Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Table ronde sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100) :
– Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) : Dr Claire Fourcade, présidente ;
– Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) : Pr Éric Serra, président
– Société française de soins palliatifs pédiatriques (SFSPP) : Dr Matthias Schell, président
– Dr Cédric Chaissac, chef de l’unité de soins palliatifs et président du comité d’éthique de l’hôpital Jean Jaurès (Paris) 2
– Présences en réunion.................................13
Mercredi
2 avril 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 62
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à quinze heures cinq.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission auditionne, dans le cadre d’une table ronde sur les propositions de loi relative aux soins palliatifs et d’accompagnement (n° 1102) et relative à la fin de vie (n° 1100), pour la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), le docteur Claire Fourcade, présidente, pour la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), le professeur Éric Serra, président, pour la Société française de soins palliatifs pédiatriques (SFSPP), le docteur Matthias Schell, président, ainsi que le Dr Cédric Chaissac, chef de l’unité de soins palliatifs et président du comité d’éthique de l’hôpital Jean Jaurès (Paris).
Dr Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap). Je m’exprime devant vous en tant que présidente de la Sfap, et la position que je vais exposer est le fruit d’une consultation menée auprès de l’ensemble des acteurs de soins palliatifs en France.
La proposition de loi sur les soins palliatifs appelle plusieurs remarques sur la dénomination. Nous préconisons l’utilisation de la formule « accompagnement et soins palliatifs », afin d’articuler les dimensions sociale et médicale des soins palliatifs. De même, nous privilégions l’appellation « maisons de répit et de soins palliatifs » pour désigner des structures considérées non comme des alternatives à l’hospitalisation, mais des alternatives au domicile, destinées aux patients qui ne peuvent rester chez eux pour diverses raisons.
Les discussions anticipées et le plan personnalisé d’accompagnement constituent pour la Sfap un autre aspect capital. Il est en effet indispensable de mettre en place un accompagnement des patients, et cela requiert un renforcement de la formation initiale et continue des soignants. Une récente étude a montré que les étudiants en médecine générale de dernière année n’avaient reçu en moyenne que sept heures de formation sur la douleur et les soins palliatifs, en neuf ans d’études. 85 % d’entre eux ne se sentent pas aptes à accompagner des patients en fin de vie.
Notre dernière remarque concerne les pratiques sédatives. Depuis janvier, elles sont codées dans le programme de médicalisation des systèmes d’information, permettant de distinguer les sédations proportionnées des sédations profondes et continues. Ce point, déjà mis en œuvre, pourrait être maintenu dans la loi.
La proposition de loi sur la fin de vie soulève davantage de questions. Sur le plan lexical, le titre même mérite réflexion : que signifie en effet « légaliser la fin de vie » ? En outre, si dans l’exposé des motifs est mentionnée la notion « d’ultime recours », le texte lui-même semble orienté vers l’idée de la création d’un nouveau droit. Il est impératif de lever cette ambiguïté : s’agit-il de formaliser un ultime recours pour des situations exceptionnelles, avec des critères très stricts, ou bien de créer un nouveau droit largement accessible ?
Ce texte accorde selon nous une confiance excessive à la médecine, notamment sur le pronostic et l’évaluation du discernement, sans tenir compte de ses limites. De même, il confère un pouvoir décisionnel considérable aux médecins, au détriment de l’équilibre de la relation soignant-soigné et des efforts visant à déconstruire ce pouvoir, ce qui soulève de graves questions éthiques.
Nous attirons également votre attention sur la protection des personnes vulnérables, qui semble compromise par les dispositions actuelles du texte. Celui-ci prévoit en effet une demande orale sans témoin, et qui n’a pas à être réitérée. Cette approche est potentiellement dangereuse. Dans tous les autres pays ayant légiféré sur ce sujet, la procédure est beaucoup plus encadrée, avec des demandes écrites, des témoins, ou l’intervention d’un notaire. En outre, le processus d’évaluation médicale est appauvri : un seul avis médical est requis, puisque le second est consultatif, la procédure collégiale a disparu, et les délais sont extrêmement courts.
La communauté palliative préconise la décodification de ces pratiques, qui ne relèvent pas du soin et ne doivent donc pas figurer dans le code de la santé publique. Nous suggérons l’intervention d’un juge pour valider les demandes et le discernement du patient, comme c’est le cas dans d’autres pays. Nous recommandons également l’instauration d’une clause de volontariat pour les médecins, assortie d’une formation et d’un accompagnement spécifiques.
Enfin, nous demandons instamment la suppression du délit d’entrave. Si cette notion est écrite dans la loi, comment dissuader les personnes de vouloir mourir ? Comment prévenir le suicide, ce qui est le travail d’un psychiatre ? Je citerai pour conclure Elena Chamorro, avocate et militante antivalidiste handicapée : « On crée des lois qui mettent en place deux catégories de personnes : des personnes valides qui bénéficient de la prévention du suicide et des personnes malades et/ou handicapées à qui l’on propose le suicide assisté. »
Pr Éric Serra, président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD). La douleur est un enjeu majeur de santé publique, touchant jusqu’à 30 % de nos concitoyens, et constituant le premier motif de consultation médicale et d’appel aux urgences. En dépit des progrès, et des 274 structures spécialisées en France, sa prise en charge demeure insuffisante. Dans ce contexte, les propositions de loi que vous examinerez offrent l’opportunité de réaffirmer l’engagement de la France pour une prise en charge innovante et ambitieuse de la douleur tout au long de la vie.
La SFETD formule six propositions majeures : reconnaître la douleur chronique comme une maladie à part entière, conformément à la position de l’Organisation mondiale de la santé, et non uniquement comme un symptôme ; développer la formation des professionnels de santé et des acteurs médico-sociaux à la gestion de la douleur, en l’intégrant dans la maquette de formation des spécialités ; intégrer le dépistage et la prévention de la douleur chronique dans les objectifs des rendez-vous de prévention ; renforcer la recherche clinique sur la douleur pour maintenir la position de pointe de la France dans ce domaine ; assurer l’intégration de la douleur chronique dans le plan personnalisé d’accompagnement ; mobiliser toutes les ressources thérapeutiques disponibles contre la douleur, élément clef dans la prévention des situations extrêmes de douleurs insupportables, qui sont l’un des principaux motifs de demande d’aide à mourir.
En synthèse, il nous importe avant tout d’envisager la prise en charge de la douleur tout au long de la vie, et non pas uniquement en fin de vie. La gestion de la douleur doit être intégrée dans l’accompagnement des maladies chroniques, y compris les plus graves. Rappelons que l’on peut mourir de douleur même si l’on est atteint d’une pathologie qui n’est pas mortelle, et que les patients souffrant de douleur chronique sont davantage susceptibles de recourir au suicide.
Dr Matthias Schell, président de la Société française de soins palliatifs pédiatriques (SFSPP). Les soins palliatifs pédiatriques sont souvent négligés dans le débat ; or cette prise en charge concerne des enfants extrêmement vulnérables. Nous prenons en charge majoritairement des enfants en situation de polyhandicap, souffrant de malformations, de problèmes génétiques ou métaboliques, ainsi que des nouveau-nés extrêmement fragiles.
L’incertitude évolutive des cas nous confronte à des enjeux éthiques complexes, et seules des équipes ressources régionales de soins palliatifs pédiatriques sont susceptibles d’apporter une expertise. Or les équipes ressources sont nettement insuffisantes : à titre d’exemple, nous disposons de deux médecins pédiatres, deux infirmières et une psychologue pour la région Rhône-Alpes, qui représente 10 % de la population française. Aussi, renforcer les équipes ressources et structurer la formation des futurs professionnels constituent des priorités absolues, la seconde requérant une véritable universitarisation de cette spécialité.
Il est indispensable d’investir dans les soins palliatifs pédiatriques, afin de clarifier les parcours de soins, de réduire potentiellement les hospitalisations, et d’anticiper la souffrance des enfants et des parents. Ces investissements se traduiront par un bénéfice global pour la santé publique.
Par ailleurs, nous devons dépasser l’opposition traditionnelle entre soins curatifs et soins palliatifs, les seconds étant censés succéder aux premiers. Un modèle intégré et une collaboration étroite entre les sur-spécialités pédiatriques et les médecins de soins palliatifs éviteraient des retards préjudiciables dans la prise en charge des enfants.
