Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi pour la relance d’une politique nataliste (n° 1595) (M. Bartolomé Lenoir, rapporteur) 2
– Examen, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société (n° 1580) (M. Sébastien Saint‑Pasteur, rapporteur) 2
– Présences en réunion.................................11
Mardi
24 juin 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 98
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
— 1 —
La réunion commence à seize heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, les amendements à la proposition de loi pour la relance d’une politique nataliste (n° 1595) (M. Bartolomé Lenoir, rapporteur).
La commission a accepté l’amendement figurant dans le tableau ci-après* :
N° |
N° Id |
Auteur |
Groupe |
Place |
19 |
|
M. LENOIR Bartolomé |
UDR |
3 |
14 |
|
M. BERGER Jean-Didier |
DR |
Ap. 1er |
* Les autres amendements étant considérés comme repoussés.
*
La commission examine ensuite, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société (n° 1580) (M. Sébastien Saint‑Pasteur, rapporteur).
M. le président Frédéric Valletoux. Lors de la Conférence des présidents de la semaine dernière, le président du groupe Socialistes et apparentés a indiqué qu’il souhaitait exercer son droit de tirage pour la création d’une commission d’enquête portant sur les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société.
Il revient donc à notre commission, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Chers collègues, je vous remercie de m’accueillir au sein de la commission des affaires sociales. Mon groupe a en effet choisi de faire usage de son droit de tirage et il revient à la commission de se prononcer sur la recevabilité de cette proposition de résolution, qui s’apprécie à la lumière de trois critères cumulatifs. Je vais m’employer à démontrer que chacun des trois est respecté, en m’attardant sur le premier d’entre eux.
Premièrement, les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées. La présente proposition de résolution est parfaitement conforme à cet impératif.
Tout d’abord, les politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap relèvent tant des services publics sanitaires, sociaux et médico-sociaux que d’acteurs privés tels que des professionnels libéraux ou des structures associatives, et tous dépendent de manière directe ou indirecte du système de financement de la protection sociale.
Ensuite, si la santé mentale et le handicap sont par nature distincts, ils ont en commun de poser des problèmes importants de prise en charge, que celle-ci soit sanitaire, sociale ou médico-sociale, alors que les besoins de la population n’ont eu de cesse de croître. En conséquence, nous observons un effet ciseau qui renforce les inégalités d’accès à l’ensemble de l’offre de soins et d’accompagnement.
S’agissant de la santé mentale, alors que 16 % des Français montrent des signes d’état dépressif et qu’un Français sur dix a eu des pensées suicidaires au cours de l’année, le système de santé, en ville comme à l’hôpital, est en très forte tension. Ce constat est d’autant plus alarmant que la situation se dégrade pour certaines catégories de la population. À titre d’exemple, en 2021-2022, le taux d’hospitalisation en psychiatrie des 10-14 ans pour gestes auto-infligés a augmenté de 246 % par rapport à la période 2010-2019. Ce taux a doublé pour les femmes âgées de 10 à 19 ans entre 2020 et 2022.
S’agissant du handicap, malgré les avancées de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes en situation de handicap, l’égalité des droits pour des millions de Français déclarant au moins une limitation de fonction sévère semble encore théorique, alors même que les besoins augmentent, comme en témoigne, par exemple, le nombre croissant de personnes de plus de 50 ans en situation de handicap. La prise en charge sanitaire en est l’illustration aux côtés de l’accessibilité, de l’éducation ou bien encore de l’emploi.
Sur l’un et l’autre aspect, votre commission a récemment conduit des travaux de grande qualité qui confirment ou devraient confirmer ces constats : le rapport d’information de Mmes Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat sur la prise en charge des urgences psychiatriques et la mission d’évaluation de la loi du 11 février 2005 actuellement menée par Mme Christine Le Nabour et M. Sébastien Peytavie. L’utilisation de ces travaux, comme d’autres que je n’ai pas le temps de citer, paraît évidente pour traiter du champ plus large qui fait tout l’intérêt et la nécessité de la commission d’enquête que nous souhaitons.
La proposition de résolution lui assigne vingt-trois missions visant à déterminer les causes précises, notamment liées à la conduite des politiques publiques actuelles et passées et à l’organisation et à la gouvernance des systèmes sanitaires, sociaux et médico-sociaux, des défaillances dans la prise en charge et l’accompagnement des citoyens concernés par un handicap ou par une santé mentale dégradée. Il s’agit en outre d’évaluer leurs conséquences concrètes, telles que d’éventuelles pertes de chance ou des inégalités sociales et territoriales engendrées ou aggravées par l’organisation actuelle du système. La commission d’enquête s’intéresserait notamment au développement d’une prise en charge par une offre privée à but lucratif, qui pourrait être une source importante d’inégalités.
