais plus l’après-midi. Ainsi, ils viennent de voter l’article 1er, qui « tape » sur les entreprises de deux cent cinquante à mille salariés.
Je ne comprends pas pourquoi on stigmatise en permanence les grandes entreprises : par définition, ce sont elles qui ont le plus embauché – vous devriez les féliciter et les remercier. Notre pays se porterait beaucoup mieux s’il comptait plus de grandes entreprises et d’ETI.
Nous ne soutenons pas cet amendement.
M. François Ruffin (EcoS). Les membres du Rassemblement national dévoilent leur politique économique. L’article 2 tend à donner davantage de pouvoir au CSE afin d’augmenter le poids des salariés face à celui de l’argent lorsqu’il s’agit de supprimer des postes.
L’entreprise Watts est située dans la circonscription de Matthias Renault, membre du groupe Rassemblement National. Douée des pleins pouvoirs, la finance a décidé du jour au lendemain de la supprimer en six mois, tandis que les salariés et les syndicats, l’État même, sont condamnés à l’impuissance.
Certes, pour la plupart des chefs d’entreprise, licencier est un crève-cœur ; mais lorsque les actionnaires voient dans un tableau Excel qu’ils y gagneront 1 % de marge de manœuvre, ils le font. C’est ce qui se passe chez Watts. En demandant la suppression de l’article, donc en refusant le rééquilibrage des pouvoirs, vous choisissez de laisser les pleins pouvoirs à la finance.
M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Le Rassemblement national n’aime la démocratie nulle part, pas davantage dans l’entreprise qu’ailleurs. Dans ma circonscription du Bas-Rhin, le dispositif prévu à l’article 2 aurait pu sauver l’entreprise Clestra, qui compte 125 salariés. Il fallait choisir entre deux repreneurs. Celui qui a été retenu, contre l’avis du CSE, était véreux : il s’est contenté de récupérer les brevets. Un an plus tard, le site a fermé, entraînant la suppression de 125 emplois et mettant à la poubelle 110 années de savoir-faire.
Les employés de l’usine Novares de votre circonscription, monsieur Dussausaye, ont débrayé par solidarité avec ceux du site d’Ostwald, proche de ma circonscription : celui-ci va fermer, parce que le groupe automobile Stellantis a décidé de passer ses commandes dans les pays de l’Est, laissant encore plus de 120 salariés sur le carreau. Vous devriez aller plus souvent dans les entreprises de votre circonscription pour mieux percevoir ce que peut apporter la démocratie sociale.
M. Fabien Di Filippo (DR). Les masques tombent : le rapporteur a employé les termes « rapport de force » et « lutte », dont la grande violence révèle sa conception de l’entreprise. De tels discours enferment les gens dans une logique d’affrontement, alors que le droit du travail français protège largement les salariés. Le présent article a été rédigé avec de très mauvaises intentions ; comme le reste du texte, il mérite d’être supprimé. Nous voterons cet amendement.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Quand une usine annonce un plan de licenciements qui concerne 100, 200, parfois 600 personnes, les salariés et les syndicats entrent en lutte – le terme est approprié. Le rôle de la loi consiste à rééquilibrer le rapport de force entre l’employeur qui décide de licencier, parfois brutalement et sans autre fondement que de servir des intérêts de court terme, et les salariés, qui se battent pour préserver leur emploi, nos compétences et l’industrie installée en France. Ne pas comprendre cela, c’est ne pas comprendre ce qui se passe lorsqu’un PSE est établi. Le présent article est essentiel aussi parce qu’il permettrait aux syndicats et aux salariés d’obtenir, grâce à l’analyse des propositions de reprise, des informations indispensables pour gagner le combat pour une juste rémunération ou pour sauvegarder l’emploi. Pour y parvenir, le temps est précieux.
M. Arthur Delaporte (SOC). Le présent amendement vise à supprimer l’un des dispositifs intéressants du texte. Des améliorations sont possibles, mais il faut se demander dans quelle mesure le CSE peut s’opposer à une cession brutale ou à un plan de licenciements massif ; or cela revient à poser la question du pouvoir dont disposent les représentants des salariés. J’ai évoqué l’usine Bosch de Mondeville. On propose au CSE deux repreneurs, mais aucun n’est sérieux : il faut soit laisser du temps, soit leur donner la capacité de s’opposer au plus vorace des deux. En effet, l’offre la plus intéressante pour la direction est aussi parfois la plus préjudiciable à long terme pour le site. L’intérêt des salariés est primordial.
M. Philippe Vigier (Dem). Il s’agit de définir les conditions d’une possible reprise ; or le veto suspensif ajouterait des difficultés et risquerait de provoquer un blocage. Une fois de plus, je regrette que ce texte aborde les questions de manière dogmatique. En cas de PSE, tout le monde se réunit autour de la table : la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets), la préfecture et les collectivités, qui sont sollicitées d’une façon ou d’une autre. Donc les salariés sont accompagnés. En retardant la décision, vous fragilisez encore les outils et les locaux qui les abritent, diminuant les chances de reprise.
M. Damien Girard (EcoS). Selon l’exposé sommaire de l’amendement, « plutôt que de multiplier les freins, il faut donner aux entreprises plus de flexibilité pour s’adapter aux défis économiques et protéger durablement les emplois ». Les masques tombent : ce n’est rien d’autre que le discours du libéralisme pur sucre à l’œuvre depuis des années ; on en mesure aujourd’hui les effets, notamment sur l’emploi. Les salariés, en particulier leurs représentants élus pour siéger au CSE, sont les meilleurs experts de l’entreprise. Tous ceux qui les ont rencontrés, qui ont travaillé dans les entreprises et été représentants syndicaux le savent bien. Ce sont eux qui défendent le mieux la pérennité de l’entreprise, car il y va de leurs emplois. Il ne faut pas supprimer l’article.
M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous sommes plutôt favorables au texte même s’il faut encore l’améliorer ; toutefois je ne soutiens pas l’article 2. M. le rapporteur l’a dit lui‑même : il faut avant tout discuter, or il est question non de discussion, mais d’un droit de veto sec. La Dreets est présente dans les concertations ; puisqu’elle ne défend pas d’intérêt propre, elle est la plus objective : il serait beaucoup plus pertinent d’élargir ses pouvoirs. Il faut arrêter de penser que les entreprises décident de gaieté de cœur de licencier ou de recourir à un plan de sauvegarde de l’emploi.
Si le présent amendement n’était pas adopté, je soutiendrais l’amendement AS18 qui prévoit que le veto ne pourrait s’appliquer que pendant quinze jours.
M. Thomas Ménagé (RN). Les membres du Nouveau Front populaire (NFP) et du bloc central tiennent sur le Rassemblement national des propos caricaturaux et pleins de morgue. Le projet de Marine Le Pen et de Jordan Bardella défend la liberté d’entreprendre tout en protégeant les salariés. Les Français s’expriment dans les urnes. En 2022, 2 % des ouvriers ont voté pour le candidat Jadot, contre 42 % pour Marine Le Pen : ils voient qui les défend. Aux élections européennes de 2024, 34 % des chefs d’entreprise ont voté pour le Rassemblement national, contre 17 % pour la liste du groupe Ensemble pour la République. En effet, monsieur Cazeneuve, vous ne défendez pas les entreprises : vous alourdissez les normes et les charges – votre projet de budget le montre. Le bloc central et le NFP sont alliés pour tuer l’économie et les emplois. Les Français qui travaillent et qui se lèvent tôt ont bien compris que seul le Rassemblement national les protège.
M. le rapporteur. Je ne comprends pas que l’article 2, banalement social-démocrate, suscite un tel émoi. Il tend à favoriser le dialogue social et le compromis. Vous dites qu’un chef d’entreprise ne licencie pas de gaîté de cœur ; mais ce n’est pas non plus de gaieté de cœur que les salariés bloqueront un PSE. Leur donner un droit de veto ne vise qu’à laisser du temps pour revoir la copie et trouver les meilleures solutions. Bossuet écrivait que Dieu se rit des hommes qui déplorent des effets dont ils chérissent les causes : les membres du Rassemblement national soutiennent la flexibilité, puis ils versent des larmes de crocodile sur la désindustrialisation et la casse des emplois – on ne peut pas à la fois être néolibéral et prétendre défendre les salariés et lutter contre les licenciements massifs.
Monsieur Di Filippo, un droit de veto qui permet la négociation n’est pas violent. Quant à la lutte sociale, elle est consacrée dans la Constitution, qui prévoit le droit de grève – le général de Gaulle n’était pas adhérent du NFP. Ce qui est violent, brutal, ce sont les décisions économiques absurdes qui vont dévaster trois cents familles liées à La Fonderie de Bretagne.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS18 de M. Jean-René Cazeneuve, sous-amendements AS29 et AS28 de M. Arthur Delaporte
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). L’amendement AS18 tend à dévitaliser l’article 2. En dix ans, le nombre de PSE a été divisé par deux : quand on déploie une politique pro‑business, qu’on donne aux entreprises les moyens d’investir, le chômage baisse, comme le nombre de PSE. Le processus est très protecteur, c’est tant mieux, mais il ne faudrait pas le rigidifier encore. Les délais sont longs : avec les obligations d’information et de consultation et le processus de validation, un PSE peut prendre plus d’un an. Pour l’entreprise, le coût, qui comprend les indemnités de licenciement, le reclassement obligatoire et un accompagnement social, est colossal. C’est normal, mais on ne peut pas dire que les entreprises y recourent pour satisfaire leurs actionnaires : il faut qu’elles y soient contraintes.
M. Arthur Delaporte (SOC). L’adoption de l’amendement AS18 rendrait le dispositif inapplicable : il prévoit que, pour suspendre le plan de sauvegarde, le CSE doit le rejeter unanimement, mais l’unanimité est difficile à obtenir. Le sous-amendement AS29 vise donc à supprimer le terme « unanimement », pour qu’une simple majorité suffise. Le sous‑amendement AS28 vise à porter à deux mois au lieu de quinze jours la durée maximale du droit de veto suspensif : s’il s’agit de trouver un repreneur, c’est trop peu. Sans possibilité d’application, l’amendement est bidon. J’ai déposé ces sous-amendements en urgence ; si l’amendement était adopté, il faudrait améliorer leur rédaction en vue de l’examen en séance publique.
M. le rapporteur. Sans émettre un avis favorable sur un amendement qui vise à dévitaliser le texte, je vais essayer de trouver une position commune. Vous voulez éviter que le rejet du PSE aboutisse à un blocage. De notre côté, nous travaillons à élaborer une solution équilibrée, à même de protéger les salariés sans empêcher l’employeur de licencier pour motif économique.