Nous préconisons également la création d’unités spécialisées de soins palliatifs pédiatriques. Ces unités favoriseraient paradoxalement plus de décès à domicile, puisqu’il ne s’agit pas d’accompagner la fin de vie, mais de conduire un accompagnement chronique et de permettre aux patients de retourner chez eux et aux familles de gagner en autonomie. De telles unités existent à l’étranger et, sur 128 familles accueillies, seuls huit enfants y sont décédés, les autres ayant pu vivre plus longtemps grâce à l’éducation thérapeutique, aux adaptations et aux prescriptions anticipées. Ces unités spécialisées, en outre, favoriseraient l’accompagnement des familles et contribueraient à la diminution des coûts indirects liés à la dépression, à l’absentéisme et aux arrêts de travail. Aussi, bien qu’elles requièrent un investissement initial important, elles s’avéreront économiquement bénéfiques à long terme.
Le suivi post-décès d’un enfant est également primordial. Actuellement, les familles sont démunies face à cette épreuve traumatisante qu’est la mort d’un enfant. Elles ont besoin d’un accompagnement professionnel pour éviter des situations dramatiques, voire des passages à l’acte.
Du point de vue pédiatrique, les lois Leonetti et Claeys-Leonetti offrent un cadre adapté dans la très grande majorité des cas. Cependant, une évolution législative incluant les mineurs compliquerait l’accompagnement des adolescents, en particulier sur la désignation d’une personne de confiance et la rédaction de directives anticipées.
Enfin, il faut bien mesurer l’impact sur les générations futures d’une telle évolution législative. Les enfants qui grandiraient dans une société où donner la mort ou se donner la mort serait autorisé, pourraient développer une vision radicalement différente de la vulnérabilité, du soutien et de la solidarité.
Dr Cédric Chaissac, chef de l’unité de soins palliatifs et président du comité d’éthique de l’hôpital Jean Jaurès (Paris). Je salue l’élaboration d’une loi portant sur les soins palliatifs, une discipline médicale porteuse d’un immense potentiel d’innovation et de bienfaits, et qui devraient être accessible à tous, puisque chacun est concerné. Nous savons en effet que les soins palliatifs ajoutent de la vie aux jours, ce qui, souvent, ajoute des jours à la vie, l’espérance de vie dépendant aussi de la qualité de vie.
Notre perception de ce qui est acceptable, tolérable et digne pour nous-mêmes évolue tout au long de notre vie, et je me garde bien de présumer des désirs d’autrui lorsqu’ils sont condamnés par la maladie. À un patient qui m’interrogeait sur l’utilité du délai entre l’endormissement et le décès, j’ai répondu que cela protégeait l’équipe soignante et la société. En effet, ce délai aléatoire préserve l’intentionnalité des soignants et permet au patient de respecter ses éventuelles croyances religieuses en ne choisissant pas l’heure précise de sa mort. Cependant, j’estime que ce temps d’attente, s’il n’est pas souhaité par le patient, n’est pas indispensable à une fin de vie sereine.
L’évolution de la loi comporte des écueils potentiels. Pour y remédier, le texte peut être amélioré concernant le parcours du patient, de la demande à la réponse. Cette demande devrait être adressée à un médecin habilité, responsable du parcours, et enregistrée dans un registre national afin de déclencher la procédure et la rendre opposable. Le recours à deux évaluations par une équipe pluridisciplinaire de soins palliatifs me semble également indispensable, afin d’attester que la souffrance du patient reste réfractaire alors que toutes les ressources disponibles ont été épuisées.
Je me suis rendu dans une unité de soins palliatifs au Luxembourg, où une loi comparable à celle que vous étudiez est en vigueur depuis 2009. J’y ai rencontré des équipes sereines, malgré leurs réticences initiales similaires à celles exprimées en France. L’aide active à mourir y est intégrée à l’offre palliative, elle est rarement pratiquée et n’est plus remise en question.
Mme Annie Vidal, rapporteure. Au fil de nos auditions, nous voyons bien la nécessité d’une complémentarité entre les deux propositions de loi, si elles sont votées, au regard de l’intégration de l’aide active à mourir dans les soins palliatifs. J’aimerais connaître votre sentiment à ce sujet.
Aujourd’hui, lorsqu’un patient émet une demande de mort, on suppose qu’il réclame la sédation profonde et continue jusqu’au décès qu’autorise la loi. Mais demain, si la loi est votée, comment les médecins distingueront-ils une demande de sédation profonde et continue jusqu’au décès, d’une demande de produit létal à ingérer ou à injecter ?