Par ailleurs, ses investigations permettraient d’identifier et d’étudier l’ensemble des coûts induits par ces défaillances, notamment sur les plans économique et budgétaire, pour les citoyens concernés, pour les aidants, pour l’État, pour les entreprises et pour la société dans son ensemble. Le coût de l’inaction pourrait par exemple être étudié en matière de prévention pour les entreprises ou en matière d’inclusion pour la cohésion sociale.
En somme, au vu du nombre croissant de Français concernés par des troubles de santé mentale ou par un handicap, et considérant les défaillances toujours plus prégnantes de leur prise en charge par les acteurs publics comme privés, la première condition de recevabilité apparaît pleinement satisfaite.
Deuxième condition : une commission d’enquête ne peut porter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Interrogé par la Présidente de l’Assemblée nationale, le garde des sceaux a fait savoir qu’il n’y avait pas de procédure en cours susceptible de recouvrir le périmètre de la commission d’enquête envisagée – réponse reçue aujourd’hui à seize heures vingt-huit !
Troisième condition : une commission d’enquête ne peut porter sur le même objet qu’une précédente commission d’enquête avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la fin des travaux de celle-ci.
Aucune des commissions d’enquête créées depuis le début de la XVIIe législature n’a le même champ que la proposition de résolution qui vous est présentée. Certaines de celles dont la création vous a été proposée relèvent du domaine sanitaire : la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins ; celle sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs. Mais aucune n’a spécifiquement traité des défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et des coûts de ces défaillances pour la société. Il apparaît donc clairement que la santé mentale comme le handicap sont des objets tout à la fois plus spécifiques et plus généraux que ceux des commissions d’enquête créées depuis le début de la législature.
Il est ainsi manifeste qu’il n’a pas été fait usage des pouvoirs d’une commission d’enquête au cours de la période récente pour explorer le champ visé par la présente proposition de résolution.
J’espère que les travaux de la commission d’enquête, auxquels vous serez, j’en suis certain, nombreux à contribuer, contribueront à améliorer à terme la prise en charge de la santé mentale et du handicap pour l’ensemble des Français.
L’année 2025 marque les cinquante ans de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 et les vingt ans de la loi du 11 février 2005. Elle sera également l’occasion, à la fin du mois de septembre, d’un bilan un an après que Michel Barnier a fait de la santé mentale une grande cause nationale.
J’espère que nous ferons œuvre utile en démontrant qu’investir dans la prévention et l’accompagnement n’est pas seulement socialement indispensable, mais économiquement vertueux.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Christine Loir (RN). Nous saluons la perspective de cette commission d’enquête. Elle implique que nous affrontions une vérité : depuis vingt ans, les gouvernements, de gauche comme de droite, ont échoué à répondre à la détresse de millions de Français. La loi de 2005 sur le handicap devait transformer la vie de 12 millions de personnes. Son bilan est accablant : promesses non tenues, retard administratif dans les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), déshumanisation des parcours. Des familles entières vivent un véritable parcours du combattant pour faire valoir des droits pourtant fondamentaux.
Que dire de la santé mentale ? Emmanuel Macron en avait fait une grande cause de son quinquennat. Il avait promis une mobilisation inédite, un tournant. Il avait annoncé l’accès aux soins pour tous. Les résultats sont catastrophiques. Le dispositif Mon soutien psy, censé faciliter l’accès à un accompagnement psychologique, est un échec largement reconnu, y compris par les professionnels de santé eux-mêmes. Plus de 85 % des psychologues refusent d’y participer, dénonçant un système inadapté, rigide, mal rémunéré et mal conçu. Au lieu de prendre ses responsabilités, le Président de la République a préféré, sur le plateau de TF1, le 13 mai dernier, rejeter la faute sur les praticiens. Cette stratégie bien connue permet d’éviter le débat de fond.
La vérité, c’est que la santé mentale reste un angle mort de notre système de soins, marqué par des services saturés, des délais insupportables et des inégalités évidentes. Pendant ce temps, les signaux d’alerte s’accumulent, notamment chez les jeunes. Un Français sur dix pense au suicide. Cette commission doit enfin poser les bases d’une politique à la hauteur de ces souffrances silencieuses. Il y a urgence.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). La création de la commission d’enquête relevant du droit de tirage du groupe Socialistes et apparentés, nous n’avons pas à nous prononcer sur son opportunité. L’ambition est d’établir un diagnostic approfondi sur les éventuelles lacunes de nos politiques publiques en matière de santé mentale et de handicap.
