Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Audition commune, ouverte à la presse, de M. Jean‑Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, et de M. Steven Everts, directeur de l’« European union institute for security studies (EUISS) », sur l’Europe de la défense. 2
Mercredi
5 février 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 36
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président
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La séance est ouverte à neuf heures.
M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, nous inaugurons aujourd’hui un nouveau cycle d’auditions consacré à l’Europe de la défense et à ses enjeux, avec l’audition de M. Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Schuman, et M. Steven Everts, directeur de l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (EUISS).
C’est peu dire que l’Europe de la défense est aujourd’hui à la croisée des chemins. Certes, sa relance à partir de 2016 après le Brexit a permis de substantielles avancées, parmi lesquelles en 2017, la coopération structurée permanente qui regroupe aujourd’hui tous les États membres autour de soixante-huit projets de développement capacitaire ; en 2020, le Fonds européen de défense doté de 7 milliards d’euros sur la période de 2021 à 2027 et destiné à financer notamment les projets précités ; en 2022, la boussole stratégique, première mise en commun des intérêts stratégiques européens, dont une proposition majeure, la capacité de déploiement rapide, est devenue opérationnelle il y a quelques jours. Enfin, nous attendons un Livre blanc, qui sera publié le 18 mars.
Toutefois, l’environnement stratégique européen est aujourd’hui bien plus dégradé qu’il ne l’était en 2016. Avec l’agression de l’Ukraine par la Russie, la guerre de haute intensité a fait son retour en Europe, mettant notre résilience à rude épreuve. Certes, l’Union européenne (UE) a fait face avec ses moyens propres : sanctions contre la Russie, aide financière massive à l’Ukraine et diversification de ses ressources énergétiques.
Mais l’Otan continuer de jouer le premier rôle de défense de l’Europe et derrière elle, les États-Unis. Des dizaines de milliers de soldats sont aujourd’hui déployés sur le flanc est de l’Europe sous la bannière otanienne, tandis que les acquisitions d’armement de nombreux États membres profitent majoritairement aux entreprises américaines.
Une initiative européenne majeure, le programme pour l’industrie européenne de défense (Edip), est d’ailleurs aujourd’hui en discussion.
Moteur de l’autonomie stratégique européenne, la France souhaite une Europe de la défense ambitieuse, compatible avec l’Otan et respectueuse de ses alliés.
Ces tensions entre la notion d’autonomie stratégique et la solidarité euro-atlantique, entre les souverainetés nationales et la construction d’une Europe de la défense, entre les conceptions parfois divergentes des membres de l’Union européenne de ce qu’ils attendent de l’Europe en matière de défense, entre les progrès récents et un relatif enlisement actuel feront l’objet des débats de ces prochaines semaines et certainement de notre réunion de ce matin. Ces débats sont d’autant plus nécessaires que l’élection de Donald Trump et ses propositions poussent l’ensemble des pays européens à clarifier leur positionnement. Est-ce une opportunité ?
M. Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman. Je vous remercie de votre invitation, qui me permet, en toute modestie, de vous faire part de quelques réflexions. Je puise cette modestie dans des années de travail de la Fondation Robert Schuman sur cette problématique de la défense de l’Europe. Je précise à ce titre que la défense européenne ne constitue qu’une partie de la problématique de la défense de l’Europe.
Comme vous le rappelez Monsieur le Président, il y a une urgence en la matière. C’est dans ce cadre que le sujet a progressé ces dernières années, et il a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs rapports de la part de votre commission. Je pense notamment au rapport Larsonneur-Thiériot, mais également au rapport Morel de la commission des affaires européennes. Vos collègues du Sénat se sont également inscrits dans cette démarche. Permettez-moi d’apporter quelques brèves réflexions sur ce qui a déjà été accompli et ce qui est envisagé aujourd’hui, mais également de vous livrer quelques pistes de réflexion très personnelles pour la posture de la France à l’égard des projets européens.
Les réalisations intervenues dans l’unité face à la question ukrainienne, mais également dans l’urgence, sont loin d’être négligeables. Ainsi, le Fonds européen de défense est doté de 7,3 milliards d’euros, qui ont été en outre abondés de 1,5 milliard d’euros. Au‑delà, il faut relever 512 propositions concrètes de coopération européenne et 162 programmes retenus. En outre, 270 projets commenceront à être réalisés à partir de cette année. Il y a deux jours encore, la Commission européenne a décidé d’une attribution de nouveaux projets pour 1 milliard d’euros. Enfin, la Fondation Robert Schuman publiera très prochainement un bilan à mi-parcours du Fonds européen de défense, qui représente pour la France une contribution substantielle à son industrie.
En effet, la France est coordinatrice de 44 projets et notre pays est présent dans 121 programmes du Fonds européen de défense. Elle en est donc le premier attributaire, devant l’Espagne, la Grèce et l’Italie, puisque plus de 25 % des projets du Fonds européen de défense sont attribués à des entreprises françaises. Ce Fonds européen de défense s’attache non seulement à aider les grandes entreprises, mais aussi les PME.
Un autre sujet ayant fait l’objet d’avancées porte sur la Facilité européenne pour la paix, à l’origine destinée à financer les opérations de maintien de la paix dans le sud et en Afrique. Abondée à concurrence de 6 milliards d’euros, elle se trouve pratiquement en mesure de dépenser 17 milliards d’euros, notamment pour acquérir ou rembourser des armes qui auraient été données à l’Ukraine. C’est une première pour l’Union européenne.
Par ailleurs, il convient de mentionner le programme d’action de soutien à la production de munitions (Asap), dont il a été particulièrement question l’année dernière. Le projet consistait à pouvoir aider les Ukrainiens, qui souffraient d’un déficit important en munitions. Au départ, ce programme a été quelque peu erratique, mais il a financé directement les entreprises de production de munitions. Il aboutira à une production de plus de 2,5 millions de munitions, d’ici la fin de l’année prochaine.
Je pense également au règlement visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (Edirpa), à travers des appels d’offres communs. Ce projet a été doté de 310 millions d’euros et permet de contribuer à 15 % de la valeur des appels d’offres qui seraient européens et transnationaux. Par ailleurs, le projet Edip mentionné par M. le président, constitue une autre phase du développement de la défense européenne. Il consiste à tenter d’organiser un financement et des coopérations pour le moyen et le long terme, en soutenant l’ensemble de l’industrie de défense.
Ce projet Edip serait doté de 1,5 milliard d’euros. Il est destiné à accroître la production, faciliter les acquisitions conjointes de matériel et propose une série de mesures communes, de nouvelles structures, de nouveaux instruments, des programmes européens d’armement et un comité de préparation industrielle. Edip a suscité un grand nombre d’interrogations de la part de la diplomatie française, de votre commission et de la commission du Sénat, dans la mesure où sa gouvernance entraîne quelques évolutions audacieuses en matière institutionnelle. Par ailleurs, son financement pose question puisqu’il ne prévoit que 1,5 milliard d’euros et le programme se fonde sur des a priori qu’il faudrait peut-être questionner. Faut-il un marché unique des instruments de défense ? Est-il vrai que nos industries de défense ne sont pas compétitives ? Personnellement, je le conteste. Je pense que nous produisons en Europe des équipements de défense moins chers que nos grands partenaires, par exemple américains.