Professeur Serra, quelles sont les limites médicales de la prise en charge de la douleur ? Comment évaluez-vous et traitez-vous les douleurs psychologiques ?
Enfin, je tiens à remercier le docteur Schell pour sa description de l’approche palliative en pédiatrie, un sujet peu évoqué et délicat.
M. Olivier Falorni, rapporteur général. Bien que la question des soins palliatifs ne soit pas inscrite dans le texte dont je suis le rapporteur, et que ce texte écarte les mineurs de l’aide active à mourir, nous tenions à aborder le traitement de la douleur et à faire connaître les soins palliatifs pédiatriques.
Je souhaite vous interroger sur la notion de clause de conscience d’établissement. Lors de leur audition, les représentants des ordres et de l’Académie nationale de médecine ont souligné le caractère personnel de la clause de conscience. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Enfin, je tiens à préciser, docteur Fourcade, que l’aide active à mourir n’a absolument pas vocation, en aucun cas, à être proposée par le corps médical. De plus, les médecins ne décident pas mais valident le processus s’il entre dans le cadre défini par le législateur, ce qui est fondamentalement différent. Pourriez-vous clarifier votre position sur ces points ?
Dr Claire Fourcade. Le débat ne porte pas sur l’existence des demandes de mort : ces demandes sont une réalité, indépendamment de l’évolution législative. Elles exigent une écoute attentive et un respect absolu, sans jugement. Dans notre pratique, nous les considérons toujours comme une urgence, un signe de grande souffrance. Ces demandes sont souvent ambivalentes, fluctuantes, elles peuvent apparaître puis disparaître. Dès lors, il nous appartient de prendre le temps d’explorer le pourquoi avant de nous précipiter sur le quand ou le comment.
La diversité des points de vue est non seulement souhaitable mais nécessaire. Elle réclame de dissocier l’opinion personnelle des médecins de leur disposition à mettre en pratique l’aide active à mourir. L’expérience canadienne est éclairante à cet égard : 70 % des médecins étaient favorables à la loi, mais actuellement seuls 1,9 % acceptent de la mettre en pratique. En France, une enquête menée auprès des acteurs de soins palliatifs révèle que seulement 4 % des non-adhérents à la Sfap et 2 % des adhérents se disent prêts à pratiquer un geste d’aide active à mourir.
Monsieur Falorni, j’ai évoqué la proposition de suicide assisté dans le cadre d’une citation. Mais celle-ci met l’accent sur la manière dont la loi, en tant que message collectif, est reçue par les patients. La question adressée à la société ne porte pas sur la demande de mort elle‑même, qui doit être écoutée, mais sur la réponse que l’on choisit collectivement d’y apporter. Nous vivons aujourd’hui dans une société qui dit : la vie de chacun compte. Demain, certains pourraient éprouver le sentiment que la société leur dit : vous faites partie d’une catégorie de personnes dont nous pensons qu’il pourrait être préférable qu’elles soient mortes plutôt que vivantes. Il faut bien mesurer les conséquences psychologiques de ce message sur des personnes vulnérables, qui pourraient l’interpréter comme une incitation à mourir.
Pr Éric Serra. Il est évident que ni la médecine, ni la société ne pourront jamais totalement éliminer la souffrance ou la douleur. La qualification de douleur réfractaire résulte parfois d’une compréhension incomplète de l’origine de la douleur ou d’une utilisation inadéquate des traitements disponibles. Les innovations thérapeutiques les plus significatives ne sont pas toujours les plus spectaculaires et résident dans l’amélioration et l’optimisation des structures et des pratiques existantes. Les ressources thérapeutiques sont disponibles, et l’enjeu principal réside dans leur utilisation optimale et leur accessibilité. La stratégie décennale prévoit notamment la mise en place de plateformes interventionnelles d’analgésie, qui permettront à de nombreux patients d’accéder à des ressources thérapeutiques avancées.
Par ailleurs, les approches non médicamenteuses, telles que l’hypnose ou la relaxation, sont susceptibles de produire des effets remarquables, et je suis convaincu que les soignants devraient être formés à ces pratiques. De même, les patients en fin de vie, même sur leur lit de mort, peuvent bénéficier de techniques d’activité physique adaptée. Enfin, l’accompagnement psychologique est naturellement déterminant.
La douleur est une expérience à la fois sensorielle et émotionnelle, et la souffrance psychique est très fréquemment à l’origine de la demande d’euthanasie. Or cette souffrance psychique peut parfois faire l’objet d’un traitement médical.
Dr Cédric Chaissac. Je voudrais insister sur le caractère individuel de la clause de conscience. Le seul intérêt, selon moi, d’une clause de conscience d’établissement serait de permettre aux patients d’identifier et d’éviter les établissements qui ne seraient pas en mesure de répondre à leurs demandes.
M. Thibault Bazin (DR). Docteur Fourcade, vous avez rappelé que le discernement était susceptible, certains jours, d’être altéré. Le texte prend-il suffisamment en compte cette notion de variabilité selon vous ? Ne faudrait-il pas prévoir des évaluations répétées ?
Professeur Serra, la proposition de loi diffère du projet initial en mentionnant une « souffrance physique ou psychologique », plutôt que « et psychologique » dans le cadre d’une maladie grave et incurable. Quelles sont, selon vous, les implications de ce changement ?
Docteur Schell, vous avez évoqué l’impact potentiel sur les enfants, possiblement sur plusieurs générations. En tant que législateurs, quelle responsabilité prenons-nous si un tel impact transgénérationnel se confirme ? Si l’on supprime l’incitation au suicide tout en légalisant une forme d’aide active à mourir, quel impact sur la perception du suicide, notamment chez les jeunes adultes, pourrait-on redouter ? Par ailleurs, ne devrions-nous pas prévoir une spécificité de soins palliatifs pédiatriques pour les enfants en situation de handicap ?
Enfin, j’aimerais recueillir l’avis des intervenants sur l’alinéa 12 de l’article 6, qui prévoit que le délai peut être abrégé à la demande de la personne pour préserver sa dignité « telle qu’elle se la conçoit ». Cette formulation ne remet-elle pas en question le principe d’une dignité inaliénable, indépendante de la vulnérabilité de la personne ? Comment interpréter et appliquer ce critère ?
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Docteur Fourcade, vous avez parlé de « déconstruire le pouvoir du médecin ». Pourriez-vous développer ce point ? Vous avez conclu votre propos en vous interrogeant sur les moyens de dissuader les personnes qui souhaitent mourir. Il me semble que l’objectif n’est pas de dissuader, mais plutôt d’écouter et de comprendre la demande du patient.
Professeur Serra, comment accélérer les progrès dans le traitement de la douleur, afin d’éviter que des patients ne décèdent dans des conditions inacceptables de souffrance non soulagée ?
Concernant la formation, j’aimerais savoir si les intervenants sont favorables à une formation spécifique. Compte tenu de la difficulté d’intégrer tous les aspects dans la formation initiale, ne serait-il pas plus pertinent de mettre l’accent sur la formation continue, notamment lorsque les professionnels s’orientent vers les soins palliatifs ? Ne devrions-nous pas valoriser davantage les diplômes universitaires suivis par les infirmières qui choisissent cette spécialité ?
Mme Hanane Mansouri (UDR). Ma première question porte sur l’exposé des motifs, qui mentionne une « horreur de la mort naturelle ». Comment, sur la base de votre expérience, définiriez-vous l’agonie ? Existe-t-il des innovations thérapeutiques permettant d’atténuer la douleur supposément atroce de l’agonie ?
L’euthanasie repose principalement sur une relation bilatérale entre le médecin et le patient, bien que celui-ci puisse consulter d’autres soignants. Quel est l’impact psychologique de cette relation sur les familles non consultées, et potentiellement passibles de sanctions pénales si elles tentaient de dissuader leur proche d’y recourir ?
Enfin, alors que la santé mentale des jeunes est érigée en grande cause nationale, êtes‑vous inquiets d’un possible élargissement futur de l’euthanasie aux mineurs ?
M. Laurent Panifous, rapporteur. Docteur Fourcade, vous redoutez que le texte sur l’aide active à mourir véhicule un message collectif négatif. Ce message ne peut-il pas être perçu, au contraire, comme un message d’autonomie et de liberté de choix ? Par ailleurs, pourriez-vous citer des exemples concrets de ces critères que vous jugez imprécis ?
Docteur Chaissac, quel impact l’introduction du droit à l’aide active à mourir aurait‑elle sur l’activité d’une unité de soins palliatifs ?