Je remercie notre collègue Sébastien Saint-Pasteur de mettre en lumière ces deux sujets d’importance, mais je veux attirer votre attention sur le fait qu’ils sont à la fois très vastes et différents et qu’il conviendrait de ne pas les amalgamer par respect pour les patients. Si nous avons bien compris que l’objectif premier de cette future commission est d’évaluer le coût économique de l’insuffisance des politiques publiques dans ces deux domaines, je m’interroge sur la capacité de la commission à produire une documentation complète et à faire des propositions tant les éléments à traiter sont nombreux.
Par ailleurs, en matière de santé mentale comme de handicap, les travaux parlementaires récents ont permis de dresser des constats, de faire des propositions et d’établir des diagnostics. Je suis bien placée pour en parler après la mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques que j’ai effectuée l’année dernière avec ma collègue Sandrine Rousseau – nous suivons actuellement la mise en œuvre de ses vingt et une propositions. Je veux également citer la mission d’information en cours sur la loi du 11 février 2005 menée par nos collègues Christine Le Nabour et Sébastien Peytavie.
Cette commission d’enquête constituera un outil supplémentaire de réflexion et d’évaluation et sera, je l’espère, l’occasion de propositions pour améliorer notre cadre législatif, aussi bien pour construire une société plus inclusive que pour améliorer la prise en charge de la santé mentale dans notre pays. Le groupe EPR participera à la mesure de ses capacités et de manière active aux travaux de la commission d’enquête lorsque celle-ci sera constituée.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Je salue à mon tour cette initiative, mais je m’interroge sur le choix d’associer les deux sujets du handicap et de la santé mentale : il y a un risque d’amalgame.
Ces sujets sont importants et notre commission s’en est souvent saisie, comme d’autres organes de notre assemblée : la délégation aux droits des enfants a confié une mission d’information sur la santé mentale des mineurs à Anne Stambach-Terrenoir, qui présentera son rapport la semaine prochaine, et je suis chargée par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, avec Josiane Corneloup, d’une mission d’évaluation de la prise en charge des troubles psychiques des personnes placées sous main de justice. Qu’est-ce que cette commission d’enquête pourrait apporter de plus ? Le diagnostic est partagé par tous et nous avons déjà mobilisé tous les acteurs sur ces questions.
La santé mentale est un sujet très vaste : quel sera le périmètre de la commission dans ce domaine ?
J’ai quelques suggestions d’auditions et de sujets à traiter – implication dans nos politiques publiques de la fondation FondaMental et impact de ses centres experts sur la prise en charge des troubles psychiques, évaluation des lois Bachelot et Touraine et de la mise en place des groupements hospitaliers de territoire, financement de la psychiatrie par l’instauration de la tarification à l’activité, financement et fonctionnement des MDPH, dont les dysfonctionnements sont en augmentation. Il est également très important de ne pas oublier les personnes concernées par la santé mentale comme par le handicap.
À trois semaines de la pause parlementaire, quel calendrier imaginez-vous ?
M. Jérôme Guedj (SOC). Comme membre du groupe socialiste, je soutiens ardemment la proposition de résolution de Sébastien Saint-Pasteur. C’est déjà à l’initiative de notre groupe qu’a été créée l’année dernière la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance : il y a là une cohérence, celle de la prise en compte des vulnérabilités. Nous devons accorder toute notre attention aux publics les plus fragiles et nous interroger sur l’efficacité des politiques publiques qui permettent de les accompagner. Les enjeux, aussi gigantesques que divers, concernent les établissements et services d’accueil et d’accompagnement des personnes en situation de handicap, les MDPH ou encore l’approfondissement des droits et de l’autonomie pour les personnes en situation de handicap.
Cette commission d’enquête arrive à point nommé pour compléter les travaux déjà mentionnés sur la prise en charge des urgences psychiatriques et sur l’évaluation de la loi de 2005. Il faut une évolution législative, nous en sommes convaincus. La commission se concentrera notamment – c’est nécessaire – sur la diffusion de la culture de la santé mentale dans l’ensemble des politiques publiques, au-delà de la seule psychiatrie publique, qui est à l’os et en très grande difficulté, plongée pour partie dans une nuit sécuritaire.
