Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

 Audition conjointe avec la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, ouverte à la presse, de M. Bernard Pêcheur, président du comité de suivi du programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS) au sein des armées, et du contrôleur général des armées (CGA) Thibault de Laforcade, chef de la mission Thémis du ministère des Armées et des Anciens combattants.              2


Mercredi
22 janvier 2025

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 34

session ordinaire de 2024-2025

Co-Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
Président, et de
de Mme Véronique Riotton,
Présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes


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La séance est ouverte à onze heures cinq.

M. le président Jean-Michel Jacques. Madame la Présidente, mes chers collègues, cette audition est organisée conjointement avec la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, présidée par notre collègue Véronique Riotton. Elle est consacrée à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes au sein des armées.

Nous recevons à ce titre M. Bernard Pêcheur, conseiller d’État, ancien président du Haut comité d’évaluation de la condition militaire, président du comité d’éthique de la défense depuis 2020. Monsieur Pêcheur, vous avez été désigné pour présider le comité de suivi du programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS) au sein des armées, qui s’est réuni pour la première fois en octobre 2024. Nous accueillons également le contrôleur général des armées Thibault de Laforcade qui dirige la mission Thémis du ministère des Armées. Je rappelle que cette mission, créée en 2014, a pour rôle de recueillir le traitement des signalements de harcèlement, de discrimination et de VSS.

La mission d’enquête sur les violences sexuelles au sein du ministère des armées a rendu ses observations en juin 2024, soulignant l’ampleur du problème avec 226 signalements de violences sexuelles et sexistes (VSS) recensés en 2023 par la mission Thémis. Elle a également mis en évidence des lacunes persistantes dans la détection et le traitement de ces cas.

Pourtant, les armées portent comme principe fondamental la fraternité d’armes. Ce principe repose sur l’unité et la solidarité entre tous les soldats. Quel que soit son sexe, son origine ou son identité, chaque soldat y est reconnu avant tout pour ses compétences et sa capacité d’accomplir sa mission. En conséquence, les comportements discriminatoires et sexistes portent atteinte à ce principe et doivent être combattus.

Le ministre des armées Sébastien Lecornu, a eu l’occasion de rappeler devant nous qu’il fait de ce sujet l’un des axes prioritaires de son action. Ainsi, il a décidé de renforcer les mesures de lutte contre les violences sexuelles et sexistes en s’appuyant sur les recommandations de la mission d’enquête. Un programme ministériel de lutte sur le sujet a été engagé dès cet été, qui inclut notamment le renforcement de la compétence et des moyens de la mission Thémis. Notre commission veillera à ce que ce programme produise des effets durables.

Mme Véronique Riotton, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Je vous remercie pour votre accueil. Permettez‑moi tout d’abord de saluer cette initiative partagée entre la commission de la défense et notre délégation. Je suis persuadée que cette audition sera très instructive pour nous toutes et tous. Elle s’inscrit dans la continuité du rapport que nous avons examiné hier à la commission et à la délégation sur la définition pénale du viol, dont j’étais co-rapporteure avec ma collègue Marie-Charlotte Garin.

Dans celui-ci, nous plaidons pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et la construction d’une véritable culture de l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour y parvenir, notre action doit être transversale. Telle est l’approche qui avait d’ailleurs été privilégiée dans le rapport du 10 juin 2024 de la mission d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles au sein des armées, que notre ministre a tenu à rendre public. Je le remercie pour son engagement et pour cette transparence.

Sept mois après ces conclusions, nous sommes impatients de vous entendre sur le déploiement des recommandations. La délégation aux droits des femmes est particulièrement attentive à la question de l’accompagnement des victimes. Le rapport d’enquête plaidait pour la mise en place d’un parcours des victimes leur permettant de savoir à qui s’adresser à chaque étape de la procédure. De quelle manière cette mise en place se déroule-t-elle ?

Par ailleurs, se pose la question de la place des victimes à la suite d’une agression. En lisant les témoignages de ces dernières, nous constatons que certaines ont finalement quitté leurs fonctions, parfois à regret. Les victimes étaient souvent écartées de leur poste, quand les auteurs étaient confortés. Nous voulons modifier ce système. La mission d’enquête suggère ainsi de limiter le départ des victimes en veillant à leur reconstruction psychosociale et à faciliter la reconversion de celles qui partent effectivement. Pouvez-vous nous présenter les mesures concrètes mises en place pour accompagner ces victimes ?

Dans notre rapport, nous évoquons également la question de la victimisation secondaire, que les nombreuses victimes de violences sexuelles subissent. Ainsi, au crime subi vient s’ajouter un second traumatisme causé par le système judiciaire, le manque de sanctions ou l’insuffisante réaction des autorités. Il est crucial que la victime ne paie pas deux fois le prix des actes de son agresseur.

Le rapport évoque en outre le rôle pivot de la hiérarchie dans l’accompagnement des victimes et la prévention des violences. Il identifie la formation comme un outil clé en ce sens, constat partagé au sein de notre délégation. En effet, dans tous les milieux, la formation des décideurs aux violences sexistes et sexuelles est souvent défaillante, bien qu’indispensable. Sans elle, aucune impulsion ne peut être donnée à la culture de l’égalité. J’aimerais donc également vous entendre sur les démarches de formation et de prévention entreprises auprès de la hiérarchie jusqu’à présent, et ce qui est prévu à l’avenir.

Qu’en est-il des écoles militaires ? Cet aspect semble absent du rapport. Comment agissez-vous concrètement pour changer la culture dès la formation initiale ? Depuis dix ans, l’efficacité de la mission Thémis a été questionnée, notamment parce qu’elle fonctionne en circuit un peu fermé. Quels changements ont été apportés à son fonctionnement depuis le mois de juin ? J’espère que vous nous parlerez également des enjeux de prévention, de poursuite des violences dans les écoles et des organismes de formation.

Enfin, au nom de la délégation, je souhaiterais que nous organisions une audition commune avec le ministre pour aborder les sujets de la parité dans les armées, de la féminisation des armées et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au cœur des problématiques des armées.

M. le contrôleur général des armées (CGA) Thibault de Laforcade, chef de la mission Thémis du ministère des Armées. Le ministre m’a chargé de piloter les évolutions de la mission Thémis, depuis dix-huit mois environ, sous l’autorité morale de Monsieur Bernard Pêcheur.

La mission Thémis a été créée en 2014, bien avant le décret 2020-256 qui impose la mise en place de ce type de dispositif dans l’ensemble de la fonction publique, après la parution du livre La guerre invisible et du rapport subséquent, qui a confirmé l’absence de structures dédiées pour le recueil des signalements.

Elle a fonctionné efficacement pendant dix ans. Cependant, des insuffisances, qui subsistent encore, sont apparues au fur et à mesure de la pratique du traitement des signalements. L’ensemble des mesures prises entre mars et juillet 2024 par le ministre visent précisément à y répondre.

Tout d’abord, la mise en œuvre de la mission pouvait laisser penser qu’elle constituait l’acteur majeur de la lutte contre les VSS, contribuant ainsi à démobiliser la chaîne de commandement. Ainsi, les seules statistiques qui étaient remontées étaient les cas traités par la cellule.

Le ministre a rappelé le rôle central du commandement et demande à la mission Thémis de suivre l’ensemble des cas survenus au ministère pour en établir un bilan, que nous réalisons actuellement. Cette implication du commandement s’étend également dans le domaine de la prévention. Jusqu’à présent, les actions de sensibilisation et de formation, surtout effectuées par la mission Thémis, ne dépendaient que de la sollicitation et du bon vouloir des organismes, sans vision d’ensemble ni suivi, même si ces actions permettaient de former et de sensibiliser des milliers d’agents.

Désormais, sous l’autorité du référent ministériel formation et sous la supervision de l’inspecteur général des armées-gendarmerie à qui le ministre a confié un mandat spécifique, une politique ministérielle est en cours de formalisation. Elle vise à former les chargés d’enquête de commandement, à systématiser la formation des référents VSS ou mixité dans les organismes, à sensibiliser tout cadre, notamment ceux prenant des responsabilités de management ou de commandement, et à éduquer nos jeunes recrues aux exigences comportementales de la vie en collectivité. Ces actions de prévention se concentreront sur deux cibles prioritaires : d’une part, les écoles ; et d’autre part, le phénomène de consommation excessive d’alcool, facteur majeur observé dans la quasi-totalité des cas d’agression sexuelle.

Ensuite, si la cellule joue un rôle de vérification du bon traitement des signalements par les autorités hiérarchiques, elle ne dispose pas de l’autorité pour imposer des mesures et des sanctions. Les instructions ministérielles de mars et juin 2024, mais aussi le guide disciplinaire de juillet 2024, permettent de répondre à ce constat. D’une part, les mesures conservatoires sont désormais bien plus normées et bien plus strictes, en particulier le maintien de la victime à son poste, la mise en œuvre bien plus étendue de la suspension et la systématisation du signalement au procureur par le biais de l’article 40 du code de procédure pénale. D’autre part, un référentiel de sanctions a été établi, permettant une harmonisation entre armées, directions et services, mais aussi un durcissement de ces sanctions visant à les rendre plus dissuasives. Il s’accompagne de surcroît d’un droit d’évocation permettant au ministre d’intervenir en dernier recours pour alourdir si nécessaire des sanctions lorsque le texte le permet.

Enfin et surtout, la ligne directrice de l’ensemble des actions entreprises vise à conforter la place de la victime au centre du dispositif. Il est en effet inconcevable de constater que des victimes sont déplacées, qu’elles partent en congé maladie, quittent l’institution quand leur agresseur poursuit sa carrière. C’est pourquoi le ministre a demandé à chaque autorité d’établir un parcours d’accompagnement de la victime, qui cherche tout d’abord à préserver ses droits, mais aussi à la protéger de son ou de ses agresseurs et à lui assurer finalement les meilleures conditions de rétablissement.

Ces mesures relatives aux sanctions et à la protection de la victime représentent d’ailleurs la mise en œuvre de quelques-unes des recommandations du rapport de 2019 de MM. les députés Lachaud et Lejeune sur la lutte contre les discriminations au sein du ministère. Le suivi des signalements et leur traitement que nous effectuons à la mission Thémis permet de confirmer par des chiffres les changements induits d’emblée par toutes les mesures prises.

Permettez-moi de vous en citer quelques-uns suffisamment significatifs. Le nombre de flash event, les comptes rendus immédiats effectués par les organismes à destination de leurs autorités et du ministère, s’élevait à 213 en 2023. Les faits de VSS s’établissent quant à eux à 454 en 2024. Ces chiffres méritent d’être précisés, dans la mesure où ils traduisent en effet plusieurs facteurs nouveaux. Tout d’abord, il faut intégrer un changement de périmètre puisque désormais, à la demande du ministre, nous prenons en compte tous les faits de VSS qui impliquent un agent du ministère, y compris hors service. Ces faits représentent à eux seuls désormais une centaine de flash event sur l’année 2024. À ces 454 signalements, il faut de surcroît ajouter les violences intrafamiliales (VIF) désormais prises en compte. Elles représentent un volume très important (325 signalements), sur lequel il va falloir désormais nous pencher.

Le deuxième facteur concerne la libération de la parole. Elle concerne d’abord celle du commandement : la chaîne hiérarchique rend désormais compte systématiquement de toute affaire, ce qui n’était pas forcément le cas auparavant. Cette chaîne a compris désormais que chacune de ces affaires avait son importance. Nous espérons que la prise en compte de chacune des affaires entraînera également une libération de la parole des victimes.

Les signalements au procureur de la République sont passés de 49 en 2023 à 255 en 2024 (avec un semestre de l’armée de terre en moins), les suspensions de 4 à 145. Enfin, alors que la protection fonctionnelle était accordée en moyenne à 45 % des victimes qui la sollicitaient ces dernières années, ce taux est désormais de 93 % en 2024. La cellule Thémis, que le ministre a voulu ériger en superviseur du traitement de tous les cas de violences sexuelles du ministère, met actuellement en œuvre – en coordination avec l’ensemble des armées, directions et services – des méthodes de traitement et de suivi partagées, afin de confirmer à la fois le nombre de signalements et d’assurer le suivi de leur traitement exhaustif. La cellule s’implique également dans le pilotage de la mise en œuvre de l’ensemble des cinquante-deux mesures fixées par l’instruction du 28 juin 2024 et en rendra compte à M. Bernard Pêcheur en mars 2025.

M. Bernard Pêcheur, président du comité de suivi du programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes au sein des armées. Nommé président du comité d’éthique de la défense (Comedef) début 2020, j’ai été désigné le 30 septembre 2024 par le ministre des armées pour présider le comité de suivi du programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Notre mission consiste à évaluer en toute indépendance les actions menées suite à l’instruction ministérielle du 28 juin 2024, qui a déterminé les mesures à prendre par les échéances et les autorités chargées de l’exécution de la lutte contre les VSS.

Le comité de suivi comprend des personnalités clés, dont l’officier général stratégie des ressources humaines de l’état-major des armées, le général Jean-Philippe Crach, et le colonel Alain Walter, directeur du lycée militaire d’Aix-en-Provence. Il est également constitué des grands subordonnés et chefs d’état-major, du directeur du service de santé des armées (SSA), de la directrice des affaires juridiques, du DRH du ministère de la défense, des inspecteurs généraux des armées (IGA) Bruno Jockers, Sylvie Perez et Monique Legrand-Larroche, qui avaient remis le rapport servant de base à l’élaboration du programme. Enfin, le comité accueille en son sein la docteure Ghada Hatem, fondatrice du collectif Maison des Femmes-Restart, avec lequel le ministère a établi une convention. Ce collectif fédère l’action de vingt-quatre associations sur le territoire national et mène une action remarquable portant sur l’accueil, l’accompagnement et les soins à fournir aux victimes.

Le comité a tenu sa première réunion le 11 octobre, en présence du ministre. La mission Thémis, rebaptisée Thémis nouvelle génération (Thémis NG), a été renforcée pour superviser l’exécution du programme, en mesurer les avancées, mais également les retards. Ce dernier comporte cinquante-deux actions issues des recommandations du rapport du collège des inspecteurs généraux des armées (IGA) du 10 juin 2024.

Il est important de noter que notre comité se concentre sur le suivi et l’évaluation de la politique publique, sans traiter les cas individuels qui relèvent du commandement et de la mission Thémis. Depuis ma nomination, j’ai participé le 11 octobre 2024, à l’installation du comité de pilotage par le ministre puis, à plusieurs reprises, à des réunions avec le contrôleur général et le cabinet du ministre. Je souhaite ainsi vous faire part des différents constats que j’ai pu dresser.

Le premier constat porte sur l’engagement personnel du ministre afin de mener à bien ce programme, comme en témoignent les huit instructions, guides, conventions et décisions signés par ses soins. La première instruction du 26 mars 2024 a pour objet de placer la victime au cœur du dispositif. Elle préconise le recours à l’article 40, la suspension ou la fermeté dans les sanctions pour le mis en cause ou la mise en cause.

Le 12 avril 2024, un mandat a été adressé au collège des IGA sur les VSS. Le 28 juin 2024, une deuxième instruction a fixé le programme de lutte contre les VSS à la lumière du rapport d’enquête des IGA du 10 juin 2024. Le 16 juillet 2024, une troisième instruction a établi le guide disciplinaire pour les VSS, qui traite de la suspension systématique de la personne mise en cause, du régime des sanctions et de l’articulation entre le disciplinaire et le pénal.

Par ailleurs, le 18 juillet 2024, a été signée une convention-cadre avec l’association Maison des Femmes-Restart pour les actions de formation, de sensibilisation ainsi que pour le signalement et la prise en charge des victimes. Madame la docteure Ghada Hatem a exposé les conditions qui l’avaient conduite en tant que praticienne d’hôpital à assurer le premier accueil et les premiers soins, mais aussi à préserver les indices de toute nature permettant d’identifier les auteurs.

Le 11 octobre 2024, le comité de suivi s’est réuni pour la première fois. Un mandat avait été adressé le 10 octobre aux inspecteurs généraux, afin que soit menée une enquête dans les lycées, écoles et grandes écoles du ministère des armées. Après un point intermédiaire effectué mi-novembre 2024, nous remettrons à la fin mars 2025 un rapport final au ministre, mais aussi au comité de suivi.

Enfin, le ministre a chargé le 13 novembre 2024 le nouvel inspecteur général des armées-gendarmerie, le général Samuel Dubuis, d’aider les armées d’une part à renforcer les enquêtes de commandement en mettant en place des modules de formation intégrant notamment l’articulation entre les procédures administratives et judiciaires ; et d’autre part à constituer un vivier de réservistes qualifiés.

Le deuxième constat concerne l’homogénéisation nécessaire des sanctions opérée par le guide disciplinaire du 16 juillet 2024, conformément aux recommandations du rapport d’enquête des IGA. Doivent ainsi être considérés et traités comme des VSS les crimes, délits et fautes suivants : le viol, la pédopornographie, l’agression sexuelle, le harcèlement sexuel, la captation et la diffusion non consentie d’images à caractère sexuel, la captation sans diffusion d’images à caractère impudique et sexuel, l’exhibition sexuelle, l’outrage sexiste ou sexuel, l’injure ou la diffamation à caractère sexuel et sexiste.

Le troisième constat porte sur les faits à réprimer. Il s’agit des faits commis en service mais aussi en dehors du service, portés à la connaissance de l’autorité hiérarchique. En France, pour accéder à la fonction publique, militaire ou civile, il faut être exemplaire et peut-être plus encore dans des fonctions d’autorité. Je précise qu’au sein de la gendarmerie, toutes les violences intrafamiliales sont réprimées et sanctionnées sévèrement. Il doit en être de même dans les armées. À cet égard, la responsabilité de la hiérarchie est donc la plus large possible, dès lors qu’elle a connaissance des faits.

Le quatrième constat porte sur le caractère novateur du pilotage du programme par une structure pérenne et collégiale – le comité – qui veillera au suivi de cette politique publique dans la durée. Ce comité est appelé à vous rendre compte périodiquement, à votre demande, de l’état d’avancement du programme et des progrès réalisés.

Le cinquième constat est relatif à l’étendue du programme, qui s’adresse aux trois armées, aux directions, formations et services du ministère des armées et du ministère des anciens combattants mais également aux établissements sous tutelle, dont les écoles. À ce titre, le programme concerne tant les personnels militaires que les personnels civils – fonctionnaires contractuels, ouvriers de l’État, de tout rang et de toute catégorie.

Le sixième constat a trait à la mobilisation de la hiérarchie militaire et de la hiérarchie civile dans le pilotage, par l’implication des grands subordonnés et des directeurs, mais aussi dans la prévention, la protection des victimes, la sanction des auteurs, dont la responsabilité incombe désormais au commandement et à l’encadrement.

La nouvelle configuration se situe au plus près des hommes et des femmes à travers la hiérarchie directe, chargée de la mission prévention, détection, répression et accompagnement. De son côté, Thémis NG est chargée de la supervision du programme et du secrétariat général du comité de suivi, mais est également positionnée comme maillon de dernier recours. Je souligne que la nécessaire mise en avant de la hiérarchie ne constitue nullement un désaveu de l’action passée de Thémis. Le rapport du collège des inspecteurs généraux du 10 juin dernier avait d’ailleurs souligné « l’engagement inébranlable » des six membres, femmes et hommes composant « un collectif habité par le sens et l’importance de la mission ». En effet, une mention de cette nature dans un rapport administratif est assez rare.

Le septième constat porte sur l’ampleur du programme de lutte contre les VSS, lequel comporte quatre axes historiques : accompagner la victime, sanctionner, garantir la transparence et prévenir. Il se déploie à travers cinquante-deux actions détaillées, avec autant de responsables et selon des échéances bien établies.

Le huitième constat concerne le degré d’avancement du programme. À la fin novembre 2024, vingt-huit actions projetées sur cinquante-deux étaient considérées comme réalisées, treize étaient en cours et onze devaient être réalisées. Je souhaite à ce titre mentionner quelques avancées les plus significatives. Il s’agit d’abord de Thémis NG, placée sous l’autorité du contrôleur général, dont les effectifs ont été doublés, et qui a été positionnée comme un superviseur et maillon de dernier recours indépendant de toute chaîne hiérarchique.

S’agissant du réexamen des situations anciennes, plus de quarante victimes, exclusivement des femmes, ont été recontactées. Il est absolument indispensable, y compris à titre « rétroactif », de les accompagner, de les aider, y compris en leur accordant la nécessaire protection fonctionnelle.

La suspension des fonctions a été systématisée, de même que le recours à l’article 40 du code de procédure pénale pour des faits vraisemblablement susceptibles de constituer une infraction pénale en lien avec le service. Les signalements sur le fondement de l’article 40 du CPP ont augmenté significativement : 150 signalements pour une période de six mois en 2024, contre moins de 50 sur douze mois l’année précédente. Autrement formulé, les langues se délient, les affaires remontent et ne sont plus étouffées.

L’accompagnement des victimes a grandement progressé, avec la signature le 18 juillet 2024 de la convention-cadre précitée avec l’association la Maison des femmes-Restart. De nouvelles conventions avec d’autres partenaires sont à envisager et deux sont d’ailleurs à l’étude. Par ailleurs, la protection fonctionnelle est désormais quasiment systématiquement accordée : le lien avec le service est présumé et la victime bénéficie de l’accompagnement complet, à travers la protection fonctionnelle, juridique et financière.

Une mission d’enquête sur les VSS dans les lycées, écoles et grandes écoles du ministère de la défense, lesquels constituent un point d’attention majeur, a été lancée le 10 octobre dernier. Cette mission, qui rendra son rapport en mars prochain, doit notamment faire le bilan du plan d’excellence comportemental des lycées militaires de défense.

La mise en place d’un module de formation aux techniques d’enquête, en lien avec le service de l’inspection de la gendarmerie nationale, est lancé avec le soutien de l’inspecteur général des armées-gendarmerie. Un vivier d’enquêteurs réservistes est parallèlement en cours de constitution. La défenseure des droits avait à juste titre souligné cette faiblesse dans le dispositif.

Le neuvième et dernier constat a trait aux insuffisances à combler et aux axes d’effort. Tout d’abord, ce programme couvre l’ensemble des services du ministère. Le ministre a bien précisé que cela concerne aussi bien la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) que les établissements sous tutelle du ministère.

Le réexamen des dossiers anciens, qui constitue un socle de crédibilité pour les actions de lutte contre les VSS et une réparation à l’égard des victimes, doit être absolument menée à son terme. Un angle mort doit être à mon sens couvert. Il porte sur les camarades ou collègues de la victime et/ou de l’auteur présumé. Ils doivent être informés de la situation, du sens des mesures prises, notamment du sens de la suspension, laquelle est une mesure conservatoire qui n’affecte en rien la présomption d’innocence. Une communication appropriée en direction des intéressés, des collègues et des camarades est absolument indispensable.

Ensuite, la consommation d’alcool et de stupéfiants constitue une des causes importantes du nombre de signalements. Elle doit être combattue et sanctionnée lourdement, notamment dans les écoles, mais aussi dans les unités. La formation représente un élément clé de la prévention dans les écoles et centres de formation. L’analyse statistique est indispensable pour tirer des conclusions précises et sanctionner les comportements incompatibles avec l’état militaire. Les cas équivoques doivent être analysés avec soin et une doctrine reste à établir pour les cas de sanctions pénales relatives à des faits sans lien avec le service, mais qui rétroagissent avec le statut de l’intéressé dans le cadre du service.

Un dernier point mérite une attention particulière. Il a beaucoup été question, à juste titre, des violences sexuelles à l’égard des femmes, mais il doit être clair que l’objectif du plan concerne toutes les VSS, qu’elles soient hétéro ou homosexuelles.

En conclusion, je souhaite vous livrer un extrait du rapport d’enquête du collège des inspecteurs généraux des armées : « Au cours de cette mission d’enquête, le ministère des armées et les armées elles-mêmes se sont livrés à une introspection parfois difficile mais salutaire, qui pourrait inspirer d’autres administrations ». Telle est également ma conviction. Je réunirai le comité à la fin du mois de mars prochain.

Mme Véronique Riotton, présidente de la délégation. Concernant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, je salue l’association de Ghada Hatem. Cependant, il est crucial de passer de la lutte contre ces VSS à une véritable culture de l’égalité. À ce titre, je reste circonspecte sur les questions de formation. J’ai bien entendu vos propos concernant l’engagement et la mobilisation, mais ils ne se traduisent pas nécessairement par la compréhension de la transformation nécessaire.

Auditrice cette année à l’Institut des hautes études de défense nationale, j’ai eu l’occasion de rencontrer certains de vos confrères, dont les propos sur la culture de l’égalité sont surprenants, révélant un écart entre la perception et les besoins réels. Ils m’indiquent ainsi « Vous savez, je travaille à la parité, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : j’ai quatre filles ». Il existe une différence entre se saisir du sujet et opérer une transformation réelle des pratiques.

Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.

Mme Michèle Martinez (RN). Messieurs, comme vous le rappelez, il existe bien des cas de violences sexuelles et sexistes dans les armées. La parole n’y est pas encore totalement libre. Ces violences concernent des hommes autant que des femmes militaires. Votre rapport était très attendu ; il est édifiant. Comme tous les autres secteurs de la société, les armées sont confrontées à des cas problématiques. Il n’y a pas de violences sexuelles et systématiques propres au monde militaire. Nos armées sont affectées par ce problème, comme toutes les autres organisations et vouloir y faire face leur fait honneur.

Dans votre rapport, votre analyse des causes, et notamment de l’effet de groupe, a retenu toute notre attention. Vous rappelez à juste titre, que nos militaires passent une part essentielle de leur vie ensemble et que souvent, les rencontres et les unions se nouent dans le cadre professionnel. Cette situation n’a rien de condamnable, mais elle peut conduire à des débordements, qui ne sont pas tolérables.

La position de mon groupe est claire : comme pour toute autre organisation professionnelle, les cas de violences sexuelles et sexistes, dès qu’ils sont connus, doivent faire l’objet d’une réponse judiciaire. Chaque victime doit être libre de porter plainte et parallèlement, la présomption d’innocence des suspects doit être respectée.

La réponse RH militaire aux cas de VSS avérées est plus délicate. Votre rapport livre plusieurs pistes intéressantes. Tout d’abord, la mission Thémis, qui a montré sa pertinence et son efficacité, doit être renforcée. Mon groupe y veillera dans le cadre du prochain débat budgétaire. L’harmonisation des pratiques doit également être renforcée, car comme vous le rapportez, elle peut varier d’un chef de corps à l’autre. La diffusion d’un protocole précis à destination des chefs de corps serait donc bienvenue.

J’ai également noté que sur la base des données statistiques, vous insistiez sur le cas constaté chez les militaires de rang. L’un de mes collègues reviendra d’ailleurs sur ce sujet. Je pense cependant que tous les grades sont concernés, soulignant l’importance de la sensibilisation que vous effectuez dans les écoles. Je rappelle qu’il existe des femmes députées et qu’une présidente de la République, chef des armées, sera probablement élue.

Je tiens simultanément à souligner que l’immense majorité de nos militaires n’ont rien à se reprocher et je salue les efforts constamment rappelés par les chefs d’état-major pour lutter contre les VSS au sein de nos armées. Ma question portera sur un des points de votre rapport, qui concerne la radiation des cadres et la dégradation des auteurs de VSS. Pouvez‑vous nous préciser de quelle manière vous imaginez leur mise en œuvre ? La radiation et la dégradation peuvent-elles intervenir en amont d’une condamnation judiciaire éventuelle ?

M. le CGA Thibault de Laforcade. Concernant la radiation des cadres ou la dégradation, nous n’avons pas encore eu l’occasion de les mettre en œuvre auprès d’un cadre convaincu de VSS. Cependant, les armées, sans attendre les décisions de justice, appliquent des sanctions disciplinaires, demande d’ailleurs formulée par la défenseure des droits. Nous avons considérablement augmenté le nombre de renvois devant des conseils d’enquête, procédure visant à radier les cadres. L’année dernière, environ quinze renvois ont ainsi été réalisés.

Cependant, nous sommes confrontés à une difficulté : cette procédure est lourde et susceptible de recours multiples, ce qui a pu susciter des réticences pour sa mise en œuvre. Un allègement de cette procédure est en cours d’élaboration par la DRH du ministère de la défense, afin de faciliter sa mise en œuvre. L’objectif consiste à pouvoir procéder plus aisément à la radiation des cadres convaincus de VSS. Néanmoins, il est satisfaisant de constater que certains cadres n’attendent pas le conseil d’enquête et quittent d’eux-mêmes l’institution, à la suite des enquêtes menées. Ce phénomène a été notamment observé l’année dernière.

M. Bernard Pêcheur. L’autorité disciplinaire n’est pas tenue d’attendre l’issue d’une procédure pénale, si une plainte a été déposée. Il existe une autonomie et même une indépendance permettant de sanctionner immédiatement l’auteur d’une VSS avérée et reconnue par la hiérarchie. Ensuite, l’harmonisation des sanctions est cruciale pour respecter le principe d’égalité. Le ministre a en effet constaté que des sanctions de premier groupe, trop légères, avaient été prononcées pour des actes graves. Il a donc décidé que les sanctions en matière de VSS ne pouvaient relever que du deuxième ou du troisième groupe, dans le but d’harmoniser et de durcir les mesures.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Notre groupe se félicite de la tenue de cette audition, que nous avions demandée. Nous regrettons à ce titre l’absence de nombre de nos collègues, notamment masculins, sur ce sujet essentiel des violences sexistes et sexuelles dans l’armée. L’an dernier, le #MeToo des armées a éclaté à la suite des courageux témoignages de plusieurs femmes militaires victimes d’actes criminels.

Ce n’est pas la première alerte. En 2018, le journal Libération avait déjà publié une enquête sur le sexisme systématique ayant cours au lycée militaire de Saint-Cyr de la part des élèves dits « tradis ». La commission de la défense nationale avait alors créé une mission dont j’étais co-rapporteur sur les dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des armées. Nous avions formulé à l’époque une soixantaine de recommandations sur les discriminations de tout ordre et notamment sur les discriminations et violences à l’égard des femmes.

Six ans plus tard, en entendant les constats et les annonces que vous venez de formuler, force est de constater que la situation n’a guère évolué. Certes, les effectifs de la mission Thémis ont légèrement augmenté. Des directives de fermeté ont été à nouveau transmises, un violentomètre est désormais affiché. Néanmoins, les chiffres demeurent accablants : un viol toutes les deux semaines, une agression sexuelle tous les cinq jours, un tiers des femmes militaires victimes de VSS au sein du ministère des armées. J’entends les bonnes intentions et les bonnes paroles émanant des hautes autorités, jusqu’aux assurances du ministre. Elles sont importantes, elles sont essentielles. Mais elles ne sont pas suffisantes pour éradiquer ce fléau qui brise tant de vies de femmes, tant de carrières militaires de femmes.

Vous avez refusé de reprendre la recommandation de notre rapport sur la création d’un ombudsman parlementaire sur les questions de violences faites aux femmes. En conséquence, la question qui se pose naturellement est la suivante : comment pourrais-je être convaincu que cette fois-ci, la mesure du fléau a été prise ? Comment pourrais-je être convaincu que désormais, des actions d’envergure vont être menées pour la prévention de ces actes ? Comment pourrais-je être convaincu que dorénavant, l’agresseur devra sortir du rang et non la victime ? Comment pourrais-je être convaincu que vos annonces ne sont pas, une fois de plus, un écran de fumée ?

M. Bernard Pêcheur. Qu’est-ce qui garantit que ce programme réussira après le discours fondateur de Jean-Yves Le Drian du 15 avril 2014 à la fois remarquable, sincère et ferme ? Celui indiquait ainsi « Les agissements dont nous parlons ici, et quel que soit leur nombre, sont absolument intolérables, ici comme ailleurs, ici sans doute encore plus qu’ailleurs, tant les armées ont vocation à être exemplaires, tant l’honneur est la vertu cardinale du militaire, et la fraternité d’armes une exigence absolue ».

Je me suis également posé cette question. Les dénonciations récentes de violences sexuelles et sexistes au sein du ministère, particulièrement dans les armées, jettent un trouble et remettent en question l’efficacité du dispositif mis en place. Dans leur rapport, les IGA en ont fait de même et s’interrogent : « D’où vient ce sentiment d’inachevé après dix années de lutte contre les violences sexuelles et sexistes ? » Ils poursuivent : « Au cours de cette mission, n’ont été rencontrés ni déni, ni résignation et encore moins complaisance. Aucun des chefs d’état-major n’esquive la responsabilité première de la chaîne de commandement. Mieux, ils la revendiquent. Les ministres qui se sont succédé depuis dix ans ont tous eu un discours sans concession et mobilisateur envers les violences sexuelles et sexistes. On ne peut pourtant nier qu’il existe encore des dysfonctionnements dans la détection des violences sexuelles et sexistes, des hésitations dans leur traitement quand ce n’est pas une méconnaissance de ce qu’elles recouvrent. Ce sont ces manques que la mission d’enquête a cherché à identifier, même si cela ne rend pas justice de tout ce qu’on peut rencontrer de positif et d’exemplaire au sein des armées. […] Le discours du ministre de la défense en 2014 a posé des fondations qui n’ont pas été suffisamment déclinées […] C’est ainsi que les recommandations formulées ont vocation à être déclinées en feuilles de route pour les grands subordonnés du ministre, les armées, directions et services, avec un bilan semestriel de leur mise en application devant le ministre et le comité exécutif du programme de lutte contre les VSS ».

Mais nous disposons désormais d’un programme de cinquante-deux actions précises, dont nous pouvons rendre compte avec des responsables nommés et des échéanciers. Le comité de suivi est par ailleurs présidé par une personnalité indépendante. Nous pourrons désormais rendre compte de l’avancement de ces actions.

Mme Véronique Riotton. Présidente de la délégation Je cède la parole à M. Aurélien Rousseau.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Je voudrais que l’on réponde au préalable à mes questions.

Mme Véronique Riotton, présidente de la délégation. Je suis chargée de la distribution du temps de parole et demande à M. Rousseau d’intervenir.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). J’en conclu que les auditionnés n’ont pas le droit de répondre aux questions.

Mme Véronique Riotton, présidente de la délégation. Pardonnez-moi, mais nous répartissons la parole. Je vous remercie.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). C’est un scandale ! Au revoir.

M. Aurélien Rousseau (SOC). Je souhaite indiquer au président Jean-Michel Jacques que son intervention liminaire était importante. Il a mentionné la notion de fraternité d’armes, qui est une notion parfois un peu viriliste et je pense qu’il est essentiel d’y réfléchir lorsqu’il est question de VSS dans les armées.

Ensuite, je souhaite formuler trois remarques. La première concerne la facilitation et la « banalisation » des signalements. La question de la présidente Véronique Riotton au sujet des actions entreprises en direction des écoles, notamment de commandement, me semble essentielle. En effet, selon un principe tactique bien établi, « l’escalier se nettoie par le haut ».

Deuxièmement, disposez-vous d’ores et déjà d’une typologie des risques ? À titre d’exemple, j’imagine que dans les sous-marins, la capacité de signalement est différente. Je me réjouis du taux de 93 % sur la protection fonctionnelle, que vous avez évoqué. Cependant, cette protection fonctionnelle ne débute normalement qu’à partir du déclenchement d’actes de procédure. Cela signifie que vous retenez une définition plus large, mais est-elle effectivement cadrée ?

Troisièmement, vous avez cité le nombre croissant de pertes de grade ou les suspensions, mais aussi les radiations des auteurs de violence. Je pense en effet que l’intégration de ces éléments dans l’évaluation des chefs de corps et des fonctions de commandement constitue un élément décisif.

M. le CGA Thibault de Laforcade. Au sujet de la typologie des risques de violences sexuelles, il n’est pas possible d’établir une classification précise. Depuis que je suis à la tête de la mission, j’ai constaté que ce phénomène touche toutes les armées, directions et services, catégories et grades, à peu près dans les mêmes proportions. Bien que plus fréquent chez les militaires du rang, personne n’y échappe. Nos mesures de prévention ne ciblent donc pas des secteurs particuliers, mais visent à sensibiliser l’ensemble du personnel. Nous avons commencé à intervenir dans les écoles de formation, notamment à l’école de santé des armées, en adaptant notre approche pour les élèves.

Concernant la protection fonctionnelle, nous atteignons 93 % en élargissant la notion de lien au service. Nous considérons que la plupart des situations peuvent être rattachées, de près ou de loin, à l’exécution du service. Quant à l’évaluation des responsables, je souligne lors de mes interventions auprès des futurs chefs de corps et attachés de défense qu’ils seront statistiquement confrontés à des cas de VSS. Ils ne seront pas jugés sur l’occurrence de ces faits, mais sur leur gestion. Je leur demande de traiter ces situations avec la même urgence qu’un décès dans l’unité. Tout le temps non consacré initialement à la victime leur demandera plus d’efforts par la suite.

Mme Alexandra Martin (DR). Les violences intrafamiliales représentent un fléau et n’épargnent personne. Les armées ne font malheureusement pas exception à ce constat. Vous avez ainsi évoqué 325 signalements. Présidente du groupe d’études sur les violences intrafamiliales lors de la précédente législature, j’ai auditionné de nombreuses associations, institutions, victimes, fondations, qui toutes ont effectivement évoqué une libération de la parole, mais également un manque de transversalité entre les acteurs et les partenaires, qui demeure encore un obstacle à la bonne appréhension de cette problématique.

Vous nous indiquez que les tabous tombent ; nous ne pouvons que nous en féliciter. Néanmoins, la plupart des épouses de militaires ayant subi des violences conjugales témoignent encore d’un sentiment d’isolement qui s’installe, notamment au fur et à mesure des déplacements et des mutations de leur mari, mais aussi parce qu’elles font partie d’un microcosme dans lequel les problèmes restent encore trop passés sous silence. Si des plaintes pour VIF sont déposées par les victimes, elles demeurent bien sûr dans le domaine du droit commun.

Monsieur le conseiller, vous avez évoqué des sanctions et l’autonomie de l’autorité disciplinaire. Cela concerne-t-il également le cadre des violences intrafamiliales ? Ne serait-il pas également opportun d’adapter une communication envers les familles de militaires, afin de les sensibiliser aux comportements et aux outils existant, afin de mieux répondre aux violences intrafamiliales et de libérer davantage encore la parole ?

Enfin, au gré des déménagements des familles – je pense notamment à la gendarmerie –, avez-vous mis en place un protocole permettant de suivre ces familles et ces victimes ? Comment accompagnez-vous ces victimes ? Avez-vous également mis en place un processus de détection des violences intrafamiliales au sein des corps des armées ?

M. Bernard Pêcheur. Les violences intrafamiliales représentent un phénomène sociétal, auquel l’autorité hiérarchique ne peut rester insensible, particulièrement dans les professions exposées comme la gendarmerie et les armées. L’intention du ministre consiste bien à intégrer ces VIF dans le champ de la répression disciplinaire lorsqu’elles sont portées à la connaissance du commandement.

Cependant, l’autorité hiérarchique n’est pas aussi bien armée pour réprimer ces infractions, délits ou crimes commis au sein du foyer. Les moyens d’investigation du commandement diffèrent, car le recueil de preuves relève de l’autorité judiciaire et de la police judiciaire. Néanmoins, dès que ces VIF sont repérées, des sanctions importantes peuvent et doivent être appliquées. Nos concitoyens ne comprendraient pas l’inaction.

La gendarmerie est particulièrement exemplaire et ferme sur ce sujet. De fait, la vie en caserne rend l’impact de ces violences plus immédiat et visible que dans les armées. Elle possède l’expertise professionnelle pour mener des enquêtes, y compris de commandement, et peut servir de modèle en termes de conduite à tenir.

M. le CGA Thibault de Laforcade. Les VIF représentent un nouveau phénomène que nous intégrons dans notre périmètre de compétences. Nous explorons encore les limites de notre capacité d’action, étant donné que ces faits relèvent de la vie privée et que nous ne pouvons pas mener d’enquête de commandement pour en établir la matérialité.

Nous constatons en revanche que les femmes connaissent la mission Thémis et n’hésitent pas à y recourir. Actuellement, nous ne proposons pas de communication institutionnalisée en direction des familles, ni de protocole de suivi après les déménagements. Cependant, la signature d’une convention avec la Maison des femmes vise précisément à assurer une continuité dans le soutien, grâce à sa couverture territoriale.

Nous abordons les VIF sous deux angles. D’une part, un militaire violent envers sa femme nous conduit à vérifier qu’il n’adopte pas le même comportement dans l’exécution de son service. D’autre part, nous considérons désormais que ces VIF constituent une atteinte au renom de l’armée, ce qui permet de sanctionner les auteurs. Cette approche est maintenant adoptée par l’ensemble des chefs d’état-major d’armée.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Je constate que les personnes auditionnées aujourd’hui sont des hommes. Même si vos compétences et votre investissement sont bienvenus, la présence d’une femme aujourd’hui aurait été appréciable pour parler des VSS. Je constate également que les commissaires femmes se sont particulièrement mobilisées pour cette audition, éclairant en négatif l’intérêt de certains de nos collègues hommes sur ce sujet.

Les VSS concernent également des femmes et des hommes dont l’homosexualité ou le changement de genre sont souvent stigmatisés. La féminisation des armées et des postes de direction représente des éléments complémentaires à la prise en compte des violences au sein des armées. Le rapport de juin dernier sur les VSS au sein des armées révèle un travail considérable à entreprendre et l’existence de la mission Thémis constitue un signe encourageant.

Je souhaite mettre en avant la question de l’exemplarité, puisqu’elle constitue l’un des piliers des armées. Lors des perpétuations de VSS, elle n’est pas prise en compte dans leur traitement, que ce soit dans un cadre personnel ou professionnel. De même, une prise en compte de l’effet de domination et de hiérarchie dans vos études et les méthodes mises en place pour ouvrir l’écoute et la parole des victimes apparaissent indispensables.

Par exemple, l’effet de camaraderie et la solidarité entre pairs peuvent également impacter la possibilité de dénoncer des actes de VSS auprès de la hiérarchie. D’autre part, la formation initiale et continue du début à la fin de la carrière, ainsi que l’accompagnement des victimes constituent des actions efficaces, dont les résultats s’inscrivent dans différentes durées. Plusieurs pistes permettraient de renforcer certains aspects de la prévention, par exemple la lutte active contre l’abus d’alcool et de stupéfiants en milieu militaire, souvent associé aux cas de VSS. Il s’agit également d’investir dans la formation continue, qui nécessite un cadre mieux structuré et des outils modernisés pour être pleinement efficace. À ce titre, qui sont vos formateurs ? Par qui sont-ils eux-mêmes formés ?

Enfin, ma dernière remarque concerne le recours limité des signalements de VSS par l’employeur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Les données sont en effet indisponibles pour la période courant de janvier à mai 2024. Pouvez-vous nous fournir ces chiffres ?

M. le CGA Thibault de Laforcade. Au sujet de la formation, qui constitue un axe prioritaire du plan de lutte contre les VSS de la mission, nous passons de l’artisanat au professionnalisme. Nous avons identifié plusieurs niveaux de formation à dispenser. Le premier concerne la formation des enquêteurs chargés d’établir la matérialité des faits. Nous ferons appel à la gendarmerie, qui est bien formée à l’accueil des victimes de VSS et à la conduite d’entretiens. Nous professionnaliserons l’ensemble des enquêteurs des inspections ainsi qu’un vivier de réservistes (anciens généraux et anciens colonels) et les commandants en second des unités.

Le deuxième niveau a trait à la formation des formateurs-relais (référents mixité‑égalité, présidents de catégorie, représentants du personnel) qui diffuseront les messages de prévention des VSS, recueilleront et remonteront les signalements. La mission Thémis s’en charge, avec l’objectif de former 2 000 personnes, soit 1 000 par an, triplant ainsi les effectifs de formation. En effet, actuellement 300 personnes environ sont formées chaque année.

Le troisième niveau porte sur la sensibilisation obligatoire des cadres prenant des fonctions de commandement ou de management, assurée par la mission Thémis. Le quatrième niveau est relatif à l’éducation à la mixité et à la camaraderie dispensée dans l’ensemble des écoles et centres de formation initiale pour l’ensemble du personnel militaire et civil. Enfin, le dernier niveau est constitué par les acteurs majeurs de la lutte contre les VSS, dont la mission Thémis, formés par des associations civiles, en particulier la Maison des femmes-Restart, qui dispensent des formations pointues et techniques.

Mme Josy Poueyto (Dem). Je vous remercie d’avoir répondu présent à l’invitation commune de notre commission de la défense et de la délégation aux droits des femmes, près d’un an après le #MeToo des armées. Vos analyses de l’évolution de la situation sont importantes, dans la mesure où nous sommes confrontés à un sujet particulièrement grave.

Tout le monde se souvient de l’onde de choc provoquée au printemps dernier par le témoignage courageux de Manon Dubois, ancienne militaire de la marine nationale, qui a révélé les agressions sexuelles qu’elle avait subies à bord d’un navire. D’autres femmes militaires avaient pris la parole pour dénoncer des faits comparables. Dès l’alerte engagée par ma collègue Laetitia Saint-Paul, j’avais participé aux premières réunions de travail à la demande du ministre, qui avait déclenché la mission d’enquête.

Nous étions toutes et tous bouleversés. Permettez-moi de profiter de cette audition pour saluer l’engagement sans faille de Sébastien Lecornu sur ce sujet. Très réactif, il n’a jamais sous-estimé la réalité des situations et s’est montré à la fois exigeant et intransigeant. Surtout, je voudrais aujourd’hui adresser un message de soutien à l’ensemble des victimes, au nom du groupe Les Démocrates. Elles ne sont pas seules. La nation et les armées doivent formellement le rappeler. Pour moi, un militaire doit protéger, jamais agresser. C’est un devoir, un honneur et rien ne doit permettre de détourner le regard des drames qui se jouent.

Où en sommes-nous de la constitution d’un réseau de référents au sein de la chaîne hiérarchique, en s’appuyant sur le maillage territorial des unités ? Quelles actions sont-elles entreprises pour limiter le départ des victimes de VSS de l’institution, en veillant à la reconstruction et la réhabilitation psychosociales ? En cas de départ souhaité, quelles démarches sont-elles entreprises pour les accompagner dans leur reconversion ?

M. le CGA Thibault de Laforcade. Le réseau de référents que j’ai évoqué concerne la formation. Il s’agit de 2 000 référents mixtes chargés de relayer les mesures de prévention et de faire remonter les signalements. Nous systématisons désormais cette formation pour ce réseau existant, avec deux personnes pour chacun des 1 000 organismes de la défense. Leur mission de prévention et de remontée des signalements est clarifiée et ils sont suivis dans la durée avec des attestations de formation. Ils sont identifiés, l’instruction est en cours de rénovation et la formation a débuté.

Concernant le départ des victimes, notre action majeure a consisté à changer de paradigme. Un cas de VSS typique concerne un personnel expérimenté et gradé, qui peut s’en prendre à une jeune recrue peu gradée, sans expérience et qui ne connaît pas les codes. Auparavant, confronté à une forme de « conflit d’intérêts », le supérieur hiérarchique avait tendance à garder l’élément expérimenté et à se séparer de la nouvelle recrue. Nous avons mis fin à ce « syndrome du bon gars ». Désormais, le paradigme a été complètement modifié, la priorité est portée à la victime. Elle reste en place, tandis que l’auteur présumé est suspendu puis systématiquement déplacé, quelle que soit l’issue de l’enquête. Cette approche vise à préserver le fonctionnement de l’unité et à garder la victime au sein de l’institution. Si elle souhaite être mutée ou partir, nous l’accompagnons, mais il s’agit bien d’une démarche volontaire de sa part.

Mme Laetitia Saint-Paul (HOR). Vous, savez à quel point ce sujet m’est cher et à quel point j’ai porté le combat contre les VSS dans les armées. À ce titre, j’ai rencontré la défenseure des droits pour comprendre l’objet de sa décision-cadre 2021-065. Elle m’a expliqué avoir ressenti le besoin de rédiger cette décision, dans la mesure où l’immense majorités des sollicitations qu’elle recevait provenaient du monde en uniforme. Dans cette décision elle tente d’éclairer « l’aspect systémique des violences sexuelles dans le domaine de la sécurité et de la défense ». Je tiens pour ma part à préciser que « systémique » ne signifie pas « systématique ».

La décision de 2021 détaille les problèmes : sexisme, comportements vulgaires et obscènes, protection fonctionnelle mise en œuvre de façon trop restrictive, victimes non protégées, inertie administrative, représailles, enquêtes perfectibles et hiérarchie complaisante. Depuis, l’instruction du 28 juin 2024 a été mise en place. Mais j’ai la certitude que la volonté politique n’est qu’un affichage si l’on ne peut la quantifier. En conséquence, je souhaite obtenir le détail des mesures imposées au ministère, avec des échéances précises pour évaluer leur mise en œuvre effective.

Je reçois toujours de nombreuses sollicitations de la part de victimes, qui appellent encore parfois le standard de l’Assemblée nationale. Comment dois-je réagir quand une victime n’arrive pas à contacter Thémis ? Ensuite, vous faites état de la protection fonctionnelle, mais que dois-je répondre quand une victime m’écrit pour m’expliquer que lors de son procès fleuve, qui a duré une journée entière, vous avez refusé de rembourser son repas ? Que dois-je répondre quand une avocate signale plusieurs milliers d’euros de dettes non réglées par le ministère ?

Le guide disciplinaire du 16 juillet 2024 parle de « systématiser la suspension de fonctions pour la faute grave ». Combien de suspensions sont-elles intervenues ? De même, l’instruction du 28 juin 2024 précise « sanctionner les autorités et le commandement ayant fait preuve de négligence ». Quel a été le nombre de ces sanctions ? S’agit-il de vœux pieux ? Ces actions sont-elles suivies d’effets ? Je souhaite obtenir des données quantitatives sur l’application des mesures annoncées, comme la suspension systématique pour faits graves ou les sanctions contre les autorités négligentes. Ces engagements sont-ils suivis d’effets concrets ?

Enfin, Monsieur Pêcheur, en tant que rapporteur pour les associations professionnelles nationales de militaires (APNM), avez-vous plaidé pour qu’elles puissent se constituer partie civile ?

M. le CGA Thibault de Laforcade. Je ne peux laisser passer l’expression « fait systémique » sans réagir, quand bien même elle a été employée par la défenseure de droits ou par le sénateur Grégory Blanc. Cela impliquerait que les violences sexuelles sont intrinsèquement liées au fait d’être militaire, ce qui est faux. La fraternité d’armes est constitutive des forces armées, et les VSS y portent atteinte, les rendant d’autant plus intolérables. Cette fraternité est constitutive de l’efficacité opérationnelle de nos armées. Dans les forces spéciales, où l’efficacité prime, nous constatons par exemple peu de phénomènes de violences sexuelles ou sexistes. Tout comportement déviant envers un camarade y est immédiatement sanctionné, souvent par un renvoi.

Concernant Thémis, nous fonctionnons toute l’année pendant les heures de service. La mission comprend six conseillers, dont un de permanence chaque semaine. Si la ligne est occupée, un message peut être laissé sur le répondeur. Nous rappelons systématiquement, personne n’est laissé sans réponse, quelle que soit la raison de l’appel. Thémis est reconnue pour son efficacité dans tout type d’aide. Une cellule de filtrage sera mise en place, comme le rapport l’a recommandé. J’insiste : toutes les personnes laissant un message ou envoyant un courriel sont recontactées. Enfin, nous vérifions régulièrement le bon fonctionnement du numéro.

Concernant les suspensions, les chiffres montrent une rupture dans les pratiques : 4 en 2023 contre 145 en 2024, sans compter un semestre de l’armée de terre. Nous sanctionnons désormais les autorités négligentes, notamment les cadres qui n’ont pas fait remonter les informations. Soyez convaincus que j’y veille tout particulièrement, de même que les autorités.

S’agissant de la protection fonctionnelle et les dettes du ministère, je laisserai la direction des affaires juridiques (DAJ) répondre car cet aspect échappe à mon domaine de compétences.

M. Bernard Pêcheur. Concernant le droit des associations professionnelles à se constituer partie civile, c’est un point important que le ministère devrait examiner. Je me pencherai sur cette question, qui ne doit effectivement pas être négligée.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Au nom du groupe Ensemble pour la République, je souhaite revenir sur les chiffres alarmants qui viennent d’être évoqués, dont les 184 signalements en 2023 pour 63 sanctions, mais également les démissions des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles, notamment dans les écoles de formation militaire, en dernière année. Pouvez-vous revenir à nouveau sur ces chiffres ? Nous avons besoin de réponses concrètes, pas seulement d’identifier les problèmes.

Permettez-moi d’élargir par ailleurs le débat sur les conditions préalables à une égalité et un respect entre les femmes et les hommes dans l’armée. Ma question porte sur l’état d’esprit qui prévaut dans les études techniques et les écoles d’ingénieurs, conduisant les femmes à ne plus vouloir s’y engager. Avez-vous conscience de la difficulté pour les femmes de se projeter dans un monde typiquement masculin, technique ou militaire ? Quelles mesures prenez-vous pour offrir des modèles positifs et contrer l’image négative véhiculée par les reportages sur les femmes victimes de menaces sexistes et sexuelles ?

M. Bernard Pêcheur. La mixité et l’entrée des femmes dans les armées ne constituent ni le problème, ni la solution. Je tiens ainsi à rappeler à cette commission que nous n’aurions jamais réussi la professionnalisation des armées si les quotas n’avaient pas été supprimés et si les femmes n’y avaient pas été largement recrutées. Leur présence est indispensable pour des raisons de principe, mais aussi des raisons pratiques.

Cependant, la féminisation ne représente pas non plus une solution miracle. Même dans les services les plus féminisés, comme chez les infirmières, des problèmes de violences sont à déplorer. Un sondage du Conseil de l’ordre des infirmiers, publié il y a quelques jours, a par exemple suscité mon attention. Ainsi, 21 000 infirmières et infirmiers du public comme du privé ont été interrogés. Il apparaît que la moitié des infirmières ont subi des violences ou des agressions de la part de confrères, mais aussi de patients. Je ne soulève pas ce point pour exonérer les armées de leur responsabilité, ni de banaliser le problème, mais pour souligner que la mixité n’est ni le problème, ni la solution.

M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons à présent à une séquence de cinq questions complémentaires, en commençant par une première série de trois questions.

Mme Nadine Lechon (RN). Depuis plus d’une décennie, le ministère des armées s’est engagé dans la lutte et la prévention contre les violences sexistes et sexuelles. L’une des pierres angulaires de ces dispositifs concerne la mission Thémis. Les données qui en émanent sont sans équivoque.

Entre 2014 et 2021, plus de 40 % des saisines, autosaisines et conseils de la mission Thémis concernaient des cas de harcèlement sexuel. Un autre rapport du ministère des armées indique que 48 % des mis en cause sont des hommes militaires de rang et que 45 % des victimes sont des femmes militaires de rang, alors même qu’elles ne représentent que 4,5 % des effectifs à ce niveau. De quelle façon la mission Thémis pourrait à l’avenir se concentrer sur les faits de harcèlement au sein des militaires de rang, qui apparaissent comme une priorité ?

Mme Muriel Lepvraud (LFI-NFP). Concernant les cinquante-deux mesures proposées dans le rapport de l’Inspection générale des armées de juin 2024, lesquelles vous semblent les plus délicates à mettre en œuvre ? Pouvez-vous expliciter le calendrier ? La recommandation 26 propose de systématiser la radiation des cadres militaires définitivement condamnés pour violences sexuelles. Cette mesure de fermeté, de justice et d’humanité me paraît fondamentale afin de garantir une tolérance zéro face à ces comportements. Les agresseurs n’ont pas et n’auront jamais leur place dans nos armées. Cependant, la mise en œuvre d’une telle mesure semble confrontée à des défis d’ordre juridique, organisationnel et même culturel.

Quels sont les principaux obstacles à la mise en œuvre de ces recommandations ? Quels moyens concrets pourraient être mobilisés pour l’appliquer, tout en respectant le code de la justice militaire ? Vous avez mentionné que certains cadres partent d’eux-mêmes. Quel est exactement leur nombre ? Vous avez donné les chiffres des suspensions, mais je parle bien des radiations. Comment procédez-vous pour ceux qui ne partent pas d’eux-mêmes ?

M. Alexandre Dufosset (RN). Tout d’abord, je déplore les propos entendus ce matin, qui visaient à recenser les hommes présents et absents lors de cette audition. Sur des sujets d’une telle importance, il ne me semble pas opportun d’opposer les hommes et les femmes.

Ensuite, le rapport de la mission d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles dans l’armée est très éclairant. Cependant, s’il analyse les raisons pour lesquelles certaines victimes choisissent le silence, il reste des zones d’ombre sur les causes profondes de ces violences. Disposez-vous des données cliniques provenant de psychiatres, psychologues ou psychosociologues ? Pouvez-vous partager vos pistes de réflexion pour mieux comprendre l’origine de ces violences ?

M. Bernard Pêcheur. Il n’existe pas de logique systémique de violences sexuelles et sexistes dans nos armées. Nos armées sont constituées majoritairement de jeunes, reflétant les comportements de la société civile. À ces aspects sociétaux, s’ajoutent également dans les armées des phénomènes spécifiques liés à la condition de l’exercice des missions, qui sont relevés dans le rapport de l’inspection générale des armées de juin 2024.

L’environnement opérationnel, impliquant fatigue, stress, éloignement familial et promiscuité, entraîne des besoins de décompression. L’alcoolisation, présente dans la jeunesse civile et militaire, est souvent à l’origine des violences sexuelles et sexistes. Celle de la victime constitue par ailleurs une circonstance aggravante pour l’auteur. Enfin, l’esprit de groupe très prégnant dans l’armée peut parfois conduire à une forme de loi du silence.

M. le CGA Thibault de Laforcade. Les cas de VSS touchent principalement les militaires du rang, et particulièrement les jeunes militaires. La mission Thémis constate que les jeunes ont un rapport plutôt décomplexé au sexe, qui se traduit dans les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres.

Il est nécessaire d’enseigner dans les écoles et centres de formation militaire les exigences de la vie en collectivité et de la cohabitation entre hommes et femmes. Il faut leur rappeler que certains comportements ne peuvent être tolérés. Par exemple, un jeune accusé de harcèlement sexuel avait envoyé une photo de son sexe par téléphone à deux femmes qui lui souriaient, pensant que c’était approprié.

L’usage des réseaux sociaux influe également sur les comportements. Nous devons être présents sur ces réseaux sociaux, je dois d’ailleurs recruter un chargé de communication à cette fin, pour communiquer avec les jeunes et leur enseigner le bon comportement à adopter au sein de l’institution. Le chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT), le général Pierre Schill, a également demandé la mise en place d’un cours sur la mixité à Saint-Maixent-l’École.

Vous avez posé une question sur les mesures du rapport les plus délicates à mettre en œuvre. À ce jour, aucune de ces cinquante-deux mesures ne pose de difficulté particulière. La réécriture des textes relatifs au fonctionnement de la mission Thémis et aux signalements est en cours conformément à la demande du ministre, mais nous attendons que le dispositif soit stabilisé avant de finaliser ces textes.

Pour la radiation des cadres convaincus de VSS, nous utilisons principalement le conseil d’enquête. Je ne dispose pas de chiffres précis sur le nombre de cadres qui partent d’eux-mêmes. En revanche, dans plusieurs cas, nous avons juste eu le temps de sanctionner les auteurs de VSS avant qu’ils ne quittent l’institution. J’ai en tête l’exemple d’un cadre qui a compris que sa situation devenait compliquée et qui a décidé de partir de son propre chef. Il a ensuite fait l’objet d’un retrait de son inscription au décret de la Légion d’honneur et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) a prévenu son futur employeur. Nous accompagnons bien le départ de ces cadres. Enfin, nous sommes en train d’alléger la procédure du conseil d’enquête pour faciliter le départ des cadres convaincus.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Madame Riotton, il est scandaleux que vous n’ayez pas laissé le contrôleur général des armées répondre à mon collègue Bastien Lachaud, qui s’exprimait au nom de notre groupe. Dans le cadre du rôle constitutionnel de contrôle de l’action du gouvernement nous sommes attitrés à obtenir les réponses des auditionnés.

Contrairement à mon collègue, je déplore que peu d’hommes siègent aujourd’hui dans cette commission. En me rendant à cette audition, j’ai d’ailleurs entendu dans les couloirs une remarque typique de ce que nous devons combattre. Un député, qui sortait de l’audition précédente a dit à l’une d’entre nous, en la saluant, « Tu vas aller sauver les femmes » Il s’agit typiquement du type de propos que nous ne souhaitons plus entendre.

Ma question porte sur l’instruction ministérielle de juin 2024 : l’inscription de la prohibition du harcèlement et des violences dans le code d’honneur du soldat, prévue pour décembre 2024, n’est pas encore effective. Quand le sera-t-elle ?

Mme Véronique Riotton, présidente de la délégation. Cher collègue, je ne peux laisser vos propos sans réponse, même s’ils sont conformes à vos comportements habituels. Nous présidons l’audition et à ce titre, nous gérons l’ensemble des débats, en tenant compte des horaires et des temps de parole dévolus à chacun.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Dans le cadre de mon rapport pour avis sur le programme 144, j’ai auditionné Polytechnique, sur place. J’ai interrogé les étudiants présents sur l’intégration du sujet des VSS et de l’égalité dans leur fonctionnement. Leur démarche est intéressante : ils ont créé un comité mixte sur l’égalité, qui aborde la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. C’est un exemple de la jeunesse parlant à la jeunesse, avec des actions concrètes très efficaces. Cette approche pourrait être généralisée, car elle n’existe pas dans toutes les écoles dépendantes du ministère des armées.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je salue les avancées dont vous témoignez à cette tribune. Cependant, des inquiétudes demeurent. Au sujet des écoles, les week-ends d’intégration sont particulièrement sensibles aux violences sexistes et sexuelles. Qu’avez‑vous prévu, notamment pour Saint-Cyr, qui a fait l’objet de nombreuses dénonciations pour des violences sexuelles ? Par ailleurs, les femmes dans l’armée rapportent des propos sexistes quotidiens, comme l’utilisation de termes dégradants, comme « grosse ». De même, les hommes défendant la lutte contre les VSS sont qualifiés de « souze », sous-entendu « sous‑hommes ». Avez-vous mis en place tout au long de la ligne de commandement des consignes strictes pour interdire ces termes, afin qu’ils ne soient pas utilisés, même de manière incidente ?

Enfin, concernant les violences intrafamiliales, aggravées par le milieu clos de l’armée, avez-vous établi un système de soutien impliquant des associations de femmes, au-delà du travail remarquable de Ghada Hatem, pour offrir des espaces de confiance et des ressources indispensables à la dénonciation des violences ?

M. le CGA Thibault de Laforcade. L’inscription de la prohibition du harcèlement dans les codes d’honneur a été réalisée par l’armée de Terre et intégrée au code de la défense après 2014. Les autres armées sont en train de rédiger un tel document et nous envisageons d’étendre cette pratique aux lycées militaires de la défense, ainsi que M. Bernard Pêcheur l’a suggéré.

Concernant Polytechnique, la situation s’est paradoxalement dégradée. L’ingénieur général de l’armement Monique Legrand-Laroche m’indiquait ainsi que lorsqu’elle était scolarisée à Polytechnique, elle n’avait jamais rencontré de problèmes, mais qu’elle se faisait désormais du souci pour les étudiantes, aujourd’hui. Nous développons l’implication des bureaux de promotion dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, suivant le modèle du comité étudiant que vous avez mentionné.

Ensuite, le sexisme demeure effectivement un terreau favorable aux violences, malgré l’importance cruciale des femmes dans notre fonctionnement. Nous traitons désormais les outrages sexistes, même mineurs, comme des violences à part entière. Le violentomètre en cours de déploiement aide à identifier ces comportements problématiques. Nous constatons une augmentation des signalements, ce qui témoigne d’une meilleure prise en compte de ces enjeux.

M. Bernard Pêcheur. Monsieur le président, je tiens à souligner que si nous devons traiter la pathologie, le remède n’est pas l’indifférence courtoise qui peut exister dans certaines écoles. Cette indifférence est une autre forme de discrimination, contraire à l’égalité et à la fraternité d’armes.

Mme Véronique Riotton, présidente de la délégation. Nous resterons vigilants, notamment via le comité de suivi. J’ai bien noté qu’un rapport sur la formation dans les écoles est prévu. La délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes y sera attentive. Nous envisageons également de revenir rendre visite à la commission de la défense, peut-être à l’occasion d’une audition du ministre en avril, pour approfondir ces questions.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie. Nous vous accueillerons avec plaisir pour poursuivre ces échanges essentiels.

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La séance est levée à treize heures.

 

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Membres présents ou excusés

Présents.  Mme Delphine Batho, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Caroline Colombier, M. Alexandre Dufosset, M. Emmanuel Fernandes, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, M. Jean‑Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Bastien Lachaud, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Gisèle Lelouis, Mme Murielle Lepvraud, Mme Lise Magnier, Mme Michèle Martinez, Mme Alexandra Martin, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Marie Récalde, Mme Catherine Rimbert, M. Aurélien Rousseau, M. Sébastien Saint-Pasteur, Mme Sabine Thillaye, M. Romain Tonussi

Excusés.  Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Manuel Bompard, M. Bernard Chaix, M. Loïc Kervran, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud

Assistaient également à la réunion.  Mme Véronique Riotton, Mme Sandrine Rousseau, Mme Laetitia Saint-Paul