Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Examen, ouvert à la presse, des avis budgétaires sur le projet de loi de finances 2025.


Mercredi
30 octobre 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 17

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président

 


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La séance est ouverte à neuf heures.

 

M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, de la mission Défense et du programme Gendarmerie nationale de la mission Sécurités.

Mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

M. Laurent Jacobelli, rapporteur pour avis. Je tiens à remercier les personnes auditionnées, notamment le personnel de la direction du service national et de la jeunesse (DSNJ), le 40e régiment de transmissions de Thionville, les responsables d’associations patriotes et d’anciens combattants.

Selon la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF), nous aurions dû recevoir le 10 octobre des réponses au questionnaire budgétaire, mais nous n’avons à cette date obtenu aucune réponse à l’ensemble de nos questions. Compte tenu du caractère tardif de la mise en place du gouvernement, le ministre actuel des anciens combattants n’est évidemment pas responsable, mais il n’en demeure pas moins que ceux qui ont prononcé la dissolution et ont trop tardé à nommer le gouvernement portent une part de responsabilité.

Alors que l’année 2024 a été rythmée par les commémorations des 80 ans de la Libération et des débarquements, la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation est plus que jamais nécessaire pour assurer la pérennité du travail de mémoire et la transmission entre les générations. Avec près de 1,9 milliard d’euros proposés en crédits de paiement en 2025, les crédits alloués à la mission connaissent un relatif équilibre (en légère diminution de 1,1 %), ce qui est notable en cette période de coupes budgétaires.

Le projet de budget permettra, dans l’ensemble, de préserver l’existant. Parmi les points positifs, figurent notamment la consolidation du dispositif ATHOS ; la préservation des crédits de la subvention d’action sociale versée à l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG), à hauteur de 29 millions d’euros, pour remplir sa mission de solidarité envers les anciens combattants et victimes de guerre, notamment les pupilles de la nation et les orphelins de guerre majeure ; ou encore les efforts conséquents (15 millions d’euros supplémentaires) en faveur du projet de journée défense et citoyenneté nouvelle génération.

Toutefois, la relative stabilité du projet de budget ne doit pas masquer la baisse plus importante des actions budgétaires consacrées à la reconnaissance et à la réparation en faveur du monde combattant. Ainsi, les crédits finançant les pensions militaires d’invalidité (PMI) connaissent une baisse de près de 4 % en crédits de paiement, de même que les montants alloués à l’allocation de reconnaissance du combattant, à hauteur de 5,85 %. Si cette diminution constitue principalement le reflet de la diminution naturelle et regrettée du nombre de bénéficiaires de la dette viagère alors que l’immense majorité d’entre eux a combattu durant la guerre d’Algérie, il y a plus de soixante ans, elle résulte également du manque d’ambition de ce budget, marqué notamment par l’absence de revalorisation suffisante des dispositifs au regard de l’inflation.

Je souhaite en particulier revenir sur deux points de vigilance principaux : la valeur du point de PMI d’une part et le montant du droit à réparation prévu pour les harkis d’autre part, qui constituent pour moi autant de lignes rouges. D’une part, la valeur du point PMI continue de présenter un retard conséquent par rapport à l’évolution de l’indice des prix à la consommation. Le rattrapage nécessaire, calculé par un certain nombre d’associations, est estimé à un peu plus de 16,25 % au 1er juillet 2024, au regard de l’écart constaté avec l’évolution des prix à la consommation hors tabac depuis 2005. En particulier, les invalides de guerre, ainsi que les anciens combattants percevant une retraite modeste sont particulièrement préoccupés par cette évolution et voient leurs difficultés matérielles s’accroître. Par conséquent, j’ai déposé un amendement d’appel, pour l’instant, prévoyant une revalorisation supplémentaire du point de PMI au 1er janvier 2025, à hauteur du montant de l’inflation, soit 2,3 % sur un an en juillet 2024, selon les données de l’Insee relatives à l’évolution de l’indice des prix à la consommation (IPC).

En effet, il n’est que justice que les moindres dépenses résultant de la baisse tendancielle du nombre de bénéficiaires soient mises au profit du monde combattant, au moins en partie. Il convient de ne pas oublier qu’avant de constituer un droit pour ses bénéficiaires, les prestations constitutives de la rente viagère expriment avant tout le devoir de reconnaissance de la nation envers « ceux à qui nous devons tout ». La reconnaissance ne doit pas diminuer avec le temps. J’ajoute à ce sujet que le code des pensions militaires d’invalidité prévoit depuis 2022 que le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre et le ministre chargé du budget établissent, selon une périodicité bisannuelle, un rapport comparant l’évolution constatée de la valeur du point de pension et de celle de l’indice des prix à la consommation hors tabac. Ce rapport doit être communiqué au Parlement, mais nous ne l’avons pas reçu. Finalement, ce sont nos anciens combattants qui paieront les conséquences de ces retards et imprécisions.

D’autre part, l’effort de solidarité en faveur des harkis et rapatriés n’est pas à la hauteur. Le montant prévu de l’enveloppe pour financer le droit à réparation dans le projet de loi de finances (PLF) 2025, s’élève à un peu plus de 70 millions d’euros ; il est à peu près stable par rapport à l’année dernière. Cependant, il s’avère insuffisant pour faire face aux conséquences de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rendu le 4 avril 2024 dans l’affaire dite Tamazount, tout en continuant l’examen des dossiers des autres demandeurs. Cela conduit à décaler mécaniquement et de manière préjudiciable les délais de traitement des dossiers des harkis et de leurs familles jusqu’en 2028, voire en 2029. L’impact financier anticipé de cet arrêt Tamazount serait de l’ordre de 40 millions d’euros supplémentaires, selon les estimations fournies. Ces 40 millions d’euros soustraits, seuls 30 millions d’euros, seront disponibles pour les autres indemnisations des demandes de réparation des Harkis et leurs familles en 2025.

Or, selon les estimations de l’ONACVG, le budget nécessaire pour achever les indemnisations à partir de 2025 est évalué à 200 millions d’euros, conduisant nécessairement à un décalage. L’enveloppe du droit à réparation devra néanmoins être financée par le ministère. Tandis que les délais d’examen des dossiers s’allongent, le risque de contentieux augmente, nécessitant du personnel pour les traiter et renchérissant in fine le coût du dispositif en cas de condamnation. Ce défaut de prise en compte dans le projet de budget aura par ailleurs pour effet d’accroître la pression exercée sur les services de l’ONACVG.

Par ailleurs, je tiens à vous faire part de ma préoccupation concernant la trajectoire envisagée pour le budget de la mission. Les prévisions indicatives de crédits figurant dans le projet annuel de performance pour les exercices 2026 (-7 %) et 2027 (-10 %), se caractérisent par une baisse importante du montant de la mission. Or, comme je l’ai déjà mentionné, je considère que les moindres dépenses doivent au contraire permettre de financer de nouveaux droits ou d’amplifier les dispositifs existants.

S’agissant de la partie thématique, j’ai choisi de me concentrer sur la refonte de la journée défense et citoyenneté (JDC). En effet, le projet de budget pour 2025 propose une augmentation de 15 millions d’euros des moyens en faveur de cette JDC nouvelle génération, qui concerne 800 000 jeunes à peu près chaque année. Je me suis également intéressé à la cohérence d’ensemble des dispositifs d’engagement dédiés à la jeunesse.

La JDC a connu de nombreux projets de modernisation successifs sans rencontrer un grand succès. Elle apparaît aujourd’hui inadaptée, tant par son contenu que son format, trop peu centré sur les enjeux de défense. Je rappelle aujourd’hui qu’elle est réduite à un format dégradé sur une demi-journée. Elle ne permet pas non plus de contribuer suffisamment à la manœuvre de recrutement des armées, ni de recueillir des informations personnalisées qui seraient utiles sur les jeunes présents. Elle doit pouvoir évoluer pour devenir plus utile, pour les jeunes comme pour les armées.

Si le projet de JDC nouvelle génération semble aller dans le bon sens, notamment en assumant la dimension de recrutement et en prévoyant de rendre le jeune acteur de sa journée à travers des propositions innovantes et immersives, ou encore en renforçant le lien numérique existant entre les jeunes et le ministère des armées, je m’emploie dans mon avis à dresser plusieurs axes d’amélioration.

Il s’agit notamment de garantir le caractère véritablement universel de la JDC, d’accompagner sa réforme d’une modernisation du recensement, de garantir l’égalité territoriale du dispositif et, enfin, d’augmenter la lisibilité d’ensemble des dispositifs jeunesse du ministère. À titre principal, j’estime qu’il doit être mis fin à la coexistence entre la JDC et la journée défense et mémoire (JDM), module organisé au cours du séjour de cohésion du service national universel (SNU), dont l’organisation pèse actuellement sur les services de la DSNJ.

En l’état, je ne peux qu’exprimer, et je le regrette, un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation pour 2025, un avis que j’espère provisoire. J’espère que le ministre délégué auprès du ministre des Armées et des anciens combattants entendra l’appel des associations, du rapporteur et d’un certain nombre de parlementaires, notamment pour la revalorisation du point PMI, qui est un point crucial dans ce budget.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je partage votre point de vue sur la refonte nécessaire de la JDC, déjà évoquée dans le rapport que nous avions rendu avec Martine Étienne. En revanche, je ne comprends pas bien vos propos, lorsque vous indiquez la nécessité de garantir le caractère « universel » de la JDC. En effet, elle concerne déjà l’ensemble d’une génération, soit 800 000 jeunes. Comment comptez-vous renforcer son universalité, dans la mesure où elle est obligatoire pour l’ensemble une classe d’âge ?

M. Laurent Jacobelli, rapporteur pour avis. Je sais que vous êtes particulièrement intéressé par cette question. Les jeunes Français établis à l’étranger sont souvent tenus à l’écart du dispositif. Cette faiblesse a été identifiée par le ministère des armées et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Ils étudient ainsi la possibilité d’adapter ce dispositif avec un système en ligne pour nos jeunes compatriotes à l’étranger. Pour notre part, nous estimons qu’un système n’est universel que si aucun des jeunes Français n’est tenu à l’écart.

Mme Michèle Martinez (RN). Monsieur le rapporteur, quel est votre point de vue sur les demandes émanant d’associations de harkis, qui réclament depuis de nombreuses années la création d’une fondation en faveur des harkis ? Selon vous, ce projet est-il viable ?

M. Laurent Jacobelli, rapporteur pour avis. Ceux qui ont fait le choix de la France doivent faire l’objet d’une reconnaissance et de réparations, dans la mesure où ils ont été traités d’une manière indigne d’une grande nation, alors même qu’ils ont voulu contribuer au récit national. Ceci passe à la fois par des indemnisations, mais aussi par une accélération du délai de traitement des cas et des litiges, qui est impossible en l’état actuel du nombre d’employés des services.

À ce titre, une fondation pourrait constituer une marque de respect et de gratitude. Ce projet avait d’ailleurs été évoqué par Mme Mirallès lorsqu’elle était ministre et avait obtenu un écho favorable auprès d’un certain nombre d’associations de harkis. Au moment où l’on parle souvent de mémoire, et où il est question de célébrer ceux qui ont participé à l’histoire de notre pays, cela constituerait un bon moyen de les intégrer dans le récit national de manière définitive et d’envoyer un signe positif à ceux qui, trop souvent – malheureusement à raison – se sentent délaissés et écartés d’un certain nombre de processus. À titre personnel, j’y suis favorable et nous avons les moyens d’y parvenir. Ce projet est sensé et viable.

M. Frédéric Boccaletti (RN). La subvention pour charges de service public, qui finance les charges de rémunération et de fonctionnement courant de l’ONaCVG, s’élèvera légèrement au-dessus de 66 millions d’euros en 2025. Vous avez évoqué à juste titre la très forte mobilisation des services de l’Office, notamment dans le cadre de l’examen des dossiers relatifs aux demandes des harkis et de leurs familles. Pourriez-vous revenir sur l’évolution de la dotation prévue dans le PLF 2025 au profit de l’ONaCVG et nous indiquer si elle vous semble suffisante ?

M. Laurent Jacobelli, rapporteur pour avis. Ce montant de 66,3 millions d’euros est en hausse d’un peu plus de 3 millions d’euros par rapport à 2024. Cette somme servira principalement à soutenir la commission d’indemnisation des harkis et à stabiliser le dispositif de réhabilitation des maisons ATHOS. Une subvention pour charges d’investissement de 650 000 euros a en outre été prévue en 2025, pour le financement d’investissements dans le domaine de la sécurité informatique et la mise aux normes des locaux des services départementaux.

Malheureusement, cette hausse semble peu élevée au regard de l’expansion continue des missions de l’ONaCVG. Malgré les efforts entrepris pour accélérer le traitement des dossiers d’une manière générale, le manque de personnel est patent. En outre, les demandes de type Tamazount seront traitées en priorité, ce qui reportera le traitement des dossiers dits classiques. Malheureusement, le PLF 2025 ne prévoit malheureusement aucun emploi supplémentaire au profit de l’ONaCVG.

M. Pascal Jenft (RN). Pourriez-vous revenir davantage sur l’évolution des crédits alloués à l’allocation de reconnaissance du combattant et aux pensions militaires d’invalidité ? Que préconisez-vous face au mécontentement des associations du monde combattant, qui demandent aujourd’hui une revalorisation de leur pouvoir d’achat, afin de leur garantir un niveau de vie décent face à l’inflation ?

M. Laurent Jacobelli, rapporteur pour avis. La question du point PMI retient effectivement l’attention des différentes associations que nous avons pu rencontrer, notamment sur deux points particuliers. Le premier concerne la base du calcul de l’évolution du point, selon qu’elle se fonde sur le traitement de la fonction publique ou sur la solde des sous-officiers. Le deuxième porte sur l’accroissement de l’écart entre l’inflation et la revalorisation du point de PMI, qui est de plus de 16 %. Selon moi, nous devons proposer une revalorisation « exceptionnelle » au 1er janvier 2025, qui pourrait s’établir autour de 2 % pour ne pas que l’écart se creuse. Selon les différentes associations, Mme Mirallès leur avait d’ailleurs indiqué que la revalorisation s’effectuerait en deux temps : +2 % en 2025 et +2 % en 2026. Si ma proposition était acceptée, elle entraînerait un surcoût de près de 15 millions d’euros, soit 0,8 % du budget de 1,9 milliard d’euros.

Mme Caroline Colombier (RN). Vous évoquez des pistes pour la refonte de la JDC, dispositif essentiel pour le lien entre les armées et la jeunesse. Pourriez-vous revenir plus en détail sur vos propositions ? Quel poids l’organisation de la journée défense et mémoire fait-elle effectivement peser sur les services de la DSNJ ?

M. Laurent Jacobelli, rapporteur pour avis. Laissez-moi vous raconter une anecdote. J’ai assisté à une JDC au 40e régiment de transmissions de Thionville. Il a notamment été demandé à ces jeunes pourquoi, selon eux, le drapeau français était bleu-blanc-rouge. Un silence pesant s’en est ensuivi, avant qu’une jeune fille pleine d’allant lève la main pour répondre : « Je pense qu’on a repris les mêmes couleurs que celle du PSG, le club de football de la capitale ».

Si cette anecdote n’est évidemment pas révélatrice du niveau général, elle veut bien dire qu’il est fondamental de donner une instruction et d’organiser une journée de transmission des valeurs patriotiques. Aujourd’hui, la JDC, qui ne dure qu’une demi-journée, est une forme de « fourre-tout », avec un personnel par ailleurs parfois peu formé.

