Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à mettre en place un registre national des cancers (n° 119) (M. Michel Lauzzana, rapporteur) 2
– Examen de la proposition de loi pour la relance d’une politique nataliste (n° 1412) (M. Bartolomé Lenoir, rapporteur) 14
– Informations relatives à la commission......................35
– Présences en réunion.................................36
Mercredi
18 juin 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 95
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
— 1 —
La réunion commence à neuf heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission procède à l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à mettre en place un registre national des cancers (n° 119) (M. Michel Lauzzana, rapporteur).
M. Michel Lauzzana, rapporteur. Je suis ravi que nous examinions aujourd’hui la proposition de loi visant à créer un registre national des cancers. Alors que nos collègues du Sénat l’ont adoptée en 2023, voilà deux ans que son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale était en souffrance. À la faveur d’une question que notre collègue Aurélien Rousseau a posée au Gouvernement le 3 juin et d’une réponse du ministre Yannick Neuder, c’est désormais chose faite.
Vous le savez, les cancers sont un fléau : 433 000 nouveaux cas ont été recensés en France pour la seule année 2023. Ils sont la première cause de décès chez les hommes et la deuxième chez les femmes. Ils entraînent 162 000 décès annuels, soit environ un décès sur quatre en France. Nous ne pouvons pas nous habituer à ces chiffres. Face à eux, nos outils sont connus : prévention, surveillance, dépistage ou traitements précoces. Tous impliquent de mieux connaître la maladie et de cerner ses déterminismes. Pour ce faire, nous disposons de registres épidémiologiques qui consistent à recueillir au sein d’une population géographiquement définie des données individuelles nominatives sur un ou plusieurs événements de santé tels que les cancers. Au nombre de trente-trois en 2025, ces registres sont de nature différente : dix-neuf sont généraux, douze sont spécialisés et deux sont nationaux – centrés sur les cancers de l’enfant, l’un sur les tumeurs solides et l’autre sur les hémopathies.
Pourquoi souhaitons-nous faire évoluer cette organisation ? Le constat est clair : comme les données médico-administratives ne peuvent apporter à elles seules suffisamment de précisions, les registres dont nous disposons ne nous permettent pas de disposer d’éléments sur l’ensemble de la population française, à la différence de la plupart de nos voisins européens. Au contraire, les nôtres sont établis à partir d’extrapolations tirées des registres généraux existants, lesquels couvrent moins d’un quart de la population nationale. Cela nous empêche de disposer d’une connaissance fine et exhaustive des cancers, lacune qui réduit notre capacité à les combattre. La population suivie par les registres est plus rurale que la moyenne française. Or les zones rurales sont moins exposées aux pollutions que les zones urbaines. Ce type de biais dessine un panorama biaisé des cancers en France, lequel grève nos efforts de surveillance, de prévention, de dépistage et de traitement partout dans le pays. Nous sommes nombreux à avoir posé ce constat, de l’Académie nationale de médecine à l’Inspection générale des affaires sociales, en passant par de nombreux acteurs associatifs, administratifs et scientifiques.
Quelles évolutions la proposition apporte-t-elle ? En modifiant l’article L. 1415-2 du code de la santé publique et en insérant un nouvel article L. 1415-2-1, l’article unique crée un registre national des cancers et en attribue la gestion à l’Institut national du cancer (Inca). Ce registre national a pour objet de centraliser les données populationnelles relatives à l’épidémiologie et aux soins des cancers, afin d’améliorer la prévention, le dépistage, le diagnostic et la prise en charge des patients. À ces fins, il est prévu que l’Inca mette les données à la disposition d’organismes publics ou privés pour la réalisation de recherches, d’études ou d’évaluations en cancérologie. L’article unique permet en outre à l’Inca de labéliser des entités ainsi que de développer et d’héberger des systèmes d’information dans divers champs d’application de la cancérologie. Il renvoie enfin à un décret en Conseil d’État le soin de préciser l’organisation concrète du registre national des cancers, notamment le rôle de chaque entité et les modalités d’interopérabilité entre elles. En somme, la proposition de loi nous dote enfin d’un système, qui, reposant sur des données nationales, soit à la hauteur de l’enjeu que représentent les cancers en France.
Pour autant, ce registre ambitieux n’atteindra ses objectifs qu’à deux conditions. La première dépend du pouvoir réglementaire, lequel doit choisir une organisation adaptée, devant à mon sens reposer sur des sources diverses et multiples de données provenant de la totalité du territoire et de la population. La seconde est que le Gouvernement accompagne le déploiement du registre des moyens nécessaires : l’effort budgétaire devra certes être contenu, mais il devra également être adapté aux besoins et pérenne.
Vous l’aurez compris, cette proposition de loi est indispensable dans notre combat contre les cancers. Il est nécessaire qu’elle entre au plus vite en application. Des amendements avaient été déposés, mais ils ont été retirés, ce que je salue. Je souhaite que nous votions le même texte que celui adopté par le Sénat : nous avons déjà pris deux ans de retard, il est temps d’agir.
M. le président Frédéric Valletoux. Je partage totalement vos propos et tiens à remercier l’ensemble des collègues de tous les groupes d’avoir retiré les amendements déposés pour adopter rapidement un texte conforme à celui du Sénat.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Thierry Frappé (RN). Le groupe Rassemblement National soutient bien évidemment cette proposition de loi visant à créer un registre national des cancers. Nous souhaitons faciliter son adoption rapide, tant l’enjeu est majeur et urgent.
En 2023, on dénombrait 433 136 nouveaux cas de cancer en France et 162 000 décès liés à cette maladie. Ces chiffres ne sont qu’une extrapolation de données issues des registres existants. Il s’agit d’une première anomalie, que la proposition de loi entend corriger. Il existe trente-trois registres à ce jour : dix-neuf sont généraux et couvrent vingt-quatre départements, douze sont spécialisés selon les localisations des cancers et deux sont nationaux – ils concernent les enfants et les adolescents. Si les cinq départements et régions d’outre-mer sont intégralement couverts, les registres généraux n’englobent qu’environ 25 % de la population nationale.
Ces inégalités d’informations dessinent une cartographie épidémiologique partielle et inadaptée à la conduite d’une politique de santé publique ambitieuse. En outre, la collecte des données est perfectible. La création du registre national des cancers est donc nécessaire. Celui-ci améliorera la prévention, le dépistage, la précocité du diagnostic, l’efficacité de la recherche et l’équité de la prise en charge.
Nous aimerions obtenir certaines garanties quant à la création de ce registre, notamment sur sa couverture dans l’ensemble des territoires et sur l’hébergement souverain de ses données sur le sol français ou européen.
Le registre national est un outil indispensable de transparence, d’efficacité et de justice sanitaire. Notre groupe votera en faveur de la proposition de loi.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Le cancer demeure la première cause de mortalité en France. Chaque année, plus de 430 000 nouveaux cas sont diagnostiqués : ce constat exige que nous nous dotions des meilleurs outils pour comprendre, prévenir et traiter cette maladie. En effet, le taux de dépistage ne peut que s’améliorer au vu des chiffres actuels.
C’est dans cet esprit que nous nous sommes emparés du sujet dès le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, en faisant de la lutte contre le cancer une priorité nationale. Nous avons lancé la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 : cette feuille de route s’accompagne d’un investissement de 1,74 milliard d’euros, preuve de notre détermination à agir dans ce domaine.
Pourtant, notre pays peut encore progresser sur un point, celui de la collecte des données. Celles-ci sont indispensables pour la recherche et elles permettent de détecter les tendances, d’évaluer les politiques publiques et d’affiner les stratégies de prévention comme le dépistage. Actuellement, les registres généraux des cancers ne couvrent que 24 % de la population, soit environ 14 millions de personnes. À titre de comparaison, vingt-deux pays européens disposent déjà d’un registre englobant l’ensemble du territoire.
C’est pour combler ce retard que la proposition de loi vise à créer un registre national des cancers. Centralisé et piloté par l’Inca, il rassemblera les données épidémiologiques sur les soins et les parcours des patients. Il complétera les registres actuels fragmentés : certains sont généraux et couvrent une zone géographique quand d’autres, spécialisés par type de cancer, souffrent de lacunes en matière de couverture et de cohérence. Le texte confie à l’Inca la mission de piloter la collecte à travers la labellisation de structures. Je profite de l’examen de ce texte pour saluer le travail de recherche et de prévention réalisé par cet organisme.
Nous sommes bien conscients des enjeux liés à la gestion des données sensibles que sont les données de santé, c’est pourquoi la loi encadre rigoureusement leur usage en limitant la collecte aux seules données strictement nécessaires.
Le groupe Ensemble pour la République soutient pleinement ce texte, parce qu’il répond à une urgence de santé publique et qu’il renforce notre capacité à prévenir et à soigner. Nous espérons qu’il sera adopté dans une version conforme à celle du Sénat, afin que cette avancée attendue de longue date entre en vigueur au plus vite.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Notre société est cancérogène : la maladie nous atteint par l’eau, la nourriture, les cosmétiques, les véhicules, les casseroles, les engrais, les peintures et même par des fleurs en boutique. Le nombre de cancers a doublé depuis 1990 : il faudra bien diminuer l’incidence de cette maladie, ce qui nécessitera d’affronter certains grands groupes capitalistes dont la pollution environnementale qu’ils émettent tue.
En dépit de cette épidémie industrielle, la France n’a toujours pas de registre national des cancers pour adultes : elle et l’Espagne sont les seuls pays d’Europe dans ce cas. Un tel registre nous permettrait pourtant de compter combien de personnes sont atteintes et de savoir où elles vivent. À l’heure où nous parlons, à peine un quart du territoire national est couvert par des registres et aucune des grandes métropoles ne l’est. Il est par conséquent impossible de mesurer les effets environnementaux des cancers. Y en a-t-il plus à Toulouse ou dans le reste de la Haute-Garonne, moins dans l’Ariège ou dans le Gers ? Quel type de cancer se retrouve plutôt ici que là ? Voilà les questions auxquelles nous ne pouvons actuellement pas répondre faute de données.
Dans ma région, l’Occitanie, composée de treize départements, seuls le Tarn et l’Hérault disposent de chiffres. Comment peut-on mener dans ces conditions une politique sérieuse de prévention, d’accès aux soins et de structuration de l’offre de soins dans notre territoire ? C’est impossible !
Le Parlement va enfin décider de la création d’un registre national des cancers. Si nous examinons aujourd’hui cette proposition de loi, c’est notamment grâce à l’action déterminée et continue de l’association Jeune & Rose, que nous devrions toutes et tous remercier pour l’obstination dont ses membres ont fait preuve pour surmonter les obstacles administratifs et politiques qu’ils ont rencontrés. Le Sénat a adopté le texte il y a maintenant deux ans. Une partie de la Macronie a louvoyé pendant cette période, en empêchant notamment l’inscription de la proposition de loi à l’ordre du jour de la semaine transpartisane. Pendant ces deux années, 800 000 nouveaux cas de cancer ont été détectés : nous avons pris du retard dans l’analyse épidémiologique, donc faisons vite et adoptons le texte à l’unanimité.
M. Aurélien Rousseau (SOC). À mon corps défendant, au sens strict du terme, je suis « heureux » d’avoir contribué à accélérer l’examen de ce texte défendu par Sonia de La Provôté au Sénat.
Nous nous trouvons dans un moment clef et inédit pour les traitements, les moyens de dépistage et d’interception du cancer. Les perspectives sont fascinantes même si elles créent un vertige éthique. Dans le même temps, subsiste un continent enfoui de causalités des cancers, qu’évoquait à l’instant Hadrien Clouet et que nous ne parvenons pas à totalement comprendre ni à débusquer.
Ce registre n’arrive pas dans un désert. Les projections et les extrapolations sont aujourd’hui de très haute qualité. En revanche, sur des causalités comme les perturbateurs endocriniens ou le réchauffement climatique, les évolutions concernent quelques centaines d’unités. Plus nous disposerons de données, plus nous saurons ce qu’il se passe. Le texte n’est pas une mise en cause de l’existant : un travail épidémiologique de projection absolument remarquable est mené. Le registre national nous apportera plus de finesse et d’anticipation, donc d’éventuelles avancées majeures en matière de prévention et de dépistage.
Le sujet principal reste celui des inégalités sociales dans le domaine de la santé, car celles-ci resteront durablement le principal déterminant du cancer comme des autres pathologies.