Parmi les dernières évolutions non négligeables, je me dois naturellement d’évoquer l’existence d’un commissaire à la défense, mais aussi la création la semaine dernière par le Parlement européen d’une commission de la défense de plein exercice. Votre avis en tant que commissionnaires et parlementaires sera extrêmement important pour la suite de cette évolution jusqu’ici positive, mais qui suscite une série d’interrogations.
La première interrogation concerne la communautarisation de la politique de défense, qui me paraît devoir être interrogée. La Commission européenne, sur la base juridique de l’article 173 du traité sur le fonctionnement européen qui traite de l’industrie, effectue une irruption importante dans la politique de défense. Cette base juridique doit être au moins questionnée. En effet, dans l’architecture des traités européens, les questions de défense ne relèvent pas de la procédure communautaire. Une clarification doit donc être opérée avant, peut-être, d’aller plus loin.
Pour le schumanien que je suis, la politique de défense est-elle la bonne méthode ? En tant que Français, nous devons nous réjouir que nos partenaires européens aient pris conscience de l’urgence. Ils ont finalement accrédité un certain nombre de thèses françaises sur la souveraineté européenne, la nécessité d’être plus actifs, de coopérer davantage et de dépenser plus. Nous dépensons aujourd’hui collectivement 326 milliards d’euros pour la défense en Europe, soit trois fois les dépenses de la Russie et un tiers de celles de l’Otan.
Si cet enthousiasme, certainement motivé par la crainte, me réjouit, il ne permet pas de surmonter les différences au sein de l’Union européenne. Nous demeurons divisés entre partenaires européens sur les fondamentaux de nos politiques étrangères et de défense, la relation à l’Otan, la relation aux États-Unis, la question de l’indépendance et de l’autonomie stratégique. En découlent des conceptions différentes sur la place des États membres dans la gouvernance d’une Europe de la défense, que nous ne pouvons pas régler au détour du projet de règlement Edip.
Je reste très attaché à la « méthode Schuman », selon laquelle seules les réalisations concrètes peuvent convaincre de procéder à des projets communs. Il faut donc démontrer concrètement qu’il existe une plus-value européenne avant seulement d’accepter d’en confier éventuellement la gestion à un organisme comme la Commission européenne. Vous comprenez bien que je suis quelque peu réticent à l’égard de ce projet de règlement, qui veut communautariser par le haut alors que toute l’histoire de l’Union européenne a consisté à communautariser par le bas.
Dans une autre vie, j’ai eu l’occasion de participer à la négociation des accords de Schengen. En l’espèce, ces accords sont d’abord nés d’une volonté de cinq États, avant que Schengen ne devienne un projet à vingt-quatre États, dont deux ne sont pas membres de l’Union. Ces pays ont ainsi estimé ensuite et seulement après, qu’il était nécessaire de confier à un organisme collectif, la Commission européenne, le soin de gérer Schengen.
Permettez-moi à présent de formuler quelques remarques. Dans ce contexte évolutif, il faut veiller à l’excellence de l’industrie de défense, qui est essentiellement française. Il ne faut certainement pas l’abîmer dans des projets qui ne seraient pas à la hauteur en matière technologique. S’agissant de la gouvernance, je considère qu’il n’appartient pas à la Commission de gérer le marché des industries européennes de défense. Cette tâche devrait davantage être dévolue à l’Agence européenne de défense (AED). Peut-être faudrait-il également un nouveau traité entre États membres – qui auront besoin de la Commission –, qui permettrait de surmonter quelques vétos.
Ensuite, je souhaite revenir sur les questions relatives au financement. Lors du sommet informel qui s’est tenu lundi dernier entre chefs d’État et de gouvernement, un grand nombre de pistes de financement ont été évoquées, à l’heure où nous sommes en train de prévoir le budget pour les sept ans à venir. À ce titre, j’estime qu’il faut explorer toutes les pistes. La première concerne l’assouplissement du pacte de stabilité au profit de ceux qui investissent dans la défense, comme cela a déjà été évoqué, y compris par la présidente de la Commission européenne.
Par ailleurs, pourquoi ne pas imaginer un règlement d’exception au titre de l’impératif de sécurité, c’est-à-dire s’exempter d’un certain nombre de règles, comme nous savons très bien le faire en France. Quand il s’est agi de reconstruire Notre-Dame, d’accueillir les Jeux olympiques ou de reconstruire Mayotte, nous avons procédé par le vote d’une loi spéciale. Je suggère d’étudier cette piste au niveau européen. En effet, le Pacte vert pour l’Europe (Green Deal) et des réglementations financières extrêmement draconiennes éloignent nos banques du financement de la défense. Pourquoi ne pas imaginer un règlement d’exception générale au titre de l’urgence sécuritaire ?
Enfin, se pose également la question de la TVA. Dans le projet Edip soumis aux États, à la Commission et au Parlement, une exemption de la TVA est envisagée pour les programmes européens. De la même manière, l’emprunt commun demeure un sujet de discussion, qui n’évoluera qu’après les élections allemandes.
Pour conclure, permettez-moi de vous livrer quelques réflexions très libres sur la posture que la France devrait adopter face à ce règlement. Nous avons entendu le ministre et plusieurs de vos rapporteurs protester sur la méthode qui était envisagée pour ce projet Edip. Personnellement, je suis très malheureux, en tant qu’Européen et Français, quand la France se place dans une position négative qui risque de l’isoler au sein de l’Union européenne. Je pense que nous devrions mieux user de notre excellence, celle de nos forces armées et de notre industrie, en ouvrant nous-mêmes des espaces de coopération plutôt que d’attendre que d’autres nous les proposent.
Lorsque la France envoie des troupes en Estonie ou en Roumanie, elle est regardée, respectée, écoutée. Nous avons la première armée de l’Union européenne, nous sommes une puissance dotée. Il revient à la France de formuler des gestes à l’égard de ses partenaires, de montrer qu’elle croit en la coopération européenne. Cela permettra à tous de mieux utiliser le cadre de l’Otan, sans aucun tabou ni aucune réticence. Pour la politique de défense de la France, il est très important d’être davantage Européens.
Pour achever mon propos, permettez-moi de paraphraser la déclaration du 9 mai 1950 de Robert Schuman qui me paraît être tout à fait adaptée à la question de la défense : l’Europe de la défense ne se fera pas d’un jour, ni dans une construction d’ensemble. Elle se fera d’abord par des coopérations et des réalisations concrètes, créant une solidarité de fait.
M. Steven Everts, directeur de l’European Union Institute for Security Studies. Je vous remercie pour votre invitation à prendre la parole au nom de l’Institut d’études de sécurité, une agence européenne chargée d’analyser les grands défis sécuritaires dans le monde et de formuler des propositions. Je précise que mon intervention liminaire s’effectuera en anglais, mais je répondrai à vos questions en français.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Je tiens tout d’abord à m’associer à la présentation que vient d’effectuer M. Giuliani. Mon intervention sera complémentaire à la sienne, afin de proposer quelques idées pour notre réflexion collective concernant la manière de construire l’Europe de la défense. Cette idée est aujourd’hui largement acceptée, mais la manière d’y parvenir demeure source d’interrogations.
Nous avons besoin de l’Europe de la défense. Aujourd’hui, l’Europe se sent bien seule. À l’Ouest, nous sommes confrontés au choc Donald Trump, qui fait trembler la base de la relation transatlantique telle qu’elle a été bâtie depuis des décennies. À l’Est, nous faisons face au défi chinois, qui remet en cause l’ordre normatif international, suscite des tensions à Taïwan. Désormais, nous ne pouvons plus séparer le théâtre stratégique indopacifique du théâtre européen ; ils fusionnent et sont désormais entremêlés. Naturellement, on ne peut passer sous silence la guerre brutale menée par la Russie aux frontières de l’Union européenne, qui s’apprête à entrer dans sa quatrième année. Les Européens doivent faire face à un nombre croissant d’attaques hybrides de la part de la Russie, qui mettent en danger ses intérêts.
Permettez-moi ensuite de mentionner les trois erreurs à éviter face à la nouvelle administration Trump.
Tout d’abord, il serait erroné de penser que nous assistons à une répétition de l’épisode initié en 2016, lors de sa première élection. Aujourd’hui, Donald Trump est beaucoup plus puissant qu’il ne l’était. Il domine le paysage politique aux États‑Unis, le Congrès, la Cour suprême, les médias et le monde des entreprises, dont la Silicon Valley. Il concentre désormais énormément de pouvoir, les garde-fous sont moins présents.
Pour les Européens, la deuxième erreur à éviter consiste à ne pas se faire manipuler. Nous avons besoin d’unité, à plus forte raison lorsque nous avons affaire à Donald Trump. Le principal effet de Trump sur l’Europe interviendra ainsi à l’intérieur de l’Europe, sur les dynamiques politiques à l’œuvre au sein de l’Union.
Enfin, il faut éviter un troisième piège, qui consisterait à penser que nous sommes les seuls à éprouver ce problème. De très nombreux pays à travers le monde partagent comme nous une relation très proche avec les États-Unis, depuis des décennies. Aujourd’hui, eux aussi s’interrogent sur la façon de réagir face à cette situation si différente. Je pense par exemple à la Norvège, au Canada, au Japon, à la Corée. De nombreux pays à travers le monde pourraient se joindre à nos réflexions pour savoir comment relever ce défi.
En premier lieu, il faut envisager le paysage global. Cette administration américaine lie toutes les questions. Aujourd’hui plus que jamais, les sujets concernant la technologie ou le commerce sont ouvertement rattachés aux questions de sécurité. Il y a là un grand défi pour les Européens, dans la mesure où nous avons l’habitude de procéder différemment, en séparant le traitement de chacun de ces aspects. Désormais, nous devons être prêts à réagir de manière robuste, si l’administration américaine décide de lancer la guerre commerciale qu’elle promet. En matière de sécurité, les Européens doivent être conscients que cela exigera plus de notre part. Les Européens doivent accepter que nous devrons tous faire plus en faveur de notre sécurité européenne, ce qui impliquera nécessairement une réallocation des ressources. Il faudra fixer d’autres priorités et donc accepter d’opérer des coupes budgétaires, ailleurs.
L’Ukraine représente aujourd’hui le défi sécuritaire le plus existentiel pour l’Europe. Comme M. Giuliani l’a souligné, face à l’urgence, nous avons fait beaucoup, nous avons brisé des tabous en 2022 avec la Facilité européenne pour la paix. Mais la situation en 2025 se présente aussi sous un jour différent et il devient de plus en plus difficile de maintenir l’unité dont nous avons besoin pour soutenir l’Ukraine. Des choix difficiles devront être opérés. Si l’administration américaine décide effectivement de réduire son financement en direction de l’Ukraine, serons-nous prêts à compenser ? Qu’en sera-t-il des garanties de sécurité ? Utiliserons-nous les actifs russes gelés pour financer le soutien militaire à l’Ukraine ?
Travaillant pour l’Union européenne, je dois reconnaître qu’il est de plus en plus difficile de maintenir cette unité. Que pourrons-nous faire à vingt-sept pays, que devrons-nous faire dans le cadre de coalitions plus restreintes ? Ne nous trompons pas, seuls les forts peuvent demeurer libres. Nous devons permettre à l’Ukraine de continuer à se défendre contre cette agression. Ce pays éprouve de très importants besoins en matière de formation militaire, sur lesquels notre Institut a beaucoup travaillé. Je salue à ce titre l’action de la France pour la formation des troupes ukrainiennes. Jusqu’à présent, l’UE a formé environ 70 000 militaires ukrainiens, faisant d’elle le plus grand formateur des forces ukrainiennes. Cet effort doit être poursuivi.
Simultanément, il faut reconnaître que le conflit ne progresse pas de manière très favorable pour l’Ukraine. Désormais, il convient de s’interroger sur la possibilité d’assurer des formations sur le territoire même de l’Ukraine, ainsi que le président Macron l’a envisagé. Cette modalité permettrait de réduire les coûts, mais je reconnais que ce sujet est très compliqué, sur le plan politique.
Il est beaucoup question d’un cessez-le-feu, de négociations. Comment éviter un mauvais accord ? Tout accord devra être accompagné de dispositions très fortes. En effet, nous avons déjà eu l’occasion de conduire des accords avec la Russie de Poutine, qui ne les a pas respectés par la suite. Les garanties de sécurité devraient être endossées par une coalition d’États de l’UE, mais aussi par l’administration Trump, ce qui demeure à ce jour en suspens.
Se posera également la question d’une présence européenne sur place pour garantir la bonne application d’un éventuel accord conclu. À ce titre, il faudra opérer une distinction entre le maintien de la paix classique dans le sens de l’article 7 de la Charte de l’ONU et une force de type Tripwire où des troupes européennes seraient présentes pour non seulement dissuader une attaque russe, mais également y répondre, le cas échéant. Ces deux modalités sont très différentes.
Ensuite, pour l’Europe de la défense, Trump constitue-t-il une tragédie ou une opportunité ? J’aurais tendance à considérer qu’il s’agit d’une opportunité, une occasion à saisir. L’idée d’un pilier européen de l’Otan est fréquemment évoquée. Une possibilité consisterait à bâtir ce pilier autour des financements, à partir de dépenses effectuées au niveau national, en valorisant les instruments de l’UE. Mais la planification de la défense resterait du ressort de l’Otan. Une autre possibilité porterait sur une défense européenne collective, qui passerait par exemple par un traité. Dans ce cas, nous travaillerions à partir d’actifs communs, dont nous serions conjointement propriétaires et qui pourraient être financés par différentes sources comme des « obligations de défense » ou des « banques de défense ». Ceci entraînerait peut-être une évolution progressive des fonctions de l’Otan, qui deviendrait une structure de commandement plus européenne. Il s’agit là de deux possibilités extrêmes, avec une multitude de nuances entre les deux. Ces sujets font l’objet de points de vue très différents en Europe. Il convient également de s’interroger sur la position de pays actuellement membres de l’Otan, comme les États-Unis, mais aussi le Royaume-Uni, la Norvège, la Turquie.
Ensuite, je tiens à signaler que l’Institut a particulièrement travaillé sur le financement de la défense européenne. À ce titre, j’opère une distinction analytique entre des achats en commun, la construction d’armes en commun et les financements en commun. Chacune des options est singulière, présente à la fois des avantages et des inconvénients. La bonne nouvelle tient au fait que les dépenses de défense augmentent, mais simultanément, les industriels, dont les carnets de commandes sont remplis, éprouvent parfois des difficultés à répondre aux besoins des gouvernements européens.
Un débat récurrent porte sur la part du PIB qui devrait être consacrée aux dépenses en matière de défense, mais aussi les actions qui devraient être menées au niveau de l’UE. Le bilan des achats d’armes en commun est mitigé. Certains projets ont rencontré un grand succès, comme l’A330 MRTT, d’autres ont échoué. Au-delà, se pose la question de l’intégration ou de la fragmentation du marché européen de la défense. Il est souvent indiqué que le marché européen demeure trop fragmenté pour pouvoir être compétitif face aux Américains, mais je pense également que dans certains cas, il est nécessaire de maintenir un certain niveau de compétition entre les industriels.
Se pose ensuite la question du financement, matérialisée par le Fonds européen de défense. Dans ce domaine, il faut relever que les lignes ont bougé. Je peux l’attester d’autant plus aisément que je viens d’un pays, les Pays-Bas, réputés pour leur frugalité. Il suffit de constater par exemple l’évolution de la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, une atlantiste eurosceptique. Elle a publiquement reconnu que nous devions plus investir en Europe, quitte à accroître le budget de l’UE ou la contribution danoise à celui-ci.
M. Giuliani a déjà évoqué les différents projets dans ce domaine, comme Asap ou le Fonds européen de défense. S’agissant des dépenses qui pourraient être effectuées par l’UE, elles doivent être consacrées à des produits que les pays européens ne pourraient pas acheter individuellement. Il s’agit des satellites de communication, des mobilités militaires, des infrastructures, des défenses aériennes. Ces dépenses doivent présenter une valeur ajoutée au niveau européen, afin de prouver aux citoyens européens qu’elles sont réalisées à bon escient.
Mme Florence Goulet (RN). L’Europe de la défense est un serpent de mer depuis le rejet de la Communauté européenne de défense (CED) par l’Assemblée nationale en 1954. En 1950, la menace communiste et la guerre de Corée battaient leur plein, les États-Unis souhaitaient le réarmement de l’Allemagne de l’Ouest. Ces événements avaient incité Jean Monnet à proposer la défense de l’Europe dans un cadre supranational. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la menace russe, concrétisée par le coup de force contre l’Ukraine et à la pression américaine, poussant les États européens au réarmement. Nos gouvernants en appellent une nouvelle fois à l’Europe de la défense.
Mais de quoi parle-t-on ? Avec le programme Edip, la Commission entend renforcer une base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne permettant d’équiper les armées de matériels essentiellement européens. Mais si les résultats dans le secteur de la défense sont aussi brillants que ceux de l’agriculture, de l’électricité où de l’automobile, nous comprenons les vives inquiétudes exprimées par nos industriels. Par naïveté ou par idéologie, les gouvernements français ont laissé l’Allemagne verrouiller les postes européens stratégiques, à l’image de la toute nouvelle commission de la défense du Parlement européen.
Si l’Allemagne veut bien d’une BITD européenne, c’est à la condition qu’elle ne soit pas française, mettant en place une alliance de revers avec l’Italie et le Royaume-Uni afin de nous faire céder sur le système principal de combat terrestre (MGCS) et le système de combat aérien du futur (Scaf), et manœuvrant pour que les fonds d’Edip puissent financer l’achat de matériel. Mon groupe politique déplore qu’au nom de coopérations illusoires, la France ait renoncé à la production de chars de combat, d’armes individuelles, de munitions de petit calibre et qu’elle ait raté le développement de la capacité drone.
La France est en train de se faire marginaliser dans cette Europe de la défense qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux. Nos gouvernements n’ont ni le courage, ni la volonté de défendre nos intérêts et de s’opposer à la forfaiture de la Commission européenne, qui s’arroge dans le domaine de la défense des compétences qu’aucun traité ne lui reconnaît.
Qu’irait faire la France dans cette prétendue Europe de la défense qui, selon la formule du général de Gaulle, « ne mène à rien et ne signifie rien » ?
M. Jean-Dominique Giuliani. La France n’a pas à rougir en matière de défense, puisqu’elle possède la première industrie de défense et dispose de la première armée de l’Union européenne. La France est toujours souveraine et tous les présidents de la République, y compris le général de Gaulle, n’ont jamais envisagé de sortir de l’Europe, ni de dénoncer les traités européens. Nous sommes engagés dans l’Europe parce que l’intérêt national de notre pays le commande. Il est mieux servi par l’appartenance à l’Union européenne que par un quelconque isolationnisme.
Nous ne sommes pas marginalisés. Quand il est question de défense, la France est crédible. Mais elle ne peut agir seule. Si vous interrogez nos militaires, ils vous diront qu’ils ne travaillent plus qu’en coopération. Comment mieux coopérer que dans le cadre de l’Union européenne, où les traités organisent nos relations et où, de temps en temps, nous avons aussi besoin de la solidarité de nos alliés, y compris pour toutes les interventions extérieures ?
M. Steven Everts. J’ai travaillé pendant vingt ans pour l’UE et je peux vous garantir que l’influence de la France est grande. La France apporte beaucoup, y compris des idées, des initiatives et des atouts industriels. Simplement, les autres pays doivent être associés dès le début, aux initiatives politiques.
Vous avez mentionné la menace russe. Celle-ci n’a pas toujours été prise au sérieux par certaines capitales. Désormais, il convient d’agir ensemble ; la défense demeure un domaine où les États décident à l’unanimité.
M. François Cormier-Bouligeon (EPR). L’Union européenne a progressé sur le terrain de la défense depuis le rejet par notre Assemblée de la CED en 1954, jusqu’à l’adoption de la boussole stratégique en 2022. Elle s’est dotée de plusieurs outils, le Fonds européen de la défense, la Facilité européenne pour la paix, Edirpa, Asap, et nous négocions en ce moment même le programme Edip, dont le but est bien de renforcer les industries de défense européenne.
Pour les eurosceptiques, c’est trop, ou trop mal ; pour les euro-béats, c’est trop peu, ou trop lent. Nous, républicains, patriotes, européens constructifs, devons démontrer que l’Europe est en mesure de prendre toute sa part pour sa propre sécurité. La Russie de Poutine ne s’arrêtera pas à l’Ukraine. Après des décennies de sous-investissement, nous devons changer d’échelle pour renforcer notre industrie de défense européenne et réduire nos dépendances stratégiques. Il s’agit d’une question de souveraineté.
Nous devons identifier nos besoins capacitaires clefs et renforcer des financements nécessaires, investir plus, produire et innover davantage en Européens, et standardiser nos équipements. La France a fixé des conditions : ces investissements en commun dans la défense doivent se traduire par des emplois et de la création de valeur en Europe, c’est-à-dire une préférence européenne ambitieuse dans le cadre d’Edip.
Nous serons donc vigilants, notamment vis-à-vis des exceptions qui sont en cours de négociation. Le sommet européen de défense qui s’est tenu à Bruxelles a notamment évoqué un investissement de 500 milliards d’euros lors de la prochaine décennie. Je souhaite donc vous interroger sur Edip. Pensez-vous que cet accord puisse aboutir en respectant les trois conditions essentielles que nous avons fixées, c’est-à-dire l’autorité de conception européenne, un pourcentage faible de composants extra-européens, et l’absence de restriction d’utilisation ? Pensez-vous que ces trois conditions sont nécessaires ? Monsieur Giuliani, il ne s’agit pas d’être défensif, mais d’être offensif pour protéger les intérêts européens et des industries européennes.
M. Jean-Dominique Giuliani. Il revient à la France de proposer des coopérations bilatérales et multilatérales pour partager ce qui la renforce sur le plan industriel et sur le plan capacitaire. La France envoie des troupes en Estonie ou participe à la réassurance en Roumanie. Dans ces pays, nous sommes regardés comme des leaders dans le domaine de la défense.
Le projet Edip peut aboutir, à condition de réserver l’argent européen aux industries européennes. Il convient d’être extrêmement ferme à ce propos. Quelques exceptions peuvent être envisageables pour des pays en première ligne comme la Pologne ou les pays baltes, qui ont rapidement besoin d’armements qu’ils ne trouvent pas immédiatement en Europe.
Enfin, la gouvernance prévue par Edip me semble compliquée, dans la mesure où elle est injustement confiée à la Commission européenne, qui n’en a ni la compétence, ni la vocation. Il faudrait revitaliser l’Agence européenne de défense, un organisme intergouvernemental, pour travailler en harmonie avec la Commission, mais sous l’autorité des États membres.
M. Steven Everts. Il existe en Europe une tendance à disperser les instruments, pour satisfaire tout le monde. Selon moi, il faut bâtir quelques grands projets, que l’on peut montrer aux citoyens, et veiller à éviter une fragmentation.
Ensuite, les conditions posées par la France sont posées et connues, mais elle agit également au sein d’un système d’alliances. Nous vivons dans un contexte géopolitique compliqué, soumis à de fortes turbulences. À ce titre, je ne suis pas persuadé qu’il soit pertinent de briser les liens existants avec la Grande-Bretagne.
Un des moyens d’envisager la question consisterait à insister sur la production sur le sol européen, mais peut-être pas uniquement par des entreprises européennes, en incluant des entreprises américaines ou d’autres pays. Certains pays européens y sont attachés.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Messieurs, vous avez abordé un très grand nombre de sujets et n’avez caché aucun des aspects polémiques. Je souhaite cependant effectuer un certain nombre d’observations. Le premier problème concerne la souveraineté. En effet, aucun élément des traités ne délègue de compétence en matière de défense à la Commission européenne. Comme vous l’avez pudiquement souligné, une question juridique est ici posée. Or nous disposons désormais d’un commissaire européen à la défense sans base juridique légale. Je demande donc aux bruxellologues que vous êtes quelles sont les voies de recours et si un État est capable de faire respecter pour une fois le droit européen.
Ensuite, le projet d’Europe de la défense n’est pas nouveau, mais il a connu une reviviscence après la crise financière et la crise des dettes souveraines, en particulier celle de la dette grecque. Cependant, il convient de replacer aussi la signification de cette reviviscence. Elle a été présentée comme une espèce d’alternative au projet social européen, en particulier par le président Hollande. En outre, il s’agissait d’un moyen réputé plus honorable de mutualiser les dettes. Il ne faut jamais perdre de vue la signification profonde de ce choix de miser sur l’Europe de la défense, choix assez opportuniste, dans le but de faire diversion vis-à-vis de la question sociale.
M. Giuliani a évoqué les bénéfices que tire la France des financements européens. Mais il faut simultanément rappeler que la France est contributrice nette au budget de l’Union européenne. Enfin, se pose la question plus générale du pilier européen de l’Otan, qui est manifestement un mythe et une manière d’habiller l’acceptation de la prépondérance américaine.
Quel bilan effectuez-vous de l’action de Monsieur Breton ? Quelle leçon tirez-vous de la rétrogradation de Stéphane Séjourné au sein de la Commission ? Manifestement, la France a perdu en influence.
M. Steven Everts. Vous avez évoqué le nouveau poste de commissaire européen à la défense. Personnellement, j’aurais préféré que cette fonction soit intitulée « commissaire au marché de défense », domaine dans lequel la Commission dispose d’une compétence. Pour des raisons d’affichage politique, il en a été autrement.
Cela dit, l’Europe se saisit aujourd’hui des questions de défense, car elle se rend compte que nous sommes réellement en danger ; il ne s’agit pas d’un fantasme. La nécessité est bien présente, mais la question essentielle consiste à savoir comment nous pouvons nous organiser. L’EUISS souligne l’importance de travailler à partir de l’Agence européenne de défense, afin que les États membres aient confiance dans la gouvernance des projets en commun.
M. Jean-Dominique Giuliani. La France contribue au budget de l’Union à hauteur de 17,2 %, mais reçoit 25,2 % du Fonds européen de défense, soit un taux de retour non négligeable. Cela me conforte dans l’idée que lorsque l’on dispose d’entreprises excellentes, elles profitent des projets communs. Initialement, la France était assez prudente vis-à-vis de ce Fonds européen de défense, puis elle s’y est complètement investie. Nos grandes entreprises comme nos entreprises moyennes en ont beaucoup profité.
S’agissant de la base juridique, j’ai déjà évoqué ce que je pensais : l’article 173 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est un artifice pour s’introduire dans la gestion des questions de défense. Les autorités françaises doivent se positionner pour indiquer s’il s’agit selon elles d’une bonne méthode face à l’urgence ou s’il faut au contraire la remettre en cause. Je suis un simple observateur en la matière ; vous êtes ceux qui décident.
Enfin, personnellement, je trouve que le bilan de Monsieur Breton est extrêmement positif parce qu’avec sa méthode propre, parfois qualifiée de « bulldozer », il est parvenu à faire progresser les dossiers, dans un souci de pragmatisme qui n’est pas toujours présent lorsque l’on laisse les États discuter entre eux. Une de ses réussites porte ainsi sur les munitions, où nous sommes partis d’un déficit pour arriver finalement à fournir 2,5 millions d’obus, l’année prochaine. J’espère que son successeur rencontrera la même réussite.
M. Guillaume Garot (SOC). Depuis l’agression russe en Ukraine, des avancées significatives en matière de coopération et d’investissement sont intervenues dans la défense européenne. Cependant, construire une défense européenne ne consiste pas simplement à soutenir Kiev. L’enjeu porte également sur l’autonomie stratégique à long terme dans un monde de plus en plus instable.
Le commissaire européen à la défense estime que l’Europe devra consacrer 500 milliards d’euros sur dix ans à l’industrie pour faire face à d’éventuelles menaces extérieures. L’élection de Trump nous oblige à agir vite. Comment allons-nous y parvenir collectivement et avec quels partenaires ? Or nous constatons que les débats entre les États sur le projet de règlement européen pour l’industrie de défense nous ralentissent. En 2022, seulement 18 % des dépenses d’investissement des États avaient été effectuées de manière coopérative, alors que l’objectif avait été établi à 35 %. La position de la France est pragmatique, car il s’agit d’éviter de renforcer nos dépendances stratégiques.
Monsieur Giuliani, quelle est votre lecture du sommet des dirigeants de l’Union européenne du 3 février dernier ? Comment la France peut-elle renforcer son influence auprès des partenaires européens et s’affirmer de la sorte comme moteur de cette coopération nécessaire ?
M. Jean-Dominique Giuliani. L’Europe a précisément été construite pour surmonter les divisions. En matière de défense, comme dans d’autres domaines, les seuls critères qui importent sont l’efficacité et la rapidité. En conséquence, les débats sur les structures institutionnelles ou les nouveaux instruments me paraissent largement superflus, compte tenu de l’urgence et de l’importance du sujet. Comment la France peut-elle être plus influente ?
La France doit proposer des projets et trouver des partenaires, selon différents formats. Nous y sommes parvenus dans le domaine des missiles, puisque MBDA constitue la société européenne par excellence en termes d’intégration, y compris avec les Britanniques. Nous devons être plus proactifs et force de proposition, seul moyen de nous opposer à d’autres tendances. En effet, en matière institutionnelle et politique, la nature a horreur du vide.
Si la France, qui bénéficie d’une position de leadership ne formule aucune proposition, celle-ci viendra d’ailleurs. Nous savons par exemple que pour nos partenaires allemands, l’impératif industriel est bien plus important que l’impératif opérationnel de nos armées. Nous parlerons donc d’abord industrie, il faut aussi le comprendre.
Ensuite, la France doit investir pour mieux connaître ses partenaires européens. La Fondation travaille à l’Est de l’Europe depuis maintenant trente ans. À ce titre, je peux vous indiquer que vous ne mesurez pas toujours à quel point nos amis, vos collègues baltes ou polonais ont peur. Ils ont peur parce que l’histoire de leurs familles et de leurs nations a été marquée par la terreur. En tant que Français, nous devons aussi apprendre à mieux connaître ce sentiment qui anime nos partenaires.
Nous sommes éloignés des frontières de l’Est, nous menons une politique indépendante qui nous rassure, mais en réalité nos intérêts sont communs. Investir dans une meilleure connaissance grâce à la diplomatie parlementaire que vous pratiquez déjà constituerait un geste très important pour la France, qui nous permettrait peut-être de ne pas employer certains mots et de proposer certains concepts plus intéressants pour nos partenaires.
M. Steven Everts. Je partage pleinement ce point de vue. Il faut être présent dans le débat européen pour obtenir plus de soutien sur les positions françaises, mais aussi comprendre les positions des autres. Ensuite, les mots comptent en politique et en diplomatie. Ici, à Paris, on aime bien employer les termes « souveraineté » ou « autonomie stratégique ». Je viens d’un pays où ce vocabulaire ne passe pas très bien. Parfois, il vaut mieux parler du contenu des propositions plutôt que d’utiliser certains concepts qui ne sont pas toujours reconnus.
Une partie des pays européens témoignent d’une crainte réelle et s’inquiètent de l’attitude américaine. Aujourd’hui, il est temps de mener des associations avec ces pays et de formuler des propositions concrètes à partir desquelles nous pouvons travailler.
Il nous faut également travailler avec l’Ukraine, acteur le plus innovant et performant en matière de défense. Je pense notamment à la production ukrainienne en matière de drones dans le cadre d’un cycle d’innovation rapide, dont les entreprises européennes classiques pourraient s’inspirer.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Je souhaite aborder le sujet de la zone arctique, zone stratégique en raison de ses intérêts économiques, environnementaux et géopolitiques. La France s’est engagée en faveur de la sécurité régionale tout en cherchant à préserver une approche multilatérale et coopérative. Cet enjeu de sécurité devient un enjeu de sécurité internationale tant les acteurs non arctiques s’y intéressent.
Cette zone comporte une dimension environnementale forte et par principe, la défense et la sécurité de la zone sont liées à des politiques de préservation de l’environnement et de la coopération scientifique. Elle est également soumise aux conséquences du changement climatique, qui entraînent des répercussions importantes sur la sécurité.
En tant que membre de l’Otan, nous soutenons et participons à des initiatives de l’Alliance pour assurer la défense et la stabilité dans la zone. Nous sommes également impliqués dans des opérations de surveillance de la région, en particulier dans le domaine de la sécurité maritime et dans des opérations de contrôle aérien. L’expansion militaire russe constitue évidemment un fort sujet de vigilance, mais les États-Unis ont également déclaré par la voix de leur président qu’ils convoitent le Groenland d’une façon ou d’une autre. Les tensions dans la zone ne datent pas d’aujourd’hui, mais elles reviennent sur le devant de la scène.
Le Danemark a annoncé un investissement équivalent à 1,8 milliard d’euros dans le renforcement de sa présence militaire. Il a prévu l’acquisition de trois navires à capacité polaire, de drones aériens de surveillance à longue portée et l’amélioration du système de surveillance satellite des hautes latitudes.
Quelles sont les perspectives de la France et de l’Union européenne dans l’Arctique en matière militaire, sans parler des déclinaisons concernant notamment l’environnement et le changement climatique ?
M. Jean-Dominique Giuliani. Vous mettez à juste titre l’accent sur ce qui différencie en grande partie l’Union européenne des États-Unis. Le Danemark, nation traditionnellement très atlantiste, est obligé d’opérer un virage sur l’aile parce que son appartenance à l’Union européenne constitue peut-être le seul moyen de protéger le Groenland des déclarations intempestives du président Trump, voire des tentatives américaines, qui remontent au XIXe siècle.
La question de l’Arctique est une question fondamentale, que l’Union européenne n’a pas encore totalement réussi à prendre en compte. Cette prise en compte intervient plutôt grâce à ses États membres présents dans le Conseil des États de la mer Baltique ou même la France, à travers les missions de sa marine nationale, laquelle a inauguré le passage du Nord‑Est, à la surprise des Russes.
Les revendications américaines mettent paradoxalement en lumière la dimension environnementale des politiques européennes visant notamment à protéger les ressources et l’Arctique. Il s’agit là aussi d’un tournant, qui devrait peut-être nous permettre de progresser collectivement.
M. Steven Everts. J’ai travaillé un peu sur ce thème à Bruxelles par le passé. Le Danemark n’était pas enthousiaste à l’idée que l’Union européenne développe une politique trop présentielle en Arctique. La situation a désormais bien changé, les Danois reviennent vers l’UE. En Europe, nous vivons tous avec nos angoisses, nous avons tous nos propres intérêts. Il nous faut les mettre en commun et les défendre collectivement, en investissant dans des politiques et des instruments de financement collectif. Nous devons développer une véritable politique européenne sur le sujet de l’Arctique.
Il faut évoquer les questions environnementales, mener une surveillance des effets environnementaux et s’assurer d’une présence collective européenne, via une présence maritime coordonnée (Coordinated Maritime Presences, CMP), telle qu’elle est menée ailleurs, par exemple dans le golfe de Guinée. Des instruments existent, développons-les pour montrer que l’Europe qui protège existe.
M. Jean-Dominique Giuliani. J’ajoute que la Fondation Robert Schuman a passé un accord avec le Cercle polaire et entend travailler sur ces sujets dans les mois et les années à venir.
M. le président Jean-Michel Jacques. Gageons que cette situation fasse réfléchir les Danois pour acheter un peu moins d’équipements américains et un peu plus d’équipements européens.
M. Steven Everts. Je suis d’accord, mais comme je l’ai indiqué précédemment, la situation change au Danemark.
Mme Sabine Thillaye (Dem). À nous entendre, je crois que nous oublions parfois la question essentielle : comment assurer notre sécurité ? Nous finassons sur les questions juridiques, mais il s’agit d’abord d’assurer notre capacité à innover et de garantir une interopérabilité au sein de l’Union européenne, au-delà de l’interopérabilité au sein de l’Otan. À cet égard, la fragmentation du marché de nos industries de défense demeure un obstacle majeur.
Dans son rapport, Enrico Letta préconise aux Européens de s’orienter vers un véritable marché commun de la défense, en résonance avec la proposition d’une union des marchés de capitaux, qui profitera aussi à l’ensemble de nos industries. Dans ce domaine, l’Europe manque d’intégration, ce qui nous empêche de rivaliser ou de nous positionner par rapport aux États-Unis et à la Chine, ainsi que de faire face aux besoins matériels dans le cadre de la guerre en Ukraine.
Quelle est votre position à ce sujet ? Monsieur Giuliani, vous avez indiqué que la France risque d’être isolée dans le cadre des discussions actuelles concernant Edip. Pouvez‑vous nous fournir de plus amples détails ? Quels pourraient être nos partenaires ? Je pense pour ma part que nous pouvons promouvoir des coopérations. Il existe d’ailleurs des coopérations franco-allemandes, qui ne plaisent guère à certains. Faut-il ouvrir la porte à d’autres coopérations ? Que pensez-vous du triangle de Weimar ?
M. Jean-Dominique Giuliani. Un marché intérieur est structuré autour de producteurs, de clients, mais aussi d’un système financier. En revanche, je suis assez sceptique concernant un marché intérieur de la défense, je ne comprends pas ce que cela signifie, sauf à adopter le principe de préférence, de manière volontaire. Or pour le moment, le projet Edip ne dispose pas de financements, qui sont renvoyés aux perspectives financières. Il s’agit d’un sujet difficile, notamment avec quelques États membres.
Tant que nous ne disposerons pas de projet de financement, nous ne disposerons pas d’un marché intérieur de la défense. Je conteste les conclusions des rapports Draghi et Letta selon lesquelles nous ne serions pas compétitifs en matière de défense. Un avion produit en France ou en Allemagne coûte deux fois moins cher qu’un avion produit aux États-Unis. En revanche, nous sommes confrontés à un problème de demande, de commandes et vraisemblablement de financement.
Ensuite, pour la France, la coopération avec l’Allemagne constitue un passage obligé. Mais elle est très compliquée en matière de défense, parce que nous ne partageons pas la même tradition, les mêmes impératifs, ni la même histoire. Nous devons à la fois faire le maximum, mais il faut également être sans illusion et songer à d’autres coopérations.
Le triangle de Weimar constitue une instance de coopération intéressante. Lorsque la France est en Roumanie ou dans les pays baltes, elle agit grandement, notamment pour la cause européenne, mais aussi pour les intérêts français.
M. Steven Everts. Les pays européens doivent acheter ensemble, à partir de critères communs. Ensuite, en matière financière, il faut naturellement une prime européenne pour faciliter cette coopération. Dans ce cadre, une piste de travail concerne le rôle de la Banque européenne d’investissement (BEI).
M. Bernard Chaix (UDR). Le contexte géopolitique est marqué par le retour d’une très forte assertivité. La guerre en Ukraine a provoqué plus d’un million de morts et de blessés et l’armée russe a progressé de plus de 400 kilomètres carrés lors du seul mois de janvier.
La récente élection de Donald Trump confirme le retour de l’intérêt national comme boussole de l’ordre mondial. Il apparaît donc évident de repenser une architecture de sécurité collective en Europe. Le groupe UDR n’est pas opposé à des coopérations industrielles entre États membres. Cependant, l’établissement d’une défense européenne au-dessus des intérêts nationaux ne nous paraît ni envisageable ni souhaitable.
En effet, quels intérêts cette défense européenne poursuivrait-elle ? Alors que les pays baltes voient la Russie comme une menace existentielle, la Grèce se voit intimidée par la Turquie, un pays qui occupe plus de 30 % du territoire de Chypre dans l’indifférence générale. En France, l’Azerbaïdjan nous provoque en s’ingérant dans nos territoires d’outre-mer, notamment en Nouvelle-Calédonie.
Aussi, 80 % des dépenses militaires européennes permettent l’achat d’armes extraeuropéennes, souvent américaines. À mon grand regret, je constate que de nombreux partenaires européens préféreront toujours les avions de combat F-16 à nos Rafale. Par ailleurs, les discussions au sein du Conseil portent sur la proposition de règlement sur le programme Edip. Il semblerait que différents pays souhaitent élargir les critères d’éligibilité ouvrant l’accès au Fonds européen de défense à des produits sous licence étrangère, c’est à dire souvent américains.
Comment construire une autonomie stratégique qui soit européenne en se fournissant avec des armes qui ne le sont pas ? La France est opposée à l’élargissement des critères des limites du règlement Edip. Pensez-vous qu’elle restera isolée sur cette question ?
M. Jean-Dominique Giuliani. Il convient de rester extrêmement ferme concernant les critères d’éligibilité. L’ensemble des dépenses de défense en Europe s’élève à 326 milliards d’euros, mais une part importante de ces montants ne bénéficie pas aux industriels européens. En Pologne, par exemple, 63 % des dépenses se font en direction de l’industrie américaine.
Ce sujet pose la question de la disponibilité des matériels dans des pays qui éprouvent un sentiment d’urgence que nous ne ressentons pas, car nous disposons d’industries performantes et de plans d’équipement à travers la loi de programmation militaire. C’est la raison pour laquelle j’évoquais la possibilité d’exemptions pour des pays comme la Pologne et les pays baltes, qui souffrent de faiblesses capacitaires. Mais ces exemptions ne doivent pas être intégrées dans le règlement Edip. Je pense que l’argent européen doit bénéficier aux entreprises européennes et pas seulement aux entreprises qui travaillent sur le territoire européen.