Votre amendement restreint presque entièrement la portée du dispositif et sa forme soulève plusieurs difficultés. Je vous propose de le retirer au profit de l’amendement AS22, que je défendrai dans un instant, et de travailler avec M. Delaporte et moi à la rédaction d’une solution équilibrée d’ici à l’examen en séance publique.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). À vous lire et à vous entendre, monsieur Cazeneuve, les bras me tombent. Vous êtes bien placé pour savoir que les PSE ne protègent pas les salariés : l’an passé, dans votre propre circonscription, à Auch, la clinique de Gascogne a été liquidée ; le plan a duré dix jours. Les salariés ont été payés avec des semaines de retard. Il y a eu zéro écoute, aucune discussion, et la clef a été mise sous la porte en quelques semaines. Non seulement vous nous dites que cela n’existe pas, mais vous voulez le rendre possible pour tous les salariés du pays. Vous voulez requérir l’unanimité du CSE pour suspendre le PSE : il suffirait d’une personne pour liquider tout le travail collectif – je ne suis pas d’accord !
M. François Ruffin (EcoS). On ne peut pas dire qu’un plan social protège les salariés. Quand la nouvelle tombe, c’est un couperet : il semble aux salariés que la vie s’arrête. Pendant des décennies, ils se sont consacrés à leur entreprise ; ils y sont arrivés tôt le matin, parfois ils lui ont donné leurs week-ends, et on leur dit stop, pour des raisons souvent injustifiées – non des contraintes économiques mais la possibilité de faire plus de profits. Que cela vous plaise ou non, un seul camp dispose des pleins pouvoirs ; en face, le camp du travail est écrasé. Un droit de veto aurait pour effet de pouvoir retarder la décision, donc de mettre la pression sur les dirigeants de l’entreprise, afin qu’ils cherchent une solution de reprise réelle. En effet, bien souvent, ils veulent que le marché ne soit pas récupéré.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Il y a une erreur d’interprétation : l’unanimité du CSE permettrait d’adopter le PSE.
S’agissant de la clinique de Gascogne, l’établissement a été placé en redressement judiciaire en 2022 et la liquidation a eu lieu plus d’un an après – cela ne s’est pas fait en quinze jours. Pendant de nombreuses années, il avait bénéficié d’un plan d’accompagnement de l’État et de l’agence régionale de santé, que j’avais soutenu parce que le territoire avait besoin de cette offre médicale. Cette clinique privée a fermé car elle n’était pas rentable, malgré l’aide de l’État : vous nous reprochez souvent le soutien de l’État au privé mais, quand il ne lui a plus été possible de continuer à l’aider, nous nous sommes retrouvés dans la situation que je viens de dire. Les entreprises ne recourent au PSE qu’en dernière solution.
M. le rapporteur. Les sous-amendements tendent à dévitaliser l’amendement, qui lui-même dévitaliserait la proposition de loi.
Monsieur Cazeneuve, pour obtenir l’unanimité, il faudrait que l’employeur vote le veto – cela n’arrivera jamais. Si nous adoptions votre amendement, la disposition n’aurait plus de sens.
Heureusement qu’un PSE prend du temps : on ne peut pas supprimer des emplois, abîmer des territoires et détruire des vies sans délai. L’article tend à donner du temps au dialogue social, du temps aux salariés pour se retourner – je l’assume. Quand on apprend qu’on va perdre son emploi, qu’on rentre chez soi en se demandant comment on va nourrir sa famille, on prend un coup sur la tête : il faut du temps pour s’organiser. Toutes les entreprises n’ont pas d’organisation syndicale à même d’assumer la confrontation. Tout ce qui permet de laisser du temps, y compris pour trouver des repreneurs, est bon. Cela permet aussi à la puissance publique de jouer son rôle et aux élus d’avoir leur mot à dire et d’accompagner ces mutations, dont les effets sur les territoires et sur la vie de nos concitoyens sont considérables.
La commission rejette successivement les sous-amendements et adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement AS22 de M. Benjamin Lucas-Lundy tombe.
La commission adopte l’amendement AS23, de coordination, de M. Benjamin Lucas-Lundy.
Amendement AS11 de M. Emmanuel Fernandes
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Le premier budget de l’État n’est pas celui de l’éducation : c’est celui des aides accordées aux entreprises ; or cet argent est souvent jeté par les fenêtres. Auchan, qui appartient aux Mulliez, huitième fortune de France, a reçu en 2020 500 millions d’euros de CICE, a reversé 1 milliard aux actionnaires et a enchaîné avec un plan de licenciement. Michelin a perçu 65 millions d’aides et versé 1,4 milliard de dividendes avant de décider d’un plan de licenciements. On donne de l’argent à des entreprises pour qu’elles créent de l’emploi mais, loin d’en créer, elles en suppriment.
Le présent amendement tend à permettre au CSE de saisir le conseil de prud’hommes pour obtenir justice. J’ajoute que la véritable justice adviendra à l’Assemblée nationale, grâce à nous, lorsque nous exigerons que la perception d’aides publiques implique l’interdiction de verser de l’argent aux actionnaires ou de licencier des employés.
M. le rapporteur. Avis favorable.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Je soutiens l’amendement.
Dans ma circonscription, NTN Transmissions a annoncé la suppression de 127 postes. Or la responsable ressources humaines de la filière roumaine fait partie du conseil d’administration situé en Sarthe, alors que l’activité pourrait être délocalisée en Roumanie. Parallèlement, on prévoit que le rendement du dividende augmenterait, jusqu’à atteindre 20 % en 2027. En quoi le sacrifice des salariés français sous la pression des actionnaires représente‑t‑il une chance, monsieur Cazeneuve ? Pourquoi les salariés devraient-ils remercier les grands groupes ?
M. Michel Lauzzana (EPR). Lors de son audition au Sénat, le président-directeur général de Michelin a expliqué qu’il voulait bien augmenter les salaires mais que les activités industrielles du groupe en France n’étaient pas rentables : les bénéfices reposent seulement sur l’ingénierie, tandis que l’activité industrielle s’en va car nous sommes deux fois plus chers que l’Asie, par exemple. Les licenciements vont s’accélérer parce que les entreprises ne pourront pas tenir. Michelin a toujours été socialement engagé, mais nous avons mis des boulets aux pieds de nos industries – et nous allons continuer.
M. François Ruffin (EcoS). Je voterai cet amendement centriste du groupe des Insoumis. Nous avons débattu de savoir si le contrôle devait intervenir en amont des licenciements ou s’il fallait attendre la décision du juge, laquelle peut prendre des années. En prévoyant une procédure en référé, on laisse le juge décider tout en accélérant la procédure, mais en gelant les licenciements.
Les membres du groupe Rassemblement National ont contribué à vider la proposition de loi en votant avec les macronistes. Dans leur programme, les termes « syndicat », « CSE », « intérim », « stage », « CDD », « précarité » et « autoentrepreneur » n’apparaissent nulle part ; rien ne concerne la protection des salariés : tout comme le bloc central, ils font le choix du libéralisme économique.
M. Yannick Monnet (GDR). Quels boulets avons-nous mis aux pieds des entreprises ? Parlez-vous du financement de la sécurité sociale, de l’école, des hôpitaux ? Faire cotiser sur la richesse produite, c’est un système de solidarité. On peut être contre, mais moi je n’ai pas envie de vivre comme en Chine.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Je comprends le malaise de M. Ruffin sur ce sujet. Alors qu’une alternance était possible pour mener une autre politique, soucieuse du bien-être des ouvriers, de l’emploi en France et de l’industrie, vous avez choisi à plusieurs reprises de soutenir Emmanuel Macron – celui qui a dépossédé la France de tous ses atouts.
Ce fut le cas en 2017 : alors que l’une de ses propositions était de faire voter une loi travail « XXL », vous l’avez soutenu entre les deux tours. En 2024 vous avez été bien content que les macronistes vous renvoient l’ascenseur, puisqu’ils ont retiré leurs candidats pour sauver vos sièges.
Pour notre part, nous sommes toujours constants et toujours du côté des ouvriers.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle rejette l’article 2.
La réunion est suspendue de onze heures quinze à onze heures trente.
Article 3 : Augmenter le montant de la contribution due par les entreprises d’au moins mille salariés au titre de l’obligation de revitalisation des bassins d’emploi affectés par les licenciements collectifs
Amendement AS8 de M. Gaëtan Dussausaye
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Cet amendement vise à concentrer l’effet de l’augmentation de la contribution financière de revitalisation sur les entreprises procédant à des délocalisations, plutôt que de pénaliser indistinctement toutes les entreprises françaises.
En séance, notre groupe déposera des amendements demandant des rapports sur le dispositif proposé à l’article 3, et notamment sur les conventions conclues dans le cadre de la revitalisation des bassins d’emploi.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
Cela reviendrait à exclure de l’application de la mesure des entreprises qui, sans procéder à des délocalisations, font des bénéfices et ferment des établissements dans une logique purement boursière – ce que beaucoup de nos compatriotes n’acceptent pas, à juste titre.
Nous ne vous avons pas attendu pour combattre les délocalisations, mais tous les licenciements abusifs ne résultent pas de ces dernières.
M. Arthur Delaporte (SOC). En l’occurrence nous parlons de licenciements boursiers destinés à générer du cash, sans forcément qu’ils soient associés à une délocalisation.
Cet amendement vise tout simplement à préserver les entreprises qui s’engraissent sur le dos des travailleurs
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS13 de M. Emmanuel Fernandes
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). L’amendement prévoit que, lors de la cessation d’activité, l’exploitant d’un site industriel présente un plan de conversion du site, après avis conforme des organisations syndicales de salariés du site et du représentant de l’État dans le département.
La responsabilité des exploitants doit être élargie et un plan de reconversion écologique, économique et industrielle doit être proposé.
Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 3 non modifié.
Article 4 : Imposer aux entreprises qui mettent en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi le remboursement de deux types d’aides publiques
Amendements AS17 de M. Jean-René Cazeneuve et AS10 de M. Gaëtan Dussausaye (discussion commune)
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Cet amendement a pour objet de ne pas pénaliser les entreprises qui réussissent et à limiter les abus flagrants.
On ne peut pas revenir sur les aides accordées aux entreprises. Contrairement à ce que l’on entend constamment, le versement de ces aides suppose des contreparties. Un crédit d’impôt ne peut être accordé que si l’on a engagé des dépenses. Une entreprise ne peut pas bénéficier du CIR si elle ne dispose pas d’un laboratoire de recherche et d’une équipe de chercheurs. Il en est de même pour le CICE, voté par la gauche.