M. Thibault Bazin (DR). La France souffre d’un défaut dans le recensement des cancers. Certes, une trentaine de registres en cancérologie existent, mais ils sont soit disséminés un peu partout dans le pays, soit, pour une quinzaine d’entre eux, spécialisés dans certaines formes de cancers. Cette lourdeur complexifie la recherche et empêche les pouvoirs publics de disposer d’une base de données interopérable pour l’ensemble du territoire. On peut s’étonner qu’un registre national n’ait pas encore été créé. La proposition de loi est donc bienvenue.
Depuis trente ans, le nombre de nouveaux cas de cancer ne cesse d’augmenter en France. Un nombre croissant d’entre eux sont même dits précoces, c’est-à-dire qu’ils touchent des personnes âgées de moins de 50 ans. Cette situation exige le lancement de recherches sur les causes scientifiques du phénomène. Avec 157 000 décès annuels, le cancer reste la première cause de mortalité en France. Pour mieux lutter contre cette maladie, il faut des données précises. Là réside toute l’utilité des registres épidémiologiques en cancérologie : cet outil efficace permet de suivre l’évolution des cas, l’impact de l’environnement direct des patients et les différences géographiques. Il sert également à la recherche scientifique pour trouver de nouveaux traitements, plus efficaces.
Il est urgent de combler le vide actuel en créant un registre national des cancers, piloté par un organisme compétent, l’Inca. À cet égard, je salue la détermination de notre ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, Yannick Neuder, qui s’est beaucoup engagé pour que cette proposition de loi, adoptée en 2023 au Sénat, puisse être mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Nous soutenons ce texte et souhaitons l’adoption d’une version conforme à celle du Sénat, afin qu’il puisse être appliqué dans les meilleurs délais. Dans cette optique, je remercie mes collègues qui ont retiré leurs amendements. Sur un sujet aussi consensuel, nous devons aller vite, car nos concitoyens ne comprendraient pas que nous perdions de précieuses années à cause d’une navette supplémentaire.
M. Damien Girard (EcoS). En 2023, 433 000 nouveaux cas de cancer ont été diagnostiqués dans notre pays : il s’agit en réalité d’une estimation projetée à partir de données incomplètes. La majorité des facteurs de cancer reste mal identifiée, en particulier lorsqu’une exposition professionnelle ou environnementale est en jeu. Cette absence d’informations exhaustives constitue un frein majeur à une politique de santé efficace, qu’il s’agisse de prévention, de recherche ou de prise en charge. Les facteurs déclencheurs du cancer du sein sont encore sous-documentés. Je veux saluer le travail essentiel de l’association Jeune & Rose, notamment celui de Nelly Mathieu et Fanny Thauvin à Lorient, qui promeuvent le diagnostic précoce et œuvrent à rendre visibles des gestes simples comme l’autoexamen mammaire. La création d’un registre national des cancers répond à l’une de leurs revendications principales. Je me réjouis de cette avancée, qui améliorera la compréhension de dynamiques préoccupantes, comme celle de la hausse alarmante du nombre de cancers chez les jeunes adultes.
Je veux également insister sur un point crucial : pour être véritablement utile, ce registre doit s’inscrire dans une politique globale de connaissance de l’exposome, à savoir l’ensemble des expositions subies au cours de la vie. Cela suppose des moyens renforcés pour documenter l’effet cocktail, encore trop peu étudié, constitué des interactions entre l’alcool, les contraceptifs hormonaux, la pollution de l’air et les résidus chimiques. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) nous alerte : l’augmentation de ce phénomène est en partie liée à la dégradation de nos écosystèmes naturels. C’est pourquoi je tiens à rappeler, en tant que fils d’agriculteur, que si le groupe Écologiste et Social votera en faveur de l’adoption du texte, il continuera de s’opposer avec détermination à la « loi Duplomb », qui prévoit de réintroduire des substances aussi dangereuses que les néonicotinoïdes. Il y a là une profonde incohérence : on ne peut pas d’un côté vouloir mieux détecter les cancers et de l’autre favoriser des politiques qui augmentent l’exposition de nos concitoyens à des agents cancérigènes. La santé environnementale ne peut pas être le parent pauvre de la lutte contre le cancer : il y va de notre responsabilité envers les générations présentes et futures.
Mme Sandrine Josso (Dem). Nous ne débattons pas ce matin d’une simple proposition de loi, défendue sans relâche par notre collègue sénatrice Sonia de La Provôté et par l’association Jeune & Rose, nous rattrapons un retard. En 2025, la France fait encore partie des rares pays européens à ne pas disposer d’un registre national des cancers. Résultat, notre pays souffre d’une absence de vision claire sur des territoires entiers, laissés dans l’ombre et plongés dans un profond silence statistique. Chaque année, nous recensons 400 000 nouveaux cas et 150 000 décès, pourtant nous naviguons à vue avec des registres régionaux couvrant à peine un quart de la population. Cette situation n’est plus acceptable !
J’ai préconisé il y a maintenant cinq ans, dans la seizième recommandation de mon rapport sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale, la création de ce registre. Cela fait cinq années que les associations, les familles et les professionnels de santé réclament cet outil vital. Dans mon département de Loire-Atlantique, le collectif Stop aux cancers de nos enfants a tiré la sonnette d’alarme sur un cluster de cancers pédiatriques. Dans le bassin de vie de Saint-Nazaire, la surmortalité due aux cancers est supérieure de 40 % à la moyenne nationale, selon l’agence régionale de santé. Des adultes tombent malades, des enfants meurent et nous ne disposons pas de données nationales consolidées permettant d’ouvrir les yeux sur ces situations. Ce registre, thermomètre sanitaire, constituera un atout de santé publique : grâce à lui, nous pourrons agir rapidement, repérer les foyers à risque, corriger les inégalités et renforcer la recherche. Il ne s’agit pas d’un luxe, mais d’un impératif républicain. La France ne peut plus être à la traîne dans ce domaine, elle doit se montrer efficace, novatrice et porteuse de projets. Soyons à la hauteur et ne laissons plus l’ignorance perdurer !
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le groupe Horizons & Indépendants soutient résolument la proposition de loi visant à créer un registre national des cancers, défendue par la sénatrice Sonia de La Provôté et adoptée à l’unanimité par la Chambre haute en juin 2023. Face à un enjeu de santé publique de première importance – l’estimation des nouveaux cas de cancer en 2023 dépasse 430 000 et cette maladie est la première cause de décès chez l’homme et la deuxième chez la femme –, nous considérons que la France ne peut plus se contenter d’une surveillance partielle.
La création d’un registre national répond à une nécessité épidémiologique évidente : notre pays ne dispose que d’un système fragmenté de trente-trois registres régionaux et départementaux, lesquels ne couvrent que 22 % de la population française. Cette situation génère une méconnaissance du nombre exact de cancers en France : notre pays accuse un retard certain par rapport aux vingt-deux pays européens qui disposent déjà d’une couverture complète de leur population par des registres nationaux.
Notre groupe salue le choix de confier le déploiement de ce registre national à l’Inca, créé par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et placé sous la double tutelle des ministères chargés de la santé et de la recherche. L’institut dispose déjà de l’expertise nécessaire à la coordination des actions de lutte contre le cancer.
La création d’un registre national des cancers apportera des bénéfices concrets et mesurables. Cet outil améliorera la prévention, le dépistage, le diagnostic, le suivi et le traitement des cancers tout en constituant une base de données précieuse pour la recherche. Il facilitera la détection d’agrégats spatio-temporels de cancers – clusters –, essentielle pour identifier d’éventuelles expositions environnementales et répondre aux préoccupations croissantes de nos concitoyens sur l’impact des facteurs environnementaux sur la santé.
Au-delà de ces aspects techniques, le registre permettra à la France de participer pleinement aux études comparatives européennes, de contribuer à l’harmonisation des données à l’échelle européenne et de renforcer la recherche. Notre position sur ce texte s’inscrit donc dans la continuité de notre engagement sur les questions de santé publique et traduit notre volonté d’élaborer et de soutenir des réformes structurelles dans le domaine sanitaire. Notre groupe votera bien évidemment en faveur du texte.
M. Laurent Panifous (LIOT). Je me réjouis que cette proposition de loi soit enfin inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée, deux ans après son adoption au Sénat. Elle reprend les recommandations de nombreux scientifiques et sociétés savantes comme l’Académie nationale de médecine. Patients et médecins nous demandent de ne plus perdre de temps, aussi le groupe Libertés, Indépendants, Outre‑mer et Territoires souhaite-t-il une entrée en vigueur rapide du texte.
Le registre national améliorera les connaissances, le suivi épidémiologique des cancers et notre réponse à l’augmentation de ces derniers. Le nombre de cas diagnostiqués a doublé depuis 1990 et l’OMS s’attend à une augmentation de 77 % d’ici à 2050, et ce malgré la prévention et les progrès thérapeutiques.
La France ne dispose que de données fragmentées : trente-trois registres couvrent à peine un quart de la population. Les grandes agglomérations – Paris, Marseille, Lyon, Toulouse et Nice – sont absentes du dispositif. Cette couverture partielle limite notre capacité à identifier les facteurs environnementaux, sociaux ou professionnels à l’origine de ces cancers et empêche le déploiement d’une action de santé publique ciblée et efficace. La France fait d’ailleurs figure de mauvaise élève en Europe.
La création d’un registre national des cancers suppose toutefois un financement pérenne et ambitieux, aspect sur lequel nous devons nous montrer vigilants. Mieux prévenir, c’est aussi mieux dépenser. Au-delà des chiffres, il y a la vie des patients : face au poids de la maladie, nous devons concrétiser l’espoir d’un parcours de soins plus humain, plus efficace et plus juste.
M. Yannick Monnet (GDR). En 2023, l’Inca a estimé le nombre de nouveaux cas de cancer à plus de 433 000 en France. Cette maladie représente la première cause de décès prématuré chez l’homme et la seconde chez la femme. Depuis trente ans, le nombre global de nouveaux cas augmente chaque année en France : cette hausse s’explique principalement par le vieillissement de la population et l’amélioration des méthodes de diagnostic, laquelle permet de déceler plus tôt les cancers. L’incidence des cancers a crû de 65 % chez les hommes et de 93 % chez les femmes depuis 1990, une poussée qui pour 6 % des cas masculins et 45 % des cas féminins n’est pas attribuable à la démographie.
Dans ce contexte, la création d’un registre national des cancers, plébiscitée par les personnels soignants, les chercheurs et les associations de patients, est très utile. Le registre apportera des réponses sur les nouvelles causes des cancers, à l’image des conséquences environnementales, encore trop peu étudiées alors que le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) classifie la pollution atmosphérique comme cancérigène pour l’homme depuis 2013. Le registre constituera également un appui précieux pour mieux identifier et prévenir les cancers d’origine professionnelle. On estime à près de 12 000 le nombre de cancers par an d’origine professionnelle, mais moins de 1 % d’entre eux sont reconnus comme une maladie professionnelle : il est urgent d’accomplir des progrès dans ce domaine.
Le registre est un investissement nécessaire et sûr pour la santé publique. Le coût de la prise en charge du cancer est élevé, cette pathologie étant la plus onéreuse pour l’assurance maladie. Selon la Cour des comptes, elle représentait 22,5 milliards d’euros en 2021, soit 12,1 % des dépenses d’assurance maladie.
L’adoption de ce texte fera entrer la France dans le mouvement de création et d’harmonisation des registres des cancers, déjà disponibles dans vingt-deux pays européens. Le groupe Gauche démocrate et républicaine est très favorable à l’adoption de la proposition de loi.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
Mme Justine Gruet (DR). Le cancer est un défi de santé publique colossal. Avec 433 000 nouveaux cas en 2023 et 162 000 décès en 2021 – chiffres en constante hausse depuis les années 1990 –, nous devons agir avec ambition. Pour cela, une photographie médicale précise et en temps réel de la situation est indispensable. Actuellement, nos données proviennent de trente-trois registres fragmentés, lesquels couvrent moins d’un quart de la population, fournissent des chiffres vieux de cinq ans et souffrent de biais importants. Ces lacunes nous empêchent de quantifier et de localiser précisément les cancers, ainsi que d’objectiver les besoins, les causes et l’accès aux soins.
C’est pourquoi l’établissement d’un registre national des cancers constitue une avancée majeure. Ce registre centralisé sera l’outil clef d’une véritable coordination de la prévention et de la prise en charge. Il améliorera le dépistage, le diagnostic et le suivi, permettant ainsi d’adapter l’offre de soins dans tout le territoire et de former les professionnels en soutenant la recherche.
Je salue le travail formidable des associations et des soignants : le registre sera un atout précieux pour eux. Nous passerons de la simple distribution de tracts à des actions de prévention ciblées et évaluées, fondées sur des données fiables. Il est notamment crucial de renforcer la prévention auprès des jeunes, car la recrudescence des cancers, en particulier digestifs, est alarmante : dans ce domaine, les chiffres sont préoccupants.
Dans ma circonscription, des structures comme l’Institut régional fédératif du cancer de Franche-Comté (IRFC) jouent un rôle essentiel. L’IRFC assure la coordination de la prévention et de la prise en charge à l’échelle régionale : elle travaille avec les acteurs locaux pour optimiser les parcours de soins des patients et déployer des actions de prévention ciblées.
Enfin, j’adresse tout mon courage aux personnes atteintes d’un cancer : votre combat est le nôtre et il ne doit pas rester vain. La bataille est collective et le registre national est l’outil indispensable pour la mener efficacement, révéler les besoins, identifier les causes et garantir un accès équitable aux soins. C’est un investissement essentiel pour la santé publique face aux 22,5 milliards d’euros de dépenses liés au cancer en 2021.
Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Je me joins évidemment aux remerciements des associations, notamment Jeune & Rose, qui se sont mobilisées pour que ce registre voie le jour.
Chers collègues, vous dites que l’apparition de cancers précoces vous alarme, que ce registre est nécessaire, que pour lutter contre cette maladie, il faut des données précises ; soit. Mais il faut aussi prévenir et couper le robinet des polluants, donc ne pas voter la proposition de loi Duplomb. Je le dis avec un peu de colère : votre inaptitude à considérer la santé environnementale de manière systémique et le fait que vous souhaitiez à la fois lutter contre le cancer et accorder des faveurs aux industriels dépendant des produits toxiques, cela vous rend responsables. Le cancer, c’est politique. Ce n’est pas quelque chose qui arrive par magie, mais le fruit de politiques publiques qui ne protègent ni les agriculteurs, ni les enfants, ni l’ensemble de la population.
S’agissant des liens entre pesticides et cancer, une grande étude réalisée sur plusieurs centaines de rats et publiée ce mois-ci montre que le glyphosate, même à des doses considérées comme sûres par l’Union européenne, entraîne une hausse des tumeurs bénignes et malignes, aussi bien chez les mâles que chez les femelles. Cette étude confirme donc les corrélations déjà observées chez les humains. Or le glyphosate n’est pas un produit nouveau : depuis 2015, il est classé comme probablement cancérigène pour l’homme par le Circ.
En France, l’étude Agrican, menée sur 180 agriculteurs, a montré une surincidence des cancers chez les utilisateurs de pesticides, sachant que l’exposition précoce à ces substances augmente le risque de leucémie infantile et de tumeurs cérébrales. Dans ce beau paysage, ce sont donc les populations rurales et riveraines des zones agricoles qui sont les plus exposées, ce qui crée de très fortes inégalités sanitaires sur le territoire.
La science confirme et reconfirme la dangerosité des produits que vous voulez autoriser avec la proposition de loi Duplomb ; pourtant, vous l’ignorez. Pendant ce temps, des personnes tombent malades et parfois meurent. Je suis ravie de vous entendre souhaiter du courage aux victimes du cancer, mais ces personnes ont plutôt besoin que vous vous retroussiez les manches, que vous fassiez face aux industriels et que vous interdisiez les produits dangereux pour la santé.
M. Hendrik Davi (EcoS). On ne peut évidemment que se féliciter de la création d’un registre national des cancers, destiné, entre autres, à mieux documenter leurs causes environnementales. Dans ma région, le cas de Fos-sur-Mer est typique : une surmortalité liée au cancer est constatée, mais les salariés et la population peinent à démontrer le lien avec l’exposition à des polluants, aussi bien sur les lieux de travail qu’à domicile. On peut donc espérer que le registre nous permettra d’avancer s’agissant des cancers d’origine environnementale.
Je ferai part de deux inquiétudes.
D’abord, les salariés de Santé publique France, dont il faut saluer le travail – je connais sa qualité pour siéger au sein de son conseil d’administration – craignent, à l’instar des agents de l’Office français de la biodiversité, de disparaître dans le cadre de la réforme de l’État voulue par Amélie de Montchalin. Je souhaiterais donc avoir une réaction sur ce point, y compris de votre part, monsieur le président.
Ensuite, et Marie-Charlotte Garin l’a bien rappelé, ceirtaines causes de cancer sont bien documentées. Je ne reviendrai pas ce sur ce qui vient d’être dit, mais l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a conduit plusieurs études démontrant les effets cancérigènes de l’usage de pesticides. La dernière, publiée en 2021, est très claire : les pesticides sont dangereux, notamment pour les salariés agricoles et les enfants vivant en zone agricole.
Par ailleurs, je tenais à rappeler que l’alcool, au même titre que le tabac, constitue l’un des premiers cancérigènes. Or le lobby de l’alcool est très puissant. Alors qu’un paquet « vin » est en discussion à la Commission européenne, de nombreux acteurs travaillant dans le domaine de l’addiction s’inquiètent du possible développement de la consommation de vin à faible teneur d’alcool. Il s’agit d’une fausse bonne idée étant donné qu’une telle orientation risquerait de faciliter la consommation d’alcool chez les plus jeunes : des vins à 7 ou 8 degrés d’alcool pourraient être assimilés aux bières.
S’il est bon de créer un registre des cancers, il conviendrait donc de mener aussi une véritable politique de santé publique pour éviter l’exposition aux produits pouvant en être la cause.
M. Nicolas Turquois (Dem). Je me félicite de cette initiative importante, qui permettra d’objectiver les choses : elle était attendue par de nombreux acteurs.
Je rappelle qu’il existe déjà des registres régionaux, qui se caractérisent par leur hétérogénéité. Les professionnels de santé préfèrent en effet parfois consacrer leur temps à leurs patients plutôt qu’à enregistrer les informations relatives aux cancers. L’homogénéité des méthodes d’enregistrement sera donc essentielle.
De plus, il existe aussi déjà des acteurs pour animer ces registres territoriaux, à l’instar du réseau Francim. Il faudra donc que la gouvernance de l’Inca, qui sera à la manœuvre, intègre ces acteurs – même si je sais que cet élément relève plutôt du décret.
Enfin, je tenais à réagir aux propos de Marie-Charlotte Garin et Hendrik Davi. En tant qu’agriculteur, je suis très sensible à la question des perturbateurs et des produits utilisés. Certains éléments ont été démontrés et il faut les considérer. Cela étant, d’autres recherches, comme l’étude Agrican, menée par la Mutuelle sociale agricole, montrent que les agriculteurs peuvent aussi avoir une espérance de vie supérieure à la moyenne. S’il existe bien sûr des facteurs de risque environnementaux majeurs, il y a aussi des éléments comportementaux comme l’activité physique dont il faut tenir compte. Il faut voir les choses dans leur ensemble et objectiver tous les aspects.
M. le rapporteur. Je vous remercie tous par avance pour le vote de la proposition de loi, qui devrait être conforme à celui du Sénat. Mais avant cela, je tenais à vous donner certaines précisions.
Monsieur Frappé, oui, le registre sera bien hébergé en France. J’avais vu l’amendement que vous aviez déposé sur ce point et l’Inca m’a confirmé que les données seraient stockées sur un cloud souverain administré par la société OVH. C’était une question importante.
Par ailleurs, vous avez demandé que le registre soit équitable sur le plan territorial. Vous avez raison et c’est justement son objectif, eu égard aux inégalités de représentation constatées. Jusqu’à présent, les éléments que nous tirions des registres n’étaient que des extrapolations. Couvrir l’ensemble du pays permettra une analyse précise, territoire par territoire, géographie par géographie, car les situations ne sont pas homogènes.
En ce qui concerne les zones denses, évoquées, entre autres, par M. Clouet, deux choses sont prévues. D’abord, nous nous appuierons sur les registres existants – cela répondra aussi à M. Turquois –, qui sont assez hétérogènes, mais qui serviront de référence pour toutes les remontées que collectera l’Inca. Ces registres sont précieux et permettront de faire des comparaisons et de nous assurer que la démarche est efficace et complète. D’ailleurs, il y a environ quatre ans, l’Inca avait déjà consacré 600 000 euros à la mise à niveau des registres. Ensuite, afin de compenser la surreprésentation rurale, l’Inca travaille à une analyse plus fine des zones denses, où l’exposition aux produits toxiques et dangereux peut être plus importante. La Seine-Saint-Denis pourrait être prise en exemple.
Monsieur Rousseau, le registre national permettra le croisement des données existantes. L’Inca y travaille, notamment en lien avec la direction générale des finances publiques, afin d’obtenir des éléments sociologiques plus précis. Le registre national ne sera pas une multiplication des registres, mais cumulera les sources. De cette manière, nous irons plus loin, par exemple dans l’étude des inégalités sociologiques.
J’ajoute, cette fois en réponse à M. le rapporteur général, que le registre national doit aussi apporter une vision nouvelle. Certes, nous avons du retard, mais je crois que le travail mené par l’Inca depuis quelque temps nous conduira à la pointe. Au fond, les registres actuels sont les héritiers de la pensée du XXe siècle. Ils ont été créés en réponse à certains problèmes et l’ambition est désormais de réunir ces sources pour procéder à une analyse beaucoup plus fine sur le plan épidémiologique, mais aussi s’agissant des traitements et de l’évolution des cancers. C’est toute la chaîne, prévention comprise, qui bénéficiera des enseignements de ce nouveau registre.
Comme je le disais, nous pourrions même être en avance sur les autres registres nationaux, car nous pourrons désormais tenir compte des très importantes avancées, comme dans le domaine des anomalies génétiques ou encore des nouveaux traitements. Par exemple, les données relatives aux cellules CAR‑T, nouvelles thérapeutiques nécessitant des analyses spécifiques, seront intégrées au registre national. Et je précise que l’Inca réfléchit aussi beaucoup à l’interopérabilité, autre enjeu majeur.
Nombre d’entre vous ont mentionné l’association Jeune & Rose. Je n’ai pas eu l’occasion de m’entretenir directement avec ses représentants, mais ils ont fourni une contribution.
J’y insiste, le premier objectif est de constituer un registre épidémiologique étendu nous permettant de mieux identifier les clusters et les facteurs de risques grâce à la détection des signaux faibles, que nous avons actuellement du mal à saisir car seul un quart de la population est couvert. Non seulement les territoires ruraux seront concernés, mais aussi ceux exposés à des polluants, ainsi que les zones denses – je sais que Sandrine Josso, qui a beaucoup travaillé sur cette question, y sera sensible. Et je précise qu’outre l’identification des clusters, des enquêtes de terrain seront menées dès qu’un doute émergera. Nous pouvons vraiment espérer avoir un outil beaucoup plus précis.
Autre point important, sur lequel a insisté Mme Colin-Oesterlé : la vision européenne. Certes, nous communiquons déjà nos fichiers à l’OMS et à des organismes européens, mais leur homogénéisation au travers du registre national permettra un meilleur recoupement avec les analyses européennes et donc l’émergence d’une vue plus globale. Il est vrai que nous ne répondions pas aux standards européens ; ce sera le cas. Nous pourrons ainsi mieux analyser notre système de santé, en vue de l’adapter en fonction de l’émergence de certains types de cancer selon les territoires. Les centres anti-cancéreux seront orientés sur telle ou telle pathologie précise suivant les besoins.
Monsieur Panifous, outre la question des grandes agglomérations, à laquelle j’ai déjà répondu, vous avez évoqué le sujet important du financement, que j’avais moi-même abordé dans mon propos liminaire. Le fonctionnement actuel coûte entre 10 et 12 millions d’euros ; le nouveau nécessitera une augmentation modérée des crédits. Le registre national ne sera pas une duplication des registres territoriaux et l’Inca estime que la collecte numérique et l’homogénéisation des données coûteront entre 6 et 8 millions d’euros, ce qui me semble être un chiffre raisonnable au regard des bénéfices que nous en tirerons en matière épidémiologique, de prévention et de recherche. Les attentes des chercheurs sont très élevées.