La refonte en cours nous semble aller dans le bon sens. D’abord, la JDC serait à nouveau « remilitarisée ». Elle durerait une journée entière et le contenu militaire serait assumé, notamment avec la levée des couleurs et assumé avec une dimension de recrutement dans les armées, dont on présenterait la diversité des métiers. En résumé, nous proposons de refondre les dispositifs dans une JDC « musclée », « regonflée » et plus utile.

Mme Anna Pic (SOC). Le budget afférent à la mémoire et aux commémorations va diminuer de 9 millions d’euros. Cependant, pouvez-vous m’indiquer les angles saillants de la commémoration du quatre-vingtième anniversaire de l’année 1945 et notamment du 8 mai 1945 ?

M. Laurent Jacobelli, rapporteur pour avis. Nous déplorons effectivement une baisse de crédits de 9 millions d’euros. Cependant, les cérémonies seront quand même financées, à hauteur de 5,5 millions d’euros, ainsi que les activités du groupement d’intérêt public (GIP) Mission Libération pour un montant de 4,5 millions d’euros. Si le budget diminue, l’ambition demeure et la bonne volonté de nos associations et de nos collectivités sera certainement sollicitée. Il s’agit, là aussi, d’un point de vigilance, que vous avez raison d’évoquer.

 

Mission Défense : Environnement et prospective de la politique de défense

Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Mes chers collègues, je suis très heureuse de vous présenter les conclusions de mon avis budgétaire sur le programme 144, Environnement et prospective de la politique de défense. Il s’agit sans doute du programme le plus éclectique de la mission Défense, à la fois par la diversité des enjeux qu’il recèle, mais également par son importance cardinale pour la préparation de l’avenir dans tous ses aspects, de l’innovation, au renseignement, en passant par la recherche stratégique et la diplomatie de défense.

Je ne peux que saluer le niveau historique des crédits alloués au programme, en particulier dans le contexte contraint de nos finances publiques. Les autorisations d’engagement s’élèvent à 2,173 milliards d’euros, tandis que les crédits de paiement franchissent le seuil symbolique des 2 milliards d’euros. Tous les axes d’effort prioritaires identifiés dans la loi de programmation militaire (LPM) sont confortés. Nos services de renseignement bénéficient d’un effort financier massif, à la fois pour le financement de leurs projets immobiliers respectifs, mais également pour le renforcement de leurs capacités ; tandis que les crédits de paiement dédiés à l’innovation de défense sont maintenus à 1 milliard d’euros.

Je tiens à rassurer celles et ceux d’entre vous qui ont pu s’interroger sur la baisse des autorisations d’engagement au profit de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Leurs autorisations d’engagement ont connu des augmentations spectaculaires ces dernières années pour le financement de leurs projets immobiliers. Leur baisse, cette année, n’est que la conséquence d’un retour au niveau habituel. J’ai eu l’occasion de m’assurer directement auprès d’eux que ces crédits leur permettront d’assurer pleinement leurs missions.

L’action 8 du programme connaît une très forte augmentation de ses crédits en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, de l’ordre de 122 %. Ce montant s’explique par la hausse de la contribution de la France au profit de la République de Djibouti, au titre de la présence des forces françaises stationnées à Djibouti. Cette contribution s’élève désormais à 85 millions d’euros, contre 30 millions d’euros auparavant. L’année 2024 a vu s’achever les négociations entre nos deux pays pour le renouvellement du traité bilatéral de défense qui nous lie. Les deux parties sont parvenues à un accord, ce dont je me réjouis, tant ce partenariat revêt une importance capitale pour la France. Il reviendra désormais au Parlement de se prononcer sur l’opportunité d’autoriser la ratification de cet accord, à l’occasion de l’examen du projet de loi afférent.

Je formule plusieurs recommandations au titre de la partie budgétaire de mon avis. Aussi, j’émets donc un avis favorable à l’adoption de ces crédits.

Pour la partie thématique de mon avis budgétaire, j’ai fait le choix de me pencher cette année sur l’intelligence artificielle (IA) de défense. J’ai émis cinq recommandations. Premièrement, je recommande que nous confortions le rôle de l’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad), en tant que pilote de la politique ministérielle en matière d’IA. Le développement de l’IA au sein du ministère des Armées et des Anciens combattants n’est pas nouveau. Dès 2018, dans le sillon de la stratégie nationale de l’IA annoncée par le Président de la République, le ministère avait édité sa propre feuille de route. La stratégie ministérielle relative à l’IA de défense, dévoilée en février 2024, a ainsi permis de donner un nouvel élan à cette ambition, en créant notamment l’Amiad, qui joue un rôle central dans la fédération des initiatives des entités du ministère sur ce sujet.

Mais si le foisonnement des initiatives en matière d’IA peut de prime abord susciter légitimement de l’enthousiasme, il n’en demeure pas moins nécessaire de les coordonner et de veiller à leur cohérence, afin d’éviter des redondances, voire des doublons. Dans le cadre de mes travaux, j’ai pu constater que cet écueil n’a malheureusement pas toujours été évité, plusieurs services ayant lancé des projets parfois similaires. Demain, l’Amiad devra jouer un rôle moteur de pilote de la politique du ministère en matière d’IA, pour garantir une cohérence d’ensemble.

Deuxièmement, il nous faudra clarifier la gouvernance de la politique ministérielle en matière d’IA de défense. Si la création de l’Amiad a permis d’identifier un interlocuteur au sein du ministère en matière d’IA, elle ne sera cependant pas la seule interlocutrice des entités du ministère. Ses missions et ses actions devront s’articuler avec celles de la direction générale de l’armement-maîtrise de l’information (DGA-MI), de l’Agence de l’innovation de défense (AID), de la direction générale du numérique et des systèmes d’information et de communication (DGNUM), de la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (Dirisi) ou encore de l’Agence du numérique de défense (AND). Lors de mes auditions, j’ai pu constater que de nombreux acteurs, notamment les industriels, s’en inquiètent. Afin que l’Amiad puisse mener à bien ses missions, il est nécessaire que la gouvernance de l’IA de défense au sein du ministère soit clarifiée. J’y serai particulièrement attentive.

Troisièmement, nous devons veiller au renforcement du partage des données entre les entités du ministère. Contrairement au secteur civil, le ministère des Armées et des Anciens combattants pourrait, dans certaines conditions, se heurter aux limites posées par la protection du secret de la défense nationale et du besoin d’en connaître. Si certaines données peuvent être facilement partagées entre plusieurs acteurs, dans le domaine du renseignement par exemple, ce partage pourrait être contraint. Or, sans données de qualité et en quantité suffisante, il est impossible d’entraîner les algorithmes et d’optimiser le supercalculateur de Suresnes.

La singularité des données du ministère des Armées et des Anciens combattants réside dans leur rareté et leur caractère précieux, souvent confidentiel. Toutefois, elles sont essentielles pour la réussite de la stratégie d’IA de défense. Aussi, nous devons trouver ensemble, de manière concrète, des modalités pour lever les réticences des acteurs qui détiennent les données les plus sensibles, en leur donnant des gages de confiance.

Ma quatrième recommandation concerne le cadre juridique de l’IA de défense. L’Union européenne (UE) a adopté l’AI Act, première législation générale au monde sur l’intelligence artificielle. Bien que celle-ci ne concerne pas directement le secteur de la défense, mon attention a été attirée sur les opportunités et les risques induits par l’encadrement juridique du recours à l’IA. En l’absence de cadre juridique clair, le risque de considérer que le silence de la loi vaut autorisation ou interdiction est réel et inquiète certains acteurs civils.

Ce risque doit toutefois être nuancé, car les pratiques de recours à l’IA sont encadrées par des règles éthiques inscrites dans des chartes. À l’inverse, un cadre juridique trop strict et une profusion de normes pourraient inhiber les acteurs, voire être contre-productifs. J’estime donc que la question de l’opportunité de réguler le recours à l’IA de défense mérite d’être proposée sans a priori. Une réflexion approfondie sur ce sujet, éventuellement dans le cadre d’un groupe de travail, pourrait être conduite.

Enfin, ma cinquième et dernière recommandation vise à faire émerger durablement une filière française de l’IA de défense. Il s’agit là d’un sujet majeur de souveraineté. En effet, hormis les projets que le ministère conduira en interne via la DGA et l’Amiad, la politique d’IA de défense passera nécessairement par le succès de nos entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

Or, le marché de la défense étant un monopsone, le ministère joue un rôle crucial dans le soutien financier aux entreprises par la passation de commandes, qui sont déterminantes pour le passage à l’échelle des acteurs civils. Faute de bénéficier d’un nombre suffisant de commandes publiques, certaines entreprises n’hésitent plus à quitter la France pour partir à l’étranger, où les opportunités de développement sont incomparables. Le départ de ces entreprises entraverait irrémédiablement le développement de l’IA de défense et remettrait potentiellement en cause notre souveraineté. Ne soyons pas naïfs : si l’État français n’investit pas davantage dans ses fleurons industriels et ses start-ups, les pays étrangers le feront, à leur profit.

M. Thierry Tesson (RN). J’ai lu votre rapport avec intérêt, surtout concernant l’Amiad, une innovation très intéressante pour la défense. Le terme de « robotique terrestre » recouvre-t-il tous les types de drones, les drones suicides, les drones navals ou les drones aériens ?

Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Les travaux d’innovation menés par l’Amiad et l’AID porteront sur l’ensemble des drones. La France ne doit pas se restreindre en matière d’innovation et doit envisager d’étudier tous les types de drones ; tout en évaluant ensuite l’opportunité de les engager, notamment au regard des limites éthiques que le ministère se pose.

Mme Sabine Thillaye (Dem). Vous avez évoqué le nécessaire partage des données entre les services du ministère. Vous recommandez de trouver des modalités et des gages de confiance, dans la mesure où il s’agit de données sensibles. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Les différents acteurs qui interviennent sur le champ de l’IA de défense, collectent ou produisent un certain nombre de données, dont certaines sont particulièrement sensibles, secrètes. Le supercalculateur a vocation notamment à produire, grâce à des algorithmes, des usages IA. Par ailleurs, certains acteurs travaillent déjà sur des usages IA, en interne. Je pense notamment à la DGSE, la DRSD, mais aussi la direction du renseignement militaire (DRM).

Les opérateurs qui traitent des données extrêmement sensibles doivent avoir la garantie que ces données ne sont pas accessibles. Il faudrait donc réfléchir à des accès contraints et limités. Pour ma part, je fais confiance à l’Amiad pour fournir de telles garanties.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Je suis particulièrement convaincue que l’IA constituera un accélérateur formidable pour les futurs systèmes de combat collaboratifs, quelles que soient les plateformes employées. Dans la mesure où nous y travaillons en coopération avec d’autres nations, estimez-vous nécessaire de définir une forme de protocole d’échange et de partage de données ?

Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Certaines données sont extrêmement souveraines et doivent être conservées pour les usages nationaux. Toutes les données collectées, tous les usages IA produits par le ministère n’ont pas vocation à être partagés avec nos partenaires européens, mais il sera nécessaire d’établir avec eux des conventions. Dans sa feuille de route, l’Amiad a d’ailleurs un axe consacré au développement des partenariats internationaux.

M. le président Jean-Michel Jacques. Des liens sont-ils établis entre la DGA, l’Amiad et les territoires ? Je pense entre autres aux PME, aux start-ups, mais également au milieu universitaire.

Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Un certain nombre d’acteurs dans le domaine de la recherche sont déjà engagés dans le sujet de l’IA de défense. L’Amiad, qui va monter en puissance pour atteindre 300 équivalents temps plein (ETP) rapidement, dispose déjà d’un partenariat avec des écoles comme l’École Polytechnique, l’École nationale supérieure de techniques avancées (Ensta) de Paris et l’Ensta Bretagne, mais également avec des opérateurs comme l’Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera). L’innovation de défense en matière d’intelligence artificielle, et notamment la relation avec les industriels, revient à l’AID, en lien avec l’Amiad.

 

Mission Défense : Préparation et emploi des forces : Forces terrestres

Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. Je me réjouis du respect de la marche à 3,3 milliards d’euros prévue par la LPM 2024-2030. Les crédits affectés au programme 178, Préparation et emploi des forces, sont en augmentation de plus de 750 millions d’euros, les portant à 14,3 milliards d’euros. Toutefois, je relève que les sommes consacrées aux forces terrestres demeurent stables, en très légère augmentation pour les crédits de paiement (+0,78 %) par rapport à 2024. Le montant du budget opérationnel de programme (BOP) Terre, est ainsi porté à 2,21 milliards d’euros en crédits de paiement en 2025, contre 2,19 milliards d’euros en 2024. En revanche, s’agissant des autorisations d’engagement, le projet de budget retrace une baisse de 3,65 % par rapport à 2024.

Compte tenu de la permanence d’un niveau d’engagement très élevé en 2024, marqué notamment par la contribution exceptionnelle des forces terrestres aux Jeux olympiques et paralympiques (JOP), comme à l’envoi de renforts en Nouvelle-Calédonie et tandis que les sollicitations opérationnelles demeureront certainement très nombreuses en 2025, cette stabilisation ne couvre que le strict besoin des forces terrestres.

Je serai particulièrement vigilante à la fin de gestion 2024. En effet, d’importantes incertitudes persistent du point de vue de l’exécution budgétaire 2024 et pourraient compromettre la capacité des forces terrestres à atteindre les objectifs fixés par la loi de programmation.

Ces dernières résultent en premier lieu des gels et surgels intervenus au cours de l’année, du fort niveau d’engagement en opérations, notamment dans le cadre des missions opérationnelles sur le flanc est de l’Europe, lequel a occasionné des surcoûts ; mais également de la poursuite et de l’intensification de la participation de nos armées au soutien à l’Ukraine, alors que la LPM 2024-2030 indiquait que le financement de l’aide à l’Ukraine ne serait pas intégré à la trajectoire prévue.

En 2025, les crédits du BOP Terre devaient être mis au service : d’une part du renforcement de la préparation opérationnelle dans sa dimension qualitative, à travers notamment, la participation de l’armée de terre à plusieurs grands exercices comme Dacian Spring en Roumanie, ou Warfighter aux États-Unis ; et d’autre part, de la poursuite de la transformation des forces terrestres vers le modèle « armée de Terre de combat », pour la deuxième année consécutive.

S’agissant du maintien en condition opérationnelle (MCO), le montant des crédits d’entretien programmé des matériels prévu est en légère diminution (-0,5 %). Selon les informations fournies, il permettra néanmoins de préserver le niveau d’activité terrestre, qui devrait atteindre 71 % de la norme LPM, contre 70 % en 2024. Sur le plan capacitaire, le recadencement des cibles du programme Scorpion a pour effet de ralentir la modernisation des forces terrestres. Le PLF devrait néanmoins permettre d’atteindre 45 % de la cible de modernisation Scorpion fin 2025, contre 35 % attendus, fin 2024. Par ailleurs, l’année 2025 sera marquée par des livraisons importantes, mais peu de commandes, principalement 8 000 fusils d’assaut HK 416 F et un lot de missiles moyenne portée (MMP).

Je souhaite par ailleurs attirer votre attention sur trois points de vigilance.

D’une part, il est nécessaire de consolider le niveau d’activité et de préparation opérationnelles des forces terrestres. Aussi, l’armée de terre doit-elle encore poursuivre ses efforts pour améliorer la disponibilité technique des matériels et atteindre les normes d’entraînement fixées par la LPM. D’autre part, il convient de poursuivre les efforts en faveur de la fidélisation et de mener à bien la revalorisation des grilles indiciaires. Alors que la revalorisation prévue pour les sous-officiers dits supérieurs a fait l’objet d’un décalage de plusieurs mois, je serai évidemment vigilante à ce que la revalorisation prévue pour les officiers en 2025 soit honorée et ne constitue pas une variable d’ajustement. Enfin, il convient d’accélérer le développement de programmes capacitaires structurants pour les forces terrestres de demain. Je pense en particulier au successeur du lance-roquettes unitaire (LRU), au char du futur, ou encore au standard 3 du Tigre.