On ne peut pas dire qu’il s’agit d’un cadeau aux entreprises – à moins de considérer que l’on en fait un si les prélèvements n’atteignent pas 100 %.
Même si l’on prend en compte les allégements qui sont accordés aux entreprises françaises, les prélèvements obligatoires qui pèsent sur elles atteignent un niveau record en Europe. C’est cela qui crée du chômage et vous aggraverez la situation en édictant des contraintes supplémentaires.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Mon amendement vise à s’assurer que cet article concernera seulement des entreprises qui font des bénéfices. Il s’agit de ne pas pénaliser celles qui font déjà face à des difficultés financières.
M. le rapporteur. Sur le modèle de ce qui est prévu pour l’obligation de contribuer financièrement à la revitalisation du bassin d’emploi affecté par un projet de licenciement collectif, mon amendement AS25 – dont nous discuterons plus loin – propose d’exclure du dispositif les entreprises qui, au moment de la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, seraient en redressement ou en liquidation judiciaire.
Je suis donc favorable à un meilleur encadrement du dispositif proposé, mais son champ d’application ne doit pas être exagérément restreint car la mesure serait vidée d’une partie trop importante de sa substance.
On peut revenir sur les aides aux entreprises, monsieur Cazeneuve, car ces mesures peuvent faire l’objet d’un débat démocratique.
Sans remettre en cause le bien-fondé d’un accompagnement financier des entreprises par la puissance publique, il est légitime de veiller au bon usage des deniers publics – singulièrement lorsque le contexte nous invite à réduire le déficit public.
Avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). J’ai parfois le sentiment que les macronistes font du stand-up. Notre collègue Cazeneuve vient en effet de dire que le CIR ne bénéficie pas à des entreprises qui licencient des chercheurs.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Pourtant, j’ai une liste des entreprises qui l’ont fait : Sanofi – 3 500 emplois supprimés dans la R & D entre 2014 et 2023 –, Galderma – 539 emplois –, Ynsect – 38 –, Vencorex – 60 –, Dow Chemical – 130 –, Renault Trucks – 485 –, Michelin – 1 250 –, Valeo – 694 –, Dumarey – 248 –, Forvia – 110 – et Novares – 122.
J’invite M. Dussausaye à s’intéresser davantage à cette dernière entreprise, car elle est aussi implantée dans sa circonscription. Vous avez au moins un point commun avec la Macronie : vous ne savez pas quelles sont les entreprises qui bénéficient du CIR. C’est la raison pour laquelle vous faites n’importe quoi avec l’argent public. Ce crédit d’impôt doit être accordé sous une condition stricte : pas de licenciement de chercheurs.
M. François Ruffin (EcoS). Quand on a 1 000 milliards d’euros de déficit public et que l’on verse 200 milliards d’aides publiques aux entreprises, il est temps de revoir la philosophie qui nous guide.
Je dis depuis la mise en place du CICE que ce dernier devrait être accompagné par la règle des « trois C » : contreparties, ciblage et conditions. On ne peut pas jeter l’argent public par les fenêtres. Un contrôle sérieux est exercé sur la moindre association qui reçoit une subvention, mais ce n’est pas le cas pour les entreprises.
Cela fait quarante ans qu’on a choisi de ne plus protéger notre marché par des barrières douanières. Sans protections aux frontières de l’Union européenne ou de la France, l’industrie est cuite. C’est la raison majeure pour laquelle Michelin est à la peine face aux pneus asiatiques.
M. Arthur Delaporte (SOC). En l’espace de dix ans, Sanofi a réduit de 6 000 à 3 800 le nombre de ses chercheurs en France. Comme on lui verse 150 millions d’euros par an au titre du CIR, le coût par chercheur est d’à peu près 40 000 euros. Le CIR n’est pas assorti de véritables conditions, monsieur Cazeneuve, puisque les montants versés à Sanofi n’ont pas évolué en fonction du nombre de chercheurs employés.
Votre amendement propose de réserver l’application du dispositif aux entreprises ayant dégagé une marge opérationnelle courante à 80 % en France sur les trois derniers exercices fiscaux. C’est évidemment une vaste fumisterie, puisque ce taux est en moyenne de 13 % pour les entreprises du SBF120 – il est de 14 % pour Michelin et de 20 % pour Sanofi.
M. Yannick Monnet (GDR). Monsieur Cazeneuve, vous avez été rapporteur général de la commission des finances et, selon vous, il ne faut mettre aucune condition à la distribution de l’argent public. Je comprends mieux pourquoi notre déficit est abyssal...
Nous proposons de fixer des conditions précisément pour éviter d’avoir à en venir à demander des remboursements à des entreprises car elles ne respectent rien. Quand on donne de l’argent public, on exige des contreparties. C’est simplement une question de bonne gestion des deniers publics.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je dis simplement que les aides versées aux entreprises sont par définition soumises à des conditions. Si vous n’avez aucune activité de recherche en France, vous ne pouvez pas bénéficier du CIR. Et si vous en faites deux fois plus, vous avez deux fois plus de CIR.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). C’est faux !
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). C’est mathématique : le CIR est un pourcentage de vos investissements en matière de recherche.
Une entreprise qui réfléchit à un plan de licenciement est une entreprise qui va mal. En lui demandant de payer plus et de rembourser des aides, vous êtes certain de la conduire au dépôt de bilan. Tel n’est pas l’objectif des PSE, qui visent à accompagner les salariés.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). L’ancien rapporteur général de la commission des finances n’exige aucune contrepartie lorsqu’une aide est accordée aux entreprises, mais tel n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de verser des allocations chômage ou le revenu de solidarité active. Vous êtes extrêmement rigoureux pour le moindre euro d’argent public accordé aux petites gens, mais pas lorsqu’il s’agit de donner 500 millions d’euros au groupe Auchan, qui fait ensuite un plan de licenciement alors qu’il verse 1 milliard à ses actionnaires – dont la famille Mulliez, huitième fortune de France.
Vous ne pouvez pas dire que vous ne vous êtes pas fait entuber dans cette affaire.
M. Nicolas Turquois (Dem). Il y a des mots que l’on n’emploie pas dans notre instance !
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Il en va de même pour Michelin.
Ce que vous dites sur la recherche est faux, car par principe on ne sait pas combien rapportera un euro qui y est investi. C’est pourquoi il vaudrait mieux investir dans la recherche fondamentale, dont vous avez malheureusement baissé les budgets.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS9 de M. Gaëtan Dussausaye
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Cet amendement vise à supprimer l’obligation de rembourser les exonérations de cotisations sociales patronales pour les entreprises procédant à un PSE.
Nous pouvons vous rejoindre sur l’obligation de rembourser le CIR, car on peut rechercher les responsabilités des entreprises qui ont bénéficié des largesses de l’État. Mais avec les cotisations patronales, on parle du coût du travail et d’une mesure qui permet de faciliter les embauches.
M. le rapporteur. Vous versez des larmes de crocodile sur les emplois industriels qui disparaissent et vous dénoncez les grandes entreprises qui abusent de l’argent public. Mais en fin de compte il est évident que vous cherchez à vider le texte de sa substance et à empêcher de récupérer un argent qui serait fort utile pour relancer notre industrie et soutenir les salariés.
Avis défavorable.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Il y a une grande différence entre nous : la constance. Le CICE a été créé par François Hollande alors que vous étiez membre du Parti socialiste. Vous essayez de défaire ce que votre famille politique a fait.
M. François Ruffin (EcoS). Si l’entreprise se porte mal, on comprend bien qu’elle n’aura pas à rembourser les cotisations sociales et le CIR.
En revanche, quand une entreprise licencie alors qu’elle fait des bénéfices et qu’elle verse des dividendes à ses actionnaires, l’État doit reprendre tout ce qu’il a donné. Goodyear, Whirlpool et Continental se portaient très bien quand il a été décidé de supprimer leurs usines à Amiens et à Compiègne. Dans ces cas-là, le Rassemblement national est-il du côté des firmes multinationales ou bien du côté des salariés ? Votre réponse constante, ce matin, est que vous êtes du côté des multinationales – ce qui correspond d’ailleurs à votre programme, qui ne se préoccupe jamais du bien-être des salariés.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Notre groupe votera contre cet amendement, qui favorise les grands groupes financiarisés qui licencient à gogo.
L’exposé sommaire laisse entendre qu’il y aurait trop de cotisations patronales et qu’il ne faudrait donc pas les rembourser. En fait, vous êtes d’accord avec le principe du remboursement à condition que les sommes concernées soient ridicules. Vous voulez un dispositif qui nous laisse complètement désarmés face aux multinationales.
Le remboursement des exonérations de cotisations sociales permettra d’alimenter des caisses de la sécurité sociale. On sait que vous ne l’aimez pas car elle a été créée en 1945, mais elle est utile pour protéger les populations les plus vulnérables – par exemple pour les employés d’Inteva Products qui ont perdu leur emploi dans votre circonscription.
Ceux qui nous écoutent savent qu’ils paieront le prix de vos tentatives de vider de nouveau les caisses de la protection sociale.
M. Christophe Naegelen (LIOT). Ce débat est passionnant : doit-on demander aux entreprises qui ont perçu des aides de les rembourser dès lors qu’elles suppriment des emplois ?
On peut tout de même s’interroger sur la rédaction de l’article, notamment en ce qui concerne la période de trois ans. Il n’est pas correct de demander de tout rembourser à une entreprise qui connaît des difficultés soudaines alors qu’elle s’était bien comportée pendant les deux années précédentes. Il faudrait donc retravailler ce dispositif.
M. Philippe Vigier (Dem). Une entreprise qui connaît un ralentissement brutal de son activité est projetée dans le vide. Elle est contrainte de s’adapter pour améliorer la compétitivité. Dans ma circonscription, une entreprise a ainsi perdu la moitié de son chiffre d’affaires cette année. Dans ce cas, il est impossible de récupérer les aides dont elle a bénéficié les années précédentes – sauf à aggraver encore la situation et à aboutir à des faillites en cascade. Cet amendement cherche à limiter les dégâts de la proposition, mais il n’est pas applicable.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS24 de M. Benjamin Lucas-Lundy.
Amendement AS25 de M. Benjamin Lucas-Lundy
M. le rapporteur. Cet amendement propose d’exclure du dispositif les entreprises qui, au moment de la mise en œuvre d’un PSE, seraient en redressement ou en liquidation judiciaire et pour lesquelles le remboursement des aides perçues poserait nécessairement d’importantes difficultés.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS26 de M. Benjamin Lucas-Lundy
M. le rapporteur. L’amendement contribue à la sécurité juridique du dispositif en prévoyant qu’il ne s’applique qu’aux entreprises qui mettraient en œuvre un PSE à compter de la date de l’entrée en vigueur de la loi.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 4 modifié.