Monsieur Monnet, je l’ai dit, le premier objectif est de constituer un registre épidémiologique, sachant qu’il permettra une vision et des comparaisons européennes beaucoup plus fines.
Un autre point intéressant a été abordé par Mme Gruet : la rapidité. Les Hospices civils de Lyon ont besoin de trois à cinq ans pour exploiter les données issues des registres et communiquer leurs résultats à l’échelon national, ce qui est trop long. Grâce au nouveau registre national, les remontées seront quasi automatiques et informatisées, permettant une exploitation beaucoup plus rapide et beaucoup plus fine des données. Il s’agira d’ailleurs d’un critère d’évaluation de ce nouveau dispositif.
Madame Garin, j’ai répondu au sujet de la meilleure détection des signaux faibles que doit permettre le registre. Je ne m’exprimerai pas sur la proposition de loi Duplomb, car ce n’est pas le lieu, mais peut-être que le registre vous donnera des éléments encore plus précis !
Monsieur Davi, comme je l’ai dit, deux nouveaux registres spécifiques doivent être créés, concernant les zones denses et les zones Seveso 2. L’Inca choisira une de ces dernières pour mener des analyses plus poussées, ce qui pourra conduire à des enquêtes de terrain. L’Inserm, organe majeur lié à presque tous les registres existants, y sera associé.
Quant à la santé publique, je ne m’exprimerai pas sur l’alcool, mais vous connaissez mon combat contre le tabac. C’est un tout que nous devons prendre en compte.
Enfin, monsieur Turquois, je l’ai dit, les registres existants demeureront et serviront de référence pour s’assurer que la démarche nationale répond à tous les besoins et évite les biais. Au moins à moyen terme, ces registres sont donc confortés. Certains sont nés en réponses à des problèmes locaux, par exemple la prévalence de cancers digestifs, aussi ont-ils une certaine hétérogénéité, y compris en matière d’informatisation. Le nouveau registre doit remédier à cela également.
M. le président Frédéric Valletoux. Avant de procéder au vote, qui devrait donc être unanime, sachez, puisque la question a été soulevée, que nous devrions organiser en juillet des auditions autour de la lutte contre le tabagisme.
La commission adopte à l’unanimité l’article unique non modifié.
En conséquence, la proposition de loi est ainsi adoptée. (Applaudissements.)
M. le président Frédéric Valletoux. Je rappelle que, le texte étant soumis à la procédure de législation en commission, aucun amendement ne pourra être déposé lors de son examen en séance.
La commission examine ensuite la proposition de loi pour la relance d’une politique nataliste (n° 1412) (M. Bartolomé Lenoir, rapporteur).
M. le président Frédéric Valletoux. Avant de céder la parole à M. Lenoir, rapporteur, je rappelle que cette proposition de loi fait partie des textes inscrits à l’ordre du jour de la niche parlementaire du groupe UDR, le 26 juin prochain.
M. Bartolomé Lenoir, rapporteur. Notre République a donné valeur constitutionnelle au préambule de la Constitution de 1946, qui dispose que « la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». C’est ce principe qui fonde la politique familiale française. Il ne s’agit pas de charité : si la nation choisit de soutenir les familles, c’est dans son intérêt bien compris, considérant que les parents éduquent leurs enfants au bénéfice de la communauté nationale dans son ensemble. Les enfants, c’est l’avenir de la nation.
Partant de ce constat, la politique familiale telle qu’elle a été voulue par l’ensemble des partis politiques en 1945 répond à une logique de redistribution horizontale pour tenir compte de la perte de niveau de vie liée aux enfants. Il y a longtemps eu un consensus politique autour de la vocation de la politique familiale, préservée jusqu’au début des années 2010 avec une vraie efficacité.
En 2010, la France faisait figure d’exception en Europe, avec un indice de fécondité supérieur à deux enfants par femme, donc proche du taux de renouvellement des générations. Une rupture majeure a eu lieu lors du quinquennat de François Hollande, entre 2012 et 2017, lorsque le renforcement de la politique sociale a servi de prétexte pour abîmer la politique familiale, sans pour autant améliorer la situation des familles pauvres. Par exemple, nous n’avons pas ouvert droit aux allocations familiales dès le premier enfant, ce qui aurait été une véritable mesure sociale, car nous savons que les foyers qui attendent leur premier enfant ou qui élèvent un enfant unique font parmi des plus précaires.
Au lieu de quoi, nous avons fait des économies sur le dos des familles. En 2013, nous avons abaissé le plafond du quotient familial de 2 336 à 2 000 euros, en promettant qu’on s’en tiendrait là, de sorte de ne toucher que les familles les plus aisées. Mais comme cette mesure rapportait beaucoup et que les familles ne protestaient pas, nous sommes allés encore plus loin en 2014. Le plafond du quotient familial a ainsi été réduit à 1 500 euros. Qu’importe si les classes moyennes étaient massivement touchées : après tout, elles percevaient les allocations familiales et c’était bien suffisant.
Sauf qu’en 2015, nous avons décidé de mettre fin à un principe fondamental de la politique familiale : l’universalité des allocations familiales. Désormais, elles seraient modulées en fonction du revenu. De nouveau, on a promis que la mesure ne toucherait que les riches mais, en réalité, elle a massivement percuté les classes moyennes. Avec un salaire de 2 700 euros par mois avec deux enfants, on voyait ses revenus divisés par deux. Soyons honnêtes, quand on a un tel niveau de salaire avec deux enfants, on n’est pas à plaindre, mais on n’est pas riche non plus.
Nous avons donc été confrontés à trois mensonges lors du quinquennat de François Hollande. Premièrement, on nous a assuré que les coups portés à la politique familiale ne concerneraient que les riches ; nous venons de voir combien c’était faux. Deuxièmement, on a prétendu qu’il s’agissait d’aider davantage les familles pauvres ; les études ont montré que ce soutien n’avait augmenté que de 0,2 %, autant dire presque pas. Troisièmement, on a dit que ces atteintes à la politique familiale n’auraient aucun impact sur la natalité. En l’occurrence, les données dont nous disposons sont d’une clarté limpide : nous assistons à une chute rapide de l’indice de fécondité précisément à partir de 2014.
Cette dégringolade se poursuit jusqu’à aujourd’hui, avec un taux de fécondité s’établissant à 1,62 enfant par femme en 2024, le plus faible depuis la fin de la première guerre mondiale. Le chiffre est incroyable : la natalité a chuté de 21 % depuis 2010, c’est‑à‑dire en très peu de temps.
Dans le cadre de mon rapport et grâce aux auditions que j’ai organisées, j’ai approfondi les causes possibles de cette chute de la natalité. Nous assistons d’abord à la montée en puissance d’un mouvement « No kids », animé par des femmes qui revendiquent leur liberté de ne pas avoir d’enfants. De fait, les femmes sont libres de vouloir moins d’enfants, ou de ne pas en vouloir du tout ; c’est leur droit le plus strict. Ce qui me gêne, c’est l’écart très important entre le désir d’enfant, qui s’établit en moyenne à 2,3 enfants par femme, et l’indice de fécondité qui s’élève à 1,62. Cela montre une perte de liberté pour les couples, qui ne peuvent plus avoir autant d’enfants qu’ils le souhaitent.
C’est là que les enjeux financiers liés à la politique de natalité prennent toute leur importance. Nous savons les difficultés considérables auxquelles sont confrontées les familles, particulièrement les plus pauvres et de la classe moyenne, pour loger, habiller, nourrir, faire garder et éduquer leurs enfants. Dans la Creuse, d’où je viens, c’est la moitié des familles – 48 % – qui n’ont pas autant d’enfants qu’elles le voudraient.
J’observe au passage que la chute de la natalité sert de prétexte à la rétractation du service public, qui est particulièrement importante et impressionnante en milieu rural. C’est dur pour les familles aujourd’hui, leurs difficultés étant renforcées par le sentiment de ne plus être portées par le collectif.
Les mesures du quinquennat Hollande ont sapé la confiance dans la politique familiale, qui paraît instable, complexe, incertaine. J’y insiste : le facteur majeur de la dénatalité, c’est la perte de confiance des familles. C’est sur ce point que nous devons agir. Aux côtés de la liberté de ne pas avoir d’enfants, qui est bien protégée, nous devons garantir celle d’en avoir pour les couples qui le souhaitent, et ce au bénéfice de toute la communauté nationale.
Ma proposition de loi comprend trois mesures qui auront un impact financier pour les familles et qui revêtent une portée symbolique très importante, afin de justement créer un choc de confiance.
La première est le rétablissement de l’universalité des allocations familiales pour revenir à la logique initiale de la politique familiale, mais aussi pour simplifier – nous y reviendrons –, tant la gestion des allocations, avec la modulation, est devenue d’une complexité sans nom pour les caisses.
La deuxième est l’ouverture des allocations dès le premier enfant pour tenir compte des évolutions de la société, pour aider les jeunes foyers, qui sont les plus précaires, à avoir leur premier enfant et pour mieux soutenir les familles pauvres, qui sont les plus représentées parmi celles n’ayant qu’un enfant.
La troisième est le rétablissement du plafonnement du quotient familial à son niveau de 2012, afin d’alléger la pression pesant sur les classes moyennes, qui sont celles qui ont le moins d’enfants.
Il faudra aller beaucoup plus loin, concernant le mode de garde ou la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, mais je vous encourage à poser cette première pierre afin de marquer le réinvestissement de la nation dans sa politique familiale.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Angélique Ranc (RN). Le groupe Rassemblement National se réjouit de cette nouvelle proposition de loi visant à relancer une politique nataliste, tout comme nous avions soutenu les deux derniers textes relatifs à la politique familiale. Je réitère l’engagement de notre parti en faveur de la natalité à l’heure où, beaucoup l’ont dit, les familles peinent à se rapprocher du nombre idéal d’enfants souhaités et où le déclin démographique nous frappe de plein fouet.
À la différence des textes précédents, celui-ci a la bonne idée d’élargir le champ d’action législatif. Il ne se contente pas d’ouvrir les allocations familiales dès le premier enfant : il renforce leur universalité en supprimant la modulation et la majoration selon les ressources du foyer et il relève le quotient familial afin de revenir au niveau antérieur à la baisse arbitraire décidée par François Hollande en 2013.
Dans cet esprit constructif, je me permettrai simplement d’évoquer quelques pistes pour l’avenir, qui pourront utilement accompagner la relance de la natalité : doubler l’allocation de soutien pour les parents français isolés, instaurer un prêt public à taux zéro pour les jeunes couples, ou encore instituer une part fiscale complète dès le deuxième enfant, contre une demi-part actuellement.
Précisons qu’une telle politique forcera l’État à engager de nouvelles dépenses. Il sera donc nécessaire de trouver comment équilibrer les finances publiques. Cela ne pourra se faire que par des mesures de bon sens, attendues par les Français. Je pense bien sûr aux mesures pour renforcer la lutte contre la fraude, à la suppression des allocations pour les parents de mineurs criminels ou délinquants récidivistes – parents qui sont coupables de défaillance –, ou encore au fait de réserver les allocations aux familles de nationalité française ou, à défaut, à celles qui cotisent.
Tôt ou tard, ces mesures que nous avons déjà défendues par le passé devront être de nouveau soumises au vote si nous voulons instaurer un système pérenne et équitable. Pour l’heure, le Rassemblement national soutient pleinement ce texte de l’UDR. Cette proposition de loi de bon sens répond à une attente légitime des Français.
Mme Joséphine Missoffe (EPR). L’état de notre démographie nous alerte tous. Il envoie des signaux, dit quelque chose de la situation des parents et des familles du pays. Il nous indique combien le choix de la parentalité est devenu difficile et nous interpelle sur la précarité des familles. Dans ce contexte, notre modèle de sécurité sociale constitue une réponse et une béquille. Le groupe Ensemble pour la République y est profondément attaché et les allocations familiales en sont un instrument indispensable. Grâce à leur fonctionnement actuel, ces dernières sécurisent les familles selon leurs besoins et réalités, afin de pérenniser un système juste et efficace et leur ouverture dès le premier enfant approfondirait cette ambition de toujours mieux soutenir les familles et celles en devenir.