S’agissant de la partie thématique de mon avis budgétaire, j’ai souhaité me concentrer sur l’action de nos armées durant les JOP et l’évolution de l’opération Sentinelle

Un film est diffusé.

La sécurisation des Jeux olympiques a constitué un rendez-vous majeur pour nos armées, et en particulier pour l’armée de terre. Ainsi, près de 15 000 militaires des forces terrestres ont contribué à l’opération, dont 15 % de réservistes. J’ai d’ailleurs eu la chance de me rendre deux fois sur le terrain à la rencontre des militaires.

En synthèse, l’exercice apparaît comme une vraie réussite, tant par la qualité du dialogue civilo-militaire – qui a permis de déterminer des missions cohérentes en appui des forces de sécurité intérieure – que du point de vue du déploiement de capacités spécialisées qui n’avaient pas encore été intégrées aux unités engagées dans l’opération Sentinelle, ou de manière très limitée.

Dans le cadre de l’évolution de l’opération Sentinelle, il est envisagé de réduire le socle permanent de Sentinelle pour le ramener à 1 500 militaires, tout en renforçant la réactivité du dispositif. Il s’agit non pas de diminuer les effectifs totaux, mais bien d’échanger du prépositionnement contre de la réactivité. Il est également envisagé d’élargir les missions réalisées dans le cadre de Sentinelle sur le modèle du déploiement de capacités spécialisées, comme dans le cadre des JOP, afin de mieux répondre à l’évolution des menaces sur le territoire national, y compris la menace climatique. Je considère à ce titre que l’évolution vers un Sentinelle « nouvelle génération » aura un effet bénéfique sur l’attractivité des missions et, in fine, sur la fidélisation.

Toutefois, l’extension des missions, notamment s’agissant de l’usage des drones, doit pouvoir s’accompagner d’une trajectoire cohérente en termes d’équipement et d’entraînement sur ces mêmes matériels.

Enfin, il convient de capitaliser sur le retour d’expérience des JOP, afin de préserver l’efficacité du dialogue civilo-militaire, tout en renforçant sa subsidiarité, notamment au niveau infra zonal. Il est ainsi crucial que les autorités civiles expriment leurs besoins en « effets à obtenir », ainsi qu’en missions et non en effectifs. Cette évolution suppose néanmoins de renforcer le binôme délégué militaire départemental-préfet.

En conclusion, j’émets un avis favorable avec réserve à l’adoption des crédits de la mission Défense, en particulier concernant les incertitudes liées à la fin de gestion 2024.

M. Thierry Tesson (RN). Vous avez évoqué dans votre rapport l’intégration des unités de lutte anti-drones. Avez-vous assisté à des démonstrations de la part des unités de l’armée de terre ? L’utilisation des drones est en train de révolutionner la manière de mener la guerre, comme l’atteste le conflit actuel en Ukraine.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. À Vincennes, au camp militaire Alain Mimoun, j’ai effectivement pu voir concrètement les capacités de la lutte anti-drones, bien que le dispositif de lutte anti-drones était principalement placé sous la responsabilité de l’armée de l’air et de l’espace. J’ai pu échanger avec les militaires sur place, dont la plupart étaient très jeunes et très satisfaits de ces nouvelles technologies.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Ma question porte également sur la lutte anti-drones. Avec mon collègue Jean-Louis Thiériot, nous avions consacré un chapitre à ce sujet dans notre rapport de mission sur la défense sol-air. Disposez-vous d’un retour d’expérience sur le système Parade utilisé lors des Jeux olympiques ?

Mme Isabelle Santiago, rapporteure pour avis. La presse s’est fait l’écho de quelques pannes concernant le système Parade. Autrement, les personnels rencontrés étaient globalement satisfaits des capacités déployées. À ce sujet, l’évolution de la mission Sentinelle pourra s’opérer en intégrant notamment les capacités offertes par ces nouvelles technologies.

Enfin, je regrette que la configuration politique actuelle ait conduit nos auditions à se dérouler sans aucune visibilité budgétaire. Je salue d’autant plus le travail remarquable des administrateurs, dans des conditions particulièrement difficiles.

 

Mission Défense : Préparation et emploi des forces : Marine

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. En préambule, je précise que j’émettrai un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Défense.

« Les vagues roulées depuis l’Inde par la mousson viennent se briser contre les roches noires que l’on voit par intervalles sortir des torrents d’écume, comme d’éternels suppliciés. La mer est furieuse dans cette passe coincée entre l’île de Périm et la côte. » Ces phrases extraites des Secrets de la mer Rouge d’Henry de Monfreid évoquent le détroit de Bab-el-Mandeb, en 1914.

Il existe 150 à 180 détroits et passages internationaux. Douze représentent des passages de rang mondial ; trois requièrent notre attention aujourd’hui et deux le nécessiteront dans les années qui viennent. Du gaz au pétrole, des métaux rares aux conteneurs, la mer, comme elle le fut toujours dans notre histoire, est plus encore aujourd’hui au cœur de notre fonctionnement, de notre liberté, de notre souveraineté.

Les pétroliers et méthaniers ayant chargé dans les pays du golfe persique sont obligés d’emprunter le détroit d’Ormuz pour livrer leurs clients asiatiques, européens ou américains. Quant au canal de Suez, il permet à un porte-conteneurs venant d’Asie et se dirigeant vers l’Europe de gagner 9,4 jours de navigation à quinze nœuds, en évitant de contourner l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance. Le détroit de Malacca, qui voit passer un navire toutes les soixante secondes, est le passage indispensable, mais vulnérable des flux économiques vers ou à partir de la mer de Chine : 80 500 y transitent tous les ans. Cela représente 18,5 % du trafic mondial ; son blocage entraînerait des répercussions économiques et sociales importantes pour la Chine en particulier. Pékin l’appelle d’ailleurs « le dilemme de Malacca », sorte de nœud coulant se refermant sur le fonctionnement de cet espace économique majeur.

Dans cette zone qui représentera bientôt 40 % de l’économie mondiale, que l’on appelle désormais l’Indo-Pacifique, se trouvent six pays du G20, trois des cinq premières économies mondiales, neuf des dix premiers ports mondiaux et les cinq pays les plus peuplés de la planète.

Routes obligées, les détroits sont de ce fait devenus des facteurs de vulnérabilité stratégique, compte tenu de la mondialisation des économies et de l’internationalisation toujours croissante des chaînes de production et d’approvisionnement. Ainsi, 90 % des marchandises produites et consommées dans le monde transitent sur les mers, en particulier les hydrocarbures : 20 % des besoins de l’Europe, 80 % de ceux du Japon et de la Chine sont acheminés via les mers.

En 2019, on estimait à près de 25 000 milliards de dollars la valeur de marchandises transitant par les grands passages maritimes stratégiques. Sans la liberté de circulation à travers ces lieux de passage, nos économies ne seraient pas en mesure de fonctionner correctement. Aussi, tenir un détroit revêt un caractère stratégique ; en assurer la liberté de circulation, par la force si besoin, l’est tout autant. Les différents passages de l’océan Indien (Ormuz, Malacca, Bab-el-Mandeb, le canal du Mozambique et ses prolongements, le canal de Suez), parce qu’ils verrouillent le commerce entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, présentent un caractère vital pour notre pays et l’Union européenne.

Ils sont depuis longtemps exposés à d’importantes menaces dont l’origine est autant étatique que non étatique : actions hostiles de l’Iran dans le détroit d’Ormuz, attaques des Houthis yéménites contre des navires commerciaux en mer Rouge, terrorisme et piraterie dans la corne de l’Afrique. Ainsi, il n’est pas étonnant que toutes les grandes puissances soient aujourd’hui présentes militairement dans les détroits de l’océan Indien.

Longtemps sanctuaires, les mers sont redevenues des espaces de compétition, de contestation et de confrontation. Ainsi, des opérations comme Aspides, Atalante, Agénor visent à garantir la liberté de circulation maritime ou la lutte contre la piraterie. Elles sont menées par notre marine, loin de l’Europe, dans l’indifférence quasi générale.

La présence durable à terre de deux bases permanentes à Djibouti ou aux Émirats arabes unis, deux États situés non loin du détroit de Bab-el-Mandeb et d’Ormuz, représente un atout important. Les menaces contre nos intérêts sont nombreuses ; elles le seront d’ailleurs de plus en plus. La haute intensité, souvent présentée comme une perspective à laquelle il faut se préparer, est déjà une réalité pour nos marins qui, en mer Rouge, ont abattu missiles et drones qui cherchaient à les couler ou à couler des navires de commerce, confirmant ainsi leur haut niveau opérationnel.

Conséquence de ce changement radical, la suractivité de notre marine doit être relevée. Elle est ainsi présente sur toutes les mers du globe. Cette suractivité met en lumière la grande qualité de nos équipages et de nos bâtiments de combat. Elle révèle aussi les limites de formats décidés dans un temps désormais révolu. Le nombre de quinze frégates de premier rang arrêté dans le Livre blanc de 2013 est désormais insuffisant au regard de la situation internationale et du nombre de missions de nos bâtiments. En conséquence, nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion pour atteindre l’objectif de dix-huit frégates, qui doit désormais être considéré comme un minimum.

Par ailleurs, considérant l’importance de maîtriser les détroits, les canaux et les accès aux ports, le programme de bâtiments de guerre des mines (BGDM) doit impérativement débuter en 2025 pour tenir l’objectif de quatre bâtiments à la fin de cette LPM, puis de deux dans la suivante. La commande du porte-avions nouvelle génération (PANG) est une nouvelle importante. Conforme à la LPM, ce projet ne doit souffrir d’aucun retard, comme celui des sous-marins nucléaire lanceur d’engins dits de nouvelle génération (SNLE-NG), des sous-marins nucléaires d’attaque de nouvelle génération (SNA-NG), des patrouilleurs outre-mer, du programme avions de surveillance et d'intervention maritime (Avsimar) et des bâtiments ravitailleurs de forces (BRF).

Je pourrais poursuivre cette liste pour illustrer à quel point, après le temps si destructeur des réductions de crédits de la défense pendant trente ans, notre marine ne peut désormais plus souffrir de retard de commande et de livraison de l’une de ses composantes. La prolongation de nos aviso-escorteurs de type A69 et le déplacement d’une frégate légère furtive de Méditerranée vers l’Atlantique pour pallier leur désarmement inévitable illustre le « Tetris » permanent que doit réaliser la marine pour remplir des missions qui lui sont confiées. Après avoir vu se dégrader considérablement les moyens mis à sa disposition, le temps du remplacement commencé ne doit surtout pas s’arrêter, ni même ralentir. Notre devoir est d’y veiller.

S’agissant plus précisément du programme 178, je ne peux que me féliciter de l’augmentation des crédits de la marine pour 2025, de 14 % en autorisations d’engagement, à 3,7 milliards d’euros ; et de 11 % en crédits de paiement, à 3,5 milliards d’euros. L’augmentation permettra de mettre en œuvre les principales priorités de la marine : le renforcement qualitatif de la préparation opérationnelle orientée vers le combat de haute intensité, la remise à niveau des infrastructures maritimes et le maintien de l’effort de recrutement, de fidélisation, de formation des marins.

Ce dernier point est particulièrement important. Notre marine ne vaut, comme d’ailleurs nos armées, que par les femmes et les hommes qui la servent. Notre devoir est de leur donner les moyens d’accomplir leur mission ; nous leur sommes redevables.

Pour finir, je tiens à citer le cardinal de Richelieu, pour qui « la politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire ».

Mme Corinne Vignon (EPR). 5 milliards d’euros sont prévus pour le programme PANG dans la loi de programmation militaire en cours d’exécution et cinq autres doivent y être consacrés dans la suivante. Vous soulignez dans votre rapport les autorisations d’engagement de crédits destinés à la commande du futur porte-avions en 2025. La machine est en route et les calendriers industriels vont s’aligner pour l’objectif 2038. Il n’en demeure pas moins que le programme PANG est particulier, en raison des dimensions exceptionnelles de ce navire. Quels sont, selon vous, les points de vigilance auxquels le Parlement devra prêter attention dans les années à venir, afin de s’assurer que ce programme soit mené à bien ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Le réarmement naval mondial est impressionnant, en particulier en Asie. À titre d’exemple, la Chine va prochainement aligner son troisième porte-avions, lequel disposera de catapultes électromagnétiques. Cette technologie, maîtrisée également par les États-Unis, équipera le PA-ng, lui permettant de propulser des avions plus lourds que les actuelles catapultes à vapeur.

Le porte-avions Charles-de-Gaulle pèse 42 000 tonnes, quand le PA-ng en fera pas loin du double. Ce sera donc un très gros bâtiment de combat, le plus gros bâtiment de combat européen, ce qui nécessite d’ailleurs des travaux d’infrastructure colossaux à Toulon. Sa construction ne doit souffrir d’aucun retard. Non seulement le Charles-de-Gaulle n’est pas éternel – le prochain arrêt technique majeur indiquera l’état de ses chaudières nucléaires, mais on ne construit pas un porte-avions comme n’importe quel bateau. Les Chantiers de l’Atlantique, qui construiront le PA-ng, ont un plan de charge calé sur une date de livraison en 2038, à condition que les décisions soient prises dans les temps. Les retarder ferait donc courir le risque d’une rupture capacitaire. Les Anglais l’ont vécu ; ils le payent très cher aujourd’hui.

M. Karl Olive (EPR). Je souhaite vous interroger sur la composante aéronautique, fer de lance de notre armée, au cœur de notre ambition géostratégique. Dans le budget 2025, il est prévu que l’augmentation en crédits de paiement couvre notamment les aléas techniques rencontrés sur les flottes d’hélicoptères NH90, une « remarquable machine », qui souffrirait de trois défauts : un défaut de conception liée à la corrosion des matériaux, un plan de maintenance très compliqué et une complexité de l’organisation industrielle. Pouvez-vous approfondir ces éléments et nous faire part de votre avis sur l’avenir du NH90 dans la marine ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Il s’agit effectivement d’un magnifique appareil mais encore faut-il qu’il vole. Malheureusement, son taux de disponibilité n’est absolument pas satisfaisant. Ces difficultés sont largement liées au fait qu’il y a trois industriels impliqués – Airbus Helicopters, Leonardo et Fokker, qu’ils sont concurrents, sans véritable chef de fil, si bien que la fourniture de pièces de rechange ne fait probablement pas partie de leurs priorités. En conséquence, malgré leurs qualités incontestables, un trop grand nombre de ces hélicoptères restent cloués au sol.

Pour les futurs programmes, les leçons doivent être tirées de l’expérience du NH90, dont l’une est de ne pas rééditer l’erreur de faire travailler ensemble trois industriels concurrents.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). La zone indo-pacifique est tellement vaste qu’il est nécessaire de bien y coordonner notre action, par exemple contre la piraterie ou la surpêche aux abords de nos territoires ultramarins. La coordination entre les différents segments de notre armée, et notamment sa composante satellitaire est-elle efficiente ? Des améliorations sont-elles envisagées ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. L’utilisation du satellite constitue un atout qui permet effectivement de diriger ensuite nos bateaux là où des menaces ont été détectées. Mais cela nécessite que les bateaux soient équipés de liaisons et de capacités leur permettant d’utiliser les images satellitaires. Tel est le cas, par exemple, des nouveaux patrouilleurs outre-mer (POM), qui, avec leur allonge importante et leur armement renforcé, illustrent le changement opérationnel dans la défense de nos Outre-mer.