Après l’article 4
Amendement AS16 de M. Emmanuel Taché de la Pagerie
M. Guillaume Florquin (RN). Cet amendement vise à obliger les sociétés ayant bénéficié du CIR à rembourser le montant octroyé lors des trois précédents exercices fiscaux en cas de délocalisation. Elles perdraient également le droit de demander ce crédit d’impôt lors des trois prochains exercices.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
M. Thomas Ménagé (RN). Le rapporteur pourrait-il nous éclairer davantage sur les raisons de son avis sur cet amendement de bon sens ?
Ce que nous proposons correspond pourtant à son intention. Nous voulons que les impôts de Français soient mieux utilisés et exigeons des entreprises qui délocalisent et créent du chômage qu’elles remboursent les sommes perçues au titre du CIR au cours des trois années précédentes.
M. le rapporteur. Votre amendement soulève une double difficulté.
Le dispositif s’insère mal au sein du II de l’article 199 ter B du code général des impôts, qui dresse la liste des entreprises pouvant demander le remboursement immédiat de la créance correspondant à l’excédent de crédit d’impôt dont elles sont susceptibles de disposer.
Surtout, le dispositif est difficilement compatible avec celui de l’article 4 de la proposition, que vous laissez subsister et qui exige de toutes les entreprises le remboursement du CIR, qu’elles procèdent ou non à des délocalisations.
Je vous invite à travailler plus sérieusement vos amendements.
La commission rejette l’amendement.
Article 5 (nouveau) : Rapport au Parlement sur l’incidence de la loi sur l’investissement des entreprises et l’emploi en France
Article 6 (nouveau) : Rapport au Parlement sur l’encadrement juridique des licenciements économiques dans les États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques
Amendements AS19 et AS20 de M. Jean-René Cazeneuve
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). L’amendement AS19 est une demande de rapport sur les effets de l’extension des obligations de revitalisation et de recherche de repreneur, tandis que l’amendement suivant, AS20, en demande un sur ceux des dispositifs de régulation des licenciements économiques au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Nous estimons en effet que cette proposition aura des effets très négatifs sur l’emploi et elle aurait mérité une étude d’impact.
En outre, toutes les entreprises seront pénalisées si elles ont recours à un PSE, qu’elles se portent bien ou pas. Encore une fois, ce n’est pas par plaisir que l’on a recours à un tel plan. Depuis 2017, cinq cents nouvelles normes sociales et fiscales ont été imposées aux entreprises. Arrêtons de tirer sur ces dernières et gardons-nous de la tentation d’un retour à l’économie administrée dans ce qui serait une sorte de stalinisme économique. Laissons vivre les entreprises.
On entre d’autant plus volontiers dans une salle de cinéma qu’il y a une issue de secours. Pour venir en France, les acteurs économiques veulent savoir s’ils auront la possibilité d’ajuster leurs investissements et leurs effectifs si malheureusement la conjoncture économique change. Sans issue de secours, il n’y aura pas d’investissements dans notre pays.
M. le rapporteur. Avis favorable à l’amendement AS20 et défavorable à l’amendement AS19.
Comme toujours, vous ressortez le discours sur la norme qui ne permet pas de libérer les énergies. Cela fait trente ou quarante ans qu’on en soupe et nous avons vu dans quel état se trouvent notre économie et notre industrie. Je ne vous savais pas anarchiste, monsieur Cazeneuve, car la norme, c’est ce qui nous permet de vivre en société et nous protège. Les normes environnementales protègent notre santé, le climat la biodiversité. Les normes sociales protègent le contrat social et le pacte républicain. Quant à la norme démocratique, c’est la Constitution – et vous n’allez tout de même pas nous inviter à ne pas respecter les institutions.
L’Assemblée est elle-même une institution pétrie de normes. Et heureusement d’ailleurs, sinon ce serait, passez-moi l’expression, le foutoir. Je suis attaché à la norme, à la norme juste. La fonction du législateur est d’ailleurs de débattre pour fabriquer la norme.
Alors que ce texte traite du dialogue social, vous avez parlé de stalinisme, monsieur Cazeneuve.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). J’ai dit « stalinisme économique ».
M. le rapporteur. Soit.
J’hésite même à défendre cette proposition tant je la trouve modérée, sociale-démocrate, insistant sur le dialogue social et la concertation avec les organisations syndicales.
J’ai sérieusement cru pouvoir faire œuvre de compromis, parce qu’il est nécessaire que nous répondions à une situation urgente de plans de licenciements massifs. Aucun de nous ne peut accepter que le législateur se déclare impuissant face à la vague de plans sociaux qui arrive.
Même si je n’aime pas cette expression, nous avons formulé des propositions de bon sens, avec le remboursement des aides publiques et un bon usage des deniers publics. Aux droits doivent correspondre des devoirs – c’est bien votre propre rhétorique. Si vous êtes attachés à la démocratie sociale, vous devriez être d’accord avec nous lorsque nous permettons au CSE de gagner du temps et de construire un dialogue social.
Plutôt que de stalinisme économique, il s’agit de s’inspirer de Roosevelt ou de Lionel Jospin. Je m’étonne de voir qu’une famille politique qui s’est construite sur la notion de « en même temps » ne saisisse pas la main que nous lui tendons avec ce texte.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Je vais vous surprendre, monsieur Cazeneuve, mais je suis d’accord avec vous : les entreprises ne licencient pas par plaisir. Mais elles le font pour le profit.
M. François Ruffin (EcoS). Aucune entreprise ne licencie par plaisir. Des chefs d’entreprise le font dans la douleur, d’autres avec précaution ; et pour certains la seule chose qui compte ce sont les profits.
Cette proposition fait écho à la situation de ma région depuis quarante ans. J’ai cité de nombreux exemples d’entreprises qui ont fermé. Je peux ajouter Honeywell, Magneti Marelli, Flodor, Parisot Sièges de France, Abélia Décors : toutes ces entreprises se portaient bien, comme Goodyear, Whirlpool et Continental. Mais des décisions extrêmement violentes ont été prises à l’égard des salariés et des ouvriers.
Pourquoi l’a-t-on fait ? Pourquoi est-on dans un gouffre économique et politique en Picardie ? Parce que depuis quarante ans, on n’a pas cherché à se protéger. Les gens peuvent accepter des élites, à condition qu’elles les protègent. Or nous avons eu tout l’inverse : les élites les ont livrés aux vents mauvais de la mondialisation et ne les ont pas défendus.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Ce débat a permis de faire un tour de France assez inquiétant des plans de licenciement en cours partout. Des centaines de milliers d’emplois sont en cause.
L’Assemblée va-t-elle donner aux personnes concernées des outils supplémentaires pour préserver l’emploi – et au-delà des territoires entiers affectés par les PSE.
En Isère, si Vencorex ferme son usine et si Arkema réduit ses activités, de nombreuses communes et familles seront touchées, ce qui pourrait aboutir en fin de compte à la perte de 5 500 emplois et à des friches industrielles. Tout un territoire sera meurtri.
Il faut être solidaire des luttes en cours et montrer que la loi est là pour protéger et accompagner.
M. Fabien Di Filippo (DR). Les propos et le texte du rapporteur ne sont pas de bon sens mais très idéologiques.
Vous essayez de cacher aux gens c’est qu’une entreprise. Elle peut vivre plusieurs siècles, mais aucune n’est éternelle. Toutes ont besoin à certains moments de se transformer. Si on ne comprend pas cette réalité économique et qu’on croit pouvoir figer les choses administrativement, on suit des modèles économiques qui plongent un pays entier dans la pauvreté.
Je suis favorable à l’amendement qui prévoit d’examiner nos véritables problèmes de compétitivité. Interrogez-vous sur ce point qui est au cœur de tout si vous voulez un maximum d’embauches et un minimum de licenciements.
Mme Joëlle Mélin (RN). Le rapport demandé par l’amendement sera bien utile. En effet, de 2019 à 2022 j’ai pu assister aux discussions sur tous les dossiers du green deal au Parlement européen. À cause des Verts, l’Union européenne a édicté une quantité de normes hallucinante. Ces dingueries ont condamné à la faillite les filières de l’hydrogène, des moteurs thermiques et des batteries, mais aussi le secteur agroalimentaire en raison de la réforme de la politique agricole commune et de la stratégie « De la ferme à la fourchette ».
Toutes ces décisions ont été précipitées. Cinq ans après, nous payons les pots cassés avec la désindustrialisation et les faillites. Alors ne venez pas nous parler de normes ! C’est vous qui les avez pondues et il faudra que vous en payiez le prix.
M. Philippe Vigier (Dem). Même s’il existe quelques comportements délictueux, il n’est pas acceptable de dire que tous les patrons licencient avec bonheur – et je remercie donc François Ruffin pour les mots qu’il a prononcés.
La création de valeur passe par les entreprises et par leur compétitivité. Il nous revient de la favoriser.
La véritable question est de savoir comment l’on utilise l’argent public mis à disposition des préfets dans le cadre des conventions de revitalisation des territoires. Ce qui intéresse le salarié qui va être licencié, ce n’est pas que le CSE ait un droit de veto suspensif, mais bien de savoir comment il va être accompagné et pendant combien de temps.
Il ne sert à rien de verser des larmes de crocodile en disant que la situation est dramatique. Ce qui importe c’est ce que l’on fait pour atténuer la peine des licenciés. Sur ce point, votre texte est vide, monsieur Lucas-Lundy.
Mme Annie Vidal (EPR). Chez moi aussi, il y a eu des plans sociaux, responsables de 350 licenciements ; et ce texte n’y aurait rien changé.
À ma demande, le préfet a réuni un comité de pilotage chargé, dans un premier temps, d’accompagner les salariés, en évaluant leurs compétences et en leur proposant, le cas échéant, une formation pour répondre aux besoins du territoire. Pour ceux qui sont proches de la retraite et désireux de partir, nous avons négocié avec les entreprises des conditions favorables à leur départ. La seconde phase, axée sur la revitalisation des friches industrielles pour attirer de nouvelles entreprises, a été l’occasion d’aborder des sujets comme l’accès à la santé et au logement, ou encore les infrastructures routières. Cette démarche pragmatique s’est révélée efficace : votre texte n’aurait rien apporté de plus.
M. Yannick Monnet (GDR). Monsieur Di Filippo, défendre un système libéral où l’argent public est donné à des grands groupes sans aucune contrepartie est une position tout aussi idéologique que la nôtre. La compétitivité que vous prônez est prétexte au dumping social : les salariés sont la variable d’ajustement des grands groupes pour assurer leurs bénéfices et le versement de dividendes aux actionnaires.
Toutes les aides qu’on leur verse seraient bien plus utiles si elles étaient destinées à soutenir toutes les petites entreprises de nos territoires, qui peinent et ferment. Elles forment le tissu économique du pays et, pourtant, elles n’y ont pas droit !
M. Louis Boyard (LFI-NFP). La gare de Villeneuve-Triage, située au cœur de l’Île‑de‑France, à proximité d’un aéroport, de la Seine et d’infrastructures ferroviaires, était le plus grand centre de triage d’Europe avant la consécration du tout-routier et la déconstruction du fret. N’en déplaise au Rassemblement national, peut-être que s’il y avait eu des normes pour protéger le fret, ce site n’aurait pas été désindustrialisé et ma circonscription ne connaîtrait pas un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne.
Le problème, c’est que les entreprises qui perçoivent des aides publiques ne les investissent pas dans l’économie réelle ; pire, elles donnent cet argent à des actionnaires qui délocalisent leur activité grâce à des traités de libre-échange, auxquels vous êtes également favorables. J’ai entendu que les patrons ne licenciaient pas de gaieté de cœur : en réalité, ils n’en ont rien à faire ! Pour eux, ce n’est qu’un choix pragmatique guidé par un tableur : voilà l’idéologie de la loi du marché que vous défendez, monsieur Di Filippo.
Aujourd’hui, nous n’avons plus ni ligne économique, ni ligne politique : vous avez tout laissé aux patrons, voyez le résultat !
M. Arthur Delaporte (SOC). Entre le stalinisme et l’ultralibéralisme, il existe ce qu’on appelle le socialisme : c’est l’esprit qui anime ce texte. Ces amendements, qui nient les effets de la désindustrialisation et ses causes profondes, reflètent parfaitement votre philosophie très libérale, et nous voterons donc contre. Lutter contre la désindustrialisation ne signifie pas empêcher la libre entreprise, mais simplement donner à l’État les moyens de réguler et de garantir la protection des travailleurs.
Nous avons tous, dans nos départements, des exemples de désindustrialisation. Dans ma circonscription, elle a frappé la Société métallurgique de Normandie dans les années 1990, puis Moulinex, dont la belle aventure industrielle s’est achevée dans les années 2000 ; aujourd’hui, c’est l’automobile qui est menacée. Il faut donner aux salariés les moyens de conserver leur emploi et de préserver durablement l’outil industriel, et donc voter pour cette proposition de loi.
La commission adopte les amendements.
Titre
Amendement rédactionnel AS27 de M. Benjamin Lucas-Lundy
M. le rapporteur. Vous avez beaucoup reproché aux Écologistes de proposer de nouvelles normes en matière environnementale et sociale au détriment de l’industrie. Cette accusation infondée me peine beaucoup : ce ne sont pas le trumpisme et le protectionnisme aux frontières qui résoudront les problèmes de notre industrie : ce sont des échanges justes, encadrés par des normes environnementales et sociales, et des investissements massifs dans la transition écologique, dans le cadre du pacte vert pour l’Europe – le green deal –, que nous l’aiderons à relever les grands défis de demain.
Ce texte n’est qu’une première étape. Nous l’avons construit avec les organisations syndicales, à partir des luttes des salariés, qui nous ont dit combien ils avaient besoin d’être soutenus et accompagnés par la puissance publique. Le législateur doit envoyer un signal clair : face au chômage, nous n’avons pas encore tout essayé. Face aux plans sociaux, amenés à se multiplier, l’Assemblée nationale prend ses responsabilités et agit.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
La commission examine ensuite la proposition de loi visant à protéger les travailleuses et travailleurs du nettoyage en garantissant des horaires de jour (n° 770) (Mme Sophie Taillé‑Polian, rapporteure).
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Le présent texte aborde un sujet invisible : celui des personnes qui assurent le ménage dans les locaux professionnels, invisibilisées par leurs horaires. Prenons le temps de parler d’elles, de leurs conditions de travail : elles le méritent bien. J’ai une pensée particulière pour les femmes de ménage de l’Assemblée nationale, avec qui j’ai échangé encore ce matin, et que l’on croise trop peu souvent dans les couloirs puisqu’elles travaillent justement en dehors des horaires dits classiques.
Adapter le travail à l’humain et non l’humain au travail : la portée de ce principe fort, reconnu par le droit français et international, est éminemment politique, puisqu’elle oblige à faire des choix éthiques et humanistes quant à la place des travailleurs et travailleuses dans le système productif ; des choix organisationnels, aussi, car notre arsenal législatif impose aux employeurs d’organiser et garantir des situations de travail respectueuses de l’intégrité physique et mentale des travailleurs.
Dès lors, comment justifier que des milliers de travailleurs – très majoritairement des femmes – se lèvent chaque matin aux aurores pour nettoyer, dans l’ombre, nos bureaux ? Dans sa déclaration de politique générale, le 30 janvier 2024, l’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, dénonçait cette situation et appelait l’État à montrer l’exemple pour « toutes ces personnes qui travaillent dur et se sentent invisibles ». Suite logique des travaux menés il y a quelques années par mon collègue François Ruffin, le texte que je vous présente vise à remettre la question à l’ordre du jour : il est désormais temps d’agir concrètement.
Deux tiers des travailleurs embauchés par les entreprises de propreté sont des femmes, une sur cinq élevant seule ses enfants. Près d’un salarié sur deux a plus de 50 ans : c’est deux fois plus que pour les autres métiers dits non qualifiés. En moyenne, plus d’un tiers sont d’origine étrangère ou immigrée – un taux qui masque, toutefois, de grandes disparités territoriales, puisqu’il atteint près de 90 % en Île-de-France. Bien souvent, les travailleurs s’orientent vers ces métiers par défaut et peinent à en retirer une quelconque satisfaction professionnelle et personnelle : 80 % d’entre eux déclarent qu’ils ne seraient pas heureux que leurs enfants s’engagent dans la même activité professionnelle, soit deux fois plus que chez les autres salariés.
En effet, comment être fier de son travail quand ni l’employeur, ni les usagers ne sont là pour le constater et le valoriser ? Aujourd’hui, le travail de nettoyage est au mieux invisibilisé, au pire déprécié et considéré comme secondaire. Ce sentiment d’ignorance est renforcé par un exercice souvent solitaire empêchant la constitution d’un collectif de travail entre les nettoyeurs, répartis sur différents sites, ou avec les salariés qui bénéficient des services de l’entreprise sous-traitante. Assez injustement, c’est lorsque le travail est mal fait qu’il est finalement reconnu par les autres.
Déjà plus âgés que la moyenne, les travailleurs du nettoyage n’ont quasiment aucune perspective d’évolution professionnelle, faute de formation continue régulière et ambitieuse. En 2019, les rares à avoir suivi une formation – ils n’étaient que 6 % – avaient, pour l’essentiel, assisté à des cours de langue. C’est très important, compte tenu du fort taux d’illettrisme, mais hélas insuffisant pour s’intégrer professionnellement et envisager une évolution de carrière.
Les salariés du nettoyage subissent davantage que les autres des temps partiels courts et contraints : beaucoup, pourtant, souhaiteraient travailler davantage et sont disponibles pour le faire. Seul un salarié sur cinq travaille à 80 % d’un temps plein, contre plus d’un tiers dans l’ensemble des secteurs, mais, pour la grande majorité, ils travaillent au moins cinq jours par semaine.
Ces travailleurs ont aussi la triste particularité de travailler en horaires décalés, tôt le matin ou tard le soir. Or ces horaires, que nous qualifions d’atypiques, ne sont aujourd’hui reconnus ni par la loi, ni par la convention collective : c’est là un point d’achoppement majeur de nos travaux. En effet, notre droit ne reconnaît aujourd’hui que le travail de nuit – et, marginalement, le travail en soirée. Parce que le travail de nuit perturbe les cycles chronobiologiques des travailleurs et entraîne des répercussions graves sur la santé et la vie sociale, son recours doit être exceptionnel et assorti de contreparties en termes de repos ou de majorations salariales. Or nombre des effets délétères observés chez les travailleurs de nuit – qu’ils soient avérés, comme l’altération du sommeil, ou probables, comme la survenue de cancers du sein – touchent aussi les travailleurs aux horaires non conventionnels : il est évident que le réveil récurrent aux aurores, avec le stress de la panne de réveil, engendre des troubles physiques et psychologiques chez les salariés. Pourtant, n’étant pas considérés comme des travailleurs de nuit au sens de la loi, ils ne bénéficient d’aucune compensation alors que leurs conditions de vie sont tout aussi altérées, sinon davantage.
L’emprise du travail sur la vie des salariés du nettoyage dépasse largement les quelques heures effectives de travail quotidiennes. La discordance entre leur rythme de vie, fait d’horaires de travail fragmentés et atypiques, et le rythme du reste de la société, a des conséquences majeures sur leur vie familiale et sociale. Comment nouer des amitiés, s’impliquer dans une activité sportive ou une vie associative lorsqu’on n’est jamais disponible le soir ? Comment trouver sa place dans la famille lorsqu’on manque le lever, les devoirs, le coucher ? Comment s’intégrer dans un pays dont on maîtrise à peine la langue si l’on ne peut jamais la pratiquer au contact des autres ? Bien des travailleurs du nettoyage s’épuisent dans des stratégies – souvent fragiles – pour concilier vie professionnelle et vie personnelle.
S’il est logique que les salariés de l’hôtellerie-restauration et des hôpitaux travaillent le soir et le week-end, s’il est discutable, mais compréhensible, que les salariés de la grande distribution travaillent plus tard le soir pour que les autres salariés puissent faire leurs courses, comment justifier que les nettoyeurs doivent impérativement quitter leur lieu de travail avant 9 heures ? Cette demande ne répond à aucun besoin de continuité sociale. Des considérations techniques peuvent justifier que des sites industriels ou les hôpitaux soient nettoyés à des moments précis de la journée, mais ils sont loin de représenter la majorité des cas. En réalité, ces travailleurs sont exclus de la journée de bureau standard par résistance culturelle au changement, par habitude, par confort, par inertie, parce qu’on ne veut pas voir le travail des autres, et singulièrement de ceux qui sont les plus fragiles dans notre société. Mais que représente le temps de nettoyage dans un bureau – le passage de l’aspirateur, le dépoussiérage, le vidage d’une poubelle ? Rien, ou presque. D’après les enquêtes d’opinion, 95 % des entreprises et donneurs d’ordre ayant adopté le nettoyage en journée s’en déclarent satisfaits. Cette pratique est d’ailleurs la norme chez nos voisins d’Europe du Nord.
À ces blocages culturels s’ajoutent au moins trois spécificités de la branche professionnelle des entreprises de propreté, qui n’encouragent pas la lutte contre le travail fragmenté en horaires atypiques.
Tout d’abord, les durées dérogatoires fixées par la convention collective sont peu protectrices pour les salariés : en 2013, la branche de la propreté s’est empressée de fixer à seize heures la durée minimale de travail hebdomadaire, bien en deçà des vingt‑quatre heures prévues dans le droit commun. Ce plancher, qui correspond à environ trois heures de travail quotidien sur cinq jours, n’incite pas les employeurs à proposer des plages étendues aux salariés. En outre, la durée minimale d’une vacation, fixée à une heure, et la possibilité de recourir à deux interruptions d’activité chaque jour sont peu propices à des journées de travail moins discontinues.
Ensuite, le dialogue social est particulièrement difficile en raison de l’absence du donneur d’ordre dans les discussions. La faible présence syndicale, confrontée à des employeurs peu respectueux de la législation sur le temps partiel, limite un dialogue social constructif et avancé sur l’encadrement des horaires fragmentés. Mais, fondamentalement, c’est le mécanisme même de l’externalisation qui affaiblit la portée des mesures qui pourraient être négociées entre partenaires sociaux. Pour faire bouger réellement les lignes, il est impératif d’agir au sein de cette relation tripartite, notamment à travers les clauses sociales des marchés. Je ne m’attarderai pas davantage sur la sous-traitance, qui n’est pas au cœur du dispositif proposé par le texte, mais je suis convaincue de la nécessité d’intégrer ces problématiques lors de la transposition de la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité – je regrette d’ailleurs que le Gouvernement en ait suspendu la transposition, car elle est fondamentale pour faire respecter les droits humains.
Enfin, les salariés, individuellement, n’ont que très peu de pouvoir pour défendre leurs droits. Nombre d’entre eux, qui vivent dans la précarité et ne parlent que très peu le français, signent des contrats de travail contenant des clauses illégales, qui méconnaissent, par exemple, la durée minimum de travail hebdomadaire de seize heures. Il est évident que, sans une intervention des pouvoirs publics, ces salariés n’ont pas les moyens de se protéger eux‑mêmes contre des horaires de travail inhumains.
Dès lors, comment le législateur que nous sommes peut-il agir ? S’il n’est pas évident de viser spécifiquement une branche professionnelle, je tiens à rappeler que les entreprises de la propreté sont aujourd’hui très rentables : elles réalisent entre 5 % et 8 % de marge, contre 2 % pour les entreprises de la sécurité privée, alors que ces deux secteurs ont pour particularité de ne reposer que sur l’humain et d’être peu menacés par la délocalisation.
De l’aveu même du patronat, la branche essaie en vain, depuis dix-huit ans, de convaincre les donneurs d’ordre de ne plus recourir aux horaires atypiques : il est temps d’agir. J’ai choisi de présenter un dispositif restreint, dont la modestie ne traduit pas celle de nos engagements, mais celle du temps qui nous est imparti pour poser la première brique d’un édifice juridique encore largement à construire. L’article unique du texte vise ainsi à interdire le travail de nuit pour les salariés de la branche des entreprises de propreté, sauf dérogations justifiées par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. Pour consolider le dispositif, je vous proposerai d’élargir cette interdiction aux horaires s’étendant de 19 heures à 7 heures trente, puisque les travaux préparatoires ont révélé que les travailleurs de la propreté sont moins des travailleurs de nuit que des travailleurs du matin et du soir. Je serai également favorable aux amendements qui proposent la consultation du comité social et économique (CSE) et précisent que l’intervention de l’inspecteur du travail doit être préalable à l’autorisation de dérogation, qui doit faire l’objet d’une contrepartie en termes de repos ou de majoration salariale. Enfin, je vous proposerai que les activités liées à la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale soient définies par un décret pris en Conseil d’État.
Je souhaite surtout que, collectivement, nous continuions à avancer sur ce sujet au‑delà de l’examen en commission, afin de garantir à ces travailleurs les conditions de travail décentes qu’ils méritent. Après des années à tenter de convaincre les donneurs d’ordre, privés comme publics, il est temps de passer aux actes pour que ceux qui nettoient nos bureaux aient enfin une vie quotidienne digne.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Katiana Levavasseur (RN). Ce sujet me parle tout particulièrement, puisque je suis moi-même femme de ménage – un métier humble, discret, essentiel ; un métier de l’ombre que l’on oublie souvent, mais qui assure le bien-être et l’hygiène de tous.
Le texte ambitionne d’interdire le travail de nuit dans le secteur du nettoyage, afin d’améliorer les conditions de travail. Je le dis avec toute l’expérience de celle qui a passé des années à récurer bureaux, grandes surfaces et écoles : si l’intention est louable, interdire à une minorité de travailleurs d’exercer leur métier la nuit n’est pas la solution. Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), seuls 6 % des employés du nettoyage travaillent entre minuit et 5 heures du matin, et 14 % entre 20 heures et minuit, contre 24 % dans d’autres branches : dans ce secteur, le travail de nuit reste donc une exception, le plus souvent justifiée par l’activité même de l’entreprise.
Dès lors, toute interdiction radicale risque surtout d’entraîner des pertes d’emploi. Certes, les horaires décalés sont difficiles et nous sommes trop souvent invisibles, mais cette interdiction aura des conséquences sur tous ceux qui, par choix ou par nécessité, travaillent la nuit. Beaucoup cumulent plusieurs emplois et ne pourraient pas maintenir leurs revenus si cette possibilité leur été retirée ; d’autres préfèrent ces horaires parce qu’ils leur permettent d’être plus autonomes dans leurs tâches, et d’éviter la pression et les regards parfois méprisants des autres employés en journée.
Surtout, les choses ont déjà progressé : la circulaire du 16 mars 2022, qui encourage le passage au travail en journée et en continu, a produit des résultats plutôt concluants. Plus qu’une interdiction brutale, c’est bien un accompagnement progressif qui permettra un changement durable et adapté à chacun. Au fond, ce ne sont pas tant les horaires de nuit qui posent problème, que le morcellement du temps de travail, les trajets interminables entre plusieurs lieux d’exercice, le matériel mal adapté ou manquant et les salaires trop bas pour vivre dignement d’un seul emploi.
Nous ne voulons pas d’une loi qui nous enferme dans un cadre rigide, sans tenir compte de nos réalités : nous voulons une vraie réforme.
Mme Annie Vidal (EPR). Lors de sa déclaration de politique générale, Gabriel Attal l’a affirmé : « Je veux que [...], désormais, au sein de l’État, les personnels d’entretien de l’administration qui le souhaitent puissent travailler aux mêmes horaires que tout le monde, c’est-à-dire aux horaires de bureau. »
François Ruffin, lui, déclarait : « Elles arrivent à 6 heures et repartent à 10 heures […]. Bénéficient-elles de tickets repas ? Non. Ont-elles un treizième mois ? Non. Des primes de panier ou de salissure ? Non. [...] Elles sont partout et, pourtant, elles sont absentes. »
Ces travailleuses et travailleurs essentiels, qui accomplissent chaque jour des tâches ardues et indispensables à notre société, sont invisibilisés. Je vois dans ces deux interventions une volonté partagée d’améliorer leurs conditions de travail, par-delà les clivages partisans. L’Assemblée nationale et le ministère chargé de l’écologie appliquent d’ailleurs d’ores et déjà des horaires de jour.
Si je m’associe au constat et aux valeurs véhiculées par ce texte, véritable appel collectif à faire mieux et à avancer sur la précarité, la pénibilité, les horaires atypiques et le manque de reconnaissance dont souffrent les agents d’entretien, trop souvent laissés pour compte, le dispositif proposé me semble, en l’état, inabouti. Ce texte, qui passe à côté du sujet, est une mauvaise réponse à un vrai problème.
Interdire aux salariés du nettoyage de travailler entre 21 heures et 6 heures du matin créerait une rupture d’égalité avec les autres travailleurs de nuit. Dans certains lieux, comme l’hôpital, les laboratoires ou les salles de classe, le travail de nuit et les horaires atypiques sont justifiés, mais rien ne s’oppose à ce que le nettoyage de bureaux dans les sièges sociaux soit réalisé en journée.
En outre, une telle interdiction compliquerait le travail de l’inspection pour autoriser les dérogations et contrôler les horaires. C’est d’ailleurs pour cette raison que la direction générale du travail est opposée à cette proposition.
Par ailleurs, le travail de nuit est très encadré et correctement majoré, ce dont les salariés concernés sont très satisfaits. Le vrai problème réside dans les horaires atypiques et l’invisibilisation qu’ils entraînent. Or, pour l’heure, les horaires atypiques ne sont toujours pas définis d’un point de vue juridique.
Défavorable au dispositif proposé, le groupe EPR partage néanmoins les valeurs et l’ambition véhiculées par le texte et appelle à un travail transpartisan pour améliorer réellement les conditions de travail et la reconnaissance des salariés du secteur du nettoyage.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Ce texte vise à ouvrir le débat sur l’amélioration, ô combien nécessaire, des conditions de travail dans le secteur de la propreté, où exercent à plus de 80 % des femmes, dont 65 % gagnent moins de 900 euros par mois. Il permet de mettre en lumière ces travailleuses qui, bien souvent, ne travaillent pas à la lumière du jour, puisqu’elles sont plus de 46 % à effectuer leurs tâches en soirée, en pleine nuit ou aux petites heures du matin. Résultat : la population française ne croisera pas la moitié des 1 700 000 professionnelles du secteur. L’invisibilisation a aussi des conséquences sur leur santé physique et mentale.
L’ambition du texte est claire : empêcher les employeurs du secteur de la propreté d’imposer le travail de nuit aux salariés. Malheureusement, en permettant aux employeurs de déroger à cette interdiction au motif d’assurer la continuité de l’activité économique, il manque sa cible. Une telle dérogation existe déjà dans le code du travail et s’applique à tous les travailleurs de nuit : l’impératif de continuité de l’activité économique ne recouvre en réalité rien d’autre que la poursuite d’objectifs privés et lucratifs.
Mon amie et camarade Rachel Keke a porté la voix de ces travailleuses jusqu’entre nos murs : à nous de continuer. Pour ces travailleuses, passons sans attendre au strict encadrement du recours du travail de nuit et en soirée, œuvrons pour une semaine de 32 heures et une compensation salariale du travail de nuit réellement dissuasive pour les employeurs – c’est tout l’objet de nos amendements.
Mme Océane Godard (SOC). Merci de mettre au cœur de ce texte les femmes et les hommes qui travaillent dans le secteur de l’entretien et de la propreté. Si nous avons eu beaucoup de gratitude et de reconnaissance pour ces premiers de corvée durant la crise de covid-19, nous n’avons que trop tardé à reconnaître leurs compétences, leur savoir-être et leur savoir‑faire : c’est tout l’objet du texte.
Il résonne d’ailleurs avec l’initiative prise par Dijon métropole, en lien avec la Fédération des entreprises de propreté, d’hygiène et services associés (FEP), pour accompagner l’ensemble des donneurs d’ordre publics et privés et les amener à accepter le nettoyage en journée. Cette démarche a été concluante, illustrant toute l’importance de la dimension systémique pour changer les pratiques du secteur.
Paradoxalement, ces métiers si précieux sont encore trop invisibilisés : comme nous y invite le texte, nous devons leur redonner de la dignité et sécuriser les parcours professionnels en accordant à ces travailleurs – en Côte-d’Or, ce sont à 72 % des femmes – davantage de travail en journée et en continu. Il faut également rendre ces métiers, exercés par 6 % de jeunes, plus attractifs. N’oublions pas les conséquences de ces horaires sur la vie sociale : derrière ces travailleurs, il y a aussi des enfants qui restent seuls le matin ou tard le soir, pendant que leurs parents travaillent.
Malgré quelques réserves que nous aborderons à travers nos amendements, nous soutiendrons cette proposition de loi.
Mme Sylvie Dezarnaud (DR). Le groupe Droite Républicaine partage l’objectif de revaloriser les métiers du secteur du nettoyage en améliorant les conditions de travail. Je salue la rapporteure et le groupe Écologiste d’avoir inscrit ce texte dans leur niche et de mettre en lumière les salariés du secteur.
Si l’intention est louable, nous nous interrogeons sur la rédaction proposée, qui présente deux écueils principaux. Tout d’abord, le titre de la proposition de loi affirme que celle-ci garantit des horaires de jour ; c’est faux, puisqu’elle s’attaque uniquement au travail de nuit et non au travail en soirée ou tôt le matin, qui concerne davantage de travailleurs du secteur. La définition du travail de nuit est restrictive : il s’agit d’un travail réalisé entre 21 heures et 7 heures, incluant obligatoirement l’intervalle entre minuit et 5 heures. Un salarié travaillant pendant seulement une partie de cet intervalle n’est pas considéré comme un travailleur de nuit. Selon l’étude de la Dares citée dans l’exposé des motifs, seulement 6 % des salariés du secteur travaillent en horaires de nuit.
Par ailleurs, la justification du recours au travail de nuit auprès de l’inspection du travail n’est assortie d’aucune condition de vérification préalable. Vous ne posez pas clairement la question du contrôle de l’administration sur la bonne application de la dérogation. Le droit actuel prévoit un cadre plus strict : la mise en place du travail de nuit régulier est assortie d’une négociation collective. Tel qu’il est rédigé, le texte pourrait avoir pour effet d’élargir les possibilités de recours au travail de nuit, soit l’exact inverse de ce que vous recherchez.
Le groupe Droite Républicaine ne pourra donc voter ce texte en l’état. Il se tient à l’entière disposition de la rapporteure pour le retravailler dans la perspective de son examen en séance publique.
M. François Ruffin (EcoS). Merci, madame la rapporteure, d’avoir repris le flambeau, cinq ans après le dépôt de cette proposition de loi. C’était en 2020, au temps de la crise covid, un temps où le Président de la République déclarait : « Il faudra nous rappeler que notre pays aujourd’hui tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. »
Que s’est-il passé, en cinq ans, pour les agents d’entretien et pour les femmes de ménage ? Rien. Un rapport remarquable sur les dix-sept métiers de la deuxième ligne, parmi lesquels les femmes de ménage et les agents d’entretien, a dit combien ils étaient, combien ils se sentaient utiles au pays, mais aussi combien leur métier était maltraité, sous-traité et écrasé. On le voit tous les jours dans les hôpitaux, dans les industries et dans les bureaux : on a transformé un métier en bouts de boulot qui rendent la vie impossible. Un petit bout de boulot le matin, et les enfants se lèvent tout seuls, prennent leur petit déjeuner tout seuls, partent à l’école tout seuls parce que maman a déjà pris le bus ou le métro ; un petit bout le soir, pour avoir un salaire correct, même si cela veut dire qu’on ne peut pas accompagner les devoirs.
L’objectif est évidemment de passer à temps plein et à salaire plein. Ce matin, nous avons rencontré une quinzaine de femmes de ménage du bâtiment du 101, rue de l’Université. Elles nous ont dit qu’elles étaient toutes volontaires pour abandonner les horaires tôt le matin et passer au travail de jour. Elles ont exprimé leur satisfaction d’avoir obtenu un treizième mois, mais surtout leur sentiment et de ne plus vivre dans la peur car on parle désormais d’elles au grand jour.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le secteur des entreprises de propreté et services associés regroupe 16 000 entreprises et 600 000 emplois en France et connaît une croissance importante. C’est un pilier de notre économie. Les conditions de travail y sont souvent précaires, avec des horaires décalés et une exécution des tâches en dehors des heures d’activité des lieux nettoyés. Il faut donc saluer les initiatives favorisant le travail en journée, comme le label On accepte de faire le ménage pendant les heures de bureau, développé par la FEP ou les expérimentations menées dans l’administration publique. Ces démarches améliorent durablement les conditions de travail et renforcent la prise en compte de l’impact des conditions de travail atypiques sur la santé des salariés du secteur et de la nécessité d’y réorganiser le travail afin de limiter le travail de nuit et d’améliorer la reconnaissance des métiers.
La proposition de loi introduit un principe général d’interdiction du travail de nuit – ce que vous appelez les horaires atypiques – dans le secteur de la propreté, avec une dérogation dans les cas où il est nécessaire de maintenir l’activité économique ou un service essentiel à la population. Cette interdiction générale nous paraît excessive. Certaines activités nécessitent des interventions en dehors des heures de bureau pour des raisons de sécurité et de continuité d’activité – je pense ici aux hôpitaux, aux transports et aux grandes infrastructures. Une situation unique pour tous les segments du secteur sans prendre en compte la diversité des métiers, les contraintes locales et les choix personnels des salariés basés sur le volontariat reviendrait à ignorer les réalités de terrain. Le code du travail encadre déjà le travail de nuit, qui doit être exceptionnel et ne peut excéder huit heures consécutives, avec des repos compensatoires et/ou une majoration salariale.
La voie législative n’apporte pas une réponse réaliste. Il nous semble plus pertinent de renforcer le dialogue social au sein des entreprises et de la branche professionnelle. C’est la meilleure manière d’améliorer significativement les conditions de travail et la reconnaissance de ces salariés tout en respectant les impératifs économiques et l’intérêt général. Nous sommes donc très réservés sur l’intérêt de la proposition de loi.
M. Paul-André Colombani (LIOT). Le fait d’associer les métiers de la propreté au travail de nuit participe à l’invisibilisation sociale des salariés et entretient, avec d’autres facteurs, un manque de reconnaissance injustifiable. Outre une faible rémunération, la difficulté de ces métiers tient essentiellement à la pénibilité des conditions de travail. Les facteurs sont nombreux : l’utilisation de produits chimiques, les gestes répétitifs et les postures pénibles qui sont un vecteur de troubles musculo-squelettiques et, bien évidemment, les horaires atypiques.
La prise de conscience du caractère non nécessaire du travail de nuit a conduit à des engagements de la part d’organisations professionnelles comme le Medef ou la FEP. Ils prouvent qu’une autre organisation du travail est possible. L’engagement de Gabriel Attal pour les personnels d’entretien des administrations publiques montre combien la responsabilité de l’État est immense. Il faut donner l’exemple.
Poser dans la loi la règle de l’interdiction du travail de nuit pour les métiers de la propreté est certainement la manière la plus efficace d’aboutir à des changements de pratiques. Il n’y a que des avantages à cesser le travail de nuit, qui n’a de justification que celle d’éviter de croiser ou de gêner les autres salariés. Le premier est une meilleure conciliation avec la vie privée, notamment familiale. Les bienfaits en termes de santé sont eux aussi considérables, tant les dommages causés par le travail de nuit sur le sommeil, l’alimentation et les accidents de travail sont importants. La fin du travail de nuit permettra également aux salariés de retrouver une vie professionnelle plus épanouie, avec davantage d’interactions sur leur lieu de travail. Enfin, elle rend possible l’augmentation du temps de travail en journée, voire le passage à temps plein, plutôt que de subir un temps partiel non choisi, ce qui apporte aussi une réponse en termes de rémunération.
M. Yannick Monnet (GDR). La proposition de loi revêt l’intérêt de mettre de nouveau au premier plan la situation des travailleurs du nettoyage, dont les gouvernements successifs n’ont cessé d’annoncer, depuis la pandémie, qu’ils allaient réformer leurs conditions de travail. Ces travailleurs subissent également le travail haché en journée – ce que l’on appelle la journée fragmentée –, les jours fériés et le week-end.
Ma chère collègue, vous reconnaissez qu’il ne s’agit là que d’un premier pas et que l’enjeu des horaires de jour doit être articulé avec la question du temps partiel subi et un encadrement strict de la sous-traitance. Néanmoins, la proposition de loi est encore trop restrictive et elle pourra être facilement contournée au nom de la continuité de l’activité économique.
Le nœud du problème est précisément la nature et le manque d’encadrement de l’activité économique qui, conduite par le seul profit, a fini par imposer les conditions de travail atypiques comme une norme. En effet, selon la Dares, tous secteurs d’activité confondus, 19 % des Français travaillent de nuit ou en fin de semaine, 17 % à temps partiel, 10 % de façon occasionnelle et 10 % en horaires longs et flexibles. Une majorité travaille donc en horaires atypiques et seulement 37 % des Français ont des horaires de travail dits standard.
Afin de franchir ce premier pas, il convient donc de ne pas restreindre la proposition aux horaires de nuit mais de l’étendre aux horaires compris entre 18 heures et 9 heures afin de poser une véritable obligation d’horaires de travail standard. Si dérogation il doit y avoir, il faut fermement l’encadrer par une majoration salariale substantielle, par une consultation du CSE ou des délégués du personnel et par un accord de l’inspection du travail, faute de quoi la règle posée dans la loi restera une simple intention. Nous ne pouvons pas courir le risque qu’à terme, il soit définitivement considéré que les horaires atypiques sont nécessaires pour ces travailleurs du ménage, mais également pour tous les autres au motif des besoins de l’activité économique.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Puisque nous examinons un texte sur les travailleurs du nettoyage, il me semble impossible de ne pas avoir un mot pour Moussa Sylla. Moussa Sylla était salarié d’Europ Net, société sous-traitante de l’Assemblée nationale. Il est mort le samedi 9 juillet 2022 au matin, sous nos pieds, dans les sous-sols du palais Bourbon. Alors qu’il nettoyait le parking des députés, son autolaveuse s’est emballée dans une pente qu’il n’aurait jamais dû avoir à emprunter avec cette machine, le projetant contre un mur. Il était seul, sans aucun témoin. Son corps a été trouvé plus tard, par hasard. Ses collègues ont ensuite souligné qu’il devait faire en quatre heures le travail que le salarié qu’il remplaçait faisait en six heures. Moussa Sylla fait partie des plus de sept cents personnes par an, soit plus de deux par jour, tuées au travail en France.
Moussa Sylla, Mauritanien vivant en France depuis vingt ans, père de deux enfants, faisait partie de ces 73 % d’agents d’entretien d’Île-de-France issus de l’immigration. Moussa Sylla est l’un des noms de cette masse de travailleuses et de travailleurs étrangers qui assument les métiers les plus pénibles, les plus dévalorisés, et qui sont, ces jours-ci, insultés, déshumanisés, accusés de provoquer une « submersion migratoire ».
Malgré la procédure judiciaire en cours, l’Assemblée nationale a reconduit le marché d’Europ Net et l’a même étendu à des bâtiments supplémentaires. Le 24 janvier dernier, la société Europ Net a finalement été reconnue coupable d’homicide involontaire par le tribunal judiciaire de Paris. À cette heure, il n’y a eu aucune réaction de l’Assemblée nationale. Le groupe parlementaire La France insoumise a saisi la Présidente de l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui, nous avons la possibilité de faire un petit pas en faveur de ces travailleurs et travailleuses de l’entretien en les protégeant des horaires abusifs. Par mes amendements, j’ai voulu y ajouter la question de la sous-traitance, qui permet aux donneurs d’ordre de se dédouaner des conditions de travail des employés, comme c’est le cas de l’Assemblée nationale et comme c’était aussi le cas du groupe Accor face à la grève historique des femmes de ménage de l’hôtel Ibis-Batignolles, menée par notre ancienne collègue Rachel Keke, que je veux également saluer. Elle nous rappelait souvent, entre ces murs, que sous-traitance rime bien trop souvent avec maltraitance.
Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je m’associe à la pensée de Sarah Legrain pour Moussa Sylla, décédé il y a quelques mois dans nos locaux, et pour sa famille. Les conditions de travail des agents de nettoyage sont difficiles. De surcroît, ils font l’objet d’un isolement qui accentue les risques. La proposition de loi essaie modestement de lutter contre cet isolement en luttant contre l’invisibilité de ces travailleurs ; être invisible, c’est par définition être isolé.
J’ai entendu plusieurs de nos collègues faire valoir qu’ils disaient bonjour aux personnes qui font le ménage dans nos locaux. Je ne doute pas de leur parole. Nous sommes peut-être des individus exemplaires ; je doute néanmoins que nous le soyons tous les jours. Lorsque j’ai auditionné les représentants des organisations syndicales, l’une d’entre elles a commencé par dire : « Si l’on pouvait juste nous dire bonjour ». Ce n’est pas une problématique individuelle, c’est un fait social auquel il convient de répondre. Toutes les organisations syndicales et tous les professionnels que j’ai rencontrés disent qu’ils sont méprisés dans leur travail au quotidien. Quand on fait société, on s’organise pour que celles et ceux qui font ce travail difficile et ingrat soient traités avec la dignité à laquelle ils ont droit.
Madame Levavasseur, permettez-moi de douter des progrès que vous évoquez. De l’aveu même de la FEP, qui travaille sur la base de la conviction depuis dix-huit ans, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Au contraire, on assiste au retour de certains types de contrat, par facilité, peut-être aussi par exigence d’une productivité toujours plus importante et par une intensification générale du travail qui fait du mal à de nombreux travailleurs. Les résultats ne sont pas plus concluants pour l’action de l’État : hier, les employeurs m’ont confié qu’ils attendaient une circulaire plus forte que celle de 2022 ; elle n’est jamais venue. La direction des achats de l’État a noté que l’une de ses enquêtes présentait un taux élevé de sites passés aux horaires de jour. Cependant, seulement 1 000 sites ont répondu au questionnaire, sur 150 000 sites dont l’État est propriétaire. Le travail à mener est immense. Il faut agir.
Madame Vidal, vous dites que le dispositif n’était pas abouti car l’inspection du travail sera dans l’incapacité d’appliquer les dispositions prévues. Je ne méconnais pas les graves difficultés que connaît l’inspection du travail, absente de nombreux territoires en raison d’un nombre de postes insuffisant et, pour ceux qui existent administrativement, d’un grand nombre de postes vacants. Il faut la renforcer en augmentant le nombre de postes et en donnant aux inspecteurs du travail davantage de force lorsqu’ils interviennent. Cependant, au vu de l’état général des services publics, s’il fallait s’arrêter à chaque fois que l’un d’entre eux rencontre des difficultés à remplir ses missions, nous ne ferions rien.
Madame Amiot, je suis entièrement d’accord avec vous pour dire que les horaires de nuit sont souvent imposés aux travailleurs au détriment de leur santé, pour une compensation insuffisante. Cependant, ils sont dans certains cas justifiés par la continuité de l’activité économique, par exemple pour les entreprises assujetties à la réglementation sur la sécurité sanitaire, laquelle interdit de faire le ménage durant les horaires de production de produits alimentaires, ou à l’hôpital. La continuité de l’activité économique doit toujours être justifiée par des tâches réelles, et non par la profitabilité ou le rendement. Les tâches de nettoyage doivent toujours être réalisées le jour, quand elles peuvent l’être ; dans le cas contraire, la proposition de loi permet une dérogation accordée par l’inspection du travail pour qu’elles soient réalisées à un autre moment.
Madame Godard, l’exemple de Dijon est formidable. Toutefois, comme vous l’avez noté, la bonne volonté de certaines entreprises ou de certains commanditaires publics ne suffit pas. Elle se heurte à la réalité du terrain. Je partage votre souhait de favoriser le travail continu : l’interdiction des horaires atypiques procède d’une logique vertueuse qui dépasse la simple question du travail de nuit. Souvent, les entreprises de nettoyage envoient de grosses équipes sur un même site pour travailler en peu de temps. En allongeant la période de travail sur site, c’est-à-dire en envoyant moins de personnes qui travailleront plus longtemps, il y aura autant d’emplois, mais des journées moins hachées, donc un gain collectif. C’est un levier qui permet de lutter contre les journées discontinues et de se rapprocher du travail à temps plein.
Depuis quelques jours, une expérimentation est lancée au Palais‑Bourbon et nos locaux sont désormais nettoyés en horaires de jour ; de ce fait, les plages horaires ont augmenté et l’entreprise s’est engagée à passer à près de 50 % de temps plein. Je ne doute pas qu’elle recevra une évaluation positive.
Madame Dezarnaud, l’inspection du travail veillera à ce que les horaires atypiques ne soient pas utilisés par facilité, au détriment de la vie des salariés, mais en raison d’une nécessité liée à l’activité économique. Elle est donc dans son rôle : veiller au respect des conditions de travail, notamment à la santé des travailleurs et des travailleuses.
Monsieur Ruffin, je me doutais qu’une citation célèbre d’Emmanuel Macron serait prononcée aujourd’hui en ces lieux. Il est vrai que l’organisation actuelle du travail rend la vie impossible à ces gens et les enferme dans la pauvreté. En cumulant les bouts de boulot, comme vous le dites, ils arrivent à un salaire moyen de 800 à 900 euros net par mois, ce qui est notoirement insuffisant pour vivre.
Madame Colin-Oesterlé, vous jugez l’interdiction du travail de nuit excessive, mais n’est-ce pas la situation actuelle qui échappe au bon sens ? Il est de notre responsabilité de mettre fin à cette réalité sociale orthogonale au bon sens et de revenir la normalité, c’est‑à‑dire au ménage en journée continue chaque fois que cela est possible. Fallait-il en arriver là ? Visiblement, oui, car cela fait longtemps que nous en parlons et que rien ne change.
Je vous remercie, monsieur Colombani, pour votre soutien. Effectivement, à terme, l’objectif est que les entreprises n’aient plus besoin de demander l’autorisation à l’inspection du travail car les habitudes auront changé et ces pratiques insupportables auront cessé.
Monsieur Monnet, il est vrai que la question du temps de travail, des horaires atypiques et du temps partiel contraint dépasse largement la branche de la propreté. Cependant, un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales relevait six branches dans lesquelles le temps partiel contraint était le plus présent ; parmi ces six branches, celle de la propreté présente un taux de temps partiel contraint particulièrement élevé, sans aucune justification. Évidemment, il y a beaucoup à faire pour ces travailleurs aux conditions de vie difficiles : lutter contre le travail discontinu, respecter les droits afférents au fait de travailler en décalé par rapport à la majorité des salariés, revaloriser les salaires... Il faut avancer pas à pas.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en avons ainsi terminé avec la discussion générale de la proposition de loi. Nous en examinerons les articles cet après-midi.
La réunion s’achève à treize heures cinq.
Informations relatives à la commission
La commission a désigné :
– M. Guillaume Kasbarian rapporteur sur la proposition de loi visant à simplifier l’ouverture des débits de boissons en zone rurale (n° 904 rect.) ;
– Mme Nicole Dubré-Chirat rapporteure sur la proposition de loi sur la profession d’infirmier (n° 654 rect.) ;
– M. Christophe Naegelen rapporteur sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins (n° 877).
Présences en réunion
Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Louis Boyard, M. Jean-René Cazeneuve, Mme Cyrielle Chatelain, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, Mme Sandra Delannoy, M. Arthur Delaporte, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Emmanuel Fernandes, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, M. Damien Girard, Mme Océane Godard, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, M. Guillaume Kasbarian, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Élise Leboucher, Mme Sarah Legrain, Mme Katiana Levavasseur, M. René Lioret, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Christophe Naegelen, Mme Sandrine Nosbé, M. Laurent Panifous, Mme Anne-Sophie Ronceret, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier
Excusés. – Mme Anchya Bamana, Mme Béatrice Bellay, M. Elie Califer, Mme Fanny Dombre Coste, M. Jean-Carles Grelier, Mme Karine Lebon
Assistaient également à la réunion. – M. Éric Bothorel, M. Sébastien Peytavie