Cependant, nous considérons que le contexte budgétaire actuel ne permet pas d’engager une telle réforme sans mener une réflexion plus profonde sur les équilibres financiers de la sécurité sociale. Si, comme je l’ai dit, l’état de notre démographie nous indique quelque chose, nous ne pouvons pas lui faire dire tout ce que nous voulons. La standardisation des allocations familiales et la revalorisation du quotient familial risquent d’aggraver l’état de nos finances publiques aux dépens des ménages les plus modestes et ce sans produire d’effets réels sur la natalité.
Nous demeurons convaincus qu’une politique familiale et nataliste puissante ne se limite pas à des prestations. Pour que les potentiels parents deviennent des parents heureux, nous devons surtout rendre leur quotidien plus serein, en développant une société qui donne plus de visibilité, plus de stabilité, plus de place et plus de temps.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Le système d’allocations familiales français est daté. Fruit d’une vision nataliste de la société, il repose sur le versement des allocations à compter du deuxième enfant seulement, alors même que l’arrivée du premier constitue pour un couple un véritable bouleversement, y compris financier.
Le désir d’enfant a évolué. Notre politique familiale repose encore sur une incitation à concevoir au moins deux enfants, alors que de nombreux couples renoncent ou retardent l’arrivée du premier, faute de moyens pour l’accueillir dans de bonnes conditions : logement suffisamment grand, salaire suffisamment stable et décent, mode d’accueil permettant le maintien dans l’emploi, temps non travaillé pour prendre soin de l’enfant, etc.
Nous partageons l’objectif de mieux soutenir le pouvoir d’achat des familles, mais notre motivation n’est pas liée à une volonté de relancer la natalité en France. Nous voulons surtout donner à nos concitoyennes et concitoyens la possibilité de faire des enfants sans craindre de ne pas avoir les moyens de leur offrir tout ce dont ils ont besoin. Ainsi, La France insoumise défend de longue date le versement des allocations familiales dès le premier enfant. De même, nous sommes pour la suppression de leur modulation en fonction du revenu des ménages.
L’instauration de la modulation sous couvert de justice sociale a été conduite dans une volonté de restreindre le soutien fourni par la branche famille, ou du moins de limiter la progression des dépenses. Le principe d’universalité des allocations familiales est au cœur du projet de société que nous défendons. Elles doivent bénéficier à toutes et tous, sans aucune distinction, notamment de nationalité.
S’agissant de la volonté de revaloriser le quotient familial, rappelons que cette proposition est profondément inégalitaire, car celui-ci ne bénéficie pas aux familles les plus modestes. La direction générale du Trésor indique que le montant des prestations versées au titre d’un enfant aux familles les plus modestes est équivalent à l’avantage fiscal perçu par les familles les plus aisées grâce au quotient familial. Vous proposez donc ici un dispositif à destination des plus riches. À La France insoumise, nous proposons de le remplacer par un crédit d’impôt par enfant, ouvert à toutes les familles.
Pour terminer, vous devez cesser d’invoquer la relance de la natalité comme solution à tous les problèmes de la société. Les ventres des femmes ne sont pas des machines à produire des bébés pour rééquilibrer les comptes sociaux. Si la réforme de 2015 doit être critiquée, elle n’est pas la cause de la baisse de la natalité, qu’on constate tendanciellement depuis 1970 et partout dans le monde.
Mme Fanny Dombre Coste (SOC). Cette proposition de loi prétend enrayer la baisse de la natalité. Si celle-ci est un véritable enjeu, la réponse proposée est à la fois inefficace et socialement injuste.
Le constat est documenté : le nombre de naissances a diminué de 21 % depuis 2010 – et non depuis 2014 – et le taux de fécondité est historiquement bas. Les causes, connues, sont beaucoup plus complexes que ce qui a été dit : inquiétude face à l’avenir, notamment face au changement climatique, difficultés économiques et précarité, modes de garde insuffisants, difficultés d’accès au logement. Aucune n’est sérieusement traitée par votre texte.
D’après un sondage réalisé pour Les Échos et l’Institut Montaigne, 57 % des femmes citent le pouvoir d’achat pour expliquer leur renoncement à avoir des enfants et 53 % invoquent leur inquiétude face à l’avenir. Les mesures que vous proposez n’apportent rien à celles et ceux qui en ont besoin.
L’article 2 prévoit le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Nous soutenons cette mesure, que nous avons défendue lors de la niche parlementaire du groupe GDR. Toutefois, elle ne suffit pas à rendre acceptable le texte profondément inégalitaire et idéologique dans lequel elle est noyée.
Une politique nataliste qui instrumentalise le corps des femmes au nom d’un redressement démographique est une régression. Comme le rappelait la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles, cette logique est profondément opposée à l’autonomie des femmes. Il faut des politiques ambitieuses pour soutenir les familles, mais certainement pas des injonctions à procréer soutenues par des logiques conservatrices. C’est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés ne participera pas au vote.
Pour conclure, je reprendrai les mots d’Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes : « Laissez nos utérus en paix ! »
Mme Josiane Corneloup (DR). Le groupe Droite Républicaine est attaché à la politique familiale. Nous défendons depuis de nombreuses années le versement des allocations familiales dès le premier enfant, le rétablissement de leur universalité et la revalorisation du quotient familial.
La proposition de loi du groupe UDR apporte une réponse pragmatique à un défi démographique majeur. Les chiffres sont sans appel : 818 000 naissances en 2014, 742 000 en 2020, 677 000 en 2023 et seulement 663 000 en 2024. Cette baisse constante fragilise notre modèle social, notre vitalité économique et la capacité des services publics à répondre aux besoins de la population.
Notre politique familiale doit être relancée, avec ambition. L’universalité des allocations, mise à mal durant le quinquennat de François Hollande, doit être pleinement rétablie. Le système actuel est devenu inégalitaire, complexe et source d’incompréhension pour de nombreuses familles.
Les allocations familiales ne sont versées qu’à partir du deuxième enfant, réduisant ainsi leur portée pour de nombreuses familles. La plupart des pays européens ont fait le choix inverse : l’Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni ou encore la Suède versent des aides dès le premier enfant. À cela s’ajoute un barème national complexe et peu lisible, qui réduit la lisibilité et l’efficacité de notre politique familiale.
Toutefois, nous restons vigilants et attentifs au coût d’une telle réforme, qui doit adopter une approche budgétairement responsable. La Cour des comptes a estimé à 6,3 milliards d’euros le montant des versements indus en 2024 ; une meilleure allocation des ressources est donc possible. Afin d’envoyer un signal politique clair au Gouvernement, nous avons déposé un amendement visant à réécrire l’article 1er. Il réaffirme la volonté du Parlement de rétablir l’universalité des allocations familiales, d’ouvrir leurs versements dès le premier enfant à charge et de revaloriser le quotient familial, afin d’adapter la politique familiale aux réalités sociales et fiscales de notre temps.
Le groupe Droite Républicaine votera pour ce texte, sous réserve de l’adoption de son amendement de réécriture de l’article 1er en faveur d’une politique familiale plus lisible.
M. Benjamin Lucas-Lundy (EcoS). Tartuffe Ciotti ! Tartuffe Le Pen ! Vous faites de grands discours, la main sur le cœur, sur l’importance de la famille, vous qui avez passé des mois à combattre le mariage pour tous et l’adoption pour les couples de même sexe ; vous qui n’avez rien fait pour lutter contre les perturbateurs endocriniens, qui sont une entrave majeure à la fertilité, notamment des plus jeunes ; vous qui défendez en ce moment même une proposition de loi visant à interdire certains mariages qui vous dérangent, par obsession raciste et xénophobe ; vous qui vous opposez systématiquement aux mesures du Nouveau Front populaire visant à améliorer le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires ; vous qui vous opposez à la régulation de l’installation des médecins, quand on sait à quel point il est difficile de trouver un rendez-vous chez un pédiatre !
Votre hypocrisie saute aux yeux et ne dupe personne. D’ailleurs, vous ne voulez pas réellement voir adopter ce texte puisqu’il figure à la toute fin de votre niche parlementaire !
Si nous pouvons souscrire aux objectifs de l’article 1er et de l’article 2, notre vision des droits des femmes est radicalement différente de la vôtre, qui est digne des talibans et de Viktor Orbán. Nous, nous préférons la liberté, la possibilité pour les femmes de conquérir leur émancipation et de décider elles-mêmes ce qu’elles font de leur corps ; nous avons soutenu l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution.
M. le président Frédéric Valletoux. Je vous invite à faire preuve de tempérance dans vos propos. La comparaison avec les talibans était malencontreuse : peut-être pouvez‑vous la retirer ?
M. Benjamin Lucas-Lundy (EcoS). Je l’assume pleinement : M. Ciotti et Mme Le Pen appartiennent à ce courant mondial qui remet en cause les droits des femmes. Nous avons vu certains votes lors de l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution.
Faire des enfants, c’est se projeter dans l’avenir. Or le dérèglement climatique et la société rance en cours de construction, faite de discriminations et de tensions, sont des obstacles et une source d’angoisse pour nombre de familles. Nous voulons un peu moins de Retailleau et de Le Pen et un peu plus d’égalité, de justice sociale et de protection contre les désordres du climat, pour envisager un futur plus désirable.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Cette proposition de loi ne répond que très partiellement aux défis de la politique familiale : elle ne traite ni de l’accompagnement des familles monoparentales, ni de l’accès aux modes de garde, ni des congés parentaux.
La natalité et le bien-être des familles dépendent de nombreux facteurs : accès au logement, à un emploi, aux transports et aux soins. Il est illusoire de penser qu’une simple réforme des allocations familiales, aussi coûteuse soit-elle, suffira à résoudre l’ensemble de ces problèmes.
Si nous en comprenons l’objectif, verser les allocations familiales dès le premier enfant représenterait une dépense publique massive, estimée à 5 milliards d’euros par an selon les données relatives aux familles concernées. Ce montant n’est ni financé ni compensé par des économies réalisées sur d’autres dispositifs ; dans un contexte de contraintes budgétaires majeures et de maîtrise de la dépense publique, une telle mesure n’est pas soutenable.
Le rétablissement de l’universalité des allocations familiales, supprimant toute condition de ressources, viendrait alourdir la facture de près de 800 millions d’euros supplémentaires par an. Là encore, aucun financement n’est prévu pour compenser cet élargissement, alors que le Gouvernement cherche à réaliser 40 milliards d’économies.
L’article 3 prévoit d’augmenter le plafond de la réduction d’impôt liée au quotient familial, pour revenir à son niveau d’avant 2013, ajusté en fonction de l’inflation. Cette mesure représenterait un coût supplémentaire pour les finances publiques d’environ 1 milliard d’euros par an et profiterait en priorité aux ménages les plus aisés, sans effets démontrés sur la natalité. Ce choix soulève des interrogations sur le ciblage des aides et de la justice sociale, alors que d’autres dispositifs seraient plus efficaces pour aider les familles les plus vulnérables.
La politique familiale ne peut se réduire à la matière fiscale : il est essentiel de poursuivre une réflexion d’ensemble qui intègre l’accompagnement des familles monoparentales, la valorisation des congés parentaux, l’accès aux services de garde et le soutien à la parentalité. C’est par une action globale, ciblée et responsable que nous pourrons répondre efficacement aux défis démographiques et sociaux de notre pays.
Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons°&°Indépendants votera contre cette proposition de loi, qui entraînerait une dépense massive, peu ciblée et sans effets démontrés sur la natalité.
M. Yannick Monnet (GDR). Cette proposition de loi partage l’objectif d’Emmanuel Macron de réarmer démographiquement notre pays. Mais s’il est vrai que les allocations familiales ont été créées pour encourager un regain de natalité, l’époque a changé et cantonner les allocations familiales à leur éventuelle portée nataliste est trompeur et réducteur.
Comme l’a rappelé la Cour des comptes, les allocations familiales doivent s’entendre comme une juste compensation partielle du coût de l’enfant, assise sur le principe selon lequel il est légitime que le coût financier relatif à l’entretien et à l’éducation des enfants soit partagé entre les familles elles-mêmes et la solidarité nationale, dans la mesure où les enfants participent pleinement l’avenir de notre société.
C’est pourquoi nous soutenons l’article 1er, qui renoue avec l’universalité des allocations familiales : elles sont versées quelles que soient les ressources du foyer et de façon progressive selon la composition familiale.