Ensuite, l’autonomie stratégique est un concept français, évoqué déjà depuis de nombreuses années par la diplomatie française qui parlait plutôt « d’indépendance ». De ce point de vue, la France a obtenu satisfaction : désormais ce concept est partagé par nos partenaires. Cependant, à Riga ou à Varsovie, le sentiment d’urgence est différent du nôtre en raison des blessures de l’histoire. Nous, Français, devons le comprendre et apprendre à être modestes.
L’autonomie stratégique européenne est en chemin, nous allons y parvenir en dépit des lenteurs nécessaires, mais également dans le respect de nos partenaires.
M. Steven Everts. L’autonomie stratégique européenne est en chemin, mais nous ne l’appellerons pas par ce vocable. Elle se traduira en pratique, par des choix que nous effectuerons ensemble. Nous y parviendrons, parce que les évolutions politiques nous y obligent. En Europe, il est nécessaire de s’intéresser aux problèmes des autres. La France a de nombreux atouts à faire valoir, mais elle doit comprendre les craintes et les peurs des autres pays.
Enfin, je tiens à dissiper une idée reçue : il est erroné de croire que 80 % des dépenses militaires européennes permettent l’achat d’armes extraeuropéennes.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons maintenant à une séquence de trois questions complémentaires.
Mme Caroline Colombier (RN). Messieurs, je voudrais vous interroger sur le projet controversé d’Edip. Tout dans cette affaire est sujet à caution, à commencer par l’empiétement de la Commission européenne sur la compétence de défense des États membres. Pourtant, l’UE n’a pas compétence pour réglementer leur politique de défense, mais seulement pour mettre sur pied des systèmes de financement communs. Actions concrètes plutôt qu’idéologie : sur ce point, j’adhère à la méthode Schuman.
Si à l’origine, ce règlement visait à financer des équipements entièrement européens, la pression de pays comme l’Allemagne risque de ruiner l’Europe de la défense avec un taux de 35 % de composants importés, sans compter les armes produites sous licence. Nous risquons de voir se multiplier des programmes similaires à ceux de l’Eurodrone ou de l’Eurospike, l’un doté d’un moteur américain, l’autre fabriqué sous licence israélienne.
En schématisant, 35 % des 500 milliards d’euros envisagés iront potentiellement financer les industries extra-européennes, soit 175 milliards d’euros. Selon vous, ce système dérogatoire avec un taux de 35 % de composants importés ne risque-t-il pas de ruiner l’objectif d’autonomie européenne, au détriment de la nôtre ?
Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Je souhaite revenir rapidement sur la question du financement. Les Européens doutent de leur capacité, mais nous sommes capables de produire. En 2024, nous avons livré plus d’obus de 155 millimètres que les Américains ne l’ont fait. Le repli sur soi prôné par certains en France ou en Allemagne affaiblirait en réalité notre propre sécurité. Afin que les Européens prennent véritablement leur sécurité en main, il est nécessaire d’augmenter nos capacités de production industrielle.
Les rapports Draghi et Letta ont ouvert la voie. Désormais, tout relève de notre volonté, qui doit se traduire dans le financement de cet effort pour développer nos technologies et nos compétences sur le moyen terme, afin que l’Europe puisse résister, entre les États-Unis et la Chine.
Mme Gisèle Lelouis (RN). Le groupe Rassemblement national a toujours été critique de l’Europe de la défense, pas par idéologie ni par mauvaise foi. Simplement, au-delà des grands discours, cette Europe de la défense est démentie chaque jour dans les actes, par certains voisins européens qui préfèrent se réfugier sous le parapluie américain.
Au lieu de courir obstinément après des chimères fédéralistes, il serait bien plus judicieux de se concentrer sur la protection de notre industrie de défense nationale, soumise à une rude concurrence. Il s’agit de la seule industrie relativement autonome sur le continent, mais elle subit les assauts incessants de normes toujours plus absurdes et contraignantes.
L’Union européenne, plutôt que de confisquer dans un nouveau domaine leur souveraineté aux États, ferait mieux d’imposer une véritable priorité européenne dans l’achat du matériel de défense. En outre, face aux problèmes de financement de la BCE, ne pourrait-elle pas jouer un rôle et mettre en œuvre des moyens pour soutenir ces entreprises ? Un tel engagement de la BCE serait bien plus utile pour la défense des pays européens que les 1,5 milliard d’euros du programme Edip, agent accélérateur de la concurrence de nos entreprises, qui semble devoir repeindre en bleu européen les armes américaines.
M. Steven Everts. L’Europe est en danger. Il est donc absolument nécessaire que nous investissions ensemble dans notre défense. Nous avons l’occasion d’évoquer les moyens, les instruments et les choix à réaliser. J’espère que nous effectuerons ces choix d’une manière collective.
S’agissant des niveaux de financement, il convient désormais de faire un grand pas en avant, grâce aux options à notre disposition dans ce domaine, qu’il s’agisse du budget européen, de la dérogation au pacte de stabilité, de la BEI, voire des obligations européennes de défense. Il faut agir de manière pragmatique et mettre en lumière les succès obtenus, qui légitiment de franchir une étape supplémentaire. L’EUISS agira pour le mieux, afin de soutenir les parlementaires que vous êtes dans votre démarche.
M. Jean-Dominique Giuliani. Il me semble important que vous parlementaires, parliez avec vos homologues des autres pays européens, car vous devez tous répondre devant les électeurs. Tout le monde partage le sentiment d’urgence, voire de crainte. Il importe toujours de démontrer la plus-value européenne, lorsqu’elle existe. Dans ce cadre, la voix de la France importe. Il ne faut pas toujours être négatif, mais également être productif ; si la France formule des propositions et soumet des projets, soyez convaincus qu’elle sera écoutée et verra son influence renforcée.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie. En dépit d’approches différentes en Europe, nous partageons des attentes communes en matière de réalisations concrètes, efficaces et pragmatiques.
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La séance est levée à dix heures trente-cinq.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Delphine Batho, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Édouard Bénard, M. Christophe Blanchet, Mme Anne-Laure Blin, M. Frédéric Boccaletti, M. Manuel Bompard, M. Bernard Chaix, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Alexandre Dufosset, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Emmanuel Fernandes, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, Mme Florence Goulet, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Abdelkader Lahmar, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Gisèle Lelouis, M. Didier Lemaire, Mme Lise Magnier, M. Sylvain Maillard, Mme Michèle Martinez, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Loïc Prud'homme, Mme Catherine Rimbert, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint‑Pasteur, M. Thierry Sother, M. Thierry Tesson, Mme Sabine Thillaye, M. Romain Tonussi, Mme Corinne Vignon
Excusés. – M. Matthieu Bloch, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Sophie Errante, M. Pascal Jenft, M. Guillaume Kasbarian, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud