Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Suite de l’examen de la proposition de loi sur la profession d’infirmier (n° 654) (Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure) 2
– Examen de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs (n° 783) (Mme Laure Miller, rapporteur) 18
– Examen, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements (n° 971) (M. Benjamin Lucas‑Lundy, rapporteur) 33
– Informations relatives à la commission......................38
– Présences en réunion.................................39
Mercredi
5 mars 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 50
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à quinze heures.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission poursuit l’examen de la proposition de loi sur la profession d’infirmier (n° 654) (Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure).
Article 1er (suite) : Refonte du socle législatif régissant la profession d’infirmier diplômé d’État (suite)
Amendement AS81 de Mme Christine Loir
Mme Christine Loir (RN). Cet amendement propose que les infirmiers puissent prescrire les médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire. Cela facilitera l’accès aux soins, allégera la charge des médecins et garantira une prise en charge rapide et efficace des patients.
Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Les infirmiers disposent déjà d’un droit de prescription de certains produits et dispositifs ; nous ne souhaitons pas élargir ce droit au niveau de celui des infirmiers en pratique avancée.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS107 de M. Thierry Frappé
M. Thierry Frappé (RN). Si l’infirmier dispose des compétences en matière de diagnostic infirmier et de prescription de produits de santé ou d’examens complémentaires, il manque des compétences cliniques suffisantes pour établir un diagnostic médical ou prendre des décisions thérapeutiques autonomes. Nous proposons qu’il ait l’obligation d’établir à l’intention du médecin référent un compte rendu régulier de ses décisions, afin que celui-ci assure une prise en charge cohérente et sécurisée.
Mme la rapporteure. L’infirmier doit déjà rendre compte au professionnel de santé soit par l’intermédiaire du dossier médical partagé, soit par courrier électronique. Votre amendement est satisfait.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS132 et AS131 de M. Thomas Ménagé
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Les stupéfiants sont des médicaments puissants, pouvant entraîner des addictions ou faire l’objet de détournements. Cet amendement les exclut du champ de la prescription des infirmiers, sauf lorsque l’interruption de traitement mettrait en danger la santé du patient ou lorsque l’ordonnance renouvelable est expirée. Dans ce cas, l’infirmier pourrait la renouveler temporairement, le temps que le patient consulte un médecin.
Mme la rapporteure. L’élargissement du droit de prescription sera discuté tout à l’heure. Mais il ne concernera pas les médicaments des niveaux 2 et 3, qui doivent faire l’objet d’une prescription médicale. Il ne s’attachera qu’aux médicaments de niveau 1. Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS80 de Mme Christine Loir
Mme Christine Loir (RN). En accord avec le code de déontologie des infirmiers, il faut garantir la qualité des soins en soutenant le binôme médecin-infirmier. Sans les opposer, nous devons reconnaître l’importance de leur travail complémentaire et coordonné dans l’amélioration de la prise en charge des patients.
Mme la rapporteure. Je suis d’accord : il s’agit bien d’un travail en binôme. Mais les protocoles de coopération mentionnés dans votre amendement existent. Souvent proposés par les équipes soignantes, validés par la Haute Autorité de santé (HAS) et autorisés par arrêté ministériel, ils sont très encadrés – on leur reproche même un fonctionnement trop lourd.
L’amendement étant satisfait, j’émets un avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS120 de M. Hendrik Davi, amendements identiques AS39 de Mme Élise Leboucher, AS75 de M. Laurent Panifous, AS106 de M. Thierry Frappé, AS119 de M. Cyrille Isaac-Sibille, AS141 de Mme Stéphanie Rist et AS159 de Mme Sylvie Bonnet, amendement AS138 de M. Christophe Bentz, amendements identiques AS165 de Mme Nicole Dubré-Chirat, AS11 de Mme Sandrine Runel et AS28 de M. Yannick Monnet (discussion commune)
M. Hendrik Davi (EcoS). L’alinéa 7 prévoit que la liste des produits de santé et des examens complémentaires pouvant être prescrits par les infirmiers est fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale pris après avis de l’Académie nationale de médecine. C’est insuffisant. Je propose qu’il faille un avis favorable de la HAS ainsi que des ordres et des syndicats des professionnels de santé concernés.
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Notre amendement AS39 a pour but de substituer l’avis de la HAS à celui de l’Académie nationale de médecine. Autorité administrative et scientifique indépendante, la HAS a déjà rendu de nombreux avis sur le champ de compétences des infirmiers diplômés d’État et plus récemment sur celui des infirmiers en pratique avancée.
M. Laurent Panifous (LIOT). Nous proposons de remplacer l’avis de l’Académie nationale de médecine par celui de la HAS. Rappelons que la profession d’infirmier, réglementée et disposant d’un ordre, est autonome. De surcroît, cet avis est déjà nécessaire s’agissant des conditions d’exercice des infirmiers en matière de renouvellement des prescriptions.
M. Thierry Frappé (RN). J’abonde en ce sens. Pour encadrer la profession d’infirmier, il est préférable de s’appuyer sur cette instance qui accompagne les soignants dans l’amélioration des pratiques plutôt que sur l’Académie nationale de médecine dont l’avis serait purement médical.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). À partir du moment où l’on a distingué ce qui relève de la médecine de ce qui relève de la science infirmière, il n’est plus nécessaire de se référer à l’Académie nationale de médecine. Il me semble plus adéquat de demander son avis à la HAS.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Il semble plus logique, dans un texte sur la profession d’infirmier, de se référer à la HAS. On connaît l’avis de l’Académie nationale de médecine : en février 2024, elle a pris position contre les prescriptions sans diagnostic effectué par un médecin.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Je propose également que l’on se réfère à l’avis de la HAS plutôt qu’à celui de l’Académie nationale de médecine.
M. Christophe Bentz (RN). Il ne faut pas opposer les professions de médecin et d’infirmier, qui sont complémentaires. Pour réaffirmer le rôle et le champ d’intervention de chacun, nous proposons que soient consultées quatre instances supplémentaires : l’Ordre national des médecins, l’Ordre national des infirmiers, la HAS et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Mme la rapporteure. Attentive à vos demandes, je propose d’ajouter la consultation de la HAS à celle de l’Académie nationale de médecine, qu’il me semble important de conserver. En revanche, je ne souhaite pas que soient recueillis d’autres avis, sachant que les ordres seront consultés sur l’évolution des compétences et la déclinaison des actes.
M. Arnaud Simion (SOC). Par l’amendement AS11, nous proposons aussi que soit recueilli l’avis de la HAS en plus de celui de l’Académie nationale de médecine. Cet amendement a été travaillé avec le Syndicat national des professionnels infirmiers.
Mme la rapporteure. J’émets un avis défavorable à l’ensemble des amendements – à l’exception de ceux qui sont identiques au mien.
La commission rejette successivement l’amendement AS120, les amendements AS39 et identiques et l’amendement AS138, puis elle adopte les amendements AS165 et identiques.
Amendement AS140 de Mme Stéphanie Rist
Mme Stéphanie Rist (EPR). Cet amendement ordonne que la liste des produits et examens complémentaires pouvant être prescrits par les infirmiers soit révisée au moins tous les trois ans. Compte tenu des nouvelles mises sur le marché et de la montée en compétences des professionnels, elle peut en effet devenir rapidement obsolète.
Mme la rapporteure. Avis favorable. Ce cadrage évitera que l’on oublie de réactualiser la liste.
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Tout en étant favorable à l’amendement, j’alerte sur les difficultés de sa mise en œuvre : les actualisations ne sont pas toujours faites. Il faudra que nous suivions cela de près.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS90 de Mme Christine Loir
Mme Christine Loir (RN). Cet amendement vise à inscrire dans la loi la possibilité pour les infirmiers de proposer la consultation d’un médecin lorsqu’ils l’estiment nécessaire. L’objectif est de renforcer leur autonomie et leurs responsabilités en reconnaissant leur rôle central dans l’accompagnement des patients et dans la coordination des soins.
Mme la rapporteure. Cette mission d’orientation des patients est inhérente à la fonction d’infirmier. Je proposerai également, dans un amendement à venir, qu’elle soit rappelée dans ce texte. Je vous invite donc à tenir votre proposition pour satisfaite.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS22 de Mme Sylvie Bonnet
Mme Sylvie Bonnet (DR). Cet amendement propose de laisser la possibilité d’enrichir, par voie réglementaire, la liste des missions des infirmiers.
Mme la rapporteure. Ce ne sera pas nécessaire car nous avons à dessein énuméré des missions larges, couvrant un grand nombre de compétences et d’activités. Cela évitera d’avoir à réactualiser trop souvent le décret d’actes.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS8 de M. Laurent Croizier, amendements identiques AS24 de Mme Karine Lebon et AS118 de M. Cyrille Isaac-Sibille, amendement AS7 de Mme Sandrine Runel (discussion commune)
M. Laurent Croizier (Dem). Cet amendement, travaillé avec le conseil interdépartemental de l’Ordre des infirmiers comtois, précise que la conciliation médicamenteuse fait partie des missions socles de la profession. Il est cohérent avec le code de déontologie, qui prévoit notamment : « L’infirmier communique au médecin toute information en sa possession susceptible [...] de permettre la meilleure adaptation du traitement [...]. »
M. Yannick Monnet (GDR). L’amendement AS24 est défendu.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Il est important d’ajouter la conciliation qui permet, grâce à une discussion pluridisciplinaire, d’éviter les erreurs médicamenteuses.
M. Arnaud Simion (SOC). Notre amendement AS7 vise également à inscrire la conciliation médicamenteuse parmi les missions de l’infirmier. Il a été travaillé avec le syndicat Convergence infirmière.
Mme la rapporteure. La conciliation médicamenteuse est définie par la HAS comme « une démarche de prévention et d’interception des erreurs médicamenteuses visant à garantir la continuité de la prise en charge médicamenteuse du patient dans son parcours de soins ». Elle est donc une composante de la coordination du parcours de soins, citée à l’article 1er comme une mission de la profession d’infirmier. Dans son guide publié en 2018, la HAS a expressément prévu la contribution des infirmiers au processus. Il n’est donc pas utile de le préciser dans la loi. Les amendements sont satisfaits.
M. le rapporteur général. Des expérimentations sur la conciliation médicamenteuse ont été menées dans le cadre prévu par l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, avec un volet établissement et un volet domicile. Il serait intéressant de consulter leurs conclusions afin de déterminer l’opportunité de faire évoluer de ce qui avait été édicté par la HAS en 2018.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). J’entends vos arguments, madame la rapporteure. Mais ce n’est pas par la loi que les amendements sont satisfaits. Une mention dans le texte me semble préférable. Elle aurait plus de portée.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques AS27 de M. Yannick Monnet, AS33 de Mme Sylvie Bonnet, AS40 de Mme Karen Erodi et AS92 de M. Thibault Bazin
M. Yannick Monnet (GDR). Cet amendement, issu de propositions du Syndicat national des professionnels infirmiers, vise à introduire une cinquième mission socle relative aux soins relationnels.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Les soins relationnels sont centraux dans la pratique infirmière. Ils sont cités dans la première mission mais il est important d’en faire une mission à part entière.
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Pourquoi les soins relationnels ne constituent-ils pas une mission à part entière ? Là où la médecine se raréfie, les infirmiers sont parfois les seuls à garantir l’équilibre psychique des personnes seules, isolées ou vulnérables. Le fait que ces soins soient souvent assurés par des femmes va de pair avec un manque de reconnaissance et de faibles rémunérations. Nous proposons donc d’intégrer distinctement la dimension relationnelle des soins dans les missions des infirmiers. Cela répondra à une attente forte des patients et constituera un rempart contre la déshumanisation perçue de notre système de santé. La relation ne se limite pas au réconfort mais joue un rôle fondamental dans la compréhension du traitement et l’adhésion du patient à son parcours de soins.
M. le rapporteur général. La question n’est pas seulement sémantique. En cohérence avec l’approche globale du soin de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), nous ne devons pas le cantonner au curatif. C’est un changement de culture que nous devons opérer pour intégrer les dimensions physique, mentale et sociale – ce qui implique l’existence d’une relation.
Mme la rapporteure. Je partage vos avis sur la dimension essentielle des soins relationnels pratiqués par les infirmiers. Mais à l’exception des entretiens de relation d’aide ou d’aide thérapeutique, qui sont différenciés et tarifés dans la nomenclature, l’ensemble des soins ont une composante relationnelle que l’on ne peut pas distinguer ou codifier. Je ne suis donc pas favorable à ce que l’on fasse de cette dimension une mission à part entière. Le texte précisant déjà que les soins infirmiers sont préventifs, curatifs, palliatifs, relationnels ou destinés à la surveillance clinique, vos amendements sont satisfaits.
M. Yannick Monnet (GDR). Les soins relationnels ont néanmoins besoin d’une meilleure reconnaissance. Ce qui fait du bien à la tête fait du bien au corps ; c’est admis médicalement. Les reconnaître comme une mission à part entière, c’est permettre à chaque professionnel d’organiser la relation avec le patient.
La commission rejette les amendements.
Amendement AS163 de Mme Nicole Dubré-Chirat, amendements identiques AS14 de Mme Sandrine Runel, AS23 de Mme Sylvie Bonnet, AS25 de Mme Karine Lebon et AS142 de Mme Stéphanie Rist (discussion commune)
Mme la rapporteure. Je propose de compléter l’alinéa 10 pour préciser que l’infirmier contribue également à l’orientation des patients vers les professionnels de santé les mieux à même de répondre à leurs besoins dans le cadre d’un parcours de soins. J’invite au retrait des autres amendements au profit de celui-ci.
M. Arnaud Simion (SOC). L’amendement AS14 est défendu.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Il s’agit de préciser que la coordination des soins s’accompagne d’une capacité à orienter le patient vers un autre infirmier ou vers un spécialiste en cas de besoin, afin de permettre un véritable accès aux soins.
M. Yannick Monnet (GDR). L’amendement AS25 est défendu.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Je retire mon amendement au profit de celui de la rapporteure, qui est mieux rédigé. Il serait paradoxal de consacrer les missions des infirmiers en leur permettant de prescrire des examens complémentaires et de contribuer à la coordination du parcours, sans y intégrer explicitement l’orientation des patients. Nous prendrions le risque de freiner le parcours de soins, allant à l’encontre de l’objectif de cette proposition de loi.
L’amendement AS142 est retiré.
La commission adopte l’amendement AS163 ; en conséquence les amendements identiques tombent.
Amendement AS87 de Mme Christine Loir
Mme Christine Loir (RN). La politique de prévention doit être renforcée dans notre pays où la participation aux campagnes de dépistage du cancer colorectal est inférieure à 30 % et où la couverture vaccinale reste insuffisante. Nos infirmiers libéraux étant en première ligne auprès des patients âgés et atteints de maladies chroniques, nous proposons d’en faire les acteurs clés de la prévention. Leur proximité avec les patients permettrait d’améliorer le suivi, d’accroître les taux de dépistage et de vaccination, et de limiter ainsi les complications des pathologies.
Mme la rapporteure. Le texte fait référence à des soins infirmiers préventifs et curatifs, ce qui recouvre votre préoccupation. Pour connaître un certain nombre d’infirmiers du secteur libéral, je sais qu’ils font déjà de la prévention : lorsqu’ils vaccinent quelqu’un, ils s’enquièrent de la situation vaccinale des autres membres de la famille, ils donnent des conseils sur l’alimentation, ils incitent à participer aux examens de dépistage du cancer du sein ou du cancer colorectal. La prévention fait partie intégrante de leurs missions. Votre amendement est satisfait.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques AS32 de Mme Sylvie Bonnet, AS54 de Mme Sandrine Runel et AS91 de M. Thibault Bazin
Mme Sylvie Bonnet (DR). Je propose de reconnaître pleinement l’activité des infirmiers de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, ainsi que celle des infirmiers de santé au travail.
M. Arnaud Simion (SOC). L’amendement AS54 est défendu.
Mme la rapporteure. Les soins éducatifs font partie de la mission décrite à l’article 1er. Les infirmiers de santé au travail sont des experts en prévention, garants de la santé des salariés. Ils assurent des visites sur délégation du médecin du travail. Il existe aussi des infirmiers en pratique avancée en santé au travail, qui exercent dans le cadre d’une pluridisciplinarité. Quant aux infirmiers de soins généraux, ils peuvent orienter vers un médecin du travail si nécessaire. Vos amendements sont satisfaits.
La commission adopte les amendements.
Amendements identiques AS17 de Mme Sylvie Bonnet et AS20 de Mme Sandrine Runel, amendements identiques AS164 de Mme Nicole Dubré-Chirat et AS110 de M. Cyrille Isaac-Sibille (discussion commune)
Mme Sylvie Bonnet (DR). L’actuelle rédaction de l’alinéa 12 associe deux compétences distinctes de l’infirmier : l’encadrement et la formation des pairs et étudiants, et la recherche en sciences infirmières, incluant leur capacité à inscrire leurs pratiques professionnelles dans le champ de la recherche. Je propose de distinguer ces deux missions. Tout cela s’inscrit dans l’évolution des formations infirmières, en adéquation avec l’architecture du système licence-master-doctorat, incluant la création de laboratoires de recherches, des écoles doctorales et des départements en sciences infirmières au sein de l’université.
M. Arnaud Simion (SOC). Travaillé avec le Conseil national professionnel infirmier, notre amendement AS20 vise à distinguer les missions de formation et de recherche.
Mme la rapporteure. Lors des auditions que j’ai conduites, on m’a fait remarquer que les missions de formation et de recherche en sciences infirmières étaient de nature différente et qu’il était dommage de les traiter dans un même paragraphe. Je propose donc de rédiger deux alinéas différents pour reconnaître, d’une part, une mission de formation initiale et continue, et, d’autre part, une mission de contribution à la recherche. Madame Bonnet, vous supprimez la référence à la formation des pairs et des professionnels de santé, ce qui est regrettable. Je vous invite à vous rallier à mon amendement.
La commission rejette les amendements AS17 et AS20 puis adopte les amendements AS164 et AS110.
Amendement AS41 de Mme Élise Leboucher
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Il est temps de reconnaître pleinement de la réalité de l’exercice infirmier, un métier fondamental qui se déploie en complémentarité avec les autres professions du secteur sanitaire médico-social et éducatif. Cette proposition de loi reste trop vague à cet égard, ne donnant aucun cadre clair à cette coopération essentielle. Un tiers des infirmiers travaillent quotidiennement avec des médecins généralistes, la proportion dépassant 50 % dans les maisons de santé pluriprofessionnelles. L’OMS définit d’ailleurs cet exercice comme un métier qui fonctionne en interaction avec d’autres acteurs de santé. Pourquoi ne pas le clarifier dans la loi ? Nous défendons une organisation de soins qui repose sur la coopération et non sur la hiérarchie ou la subordination, l’infirmier n’étant pas un simple exécutant. Nous proposons de reconnaître pleinement ce rôle central qui dépasse le champ strictement médical pour s’étendre au social et à l’éducatif. Il s’agit d’aligner la loi sur la réalité du terrain, de ne pas laisser les infirmiers dans un flou juridique qui les empêche d’exercer pleinement leur mission.
Mme la rapporteure. Vous proposez de préciser que l’infirmier accomplit sa mission en relation avec les autres professionnels dans les secteurs social, médico-social et éducatif. Cet amendement est satisfait par l’adoption de mon amendement AS162 à l’alinéa 6, qui prévoit que l’infirmier exerce son activité en complémentarité avec les autres professionnels de santé.
Demande de retrait ou avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS121 de M. Hendrik Davi
Mme la rapporteure. Vous voulez imposer un avis favorable de la HAS, des ordres et des syndicats de professionnels de santé comme condition d’adoption du décret précisant les missions et les compétences des infirmiers. À l’évidence, toutes les autorités et organisations que vous mentionnez seront consultées, comme cela se fait toujours. En exigeant leur avis favorable, vous donnez un pouvoir de blocage à chacun des syndicats infirmiers et à chaque instance ordinale. J’y suis défavorable : le but de ce texte n’est pas d’ajouter de la complexité.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques AS34 de Mme Sylvie Bonnet et AS93 de M. Thibault Bazin
Mme Sylvie Bonnet (DR). Mon amendement rédactionnel.
Mme la rapporteure. La modification proposée n’est pas rédactionnelle. Vous souhaitez que le décret précise non pas les « domaines d’activité » mais les « missions » des infirmiers. La loi fixe les missions, le décret fixe les domaines d’activités et de compétences dans le cadre de ces missions. On ne parle pas tout à fait de la même chose.
La commission rejette les amendements.
L’amendement AS122 de M. Hendrik Davi est retiré.
Amendement AS42 de Mme Karen Erodi
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Cet amendement rappelle une évidence : la refonte du décret sur les actes d’infirmiers ne peut se faire sans véritable concertation avec ceux qui sont en première ligne, à savoir les professionnels eux-mêmes et l’assurance maladie. Loin d’être de simples exécutants, les infirmiers sont des acteurs à part entière du système de soins, les premiers témoins de son délitement et de l’inflation des tâches administratives qui les éloignent du soin. Si nous voulons renforcer leur autonomie, faisons-le avec eux. Ne laissons pas cette évolution sous le pilotage exclusif de technocrates déconnectés du terrain. Nous refusons une réforme imposée sans validation des premiers concernés. C’est une question de démocratie sanitaire. Nous proposons une méthode : une refonte du décret d’actes qui ne soit pas un simple ajustement réglementaire, mais une véritable reconnaissance du rôle des infirmiers dans l’organisation des soins, parce que leur expertise doit l’emporter sur les logiques comptables et parce que l’avenir du soin ne peut pas se décider sans ceux qui le pratiquent.
Mme la rapporteure. La reconnaissance des infirmiers passera par l’adoption de ce texte qui traite de l’évolution de leurs missions. Vous demandez un avis conforme des partenaires conventionnels sur les arrêtés, ce qui serait source de blocage. Je le répète, toutes les organisations seront associées aux négociations.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS43 de Mme Élise Leboucher
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). L’amendement est défendu.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS35 de Mme Sylvie Bonnet
Mme Sylvie Bonnet (DR). En actant une gradation des soins entre professionnels, ce texte montre que son objectif n’est pas de remplacer le médecin par l’infirmier mais d’instaurer un système déployant de nouvelles compétences infirmières à leur juste niveau. Cette modification est notamment recommandée par l’observatoire santé et innovation de l’Institut Sapiens, dans sa contribution au débat, et par une tribune signée par dix‑neuf institutions infirmières.
Mme la rapporteure. Si je comprends votre intention, je pense que la gradation existe de fait : chacun accomplit sa mission particulière, en fonction de sa formation, et contribue ainsi au parcours de soins ; quand il atteint la limite de sa prise en charge, il oriente le patient vers un autre professionnel. La coordination assure cette gradation. Votre demande est satisfaite.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 1er modifié.
Article 1erbis (nouveau) : Reconnaissance de la contribution des professionnels de santé non médicaux aux soins de premier recours
Amendements AS36 de Mme Sylvie Bonnet et AS143 de Mme Stéphanie Rist
Mme Sylvie Bonnet (DR). L’article L. 1411‑11 du code de la santé publique sur les soins de premier recours ne mentionne que le corps médical. Je propose d’inclure toutes les professions de santé, notamment les médecins et les infirmiers, pour lever toute ambiguïté quant à leur rôle.
Mme la rapporteure. Divers professionnels – médecins, infirmières, sages-femmes, pharmaciens – assurent des soins de premier recours, le médecin étant le chef d’orchestre de l’organisation. Faut-il ou non en dresser la liste ? Je m’en remets à votre sagesse sur ce point.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Quant à mon amendement, il s’agit de mentionner explicitement que les infirmiers et infirmiers en pratique avancée comptent parmi les professionnels de santé responsables des soins de premier recours, aux côtés des médecins, afin de clarifier les choses.
Mme la rapporteure. Par l’amendement précédent se trouve dressée la liste de tous les professionnels de santé, dont les IPA font partie. Elle ne sera peut-être jamais exhaustive, mais nous n’avons pas forcément besoin de l’ajouter.
Avis défavorable.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Je maintiens mon amendement car je pense nécessaire de mentionner explicitement les IPA, compte tenu des travaux menés sur les décrets d’application des deux lois dont je suis à l’origine et, surtout, du risque de voir disparaître la référence à tous les professionnels de santé lors de l’examen du texte par les sénateurs. Je ne voudrais pas que les IPA disparaissent avec tout le reste.
La commission adopte les amendements. L’article 1er bis est ainsi rédigé.
Article 1er ter (nouveau) : Mise en place d’une procédure de reprise d’activité pour les infirmiers et infirmiers en pratique avancée après une période d’interruption
Amendement AS135 de M. Stéphane Mazars
M. Jean-François Rousset (EPR). L’amendement est défendu.
Mme la rapporteure. Il s’agit de créer une procédure permettant la reprise d’activité d’un infirmier après une interruption de carrière, qui passerait notamment par une évaluation et, le cas échéant, une remise à niveau des compétences. Le module de remise à niveau existe déjà dans certains instituts de formation en soins infirmiers, mais les infirmiers étrangers ou en reprise d’activité ont parfois du mal à y accéder et à les financer. Il est aussi possible d’effectuer un stage.
M. Jean-François Rousset (EPR). Pour avoir constaté personnellement qu’il pouvait être long de reprendre une activité d’infirmier après une interruption due à des problèmes professionnels ou de santé, je vais maintenir cet amendement. Il faut faciliter et simplifier le processus pour ces personnes qui ont souvent des carrières hachées.
La commission adopte l’amendement. L’article 1er ter est ainsi rédigé.
Après l’article 1er
Amendement AS136 de M. Stéphane Mazars est retiré.
M. Jean-François Rousset (EPR). Je retire l’amendement.
L’amendement est retiré.
Amendement AS101 de Mme Christine Loir
Mme Christine Loir (RN). Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) met en évidence un manque de lien entre les instituts de formation et les formateurs de terrain, compromettant l’apprentissage des étudiants infirmiers. En intégrant des formateurs de terrain dans les conseils pédagogiques des instituts de formation en soins infirmiers, nous aurons une formation plus cohérente et mieux adaptée aux réalités des professionnels, offrant une meilleure préparation aux futurs infirmiers dans l’intérêt de l’offre de soins.
Mme la rapporteure. Votre objectif – favoriser les liens entre le monde de la formation et les lieux d’exercice des infirmiers – est louable. Mais on ne peut arrêter dans la loi la composition du conseil pédagogique des instituts de formation en soins infirmiers. La réflexion en cours sur la formation infirmière, qui devrait aboutir d’ici à la rentrée de 2026, offrira l’occasion d’un changement dans ce domaine.
Avis défavorable.
Mme Christine Loir (RN). Pourtant, vous avez soulevé cette problématique de la formation dans vos propos.
Mme la rapporteure. Mais nous ne pouvons pas modifier la composition du conseil pédagogique dans la loi.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS88 et AS89 de Mme Christine Loir
Mme Christine Loir (RN). Ces deux amendements ont trait au dispositif Action de santé libérale en équipe (Asalée), qui a prouvé son efficacité en renforçant la coopération entre médecins et infirmiers pour un meilleur suivi des patients. Son déploiement permettrait d’économiser jusqu’à quatre-vingts jours du temps médical par an et d’augmenter de 7,5 % la capacité d’accueil des médecins, selon l’assurance maladie. Nous demandons la généralisation de ce modèle et un rapport évaluant son effet à l’échelle nationale, afin d’en mesurer les bénéfices en termes d’accès aux soins et de qualité des soins.
Mme la rapporteure. Le protocole de coopération Asalée a été mis en place il y a plus de vingt ans, sous une forme juridique particulière. Il associe des médecins et des infirmiers pour améliorer le suivi des pathologies chroniques et l’accès aux soins. S’il était pionnier à l’époque, il tend désormais à se fondre dans le droit commun, en raison de l’évolution des compétences des infirmiers et de la création des infirmiers en pratique avancée. Avant de le généraliser ou de demander un rapport envisageant cette hypothèse, il serait intéressant d’analyser le rapport des coûts et des bénéfices. Il apparaît en effet que les files actives sont relativement modérées, le temps passé assez long et le coût pour la sécurité sociale important.
Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques AS6 de Mme Sandrine Runel et AS49 de Mme Élise Leboucher
M. Arnaud Simion (SOC). Par l’amendement AS6, nous demandons un rapport sur la création d’une quatrième année en institut de formation en soins infirmiers, comprenant six mois de stage professionnalisant en fin d’études. Cette année supplémentaire permettrait de mieux préparer les futurs infirmiers aux exigences croissantes de leur profession. Notre objectif est de garantir un socle de compétences plus solide, répondant aux besoins des patients et du système de santé.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Par l’amendement AS49, nous sollicitons la remise d’un rapport sur l’opportunité d’étendre à quatre ans la durée de formation en institut de formation en soins infirmiers. Selon le rapport publié par l’Igas en 2023 sur l’évolution de la profession et de la formation infirmières, quelque 100 000 personnes se portent candidates à ces études chaque année sur Parcoursup, mais le taux d’abandon est important dès la première année. C’est le signe probable d’une difficulté à professionnaliser. Cette quatrième année, comprenant une période de stage professionnalisant, permettrait peut-être de faire baisser le taux d’abandon.
Mme la rapporteure. À ce stade, l’idée n’est pas d’allonger la durée des études mais d’observer les effets des changements prévus à la rentrée de septembre 2026 pour répondre aux exigences de la directive européenne en matière de temps de formation. La création d’une quatrième année ne fait pas l’unanimité pour plusieurs raisons : risque d’accroissement de la précarité des étudiants qui ne pourraient plus cumuler cette formation avec de petits boulots ; coût financier pour l’État en termes d’infrastructures et de recrutement d’enseignants ; conséquences difficiles à gérer d’une année blanche, sans sortie d’étudiants, sur les personnels en exercice. En outre, votre demande est quasi satisfaite puisque l’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 prévoit un rapport qui porte en partie sur l’attractivité du métier d’infirmière, les compétences et les conditions de la formation initiale et continue.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). La quatrième année existe déjà en Espagne, au Portugal, en Belgique, au Luxembourg, en Finlande, en Grèce et en Irlande. Dans la perspective de l’uniformisation en cours à l’échelle européenne, notre proposition ne paraît pas incongrue. Le Conseil national professionnel infirmier préconise d’ailleurs d’augmenter le temps de formation à la fois théorique et pratique, au regard de l’évolution du métier. Même si l’année blanche représente un cap difficile à passer, il faut envisager cette quatrième année de formation permettant d’avoir des professionnels mieux formés et en plus grand nombre parce qu’ils auront été accompagnés dans de meilleures conditions.
Mme la rapporteure. Il faut aussi réfléchir dans le cadre du modèle instauré : niveau licence, bac+3, avec 180 crédits European Credit Transfer and Accumulation System (ECTS). Veillons à ne pas déconstruire ce qui permet l’accès au master pour les infirmiers en pratique avancée et les infirmiers de bloc opératoire. C’est une construction qu’il faut envisager à plus long terme.
La commission rejette les amendements.
Article 1er quater (nouveau) : Expérimentation d’un accès direct aux infirmiers exerçant dans le cadre de structures d’exercice coordonné
Amendement AS157 de Mme Stéphanie Rist
Mme Stéphanie Rist (EPR). Pour contourner les contraintes de l’article 40 de la Constitution, je me borne à demander une expérimentation de l’accès direct aux infirmiers exerçant dans le cadre de structures d’exercice coordonné, en espérant que le Gouvernement optera au cours de nos débats pour une généralisation de cet accès.
Prenons le cas d’un malade soigné à domicile, dont la famille se rend compte qu’il va de moins en moins bien. La consultation directe permettrait d’appeler l’infirmier pour un bilan de perte d’autonomie en attendant le rendez-vous avec le médecin. Lors de sa visite, ce dernier disposerait alors du bilan de l’infirmier. Ce serait une amélioration de la prise en charge des patients dans le cadre de structures d’exercice coordonné – maisons de santé pluriprofessionnelles, centres de santé et autres.
Mme la rapporteure. La proposition est intéressante. La mesure doit être encadrée et donc réservée aux structures d’exercice coordonné telles que les maisons de santé pluriprofessionnelles.
Avis favorable.
La commission adopte l’amendement. L’article 1er quater est ainsi rédigé.
Article 2 : Extension des lieux d’exercice des infirmiers en pratique avancée et possibilité pour certains infirmiers spécialisés d’évoluer vers ce statut
Amendement AS37 de Mme Sylvie Bonnet
Mme Sylvie Bonnet (DR). À l’alinéa 5, je propose de remplacer « pluridisciplinaire en santé » par « pluriprofessionnelle en établissement ». La rédaction de cet alinéa est problématique et inapplicable car il n’existe pas d’équipe de santé à l’école. Le service de santé scolaire, implanté dans les centres médicaux scolaires et proposant une structuration médico-centrée, a été dissous par le Gouvernement en 1984, à la demande de la représentation nationale qui considérait ce service obsolète, inefficace et inadapté à l’école et à l’évolution de l’état sanitaire des jeunes. La rédaction proposée par cet amendement permet de donner un encadrement juridique conforme au corpus législatif.
Mme la rapporteure. Vous voulez autoriser les infirmiers en pratique avancée à intervenir au sein « d’une équipe pluriprofessionnelle en établissement scolaire », au lieu d’une équipe « pluridisciplinaire en santé scolaire ». En réalité, l’activité des infirmiers en pratique avancée s’exerce plutôt sur un périmètre élargi que restreint. Quand ils travaillent à la prise en charge des enfants, ils peuvent s’en occuper en milieu scolaire, dans les services de l’aide sociale à l’enfance ou de la protection maternelle et infantile, selon les cas. Il ne s’agit pas de spécialiser les infirmiers en pratique avancée ou de réduire leur périmètre d’intervention. Quoi qu’il en soit, la rédaction de l’amendement ne convient pas : un établissement peut être une école primaire, un collège. Il faudrait au moins que l’infirmier en pratique avancée puisse intervenir dans plusieurs établissements d’un même territoire, en liant le scolaire et l’extrascolaire.
Avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendements identiques AS1 de Mme Sandrine Runel, AS29 de M. Yannick Monnet, AS46 de Mme Karen Erodi, AS82 de Mme Christine Loir et AS153 de M. Christophe Bentz
M. Arnaud Simion (SOC). Notre amendement AS1 conserve la consultation de l’Académie nationale de médecine, de la HAS, des ordres des professions de santé et des représentants des professionnels de santé concernés avant l’édiction du décret définissant pour chaque profession d’auxiliaire médical les domaines d’intervention, les conditions et les règles de l’exercice en pratique avancée. Il nous semble important que l’ensemble de ces organismes éclairent le pouvoir réglementaire.
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Nous souhaitons supprimer l’alinéa 8 de l’article 2, qui met fin à la consultation de l’Académie nationale de médecine, de la HAS, des ordres des professions de santé et des représentants des professionnels de santé avant la prise du décret définissant les conditions et les règles de l’exercice en pratique avancée. Toute évolution de la pratique avancée doit être précédée d’une consultation des organisations professionnelles concernées par les délégations de tâches qu’elle implique et des autorités scientifiques chargées de définir les bonnes pratiques en matière de santé.
Mme la rapporteure. J’approuve le rétablissement des consultations. Mais je proposerai ensuite, dans l’amendement AS166, que les avis soient rendus dans un délai de trois mois au-delà duquel l’absence de réponse vaudra accord des organismes concernés. Sans cet encadrement, nous risquerions de ne jamais pouvoir modifier le décret.
Je vous demande de retirer vos amendements au profit du mien.
M. Arnaud Simion (SOC). Trois mois, n’est-ce pas trop court ?
M. le président Frédéric Valletoux. Non. L’administration ne pourra pas saisir un premier organisme, attendre sa réponse, puis en consulter un autre. Toutes les institutions seront sollicitées en même temps et elles sont toutes capables de rendre un avis en trois mois.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’amendement AS166 de Mme Nicole Dubré-Chirat tombe.
Amendement AS154 de M. Christophe Bentz
M. Christophe Bentz (RN). Nous nous opposons à la suppression de la condition d’ancienneté pour exercer en pratique avancée, tant l’expérience semble essentielle dans cette activité.
Mme la rapporteure. Le texte pourrait évoluer car nous souhaitions établir des passerelles entre les formations suivies par les infirmières spécialisées. En l’état, l’exigence quant à la durée d’exercice subsiste.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS144 de M. Frédéric Valletoux
M. le président Frédéric Valletoux. Je propose de préciser que les modalités d’application du II de l’article L. 4301‑1 du code de la santé publique seront prises par décret en Conseil d’État pour garantir le meilleur cadre juridique de la pratique avancée et conforter les règles organisant la formation des infirmiers en pratique avancée ainsi que l’exercice de leur activité.
Mme la rapporteure. L’avis est favorable. Un décret en Conseil d’État sécurisera le cadre juridique.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS167 de Mme Nicole Dubré-Chirat
Mme la rapporteure. Il s’agit d’expérimenter, dans les limites permises par l’article 40 de la Constitution, la possibilité pour les infirmiers en pratique avancée d’exercer dans les services départementaux d’incendie et de secours. Après avoir échangé avec des infirmiers et des sapeurs-pompiers, je suis convaincue de l’intérêt d’une telle mesure. Les infirmiers travaillent déjà de manière autonome dans les services départementaux d’incendie et de secours, mais l’exercice en pratique avancée n’est pas encore autorisé. Il serait intéressant d’expérimenter la levée de cette interdiction.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Qu’est-ce qui empêche un professionnel diplômé d’un master d’infirmier en pratique avancée d’exercer en pratique avancée dans un service départemental d’incendie et de secours ?
M. le rapporteur général. Notre collègue Jean-Carles Grelier a déposé une proposition de loi portant création du cadre d’emploi des personnels de santé des services départementaux d’incendie et de secours. Il me semblait en outre que vous souhaitiez circonscrire le champ de votre texte. Quelle est l’articulation entre les deux textes et quel serait l’impact de la mesure que vous défendez ?
Mme la rapporteure. Je vais retirer l’amendement, afin de le retravailler en vue de la séance publique.
L’amendement est retiré.
Amendement AS168 de Mme Nicole Dubré-Chirat
Mme la rapporteure. Je souhaite que le Gouvernement remette au Parlement un rapport exposant une réflexion d’ensemble sur les cinq mentions créées entre 2018 et 2021 pour la formation d’infirmier en pratique avancée : pathologies chroniques stabilisées, psychiatrie et santé mentale, maladie rénale chronique, oncologie et hémato-oncologie, et médecine d’urgence.
Les infirmiers en pratique avancée possèdent des compétences approfondies et transversales. Ils sont aptes à prendre en charge des patients, mais les mentions créées les rapprochent des frontières de certaines spécialités médicales. Deux mentions sont privilégiées. D’autres sont délaissées et forment très peu d’infirmiers en pratique avancée. Il serait utile de dresser un état des lieux de ces mentions et d’étudier leur adéquation aux besoins des patients.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendements AS102 et AS103 de M. Thierry Frappé
M. Thierry Frappé (RN).Il s’agit de valoriser l’expérience des infirmiers exerçant dans des services à forte technicité, qui ont acquis des compétences essentielles pour la pratique avancée. Souvent confrontés à des contraintes financières, familiales ou géographiques, ils peinent à reprendre une formation longue et parfois éloignée de leur lieu de travail. Par l’amendement AS102, nous proposons une voie d’accès accélérée au statut d’infirmier en pratique avancée pour ces professionnels expérimentés, sous la forme d’une dispense partielle de formation. Un cursus allégé et adapté complétera leurs compétences et facilitera leur adaptation aux exigences spécifiques de la pratique avancée. Cette mesure répond à la pénurie de professionnels de santé qualifiés, en intégrant rapidement des experts tout en maintenant la qualité de la formation. Elle s’appuie sur des dispositifs existants, n’entraîne aucun coût supplémentaire pour l’État et concourt à une meilleure répartition des soins dans le territoire.
L’amendement suivant AS103 a pour objet la valorisation de l’expérience des infirmiers exerçant depuis plusieurs années dans des services à forte technicité, l’objectif étant de faciliter leur accès au statut d’infirmier en pratique avancée. Une telle évolution contribuerait à l’offre de soins en reconnaissant les compétences acquises sur le terrain tout en garantissant un cadre sécurisé pour les patients.
Mme la rapporteure. L’accès à la pratique avancée est conditionné à l’obtention d’un diplôme d’État, à une expérience de trois ans et au suivi d’une formation de deux ans. Mais il est possible de devenir infirmier en pratique avancée grâce à la validation des acquis de l’expérience. Cette voie est peu empruntée mais elle est intéressante car elle repose davantage sur les compétences que sur l’ancienneté. Certaines personnes exercent durant quinze ans dans le même service sans suivre de formation continue ; elles sont moins armées que celles ayant acquis des compétences ouvrant l’accès à la formation. Enfin, l’adoption de l’amendement AS168 permettra de disposer d’un bilan des validations de compétences.
L’avis est défavorable sur les deux amendements.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS86 de Mme Sandrine Dogor-Such
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Vingt et un départements, dont deux situés outre-mer, en Guyane et à Mayotte, ne comptent aucune unité de soins palliatifs. Chaque jour, 500 Français meurent sans que leurs souffrances physiques et psychologiques aient été soulagées. Selon la Cour des comptes, seules 150 000 personnes ont accès aux services de soins palliatifs, alors que 300 000 en auraient besoin et que cette population est appelée à croître de 15 %.
Lors de nos débats sur le texte relatif à la fin de vie, avant la dissolution de l’Assemblée nationale, il était apparu que les infirmiers se plaignaient d’un manque de formation dans les soins palliatifs. L’amendement demande au Gouvernement un rapport sur l’opportunité de créer un sixième secteur d’intervention en pratique avancée sur les soins palliatifs.
Mme la rapporteure. Chaque infirmier peut se diriger vers la formation en pratique avancée. Il existe un diplôme universitaire spécialisé dans les soins palliatifs. L’ouverture d’une nouvelle mention n’est pas à l’ordre du jour car nous souhaitons dresser le bilan de celles qui existent.
L’avis est défavorable.
M. Christophe Bentz (RN). J’en appelle à votre bienveillance pour donner un avis de sagesse sur cet amendement, lequel se contente de demander un rapport. Celui-ci nous semble important car les infirmiers en pratique avancée sont nécessaires pour combler les carences des soins palliatifs dans notre pays. Le texte sur la fin de vie reviendra à l’Assemblée nationale au printemps et il paraît urgent de développer la filière des soins palliatifs.
Mme la rapporteure. Le rapport que remettra le Gouvernement après l’adoption de l’amendement AS168 fera le point sur l’utilité de chaque mention. Dans certains territoires, il existe des équipes fixes et mobiles dédiées aux soins palliatifs. Le besoin en formation continue sur l’approche palliative dans tous les secteurs est élevé. Les infirmiers de soins généraux doivent être formés aux soins palliatifs, même si leur activité ne se résume à ce domaine. Nous ne souhaitons pas créer de spécialité d’infirmier en pratique avancée pour chaque filière médicale.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS94 de Mme Christine Loir
Mme la rapporteure. L’amendement demande un rapport évaluant les modalités de simplification de la nomenclature générale des actes professionnels. Il est nécessaire de simplifier la nomenclature car la mauvaise codification entraîne des récupérations d’indus auprès des infirmiers. Parfois très élevées, elles ne résultent pourtant d’aucune fraude. La réactualisation des actes devra intégrer ce phénomène afin de simplifier la vie des infirmiers et de clarifier les ressources des caisses de sécurité sociale. Je partage votre préoccupation, mais ce problème sera traité.
L’avis est défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Article 3 : Gage de recevabilité financière
La commission adopte l’article 3 non modifié.
Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
*
La commission examine ensuite la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs (n° 783) (Mme Laure Miller, rapporteur).
Mme la rapporteure. « J’ai empêché mes enfants d’aller trop sur les réseaux sociaux avant qu’ils n’aient 14 ans ou 15 ans et j’essayais de suivre ce qu’ils faisaient. Et, je pense qu’il faut en faire plus dans ce domaine. On a été un peu naïfs sur l’impact de ces outils » a déclaré Bill Gates lors d’une interview sur France Inter le 3 février dernier. Malgré un large consensus quant à l’influence délétère des réseaux sociaux sur le bien-être psychique des jeunes gens, force est de constater que ces derniers sont de plus en plus exposés aux réseaux sociaux.
Actuellement, 35 % des jeunes âgés de 7 à 12 ans possèdent un smartphone. Ce taux atteint 89 % entre 13 et 19 ans. Les dernières études de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et de Santé publique France font état d’un temps moyen d’écran quotidien en augmentation continue. Entre 2014 et 2016, il était estimé à 4 heures 11 par jour pour les mineurs. Une étude de l’association e‑Enfance, rendue publique fin 2023, montre que 86 % des jeunes âgés de 8 à 18 ans sont inscrits sur les réseaux sociaux. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a signalé que 45 % des jeunes de 11 et 12 ans étaient inscrits sur l’application TikTok.
Dans le même temps, la santé mentale des jeunes s’impose comme un enjeu majeur de santé publique : sa dégradation fait figure d’inexorable fatalité. La très récente mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques, rapportée par Nicole Dubré‑Chirat et Sandrine Rousseau, a montré que la prévalence des épisodes dépressifs avait augmenté de 77 % entre 2017 et 2021 chez les 18-24 ans. Les jeunes femmes sont particulièrement touchées : les hospitalisations liées aux tentatives de suicide et aux automutilations ont progressé de 133 % depuis 2020 et de 570 % depuis 2007 chez les jeunes filles âgées de 10 à 19 ans. La consommation de médicaments psychotropes par les adolescents et les jeunes adultes a crû de près de 20 % entre 2019 et 2023 et près d’un million de jeunes âgés de 12 à 25 ans ont bénéficié du remboursement d’au moins un psychotrope en 2023.
Dans ce contexte, le réseau social TikTok incarne un paradoxe particulièrement morbide, puisqu’il confronte le public le plus vulnérable aux biais de fonctionnement les plus délétères. En effet, TikTok se distingue par une audience particulièrement juvénile, mais également par la faiblesse remarquable de la modération des contenus et, à l’inverse, par l’amplification de l’exposition aux contenus violents, à caractère sexuel et relatifs à la souffrance psychique.
Selon la commission d’enquête sénatoriale sur l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d’influence, qui a mené ses travaux en 2023, 70 % des utilisateurs français ont moins de 24 ans, et près de la moitié des 16-25 ans sont des utilisateurs quotidiens. Dernier chiffre, les enfants âgés de 4 à 18 ans consacrent en moyenne 1 heure 47 par jour à l’utilisation de TikTok : cela ne peut qu’interpeller, dans la mesure où l’application est interdite en France aux enfants âgés de moins de 13 ans.
Je vais tâcher de vous convaincre que la proposition de résolution que je défends, tendant à la création d’une commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, est non seulement recevable, mais qu’elle est aussi opportune, sinon indispensable.
Selon l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête doit porter sur des faits précis ou sur la gestion d’un service public. On peut difficilement prétendre que ce n’est pas le cas ici, puisqu’il s’agit de se focaliser sur les liens existants entre le paramétrage et les usages d’un réseau social et les répercussions psychiques associées chez une catégorie spécifique d’utilisateurs : l’objet de la commission d’enquête est donc à la fois précis et circonscrit. Je détaille par ailleurs dans mon rapport les différentes hypothèses de travail que la commission d’enquête s’attachera à explorer.
En outre, une commission d’enquête ne doit pas porter sur des faits pour lesquels une procédure judiciaire est en cours. Or la société TikTok fait l’objet de poursuites judiciaires mettant en cause la responsabilité du réseau social dans la dégradation de la santé mentale de plusieurs adolescentes et le suicide de deux d’entre elles. Une action en responsabilité, encore pendante devant le tribunal judiciaire de Créteil, met en cause la société TikTok. Néanmoins, interrogé sur ce point par la Présidente de l’Assemblée nationale, conformément aux dispositions de l’article 139 du Règlement, le garde des sceaux a répondu, dans un courrier en date du 12 février dernier, qu’il n’avait pas « connaissance de procédure en cours susceptible de recouvrir le périmètre de la commission d’enquête parlementaire envisagée ». La commission devra toutefois veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des faits relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire.
Enfin, une commission d’enquête ne doit pas porter sur un objet pour lequel les pouvoirs d’enquête reconnus aux parlementaires ont été mobilisés au cours des douze derniers mois. Depuis le début de la législature, aucune commission d’enquête n’a porté sur les effets psychologiques des réseaux sociaux, ni sur la santé mentale des mineurs. Deux commissions d’enquête en cours abordent la santé mentale des mineurs de manière indirecte : l’une porte sur les violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, et l’autre, que je connais bien pour avoir l’honneur de la présider, étudie les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Toutes deux présentent un lien très indirect avec l’objet de la présente proposition de résolution.
Maintenant que nous avons traité le sujet de la recevabilité, venons-en à la question de l’opportunité d’une commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs.
La commission d’enquête sénatoriale sur l’influence de TikTok n’a pas abordé de manière spécifique les répercussions psychologiques de ce réseau social sur les mineurs. Par ailleurs, elle a rendu ses conclusions en 2023, date relativement lointaine compte tenu de la rapidité de développement des algorithmes et de l’essor de TikTok auprès des jeunes.
La commission d’enquête s’emploiera à confirmer, ou à infirmer, les hypothèses formulées par plusieurs études, lesquelles constitueront autant d’axes de travail.
Tout d’abord, l’application propose-t-elle davantage de contenus dangereux aux individus vulnérables, comme l’affirme une étude publiée en décembre 2022 ? Comparativement à des profils standards, les utilisateurs manifestant un intérêt pour les questions de santé mentale seraient douze fois plus exposés à des vidéos traitant du suicide. L’application encourage-t-elle le passage à l’acte suicidaire et à l’automutilation, comme le dénonce un rapport d’Amnesty International de novembre 2023 ? L’application amplifie‑t‑elle la mise à disposition de contenus hypersexualisés, qui déstabiliseraient les utilisateurs les plus jeunes et favoriseraient le développement de troubles tels que la dysmorphophobie, à savoir le trouble mental qui affecte la perception de son propre corps et notamment de ses défauts, ou encore les désordres alimentaires, comme l’indique le rapport de la commission d’enquête sénatoriale ?
La présente proposition de résolution donne à la commission d’enquête l’objectif de proposer des dispositifs concrets et de grande envergure pour protéger nos jeunes. Elle aura vocation à étudier les outils de captation de l’attention utilisés par TikTok ainsi que leurs effets psychologiques, en particulier sur les mineurs ; elle examinera les risques liés à l’exposition des jeunes utilisateurs aux contenus dangereux et à l’addiction numérique sur la plateforme ; elle proposera des mesures concrètes visant à protéger les mineurs, notamment en matière de régulation des contenus, de sécurité numérique et de modération des pratiques de la plateforme.
Il me semble que ni la recevabilité ni l’opportunité de la proposition de résolution ne font débat, ce dont atteste le nombre relativement élevé d’amendements que vous avez déposés. Je vous appelle donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de résolution, aujourd’hui en commission et la semaine prochaine en séance publique, et à participer activement à ses travaux pour aborder, lors des auditions, l’ensemble des points qui vous intéressent.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Caroline Parmentier (RN). TikTok est un réseau social à part, du fait des ravages qu’il occasionne chez les jeunes et même les très jeunes. En effet, 45 % des enfants âgés de 11 et 12 ans utilisent TikTok, alors que son accès est interdit aux moins de 13 ans. Des enfants âgés de 4 à 18 ans y passent en moyenne 2 heures par jour. Les effets psychologiques de cette plateforme sur les jeunes constituent une menace pour la santé publique.
Grâce à son algorithme de recommandations très performant, TikTok parvient à maintenir des heures durant ses utilisateurs devant leur écran. Cette captation de l’attention, qui tourne à l’addiction, s’accompagne d’une mise en avant et d’un enfermement des utilisateurs dans des contenus dangereux ou hypersexualisés. En novembre 2024, sept familles du collectif Algos Victima ont déposé plainte contre TikTok devant la justice française pour provocation au suicide et propagande ou publicité des moyens de se donner la mort. Parmi les sept adolescentes victimes, deux ont mis fin à leurs jours : Charlize et Marie, qui étaient âgées de 15 ans.
Dans son documentaire sur l’emprise numérique, la réalisatrice Élisa Jadot, qui s’était inscrite sur TikTok avec un profil fictif, dénonce les tutoriels vidéo qui lui indiquaient comment se pendre dans sa chambre. La bulle de filtres de TikTok peut avoir des conséquences dramatiques : harcèlement, dépression, troubles du comportement alimentaire, automutilations et pensées suicidaires. Comparativement à des profils standards, les utilisateurs manifestant un intérêt pour les questions de santé mentale peuvent se voir proposer dans leur fil douze fois plus de vidéos traitant du suicide.
Le groupe Rassemblement National soutient la proposition de résolution et la création d’une commission d’enquête chargée de se concentrer sur les effets de TikTok sur la santé des enfants et des adolescents. TikTok ne fait pas seulement le bruit d’une bombe à retardement, il en est une.
M. Jean-François Rousset (EPR). Je remercie notre collègue Laure Miller de s’emparer d’un sujet essentiel pour la protection des jeunes confrontés à la violence, celui de l’impact des réseaux sociaux. La santé mentale, grande cause nationale de 2025, a connu, selon Santé publique France, une forte dégradation entre 2018 et 2022 chez les enfants âgés de 11 à 17 ans. Environ 15 % des collégiens et des lycéens présentent un risque élevé de dépression. Par ailleurs, 90 % des adolescents âgés de 12 à 17 ans déclarent posséder un téléphone mobile, selon l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. Le temps moyen hebdomadaire passé sur internet par les 13-19 ans dépasse 15 heures.
Dans ce contexte, la création de cette commission d’enquête permettra d’évaluer précisément l’impact négatif du réseau social TikTok sur le développement de la santé mentale des plus jeunes, sachant que ces derniers y passent en moyenne 1 heure 47 par jour. Cette application, qui compte 22 millions d’utilisateurs en France, est souvent caractérisée par un manque d’encadrement, le mésusage des données et la désinformation. L’objectif sera d’identifier les risques liés à son utilisation et d’envisager des mesures de protection des jeunes.
Le groupe Ensemble pour la République soutiendra l’adoption de cette proposition de résolution.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Le constat des effets néfastes chez les mineurs de l’utilisation prolongée et prématurée des réseaux sociaux numériques, notamment de TikTok, fait consensus et je m’en réjouis.
70 % des utilisateurs de TikTok en France ont moins de 24 ans et 40 % des 16‑25 ans l’utilisent quotidiennement. Selon l’Arcom, TikTok est une plateforme qui façonne des habitus socialement différenciés mais propres à une classe d’âge. Comme l’ensemble des réseaux sociaux, elle présente des risques psycho-sociaux, pas simplement psychologiques. Les troubles de santé mentale chez les mineurs sont accentués par l’usage des plateformes numériques, par l’enfermement dans des bulles par le biais de filtres et de dark patterns.
Une commission enquêtant sur ces réalités est donc bienvenue, mais son périmètre nous paraît en l’occurrence insuffisant. Pourquoi se concentrer sur un seul réseau social, quand bien même il est très visible dans l’espace public ? Les reels sur Instagram et sur Facebook fonctionnent pourtant de la même manière et s’en inspirent d’ailleurs. On ne peut pas s’intéresser à l’usage des réseaux sociaux et à leurs conséquences sur la santé mentale des jeunes sans évoquer les Gafam‑X. L’entreprise chinoise a sa part de responsabilité, mais les entreprises américaines doivent également, à notre sens, entrer dans le champ de la commission d’enquête, d’autant plus lorsque le dirigeant de X, officieux numéro 2 de l’exécutif des États-Unis, promet de lever les contrôles et d’accélérer la captation des esprits et lorsque le dirigeant de Facebook fait part de son intention de suivre son exemple. Notre groupe défendra un amendement en ce sens.
Par ailleurs, il nous semble essentiel que le lien avec l’école soit également questionné. Alors que de nombreux pays ont entrepris une éducation à la sobriété numérique dès le plus jeune âge, la France développe de plus en plus l’utilisation du numérique à l’école, édulcorant les discours de prévention dans la promotion de l’éducation numérique.
Au-delà de leurs effets psycho-sociologiques, il faut envisager les réseaux sociaux dans leur globalité. Ce sera le sens de nos amendements.
M. Arthur Delaporte (SOC). « Popops les gars, ils sont devant, on est devant, Coco Pops ! » Vous ne rêvez pas, je viens de vous citer un extrait d’un live TikTok de Julien Tanti – 900 000 abonnés, 5 millions de « J’aime », et sans doute beaucoup, beaucoup de mineurs. À l’instant, Coco Pops et Popops viennent de donner chacun un lion, soit 500 euros, d’un claquement de doigts.
Après la promulgation de la loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, nombre d’entre eux se sont reportés sur TikTok afin de diversifier leurs sources de revenus. Audrey Chippaux décrit parfaitement les mécanismes dans son ouvrage Derrière le filtre : les réseaux sociaux suscitent un sentiment d’appartenance à une communauté, une reconnaissance sociale, de l’adrénaline, mais surtout une escalade des engagements. Chaque don mène à un engagement toujours plus fort, et des mineurs aussi y mettent de l’argent.
Les dangers des plateformes sont évidemment protéiformes. Je suis, comme vous tous, très touché par ces histoires d’enfants qui ont pu attenter à leur vie en raison d’un algorithme pernicieux. Avec Stéphane Vojetta ,nous avons rencontré l’avocate Laure Boutron‑Marmion, qui a fondé le collectif Algos Victima que vous avez cité. Nous soutenons les familles qui en font partie et l’engagement de cette démarche va dans le bon sens.
Toutes les 2,6 minutes, une vidéo sur le suicide ; toutes les 8 minutes, des contenus sur la perte de poids, l’automutilation : cette application représente un danger pour les mineurs, mais pas seulement. C’est un sujet de santé publique, notamment lorsque des tiktokeurs vantent les effets miraculeux de graines pour lutter contre les troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ou certains produits aux vertus amincissantes qui présentent en réalité de graves dangers. C’est aussi un sujet de société lorsque la plateforme déverse des trends antiféministes – je pense à la mode Tradwife. C’est un sujet politique : les ingérences sont nombreuses, et pas seulement dans le cas de la Roumanie. C’est enfin un sujet fiscal, car ce qui est présenté sous la forme de cadeaux constitue bel et bien des revenus.
Bref, le champ est vaste et nous avons besoin d’une commission d’enquête pour garantir un environnement numérique plus sain.
M. Thibault Bazin (DR). Le groupe Droite Républicaine soutient la création de la commission d’enquête et votera la proposition de résolution. Toutefois, plusieurs procédures judiciaires étant en cours, cette commission devra s’abstenir de cibler ces affaires et se focaliser sur le fonctionnement de la plateforme et sur ses effets, notamment sur les mineurs.
Fabien Di Filippo et moi souhaitons évoquer certaines particularités de TikTok qui peuvent accentuer sa dangerosité, comme l’ont montré plusieurs études.
Tout d’abord, l’entonnoir algorithmique a des effets délétères du point de vue cognitif et social, tels que la sédentarité, les troubles du sommeil, les troubles de l’attention, l’anxiété. Il s’agit du réseau social sur lequel les internautes français passent le plus de temps – une heure et demie en moyenne par jour, d’après une étude Ipsos de mars 2023. Des psychologues pointent le caractère addictif de TikTok ; plus inquiétant encore, un rapport de décembre 2022 du Center for Countering Digital Hate révèle que l’algorithme recommanderait des contenus dangereux aux personnes vulnérables.
Deuxièmement, le système de vérification d’âge est défaillant : alors que TikTok est interdit aux moins de 13 ans, 45 % des 11-12 ans ont un compte.
Troisièmement, la régulation manque face aux contenus hypersexualisés et à la désinformation. Une étude de Global Witness avait ainsi révélé que 90 % des contenus de désinformation créés pour l’étude avaient été validés par TikTok.
Quatrièmement, des contenus dangereux tels que des défis risqués ou des incitations au suicide sont mis en avant. Alors que l’année 2025 est dédiée à la santé mentale, comme l’a voulu l’ancien premier ministre Michel Barnier, nous devons réagir face aux vidéos qui incitent à relever des défis particulièrement dangereux ou au fil « pour toi » qui s’ouvre par défaut lorsqu’on lance l’application, qui peuvent entraîner des jeunes dans des spirales de contenus qui idéalisent, voire encouragent les pensées dépressives, l’automutilation et le suicide.
Il y va de la santé de nos jeunes et de leur protection, qui doivent tous nous rassembler.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je salue la volonté de la rapporteure de créer une commission d’enquête sur l’impact psychologique de TikTok sur les mineurs.
Le rapport sur la prise en charge des urgences psychiatriques que j’ai rédigé avec Nicole Dubré-Chirat montre une situation d’urgence. Dans ce cadre, nous avons visité des hôpitaux, discuté avec des soignants, entendu les cris d’alerte des familles et trop souvent, les réseaux sociaux revenaient dans les discussions.
TikTok, Instagram, Snapchat, ces plateformes façonnent le rapport des jeunes à eux-mêmes et au monde, souvent avec une violence inouïe. Les chiffres de la souffrance psychique des jeunes explosent ; ceux des tentatives de suicide chez les adolescentes sont catastrophiques ; la consommation de psychotropes chez les jeunes grimpe en flèche. Ce ne sont pas des statistiques abstraites, ce sont des vies, sur lesquelles TikTok a une influence directe.
En effet, TikTok n’est pas un réseau social comme les autres. Son algorithme hyperpuissant capte l’attention des jeunes comme aucun autre : 1 heure 47 par jour en moyenne chez les 4-18 ans, ce chiffre est effrayant. On peut y scroller à l’infini, regarder des vidéos calibrées pour enchaîner dopamine et frustration, avec pour conséquence une capacité de concentration qui s’effondre, une mémoire qui se fragmente et un sommeil qui disparaît.
Mais surtout, TikTok valorise le culte de l’apparence et de la performance. Il impose des normes inatteignables, amplifie la comparaison sociale, distord l’image des corps. La pression est constante, l’anxiété explose, la dysmorphie et les troubles alimentaires se généralisent. Nous avons croisé beaucoup de jeunes victimes lors de notre tour de France.
TikTok, par un effet de bulle, renforce la vulnérabilité de certains jeunes. Des études ont montré que ceux qui manifestent un mal-être reçoivent douze fois plus de vidéos sur le suicide et l’automutilation que les autres. Cette plateforme, qui se targue de connecter les jeunes, pousse certains à la destruction et à l’autodestruction.
Et que dire de la haine en ligne ! Elle est omniprésente, elle détruit l’estime de soi, enferme dans la peur et l’isolement. Elle ne concerne pas que les jeunes – je suis bien placée pour le savoir – mais pour eux, elle survient au pire moment, celui où l’on construit son identité, où chaque mot peut peser comme une condamnation.
Mon groupe soutient la création de cette commission d’enquête et attend beaucoup de ses conclusions. Nous remercions la rapporteure pour son initiative.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Je remercie Mme la rapporteure d’avoir mis ce sujet hautement important sur la table et en profite pour pousser un coup de gueule.
Au cours des deux dernières années, nous avons eu au moins quatre occasions pour substituer à l’autorégulation des plateformes des normes fixées par l’État : dans la loi visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants, la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, la proposition de loi relative à la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans ou encore la loi sur les influenceurs. Nous avons fait des propositions, par exemple, pour interdire l’inscription sur les réseaux sociaux au-dessous d’un certain âge, qui à chaque fois ont été rejetées. À chaque fois on entend les mêmes discours et mises en garde sur le pire du pire pour nos enfants, mais quand il s’agit de voter, il n’y a plus personne !
Il va falloir passer aux actes. Un rapport, c’est bien. Il nous apportera des chiffres, des informations dont manifestement nous disposons déjà largement. Mais qu’en fera-t-on ? Allons-nous enfin protéger nos enfants ?
Mme la rapporteure. Je remercie l’ensemble des groupes pour leur soutien à cette proposition de résolution. Je suis ravie que nous partagions le constat et manifestions la même inquiétude pour l’avenir de notre jeunesse.
J’entends parfaitement la volonté d’élargir le champ de la commission d’enquête, que traduisent aussi nombre d’amendements.
Vous avez raison, madame Amiot, les travaux d’une commission d’enquête peuvent aboutir à un rapport riche en informations mais qui manque de pistes concrètes pour changer véritablement la donne. Je pense que pour éviter cet écueil, l’objet de la commission d’enquête doit être très ciblé. Plus il sera circonscrit, plus nous pourrons apporter des réponses et faire passer un message simple.
La commission d’enquête a un double objectif. Le premier est de déterminer précisément l’impact de TikTok sur la santé de nos jeunes. Si vous interrogez les gens dans la rue, ils savent que c’est un réseau social mais ils ne savent pas ce qu’il y a derrière ni quels peuvent être ses effets sur les enfants ou des jeunes qui sont vulnérables. La commission doit être l’occasion d’émettre un message politique transpartisan très fort sur le sujet.
Ensuite, il est vrai que, si les discours enjoignant aux pouvoirs publics de réguler les réseaux sociaux pour protéger nos enfants abondent, force est de constater que non, nos enfants ne sont pas protégés. Je me suis amusée à me faire passer pour une mineure en utilisant une photo d’une jeune fille libre de droits, et j’ai pu créer mon compte sans aucune difficulté. Les moyens de modération et les contrôles que TikTok et d’autres réseaux sociaux affichent sont dans les faits très faciles à contourner.
Le second objectif de la commission est d’examiner les possibilités d’intervention très concrètes des pouvoirs publics, y compris du législateur, pour changer la donne et faire en sorte de protéger vraiment nos enfants.
Je conviens bien que d’autres réseaux sociaux posent problème. Si la commission d’enquête trouve les moyens de protéger notre jeunesse et d’interdire TikTok aux plus jeunes, nous pourrons d’ailleurs les répliquer pour d’autres réseaux sociaux. Mais pour être efficaces, nous ne devons pas nous disperser : le temps dont nous disposerons sera très court.
Article unique
Amendement AS18 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). Il s’agit d’ajouter aux missions de la commission d’enquête celle de quantifier le nombre d’utilisateurs, notamment par tranches d’âge. Dans une classe de CM1-CM2 que j’ai visitée, près de 40 % des élèves avaient un compte TikTok. Les chiffres font l’objet de débats, et l’on ne peut pas se fier à ceux de TikTok puisque nombre de jeunes font de fausses déclarations. C’est une question importante.
Mme la rapporteure. Disposer de données de quantification les plus nombreuses et les plus précises possible est effectivement important. Avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS12 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). Il s’agit d’élargir le champ de la commission d’enquête à l’ensemble des plateformes, mais la rapporteure a déjà répondu sur ce point.
Mme la rapporteure. En effet, je vous invite à retirer cet amendement. Je comprends parfaitement votre intention, mais le champ doit être le plus ciblé possible. En outre, TikTok est un réseau social très singulier, avec un algorithme sans équivalent qui enferme le mineur dans une espèce de bulle délétère. Enfin, les réponses que nous aurons apportées pourront, le cas échéant, être transposées aux autres réseaux sociaux.
L’amendement est retiré.
Amendement AS16 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). Cet amendement vise à ajouter une réflexion sur les algorithmes de diffusion d’affrontement verbal de plusieurs utilisateurs, pouvant générer des gains financiers.
Mme la rapporteure. Demande de retrait, car ce sujet sera bien évidemment abordé. Il ne me semble pas utile d’alourdir l’objet de la commission.
L’amendement est retiré.
Amendement AS8 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). Il est important de réfléchir, parmi les effets psychologiques de TikTok, aux pensées et comportements suicidaires.
Mme la rapporteure. Je suis favorable à cet amendement, dans la mesure où il permet d’expliciter l’impact psychologique sur les jeunes, sans être limitatif.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS9 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). Il s’agit d’inclure dans le champ d’investigation les relations intrafamiliales et extrafamiliales. Les réseaux sociaux peuvent en effet avoir des effets désocialisants.
Mme la rapporteure. La formulation n’exclut pas l’étude des effets d’autre nature, donc avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS1 de M. Arnaud Saint-Martin
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Cet amendement vise à étendre le périmètre de la commission d’enquête. En effet, certains mécanismes que vous avez évoqués tels que les algorithmes de renforcement sont communs à tous les réseaux sociaux. Nous pourrons ainsi établir des comparaisons entre les différentes plateformes et mieux comprendre leurs effets spécifiques, cette construction de bulles plus ou moins parallèles dans lesquelles les mineurs vont s’enfermer.
Si nous voulons faire œuvre utile, il faut vraiment élargir le spectre de l’enquête. Cela permettra de comprendre comment fonctionnent les mécanismes auxquels ont recours toutes les plateformes, notamment les dark patterns, ces mécanismes de trucage et de manipulation.
L’idée ne fait pas consensus mais soyons audacieux en nous ouvrant aux autres réseaux sociaux numériques qui partagent nombre de caractéristiques, vous l’avez dit.
Mme la rapporteure. Je m’engage à ce que nous examinions le sujet au cours des auditions. Mais en élargissant le périmètre, nous risquerions de perdre la boussole qui nous permettra de rendre la commission d’enquête la plus concrète et efficace possible.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS2 de M. Arnaud Saint-Martin
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Dans le même esprit, il s’agit d’élargir le périmètre à tous les réseaux sous contrôle des Gafam-X que les adolescents utilisent aussi, de manière peut-être moins massive. Il faudra d’ailleurs quantifier l’usage de ces réseaux, en particulier par classe d’âge.
Les autres réseaux ont recours aux mêmes mécanismes de captation de l’attention et de monétisation – les reels d’Instagram ont été évoqués. Ils produisent tous des effets psycho-sociaux et pas simplement psychologiques. Il serait intéressant d’étudier les interactions qu’ils génèrent et les communautés qu’ils créent. Ces réseaux sont aussi marqués par des stratégies de monopolisation de l’attention idéologique – on pense à X – à destination des jeunes générations.
Une étude comparée de tous les réseaux serait donc très utile.
Mme la rapporteure. Je rappelle que nous disposons d’un temps très limité – six mois, pas un jour de plus – et que la fin de nos travaux coïncidera avec l’été, au cours duquel l’Assemblée est moins active. Le temps étant précieux, il me semble inopportun de nous disperser.
Par ailleurs, les solutions que nous proposerons à l’issue de nos travaux pourront certainement être transposées aux autres réseaux sociaux. Enfin, il me semble nécessaire de nous focaliser sur TikTok car ce réseau est utilisé par un public particulièrement jeune.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS3 de M. Arnaud Saint-Martin
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Il s’agit de souligner l’importance du rôle joué par l’éducation pour sensibiliser les enfants et les jeunes aux mécanismes mis en œuvre par les acteurs du numérique qui peuvent engendrer un risque d’addiction.
En 2021, 63 % des moins de 13 ans avaient un compte sur les réseaux sociaux. Puisque l’usage des réseaux sociaux est de plus en plus précoce, en dépit de son interdiction avant 13 ans, il est impératif d’investir davantage dans l’éducation au numérique et dans la prévention des risques que présentent les différentes plateformes, dont TikTok.
Le code de l’éducation prévoit la formation des élèves à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques. Or, en raison du manque de moyens alloués à l’éducation nationale pour cette mission, mais aussi de la suppression sans concertation de la technologie en sixième et du manque structurel de professeurs pour enseigner cette discipline – c’est l’improvisation permanente –, les élèves ne bénéficient pas d’un enseignement à la hauteur sur cette question cruciale.
Par ailleurs, le recours aux outils éducatifs numériques à l’école, qui a bondi depuis le covid, est de plus en plus précoce. L’amendement invite donc à s’interroger sur le rôle, qui peut paraître paradoxal, de l’école dans le développement des addictions au numérique.
Mme la rapporteure. Je souscris à votre objectif. Toutefois, la prévention et l’apprentissage des usages numériques, deux missions qui ne sont peut-être pas très bien assurées aujourd’hui dans notre pays, feront évidemment partie des sujets abordés lors des auditions – je m’y engage. D’autre part, la rédaction de votre amendement semble préjuger des conclusions de la commission en imposant dès maintenant de « souligner l’importance du rôle de l’école ».
Mon avis sera donc défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS4 de M. Arnaud Saint-Martin
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Il s’agit d’inciter la commission à analyser l’influence psychologique et idéologique de l’ensemble des réseaux sociaux, en particulier de leurs dirigeants, sur les publics les plus jeunes.
Les algorithmes sont biaisés et les dirigeants ont tout loisir de favoriser la diffusion de contenus dangereux ou illégaux, qui peuvent affecter la santé mentale des mineurs, en mettant leur plateforme au service de leurs idées potentiellement nauséabondes.
Le collectif Lutte HSM que j’ai reçu dénonce des groupes masculinistes et racistes, qui s’en prennent à des femmes noires par le biais de communautés sur Twitter et s’adonnent au harcèlement en ligne sans que les signalements n’y changent grand-chose.
Le harcèlement en ligne raciste et sexiste fait des victimes : je pense à Ebony, Aya Nakamura, Léna Situations, Chloé Gervais, Elsa Bois ou encore Laulevy, qui se fait carrément harceler par l’entreprise Body Minute. Ces influenceuses touchent des publics parfois très jeunes, qui assistent à leur harcèlement en ligne, donc à la diffusion d’idées masculinistes et autres.
La commission d’enquête devrait s’intéresser à la responsabilité de chacun des propriétaires des plateformes dans la diffusion des contenus dangereux ou illégaux et proposer des solutions pour réduire leur influence.
Mme la rapporteure. Pourquoi se focaliser sur les seuls dirigeants de ces plateformes ? Des personnalités politiques ou des influenceurs ont aussi une responsabilité dans ce qu’ils peuvent diffuser sur les réseaux.
En outre, les conditions de recevabilité de la proposition de résolution imposent que la commission d’enquête n’empiète pas sur le pouvoir judiciaire. Elle ne sera pas un tribunal où sera accusé tel ou tel dirigeant.
Pour le dire un peu familièrement, l’amendement tape à côté de notre cible, raison pour laquelle j’émets un avis défavorable.
M. Arthur Delaporte (SOC). Pour venir en soutien de cet amendement, si n’importe lequel d’entre nous ouvre X, l’un des quatre premiers tweets suggérés sera un tweet d’Elon Musk ; et il y a une chance sur deux pour qu’il s’agisse d’un tweet de harcèlement, raciste ou problématique. Dans le cas de cette plateforme, l’accaparement par son dirigeant est manifeste. Il est intéressant de pointer de telles logiques, même si elles n’entrent pas complètement dans le champ que vous envisagez pour la commission, car elles ont des effets sur les mineurs.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Pour comprendre ces effets, il faut s’intéresser à la source, à la matrice de ces phénomènes, de ces bulles. Il est dommage d’exclure du périmètre de la commission les mécanismes qui conduisent précisément aux phénomènes que vous entendez documenter.
Mme la rapporteure. Je suis sensible à vos arguments. Néanmoins, le fait de ne pas le mentionner dans le texte de la résolution ne nous empêchera pas d’étudier ce sujet dans le cadre de nos auditions. Nous le ferons évidemment, je m’y engage. Et lorsque nous auditionnerons les responsables de TikTok, vous aurez tout loisir de les interroger.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS29 de M. Thierry Perez
M. Thierry Perez (RN). TikTok est l’une des plateformes les plus prisées par les jeunes Français. En 2023, les enfants y ont passé en moyenne 112 minutes par jour, ce qui en fait l’application la plus utilisée. Un professeur me confiait même que ses élèves de quatrième étaient nombreux à y passer plus de 4 heures par jour. Cette popularité s’accompagne de risques accrus liés à l’exposition à des contenus inappropriés ou dangereux.
L’amendement propose que la commission d’enquête évalue l’efficacité des dispositifs de modération de TikTok ainsi que la qualité de sa collaboration avec l’État français, notamment en ce qui concerne le signalement et le retrait rapide des contenus dangereux. Cette démarche est essentielle pour assurer une protection renforcée de nos jeunes citoyens face aux dangers potentiels du numérique.
Mme la rapporteure. Je partage votre objectif. Nous examinerons évidemment ce sujet dans le cadre des auditions, sans qu’il soit besoin de le préciser. À multiplier les sujets, on risque de laisser croire que ceux qui n’auraient pas été mentionnés sont exclus de fait et de rendre incohérent l’objet de la commission. Le cadre doit rester assez général.
Demande de retrait, ou avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS30 de M. Thierry Perez
M. Thierry Perez (RN). En 2024, l’Italie a infligé une amende de 10 millions d’euros à TikTok pour avoir laissé prospérer des vidéos menaçant la sécurité des mineurs. Au Royaume-Uni, TikTok a été condamné à 12,7 millions de livres sterling d’amende pour des violations de la vie privée d’enfants. Le présent amendement vise à préciser que la commission d’enquête étudiera la responsabilité de TikTok dans la diffusion de contenus dangereux ainsi que la possibilité d’aggraver les sanctions en cas de manquement, surtout concernant de jeunes mineurs. L’objectif est d’inciter la plateforme à adopter des mesures plus strictes pour assurer la sécurité de ses utilisateurs les plus vulnérables.
Mme la rapporteure. Encore une fois, nous aborderons évidemment cette question, mais il ne faut pas alourdir le champ de la commission d’enquête. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS19 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). Il s’agit de préciser qu’il faudra évaluer la politique de prévention menée par le ministère de l’éducation nationale sur les dangers des réseaux sociaux et les moyens qui lui sont affectés. Dans la loi sur les influenceurs par exemple, nous avions ajouté des dispositions au code de l’éducation, s’agissant en particulier de la lutte contre le harcèlement, mais leur application est difficile. Malgré les efforts consentis, par le réseau Canopé notamment, la formation des professeurs avance lentement.
Mme la rapporteure. La commission d’enquête examinera ces aspects mais, pour les mêmes raisons que précédemment, avis défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendements AS7, AS24, AS10, AS26 et AS21 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). Les amendements AS7 et AS24 concernent également le harcèlement scolaire et extrascolaire : cela entre donc dans le champ des travaux de la commission. L’amendement AS10 tend à évaluer l’incidence de TikTok sur la santé physique, l’AS26 concerne les conduites addictives, l’AS21 les pratiques sectaires. Si cela entre dans le périmètre de la commission, je les retire.
Mme la rapporteure. Je vous confirme que nous en parlerons et je vous invite à les retirer.
Les amendements sont retirés.
Amendement AS14 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). Cet amendement vise à évaluer les effets de TikTok sur le champ politique, notamment sur les élections en France. Ils sont massifs : en Roumanie, le candidat à l’élection présidentielle Calin Georgescu atteint 45 % d’intentions de vote dans les sondages contre 5 % il y a quelques mois. Dans un rapport récent, Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, montre les logiques à l’œuvre : l’ingérence peut s’effectuer par le biais des algorithmes, par celui du recrutement de certains influenceurs, mais aussi en ciblant les mineurs pour atteindre les comportements électoraux de leurs parents.
Mme la rapporteure. Avis défavorable.
Nous évoquerons sans doute l’influence de Tiktok sur les opérations électorales, mais le cœur du sujet reste la santé des mineurs – et ces derniers n’ont pas le droit de vote.
M. Arthur Delaporte (SOC). La commission ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur ce sujet, qui est loin d’être anecdotique. De plus, les mineurs sont des citoyens en formation ; ceux qui ont 16 ou 17 ans seront bientôt des électeurs.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS15, AS17 et AS13 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). L’amendement AS15 précise que la commission devra « examiner la conformité au droit fiscal et social français de TikTok, notamment sa juste contribution à l’impôt ». Les problèmes de fiscalité sont réels, qu’il s’agisse d’évitement de l’impôt ou de fiscalisation des revenus des influenceurs, déclarés en dollars. L’argent non perçu pourrait d’ailleurs financer la prévention. L’intérêt d’une commission d’enquête est aussi de rendre accessibles des documents qui normalement ne le sont pas.
L’amendement AS17 ajoute que la commission sera chargée de « qualifier le régime social et fiscal des revenus générés par les créateurs de contenus ». Certaines sommes présentées comme des cadeaux sont en effet des rémunérations. J’ajoute que cela servirait les travaux que je mène avec Stéphane Vojetta pour élaborer la deuxième proposition de loi « influenceurs » : en raison des déports d’Instagram vers TikTok par exemple, les influenceurs vivent de plus en plus de dons ; certains tendent à rendre leur communauté dépendante, provoquant même des dérives sectaires.
L’amendement AS13 concerne lui aussi les revenus.
Mme la rapporteure. Le problème est réel mais on s’écarte de l’objet de la commission d’enquête. Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’utilisation de TikTok évoque largement l’orientation et la stratégie du groupe, et vous pouvez approfondir le sujet avec M. Vojetta.
Avis défavorable.
M. Arthur Delaporte (SOC). Les mineurs sont vulnérables, et on les rend dépendants : le contrôle et la fiscalisation des sommes concernées sont donc loin d’être secondaires. De plus, la commission d’enquête dispose de pouvoirs que M. Vojetta et moi‑même n’avons pas.
Les amendements sont retirés.
Amendement AS20 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). On trouve sur TikTok des produits et des services interdits, notamment parce qu’ils nuisent à la santé. La loi « influenceurs » proscrit par exemple la promotion des actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique, mais malgré les signalements, la plateforme ne retire pas les contenus problématiques. Ses actions en la matière semblent insuffisantes. Cela affecte les mineurs, et la santé publique en général.
Mme la rapporteure. L’amendement est satisfait par la rédaction de l’alinéa 3, qui prévoit que la commission examinera l’exposition des jeunes aux contenus dangereux. Si nous commençons à détailler les contenus concernés, nous risquons d’en oublier.
Je vous suggère de retirer l’amendement.
L’amendement est retiré.
Amendements AS22 et AS25 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). L’amendement AS22 précise que la commission d’enquête évaluera les actions des pouvoirs publics contre les contenus problématiques.
L’amendement AS25 concerne le respect de la propriété intellectuelle. Les influenceurs que j’ai récemment auditionnés se plaignent que leurs vidéos sont découpées et publiées par morceaux, notamment sur TikTok, ce qui provoque des piratages. Or ils ne parviennent pas à obtenir de la plateforme qu’elle retire les contenus piratés.
Mme la rapporteure. Nous pourrons évoquer ces sujets mais le lien est trop indirect pour les mentionner dans le texte. Avis défavorable.
Les amendements sont retirés.
Amendement AS11 de M. Arthur Delaporte
M. Arthur Delaporte (SOC). L’amendement AS11 vise à identifier les raisons pour lesquelles la Commission européenne n’a pas sanctionné TikTok, qui enfreint largement le règlement DSA, relatif à un marché unique des services numériques.
Mme la rapporteure. La question est pertinente mais la commission d’enquête ne peut interférer dans une procédure européenne en cours sans prendre le risque de nuire à la fois à la procédure et à la crédibilité de ses propres travaux. Nous nous intéresserons au rôle de la Commission et à l’organisation de son travail, mais il ne serait pas opportun de l’inscrire dans le texte.
M. Arthur Delaporte (SOC). Je comprends l’argument et je retire l’amendement.
J’ajoute que je retire également l’amendement AS23, qui visait à modifier le titre pour correspondre à l’élargissement du champ de la commission : il est désormais sans objet.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article unique modifié.
L’ensemble de la proposition de résolution est ainsi adopté.
*
Enfin, la commission examine en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements (n° 971) (M. Benjamin Lucas‑Lundy, rapporteur).
M. le président Frédéric Valletoux. À la différence de la proposition de résolution que nous venons d’examiner, notre commission n’a ici pour mission que de vérifier si les conditions requises pour la création de cette commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité. Par conséquent, conformément à l’article 140, alinéa 2, de notre Règlement, aucun amendement n’est recevable.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Je serai bref car il ne s’agit effectivement que d’examiner la recevabilité de cette commission d’enquête, pour laquelle le groupe Écologiste et Social souhaite user de son droit de tirage. Je remercie d’ailleurs mon groupe de poursuivre de cette manière les débats que nous avons eus lors de notre dernière journée d’initiative parlementaire – débats qui n’avaient pu aller à leur terme en raison, sinon de l’obstruction, du moins de la vivacité de M. Di Filippo.
Il nous semble que cette commission d’enquête remplit les conditions de recevabilité fixées par notre Règlement et qu’elle nous permettrait de construire ensemble des diagnostics et des réponses vis-à-vis de ce qui s’annonce comme l’un des drames sociaux de l’année à venir, les plans de sauvegarde de l’emploi, qui ont déjà augmenté de 34,8 % entre 2023 et 2024. Ils sont selon moi favorisés par les choix politiques et économiques faits depuis plusieurs années au nom de la compétitivité et de l’attractivité économique.
Nos investigations permettront d’identifier les responsabilités des pouvoirs publics dans cette faillite sociale et économique qui met en péril l’emploi, l’attractivité et la vitalité de nos territoires, ainsi que notre système productif et industriel. Nous nous attacherons à établir les défaillances dans la gestion des plans de sauvegarde de l’emploi, les dysfonctionnements en matière d’économie et de dialogue social, l’affaiblissement du pouvoir des salariés, et l’impact des réformes successives, ces dernières décennies et particulièrement depuis 2017, du droit du travail et de l’assurance chômage.
Vous serez ravis d’apprendre que le garde des sceaux a indiqué à la Présidente de l’Assemblée qu’aucune procédure en cours n’était susceptible de recouvrir le périmètre de cette commission d’enquête. Elle est également conforme à l’article 138 de notre Règlement, qui interdit d’en créer une qui aurait le même objet qu’une mission ou qu’une commission d’enquête antérieure. J’appelle de mes vœux des auditions et des travaux fructueux, utiles et à même d’apporter des réponses à celles et ceux qui en attendent face à ces plans de licenciements massifs.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Nous sommes très favorables à la création de cette commission d’enquête, qui permettra d’en savoir plus sur les carences et les défaillances de l’action publique s’agissant du contrôle des décisions des entreprises tant en amont des plans de licenciements que pour leur accompagnement.
Cela étant, si la responsabilité des acteurs publics peut être engagée lorsque des grandes entreprises ne maintiennent pas l’emploi dans nos territoires alors qu’elles ont bénéficié du crédit d’impôt recherche ou encore d’exonérations de cotisations et de charges, il y a aussi d’autres questions à se poser, notamment sur l’environnement économique dans lequel ces sociétés évoluent. À cet égard, je serai heureux d’assister à cette nouvelle tentative de réconciliation entre les écologistes et les ouvriers.
Votre responsabilité est lourde en effet dans la situation économique des entreprises et le quotidien des salariés. Longtemps, les écologistes ont fait la guerre au nucléaire, qui nous procure pourtant une énergie abondante, peu chère et décarbonée – ce qui devrait vous faire plaisir. Vous avez fait fermer Fessenheim lors de la présidence socialiste de François Hollande, détruisant ainsi 2 000 emplois. Vous avez refusé d’intégrer le nucléaire dans la taxonomie verte, ce qui a freiné les capacités d’investissement dans cette énergie. Vous avez voté en faveur du pacte vert pour l’Europe au Parlement européen, ou encore de l’interdiction de la vente de véhicules neufs à moteur thermique à l’horizon 2035, qui déstabilise notre industrie automobile. Bref, si vous voulez avoir une chance de reconquérir l’électorat ouvrier et populaire, vous devriez commencer par lui présenter des excuses.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Nous devons déterminer si la commission d’enquête proposée par le groupe Écologiste et Social satisfait aux conditions de recevabilité fixées par notre Règlement. Celle-ci relevant du droit de tirage du groupe, nous n’avons pas à nous prononcer sur son opportunité.
Qu’il me soit néanmoins permis d’évoquer quelques considérations de fond, dans le prolongement des débats que nous avons eus en commission sur la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers, dont M. Lucas-Lundy était le rapporteur. Nos collègues de gauche ont opportunément tendance à oublier que notre modèle de société repose, entre autres, sur la propriété privée et la liberté d’entreprendre. L’entrepreneuriat n’est pas un service public et obéit mécaniquement à des considérations économiques sans lesquelles il n’aurait pas même vocation à exister. Cet élément est important, car ici réside la nuance qui nous distingue.
Cela étant, si nous ne croyons pas en l’État-providence absolu ni aux nationalisations à tous crins, nous ne sommes pas non plus partisans d’un libéralisme sans bornes où régnerait la seule loi du plus fort. Dans ce domaine comme dans d’autres, nous sommes avant tout pragmatiques. L’activité économique doit reposer sur un cadre normatif permettant à la fois de préserver les droits et les aspirations légitimes des salariés et d’inciter celles et ceux qui le souhaitent à entreprendre.
Dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, vous évoquez les conséquences néfastes des licenciements sur l’économie française, mais dans le même temps, vos propositions de loi et celles de vos alliés reviennent à prendre les acteurs économiques à la gorge, ce qui serait substituer un mal à un autre. Si certains plans de licenciements ne sont ni souhaitables, ni légitimes, cela ne signifie pas que tous sont évitables. Nous avons regretté ce manque de nuance lors de la journée réservée à votre groupe et nous continuons de le regretter aujourd’hui.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Je vous remercie de proposer cette commission d’enquête, que nous soutenons évidemment. Alors que Macron avait promis que nous pourrions licencier nos employeurs – souvenez-vous –, la dernière décennie a connu la casse du code du travail et l’inversion des normes, ainsi que l’affaiblissement de la représentation salariale, que ce soit au sein des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou des comités d’entreprise. Les salariés ont pourtant leur mot à dire, notamment dans les orientations stratégiques des entreprises – ou du moins l’avaient. Il est donc temps de regarder de près ces plans de sauvegarde de l’emploi, qui ne sont en réalité rien d’autre que des plans de suppression d’emplois. J’insiste : alors que plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d’emplois pourraient être détruits dans les mois à venir, il est temps de faire la lumière sur ces milliards d’argent public offerts aux entreprises grâce à des dizaines de mécanismes fiscaux, sans la moindre compensation ni engagement de leur part, et sur cette sorte de mutualisation des pertes et du secours aux entreprises qui existe alors que les salariés souhaitant reprendre leur entreprise, eux, ne sont que très rarement aidés.
M. Arthur Delaporte (SOC). Les aides de l’État aux entreprises s’élèvent à 92,4 milliards d’euros – 260,4 milliards si l’on inclut les prêts garantis et les reports de paiement de cotisations sociales après les crises de 2020 et 2022. Ainsi, le montant des aides accordées aux entreprises a représenté 7,3 % du PIB en 2023.
Pourtant, toutes nos circonscriptions figurent sur la carte des emplois menacés en France. Dans la mienne, il y a notamment l’usine Bosch de Mondeville, qui emploie 413 personnes. Meilleure usine de France en 2018, elle va fermer ses portes. À l’échelle nationale, 13 000 postes sont menacés ou supprimés dans la métallurgie, 10 000 dans le commerce, 7 000 dans le secteur public et associatif, 7 000 dans la chimie.
Bien sûr, nous savons l’importance qu’il y a à soutenir les entreprises : c’est un pilier de l’investissement public que nous ne remettons pas en cause. Mais où va l’argent, si les aides ne sont pas conditionnées ? Comment comprendre que les entreprises du CAC40 versent 100 milliards d’euros à leurs actionnaires, soit une augmentation de 8,5 % sur un an, et que, dans le même temps, les plans de licenciements se succèdent ? Ces questions méritent des réponses et cette commission d’enquête est salutaire. Nous répondrons présent.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Derrière les licenciements se posent des questions structurelles pour notre avenir économique. Préférons-nous rémunérer les actionnaires ou les travailleurs ? Le rapport capital-travail évolue-t-il dans le temps ? Est‑il possible de construire une véritable stratégie industrielle, ou le libéralisme se suffit-il à lui‑même ? Comment protéger les pans de notre industrie qui se trouvent fragilisés par les évolutions du commerce en ligne, la lutte contre le réchauffement climatique, ou encore la transformation énergétique ? Comment éviter que certains s’enrichissent des changements pendant que d’autres les subissent et perdent presque tout, à commencer par leur travail et leur situation économique ?
Je remercie donc le rapporteur pour cette commission d’enquête qui permettra de questionner notre stratégie et l’évolution de notre société, mais aussi d’apporter de premières réponses, dans la perspective de futures batailles politiques.
M. le rapporteur. Je ne répondrai pas aux provocations de M. Dussausaye : nous avons eu cette discussion récemment, lors de la journée d’initiative parlementaire de mon groupe. Il me semble simplement que c’est vous qui auriez besoin de vous réconcilier avec les organisations syndicales, que vous injuriez assez régulièrement. Je me réjouis à cet égard que cette proposition de commission d’enquête ait été saluée par les grandes centrales qui, davantage et mieux que vous, portent la parole des salariés qui se battent pour préserver leur outil de production, leur dignité et les territoires dans lesquels ils travaillent.
Madame Dubré-Chirat, il est toujours possible de manquer de nuance et je reconnais m’exprimer parfois avec passion sur ce sujet qui concerne tous les territoires de notre pays, comme Arthur Delaporte l’a rappelé. Près de 300 plans sociaux sont annoncés, 300 000 emplois menacés. Avec la politique de l’offre, le ruissellement, le laxisme et les cadeaux fiscaux à l’égard des grandes entreprises, les crédits d’impôt sans contreparties, bref la magie de la main invisible du marché, on nous avait promis le plein emploi, le bonheur et l’enrichissement. Nous en sommes loin.
La réalité a été rappelée par Sandrine Rousseau. Ce qui manque de nuance, c’est la violence des plans de licenciements décidés par des groupes qui font des bénéfices, qui distribuent des dividendes à leurs actionnaires, qui ont perçu des millions d’euros d’argent public et dont les dirigeants, à l’image de M. de Meo, patron de Renault, s’accordent des augmentations considérables. Oui, un tel fonctionnement génère probablement un manque de nuance dans le débat public.
Je reconnais aussi aborder cette commission d’enquête avec mes convictions. Peut‑être cela nous oppose-t-il, mais je considère qu’il y a la gauche et la droite, et que nous défendons des orientations économiques différentes ; c’est la démocratie. Hier, nous avons rendu hommage au président Jean-Louis Debré, qui rappelait souvent la nécessité de la conflictualité dans le cadre démocratique et parlementaire. Avec cette commission d’enquête, nous confronterons nos points de vue, et surtout nous écouterons ce que les salariés, les chefs d’entreprise, les économistes, les élus des territoires concernés ont à dire. Sur ce fondement, j’espère que nous formulerons des propositions qui cesseront de donner le sentiment que nous sommes impuissants face aux licenciements massifs.
Enfin, je suis tellement nuancé que je peux rappeler certaines positions émanant de ma propre famille politique : le président Mitterrand disant que, contre le chômage, nous avions tout essayé, ou Lionel Jospin disant que l’État ne peut pas tout. Je soutiens pour ma part que nous pouvons beaucoup et que nous n’avons pas tout essayé – je le dis avec toute l’admiration que je porte à ces illustres personnages, qui ont fait bien plus pour l’emploi et la justice sociale que M. Macron.
J’espère que cette commission d’enquête nous permettra de partager les constats et les propositions nécessaires pour œuvrer au service de l’emploi, de notre souveraineté, de notre tissu économique et de nos territoires.
En application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission constate que sont réunies les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements.
La réunion s’achève à dix-huit heures.
Informations relatives à la commission
La commission a désigné M. Thibault Bazin aux fonctions de référent de la commission pour la Haute Autorité de santé.
Présents. – Mme Ségolène Amiot, Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, Mme Sandrine Dogor‑Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. René Lioret, Mme Christine Loir, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Joëlle Mélin, Mme Laure Miller, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Laurent Panifous, Mme Angélique Ranc, Mme Stéphanie Rist, Mme Anne-Sophie Ronceret, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, M. Arnaud Simion, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry
Excusés. – M. Elie Califer, M. Didier Le Gac, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Sébastien Peytavie, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Philippe Vigier
Assistaient également à la réunion. – M. Laurent Croizier, M. Arthur Delaporte, Mme Caroline Parmentier, M. Thierry Perez, M. Arnaud Saint-Martin