Nous soutenons aussi l’article 2, qui ouvre le droit aux allocations familiales dès le premier enfant. Les députés communistes et des territoires dits d’outre-mer ont toujours soutenu cette disposition, qui participe à l’universalité des allocations ; nous l’avons fait adopter dans le cadre de notre niche parlementaire. Cette disposition s’impose d’autant que les familles avec un enfant unique sont de plus en plus nombreuses et que la pauvreté infantile avoisine les 20 %, soit un enfant sur cinq.
Notre point de désaccord porte sur l’article 3, parce qu’il ne nous semble pas opportun d’augmenter le plafond du quotient ouvrant droit à une réduction d’impôt. Le quotient familial est une composante logique de l’impôt progressif, qui garantit que le poids de l’impôt est équitablement réparti entre des familles de tailles différentes, en partant du principe qu’avec un même niveau de revenus, une famille avec enfants a moins de capacité contributive qu’un couple sans enfant.
Pour être le plus juste possible, c’est-à-dire distributif, ce plafond doit donc correspondent au coût moyen d’un enfant. Or la Cour des comptes, dans son rapport publié en 2023 intitulé « La prise en compte de la famille dans la fiscalité », notait que le plafond actuel du quotient favorise les familles les plus aisées. Le rehausser encore ne profitera mécaniquement qu’à celles-ci et accentuera le déséquilibre. C’est pourquoi nous souhaitons la suppression de cet article.
Mme Anne Bergantz (Dem). Le groupe Les Démocrates est engagé de longue date en faveur d’une politique familiale ambitieuse et responsable. Il se réjouit donc de voir le soutien public au premier enfant être à nouveau examiné dans notre commission, après la proposition de loi de notre collègue Édouard Bénard, du groupe GDR, en mai dernier, et celle que j’ai eu l’honneur de défendre, visant à simplifier et à réorienter la politique familiale vers le premier enfant.
Cependant, le présent texte fait l’impasse sur un aspect fondamental de toute politique sociale : l’exigence de crédibilité. S’il prétend relancer la natalité par des mesures spectaculaires – suppression des modulations des allocations familiales, ouverture de ce droit dès le premier enfant et réforme du quotient familial –, à y regarder de plus près, il défend une ambition qui ne tient pas face à une réalité implacable : l’absence totale de financement.
Le surcoût annuel des mesures proposées est évalué à plus de 5 milliards d’euros, une somme colossale dans un contexte de forte tension sur les finances publiques. Le texte n’envisage pourtant de le compenser que par un gage symbolique sur le tabac – ce n’est guère sérieux. L’opposition a le devoir d’élaborer des propositions financièrement soutenables, comme nous avions tenté de le faire à l’occasion de la niche parlementaire de notre groupe.
Par ailleurs, il n’existe pas de lien évident entre ces mesures fiscales et une hausse du taux de natalité, que vous appelez de vos vœux. Les travaux scientifiques le montrent, les facteurs décisifs sont autres : le soutien à la petite enfance, l’accès au logement ou la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale – autant de leviers absents du texte.
Nous saluons donc votre intention, que nous partageons en partie, mais pas votre approche. Nous ne pourrons voter ce texte ; il y va de notre crédibilité collective en tant que parlementaires, mais aussi de notre responsabilité vis-à-vis du grave déficit de nos comptes sociaux.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Thibault Bazin, rapporteur général. J’ai été heurté par certains propos caricaturaux. Nous parlons très rarement de politique familiale dans notre commission, alors que c’est un enjeu majeur pour l’avenir du système de protection sociale et de la nation.
Nous fêterons bientôt les 80 ans de la sécurité sociale, dont la branche famille repose sur la promesse d’une solidarité intergénérationnelle, assortie d’un principe d’universalité : toutes les familles souhaitant accueillir des enfants sont soutenues, afin qu’elles ne soient pas financièrement pénalisées par ce choix. Or l’effectivité du principe d’universalité a été amoindrie.
On peut opter pour une approche globale incluant des éléments fiscaux et sociaux – je souscris aux différents propos rappelant les éléments susceptibles d’apporter des solutions aux familles –, mais on ne peut minorer la question du pouvoir d’achat. Une étude de l’Union nationale des associations familiales (Unaf) de 2023 montre que des personnes ayant un désir d’enfant y renoncent ou le reportent parce qu’elles craignent de perdre des ressources.
Outre ces éléments économiques et financiers, nous devons, comme commissaires aux affaires sociales et comme représentants nationaux, faire preuve de considération pour les familles, qui ont disparu du discours politique. Loin d’être polémique, ce sujet doit tous nous rassembler. En rétablissant l’universalité originelle, en adoptant une approche globale, nous enverrions un message aux nouvelles générations qui ont peur de l’avenir.
M. Fabien Di Filippo (DR). Ce débat portant sur notre capacité à encourager la natalité est très important, même si certains cherchent à le caricaturer. Je regrette que plusieurs de mes amendements aient été considérés comme des cavaliers législatifs ; ils portaient notamment sur le mode de garde, qui est un enjeu majeur pour certains foyers.
Permettez-moi ensuite de répondre aux accusations portées par l’extrême gauche. Il y a peu, une mère famille me disait : « Le problème avec les féministes TikTok » – je pense qu’elle parlait de personnes comme M. Lucas-Lundy ou Mme Dombre Coste –, « c’est que pour eux, le droit des femmes c’est toujours le droit de ne pas avoir d’enfant et jamais le droit d’en avoir et de pouvoir les élever dans de bonnes conditions ».
Parler de talibans ou d’utérus à laisser tranquilles dès qu’une politique nataliste est évoquée me semble être le summum du ridicule et de la pauvreté intellectuelle. Vous êtes vraiment devenus une caricature idéologique de vous-mêmes, à gauche !
Ce 18 juin est l’occasion de nous remémorer que, pour le général, chaque nation est mortelle si l’on n’y prend pas garde. Voilà qui nous renvoie à nos responsabilités et qui traduit une vision de long terme de ce qu’est la France, de ce que sont les familles françaises et des aspirations de nos compatriotes à fonder une famille tout en vivant bien. Voilà ce qui nous oblige aujourd’hui, plutôt que des combats d’arrière-garde purement idéologiques visant avant tout à promouvoir les droits d’un individu nombriliste replié sur lui-même qui entraîne notre pays vers l’abîme.
M. le rapporteur. Permettez-moi de revenir sur trois principaux points.
Premièrement, l’absence d’effet de la réforme de François Hollande. Les courbes de la natalité montrent bien qu’en 2014, la baisse est très nette. De plus, toutes les auditions, notamment celle des représentants de l’Unaf, nous ont permis de confirmer l’impact réel de cette réforme sur la confiance des Français dans la politique familiale ; l’aspect financier n’est pas le seul. Cette réforme a bien constitué une rupture historique, qui a créé une perte de confiance évidente. Nous devons réparer cette erreur.
Deuxièmement, le coût des mesures figurant dans ce texte. Parce que nous devons en effet être raisonnables, le groupe UDR prévoit des économies pour le financer. Ce coût permettra aux Français d’avoir autant d’enfants qu’ils le souhaitent, ce qui est peut-être la liberté la plus fondamentale.
Troisièmement, les femmes font exactement ce qu’elles veulent – je n’ai jamais dit le contraire. L’objectif de ce texte consiste à leur rendre la liberté de faire autant d’enfants qu’elles le souhaitent et aucunement de les empêcher de ne pas en avoir. Nous avons auditionné, avec beaucoup de respect, des représentants du mouvement « No kids ».
Enfin, je ne répondrai pas aux insultes qui ont été proférées à mon encontre.
Article 1er : Rétablissement de l’universalité des allocations familiales
Amendement AS9 de Mme Josiane Corneloup
Mme Josiane Corneloup (DR). Le nombre de naissances en France est en constante diminution, ce qui a des incidences importantes sur nos comptes sociaux. Nous souscrivons aux objectifs de cette proposition de loi, mais nous souhaitons réécrire l’article 1er pour réaffirmer le caractère universel des allocations familiales qui seraient versées à partir du premier enfant à charge, et pour revaloriser le quotient familial. Il s’agit d’un amendement d’appel à l’intention du Gouvernement.
M. le rapporteur. Nous sommes d’accord sur le fond, mais voter l’article 1er tel qu’il est rédigé me paraît plus pertinent et de nature à envoyer un message plus fort encore au Gouvernement.
Par ailleurs, lors des journées de niche en séance publique, il arrive que des textes soient retirés ou que des changements d’ordre du jour interviennent ; il n’est pas du tout certain que ce texte ne soit pas examiné à cette occasion.
Avis défavorable.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). L’exposé sommaire de cet amendement est nataliste et fait écho aux propos du rapporteur prétendant que la réforme de 2015 a fait baisser la natalité. Celle-ci est structurellement en baisse en France depuis 1970 et le même constat est fait partout en Europe, en Amérique du Nord et même dans les pays d’Asie de l’Est. Ces derniers ont instauré des politiques censées relancer la natalité, qui n’ont pas fonctionné. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous citer un seul exemple de politique nataliste qui aurait porté ses fruits ? Ne parlez pas de la Hongrie : non seulement elle est revenue sur de nombreux droits des femmes, mais son indice conjoncturel de fécondité est en baisse.
Trois rapports de l’ONU, publiés en 2020, 2022 et 2024, indiquent que la population mondiale entrera en récession en 2080. Ce moment historique pour l’humanité du point de vue anthropologique fait pourtant l’objet d’un déni persistant dans le débat sur la natalité. Et si le XXIe siècle se caractérisait par une natalité en déclin ?
Je vous appelle à sortir du déni et à cesser d’envisager des politiques natalistes pour rééquilibrer les comptes sociaux. Ce faisant, vous vous inscrivez dans un mouvement mondial qui, sous prétexte de relancer la natalité, s’attaque aux droits des femmes. On le voit en Hongrie, en Pologne et aux États-Unis : sans relance de la natalité, les producteurs et les consommateurs seront en nombre insuffisants pour alimenter la croissance économique, mettant en danger le système dans son ensemble – ce qui serait une bonne chose, de notre point de vue.
M. le rapporteur général. La baisse généralisée de la natalité dans toutes les sociétés occidentalisées est factuelle. Mais au-delà du constat, nous sommes là pour mener des politiques publiques et atteindre des objectifs politiques.
Les causes de la baisse de la natalité en France sont multiples et ne se limitent pas aux mesures prises durant le mandat de François Hollande. Différents éléments doivent être pris en considération et adaptés aux attentes sociétales : les modes de garde, la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle, etc. Par conséquent, la réponse à apporter est complexe.
Outre la dimension économique, ce sujet concerne l’avenir de la nation, mais aussi celui de notre système de protection sociale, puisqu’il repose sur une solidarité intergénérationnelle. Des études, réalisées par l’Unaf auprès de plusieurs milliers de femmes, montrent que le désir d’enfant n’a pas diminué depuis dix ans ; il s’établit à 2,3 enfants par femme. Afin de répondre aux femmes ayant ce désir d’enfant, nous devons nous interroger sur la manière de traiter les différentes causes qui en repoussent la concrétisation, notamment les conditions de logement.
Cet amendement se veut pragmatique, pour éviter de voter des mesures qui ne seront pas suivies d’effets. J’étais très sensible aux textes défendus par le groupe GDR, votés il y a quelques jours, mais le Gouvernement n’envisage pas d’introduire les mesures correspondantes dans les documents budgétaires. Cet amendement permettrait de commencer à tracer le chemin nécessaire pour concrétiser ce choix politique.
Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Si nous voulions avoir une approche féministe de la natalité, nous parlerions plutôt d’aide à la parentalité, c’est-à-dire la capacité des personnes qui le souhaitent à être parents. Pour lutter contre les inégalités, commençons par nous occuper de celles qui persistent au travail et intéressons-nous à l’implication des pères, en votant par exemple un congé parental ambitieux.
Je vous invite à avoir des considérations systémiques lorsque nous débattons des questions de société. Plutôt que de nous pencher sur la seule natalité, intéresserons-nous à la parentalité, et en amont, à la fertilité. Nous serons alors confrontés aux problèmes de santé environnementale : nous devons cesser de voter des lois qui empoisonnent le corps des femmes et des hommes, comme en atteste la qualité déclinante des ovocytes et des spermatozoïdes.
Aussi longtemps que vous prendrez les choses par le petit bout de la lorgnette, vous ne parviendrez pas à instaurer des politiques publiques vraiment efficaces. Occupez-vous de l’infertilité, de la parentalité et de l’égalité femmes-hommes au travail, plutôt que de la seule natalité !
M. le rapporteur. À la fin de mon propos liminaire, j’ai bien précisé que ce texte était une première pierre, consistant à rétablir le soutien historique aux familles françaises ; nous devons aller plus loin.
Monsieur Boyard, vous avez raison de rappeler que l’érosion de la natalité est un phénomène mondial. Lors de leur audition, les représentants de l’Institut national d’études démographiques (Ined) ont indiqué que le nombre d’enfants souhaités par les jeunes de 18 à 24 ans connaît une baisse notable et que 20 % ne souhaitent pas en avoir.
Par ailleurs, vous m’avez demandé un exemple de politique nataliste efficace : la courbe des naissances en France avant 2010 est d’une remarquable constance. Pour réparer l’erreur commise par la suite, nous devons rétablir la politique familiale qui a permis à la France de résister à cette érosion, et restaurer la confiance des parents dans la communauté nationale.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte ensuite l’article 1er non modifié.
Après l’article 1er
Amendement AS2 de Mme Justine Gruet
Mme Justine Gruet (DR). Il peut sembler paradoxal, quand on demande le rétablissement de l’universalité des allocations et leur versement dès le premier enfant, de vouloir introduire une restriction liée aux revenus. Accueillir un enfant est choix individuel, mais aussi un choix de famille et un choix de société. La volonté d’avoir des enfants ne doit pas être soumise à la possibilité de percevoir des allocations familiales ; l’État doit accompagner les parents ayant un ou deux enfants, notamment si leurs moyens sont insuffisants.
L’arrivée d’un troisième enfant provoque des changements dans la vie de la famille et demande de faire des investissements, non seulement dans les premières années de sa vie, mais aussi à plus long terme.
Cet amendement vise à demander un rapport, qui évaluerait l’opportunité d’établir un seuil de revenus minimum pour bénéficier des allocations familiales à partir du troisième enfant. Ce seuil, fixé par décret, permettrait de s’assurer qu’au moins un des deux parents dispose d’un revenu suffisant. Les familles nombreuses sont formidables, mais les parents doivent être capables de les assumer financièrement. Il s’agit de redonner du sens aux allocations familiales, qui ne doivent pas être une source de revenus, mais un accompagnement de la cellule familiale.
M. le rapporteur. J’aurais pu être favorable à votre amendement s’il se contentait de demander un rapport sur l’impact de la modulation.
Fixer un seuil de revenu minimal pour percevoir les allocations familiales à partir du troisième enfant me semble risqué : si un parent de quatre enfants perd brutalement son emploi, il perdra en outre le bénéfice des allocations familiales.
Je comprends votre intention, mais ce n’est pas la bonne façon de faire. Nous devons absolument soutenir les familles nombreuses.
Avis défavorable.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Vous soutenez le retour à l’universalité mais vous demandez une exception : c’est contradictoire ! Nous nous y opposerons.
Monsieur le rapporteur, j’ai regardé le graphique. On ne peut évaluer les conséquences d’une politique familiale sur une période de vingt ans. L’indice conjoncturel de fécondité baisse depuis 1970. En réalité, il diminue depuis qu’on a commencé à pratiquer l’agriculture. Aujourd’hui, notre espèce entre dans un nouvel âge : la dénatalité. Et ce n’est pas une mauvaise chose.
Vous avez raison, monsieur Bazin, nous avons un projet politique. Au XXIe siècle, tout va changer. L’ONU prévoit une récession du nombre de consommateurs et de producteurs à partir de 2080. Chers amis libéraux, cela rendra la croissance économique compliquée à obtenir. J’en suis très heureux : je ne supporte pas le capitalisme. Supposez que la natalité ne se relance jamais : tout votre logiciel s’effondrera. Voilà pourquoi je parle de déni. Vous ne pouvez pas croire que la France va relancer la natalité par une politique familiale alors que tous les pays qui ont essayé ont échoué.
M. le rapporteur. On voit clairement sur la courbe que la baisse entamée en 2014 est inédite. Vous pouvez souhaiter une diminution progressive, mais on observe là une chute, évidemment liée à la fin des allocations.
Madame Gruet, il serait paradoxal de prévoir une exception à l’universalité.
La commission rejette l’amendement.
Article 2 : Mise en place des allocations familiales dès le premier enfant
Amendement AS11 de Mme Justine Gruet
Mme Justine Gruet (DR). L’universalité est légitime pour les deux premiers enfants. Elle exprime la solidarité de la nation. À partir de trois enfants, il est irresponsable de compter sur les seules allocations familiales pour financer leur éducation et leur épanouissement. Je ne défends pas la suppression des allocations à partir du troisième enfant, Mais il faut un minimum de revenus. Nous devons garder les allocations familiales pour donner un coup de pouce aux parents et les responsabiliser. C’est notre rôle d’élus de l’assumer.
M. le rapporteur. Une telle mesure contreviendrait au principe d’universalité. Avis défavorable.
M. Benjamin Lucas-Lundy (EcoS). Selon notre collègue, on devrait juger ceux qui veulent avoir plusieurs enfants alors qu’ils sont en situation de précarité. C’est grave ! Surtout de la part de ceux qui défendent la famille et ses valeurs.
Je pense à ma grand-mère. Sa famille de neuf enfants vivait à la ferme et seul le papa travaillait, mais ils ont été heureux toute leur vie, malgré la pauvreté – les allocations familiales les auraient aidés, si elles avaient existé avant 1945.
Votre discours stigmatise les plus précaires et fait du droit à avoir des enfants un privilège : c’est délirant et contraire à ce que nous devrions toutes et tous défendre.
M. Yannick Monnet (GDR). On ferait des enfants pour toucher les « allocs » : c’est un vieux discours. Quand on compare le coût de l’éducation d’un enfant et le montant des allocations, on comprend que c’est un mythe, qu’aucune étude sérieuse n’a jamais étayé. Il vient de la droite réactionnaire – je ne vous accuse pas d’en faire partie.
Mme Justine Gruet (DR). Ne travestissez pas mes propos.
Entre 2019 et 2023, le coût des allocations familiales et de rentrée scolaire et des prestations d’accueil du jeune enfant a augmenté de 1,5 milliard d’euros, tandis que la natalité a baissé de 10 points. Donc les personnes qui ont des moyens mais pas l’aide des allocations ne font plus d’enfants ; celles qui ont moins de moyens mais sont aidées en font. Je ne parle pas de la quantité : chaque enfant a sa place et doit être bien accompagné.
Dans le cas de votre grand-mère, le père avait un revenu. Je ne veux pas supprimer les allocations à partir du troisième enfant mais il faut un revenu, qu’au moins un des deux parents gagne le Smic. Vous méconnaissez la surcote à partir de trois enfants.
Ce point de vue ne fait pas l’unanimité dans ma famille politique ; je le défends à titre personnel. On peut mieux valoriser le premier et le deuxième enfant dans toutes les familles pour aider à concrétiser le désir d’enfant, et responsabiliser sur les engagements qu’implique un plus grand nombre d’enfants. Il faut aider les familles nombreuses quand elles connaissent la précarité mais l’État ne doit pas seul s’en préoccuper.
Mme Joséphine Missoffe (EPR). Infirmière puéricultrice, je me suis occupée d’un centre de protection maternelle et infantile. Pour certaines familles, les allocations familiales constituent une aide réelle.
Toutes les familles de trois enfants et plus ne sont pas riches. Nous soutenons la différenciation car elle permet à des familles précaires d’avoir plus de deux enfants. Certaines en ont cinq et l’État les soutient : c’est formidable.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Vous dites, madame Gruet, que les familles riches font moins d’enfants : c’est faux. La courbe illustrant la fécondité des femmes selon le niveau de vie est en U : l’indice est plus élevé chez les plus précaires et les plus aisés.
Pourquoi défendez-vous l’universalité ? La réforme de 2015 a tapé les plus aisés, je n’y reviens pas. Lorsqu’on défend cette position, on ne peut pas refuser d’aider une famille qui a trois enfants et des revenus faibles. Et que ferez-vous pour le troisième enfant qui n’était pas prévu ? Ça arrive ! Pas grand-chose ne va dans tout ça.
Monsieur le rapporteur, la baisse qui a débuté en 2014 n’est pas inédite : regardez celle qui a eu lieu entre 1965 et 1976, sur une même durée. Faut-il en conclure que M. Pompidou a fait chuter l’indice conjoncturel de fécondité ? Le phénomène s’observe aussi en Irlande, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni : c’est une corrélation.
Soutenir les politiques de relance de la natalité, c’est être à côté, l’expérience l’a montré. La population va entrer en récession. Le groupe Horizons vient de lancer une mission d’information sur les causes et les conséquences de la baisse de la natalité en France : j’espère qu’elle va le démontrer. Si nous n’en prenons pas acte, nous ne serons pas prêts pour la suite.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS13 de Mme Angélique Ranc
Mme Angélique Ranc (RN). L’amendement vise à réserver les allocations familiales aux familles dont l’un des deux parents au moins est de nationalité française.
Je pense ne pas avoir besoin de défendre davantage cet amendement qui reçoit toujours son lot de critiques caricaturales.
M. le rapporteur. Comme souvent, le dispositif de la France est le plus ouvert et le plus généreux pour les étrangers. De plus, on vérifie peu le respect des conditions, minimes. Il n’est pas normal de financer ce système tout en faisant des économies sur le dos des familles françaises.
Je suis favorable à cet amendement.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). L’extrême droite veut appliquer la préférence nationale aux allocations familiales. Résumons.
Les parents étrangers ne toucheront pas d’allocations familiales : leurs enfants, y compris s’ils sont français, seront moins bien soignés, auront moins à manger et vivront dans un logement moins bien chauffé que ceux de leurs voisins de palier, alors qu’ils paient les mêmes cotisations. Vous voulez qu’ils paient mais qu’ils ne reçoivent rien. Vous appelez cela la préférence nationale mais, techniquement, c’est du vol.
Dans vos mythes qui confinent au délire, les allocations familiales inciteraient à venir en France. Imaginons un village syrien. Tout le monde a fait français LV1. Les gens vont sur le site service-public.fr, sélectionnent le formulaire F13213, qui les renvoie sur mes‑droits‑sociaux.gouv.fr. Là, il faut gérer les cookies, sinon ça ne marche pas. Puis ils sélectionnent une des cinquante-huit prestations possibles pour lancer le simulateur, avant de remplir très précisément toutes cases correspondant à leur situation familiale exacte, en fonction du barème. Un discours aussi erroné prêterait à rire si vous ne le teniez pas sérieusement.
« Cette mesure permettra de renouer avec l’objectif initial de la politique familiale française », écrivez-vous dans l’exposé sommaire. Or ledit objectif est historiquement défini par l’article 1er de l’ordonnance du 4 octobre 1945 : « garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature [et] couvrir les charges [...] de famille qu’ils supportent ». La nationalité était un critère sous Vichy, elle ne l’est plus depuis 1945 – restons-en là.
M. Benjamin Lucas-Lundy (EcoS). Vous voulez priver des enfants – dont certains sont français, mais peu importe – de l’assistance nécessaire à des conditions de vie dignes. C’est d’une violence inouïe ! Vous l’annoncez avec détachement – on va étaler notre xénophobie par amendement, nourrir le racisme d’atmosphère qui met la société sous tension et enfoncer un coin de plus dans le socle de la fraternité républicaine. Imaginez-vous que les gens regardent nos débats et cherchent dans des manuels de droit social comparé s’ils ont intérêt à aller en France ou ailleurs pour avoir des enfants ? Vous vivez dans vos obsessions fantasmatiques et c’est affligeant.
Défendre le retour à une législation en vigueur sous Vichy un 18 juin, c’est cocasse.
M. Yannick Monnet (GDR). Monsieur le rapporteur, vous avez émis un avis favorable. Donc, vous considérez qu’on peut apporter un soutien à la parentalité à certains Français – je parle des enfants – et pas à d’autres. C’est curieux.
M. Théo Bernhardt (RN). À entendre les propos caricaturaux que les collègues d’extrême gauche nous prêtent, je ne regrette pas d’être venu !
Monsieur Lucas-Lundy, vous avez affirmé que ce texte étant le dernier de notre niche, nous n’y accorderions pas d’importance. Les deux dernières propositions de loi de la vôtre visaient respectivement à sauvegarder les emplois industriels et à protéger les travailleurs du nettoyage. Considérez-vous que c’est sans importance ?
Vous critiquez beaucoup mais vous n’avez déposé aucun amendement : vous êtes incapable de quelque proposition que ce soit sur ce texte. Votre amalgame avec les talibans est gravissime. En attendant, nous, on ne soutient pas le Hamas !
Mme Angélique Ranc (RN). Moduler le niveau des prestations sociales en fonction de la nationalité ne serait pas nouveau en Europe. En Autriche, leur montant dépend du niveau de maîtrise de la langue nationale. Appliquée en France, une telle mesure en priverait de nombreux bénéficiaires. La Grèce impose douze ans de résidence pour bénéficier des allocations familiales si l’on n’est pas ressortissant d’un pays membre de l’Union européenne ; en Hongrie, on ne peut prétendre aux primes fiscales liées à la famille.
Certains m’objectent que les étrangers parfois cotisent en France. Je ne l’ignore pas. À ces contradicteurs, qui par sectarisme ne voteront pas non plus mon prochain amendement, je réponds que ce critère est purement économique et technique : cotiser ne garantit nullement un engagement profond et durable à la nation.
Mme Fanny Dombre Coste (SOC). Quand on soutient l’universalité des allocations familiales, il est contradictoire de vouloir exclure de leur bénéfice les enfants français nés de parents étrangers.
Comment expliquerez-vous aux familles qui viennent en France travailler dans les filières qui ont besoin d’eux, donc aux personnes qui viennent participer à la richesse de notre pays, qu’ils seront privés de ce soutien ?
Nous sommes opposés à cet amendement, et pas seulement en raison du racisme assumé qui le fonde.
M. le rapporteur général. Monsieur Boyard, vous refusez la marchandisation du corps des femmes et vous vous opposez à la gestation pour autrui. Cette cohérence, dont tout le monde ne fait pas preuve, suscite mon respect.
Sur la condition de nationalité, il faut être précis. Pour bénéficier des allocations, il faut plus de trois mois de séjour régulier. Une famille qui a des enfants à charge ne doit pas vivre moins bien qu’une autre sans enfants : c’est la promesse républicaine, que tient la branche famille.
Par ailleurs, nous avons des conventions bilatérales de protection sociale : les Français qui résident à l’étranger ne perçoivent pas les allocations familiales mais ils bénéficient d’un soutien dans le pays où ils vivent. L’adoption de votre amendement pourrait remettre en cause ces conventions, donc pénaliser ces familles.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS12 de Mme Angélique Ranc
Mme Angélique Ranc (RN). Cet amendement de repli vise à réserver le bénéfice des allocations familiales aux familles dont l’un des parents au moins paie la contribution sociale généralisée (CSG). Le même amendement, présenté dans l’hémicycle, a provoqué des interventions mensongères, certains affirmant par exemple que son adoption priverait d’allocations les personnes en situation de handicap.
Des exceptions sont prévues, notamment pour les ressortissants des États de l’Union européenne dont l’activité donne lieu à des prélèvements équivalents au titre de la protection sociale. Le dispositif protège également les familles dont l’un des deux parents au moins est de nationalité française, ce qui inclut les personnes en situation de handicap.
Enfin, le décret d’application précisera les cas d’exemption légitimes que nous aurions oubliés.
Rien ne vous empêchait de déposer un sous-amendement pour intégrer les éléments manquants. Vous l’auriez fait, si votre objection était de bonne foi.
M. le rapporteur. Votre proposition est cohérente avec la logique contributive de la sécurité sociale. On ne peut pas continuer à réduire la voilure pour des familles aux revenus très modestes tout en finançant sans conditions ceux qui ne participent pas à l’effort collectif.
J’émets un avis favorable.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). C’est pitoyable. Une maman étudiante, au revenu de solidarité active ou au chômage avec de faibles indemnités, ne paie pas la CSG. Si votre amendement était adopté, elle n’aurait pas droit aux allocations familiales.
Au Rassemblement national, vous réfléchissez avant d’écrire ? Vous vous êtes déjà humiliés en défendant la préférence nationale. On voit que c’est Bardella qui vous dirige – amateurs !
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 2 non modifié.
Après l’article 2
Amendement AS15 de M. Thibault Bazin
M. le rapporteur général. Il faut simplifier notre système de prestations. L’amendement vise à obtenir un rapport, idéalement avant l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, sur l’opportunité de fusionner toutes les prestations sociales. Il faudra distinguer celles qui relèvent de la politique sociale, qui vise à soutenir les familles en difficulté, de celles qui servent la politique familiale, qui doit selon nous être universelle. Une prestation unique permettra de limiter les démarches, coûteuses en temps et en énergie.
Dans le cadre du Printemps social de l’évaluation, nous avons attaqué le directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales sur le fait que, pour la troisième fois, la Cour des comptes avait refusé de certifier les comptes de la branche famille. Il nous a répondu que nous avions tellement complexifié le système que le nombre d’indus était normal. Pour limiter les risques, il faut avancer sur la simplification.
M. le rapporteur. Les auditions ont révélé qu’il était essentiel, pour redonner confiance dans la politique familiale, de rendre plus lisibles les aides qui en relèvent. La fusion est nécessaire. Ce rapport pourrait nous y faire tendre.
J’y suis favorable.
La commission rejette l’amendement.
Article 3 : Rehaussement du plafonnement du quotient familial
Amendements de suppression AS1 de Mme Fanny Dombre Coste, AS10 de M. Yannick Monnet et AS16 de Mme Zahia Hamdane
Mme Fanny Dombre Coste (SOC). Mon amendement tend à supprimer l’article 3. La mesure prévue est inefficace, injuste et coûteuse. Les simulations réalisées sur Leximpact montrent que seuls les ménages situés dans les neuvième et dixième déciles, soit les 20 % les plus aisés, y gagneraient. Ces ménages perçoivent entre 4,5 et 6 Smic par mois. Selon nous, ils n’ont pas besoin d’un tel cadeau fiscal.
Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Le quotient familial est un dispositif profondément injuste ; il a été créé en 1945, dans un autre contexte. Aujourd’hui, il profite essentiellement aux foyers les plus riches. Les familles modestes, qui ne sont pas imposables, n’en tirent aucun bénéfice ; pour les autres, même plafonné, l’avantage reste très inégalement réparti. L’article 3 prévoit de relever le plafond de 1 791 à 2 841 euros, ce qui représenterait quelque 3 milliards de manque à gagner pour les finances publiques. Or les deux tiers de cette somme iraient directement aux 20 % les plus riches. C’est une politique familiale à l’envers : pendant que des millions de familles peinent à boucler leurs fins de mois, on donne plus à ceux qui ont déjà tout.
Nous, à La France insoumise, défendons une autre solution : l’instauration d’un crédit d’impôt par enfant. C’est une vraie mesure de justice sociale, simple et lisible. Toutes les familles y auraient droit, même les plus précaires.
La proposition qui nous occupe ne vient pas de nulle part. Elle est défendue par l’extrême droite, comme d’habitude au service des plus riches : le discours nataliste cache un choix de classe. Revaloriser le quotient familial, ce n’est pas soutenir les familles, c’est creuser les inégalités. Nous demandons donc la suppression de cet article.
M. le rapporteur. À quel moment est-on riche ? Prenons l’exemple d’un couple parisien dont chaque membre gagne 2 800 euros par mois. S’ils ont deux ou trois enfants, il leur faut un grand logement, donc ils paient un loyer élevé. Les transports sont chers. Ils ont des frais de garde : avec de tels revenus, on n’a pas d’aides, ça coûte très cher. Sont-ils riches ? Pour moi, ils appartiennent à la classe moyenne. Beaucoup de personnes dans cette situation sont en grande difficulté.
Le texte ne supprime pas le plafond, il ne le porte pas à un montant exorbitant, il le hausse un peu, pour que les classes moyennes ne soient pas fracassées. Monsieur Boyard l’a souligné, c’est chez elles que la natalité a fortement baissé. C’est une mesure en leur faveur.
M. Benjamin Lucas-Lundy (EcoS). Nous soutiendrons les amendements de suppression. L’article 3 parachève le texte, qui illustre bien l’alliance entre Mme Le Pen et M. Ciotti.
On part d’angoisses fondées et d’injustices réelles. Au lieu de chercher des solutions, avec le souci de l’efficacité et de la justice, en suivant la boussole républicaine, vous revenez à vos obsessions. Vous avez défendu la préférence nationale, avec un dispositif qui créerait une discrimination. Vous avez tenu des discours réactionnaires sur la fonction des femmes dans la société et leur liberté, en citant vos sources d’inspiration : la Hongrie de M. Orbán et l’Italie de Mme Meloni, qui connaissent un régime d’extrême droite. Vous finissez en faisant le choix de l’injustice sociale, des privilèges et des riches. On voit comment l’extrême droite fait son beurre sur les souffrances des Français, comment elle détourne les colères pour répandre ses obsessions et créer un climat de tension, sans jamais remettre en cause les inégalités qui fracturent la société.
M. le rapporteur. La mesure s’appliquera aux couples gagnant deux fois 2 800 euros par mois. Député des Yvelines, vous n’êtes pas sans savoir le coût exorbitant du logement dans ce département. Diriez-vous que les couples concernés sont immensément riches ? La classe moyenne est percutée. C’est très difficile pour elle. Allez voir les gens dans votre circonscription, vous verrez que c’est la vérité.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 3 est supprimé et l’amendement AS7 de Mme Sylvie Bonnet tombe.
Article 3 bis (nouveau) : Rapport sur l’évolution de l’écart entre le désir d’enfant et la fécondité réelle constatée
Amendement AS14 de M. Thibault Bazin
M. le rapporteur général. Nous proposons que soit remis au Parlement un rapport qui étudie les effets de la proposition de loi sur l’écart entre le désir d’enfant et la fécondité.
Une étude récente réalisée par le conseil de la famille du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) montre que les couples qui ont des enfants auraient aimé en avoir un de plus. Le fait est que le désir d’enfant ne se concrétise pas toujours, pour des raisons qui peuvent être en partie financières mais qui tiennent également aux politiques publiques en matière de garde d’enfants, de congé parental...
M. le rapporteur. Il serait en effet intéressant de mesurer l’impact des mesures que nous proposons, mais je ne suis pas certain qu’un rapport soit nécessaire, compte tenu des données produites par l’Institut national de la statistique et des études économiques ou l’Ined.
Je m’en remets donc à la sagesse de la commission.
M. le rapporteur général. Je sais, pour m’intéresser de longue date à la politique familiale, que les données qualitatives manquent pour comprendre les aspirations des familles, qui sont diverses, et les raisons pour lesquelles le désir d’enfant ne se concrétise pas toujours. C’est en tout cas le besoin exprimé par le HCFEA, qui travaille à l’élaboration d’un questionnaire qualitatif.
M. le rapporteur. En définitive, je suis favorable à l’amendement.
La commission adopte l’amendement. L’article 3 bis est ainsi rédigé.
Article 4 : Gage de recevabilité
La commission adopte l’article 4 non modifié.
Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
La réunion s’achève à douze heures cinq.
Informations relatives à la commission
La commission a désigné :
– M. Sébastien Saint-Pasteur rapporteur sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société (n° 1580) ;
– Mme Josiane Corneloup corapporteure de la mission d’évaluation des lois n° 2019‑774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé et n° 2021‑502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification.
Présences en réunion
Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Théo Bernhardt, M. Louis Boyard, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Fabien Di Filippo, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, M. Damien Girard, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, Mme Sandrine Josso, M. Michel Lauzzana, Mme Christine Le Nabour, Mme Élise Leboucher, M. Bartolomé Lenoir, Mme Christine Loir, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Thomas Ménagé, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Laurent Panifous, Mme Angélique Ranc, Mme Sandra Regol, Mme Anne-Sophie Ronceret, M. Aurélien Rousseau, M. Jean-François Rousset, Mme Sandrine Runel, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Arnaud Simion, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal
Excusés. – Mme Anchya Bamana, M. Christophe Bentz, M. Elie Califer, Mme Sylvie Dezarnaud, Mme Océane Godard, Mme Karine Lebon, M. Roland Lescure, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Stéphane Viry
Assistaient également à la réunion. – Mme Anne Bergantz, M. Arthur Delaporte