Pour traiter de ces enjeux majeurs, la commission d’enquête est un outil pertinent : elle nous permettra de formuler des propositions pour légiférer là où se manifestent les besoins, qu’il s’agisse des moyens ou de l’organisation des politiques publiques en question.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Nous sommes tous régulièrement sollicités par nos concitoyens à propos de la dégradation marquée, ces dernières années, de la prise en charge de la santé mentale et du handicap alors que les besoins sont en nette augmentation, en particulier en raison du vieillissement de la population. Les inégalités d’accès aux soins se sont accentuées au fil des ans et les déserts médicaux sont de plus en plus nombreux, notamment en psychiatrie. Vous avez rappelé les chiffres dramatiques concernant la santé mentale des enfants et des adolescents, parmi lesquels le nombre de tentatives de suicide et de suicides augmente. Nous partageons bien évidemment vos inquiétudes.
Par ailleurs, malgré les avancées de la loi du 11 février 2005, les 14,5 millions de Français en situation de handicap se sentent encore trop souvent laissés pour compte en matière d’accessibilité, d’éducation ou d’emploi.
Cette demande de commission d’enquête est un droit et nous le respectons. Une telle commission permettrait d’évaluer sans complaisance les politiques publiques actuelles et d’ouvrir des pistes pour améliorer l’accompagnement de nos concitoyens concernés par un handicap ou une santé mentale dégradée.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Le groupe écologiste soutient toute démarche visant à reconnaître l’échec de l’État à garantir les droits fondamentaux des personnes handicapées, dès lors qu’il s’agit véritablement de faire avancer cette cause.
Notre institution a déjà pris ses responsabilités en créant la mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques et la mission d’évaluation de la loi de 2005 déjà citées. Les dizaines d’heures d’auditions menées pendant ces travaux ont permis de dresser plusieurs constats cinglants.
Les grands principes de la loi de 2005, qui avait suscité tant d’espoir chez les personnes concernées, sont bafoués quotidiennement. Le coût lié à la santé mentale atteindrait près de 163 milliards d’euros et celui de la pauvreté, qui touche une personne handicapée sur cinq, est de 119 milliards. Mais nous ne pouvons réduire les besoins en matière de handicap à ces questions économiques. Si la loi de 2005 a permis certaines avancées, elle enferme le handicap dans une vision médicalisée et paternaliste, à l’encontre de la convention relative aux droits des personnes handicapées.
La priorité est à l’action politique. Nombreux sont ceux qui ont renoncé devant les coûts financiers, mais il faut mettre ces derniers en balance avec le coût de l’inaction, le coût sociétal et humain que représente le fait de priver 16 % de la population de l’égalité des droits et de faire ainsi de ces personnes des sous-citoyens.
Comme chaque année, l’heure de vérité viendra lors de l’examen du budget. Serons‑nous au rendez-vous lorsqu’il s’agira de donner des moyens pour l’école inclusive, pour des logements véritablement accessibles et pour garantir le respect des droits fondamentaux des personnes handicapées ?
M. Jean-Carles Grelier (Dem). Le groupe Les Démocrates n’a pas d’observation particulière sur la recevabilité de cette commission d’enquête, dont la création relève du droit de tirage dont dispose chaque groupe. Sur le fond, j’ai deux réserves.
La première concerne le mélange des genres et des sujets. Regrouper le handicap et la santé mentale dans une seule et même thématique me paraît dangereux. Les personnes handicapées n’ont pas toutes des problèmes de santé mentale et réciproquement. Cette confusion me paraît particulièrement péjorative. Quel discours de la méthode nous proposerez‑vous, monsieur le rapporteur, pour éviter cet écueil ?
Ma seconde observation, qui n’est pas une objection, concerne le caractère redondant de la commission d’enquête, compte tenu des travaux passés ou en cours. Trop d’auditions ne risquent-elles pas de nuire à la qualité des auditions, trop de rapports à la pertinence des rapports ?
Pour le reste, le groupe Les Démocrates s’en remettra à la sagesse de l’Assemblée.
M. François Gernigon (HOR). Le groupe Horizons°&°Indépendants prend acte de la proposition de résolution déposée dans le cadre du droit de tirage du groupe Socialistes et apparentés. Nous suivrons l’avis du rapporteur sur la recevabilité, mais il nous semble utile de formuler deux observations.
La santé mentale et le handicap sont deux sujets majeurs, mais ils ne relèvent pas toujours des mêmes problématiques ni des mêmes politiques publiques. Ce rapprochement mérite d’être questionné. Une personne en situation de handicap peut parfaitement aller bien psychiquement.
Ensuite, le recours à une commission d’enquête n’est jamais neutre. Il peut laisser entendre qu’il y aurait matière à suspicion ou à opacité. En l’espèce, les nombreux dispositifs existants, bien que perfectibles, font déjà l’objet de suivis et d’évaluations. Une mission d’information, dotée des outils nécessaires pour établir un diagnostic partagé et formuler des recommandations, aurait pu constituer une alternative plus adaptée.
Cela étant dit, comment ne pas rappeler l’importance de ces enjeux ? Trop de nos concitoyens, en particulier les jeunes, les personnes en situation de handicap et les familles isolées, peinent à accéder à un accompagnement adapté en raison du manque de professionnels, de la rupture des parcours de soins et des inégalités territoriales. La santé mentale, grande cause nationale en 2025, mérite une mobilisation forte et une évaluation des politiques menées. Cette commission d’enquête, si elle est rigoureuse dans sa méthode et constructive dans ses propositions, peut y contribuer.
M. Stéphane Viry (LIOT). La commission d’enquête est un des moyens les plus efficaces mis à la disposition du pouvoir législatif pour évaluer les politiques publiques et les choix – ou les non-choix – qui ont été faits.
Le groupe LIOT soutient la création de cette commission d’enquête, qui devrait nous permettre de comprendre pourquoi nous en sommes là, pourquoi de nombreux Français en situation de handicap constatent que leurs droits ne sont pas égaux à ceux des autres citoyens, pourquoi tant de nos concitoyens souffrant de troubles psychiques peinent à être accompagnés. Il est opportun de prolonger les travaux en cours – mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques, mission d’évaluation de la loi de 2005.
Cette commission d’enquête a donc une raison d’être et je ne doute pas que vous saurez la mener avec sagacité pour identifier les défaillances de nos services publics et des acteurs privés dans les domaines sanitaire, social et médico-social. Il s’agit des ressources financières et humaines auxquelles nous recourons pour accompagner celles et ceux qui sont en difficulté : il y va de notre protection sociale et de notre pacte républicain.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Théo Bernhardt (RN). Le drame récemment survenu à Nogent – une surveillante a été assassinée devant un collège par un jeune élève décrit comme « sans compassion », « fasciné par la violence » et « en perte de repères » – met douloureusement en lumière les enjeux de la détection précoce des troubles psychologiques chez les jeunes. Le procureur de la République de Chaumont a affirmé que l’auteur présumé ne présentait « aucun signe évoquant un possible trouble mental » lors de sa garde à vue, tandis que son avocat insiste sur la nécessité d’expertises psychologiques et psychiatriques approfondies le plus tôt possible au cours de l’enquête.
Monsieur le rapporteur, cette apparente contradiction m’incite à vous demander si une commission d’enquête sur les défaillances des politiques publiques relatives à la santé mentale ne devrait pas se concentrer sur les dispositifs en milieu scolaire pour identifier précocement les jeunes à risque, notamment ceux qui peuvent présenter des comportements inquiétants, mais dont les troubles éventuels ne sont pas immédiatement perceptibles.
Ne devrait-elle pas également examiner l’impact de l’exposition excessive des jeunes aux réseaux sociaux, qui pourrait contribuer à la banalisation inquiétante de la violence, phénomène que les politiques publiques n’ont pas réussi à traiter efficacement, malgré ses lourdes conséquences ?
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’appeler notre attention sur la question de la santé mentale. Michel Barnier, alors qu’il était Premier ministre, en avait fait la grande cause nationale de 2025 ; vous la concrétisez en nous proposant ce programme de travail qui nous concernera tous.
Veillons à ne pas confondre santé mentale et handicap, qui ne sont pas toujours liés. Il faudra identifier non seulement les défaillances, mais aussi les bonnes pratiques, les organisations qui fonctionnent. Au-delà des aspects financiers, la question la plus dure à traiter sera celle des ressources humaines. Le référentiel d’un métier comme celui de psychomotricien n’a pas été revu depuis sa création au siècle dernier. Je souhaite que vous abordiez toutes ces questions, y compris sous l’angle de l’organisation territoriale.
La prévention et l’accompagnement constituent de beaux défis. Ils pourraient être synonymes d’économies pour notre système, mais surtout de bien-être pour les enfants et les adultes concernés.
M. le rapporteur. Je vous remercie tous de votre intérêt pour la proposition de résolution et de votre appréciation de sa recevabilité. Les initiatives sont nombreuses concernant ces questions, dont personne n’est propriétaire, mais du traitement desquelles nous sommes tous comptables. Nous sommes tous ici convaincus de l’importance de ces enjeux pour la vie en société, pour la dignité de nos concitoyens et pour le respect de la promesse républicaine, formulée notamment dans la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances.
Nous ne faisons pas d’amalgame entre santé mentale et handicap – d’où l’usage de la conjonction de coordination « et » dans l’intitulé de la commission d’enquête. Toutefois, pour ces deux questions – en particulier celle de la santé mentale –, nous avons noté une dégradation de la situation qui nous pousse à nous interroger. C’est la raison pour laquelle nous les associons ; c’est le fait générateur de la présente proposition.
Même si je salue l’excellence des travaux précédents, je ne comprends toujours pas pourquoi leur conclusion commune – la nécessité d’augmenter les moyens alloués à la prévention, à la prise en charge et à l’accompagnement – n’a pas été transcrite sur le plan budgétaire.
Cette commission d’enquête, loin d’être redondante, complétera les travaux précédents et les approfondira.
Par exemple, la politique d’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap est défaillante. Le taux d’effectivité de l’accès aux accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), notamment, est une question à laquelle nous sommes tous confrontés au niveau local et qui a été abordée ici à de multiples reprises. Or nous ne parvenons pas à définir un statut pour eux qui permette de garantir un tant soit peu leur présence. Et on ne réfléchit pas aux conséquences sur la vie des familles, notamment sur le taux d’emploi des femmes : le manque d’AESH les oblige parfois à l’inactivité, privant la société de leur contribution.
Grâce à cette commission d’enquête, nous espérons démontrer qu’il est bien plus rentable d’investir dans la prévention et l’accompagnement que d’en rester aux soins curatifs. Du point de vue budgétaire, le constat devrait être implacable.
Autre exemple : la pénurie de méthylphénidate, une molécule utilisée notamment pour le traitement du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, oblige à déscolariser les enfants porteurs de ce trouble, à qui elle permettait de poursuivre une scolarité normale, ordinaire.
La question des référentiels est également pertinente. Est-il normal que, pour les enfants porteurs de troubles dys, le matériel pédagogique adapté n’aille pas systématiquement de pair avec l’accompagnement par un ergothérapeute et que les consultations de ces professionnels, puisqu’elles ne sont pas remboursées par l’assurance maladie, soient financées à partir de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ?
En somme, nous espérons, pendant la période budgétaire qui s’ouvre, donner un écho supplémentaire aux propositions très pertinentes formulées dans les rapports que vous avez évoqués. Cela vaut le coup d’investir davantage, pas seulement pour la dignité des personnes concernées ou au nom de notre vision commune de la société, mais aussi pour des raisons budgétaires.
Nous auditionnerons évidemment des économistes de la santé. Il serait intéressant d’interroger Michel Barnier quant aux raisons de son engagement en faveur de la santé mentale – sont-elles exclusivement d’ordre personnel ou cet engagement a-t-il résulté d’une évaluation préalable des politiques publiques dans ce domaine ? Il faut ouvrir la boîte noire des politiques publiques, notamment au niveau gouvernemental, pour expliquer pourquoi, alors qu’il est évidemment nécessaire d’investir davantage, nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux du handicap et de la santé mentale.
Les vacances parlementaires vont sans doute conduire à resserrer le calendrier des auditions. J’attends avec impatience l’élection du président ou de la présidente de la commission d’enquête et j’espère que les travaux pourront démarrer le plus tôt possible.
En application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission constate que sont réunies les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sur les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société.
La réunion s’achève à dix-sept heures sept.
Présents. – M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Elie Califer, M. Hadrien Clouet, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Fabien Di Filippo, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Denis Fégné, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, M. Jérôme Guedj, Mme Chantal Jourdan, M. Michel Lauzzana, Mme Élise Leboucher, M. Bartolomé Lenoir, Mme Christine Loir, Mme Joséphine Missoffe, M. Sébastien Peytavie, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Arnaud Simion, M. Thierry Sother, M. Frédéric Valletoux, M. Stéphane Viry
Excusés. - Mme Anchya Bamana, M. Olivier Falorni, Mme Laure Lavalette, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, M. Jean-Hugues Ratenon