M. François Cormier-Bouligeon (EPR). Tout d’abord, je vous remercie d’avoir cité Henri de Monfreid lors de votre introduction. Ensuite, le projet de loi de finances 2025 présenté par le Gouvernement permet une nouvelle fois de respecter à l’euro près la trajectoire budgétaire que nous avions décidée ensemble lors de l’adoption de la loi de programmation militaire 2024-2030, soit un exploit compte tenu de la situation budgétaire que nous connaissons.

Cette remarque me permet de souligner l’évolution de la temporalité de certains programmes. Je pense notamment au programme de bâtiments de guerre des mines, le BGDM. Prévu cette année, le lancement de ce programme est finalement retardé à 2025. Quel impact ce report entraînera-t-il quant à la tenue des délais de livraison initialement prévus dans la loi de programmation militaire (LPM) ? Quel impact aura-t-il pour notre marine nationale ?

M. Yannick Chenevard, rapporteur pour avis. Dans mon propos liminaire, j’évoquais la tenue des détroits, des canaux et des accès et sorties des ports. Nos chasseurs de mines tripartite ont été remarquables, ils ont rempli leur mission et continuent de le faire, mais ici aussi, la flotte a vieilli. En conséquence, il est absolument nécessaire que les BGDM prévus dans la LPM soient livrés dans les délais, malgré le report déjà subi en 2024. Aujourd’hui, la guerre des mines est redevenue d’actualité et les BGDM sont essentiels pour préserver la liberté de circulation dans des détroits et des canaux qui pourraient être minés par des puissances hostiles.

 

Mission Défense : Préparation et emploi des forces : Air

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. En préambule, je souhaite une nouvelle fois rendre hommage aux pilotes de l’armée de l’air et de l’espace tragiquement décédés en service aérien commandé cet été, le capitaine Sébastien Mabire et lieutenant Matthis Laurens. En tant que législateurs, nous nous devons d’être à la hauteur des sacrifices consentis par nos militaires au service de la nation. Nous leur devons un budget à la hauteur des besoins et des espérances, qui sont immenses.

Le projet de budget qui nous est soumis respecte la marche à 3,3 milliards d’euros, prévu par la LPM 2024-2030. J’en prends bonne note, mais je serai particulièrement vigilant vis-à-vis de la fin de la gestion. 2024. En effet, de nombreux points d’interrogation quant à l’exécution budgétaire 2024 persistent et pourraient notamment remettre en cause le respect de la LPM à l’euro près et, en conséquence, la capacité des forces aériennes à atteindre les objectifs fixés par la programmation. Les surcoûts des missions opérationnelles déployées sur le flanc oriental de l’Europe seront-ils pris en charge au niveau interministériel, comme ce fut le cas les années précédentes, dans le contexte budgétaire très contraint que nous connaissons ? Rien n’est moins certain et les BOP de nos armées en seraient les premières victimes.

S’agissant des conditions d’examen du PLF pour 2025, je déplore, comme l’an dernier, que les indicateurs d’activité et de disponibilité des matériels ne soient plus rendus publics. Si j’ai pu les consulter en tant que rapporteur budgétaire, ce n’est pas le cas de l’ensemble de nos collègues parlementaires à qui l’on demande pourtant de se prononcer de manière éclairée sur le budget. Comment un parlementaire peut-il évaluer l’efficience des crédits du MCO s’il ne peut contrôler la disponibilité des aéronefs ?

Or les crédits votés en faveur de l’amélioration du maintien en condition opérationnelle des aéronefs représentent tout de même près de 62 % des crédits du BOP de l’armée de l’air, soit un budget significatif. Je précise que l’armée américaine fait preuve de plus de transparence. Un récent rapport de l’équivalent américain de la Cour des comptes a ainsi étrillé la disponibilité des flottes du F35, qui n’ont pas atteint leurs objectifs de disponibilité au cours des six derniers mois. J’invite donc le gouvernement français à ne pas rougir de nos propres indicateurs de disponibilité et d’activité, en osant les publier à nouveau. Enfin, je souhaite alerter sur le retard des réponses au questionnaire budgétaire, pourtant envoyé en juillet. Un tel retard complexifie le travail des rapporteurs budgétaires.

Pour 2025, les crédits de paiement de l’action 4 du programme 178 n’augmenteront que très peu cette année par rapport à l’an dernier (46 millions d’euros contre 618 millions d’euros dans la loi de finances initiale 2024). Les principales hausses de crédits interviennent au profit de l’activité des forces aériennes et des forces stratégiques. Je note également la hausse significative du budget des activités spatiales, à hauteur de 56 %.

Pour autant, la faible évolution des crédits paiement BOP Air cache des renoncements préjudiciables à la bonne tenue des contrats opérationnels. Je souhaite notamment mettre en avant quelques-uns de mes principaux points de vigilance. Premièrement, si la disponibilité du segment chasse semble en légère progression cette année, la montée en puissance des contrats verticalisés de MCO prend cependant du temps et la disponibilité des matériels demeure trop contrastée au sein du parc de l’armée de l’air. L’accélération du retrait des flottes anciennes, telles que les hélicoptères Puma et les avions radars Awacs, est nécessaire. Je me réjouis de la relève prioritaire des Puma sur les sites de Cayenne, Djibouti et Nouméa par des hélicoptères H225M Caracal en 2025 et 2026.

Deuxièmement, le format de notre flotte d’aviation de chasse est préoccupant. La LPM 2024-2030 a fixé à 137 le nombre de Rafale dont disposera l’armée de l’air et de l’espace à l’horizon 2030, soit 48 avions de moins que la cible de 185 Rafale fixée par la LPM 2019-2035. Nous ne pouvons que regretter le manque d’ambition de cette cible, alors que la flotte stratégique et la flotte conventionnelle de Rafale sont de facto mutualisées. La réduction de la cible Rafale entraînera nécessairement des conséquences délétères sur les indicateurs d’activités opérationnelles, qui sont légèrement inférieurs aux cibles, mais surtout sur la disponibilité des matériels, qui sont sursollicités. Or cette sursollicitation ne devrait que croître puisque la France devrait céder dans les prochains mois plusieurs Mirage 2000-5 aux forces armées ukrainiennes. Ces sessions occasionneront un report d’activité sur la flotte de Rafale, dont les coûts de MCO augmenteront.

Troisièmement, je regrette la baisse de 8 % des crédits de paiement de l’opération stratégique « Infrastructures ». Les pistes aéronautiques constituent un outil de combat de l’armée de l’air et de l’espace, et un élément essentiel de la sécurité aérienne, dont il ne faut jamais négliger l’entretien.

Quatrièmement, le chantier de revalorisation des grilles indiciaires des sous-officiers supérieurs et des officiers soulève d’immenses attentes au sein de la communauté de l’armée de l’air et de l’espace. Les départs de sous-officiers se ralentissent en 2024, en partie parce que nombre de militaires sont dans l’attente de cette revalorisation. Je regrette que les contingences politiques récentes aient entraîné un report de deux mois au 1er décembre 2024 de la nouvelle grille des sous-officiers supérieurs. La revalorisation de la grille des officiers interviendra à la fin de l’année 2025. Le gouvernement devrait être à la hauteur des espérances de nos militaires en cette réforme.

La partie thématique de mon avis budgétaire est consacrée au spatial de défense. Alors que le bâtiment définitif du commandement de l’espace (CDE) doit être livré à Toulouse en 2025, sa montée en puissance fournit l’occasion de faire un point sur la mise en œuvre de la stratégie spatiale de défense dévoilée en 2019. Je me suis d’ailleurs réjoui de voir le chef d’état-major de l’armée de l’air de l’espace, le général Bellanger, effectuer sa première visite au CDE à Toulouse.

L’espace est un multiplicateur de force pour l’ensemble des opérations militaires. Toutes les composantes des armées utilisent des moyens de renseignement, de communication, de géolocalisation, de navigation ou de synchronisation reposant sur les capacités spatiales. L’espace joue donc un rôle clé dans l’appui aux opérations, qui s’accroîtra notamment dans le cadre de la mise en œuvre prochaine du combat collaboratif.

L’accélération du déploiement de la stratégie spatiale de défense est une nécessité absolue, alors que la conflictualité dans l’espace est croissante. L’offre de lanceurs doit être augmentée afin de préserver notre liberté d’accès à l’espace. Les armées devront disposer de lanceurs de plus en plus réactifs afin de traiter la fin de vie ou le maintien en condition opérationnelle d’une large flotte de satellites en orbite basse.

Nos capacités souveraines de surveillance de la situation spatiale doivent être augmentées afin d’apprécier de manière autonome la situation spatiale. Le « tout patrimonial » n’étant pas possible, nos capacités spatiales souveraines doivent être étoffées par des achats de services spatiaux auprès d’opérateurs de confiance bien identifiés et fidélisés.

Lors des débats relatifs à la LPM, j’ai regretté le manque d’ambition du patch spatial, qui a notamment acté le sacrifice du satellite de télécommunication Syracuse 4C au nom de la mise en place prochaine d’une constellation de connectivité européenne en orbite basse, Iris2. Or cette constellation va subir un retard important et sa pleine capacité opérationnelle ne pourrait finalement intervenir qu’en 2030.

Les constellations de connectivité en orbite basse offriront de nombreux avantages, parmi lesquels un temps de latence fortement diminué dans la communication, une dimension indispensable pour le futur cloud de combat. Disposer de grappes de centaines, voire de milliers de satellites accroît aussi la résilience des capacités spatiales d’une nation. Pour autant, il ne faut pas opposer Iris2 et Syracuse, l’orbite basse et l’orbite géostationnaire. Les deux offres se complètent utilement et n’offrent pas les mêmes avantages.

Il est à présent urgent de décliner le volet spatial de la LPM, alors que plusieurs systèmes spatiaux militaires arriveront à échéance autour de 2030 : nos satellites d’observation optique (CSO) en 2030, nos satellites de renseignement électromagnétiques (Ceres) en 2029, ainsi que les satellites franco-italiens Sicral 2 et Athena-Fidus de télécommunication spatiale, en 2030. Je suis relativement confiant dans le prochain lancement du satellite CSO-3 en début d’année prochaine, mais rappelle qu’il aurait dû intervenir dès 2021 et n’a cessé d’être reporté en raison de la crise européenne des lanceurs que nous connaissions à cette époque.

Je salue l’annonce récente par le ministère des armées du lancement à venir, en 2026, d’une capacité d’action dans l’espace en orbite basse avec Toutatis. En revanche, je déplore le report, toujours plus probable du lancement pourtant urgent de notre démonstrateur Yoda de patrouilleurs en orbite géostationnaire. Constitué de deux nanosatellites, Yoda devait initialement être lancé en 2025, mais le report à 2026 voire 2027 vient d’être acté. Pourtant, le lancement de Yoda est indispensable pour permettre aux opérateurs du CDE de monter en compétence sur le segment « actions dans l’espace », qui constitue la principale rupture introduite par la stratégie spatiale de défense.

Disposer de satellites patrouilleurs-guetteurs en orbite haute et basse nous permettra de sauvegarder notre liberté d’action dans l’espace. Nos compétiteurs stratégiques, eux, ne souffrent d’aucun retard dans la démonstration de leur capacité d’action dans l’espace. Afin de faire face aux menaces non réversibles de désorientation et de tirs antisatellites, il importe aujourd’hui de consolider notre doctrine d’action dans l’espace. Le domaine spatial militaire devrait bénéficier à terme d’un répertoire d’actions diversifiées permettant de répondre à un acte hostile de manière proportionnée et non escalatoire. Il me paraît toutefois essentiel de maintenir une ambivalence stratégique sur le seuil caractéristique d’un acte hostile dans l’espace, ainsi que la nature d’une riposte française en cas d’agression des intérêts français dans l’espace.

Pour terminer, l’acculturation de l’ensemble des armées aux enjeux spatiaux me semble essentielle, au-delà de la seule armée de l’air et de l’espace, pionnière sur le sujet. Il n’y a pas de défense sans espace ; il n’y a pas d’espace sans défense. La France est d’une puissance spatiale prééminente en Europe et doit le rester.

M. Romain Tonussi (RN). Dans votre rapport, vous vous inquiétez notamment du format sous-dimensionné de nos flottes d’aéronefs. Vous vous alertez des conséquences sur cette même flotte de la cession, annoncée par le Président de la République de plusieurs avions de chasse Mirage 2000-5 aux forces armées ukrainiennes. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Depuis trois ans que je suis rapporteur pour le budget de l’armée de l’air et de l’espace, je n’ai eu de cesse que d’alerter sur le format de notre aviation, particulièrement notre aviation de chasse. Tout est lié : format, nombre d’aéronefs, activités et disponibilités s’entremêlent et entraînent des répercussions sur nos missions.

Par rapport à la précédente LPM, la cible de Mirage2000-D rénovés est passée de 55 à 48 avions ; et celle des Rafale de 185 à 137 avions. La cible de nos avions A400M est passée de cinquante à trente-cinq. En outre, nous n’avons que douze MRTT, ces avions qui participent à différents contrats opérationnels de l’armée de l’air et de l’espace. En mai-juin, en Nouvelle-Calédonie, neuf des douze MRTT dont nous disposons ont été sollicités pour établir le pont aérien. Ces avions, qui devraient être sanctuarisés dans le cadre de la posture permanente de dissuasion, ne peuvent pas l’être.

En outre, les conséquences d’un tel format au plus juste sont une grande sollicitation du matériel et du potentiel de vol de ces avions, ce qui augmente par ailleurs le besoin en MCO. La mutualisation de nos moyens à l’est de l’Europe, notre présence en Jordanie, à Djibouti, en Afrique, les opérations de mission intérieures en Nouvelle-Calédonie affectent ainsi la disponibilité de ces appareils.

Vous avez évoqué également la cession de Mirage 2000-5 aux forces armées ukrainiennes. Les missions dévolues à ces avions seront donc reportées sur d’autres aéronefs, ce qui nourrira le cercle vicieux de la consommation de potentiel et d’une moindre activité pour les pilotes. Nous pourrions compenser ces lacunes, en commandant dès maintenant des Rafale de la tranche 5.

Mme Catherine Rimbert (RN). La presse a récemment relaté les ambitions d’entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD) étrangères concernant le marché « Red Air » de l’armée de l’air et de l’espace. Cette dernière est en effet contrainte d’externaliser à un prestataire privé la simulation d’une force d’opposition aérienne dans le cadre d’un marché qui portera annuellement sur 3 000 heures de vol, pour une durée d’au moins six ans. Comment vous positionnez-vous sur ce sujet majeur ?

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Une mission « Red Air » consiste à livrer une opposition aux pilotes de chasse dans le cadre de leur formation, de leur entraînement. Jusqu’à présent, l’escadron 3/8 Côte-d’Or, basé à Cazaux, remplissait cette mission, avec des Alpha Jet, qui arriveront en fin de vie en 2032-2033. L’armée de l’air et de l’espace a été contrainte de réduire leur activité, pour les consacrer à leur deuxième mission, dévolue à la Patrouille de France.

Le marché « Red Air » est en cours. Je serai particulièrement vigilant pour m’assurer que des entreprises étrangères ne bénéficient pas de ce marché, dans la mesure où elles auront à connaître de nos caractéristiques stratégiques et tactiques, qui doivent rester souveraines.

Les Alpha Jet arrivant bientôt en fin de vie, il est nécessaire de leur trouver des remplaçants. Malheureusement, à ce jour, il n’existe pas de marché ni d’études lancées sur ce sujet. J’appelle de mes vœux une solution de remplacement, aussi bien pour la mission Patrouille de France que pour la mission « Red Air ». Nos industriels sont tout à fait capables de créer cet objet, cette plateforme, qui pourrait compiler ces deux missions, mais encore faut-il qu’on leur en donne la commande.