Nos auditions préparatoires ont mis en évidence le déficit de formation en matière d’accompagnement de fin de vie et de soins palliatifs pour l’ensemble des professionnels de santé. À ce propos, je tiens à mentionner que mon groupe avait déposé un amendement, adopté en commission, visant à créer un diplôme d’études spécialisées en soins palliatifs. Bien qu’il ait été rejeté en séance, nous le redéposerons, parce que nous considérons les soins palliatifs comme une spécialité à part entière.
M. Christophe Bentz (RN). J’ignore si les partisans de l’euthanasie se rendent compte à quel point les soins palliatifs constituent une révolution médicale, sociale, et profondément humaine. Les propositions de loi que nous examinons interrogent fondamentalement la nature du soin et de l’accompagnement. Le soin implique le secours à la personne, l’attention portée au corps et la protection de la vie. Or ces principes semblent en contradiction avec l’idée d’une mort provoquée ou administrée par une dose létale. Dès lors, en quoi les soins palliatifs ne peuvent-ils pas répondre à l’ensemble des pathologies incurables et des situations de fin de vie ?
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Dans un arrêt du 29 avril 2002, la Cour européenne des droits de l’homme souligne combien la frontière entre les personnes capables de se suicider sans assistance et celles qui en sont incapables est susceptible d’être ténue. Aussi, inscrire dans la loi une exception légale pour les personnes incapables de se suicider pourrait fragiliser la protection de la vie et accroître significativement les risques d’abus.
Que vous inspire cette jurisprudence européenne au regard de la lutte contre le suicide ? Comment envisager l’articulation entre une politique de prévention du suicide et une légalisation du suicide assisté ?
Concernant la sédation profonde et continue, des médecins m’ont expliqué que le décès résulte de l’évolution naturelle de la maladie, la sédation visant à éviter la souffrance à court terme. Ils ont précisé que le patient serait déjà en phase de perte d’appétit et de sensation de soif. Par ailleurs, l’apparence du malade à l’agonie ne serait pas nécessairement liée à une souffrance. Pouvez-vous apporter des précisions à ces sujets ?
M. Philippe Juvin (DR). J’aimerais revenir sur le défaut de la collégialité qu’a souligné le Dr Fourcade. Quelles dispositions permettraient selon vous, docteur, de s’assurer d’une réelle collégialité dans la prise de décision ?
L’aspect parfois fluctuant des demandes de mort a également été relevé. À cet égard, les délais requis pour l’accord du médecin et l’ultime réflexion du patient sont-ils compatibles avec cette fluctuation ?
Enfin, le débat sur l’accès aux soins palliatifs n’occulte-t-il pas la question économique et sociale, au sens où la situation des personnes en difficulté sur le plan socio-économique, et notamment les personnes isolées, n’est pas envisagée ? J’aimerais connaître le sentiment des intervenants sur l’importance du facteur de l’isolement social et de la pauvreté dans les demandes de morts.
Mme Élise Leboucher, rapporteure. Nous parvenons à la fin de nos auditions, et il me semble que certains propos entendus ici ont été oubliés. Ainsi M. Claeys a reconnu lui‑même que la loi qui porte son nom ne répond pas à toutes les situations.
Nous avons également entendu des intervenants établir un lien entre le délit d’entrave et la prévention du suicide. Selon moi, il s’agit de deux choses totalement différentes, sans relation de cause à effet. J’en veux pour preuve que dans les pays où l’aide à mourir a été légalisée, aucune évolution flagrante du taux de suicide n’a été constatée.
Dr Cédric Chaissac. L’accès universel aux soins palliatifs doit primer sur toute décision d’aide active à mourir, parce que les soins palliatifs peuvent résoudre une demande d’aide à mourir en soulageant le symptôme qui rendait la vie insupportable. C’est pourquoi il est impératif qu’une équipe pluridisciplinaire s’assure que toutes les options de soins ont été proposées et rendues accessibles au patient, afin de prévenir toute disparité due à l’inégalité de l’accès aux soins palliatifs, et à garantir que le patient ne soit pas privé de la possibilité d’en bénéficier.
L’introduction d’une loi sur l’aide active à mourir aurait certainement des répercussions significatives dans une unité de soins palliatifs, particulièrement au moment de son entrée en vigueur. Au Luxembourg, les équipes soignantes ont d’abord exprimé des réticences, certains refusant d’être présents lors d’une euthanasie. Puis ces appréhensions se sont rapidement atténuées, et les soignants que j’ai rencontrés par la suite semblaient avoir trouvé une certaine sérénité face à cette pratique. En outre, et paradoxalement, l’introduction de la possibilité du recours à l’aide active à mourir pourrait stimuler davantage les équipes de soins palliatifs à redoubler d’efforts pour répondre aux besoins des patients.
Prétendre que les soins palliatifs sont en mesure de soulager toutes les souffrances serait accorder à la médecine une forme de toute-puissance qu’elle n’a pas. Il est illusoire de penser que toute demande d’aide à mourir s’éteindrait systématiquement après le passage en soins palliatifs. Certaines douleurs, notamment psychologiques, liées à la confrontation avec la maladie, la fin de vie et la séparation des proches, demeurent inévitables. Ouvrir un droit à l’aide active à mourir n’effacerait pas ces souffrances, mais offrirait un choix sur la manière de vivre ses derniers moments.
Enfin, l’absence de sensation de soif et de faim ne constitue pas un critère pour accéder à une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès. Cette procédure consiste à plonger le patient dans un sommeil profond, équivalent à un coma artificiel, et veiller à ce qu’il bénéficie du plus grand confort possible. Nous ne sommes pas en mesure de connaitre avec certitude l’expérience vécue par le patient à ce moment-là, puisque la procédure n’est pas réversible.
Dr Matthias Schell. Je m’efforcerai de répondre à la question portant sur les délais en partant de mon expérience de pédiatre. Il est difficile d’évaluer avec certitude la nature des demandes d’adolescents en cancérologie. Je suis convaincu que lorsqu’ils sollicitent une sédation profonde, ils ne demandent pas nécessairement une euthanasie ou une aide active à mourir. Si ce droit existait, ces jeunes patients, dont les facultés cognitives ne sont généralement pas altérées et qui font souvent preuve d’une maturité accélérée, seraient probablement capables de faire la distinction entre ces différentes options.
Certains jeunes patients expriment même des idées suicidaires, affirmant vouloir choisir leur « sortie » plutôt que succomber à la maladie. D’autres s’enquièrent de la possibilité d’obtenir des médicaments létaux. Mais ces jeunes peuvent changer d’avis si on leur accorde le temps nécessaire. Il importe de comprendre que le refus de vivre dans certaines conditions ne signifie pas nécessairement un désir de mourir. Si nous parvenons à modifier leurs conditions de vie ou à leur donner le temps de parvenir à une forme de résilience, ils peuvent trouver un nouveau sens à leur existence.
C’est précisément pour cette raison que le délai et l’approche pluridisciplinaire sont cruciaux, car il faut se garder d’apporter une réponse trop rapide et par nature irréversible à une demande d’aide à mourir. Aussi, les délais actuellement envisagés me semblent beaucoup trop courts pour les jeunes patients, étant donné la fluctuation non pas de leur discernement, mais de leur volonté face à des conditions de vie initialement jugées inacceptables.
Dans un état de sommeil profond, la sensation de soif, par exemple, n’est pas perçue consciemment. Des études montrent qu’en phase agonique le cortex, siège de la conscience, n’est plus alimenté. On pourrait donc supposer qu’une personne dans cet état n’est pas en conflit avec son propre cerveau et ne perçoit pas de souffrance. Le décès survient alors des suites de la pathologie sous-jacente, et non de la privation de nutrition.
En pédiatrie, nous constatons souvent que les parents semblent souffrir davantage de voir leur enfant mourir, que l’enfant lui-même. Je crains que cette souffrance des proches ne conduise à des demandes, non pas d’euthanasie, mais d’accélération de la fin de vie par un tiers. Autrement dit, une demande qui n’émane pas de la volonté de l’enfant, mais de celle de proches souffrant de voir leur enfant entré dans un processus de mort. C’est pourquoi il importe, en pédiatrie, de distinguer la souffrance de l’enfant de celle de ses parents.
Pr Éric Serra. En médecine, nous considérons la souffrance psychologique comme un symptôme susceptible d’être médicalisé et traité. La dépression chronique est-elle une maladie incurable justifiant une aide active à mourir ? Je crois qu’il convient de tenir compte des fluctuations de la souffrance, des avis des patients et de leur autonomie. J’ai personnellement rencontré des patients exprimant un désir de mourir tout en manifestant une forme d’attachement, très fort, à la vie.
La loi Claeys-Leonetti ne répond pas à toutes les situations, comme l’ont reconnu eux‑mêmes ses auteurs. Cependant, elle constitue un cadre précieux, bien que parfois méconnu.
À propos de la formation, les progrès réalisés sur la formation initiale restent insuffisants. La formation continue offre des perspectives intéressantes, notamment à travers des méthodes interactives permettant de confronter les professionnels de santé à des situations complexes. La spécialisation pourrait être envisagée à l’avenir mais, en attendant, il est essentiel de renforcer l’universitarisation de ces domaines, en formant des universitaires spécialisés dans l’accompagnement de fin de vie, la gestion de la douleur et une approche globale de la médecine.
Dr Claire Fourcade. L’agonie est un sujet rarement abordé avec attention. Les représentations de ce moment ultime sont souvent empreintes de violence et d’appréhension. Pourtant, notre expérience clinique nous enseigne qu’il s’agit généralement d’une période plutôt paisible. On observe le plus souvent une fragilisation et un affaiblissement progressifs, accompagnés d’une somnolence croissante, jusqu’à un sommeil continu et un coma plus profond. La vie s’éteint souvent doucement, sans violence. Faire connaitre cette réalité permettrait sans doute d’atténuer les angoisses et d’éviter le recours précipité à des solutions radicales.
La loi actuelle nous impose déjà de prendre tous les risques nécessaires pour soulager, y compris si cela peut raccourcir la vie. Il est important de le rappeler.
En matière de formation, un équilibre doit être maintenu entre l’expertise universitaire et l’expérience des médecins qui s’orientent vers les soins palliatifs, une discipline qui, en France, est née en réaction au pouvoir médical et à son approche technique qui parfois appréhendait les patients comme un ensemble d’organes plutôt que comme des patients. La pratique de la médecine palliative est consubstantielle à une position d’humilité et à l’engagement d’assurer une présence constante jusqu’au terme. Cette posture engendre une relation soignant-soigné unique, potentiellement bénéfique pour l’ensemble de la pratique médicale.
À M. Juvin qui me demande des exemples de critères imprécis, je citerai la formulation « maladie en phase avancée ou terminale avec un pronostic vital engagé », une définition extrêmement vaste. Littéralement, les affections de longue durée, qui concernent treize millions de Français, pourraient toutes satisfaire ce critère si aucun horizon temporel n’est spécifié. On pourrait même arguer que la vie elle-même engage le pronostic vital.
Il est illusoire de prétendre répondre à des situations exceptionnelles avec des critères aussi larges que ceux actuellement proposés. En réalité, nous ouvrons un nouveau droit et nous levons les obstacles à son exercice. Il est important de poser le débat en ces termes.
Le message collectif véhiculé par la loi a un impact considérable sur la façon dont chacun se perçoit et sur la place que chacun occupe dans la société. De nombreux patients demandant à mourir expriment la crainte de devenir un fardeau pour leurs proches ou se sentent isolés. À cet égard, l’expérience canadienne est particulièrement instructive. Lors de l’adoption de la loi en 2016, les Canadiens anticipaient moins de deux cents cas par an. Aujourd’hui, on en dénombre dix mille, soit 4,7 % des décès, et jusqu’à 7,3 % au Québec. Et dans ces cas, on constate une surreprésentation des personnes en situation de précarité ou de handicap.
30 % des Canadiens considèrent que le fait d’être sans domicile fixe constitue une raison suffisante pour demander l’aide médicale à mourir. Ce chiffre alarmant illustre mieux qu’un autre l’impact profond de la loi sur les mentalités et la perception sociétale de la mort. Il nous oblige à réfléchir profondément à la société dans laquelle nous souhaitons vivre et au message que nous voulons transmettre aux patients.
M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie, madame et messieurs, d’avoir répondu à nos questions.
La réunion s’achève à dix-sept heures.
Présences en réunion
Présents. – M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, M. Elie Califer, Mme Josiane Corneloup, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Michel Lauzzana, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, Mme Hanane Mansouri, M. Laurent Panifous, Mme Angélique Ranc, M. Jean Terlier, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal
Excusés. – Mme Anchya Bamana, M. Didier Le Gac, Mme Karine Lebon, M. Jean‑Philippe Nilor
Assistaient également à la réunion. – Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. René Pilato