M. Pascal Jenft (RN). Ma question porte sur la partie thématique de votre rapport consacré au spatial de défense. Vous déplorez dans celui-ci l’abandon par la LPM du troisième satellite de télécommunications spatiales Syracuse 4C. Simultanément, vous semblez conciliant avec la future constellation européenne de connectivité Iris2. Pourquoi tenez-vous cette position ? N’est-il pas préférable de s’en remettre à une architecture spatiale militaire souveraine comme Syracuse ?

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Je ne raisonne pas en termes d’opposition, mais de complémentarité. En l’espèce, les deux sont, à mon sens, complémentaires. Les systèmes spatiaux de télécommunication satellitaire utilisés par les forces françaises sont répartis en trois catégories, liées à leurs fonctionnalités militaires. Le noyau dur est constitué par nos satellites Syracuse 4A et 4B, ainsi que du satellite franco-italien Sicral 2 ; le noyau étendu correspond au satellite franco-italien Athena-Fidus, mis en service opérationnel en août 2017 ; le reste étant constitué par des contrats commerciaux que la France passe avec des entreprises selon ses besoins.

La fin de vie en 2030 des satellites Sicral 2 et Athena-Fidus entraînera certainement un défaut de capacité de télécommunication. Je regrette que la LPM ne permette pas le lancement du Syracuse 4C, qui aurait permis de couvrir un espace plus important, notamment sur la partie indo-pacifique.

Compte tenu du contexte budgétaire, Iris2 peut répondre à ce besoin de connectivité en basse orbite satellitaire. Cette réactivité, cette capacité à gagner du temps est décisive. Demain, nos forces traiteront des missiles hypervéloces et des missiles balistiques et chaque seconde sera cruciale pour contrer les menaces.

En résumé, les satellites géostationnaires, ces engins lourds, résilients et coûteux sont complémentaires avec la constellation européenne Iris2. Je regrette cependant le désengagement de certains industriels et le retard accumulé. Il est donc nécessaire de renforcer nos capacités par ces deux systèmes.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Pour ma part, je me réjouis de la cession de Mirage 2000-5 à l’Ukraine. En effet, la défense de l’Ukraine par ses armées contribue également à la sécurité de l’Europe. Ma question concerne le remplacement des Awacs. Si celui-ci doit intervenir, fera-t-il l’objet d’une coopération avec nos alliés ?

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. Nous pouvons nous réjouir de cette cession, mais elle ne doit pas mettre à mal nos armées. Or, elle a de fait un impact sur les capacités de nos forces aériennes, qui sont sursollicitées. C’est la raison pour laquelle j’en appelle à une prise de conscience.

Je ne dispose pas d’informations particulières sur le remplacement des Awacs, mais je sais que l’Otan mène des études à ce sujet. Je rappelle que ces avions participent aussi de notre dissuasion nucléaire et sont nécessaires à la connaissance des milieux grâce à leur capacité d’éclairer au plus loin. En cas de remplacement, notre leitmotiv sera le recours à une solution souveraine.

M. Sylvain Maillard (EPR). Où en sommes-nous sur le programme système combat aérien du futur (Scaf) et sur les satellites géostationnaires ? Dans ce dernier cas, l’emplacement est stratégique. Or au-dessus de l’Europe, nos emplacements géostationnaires souverains sont parfois situés au-dessus de pays avec lesquels nous n’entretenons pas de bonnes relations. Disposez-vous d’indications sur le repositionnement ?

M. Frank Giletti, rapporteur pour avis. La phase 1B du Scaf, celle des études, s’achève. De notre côté, forts des expériences passées, nous ne croyons pas à cette collaboration franco-allemande. Je crois d’ailleurs que le ministre Sébastien Lecornu a émis récemment des réserves sur la poursuite de ces travaux. Lors des débats sur la LPM, j’avais d’ailleurs déjà alerté sur cet aspect. Cet avion doit porter la bombe nucléaire, apponter sur le PANG et doit pouvoir s’exporter. Or ces éléments sont en contradiction avec les besoins allemands.

Pour définir un projet de coopération, il faut d’abord établir une vision commune des spécificités, de sa doctrine d’emploi et du budget. Force est de constater que cela n’est pas le cas, sur le long terme. De même, je ne suis pas certain que les industriels soient particulièrement convaincus de l’avenir de ce projet de coopération et ils travaillent à des solutions annexes. Les sommes consacrées au Scaf doivent être réallouées à des entreprises françaises pour développer ces systèmes souverains.

Ensuite, la stratégie spatiale de défense française, initiée en 2019, commence à produire ses effets. Cependant, l’effet majeur de rupture concernera notre capacité à agir dans l’espace, pour donner un signalement stratégique à nos compétiteurs. Je rappelle que l’espace constitue un bien commun et que nous avons le droit d’évoluer partout à 36 000 kilomètres autour de la planète. La vraie question consiste en réalité à savoir comment nous prémunir de menaces de la part de nos compétiteurs, voire de nos adversaires. L’espace est l’affaire de toutes les armées.

Mission Défense : Équipement des forces – Dissuasion

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. « Au milieu du chaos, j’ai trouvé qu’il y avait en moi un calme invincible ». Il peut sembler paradoxal de commencer la présentation de ce rapport par une citation d’Albert Camus, connu pour son pacifisme. J’ai néanmoins considéré que parler de chaos reflétait bien la situation du monde tel qu’il est aujourd’hui et que le programme 146 d’investissement capacitaire sur le long terme correspond bien à la construction de ce calme invincible, qui doit être celui de notre pays.

Mes chers collègues, nos avis peuvent diverger au sein de cette commission sur le modèle d’armée, les coopérations européennes ou encore la dissuasion. Mais je crois que nous partageons tous ici la conviction profonde que la poursuite de la réparation et la modernisation de nos armées n’est pas une option, mais une ardente nécessité, un devoir moral vis-à-vis de nos concitoyens, de notre nation, des générations à venir qui vivront dans un monde périlleux. D’ailleurs, nous vivons d’ores et déjà dans un monde périlleux.

Réparer et moderniser nos armées est un devoir absolu. La Russie restera une menace durable, quelle que soit l’issue de la guerre en Ukraine. Si la Russie perd, elle cherchera à se venger ; si elle gagne, elle cherchera à profiter de son avantage. Comme nous le disait la semaine dernière, ici même, à l’Assemblée nationale, Ilia Iachine, opposant russe de M. Poutine, à peine sorti de vingt-cinq mois d’emprisonnement pour motif politique, « rien n’arrêtera M. Poutine dans sa guerre, si vous ne l’arrêtez pas, si vous n’aidez pas l’Ukraine à l’arrêter et à le repousser au-delà de ses frontières ».

À la Russie de M. Poutine, il convient encore d’ajouter l’Iran des mollahs au Proche et au Moyen-Orient ; la Corée du Nord et la Chine en Asie. Comme le dit avec justesse le ministre des Armées, « nous ne sommes pas en guerre, mais nous ne sommes plus en paix ». Il s’agit d’une rupture stratégique profonde et durable dont nos concitoyens n’ont peut-être pas encore suffisamment conscience.

Réparer et moderniser nos armées est un devoir, car nous sommes confrontés à une mutation sans précédent de la conflictualité, avec de nouveaux champs tels que l’espace, le cyber ou les grands fonds marins, et la multiplication des actions hybrides menées par nos compétiteurs. Enfin, l’Europe doit se préparer collectivement à assurer seule la sécurité de son continent, notamment en cas d’élection de Donald Trump.

Je salue naturellement, comme plusieurs de mes collègues rapporteurs auparavant, l’effort de la nation pour ses armées, avec cette nouvelle marche budgétaire à 3,3 milliards d’euros. Comme depuis 2019, nous votons et mettons en œuvre des lois de programmation militaire d’une ampleur inégalée et nous les exécutons à l’euro près.

Cependant, il ne faut pas oublier d’où nous venons. Il s’agit bien de réparer nos armées, qui ont été si abîmées par des décennies de coupes budgétaires. Nous ne pouvons que nous féliciter que soit révolue cette période funeste où elles étaient considérées comme une variable d’ajustement budgétaire. Elles ne doivent pas le devenir à nouveau.

Il faut d’ailleurs remettre en perspective cet effort budgétaire : consacrer 2 % de notre PIB pour garantir la sécurité de notre pays et assurer la maîtrise de notre destin collectif n’est pas cher payé. Posons-nous la question autrement : combien nous coûterait une défaite, combien nous coûte déjà la guerre menée par M. Poutine en Ukraine ? Combien nous coûte le mémorandum de Budapest de 1994, par lequel l’Ukraine a troqué l’abandon de son arsenal nucléaire contre le respect de ses frontières par la Russie ?

Cet effort de la Nation pour ses armées se retrouve naturellement dans le projet de budget du programme 146, dédié aux équipements de nos armées et à la dissuasion. Il est prévu, en 2025, plus de 50 milliards d’euros d’autorisations d’engagement, soit le double de 2024. Les crédits de paiement s’élèvent quant à eux à 18,7 milliards d’euros, soit plus que les crédits de la mission Sécurités, qui regroupe la police, la gendarmerie et la sécurité civile. Depuis 2017, les crédits du programme 146 ont augmenté de 86 %, soit 30 points de plus que l’augmentation moyenne du budget de la mission Défense. Ce chiffre démontre à lui seul la priorité indispensable accordée au renouvellement capacitaire au regard des montants en jeu.

À quoi serviront ces crédits ? La priorité capacitaire pour 2025 est accordée au renouvellement de notre dissuasion nucléaire. Ainsi, 2025 restera une date clé dans l’histoire de notre dissuasion nucléaire, un jalon exceptionnel avec le lancement en réalisation de trois programmes majeurs : le sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération pour plus de 11 milliards d’euros d’autorisations d’engagement ; le renouvellement du missile de notre composante océanique avec le quatrième incrément du M51 et, enfin, le renouvellement du missile de notre composante aéroportée l’ASN4G. Plus de 26 milliards d’euros d’autorisations d’engagement sont ainsi mobilisés pour la modernisation de notre dissuasion, pour garantir sa robustesse et sa crédibilité pour la période post 2035.

Outre le renouvellement de notre dissuasion, le deuxième fait marquant du PLF 2025 concerne le lancement du marché principal du porte-avions de nouvelle génération (PA Ng), avec la mobilisation d’une enveloppe conséquente de plus de 10 milliards d’euros d’autorisations d’engagement.

Au-delà de la dissuasion et du PA Ng, le renouvellement concerne l’ensemble du spectre capacitaire, avec des équipements de très haute technologie. Je pense par exemple au lancement annoncé du standard F5 du Rafale et de son drone de combat accompagnateur, ou encore au développement de capacités de destruction des défenses aériennes ennemies grâce à des missiles antiradars qui seront intégrés aux Rafale F4. Je tiens également à évoquer des équipements plus rustiques, mais nécessaires, comme les premières munitions téléopérées souveraines, développées par KNDS France et Delair, qui viennent de réussir leur premier test.

Enfin, le projet de budget 2025 intègre d’importantes évolutions décidées par l’ajustement annuel de programmation (A2PM), avec un effort accru sur les missiles et munitions ainsi que sur la lutte anti-drones. Entre 2025 et 2027, plus d’un milliard euros par rapport aux prévisions de la LPM sera ainsi consacré aux munitions.

Je voudrais maintenant en venir, mes chers collègues, à mes principaux points d’attention. Mon premier point d’attention concerne la fin de l’année 2024. Les crédits actuellement gelés pour le programme 146 représentent un montant inédit de 1,2 milliard d’euros, soit plus de la moitié de l’augmentation des crédits prévus en 2025. Par conséquent, en cas d’absence de dégel ou de dégel a minima, l’ensemble de la programmation capacitaire 2025 serait remis en cause, dès lors que ce qui n’a pas été commandé en 2024 devra l’être en 2025.

Mon second point d’attention porte sur nos programmes européens majeurs. Concernant le SCAF, l’enjeu de l’année 2025 consistera à négocier l’entrée dans la phase 2, qui doit aboutir à un premier démonstrateur. À ce titre, nous devons être très clairs auprès de nos partenaires sur nos conditions et nos lignes rouges, avant d’entrer dans cette phase déterminante du programme.

À mon sens, trois conditions principales doivent être remplies. Il s’agit d’abord de s’assurer que les spécifications du SCAF, et donc son coût, ne remettent pas en cause le format de notre aviation de chasse. Deuxièmement, la part actuelle des industriels français ne doit pas être remise en cause et le principe du best athlete doit être sauvegardé. Enfin, il est impératif de garder notre liberté d’action à l’export.

S’agissant maintenant du Main Ground Combat System (MGCS), le futur système de combat terrestre, je salue le travail accompli par les états-majors français et allemands sur l’expression des besoins. Je salue également le travail accompli par notre ministre, Sébastien Lecornu, et son homologue allemand, Boris Pistorius : l’accord de 2024 a préservé l’essentiel, avec la coresponsabilité de KNDS France sur la « fonction feu », aux côtés de Rheinmetall. Il est essentiel, selon moi, de soutenir ce programme européen. Nous avons besoin de prévoir le remplacement du char Leclerc, ainsi que de construire des partenariats entre États européens. Cependant, ne faut-il pas craindre que cette coopération théorique sur la « fonction feu » se transforme en pratique en véritable compétition entre les deux entreprises pour imposer ses propres solutions ?

Mon troisième et dernier point d’attention concerne le successeur du lance-roquettes unitaire (LRU). Je m’inscris en faux contre la perspective, que certains évoquent, d’acheter un système étranger sur étagère. Je rappelle que la LPM prévoit expressément qu’une solution souveraine devra être privilégiée, seul moyen de préserver notre liberté d’action et d’emploi. Je salue à cet égard la décision récente du ministre des Armées de retenir une telle approche, ce qui ouvre la voie à la notification des deux marchés de partenariat aux deux groupements d’industriels français pour développer le successeur du LRU.

Je conclurai mes propos en évoquant la partie thématique de mon rapport, que j’ai consacré à « la DGA face au défi de l’économie de guerre ». À la demande du Président de la République et du ministre des Armées, Emmanuel Chiva, le délégué général pour l’armement, a entamé une transformation profonde de la DGA dès mai 2022. Les services ont été réorganisés, avec notamment la création d’une direction de l’industrie de défense. Plusieurs chantiers ont été lancés pour simplifier la conduite des programmes d’armement.

Outre sa transformation interne, le rôle de la DGA dans le cadre de l’économie de guerre consiste à soutenir l’adaptation de la BITD pour être en mesure de produire plus, plus rapidement. À ce titre, l’enjeu du financement sera particulièrement marqué pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

Je conclus en n’émettant un avis favorable, en prenant en compte de mes réserves s’agissant de la fin de la gestion 2024.

M. Yannick Chenevard (EPR). Par nature, la DGA, créée pour accompagner le programme de dissuasion nucléaire, est habituée aux grands programmes complexes, qui peuvent atteindre parfois plusieurs milliards d’euros et durer des décennies.

Dans l’après-guerre froide, nous avons dû adapter notre appareil industriel et la DGA, en privilégiant les programmes lourds et les technologies sophistiquées. Mais aujourd’hui, nous avons changé d’époque, avec le retour de la guerre, des empires et des conflits de haute intensité. Nous préparons notre BITD à l’économie de guerre. N’est-il pas venu le temps d’une certaine simplification, pour gagner en efficacité ?

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Vous avez raison, la simplification est nécessaire pour être au rendez-vous de l’économie de guerre. Il faut d’abord simplifier l’expression des besoins. Notre écosystème a longtemps privilégié la sophistication technologique des équipements, parce qu’elle était dans l’intérêt de tous, c’est-à-dire des armées ; des ingénieurs et techniciens de la DGA ; et des industriels. Mais la complexité génère des coûts et des délais, ce qui n’est plus acceptable dans le contexte actuel, ni dans l’optique d’exportation de nos équipements, laquelle est nécessaire à l’équilibre de notre BITD souveraine.

En deuxième lieu, la DGA doit également faire preuve d’une plus grande audace pour contourner un certain nombre de normes civiles qui nuisent au bon déroulement des programmes. Elle doit également prendre un certain nombre de risques en réduisant les exigences de documentation, mais aussi alléger les processus d’acceptation des matériels, surtout quand ils émanent d’industriels jugés matures. Enfin, la DGA doit s’ouvrir davantage aux propositions non sollicitées des industriels. Je pense par exemple au canon Caesar, d’abord développé sur fonds propres par KNDS. J’ai confiance en Emmanuel Chiva et dans l’ensemble des équipes de la DGA pour mener à bien ce chantier de la simplification.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Les petites et moyennes entreprises (PME) et entreprise de taille intermédiaire (ETI) de la défense connaissent des difficultés de financement en raison des spécificités structurelles du secteur de la défense et de la montée en puissance des critères extra-financiers, comme les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), que certains interprètent à tort comme excluant les investissements dans le secteur de la défense. La DGA porte-t-elle un effort sur le financement des PME et ETI ? Quelles sont vos propositions en la matière ?

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Vous avez raison de soulever ce point fondamental du financement, qui ne nous est pas inconnu ici, à la commission de la défense nationale et des forces armées, puisque notre ancien collègue Jean-Louis Thiériot s’est particulièrement impliqué sur ce sujet.

Celui-ci ne se limite cependant pas à la France : une étude de la Commission européenne de janvier 2024 estime ainsi que le déficit d’investissement en capital dans les PME européennes du secteur de la défense s’élève à deux milliards d’euros. Or la préparation de l’économie de guerre exige évidemment que les entreprises de défense de toutes tailles obtiennent les financements nécessaires pour faire monter en puissance leur outil de production.

L’action de la DGA dans ce domaine comporte un volet bancaire un volet en investissement. S’agissant du volet bancaire, la DGA a mis en place en son sein un référent bancaire défense. Il est en charge d’instruire toutes les demandes des PME ou ETI qui rencontreraient des difficultés de financement avec leur banque. D’après les retours que j’ai obtenus dans le cadre de mes travaux, ce dispositif fonctionne bien. La DGA fait aussi la chasse aux politiques internes des banques dont les exclusions iraient au-delà des exigences réglementaires. Il s’agit par exemple de s’assurer que la notion « d’armes controversées » ne soit pas prétexte à exclure des acteurs de la dissuasion nucléaire.

Sur le volet financement, la DGA s’assure notamment que les investisseurs publics évitent autant que faire se peut de co-investir avec des acteurs financiers qui excluent l’investissement dans le secteur de la défense. Elle réfléchit également à développer des mesures incitatives pour attirer les capitaux, en s’inspirant par exemple des dispositifs pour favoriser les investissements verts comme les éco labels.

Pour ma part, j’estime que le défi de l’économie de guerre exige l’établissement d’un mécanisme de fléchage de l’épargne collective vers les PME et les ETI du secteur de la défense, pour compenser une certaine déficience des financements privés. L’utilisation du « livret A » a déjà fait l’objet de nombreuses propositions, mais il ne s’agit pas du seul outil envisageable. La création d’un nouveau livret d’épargne dédié à l’industrie, évoquée par le Premier ministre dans son discours de politique générale, pourrait constituer un véhicule approprié pour un tel financement de l’industrie de la défense.

Quelle que soit la forme retenue, l’essentiel consiste agir vite pour permettre à nos PME et à nos TPE de prendre résolument le chemin de l’économie de guerre en même temps que les grands acteurs de la BITD. Au niveau européen, il est impératif que la Banque européenne d’investissement (BEI) montre l’exemple en ouvrant sa politique de prêts aux entreprises de défense, et pas seulement aux entreprises duales. Cela serait un signal très fort à l’égard des autres investisseurs institutionnels.

M. Julien Limongi (RN). Monsieur le rapporteur, vous faites le constat d’un échec des discussions entre KNDS et Leonardo dans le cadre du MGCS et vous constatez que l’Allemagne a choisi de développer un char de transition, le KF51. En revanche, vous ne mentionnez pas une solution alternative en France. A-t-elle été évoquée lors de vos auditions ? Enfin, je vous remercie d’avoir évoqué le livret d’épargne de défense, qui figurait dans les propositions de Marine Le Pen lors de la campagne présidentielle de 2022.

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Donald Trump a clairement indiqué qu’il réduirait sensiblement sa participation à l’OTAN s’il était à nouveau élu. Nous devons donc nous poser la question des coopérations entre les BITD des différents États membres de l’UE ou de l’Europe élargie au Royaume-Uni pour faire face à nos besoins d’investissement, notamment sur des segments aussi lourds que le char du futur. Je ne suis pas certain en effet que chaque pays soit en mesure de développer des solutions souveraines.

S’agissant du char du futur, des étapes importantes ont été franchies, qu’il s’agisse de l’expression commune de besoin par les états-majors des armées françaises et allemandes ou de l’accord conclu entre les deux ministres en avril dernier, dont nous attendons la mise en œuvre dans les semaines à venir. Aujourd’hui, KNDS France a la coresponsabilité du canon et de la tourelle. Sur ce programme comme pour le SCAF, l’essentiel consiste à investir dans les briques technologiques, qui nous seront utiles à terme. Nous devons également nous interroger sur la motorisation, pour essayer d’augmenter la durée de service de nos chars Leclerc.

M. Sylvain Maillard (EPR). J’estime que la coopération franco-allemande peut nous permettre de franchir un pas technologique dans le cadre du programme MGCS, que les parlementaires allemands considèrent aujourd’hui d’un meilleur œil que par le passé. Au-delà de la réalisation de ce programme, souhaitez-vous que notre besoin de développer ces briques dans les années à venir soit pleinement réaffirmé ?

M. François Cormier-Bouligeon, rapporteur pour avis. Nous devons naturellement faire du financement de la recherche et du développement de ces briques technologiques une priorité. La solution de sagesse consiste à la fois à jouer pleinement le jeu du MGCS, tout en préparant des options alternatives, au cas où ce programme n’irait pas à son terme. De ce point de vue, nous avons intérêt à soutenir les industriels français, afin qu’ils poursuivent la recherche sur ces briques technologiques, qui nous seront, quoi qu’il arrive, nécessaires.

Je me permets enfin d’évoquer les avions Awacs, qui sont notamment présents à la base aérienne 702 d’Avord. La rénovation du cockpit a pris du retard et coûterait cher. Aujourd’hui, l’armée de l’air et de l’espace étudie un certain nombre de solutions alternatives. Des officiers de l’armée de l’air m’ont indiqué que la solution GlobalEye développée par Saab semble constituer une réponse à leurs besoins. Selon moi, il faut prendre une décision rapidement au sujet du successeur de l’Awacs.

 

Mission Défense : Soutien et logistique interarmées

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. En 2025, selon le ministre des armées, la défense serait épargnée par la cure d’austérité généralisée prévue par le Gouvernement Barnier, avec une hausse du budget qui atteindrait 3,3 milliards d’euros. Le Ministre s’est ainsi félicité devant notre commission du respect de la trajectoire prévue par la loi de programmation 2024-2030 et a assuré le respect de la « programmation physique » de celle-ci. On peut déjà s’interroger sur le sens de cette notion de programmation physique, dont il est le seul à comprendre les subtilités.

Surtout, ce respect facial de la programmation se fait au prix de manœuvres de gestion qui sont en pleine contradiction avec l’esprit de la LPM. En effet, la gestion des surcoûts opérationnels souffre d’une insincérité chronique, au détriment de la mission constitutionnelle de contrôle dévolue au Parlement. En premier lieu, la provision budgétaire dédiée aux opérations extérieures et intérieures sera vraisemblablement dépassée en 2024, comme les années précédentes, et il en résultera un surcoût de plusieurs centaines de millions, pourtant prévisible.

En second lieu, les opérations pour renforcer le flanc est de l’OTAN ont été financées les années précédentes par des fonds interministériels, alors que ces interventions à l’étranger n’ont pas été approuvées par le Parlement, conformément à la procédure prévue par l’article 35 de la Constitution. Le Gouvernement continue de contourner l’autorisation parlementaire en appelant ces opérations des missions opérationnelles (Missops), malgré leur fonctionnement similaire aux opérations extérieures (Opex). Le ministre a d’ailleurs reconnu un problème de lisibilité. Pourtant, les solutions qu’il a esquissées devant notre commission ne sont pas satisfaisantes. Je ne pense pas qu’un « bidouillage » juridique de plus puisse aller dans le sens d’une résolution de l’ambiguïté, et encore moins dans celui d’un exercice effectif du contrôle du législateur.

Le constituant, dans sa grande sagesse, avait souhaité que le Parlement soit informé des interventions des forces françaises à l’étranger et autorise leur prolongation au-delà de quatre mois. Tel est le sens de l’article 35 de la Constitution, dont l’esprit et la lettre sont parfaitement clairs. Si la situation est aujourd’hui illisible, c’est parce que le Gouvernement s’exonère de cette obligation constitutionnelle et piétine le Parlement.

À l’heure de la simplification, je propose une solution simple : considérer l’ensemble des missions opérationnelles à l’étranger comme entrant dans le champ de l’article 35 de la Constitution. Dans le même esprit, le bénéfice du financement interministériel doit être réservé aux seules opérations qui ont fait l’objet d’une discussion et d’une autorisation parlementaires.

J’analyse, dans la première partie de mon rapport, l’évolution des crédits consacrés aux services de soutien interarmées portés par le programme 178 et le programme 212. Ces crédits sont, dans l’ensemble, annoncés en hausse dans le PLF 2025. Dans la pratique, les bénéfices de cette hausse sont rognés par divers surcoûts opérationnels. Les services de soutien des armées, en souffrance budgétaire et humaine depuis plusieurs années, doivent pourtant engager des réformes structurantes et nécessaires.

Les déploiements en Kanaky-Nouvelle-Calédonie sont à ce titre emblématiques. Le Gouvernement s’est obstiné à dégeler le corps électoral, en contradiction flagrante de l’accord de Nouméa et des engagements internationaux de la France, malgré l’absence de consensus des populations et acteurs locaux et les multiples avertissements de parlementaires, dont votre rapporteur. Il en résulte une grave crise sociale et politique qui a provoqué l’envoi de plusieurs centaines de militaires depuis l’Hexagone, toujours sans consultation ou discussion parlementaire. Le surcoût opérationnel lié à ces déploiements pour le ministère des armées dépasse 30 millions d’euros. Le service du commissariat des armées et le service de santé des armées ont dû adapter leurs dispositifs déjà en tension et absorber des surcoûts sur un budget lacunaire.

Mon avis budgétaire analyse également l’évolution des dépenses des ressources humaines des armées, inscrites au programme 212. Nous constatons, en 2024, une embellie en matière de recrutement et de fidélisation dans les armées, appelée à se poursuivre en 2025. Mais il est difficile de savoir dans quelle mesure celle-ci est attribuable aux effets des politiques de fidélisation dans les armées ou du relâchement conjoncturel du marché de l’emploi.

Dans ce contexte, les efforts de revalorisation doivent être maintenus en 2025 et être à la hauteur des attentes des militaires. Cela concerne tout particulièrement la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), qui révèle aujourd’hui ses limites. D’abord, la fiscalisation de l’indemnité de garnison gommera en partie les bénéfices de la NPRM à partir de 2025. Cette fiscalisation suscite en effet une hausse de l’impôt sur le revenu et fera perdre à de nombreux militaires le bénéfice de certaines prestations sociales. Ensuite, le dimensionnement et le versement de l’enveloppe d’indemnité de sujétions d’absence opérationnelle (Isao) restent perfectibles. Ces difficultés doivent être traitées au plus tôt, bien avant la clause de revoyure prévue en 2026. J’insiste sur cet enjeu, qui fait l’objet d’une forte attente de la part des militaires, comme révélée lors des auditions de votre rapporteur et de notre commission. La NPRM a été présentée comme une réforme bénéfique pour les militaires et pourtant, nombre d’entre eux ont le sentiment de « s’être fait avoir », si vous me passez l’expression.

La réforme des grilles indiciaires du ministère des armées se poursuit. Elle avait été mise en œuvre en octobre 2023 pour les militaires du rang et les sous-officiers subalternes. Elle devrait concerner les sous-officiers supérieurs en décembre 2024 et les officiers à la fin de 2025. Sur ce sujet, je tiens à formuler trois observations.

Premièrement, j’ai constaté que la mise en œuvre des grilles des sous-officiers supérieurs a été retardée de deux mois par rapport à ce qui avait été annoncé. En conséquence, je proposerai un amendement pour compenser cette perte non justifiée pour les militaires concernés.

Deuxièmement, je déplore et trouve injustifiable qu’il ne soit pas prévu à ce stade d’intégrer les aspirants à la réforme des grilles des officiers. Les aspirants, bien qu’en formation, contribuent déjà aux missions des forces.

Plus largement, je réitère mes remarques quant à la faible cohérence d’ensemble de la réforme et l’insuffisance des efforts sur les militaires du rang. Le ministère provisionne 75 millions d’euros par an pour la réforme des grilles d’officiers, 46 millions d’euros pour les sous-officiers supérieurs, alors que la revalorisation spécifique des militaires du rang et sous-officiers subalternes affichait 8,3 millions d’euros en année pleine. La progression du Smic fait craindre un rattrapage du bas des grilles indiciaires dès 2025, alors qu’elles avaient été revues en 2023. Ainsi, il n’aura fallu que deux ans pour que le phénomène de tassement de début de carrière réapparaisse, malgré les alertes de votre rapporteur.

J’ai choisi cette année de consacrer la partie thématique de mon rapport au statut des militaires français à l’étranger. Cette question constitue en effet un véritable impensé des politiques récentes d’amélioration de la condition militaire. L’accompagnement, les conditions matérielles et financières des militaires français affectés à l’étranger sont très variables. Ils créent des inégalités de traitement injustifiées, entre militaires et civils d’abord, mais aussi entre militaires, puisque le ministère met en œuvre deux tableaux de rémunération distincts selon les emplois concernés. Ainsi, entre deux militaires de même pays d’affectation et de même grade, les écarts de rémunération atteignent plusieurs centaines, voire milliers d’euros par mois. Cette distinction doit être supprimée.

Surtout, confrontés à des problématiques croissantes de logement, de hausse du coût de la vie et de scolarisation des familles, les militaires français sont de plus en plus nombreux à hésiter ou à renoncer à des postes à l’étranger, voire à y partir sans leur famille pour plusieurs années, en particulier dans les destinations anglo-saxonnes et scandinaves. Cette baisse d’attractivité constitue un risque pour l’adéquation entre les besoins du ministère et les profils des candidats.

Pour ceux qui partent, les auditions que j’ai menées révèlent un sentiment de déclassement et une paupérisation des personnels, dommageables pour la condition militaire, l’image de la France et la préservation de ses intérêts. Un militaire précaire, isolé dans un environnement étranger, est un militaire vulnérable. Il apparaît donc impératif de mettre fin aux différences de traitement injustifiées et de renforcer l’accompagnement des militaires envoyés par la France à l’étranger, à commencer par le logement et les compensations indemnitaires.

En conclusion, j’aimerais revenir sur le contexte de préparation de cet avis budgétaire. Cette année, encore plus que les autres, je déplore le dialogue difficile avec le ministère des armées sur sa gestion. Je note par exemple que le montant de la contribution Otan, que le ministre s’était engagé à communiquer de manière plus lisible, ne m’est toujours pas parvenu à ce jour. Il m’a également été impossible d’obtenir des informations fiables relatives aux coûts, en exécution et en prévision, des différents engagements opérationnels des armées.

Plus largement, il est inacceptable que les réponses au questionnaire budgétaire, envoyé à l’été, continuent de manquer à la fin du mois d’octobre. Pour rappel, l’article 49 de la loi organique relative aux lois de finances prévoit un retour des réponses au questionnaire au plus tard le 10 octobre. Qu’elle soit imputable à l’incompétence gouvernementale ou au mépris du contrôle parlementaire, cette attitude est inadmissible.

En résumé, la présentation du budget des armées est au diapason du PLF 2025, c’est-à-dire un Gouvernement qui foule les droits du Parlement pour présenter un budget insincère et austéritaire.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Défense.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Lorsque la NPRM a été lancée, il était prévu qu’elle soit implémentée en plusieurs phases, soit huit phases me semble-t-il. Or aujourd’hui, on considère que cette NPRM est finie. Dans vos fonctions de rapporteur, avez-vous pu être éclairé sur l’état final recherché de cette politique, qui n’a jamais été présentée à la représentation nationale ? A-t-il pu être atteint ?

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. La NPRM a été déployée en trois phases, mais il nous a été impossible de savoir à l’avance quelles seraient précisément les réformes, d’une année sur l’autre. J’ignore donc si le ministère disposait d’une vision globale lorsqu’il a lancé les trois phases. Force est de constater que son état final n’est toujours pas connu. Un certain nombre de primes ont été fiscalisées, mais à ma connaissance, aucune simulation n’a été demandée à Bercy pour savoir quelles seraient les conséquences, notamment fiscales, pour les militaires. Parmi ses effets, la fiscalisation des primes modifie le quotient familial et donc l’accès à de nombreuses prestations sociales, ce qui constitue à ce jour un véritable « trou noir ». Nous sommes constamment renvoyés à l’année 2025, qui sera la première année où les effets fiscaux se feront sentir de manière pleine et entière.

Le ministère a prévu une clause de revoyure en 2026, qui devra être réellement mise en œuvre, non seulement pour évaluer les effets induits de cette fiscalisation sur les prestations sociales, mais aussi parce que certaines primes ne sont plus revalorisées, sauf si une décision ministérielle et des mesures catégorielles devaient être prises. Il en résulte un « grignotage » par l’inflation de ces primes.

M. Julien Limongi (RN). Ma question concerne le plan hébergement lancé en 2019. Il semble que les programmes de rénovation et de restauration des logements suivent leur cours. Cependant, l’insatisfaction demeure chez les militaires. Il me semble que le logement sur les enceintes militaires constitue le premier motif d’insatisfaction des militaires. Lors de vos auditions, avez-vous pu obtenir des informations sur ce plan hébergement ? Est-il sous-doté ? Ou répond-t-il aux besoins ?

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Le plan hébergement suit le programme prévu par le ministère ; il n’y a pas de sous-dotation par rapport à la trajectoire prévue par le Gouvernement. Les livraisons avoisinent les 4 100 places, pour l’année à venir. Malheureusement, cela n’est sans doute pas suffisant, à en juger par le taux de satisfaction, notamment dans l’armée de l’air, qui a baissé de vingt points pour s’établir aujourd’hui à 38 %. Les besoins sont tels que l’offre ne suffit pas, avec des problèmes de surpeuplement. On a également un problème sur les logements affectés en gestion libre par le prestataire, qui échappent aux militaires.

Les problèmes de logement concernent également les militaires à l’étranger. Les attachés de défense représentent le ministre, au même titre que l’ambassadeur représente le Président de la République. Ils ont une mission de représentation, et peuvent être amenés à recevoir dans leur appartement, leurs homologues ou d’autres officiels. Certains d’entre eux bénéficiaient d’un logement dit « de réception ». Malheureusement, la réforme du corps diplomatique a mis en commun l’ensemble des biens gouvernementaux à l’étranger et le ministère des armées s’est vu subtiliser une partie du parc qu’il possédait en propre par le ministère des affaires étrangères.

Les attachés découvrent parfois trois mois avant de partir à l’étranger qu’ils devront trouver un appartement dans le parc locatif du pays hôte, créant des difficultés d’installation. S’ajoute à cela l’absence de garantie sur la sécurisation des lieux qu’ils seront amenés à louer, qui ne permet pas d’écarter le risque d’un espionnage par les services de renseignement du pays hôte. De plus, un appartement de réception entraîne des coûts supplémentaires pour le locataire.

Enfin, je souhaite évoquer les problèmes rencontrés par les sous-officiers, qui sont déclassés lorsqu’ils sont en poste à l’étranger. En effet, bien que correspondant dans leur fonction à une catégorie B de la fonction publique, ils reçoivent une prime équivalente à celle d’un civil de catégorie C. Ils sont dans une situation financière parfois difficile. Nous avons même eu connaissance du cas d’un sous-officier devant faire du baby-sitting le soir pour financer son logement. Il y a là un grave problème de déclassement et de dégradation de l’image de la France à l’étranger.

M. Sylvain Maillard (EPR). Monsieur le rapporteur, je suis quelque peu surpris de vos propos particulièrement politiques dans le cadre de la présentation de votre rapport, quand il est possible de parler factuellement de ces éléments, quels que soient nos accords ou désaccords partisans. Je suis surpris de vous entendre défendre la non-fiscalisation d’une partie de la rémunération, alors que depuis sept ans, vous tenez des propos complètement opposés dans l’hémicycle. J’entends l’inquiétude sur le risque de perte de pouvoir d’achat, mais je trouve que s’opposer à la fiscalisation des primes s’oppose à tout ce que vous avez défendu jusqu’à présent. Par ailleurs, votre groupe n’a pas voté la loi de programmation militaire, qui offre pourtant des moyens supplémentaires et qui constitue une avancée pour tous. Nous essayons tous de faire face à l’ensemble des difficultés auxquels sont confrontées nos armées, et je regrette que vous ne proposiez pas une version plus constructive de la LPM.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je vous renvoie à la version papier du rapport, où vous trouverez tous les chiffres et éléments précis sur le sujet. Ensuite, sur les primes, force est de constater que les primes, qui n’étaient pas fiscalisées avant la NPRM le sont désormais, sans qu’aucune analyse ou discussion n’ait été faite sur la conséquence de cette fiscalisation. Je peux soutenir le principe d’une fiscalisation, mais j’ai besoin d’éléments sur l’état final recherché. De même, cette fiscalisation n’a pas été justifiée, notamment pour les militaires. Pour un militaire, les primes peuvent représenter presque la moitié de leurs revenus. De plus, certaines de ces primes étaient prises en compte dans le calcul de la pension, ce qui n’est plus le cas. Dès lors, les militaires se retrouvent confrontés à une forme de double peine. Dans un monde idéal, la rémunération pourrait être indiciaire et correspondre aux points de la fonction publique, et j’espère que vous partagez cette perspective.

Enfin, j’assume totalement d’avoir voté contre la LPM. Il ne s’agissait pas de voter contre des budgets supplémentaires pour nos armées, mais contre la manière dont ceux‑ci étaient déterminés et déployés. L’exercice budgétaire montre bien que dans les 3,3 milliards d’euros de hausse, figurent des éléments qui ne devaient pas être intégrés dans le budget des armées. La fable d’une LPM « respectée à l’euro près » est donc sérieusement battue en brèche. Je n’ai certes pas voté la LPM, mais d’une certaine manière, je suis plus sourcilleux qu’un certain nombre de collègues quant à son strict respect.

M. Christophe Bex (LFI-NFP). Tout le monde en conviendra, les personnels militaires connaissent la précarité, comme l’ensemble de nos concitoyens. Ma question porte sur les retraites. Quel est l’impact de la contre-réforme des retraites qui a eu lieu en 2023 sur la vie des militaires, qui est déjà difficile ? On sait qu’il faut davantage d’indiciaire dans les rémunérations. La hausse de la part d’indiciaire a par ailleurs des effets bénéfiques pour les pensions.

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Je serais bien en peine de vous répondre. Ce sujet figure en bonne place dans les questionnaires budgétaires que j’ai envoyés au ministère, mais nous n’avons pas obtenu de réponse. Depuis la contre-réforme des retraites que nous avons subie, nous alertons sur ses effets pour les militaires. D’ailleurs, notre commission a justement voté contre cette réforme des retraites, parce que nous étions une majorité à penser qu’elle serait négative pour les militaires.

La NPRM entraîne une perte de retraite pour les militaires, puisque les primes ne sont plus intégrées dans le calcul des pensions. À ce sujet, Monsieur le président, il serait pertinent que notre commission organise une audition sur la thématique des pensions des militaires, afin que le Gouvernement et le ministère puissent répondre devant la commission et lever les inquiétudes légitimes d’un certain nombre de nos collègues.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Je souhaite revenir un instant sur la distinction entre Missops et Opex, sujet technique et délicat. Pourriez-vous l’évoquer et préciser en quoi les Missops pourraient relever de l’article 35 de la Constitution et comment cela permettrait de régler les problèmes que nous connaissons ?

M. Bastien Lachaud, rapporteur pour avis. Il faut en revenir aux textes. L’article 35 de la Constitution parle d’intervention à l’étranger. La loi de 2013, qui précise ce qu’est une intervention à l’étranger. Nous avons enfin le code de la défense, qui prévoit le rôle du conseil de défense dans la conduite et les orientations des Opex. Ce même code indique que les armées obéissent au ministre. En revanche, les Missops ne sont pas évoquées dans les textes de loi.

En conséquence, la question consiste à savoir à quel titre et sur quel fondement juridique le ministre a envoyé des troupes en Roumanie. Le Gouvernement a délibérément voulu restreindre la logique de l’article 35 à un certain nombre d’interventions. On pourrait imaginer qu’il souhaite restreindre aux seules opérations extérieures. Mais l’on se rend compte toutefois qu’un certain nombre d’opérations extérieures n’ont jamais été votées par le Parlement. Par exemple, nous avons appris récemment que l’opération Aspides était devenue une Opex, sans que nous n’ayons été consultés. Cela a pourtant des conséquences budgétaires. Il existe un BOP Opex, certes constamment sous-évalué par le ministère, mais dont le surcoût est assumé par l’interministériel. En revanche, nous ne savons rien sur le coût des Missops, décisions unilatérales du ministre qui viennent grever le budget. Or cela entraîne des conséquences, non seulement sur l’exécution de la LPM, mais aussi sur le quotidien de nos militaires. En effet, le statut est plus protecteur en matière d’Opex ; les militaires qui en relèvent peuvent bénéficier de la carte du combattant ou du doublement de leurs trimestres de pension. La mention « mort pour la France » est également susceptible d’être accordée.

Il y a là une volonté du ministère de nier les droits des militaires et du Parlement, pour pouvoir s’arroger seul le pouvoir d’envoyer des militaires français à l’étranger, une violation de la Constitution, en dehors de tout cadre légal. C’est la raison pour laquelle le ministre était fort embarrassé lorsque cette question a été évoquée en commission, et qu’il a essayé de nous dire qu’il allait essayer de régulariser a posteriori.

Mais cela ne peut pas être satisfaisant. Aujourd’hui, plusieurs milliers de soldats français sont présents en Roumanie. Que se passerait-il si les Russes envahissaient la Roumanie ? Nos soldats seraient immédiatement mobilisés pour faire face à cette invasion, mais le Parlement ne se prononcerait que quatre mois plus tard, placé devant le fait accompli. Les droits du Parlement seraient bafoués.

J’irai même plus loin : le ministre nous a indiqué lors de son audition que les chars russes ne sont pas près d’entrer en Roumanie, étant donné leur rythme de progression en Ukraine. Dans ce cas, nous pouvons nous interroger sur l’utilité même de la présence de nos troupes en Roumanie, si les Russes ne peuvent y arriver.

 

Mission « Sécurités » : Gendarmerie nationale

M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen des crédits de la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation, de la mission Défense et du programme Gendarmerie nationale de la mission Sécurités.

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Avant de parler du budget, permettez-moi tout d’abord de saluer l’action de nos 100000 gendarmes qui œuvrent chaque jour à la sécurité de nos concitoyens. Nos gendarmes, comme nos policiers, sont en première ligne face à la montée de la délinquance et l’intensification de la violence, parfois au péril de leur vie, comme l’ont mis en lumière les décès du gendarme Nicolas Molinari et de l’adjudant-chef Xavier Salou les 15 et 16 mai dernier en Nouvelle-Calédonie. Qu’il leur soit ici rendu hommage.

En 2024, la gendarmerie a été à nouveau sur tous les fronts avec une activité opérationnelle intense. Je pense naturellement à la sécurisation des jeux olympiques et paralympiques (JOP), qui a mobilisé 12 000 à 18 000 gendarmes chaque jour, mais également à la crise en Nouvelle-Calédonie, qui a exigé un effort massif de la gendarmerie. Ainsi, 2 900 gendarmes sont actuellement présents sur ces territoires, contre 730 habituellement. Au plus fort de la crise, trente-cinq escadrons de gendarmerie mobile ont été mobilisés, contre quatre à cinq habituellement.

Il faut bien avoir conscience de la difficulté de l’action des gendarmes pour rétablir l’ordre républicain en Nouvelle-Calédonie. Depuis le début de cette crise, les gendarmes ont essuyé plus de 700 tirs, dont plus de 160 touchants. S’il est encore trop tôt pour tirer des leçons de cette crise, une réflexion collective devra certainement être menée pour renforcer encore plus l’adaptation de la gendarmerie à ce type d’engagement de haute intensité. À titre d’exemple, les nouveaux véhicules blindés Centaure ont joué un rôle déterminant en Nouvelle-Calédonie.

Cette suractivité a pesé significativement sur les finances de la gendarmerie, alors que le budget 2024 était taillé au plus juste, avec une stagnation des dépenses de fonctionnement et une baisse des dépenses d’investissement. Le coût total des JOP pour la gendarmerie s’élève à 327 millions d’euros, entre 2022 et 2024, dont plus de 130 millions d’euros au titre de la seule « prime JO », qui a mal été anticipée. Les opérations en Nouvelle-Calédonie ont également entraîné un surcoût important, de l’ordre de 140 millions d’euros.

Dans ce contexte, la gendarmerie a pris la décision de suspendre temporairement le paiement des loyers dus à compter du mois de septembre, dans l’attente de la loi de finances de fin de gestion, qui devait permettre de régulariser cette situation fâcheuse. Selon les informations qui m’ont été transmises, les baux faisant l’objet de ce report représentent un montant total de 90 millions d’euros.

Le PLF 2025, prévoit 6,9 milliards d’euros de crédits de paiements hors pension pour la gendarmerie, soit une augmentation de 521 millions d’euros par rapport à 2024 (+5 %). Il s’agit là d’un effort significatif de la Nation à destination de ses gendarmes, a fortiori dans le contexte des finances publiques que nous connaissons. Contrairement aux deux années précédentes, la très grande majorité de cette augmentation des crédits sera allouée aux dépenses de fonctionnement et d’investissement et non aux dépenses de personnel. Les dépenses au titre de la masse salariale n’augmentent ainsi que de 2 % en 2025, pour s’établir à 5 milliards d’euros.

Il faut bien avoir conscience de l’importance de cette masse salariale, qui représente plus de 70 % du budget total de la gendarmerie, soit un modèle très éloigné de celui des armées, où le capacitaire mobilise une large partie des crédits. La quasi-stagnation des dépenses de personnel en 2025 risque cependant de remettre en cause un certain nombre d’engagements de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI).

Ainsi, le premier engagement phare de la LOPMI concerne la création de 239 nouvelles brigades. En 2023 et 2024, 80 brigades ont été créées grâce à un schéma d’emploi très dynamique, comprenant un accroissement de près de 2 000 effectifs en deux ans. En 2025, la gendarmerie prévoyait la création de 57 nouvelles brigades, grâce à la création de 500 effectifs supplémentaires, conformément à la LOPMI. Cependant, le PLF 2025 prévoit un schéma d’emplois nul. En l’état, il est donc impossible de créer ces 57 nouvelles brigades prévues en 2025. En effet, il n’y aurait aucun sens à piocher dans les effectifs des brigades existantes pour créer de nouvelles brigades. Il est donc crucial que les discussions budgétaires fassent évoluer ce schéma d’emploi nul, afin de respecter les engagements de la LOPMI en matière de nouvelles brigades.

Seconde difficulté induite par cette quasi-stagnation des dépenses de personnel, le PLF ne prévoit le financement d’aucune nouvelle mesure catégorielle. Or, il était prévu que la révision de la grille des officiers de la gendarmerie interviendrait en 2025, conformément au protocole social adossé à la LOPMI. Cette réforme est d’autant plus souhaitable qu’une importante revalorisation des grilles indiciaires des sous-officiers a déjà été mise en œuvre dans le cadre de l’exécution du protocole social. Cette revalorisation a induit un tassement considérable des grilles entre sous-officiers et officiers, qui n’est pas soutenable à long terme. Là encore, il faudra avancer sur ce point lors des discussions budgétaires.

Voilà pour les mauvaises nouvelles.

Les bonnes nouvelles sont liées à l’effort important pour remettre à niveau les dépenses de fonctionnement et relancer les dépenses d’investissement. Les dépenses de fonctionnement augmentent ainsi de 22 %, soit près de 300 millions d’euros supplémentaires. Les dépenses d’investissement, qui représentent moins de 5 % du total des crédits de la gendarmerie, augmenteront de 76 % en 2025, soit 140 millions d’euros supplémentaires.

La reprise des investissements est salutaire. Mais après deux années quasi blanches dans ce domaine, cet effort est insuffisant. À titre d’exemple, la gendarmerie procédera à l’acquisition de 1 850 véhicules légers en 2025, ce qui correspond à la moitié des besoins de renouvellement du parc. Par ailleurs, la gendarmerie souffre également de l’explosion du coût des véhicules, qui a augmenté de 33 % en quatre ans. Il serait opportun, à ce titre, d’exonérer les véhicules de la gendarmerie du malus écologique, au même titre que ceux des pompiers.

Autre exemple, 175 millions d’euros seront consacrés en 2025 au renouvellement et à la maintenance du parc immobilier de la gendarmerie. Il s’agit certes d’une augmentation de 60 % par rapport à 2024, mais ces montants sont bien en deçà des 400 millions d’euros annuels nécessaires. Il est urgent d’engager une réflexion collective sur l’évolution du modèle actuel d’immobilier. Faute de budget d’investissement suffisant, la gendarmerie a en effet recours au secteur locatif, entraînant une rigidification croissante de son budget. En 2025, près de 630 millions d’euros seront alloués au paiement des loyers, montant qui a doublé en quinze ans et qui ne peut être alloué au parc domanial de la gendarmerie, dont l’état général est fortement dégradé. L’immobilier est aujourd’hui la principale source d’insatisfaction des gendarmes. Cette situation est d’autant plus inacceptable que le casernement est au fondement du modèle de disponibilité de la gendarmerie. Une solution consisterait par exemple à recourir davantage aux marchés de partenariat pour des projets immobiliers structurants.

En guise de conclusion, je souhaite évoquer brièvement le thème que j’ai retenu cette année, les réserves de la gendarmerie. Elles sont désormais attractives : il y a aujourd’hui un réserviste pour trois gendarmes d’active, contre un réserviste pour cinq actifs pour les réservistes du ministère des Armées. La proximité géographique, le caractère très opérationnel des missions, ainsi qu’une gestion et un accompagnement efficace des réservistes constituent autant d’atouts de la réserve de la gendarmerie.

Cependant, les défis pour atteindre la cible de 50 000 réservistes d’ici fin 2027 fixée par la LOPMI sont nombreux. L’appareil de formation est saturé et le taux d’activité est plus faible que celui des réserves du ministère des Armées. Il existe enfin un déficit de fidélisation, puisque les départs annuels représentent 10 % à 15 % de l’effectif total.

Enfin et surtout, le PLF 2025 prévoit une forte réduction des crédits dédiés aux réserves, à rebours des engagements de la LOPMI. La gendarmerie escomptait 100 millions d’euros pour ses réserves en 2025, mais le PLF ne prévoit que 75 millions d’euros, soit 15 millions d’euros de moins qu’en 2024, hors JO. Ici encore, j’espère que les débats budgétaires pourront régler ce problème. Nos réservistes sont non seulement indispensables à l’activité quotidienne de la gendarmerie, mais également au cœur du lien Armées-Nation qui a plus que jamais besoin d’être renforcé.

M. Karl Olive (EPR). Je souhaite revenir sur la question du parc de véhicules légers, ces équipements opérationnels de la gendarmerie, en particulier dans le cadre du développement de nouvelles brigades. Bien que le PLF 2025 prévoie une hausse notable des investissements grâce à la LOMPI, seuls 180 véhicules légers ont été acquis, alors qu’il en faudrait au moins 3 750 chaque année pour un renouvellement optimal du parc. En 2025, l’achat de 1 850 véhicules est envisagé, ce qui demeure deux fois inférieur aux nécessités de la gendarmerie. Dans ce contexte, l’inflation a fortement alourdi le coût unitaire de ces véhicules, le prix moyen étant passé de 21 500 euros en 2019 à 28 700 euros en 2023.

Face à ces défis financiers, existe-t-il des mesures spécifiques que nous pouvons proposer pour sanctuariser ces investissements et assurer un renouvellement annuel suffisant sans pour autant alourdir les contraintes budgétaires actuelles ? L’exonération du malus écologique, comme cela a été réalisé pour les services départementaux d’incendie et secours, pourrait-elle constituer une solution pertinente pour la flotte de la gendarmerie ? Enfin, alors que la transformation du parc de la gendarmerie devra se faire aussi vers l’électrique, quels moyens envisagez-vous pour réussir cette transformation dans un contexte budgétaire contraint, des véhicules électriques qui restent, à date, bien plus chers ?

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Il faut avant tout sanctuariser ce budget d’investissement, afin que nos gendarmes puissent travailler dans de bonnes conditions, avec de bons véhicules. Comme je l’ai indiqué lors de mon intervention, il faut également mener une véritable réflexion sur le malus écologique, en s’inspirant éventuellement de ce qui a été fait pour les pompiers. Je vous rejoins sur ces points et j’espère que des efforts seront opérés cette année, lors des discussions budgétaires.

Mme Alexandra Martin (DR). Je vous remercie pour la qualité de votre rapport et les points de vigilance que vous avez soulevés. Je saisis également cette occasion pour rendre hommage au professionnalisme des gendarmes, à leur disponibilité, à leur engagement quotidien au service de la population, parfois jusqu’au sacrifice ultime. Permettez-moi aujourd’hui d’avoir une pensée pour l’adjudant-chef Éric Comyn, qui a perdu la vie le 26 août dernier dans mon département, au cours d’un contrôle routier.

Les gendarmes sont en première ligne face à la recrudescence des tensions sociales. Ils doivent aussi affronter des violences de plus en plus nombreuses : des violences intrafamiliales, mais aussi des violences urbaines, lesquelles sont marquées par une délinquance juvénile en constante augmentation. En outre, ils doivent également répondre à une demande croissante de proximité de la part de nos concitoyens. Face à cet enjeu, la LPM a fixé des objectifs ambitieux, notamment, la montée en puissance de sa réserve opérationnelle, c’est-à-dire jusqu’à 50 000 réservistes pour 2027. Vous avez déjà esquissé la réponse, mais pouvez-vous nous dire si des leviers suffisants existent dans la LPM, afin de répondre à cet objectif ambitieux et crucial ?

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Dans la LOPMI, nous avions effectivement décidé d’établir un stock de 50 000 réservistes à l’horizon 2027. Malheureusement, cet objectif est d’ores et déjà compromis dans le PLF 2025.

Dans mon rapport, j’évoque plusieurs pistes pour améliorer le fonctionnement de la réserve et son recrutement. Dans un premier temps, il faudrait consolider les outils de recrutement, dans la mesure où la chaîne de recrutement est saturée, faute de places disponibles dans les écoles et faute d’instructeurs. Ainsi, des réservistes doivent parfois attendre un an pour pouvoir suivre leur formation initiale.

Il faudrait également revoir le fonctionnement des visites médicales des réservistes, actuellement réalisées par le service de santé des armées. Nous pourrions peut-être autoriser les médecins de ville à mener ces consultations d’embauche de nos réservistes. Un autre axe de travail consiste à réformer l’activité opérationnelle des réservistes de la gendarmerie. Cela implique le développement d’unités composées exclusivement de réservistes, les compagnies d’intervention de réserve territoriale. Ces unités offrent davantage d’autonomie et de responsabilité aux réservistes, ce qui est motivant pour ces derniers.

L’effort doit être également poursuivi en matière d’équipement. Par exemple, les réservistes ne disposent pas de leur propre outil informatique, ce que nous pouvons regretter. Il conviendra également de renforcer la disponibilité des réserves. À cet effet, la garde nationale doit poursuivre son travail de conventionnement avec les employeurs, afin que les réservistes puissent répondre aux demandes de la réserve, sans être confrontés à des soucis professionnels avec leur employeur. Enfin, il faut sanctuariser les moyens, ce qui n’est pas le cas dans ce projet de loi de finances 2025.

M. François Cormier-Bouligeon (EPR). Dans son discours de prise de fonction, le nouveau ministre de l’intérieur nous rappelait vaillamment qu’il avait trois priorités : rétablir l’ordre, rétablir l’ordre et rétablir l’ordre. Pour y parvenir, il faut pouvoir disposer de ressources, à l’instar de son prédécesseur, qui avait obtenu de larges moyens, notamment pour la création des nouvelles brigades.

Je souhaite vous interroger sur le passage de votre rapport où vous avez évoqué les gels de crédits et notamment leurs répercussions sur le paiement des loyers. Dans mon département du Cher, sept communes sont ainsi concernées. Je pense notamment aux communes d’Aubigny-sur-Nère, de Sury-prés-Léré, de Saint-Martin-d’Auxigny et de Baugy, qui attendent des sommes parfois considérables, lesquelles viennent évidemment grever leur budget. Il en va là de la confiance dans la parole de l’État. Avez-vous bon espoir que le ministre Retailleau mette tout son poids politique pour obtenir un vrai dégel de crédits pour la gendarmerie, afin qu’elle puisse payer les loyers aux communes ?

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Des surcoûts inattendus ont effectivement été engendrés par les JOP et les émeutes en Nouvelle-Calédonie, entraînant un gel des loyers. J’espère que la loi de finances de fin de budget permettra de corriger cette situation, afin que les loyers soient payés. Par ailleurs, le projet de budget ne permettra pas en l’état d’assurer le déploiement des 57 brigades prévues en 2025. Cela posera problème, particulièrement dans les territoires ruraux.

M. Pascal Jenft (RN). Nous le constatons tous, la délinquance ne cesse d’augmenter en métropole et en outre-mer, obligeant une forte mobilisation des unités de gendarmerie. Ces interventions engagent des coûts de transport, de logement, d’alimentation, de rémunération des gendarmes. Par exemple, la présence en Nouvelle-Calédonie a coûté 140 millions d’euros en 2024.

Pour optimiser la gestion du budget en fin d’année, la gendarmerie a dû prendre la décision de reporter le paiement des loyers. Malgré ce constat, l’action commandement, ressources humaines et logistiques du budget alloué à la gendarmerie en 2025 n’a bénéficié que de 281 millions d’euros supplémentaires d’autorisations d’engagement. Estimez-vous qu’avec cette somme, la gendarmerie puisse encaisser le choc d’une mobilisation massive supplémentaire ?

Enfin, vous venez d’évoquer la non-création de 57 brigades de gendarmerie en 2025. Cependant, il y a quelques jours, le major général de la gendarmerie nous a expliqué qu’il n’existait pas de problèmes d’effectifs, ni de démissions. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ?

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Pour ma part, je pense sincèrement qu’il existe un véritable problème avec ce schéma d’emploi nul, qui remet en cause le déploiement des 57 nouvelles brigades de gendarmerie prévues en 2025. Je rejoins donc votre inquiétude.

S’agissant de votre première question, le budget dédié aux investissements et au fonctionnement a augmenté significativement. Cependant, nous resterons vigilants.

Mme Josy Poueyto (Dem). Je suis particulièrement préoccupée par l’état de nos gendarmeries, qu’il s’agisse des conditions de travail ou des logements, que nous avions déjà déplorées en 2022, lors de notre mission avec Christophe Naegelen. Les difficultés de recrutement s’expliquent aussi par ces éléments. Je suis déçue que les conclusions de notre rapport n’aient pas été mieux prises en compte.

Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis. Pour les besoins du service, les gendarmes sont obligés de vivre en casernement et nous devons évidemment leur fournir des logements décents, ce qui n’est malheureusement pas le cas dans nombre d’endroits. Il n’est pas normal que des familles de gendarmes ne vivent pas dans de bonnes conditions, dans leur logement de fonction.

J’ai néanmoins souligné l’effort effectué cette année en matière d’investissement immobilier. Ainsi, en 2025, le budget d’investissement dans l’immobilier passe à 170 millions d’euros, soit 76 % d’augmentation par rapport à l’année dernière. Pour autant, il faudrait au moins 400 millions d’euros par an.

Un effort a également été accompli en direction des petites rénovations, à hauteur de 73 millions d’euros, quand 100 millions d’euros seraient nécessaires. Enfin, les locations coûtent cher, 630 millions d’euros leur sont consacrés chaque année. Il faut donc revoir le modèle de l’immobilier pour la gendarmerie. Sans doute serait-il pertinent d’établir des partenariats, afin que la gendarmerie puisse être propriétaire à moindres frais de ses casernes et son immobilier. Ici aussi, nous serons très vigilants.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie tous et vous donne rendez-vous à seize heures pour la suite de nos travaux.

 

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La séance est levée à douze heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Édouard Bénard, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, M. Matthieu Bloch, M. Frédéric Boccaletti, M. Manuel Bompard, M. Philippe Bonnecarrère, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, M. Alexandre Dufosset, Mme Sophie Errante, Mme Stéphanie Galzy, M. Frank Giletti, M. Damien Girard, M. Michel Gonord, Mme Florence Goulet, M. Daniel Grenon, M. David Habib, M. Stéphane Hablot, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, M. Didier Lemaire, Mme Murielle Lepvraud, M. Julien Limongi, Mme Lise Magnier, M. Sylvain Maillard, Mme Michèle Martinez, Mme Alexandra Martin, M. Thibaut Monnier, M. Karl Olive, Mme Anna Pic, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Marie Récalde, Mme Catherine Rimbert, M. Aurélien Rousseau, M. Arnaud Saint-Martin, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint-Pasteur, Mme Isabelle Santiago, M. Thierry Sother, M. Thierry Tesson, Mme Sabine Thillaye, M. Romain Tonussi, Mme Corinne Vignon

Excusés. - Mme Anne-Laure Blin, M. André Chassaigne, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Alma Dufour, M. Emmanuel Fernandes, M. Thomas Gassilloud, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud