Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Examen, ouvert à la presse, du rapport de la mission d’information sur « la sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense » (M. Frédéric Boccaletti et Mme Alexandra Martin, rapporteurs) 2
– Information relative à la commission....................22
Mercredi
9 avril 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 57
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
Président
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La séance est ouverte à neuf heures trente.
M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, nous nous retrouvons ce matin pour l’examen du rapport sur la sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense, confié à nos collègues Alexandra Martin et Frédéric Boccaletti.
La jeunesse a toujours été au cœur des préoccupations des ressources humaines des armées, parce qu’une armée repose à la fois sur l’expérience des chefs, mais aussi sur un flux constant de jeunes recrues. La suspension du service national en 1996 et la professionnalisation des armées ont distendu ce lien entre l’armée et la jeunesse, même si d’autres dispositifs, que vous évoquez d’ailleurs dans votre rapport, se sont efforcés de le maintenir.
Force est de constater néanmoins que la sensibilisation à l’esprit de défense dans une période marquée par la paix, et donc la professionnalisation des armées, n’était pas toujours au cœur du débat public. Aujourd’hui, la situation a changé. Le retour de la guerre sur le sol européen, la remise en cause de l’ordre international, les doutes croissants sur la garantie de sécurité américaine, le changement climatique, constituent autant de menaces auxquelles la réponse ne peut être uniquement militaire.
La défense de notre pays se doit plus que jamais être globale, en impliquant notamment davantage notre jeunesse. Cette conscience des menaces et de la nécessité d’une défense globale et partagée par les états-majors mais aussi au niveau politique. Le président de la République, dans ses vœux aux armées le 20 janvier dernier a très clairement indiqué la voie pour renforcer l’engagement de la jeunesse au service de notre nation. Nos partenaires européens en font de même, certains d’entre eux allant jusqu’au rétablissement du service militaire. Votre rapport arrive donc à point nommé et je ne doute pas qu’il nous apporte de nombreux éléments utiles pour nourrir nos réflexions.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Après 1945 et 1989, l’année 2025 représente un nouveau tournant stratégique pour la France, l’Europe et le monde. Cette année 2025 a ainsi brisé la perspective, ouverte en 1989, d’un monde en paix, régi par la démocratie, le droit, le libre-échange. Nous vivons aujourd’hui l’exact inverse : les régimes illibéraux gagnent du terrain, le rapport de force entre les États est de retour, avec ses corollaires naturels, la violence et la guerre. La guerre de haute intensité est à nos portes, tandis qu’en Afrique, en Asie centrale et au Moyen-Orient, les groupes islamistes reconstituent leurs forces, profitant du retrait de l’Occident. Compte tenu du pivotement américain vers l’Indo‑Pacifique, du changement climatique ou encore des ruptures technologiques, un nouvel environnement stratégique se dessine pour notre pays.
Cet environnement stratégique, très dégradé par rapport à ce que nous avons connu, est lourd de menaces. Ces menaces ne sont plus seulement conventionnelles ou nucléaires. Elles peuvent aussi être hybrides, nous déstabiliser de l’intérieur ou prendre la forme d’une pandémie mondiale. Face à de telles menaces protéiformes et imprévisibles, il faut certes des forces armées, mais aussi et surtout une population sensibilisée à l’esprit de défense et animée d’une volonté de défendre son pays.
Or cet esprit de défense et cette volonté de défense ne vont pas de soi, surtout dans une période où la cohésion nationale est fragilisée. La fin du service national en 1996 a par elle-même distendu le lien entre les armées et les jeunes et éloigné ces derniers de la chose militaire, dont ni eux, ni leurs enseignants nés après 1979 n’ont plus d’expérience directe. Certes, de nouveaux dispositifs ont été créés depuis, pour l’essentiel dans le cadre scolaire. C’est à leur analyse que se consacre la première partie de notre rapport, qui va vous être présentée par mon corapporteur.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Les dispositifs visant à sensibiliser la jeunesse à l’esprit de défense sont en effet nombreux et, pour certains d’entre eux, bien connus de nous tous. Le premier cadre au sein duquel les jeunes sont confrontés aux enjeux de défense est très naturellement l’école, en particulier l’enseignement secondaire.
Depuis la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national, 5,6 millions d’élèves du secondaire doivent suivre un cours d’enseignement moral et civique dont le programme intègre notamment, « les grands principes et les valeurs qui régissent la défense nationale ainsi que l’organisation de la sécurité et des services de sécurité en France ». Les élèves découvrent aussi pendant ce cours comment servir leur pays et les formes d’engagement, notamment le service national universel (SNU) ou la Journée Défense et Citoyenneté (JDC).
En plus du cours d’enseignement moral et civique (EMC), qui est universel et obligatoire, les élèves ont pu bénéficier de certains dispositifs dédiés, comme les classes de défense et de sécurité globale (CDSG). Créées à l’initiative d’une équipe pédagogique autour d’un projet interdisciplinaire d’éducation de la défense, ces CDSG s’appuient sur une unité marraine qui peut être une unité militaire ou un acteur de sécurité. La CDSG présente ainsi l’avantage du concret, en permettant aux élèves de rencontrer physiquement des personnels en uniforme, voire de se déplacer dans l’emprise de l’unité marraine. Près de 20 000 jeunes sur l’ensemble des départements français, y compris d’outre-mer, sont concernés par les 800 CDSG relevant du ministère des armées.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. À côté de ces dispositifs mis en œuvre dans le cadre scolaire, il existe de nombreux dispositifs impliquant directement les armées, le principal étant à destination de la jeunesse et organisé par le ministère des armées : la fameuse JDC qui, par son caractère obligatoire et universel, constitue une occasion unique de sensibiliser l’ensemble d’une classe d’âge aux enjeux de la défense nationale, soit près de 800 000 jeunes.
Aux termes du code du service national, les jeunes se voient en effet présentés au cours de cette journée « les enjeux, les objectifs généraux de la défense nationale et du modèle français de sécurité civile, ou encore les possibilités d’engagement dans les forces armées et les forces de réserve, ou en qualité de sapeur-pompier volontaire ». Il s’agit donc de sensibiliser, mais aussi, le cas échéant, de susciter des vocations. Tel est également l’engagement et la finalité des préparations militaires qu’organisent nos trois armées.
Elle concerne environ entre 11 000 et 13 000 jeunes par an et s’adresse principalement à des jeunes d’ores et déjà éveillés à l’esprit de défense et souvent désireux de s’engager plus avant dans la défense de leur pays, soit comme soldat de métier, soit comme réserviste.
Contrairement à ce que sa dénomination laisse supposer, le service militaire volontaire (SMV) n’a rien d’un service militaire. En effet, le SMV est un dispositif d’insertion visant à former à un métier, dans le cadre militaire, des jeunes en difficulté. Il concerne environ 1 500 jeunes par an. Le dernier dispositif est le SNU. Créé en 2019 à l’initiative du président de la République ; il a concerné 57 000 jeunes en 2024.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Il existe ainsi de nombreux dispositifs, cadres et acteurs impliqués. Le premier d’entre eux est naturellement le ministère de l’éducation nationale, à travers le directeur général de l’enseignement secondaire et son conseiller, le délégué pour l’éducation à la défense, chargé de définir et de coordonner des actions de sensibilisation des élèves et du personnel aux questions de défense.
Dans les académies, l’éducation à la défense est portée par des trinômes académique qui regroupent un représentant du ministère des armées, un représentant du ministère de l’éducation nationale et un représentant de l’association régionale des auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Les trinômes accompagnent les établissements dans l’organisation d’actions éducatives de sensibilisation aux enjeux de défense nationale.
Dans le cadre infra-académique, il existe des référents au niveau des directions des services départementaux de l’éducation nationale, ainsi que des relais défense au sein des bassins d’éducation et de formation ou des relais défense en établissement (RDE). Enfin, l’enseignement de défense, qu’il s’agisse de l’EMC, des CDSG ou d’autres dispositifs, ne pourrait être mis en œuvre sans l’implication, au niveau des établissements scolaires, les chefs d’établissements et des enseignants.
Au sein du ministère des armées, deux chaînes sont impliquées dans le soutien à l’éducation de défense. La première relève du secrétariat général pour l’administration (SGA), au sein duquel la direction du service national et de la jeunesse (DSNJ) et la direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA) jouent un rôle essentiel.
La DSNJ pilote la politique jeunesse du ministère des armées en faisant vivre au quotidien le plan Ambition armées-jeunesse, notamment en mettant en œuvre la JDC sur l’ensemble du territoire national. La DMCA est quant à elle en charge du soutien à l’enseignement de défense. Elle coanime et finance les trinômes académiques et soutient l’éducation à la défense via deux leviers principaux : le soutien financier et la mise à disposition des ressources pédagogiques pour les enseignants.
La seconde chaîne hiérarchique relève quant à elle de l’état-major des armées (EMA) et inclut notamment la division « cohésion nationale », qui participe à la conception, à la coordination et au pilotage de la politique jeunesse de l’EMA, en lien avec les différents organes concernés au sein du ministère, mais aussi en dehors, notamment au ministère de l’éducation nationale. Enfin, de multiples autres acteurs sont impliqués, comme l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG), l’Union-IHEDN ou les directions générales de la gendarmerie ou de la sécurité civile.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Que penser de ce millefeuille de dispositifs visant à sensibiliser la jeunesse à l’esprit de défense? En premier lieu, il apparaît que les deux dispositifs universels obligatoires que sont la JDC et les cours de MCE constituent de véritables « fourre-tout », éloignés des enjeux de défense et de sécurité nationale, réceptacle des priorités sociales ou politiques des gouvernements et majorité successifs. Dans les cours d’EMC, la défense et la sécurité nationale font certes partie de son programme, mais uniquement dans les classes de quatrième et de première. En outre, il porte également sur des matières aussi diverses que l’égalité entre hommes et femmes, la lutte contre les discriminations, les institutions et l’état de droit ou encore les risques environnementaux. Aucune hiérarchie n’est établie, ni priorité donnée entre ces différentes matières, toutes évidemment légitimes dans un cours consacré à la morale et à la citoyenneté. C’est donc aux enseignants de traiter comme ils peuvent ce programme dans le volume horaire limité
– trente minutes jusqu’à présent et une heure à partir de l’année prochaine.
Nos auditions ont confirmé qu’ils font en pratique ce qu’ils veulent ou ce qu’ils peuvent et n’accordent pas, sauf exception, la priorité aux questions de défense et de sécurité. Quant à la JDC, avant sa réforme en cours, elle n’avait plus rien de militaire. Dans ces conditions, alors que la JDC devait être un moment privilégié de rencontre entre les jeunes et les armées, elle suscite des déceptions chez ses premiers. Après ce rendez-vous, ils se sentent contraints et forcés. Quant aux armées, elles ne voient aucun bénéfice à l’investissement massif que son organisation exige de leur part.
Ensuite, l’échec du SNU ne fait maintenant plus aucun doute. Il était à l’origine porté par une grande ambition et considéré comme un dispositif militarisé : des jeunes en uniforme faisant l’expérience de la vie militaire, acteurs à part entière de l’esprit de défense, encadrés par des armées ou la gendarmerie nationale. En réalité, il s’agit de séjours de cohésion, où la part consacrée aux enjeux de défense est réduite à la portion congrue. Dans la deuxième phase, les jeunes n’avaient pas l’obligation de choisir une mission d’intérêt général dans un organisme relevant de la défense ou de la sécurité. Comme pour la JDC et l’EMC, la multiplication et la confusion des objectifs provoquent leur échec.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. À côté de ces dispositifs « fourre-tout » que sont l’EMC, la JDC ou le SNU aux contenus aux objectifs multiples, d’autres dispositifs mis en œuvre par l’éducation nationale et/ou les armées, ciblés sur les questions de défense et de sécurité nationale et aux objectifs clairement identifiés, ont fait leurs preuves.
Le premier dispositif concerne les classes de défense et de sécurité globale. De l’avis général, celles-ci sont un succès, comme en attestent la forte progression de leur nombre ces dernières années et la satisfaction de l’ensemble des parties prenantes ; ministère des armées, ministère de l’éducation nationale, enseignants et élèves. Malgré ce succès et l’intérêt qu’elles présentent, il apparaît cependant difficile de multiplier les CDSG, en raison principalement de la contrainte qu’elles représentent pour une unité militaire. En conséquence, elles ne toucheront jamais plus de 1 % des jeunes.
La même contrainte pèse sur les préparations ou les périodes militaires. Celles-ci sont également ciblées, à la fois dans leur contenu militaire et dans leur finalité, qui est le recrutement. Mais elles font peser une telle contrainte sur les ressources des armées qu’il n’est pas envisageable de les développer beaucoup plus qu’actuellement, malgré une forte demande de la part des jeunes.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Après cette analyse des dispositifs tels qu’ils existent, de leurs insuffisances et limites, notre rapport s’est attaché à définir le nouveau contexte stratégique qui s’impose à notre pays et les menaces auxquelles celui-ci est exposé.
Nous avons identifié cinq tendances lourdes : la résurgence de la menace russe, la remise en cause de l’ordre international fondé sur des règles internationales, le retrait progressif des États-Unis des affaires européennes, l’accélération du progrès technologique, le changement climatique. À ces nouvelles menaces s’ajoutent naturellement des menaces malheureusement habituelles, à commencer par le terrorisme islamiste, qui reste pour notre pays la première menace intérieure et extérieure.
Cette dégradation de notre environnement stratégique intervient à un moment où notre cohésion nationale est fragilisée, fissurée par le primat de l’individu, par certains qui préfèrent respecter la loi de leur clan plutôt que la loi de la France, mais aussi la perte de confiance dans les institutions politiques censées représenter et servir les citoyens et enfin, la difficulté de renouer un dialogue avec des individus radicalisés sur leurs positions et encouragés aussi à l’être par des réseaux sociaux souvent hors de contrôle.
Paradoxalement, cet état dégradé de notre société va de pair avec une volonté renouvelée des jeunes de s’engager au service de leur pays. La jeunesse française fait en effet preuve d’une forte sensibilité aux questions de défense. D’après une étude de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM), 62 % des 18-24 ans se disent aujourd’hui prêts à défendre leur pays, dont 48 % jusqu’au sacrifice de leur vie, si nécessaire. Cette volonté de défense s’accompagne aussi d’une excellente image des armées, pour plus de 75 % de la jeunesse.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Toutefois, pour une partie de la jeunesse, cette confiance dans les armées, comme leur volonté de s’engager se heurtent rapidement aux contraintes de l’engagement, souvent ignorées faute de connaissance de la chose militaire, mais également à la baisse de leurs capacités académiques et physiologiques, sans oublier la perte de valeurs et de savoir être.
Les armées ont toutes souligné ce point et sont souvent contraintes de recruter auprès d’une part réduite des jeunes. Déjà problématique, ce fait est aggravé par la diminution régulière de la natalité de notre pays. Alors que les armées recrutent aujourd’hui dans les classes d’âge 2005-2007, dont le nombre est d’environ 775 000 jeunes, seuls 663 000 enfants sont nés en 2024.
Par conséquent, le besoin d’un recrutement de qualité en quantité suffisante sera mécaniquement plus difficile à satisfaire, d’autant plus que les armées sont encore en concurrence pour attirer les mêmes compétences avec des acteurs civils qui n’auront ni les mêmes rigidités salariales, ni les mêmes contraintes opérationnelles. Le déclin démographique et la baisse des performances académiques et physiques en France et plus généralement en Occident font donc peser une hypothèque majeure sur le recrutement et donc sur la capacité des armées à accomplir leurs missions, alors même que les menaces s’alourdissent.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Il s’agit d’une menace pour les armées, mais également pour la défense du pays elle-même. Face à une telle menace, et plus encore à une agression armée ou attaque hybride – ingérences, désinformations, cyberattaques –, l’ensemble de la population doit être mobilisée, non seulement pour la repousser, mais aussi pour maintenir le pays en état de fonctionnement.
La défense globale implique donc à la fois la diffusion dans la population d’un esprit de défense et une volonté de défendre son pays, conséquence directe de celle-ci et enfin, la défense elle-même du pays, à travers la mobilisation préalable, préparée et organisée des citoyens. Cette importance de l’esprit de défense de la cohésion nationale et de la nécessité d’impliquer la population est de plus en plus prise en considération, notamment par le chef d’état-major des armées (CEMA). Celui-ci en a fait un de ses axes d’efforts, lequel s’est traduit par la création de la division de la cohésion nationale au sein de l’EMA et la mobilisation de l’ensemble de la chaîne de commandement politico-militaire, qui a commencé à prendre les décisions qui s’imposent pour renforcer l’esprit et la volonté de défense.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Parmi ces décisions, l’une des plus importantes et peut-être la plus symbolique concerne la réforme en cours de la JDC, dispositif jugé prioritaire par le CEMA compte tenu de la masse qu’il représente. La nouvelle JDC supprime en effet l’ensemble des défauts identifiés dans la mouture actuelle, afin d’en faire une véritable étape de parcours de citoyenneté et un vecteur essentiel de la diffusion de l’esprit de défense. Ainsi, les participants iront probablement pour la première fois dans une emprise militaire et croiseront forcément, en plus de leurs formateurs, des militaires dans leurs tâches quotidiennes. Le simple fait pour un jeune d’être ainsi transposé dans un autre univers, radicalement différent du sien, peut avoir un effet immédiat. Alors que la JDC actuelle est un « fourre-tout », la nouvelle JDC sera recentrée sur la défense et la sécurité nationale, qui étaient son objectif premier.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Si la JDC permet effectivement de toucher l’ensemble d’une classe d’âge, la volonté de diffuser plus largement possible l’esprit de défense n’est réalisable que par l’intermédiaire de l’école, puisque celle-ci s’inscrit dans la durée. Or, intégrer la défense parmi les enseignements scolaires et faire pénétrer les armées dans les écoles ne vont pas de soi.
Vis-à-vis des enjeux de défense et des armées, les enseignants – surtout, après 1968 – témoignaient au pire une méfiance ; au mieux, une méconnaissance et une indifférence. La situation s’est toutefois améliorée depuis quelques années. Loin d’être protégée des menaces auxquelles notre pays fait face, l’école s’est malheureusement retrouvée en première ligne, frappée en son cœur par les mêmes ennemis qui tuent nos soldats à l’étranger ou commettent des attentats aveugles sur notre territoire, c’est-à-dire les islamistes.
Elle est également confrontée au quotidien aux conséquences du délitement de la cohésion nationale. Enseigner la défense participe à une œuvre commune dont l’école bénéficiera également, ce dont elle a désormais pleinement conscience. Les liens entre le ministère des armées et l’éducation nationale sont désormais étroits, en particulier au niveau central.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. De nos constats, nous avons tiré trois convictions. La première concerne l’insuffisance des dispositifs existants au regard des menaces actuelles et à venir, pour lesquelles la réponse ne peut être seulement militaire et reposer uniquement sur les armées. Parce que la cohésion nationale est le ciment qui permet à un pays de tenir, sa défense et sa sécurité reposent sur sa population, en particulier sa jeunesse.
Ceci est encore plus vrai pour les catastrophes naturelles – sécheresses, inondations, incendies, voire nouvelle pandémie – pouvant affecter l’ensemble de la population française et dont les conséquences mettront à rude épreuve la résilience de notre nation. Dès lors, s’il est bien de diffuser l’esprit de défense, il est tout aussi nécessaire d’aller au-delà, vers une véritable volonté de défense partagée par l’ensemble de la population de notre pays.
Or, même si des progrès ont été réalisés, il n’en demeure pas moins qu’une infime minorité de collégiens et lycéens ont aujourd’hui la chance de bénéficier de professeurs motivés et impliqués dans les questions de défense. Certes, l’administration centrale de l’éducation nationale est convaincue de l’importance des enjeux de défense, mais un travail considérable reste à accomplir, en particulier au niveau de la formation des enseignants.
Dans les armées, les dispositifs qui ont fait leurs preuves, tels que les préparations ou périodes militaires, se heurtent aux contraintes opérationnelles des armées, lesquelles ne peuvent pas dégager plus de ressources, sauf à la marge. Enfin, force est de constater que, confrontés aux mêmes menaces, nos partenaires européens agissent bien plus pour développer cette volonté de défense, tels la Suède ou la Lettonie, qui a rétabli son service militaire en 2023, tandis que le débat est en cours en Allemagne.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Notre deuxième conviction est la suivante : le rétablissement du service militaire d’antan n’est ni possible, ni souhaitable. Le service national a été suspendu il y a maintenant près de trente ans et, avec le temps, il a été idéalisé, est devenu un fantasme très éloigné de ce qu’il fut réellement. Pesant sur une part limitée de la population, se traduisant par des tâches souvent ingrates, il était devenu une contrainte à laquelle ceux qui le pouvaient essayaient d’échapper par tous les moyens, soit quasiment la moitié des appelés.
Aujourd’hui, est surtout mise en lumière la force intégratrice des armées, qui réussissent effectivement à faire primer le groupe sur l’individu dans une société ayant largement abandonné le collectif. La tentation existe donc de répliquer le modèle intégrateur de l’armée dans des dispositifs à destination de la jeunesse, en oubliant que la singularité militaire ne peut s’imposer à tous. Elle est en effet une exception aux libertés communes et ne peut fonctionner que si la finalité est le combat, dont découlent l’ensemble des contraintes qui sont imposées à l’individu
En outre, à supposer que le rétablissement du service national soit la solution miracle aux problèmes que rencontrent notre pays et sa jeunesse, les difficultés qu’il poserait seraient insurmontables. Nos armées n’ont plus aujourd’hui les ressources humaines ni les infrastructures nécessaires pour accueillir l’ensemble d’une classe d’âge, même si le service militaire était comme avant limité aux seuls garçons, ce qui n’est pas souhaitable.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Notre troisième conviction concerne la nécessité d’un consensus sur la menace, de dispositifs aux finalités claires et d’une cohérence d’ensemble de ces derniers. La question de la finalité nous apparaît en effet absolument essentielle, car elle conditionne à la fois l’efficacité des dispositifs à leur acceptabilité par la jeunesse et, au-delà, par l’ensemble de la population française.
La multitude et le flou des objectifs de nombre de dispositifs comme le SNU, la JDC ou l’EMC ont pour conséquence qu’aucun d’entre eux ne soit finalement atteint. Dès lors, la finalité des différents dispositifs doit être clairement établie, ce qui est évidemment le cas pour les dispositifs militaires et la JDC nouvelle formule, mais pas nécessairement pour les autres, en particulier pour l’EMC.
En réalité, notre pays doit répondre à deux questions essentielles : de quoi avons‑nous besoin et pour quoi faire ? Nos travaux nous ont convaincus que notre pays avait besoin d’une jeunesse au fait des enjeux de défense et de sécurité pour renforcer la résilience du pays et fournir aux armées des ressources dont elles auraient besoin pour accomplir leur mission dans un contexte stratégique de plus en plus dégradé.
Dès lors, la finalité des dispositifs à destination de la jeunesse apparaît évidente : renforcer l’esprit et la volonté de défense et favoriser le recrutement des futurs militaires, ces deux objectifs contribuant par eux-mêmes à la cohésion nationale. Par conséquent, il faut qu’ils comportent plus de militarité, mais cela ne sera accepté que si les Français sont convaincus par des scénarios qui rendent une plus importante mobilisation militaire impérative, c’est-à-dire si les menaces font l’objet d’un consensus dans la société française. Il revient à la parole publique de définir ce consensus, de convaincre les Français que leur pays, malgré la dissuasion nucléaire, est directement concerné par les nouveaux rapports de force internationaux et qu’il doit en tirer toutes les conséquences.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Dans notre rapport, nous formulons la proposition d’un parcours de citoyenneté à la culture de défense renforcée, qui comporterait cinq composante cohérente. La première porterait sur un cours à part entière, qui pourrait être appelé « culture citoyenne et défense », ciblé sur l’apprentissage de la citoyenneté, de l’engagement et de la défense. Aujourd’hui, l’EMC est un cours « fourre-tout », effectué par des enseignants parfois réticents, mais surtout qui peuvent utiliser cette petite demi‑heure ou cette heure pour achever leur programme d’histoire-géographie.
Les cours d’EMC « culture citoyenne et défense » seraient recentrés sur des questions liées à l’apprentissage de la citoyenneté, à la sécurité et la défense nationale. Nous avons parfaitement conscience que l’ensemble des thèmes abordés actuellement sont légitimes et importants pour la formation des élèves en tant que citoyens. Toutefois, il faut opérer des choix.
Compte tenu des menaces auxquelles notre jeunesse est exposée, la volonté de défense doit constituer une priorité. Cette priorité ne doit pas être laissée à la discrétion des enseignants, mais s’imposer à eux via un cours obligatoire ciblé. Ce cours visant à renforcer une dynamique entre citoyenneté, valeurs républicaines et esprit de défense, commencerait au collège. Le collège constitue en effet pour nous le moment privilégié pour être sensibilisé à ces sujets, sans a priori idéologique ou politique. Sa durée serait d’une heure par semaine. Mais plus qu’un cours d’une heure par semaine, il nous semble préférable de dégager un volume annuel d’heures qui serait ensuite mis à la disposition des enseignants pour créer des moments vivants, attractifs et des activités hors les murs.
Le deuxième point porte sur la formation des enseignants qui, de l’avis général, est insuffisante sur les sujets de défense. Plusieurs idées sont avancées dans le rapport, impliquant la mise à disposition de ressources par le ministère des armées, en particulier la DMCA. Enfin, il nous semble utile que cet enseignement au collège fasse l’objet d’une valorisation dans le cadre du brevet et, le cas échéant, d’une cérémonie avec remise de diplômes et qui pourrait s’accompagner d’une levée de drapeau et d’une Marseillaise.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. La deuxième composante concernerait la création de sections d’excellence « défense et sécurité nationale » au lycée. Les classes de défense et de sécurité globale sont, de l’avis général, un succès qui est malheureusement difficile d’élargir, faute de ressources disponibles du côté des armées. De plus, les CDSG présentent une limite temporelle, car elles sont limitées à une année. Or il est important que la sensibilisation de l’esprit de défense se déroule dans la durée.
Conscients de cette double limite, nous privilégions une autre voie, celle des sections d’excellence « défense et sécurité nationale ». Celles-ci permettraient de prolonger les CDSG pour les étudiants intéressés par les enjeux de défense et de sécurité, afin d’approfondir leurs connaissances en la matière. Elles offriraient un suivi dans la durée, un ancrage dans le temps de la relation à la défense ainsi qu’une valorisation de l’engagement, par exemple via un baccalauréat option « défense nationale ».
Il nous semble évident que les élèves de ces sections participeront obligatoirement aux périodes de préparation militaire, composantes à part entière de la formation, ainsi qu’aux dispositifs proposés par les armées comme des stages de seconde. De telles sections seront aussi bien plus faciles à gérer par les armées qu’une multitude de CDSG, car leur nombre sera limité et elles s’inscriront dans les dispositifs militaires existants.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. La troisième composante porte sur un recensement obligatoire des compétences des jeunes s’inscrivant dans la durée. Aujourd’hui, le recensement de l’ensemble d’une classe d’âge intervient à 16 ans, mais les données recueillies sont très limitées et ne servent en pratique qu’à préparer la JDC. Or, il ne peut être exclu qu’un jour, une situation de crise exige un appel sous les drapeaux, toujours prévu par l’article L111-1 du code du service national.
Ainsi, à titre d’exemple, notre pays pourrait faire l’objet d’une cyberattaque massive, paralysant le fonctionnement de l’État. Dans cette situation, qui serait hautement dangereuse pour l’ordre public, la mobilisation de nombreux informaticiens serait probablement nécessaire, mais l’État serait dans l’incapacité de la décréter, ne sachant pas de combien d’informaticiens la France dispose, où ils sont situés et comment les contacter. Dans ces conditions, il est également difficile de bâtir un plan de gestion de crise. Il nous semble donc essentiel, dans la perspective d’une défense globale, que l’État dispose de plus amples informations sur les compétences disponibles dans notre pays.
Le recensement de la jeunesse n’a donc de sens que s’il s’inscrit dans la durée et surtout s’il contient des informations utiles sur les compétences des jeunes, qui ne sont souvent acquises qu’après 18 ans. Le recensement doit se poursuivre après les 18 ans jusqu’à un âge qui reste à déterminer, par exemple 30 ans. Concrètement, nous envisageons que ce recensement s’effectuerait à travers un formulaire à remplir en ligne chaque année.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Notre quatrième composante est la suivante : à leur majorité, il serait laissé le choix aux jeunes Français d’effectuer un service militaire ou, à défaut, un service civil. Le service militaire que nous proposons s’inspire librement du service militaire suédois, qui est sélectif : après le recensement des jeunes Suédois, l’armée sélectionne elle-même les jeunes dont elle estime avoir besoin.
Ce service militaire sélectif reposera sur les besoins exprimés par nos armées. Dans notre proposition, il reviendrait aux armées de définir chaque année le nombre d’appelés dont elles auraient besoin et de donner à ce service militaire la forme et la durée qu’elles souhaitent. Toutefois, notre proposition présente une différence majeure avec le modèle suédois : ce service militaire à la française serait volontaire, constituant ainsi un nouveau dispositif à destination de la jeunesse. La France n’est en effet pas dans la situation géopolitique de la Suède et des Pays baltes ; elle n’est pas exposée à une menace militaire immédiate qui nécessiterait une approche globale, obligatoire, du volet militaire.
L’ennemi n’est pas clairement identifié et la menace ne fait pas consensus pour les Français. Par conséquent, il faudra séduire les jeunes et les inciter à se porter volontaires. Le parcours citoyenneté renforcée pendant le cursus scolaire y contribuera. Il conviendra également que ce service militaire volontaire soit fortement valorisé, à travers de bonnes conditions de prise en charge et d’indemnisation ouvrant droit, par exemple, à des bourses d’études.
Il nous semble justifié que le jeune qui s’engagerait pour la défense de la nation voie celle-ci prendre en charge en retour au moins une partie du coût de sa future formation. Enfin, ce service militaire, pensé comme volontaire, présenterait un avantage en cas de crise majeure ou de graves difficultés de recrutement mettant en danger l’accomplissement par les armées de leurs missions.
S’appuyant sur le recensement en cas d’accroissement soudain et important des besoins des armées, celles-ci disposeraient de l’ensemble des instruments pour recruter les ressources nécessaires. À côté de ce service militaire, par définition limité dans le nombre de jeunes qu’il concernerait, nous estimons important d’impliquer les jeunes majeurs dans des activités d’intérêt général, au service de la nation.
En ce qui me concerne, j’envisage que ce service à la nation serait obligatoire pour tous les jeunes, qui auraient alors le choix entre le volet militaire sélectif et le volet civil. Indemnisé, ce volet civil pourrait s’étendre sur une période comprise entre trente et soixante jours, sur la tranche des 18-30 ans, soit au maximum un jour tous les deux mois et demi. Il ne s’agit donc pas d’un dispositif véritablement contraignant. Par ailleurs, ce service pourrait s’effectuer d’un seul tenant ou être étalé dans le temps. Concrètement, il pourrait être réalisé au sein de structures telles que les services de protection civile ou encore d’associations d’intérêt général portant sur la défense du patrimoine environnemental ou culturel.
Il fournira l’occasion pour les jeunes actifs de mettre leurs compétences au service de l’intérêt général et pour les étudiants d’acquérir une expérience supplémentaire valorisable, soit par un emploi, soit par une formation. Dans tous les cas, il montrera l’implication de la jeunesse au service de son pays.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Enfin, la dernière composante de notre parcours repose sur le constat largement partagé que les cérémonies nationales attirent peu de jeunes. Selon nous, il serait plus efficace d’associer directement les établissements scolaires à l’organisation de ces moments dédiés à la mémoire, qui pourraient avoir lieu dans leur enceinte ou à l’extérieur, tout en associant les parents d’élèves.
Cette cinquième composante viserait à faire prendre conscience à ces jeunes de leur histoire commune, à faire vibrer en eux une fibre nationale et, finalement, contribuerait à faire d’eux un même peuple. Comme pour les autres composantes, l’esprit de défense constitue l’objectif, car celui-ci se construit aussi en faisant aimer la France.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie et cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
M. Alexandre Dufosset (RN). Votre rapport permet d’aborder une question essentielle pour l’avenir de notre nation : la sensibilisation de la jeunesse à l’esprit de défense. Face à l’accélération de l’histoire à laquelle nous assistons depuis quelques mois, nous redécouvrons la nécessité de pouvoir nous défendre par nous-mêmes. Pour reprendre les mots du général Vuillaume, ancien chef d’état-major du gouverneur militaire de Paris, « Le peuple est le bras armé de l’esprit de défense ».
Or, aujourd’hui, des générations entières sortent de l’école sans contact réel avec l’armée, son histoire et sa mission, alors même que dans sa majorité, la jeunesse admire nos soldats et aspire à des engagements intenses, qu’ils soient civils ou militaires. Votre rapport propose la mise en place d’un continuum de formation et d’engagement, en première étape dans l’enseignement secondaire, à travers un enseignement moral et civique rénové qui intègre des heures de cours supplémentaires dédiées à l’engagement, à la sécurité nationale, à l’histoire militaire. En complément, des sections d’excellence « défense et sécurité nationale » permettront aux élèves volontaires d’aborder de manière encore plus approfondie les thématiques en question et de découvrir les métiers qui s’y rattachent. Toujours au niveau scolaire, les établissements seront systématiquement associés aux cérémonies nationales. La deuxième étape concerne un service à la nation, avec une composante militaire sur la base du volontariat et sur sélection, et une composante civile pour tous ceux qui ne choisirait pas la voie militaire.
Votre rapport dresse également le bilan du SNU qui, malgré la mobilisation des personnels, n’a pas atteint ses objectifs et s’avère inapproprié pour résoudre le défi de sécurité et de défense tel qu’il se pose aujourd’hui. Il faut alors aller de l’avant. Nous voulons donc une jeunesse française, éduquée, préparée, fière de son uniforme quand elle le porte, respectueuse quand elle le croise. C’est à cette condition que notre autonomie stratégique deviendra une réalité politique.
Monsieur le rapporteur, pour le service à la nation, vous privilégiez un format obligatoire plutôt que volontaire. Pouvez-vous nous expliquer ce qui motive cette préférence ?
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Je préconise effectivement que ce service à la nation soit obligatoire. Il comporte deux composantes : un volet militaire, sélectif et volontaire, et un volet civil. Cette obligation a pour objet de distinguer ce dispositif au sein du millefeuille existant. À titre personnel, je souhaite aussi éviter une fracture citoyenne : tous les jeunes Français doivent pouvoir y participer, qu’ils soient issus d’un quartier populaire, d’un quartier aisé, de la ruralité. Nous défendons également la mixité et l’inclusivité de ce service auprès des jeunes Français en situation de handicap. L’ensemble de ces raisons me conduisent à vouloir un service obligatoire.
Ce volet civil permettrait aux jeunes de s’intégrer dans certaines structures, notamment celles de la protection civile, qui manquent de bénévoles et peinent à recruter. Il s’agirait également de susciter des vocations, dans l’intérêt de ces structures, mais aussi de nos compatriotes.
M. Karl Olive (EPR). Nous traversons une époque troublée et savons qu’il ne s’agit là que de prémices d’un monde en recomposition. Ces tensions sont nourries par plusieurs dynamiques : la résurgence de la menace russe, la remise en cause de l’ordre international issu de la seconde guerre mondiale, le retrait progressif des États-Unis des affaires européennes, l’accélération des mutations technologiques et, enfin, les effets du changement climatique.
Mais au-delà des enjeux militaires, c’est une interrogation plus profonde qui traverse votre rapport : comment refaire nation ? Car la défense n’est pas seulement une affaire militaire, elle est aussi une affaire de cohésion et de conscience collective. Les anciennes générations ont su, lorsqu’il le fallait, s’unir derrière le drapeau tricolore pour défendre l’intégrité de notre pays.
Aujourd’hui, selon un sondage OpinionWay, 50 % des jeunes se déclarent prêts à s’engager dans l’armée en cas de conflit. Il faut saluer, mais aussi interroger ce chiffre. Il signifie qu’un jeune français sur deux ne se sent pas assez concerné par le salut de la France pour aller jusqu’à franchir le pas de l’engagement. Pourtant, les dispositifs existent : l’enseignement moral et civique, la JDC et le SNU constituent autant d’outils a priori utiles, mais dont votre rapport expose les limites. Tout cela manque de cohérence et de visibilité. C’est pourquoi votre proposition d’un parcours de citoyenneté à la culture de défense renforcé, structuré autour de cinq priorités centrées sur l’école mérite notre attention. Je souhaiterais m’arrêter sur la quatrième composante du parcours, celle d’un service à la nation généralisé, articulé autour de deux volets : un volet militaire sélectif et un volet civil obligatoire.
Pouvez-vous nous préciser davantage votre vision de ce service à la nation ? En quoi permettrait-il de répondre aux fractures sociales et identitaires que traverse notre pays ? Comment faire en sorte que ce service à la nation devienne un outil de cohésion et qu’il puisse répondre au défi de refaire nation ?
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Notre rapport étant une mission flash, nous ne sommes pas rentrés dans les détails des composantes de ce service à la nation. À date, j’estime que nous ne pouvons pas le rendre obligatoire. Je suis attachée à l’acculturation, et ce parcours citoyen constitue précisément selon moi un fil rouge qui permettra à nos jeunes d’être acculturés à la citoyenneté, à l’engagement et à la défense et ainsi devenir des citoyens éclairés.
Toutes les armées nous indiquent que de nombreux jeunes veulent s’engager, mais qu’elles ne peuvent pas aujourd’hui répondre positivement à toutes les demandes, notamment pour les préparations militaires. Nous considérons ce service à la nation comme une continuité de cette acculturation et de ce parcours, que nous concentrons sur le collège.
Le service civil ferait naître le goût de l’engagement, notamment au sein d’associations, mais aussi de collectivités locales ; le service national permettant de son côté une acculturation aux armées, au maniement des armes et à une éventuelle mobilisation de la population en cas de nécessité, demain.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Comment créer un esprit de défense et la cohésion nationale ? Le rapport préconise la modification de l’EMC, car aujourd’hui, les trente minutes de cours ou l’heure de cours sont souvent utilisées pour couvrir d’autres matières. Nous proposons à l’inverse de faire de l’EMC une matière à part entière, qui permettra d’établir cet esprit défense et de cohésion nationale.
Le service civique poursuit le même objectif. Dans ma circonscription, j’ai l’occasion de rencontrer de nombreux jeunes qui s’engagent auprès de la protection civile, des jeunes sapeurs-pompiers (JSP) ou des préparations militaires Marine (PMM) à Saint‑Mandrier-sur-Mer. Cette belle jeunesse s’engage, mais elle est aujourd’hui limitée, raison pour laquelle je préconise d’instaurer une obligation. En effet, je suis certain que de nombreux jeunes ne connaissent pas ces dispositifs. Grâce à l’école, aux cours d’EMC, mais aussi par l’obligation de service nationale, nous parviendrons à créer une véritable cohésion nationale.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). En premier lieu, votre rapport se rapproche beaucoup des travaux menés par Martine Étienne et Christophe Blanchet. Le fond et les constats se ressemblent, seules les propositions diffèrent. Au lieu de multiplier les rapports sur le même sujet, ne pourrait-on pas espérer voir un jour notre commission être directement saisie sur ces questions, par exemple sur le projet de loi qui concernerait le SNU ?
Sur le fond, hormis votre obsession assez malaisante des réseaux sociaux et de l’islamisme, et hormis la référence au sondage glauque sur le déclin de la France, une question essentielle reste en suspens : qu’entendez-vous par « esprit de défense » ? S’agit-il d’une espèce de mystique qui transcende les corps et les esprits de sujets exposés à cette discipline, comme cela aurait été le cas pour « les jeunes des quartiers nord de Marseille », jeunes qui semblent profondément vous étonner lorsqu’ils passent les portes d’une caserne ? J’ai du mal à comprendre en quoi il serait si surprenant que ces jeunes fassent preuve d’esprit de républicain, mais peut-être pourriez-vous m’éclairer à ce sujet ?
Concernant le SNU, vous développez à raison son inutilité et son dysfonctionnement – nous nous rejoignons sur ce sujet –, à mi-chemin entre une colonie de vacances et un camp scout. Il s’agit là d’argent public perdu pour l’école publique, une dépense superfétatoire. Mais étonnamment, alors que vous venez de terminer un rapport sur le sujet, vous écrivez qu’il reviendra au président de la République de définir l’avenir du SNU. Comme 95 % de la population, selon le sondage du rapport Étienne-Blanchet, souhaitez-vous vous aussi supprimer le SNU ?
Par ailleurs, s’agissant du service militaire, vous souhaitez organiser un recensement qui fonctionne comme un fichage en règle des adolescents, par le recueil de leurs données personnelles tous les ans via des fiches formulaire ou directement par le biais de la plateforme Parcoursup, dont nous prônons l’abrogation. Nous sommes contre une telle option.
Enfin, le service militaire que vous proposez n’est, à notre sens, pas adapté au contexte et à notre modèle d’armée. Un autre modèle est possible, celui d’une conscription citoyenne obligatoire à neuf mois, rémunérée au smic et proche du lieu de vie, mettant fin à l’éloignement du peuple des questions de défense et replaçant les jeunes au cœur des services publics. Nous voyons mal en quoi vos projets de militarisation et de domestication de la jeunesse permettent d’atteindre ces objectifs.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. D’abord, il est normal qu’à partir d’un constat commun, des députés différents émettent des propositions différentes.
Ensuite, vous parlez d’obsession sur l’islamisme. À titre personnel, je trouve ce propos particulièrement déplacé. Comment parler d’obsession, quand on connaît le nombre de Français tués à cause de l’islamisme ? Vous êtes hors sujet, mais nous en avons l’habitude.
Par ailleurs, vous avez évoqué le SNU. Dans le dispositif que nous proposons, ce SNU n’aurait pas vocation à être poursuivi. De manière plus polémique et toujours provocatrice, vous mentionnez un « fichage en règle de notre jeunesse ». Mais il ne s’agit en réalité que d’un recensement, qui est également utilisé à l’heure actuelle par l’administration des impôts, et que nous voulons prolonger dans le temps pour un certain nombre de raisons.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Monsieur Saint-Martin, notre rapport s’inscrit aujourd’hui dans une situation stratégique différente de celle qui avait cours lors des précédents rapports. À ce sujet, je fais preuve de cohérence, puisque dès 2023, j’avais déposé une proposition de loi visant à mettre en place un parcours citoyen, notamment pour remplacer les cours d’EMC.
Pour nous, l’esprit de défense concerne la défense globale, les valeurs et les principes de la République qui font de nous un peuple, nous font appartenir à la nation, un ensemble plus grand que les individus qui la composent, et des citoyens éclairés. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un grave crise démocratique, à laquelle nous ne viendrons jamais à bout si nous persistons avec des questions comme les vôtres.
Quand vous avez parlé de l’islamisme, en tant que Niçoise d’origine, je n’ai pu m’empêcher de penser avec beaucoup de tristesse à tous les anges qui sont morts sur la promenade des Anglais, à Samuel Paty et à tant d’autres. Votre réaction est nourrie d’idéologisme.
S’agissant du SNU, j’ai considéré dès le début qu’il s’agissait d’une erreur. Il n’est pas universel, dans la mesure où il est basé sur le volontariat. Je sais que des propositions à son égard seront effectuées dans les semaines prochaines, mais pour ma part, je pense qu’il n’a plus de raison de deux de perdurer.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Au nom de mon groupe, la Droite Républicaine, je vous remercie pour votre travail sur la sensibilisation à la jeunesse à l’esprit de défense.
Le nouveau programme d’EMC n’aborde qu’à deux reprises la souveraineté nationale et la défense, en classes de quatrième et de première, dans le cadre de chapitres qui abordent également bien d’autres sujets tels que la police, l’environnement et la décentralisation. Autrement dit, dans l’ensemble de leur scolarité, les élèves français auront moins de quatre heures de cours consacrés aux questions de défense, et seulement si le programme est entièrement traité par l’enseignant.
Le monde dans lequel nous vivons est marqué par une nouvelle forme de conflictualité, qui nécessite de développer un esprit de défense au sein de notre population. Le nouveau programme d’EMC ne permet pas de répondre à cet impératif d’éveil à la sécurité nationale de nos jeunes concitoyens. Madame la rapporteure, vous proposez de créer un cours à part entière de culture citoyenne et de défense. Ce rapport fixe les grandes lignes de ce cours, mais pouvez-vous nous en préciser le contenu ?
Mme Alexandra Martin, rapporteur. La diversité des thématiques abordées dans le nouveau cours d’EMC tel qu’il a été défini en 2024 ne permet pas de se concentrer sur un sujet. De plus, ces cours étant prodigués principalement par des professeurs d’histoire-géographie, ils profitent de ces heures pour achever leur programme.
Dans une finalité d’esprit et de volonté de défense, nous estimons qu’il faut mettre en place un cours qui s’attache à la compréhension par chacun de son rôle de citoyen, ainsi qu’aux enjeux de sécurité et de défense en France, en Europe et dans le monde, par le prisme d’exercices pratiques. C’est la raison pour laquelle nous pensons que cette heure de culture citoyenne et défense doit pouvoir être rassemblée en un volume d’heures plus importants. Par exemple, une fois par mois, il serait possible d’aller hors les murs, sur des monuments patriotiques et historiques ; ainsi que faire venir des soldats, des gendarmes. Il s’agit ainsi de montrer aux enfants qu’ils ont des droits, mais également des devoirs.
Nous avons esquissé un programme de culture citoyenne et défense pour le collège, avec en sixième, l’apprentissage des bases de la citoyenneté et de la défense, le respect, la coopération, les symboles de la République, la mémoire, les commémorations ; en cinquième la liberté, la justice et la sécurité, les droits fondamentaux et libertés publiques, le rôle de la justice et de la loi ; en quatrième, la défense, la sécurité et l’engagement avec les institutions, les menaces actuelles, la mémoire nationale et la transmission ; et en troisième, la citoyenneté, la géopolitique et l’engagement, la démocratie en France et dans le monde, la place de la France dans le monde. Nous croyons aussi dans la valorisation de ce parcours, dont le prolongement naturel serait la remise d’un diplôme. Enfin, cette matière constituerait une matière à part entière au sein du brevet des collèges.
Mme Anna Pic (SOC). Votre rapport souligne que les trois principaux dispositifs existants en la matière – la JDC, l’EMC et le SNU – souffrent de plusieurs limites. Elles sont notamment liées à l’hétérogénéité des acteurs intervenants et à la façon dont ils s’emparent ou non de ces dispositifs, ou encore à des raisons organisationnelles. Paradoxalement, ce sont deux dispositifs, plus secondaires qui trouvent grâce à vos yeux : les CDSG et les préparations militaires, malgré une disponibilité militaire limitée.
Pour tenter de corriger ce constat, vos propositions consistent à créer un parcours de citoyenneté que vous estimez plus cohérent, aux finalités plus claires. À vous entendre, je m’interroge sur votre définition de la culture de défense et de la sécurité. Vous semblez enclins à inviter notre jeunesse à s’enrôler. Or nous avons besoin d’une société résiliente, consciente des ingérences possibles de puissances étrangères dans leur quotidien, capable d’analyser les menaces de déstabilisation de notre démocratie et de notre République, capable de s’investir dans la cohésion sociale qui fait sa force. Mais nous n’avons pas nécessairement besoin d’une jeunesse qui se projette sous le feu. L’ensemble des disciplines enseignées dans les établissements scolaires permettent cette résilience.
Si l’idée de sensibiliser la jeunesse à anticiper les risques et menaces est tout à fait pertinente, sur quelles données vous appuyez-vous pour affirmer que notre jeunesse se serait éloignée de l’esprit de défense, depuis la fin du service militaire ? Votre proposition de service à la nation obligatoire dans son volet civil pour ceux qui n’auraient pas intégré le volet militaire ne va-t-elle pas encore affaiblir un service civique déjà malmené depuis plusieurs années ?
Quel dispositif proposez-vous de supprimer dans l’éventualité où votre proposition verrait le jour ? Enfin, votre rapport ne dit rien des places que pourrait prendre la réserve militaire dans un contexte de renforcement acté à l’occasion de la dernière loi de programmation militaire (LPM) ? La même question se pose concernant l’éducation populaire ou encore nos entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Nous avons besoin que nos jeunes soient aussi sensibilisés à ces métiers de l’industrie.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. À écouter votre question, je ne suis pas certain que vous ayez lu le projet de rapport. Vous me reprochez de vouloir enrôler notre jeunesse dans les armées, alors que notre idée de service à la nation repose d’une part sur un service militaire sur la base du volontariat et, d’autre part, sur un service civil permettant aux jeunes de s’engager auprès d’associations de défense environnementale, de défense du patrimoine, de protection civile. Ne caricaturez pas notre proposition : le service militaire n’est pas obligatoire, seul le service à la nation l’est.
Notre jeunesse a des droits, mais également des devoirs. Il ne me paraît pas hors de propos de demander à un jeune de s’impliquer un jour tous les deux mois et demi, entre 18 et 30 ans, au service de la nation et des Français.
Notre mission étant une mission flash, nous n’avons pas pu rentrer dans le détail de tous les dispositifs. Certains devraient certainement être soutenus, d’autres devraient être fusionnés et même supprimés. Enfin, vous avez mentionné des objets qui ne figurent pas dans le rapport pour la simple raison qu’ils ne sont pas au cœur du sujet auquel nous nous sommes attachés.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Je partage ces propos. Dans notre rapport, nous avons voulu mettre en exergue la cohérence et l’importance de la finalité. J’ai déjà donné mon avis personnel sur le SNU. Au-delà, nous ne proposons pas de supprimer des dispositifs, mais de les mettre en cohérence, autour d’une colonne vertébrale symbolisée par les composantes que nous vous avons présentées. Enfin, l’acculturation dont je parlais permettra de susciter l’intérêt des jeunes à l’égard des réserves.
M. Damien Girard (EcoS). Nous vous remercions pour ce rapport qui souligne la nécessité du lien armée-nation. Notre armée doit être davantage en lien avec la société, notamment sa jeunesse, condition de sa légitimité comme de son efficacité.
Si nos forces armées peuvent faire face à des difficultés sur des compétences spécifiques de recrutement, elles ne manquent pas de professionnels, de façon significative. Je vous rejoins donc sur l’absence de pertinence, dans le contexte actuel, d’un service militaire obligatoire. Cependant, le service civil obligatoire d’un mois ou deux que vous proposez ne semble pas répondre à un besoin national précis, mais constitue une forme de SNU obligatoire à l’objectif flou, sans lien avec les enjeux de défense.
Notre territoire fait face à des risques accrus de gestion de crise : incendies, épidémies, températures extrêmes et autres phénomènes climatiques majeurs. Nos militaires ne doivent pas être sur-mobilisés pour ces missions. Dans ce contexte, quel serait votre regard sur la création d’une véritable réserve civile, sur le modèle de la réserve opérationnelle militaire, qui répondrait à un besoin réel sur le territoire national ?
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Je ne partage pas vos propos : le service civil ne correspond pas à un SNU obligatoire. Le service civil que nous proposons a pour objet d’envoyer des jeunes sur le terrain, notamment auprès de la protection civile ou des JSP. Ce faisant, ce service civil répond à un besoin : les structures de protection civile manquent de bénévoles aujourd’hui, notamment de jeunes bénévoles.
M. Christophe Blanchet (Dem). Je suis à la fois rassuré et circonspect. Je suis rassuré parce que votre rapport partage le constat que nous avions établi il y a un an avec ma collègue Martine Étienne, mais demeure circonspect car depuis un an, les menaces ont augmenté.
Vous avez mis l’accent sur la volonté de défense nécessaire et je vous rejoins entièrement. Mais pour faire preuve de cette volonté défense, encore faut-il qu’il existe un esprit de défense. Or, aujourd’hui, cet esprit de défense n’existe pas globalement au sein de la population. À ce titre, il faut cesser de stigmatiser la jeunesse.
Les cours d’EMC évoquent la défense sociale, mais ils sont contraints de traiter un nombre de sujets trop nombreux. Symboliquement, ne faudrait-il pas déjà en changer le nom, pour parler « d’éducation patriotique » ? Ensuite, vous avez évoqué le millefeuille des dispositifs existants. Ne devraient-ils pas être simplifiés, notamment par la nomination d’un délégué interministériel auprès du premier ministre qui serait chargé de faire la lumière sur ces aspects ?
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Cher collègue, nous avons naturellement relu votre précédent rapport, mais l’état des menaces est aujourd’hui différent. Pour ces raisons, nous avons intégré au cœur de nos propositions les notions d’enseignement à la défense, d’esprit de défense, de cohésion nationale. Au terme « éducation patriotique », nous privilégions celui de « culture citoyenne et défense ».
Ensuite, il convient effectivement de mener un travail sur ce millefeuille, mais les dispositifs de préparation militaire ou des classes défense, s’ils ne peuvent être implantés partout, demeurent de bons dispositifs, qu’il convient de mettre en cohérence. Enfin, je suis attachée à l’idée d’une classe spécialisée sur la défense, au collège comme au lycée.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). Je vous remercie pour vos propositions et vos analyses ; j’en partage certaines. Je souhaiterais en préambule rappeler deux éléments. D’abord, le service militaire tel que nous l’avons connu n’est pas souhaitable, mais il est également impossible à réaliser.
Les jeunes ont envie de s’engager. Ils le font déjà, mais peut-être convient-il de les accompagner, afin qu’ils aillent encore plus loin en matière de développement durable, de protection civile, de culture générale et géopolitique et d’inclusion, et leur donner encore plus confiance, sans nécessairement vouloir tout militariser. Avant toute autre chose, il importe de bien définir ce que nous voulons faire. Si tel n’est pas le cas, nous perdrons de l’énergie, du temps et de l’argent.
La résilience de la nation figure au cœur de la mise à jour de la revue nationale stratégique, qui ne pourra pas intervenir sans prendre en compte la jeunesse. De quelle manière pourrons-nous embarquer davantage l’éducation nationale ? Ensuite, je crois beaucoup à l’engagement volontaire ; notre groupe soutient cette idée. Estimez-vous intéressant et nécessaire que la commission de la défense nationale puisse se saisir de ce sujet à travers une mission, afin de fixer le cadre de cet engagement volontaire ?
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Chère collègue, nous partageons les mêmes constats. Vous avez raison d’insister sur la finalité, c’est-à-dire la résilience de la nation, laquelle passe évidemment par l’éducation de nos jeunes à la défense, à la citoyenneté et à l’engagement.
Qu’attendons-nous de l’éducation nationale ? Nous attendons d’elle qu’elle s’empare de ces sujets et qu’elle puisse mieux se former, à la fois en formation initiale, mais aussi en formation continue. Il existe déjà des plateformes à la disposition des enseignants, qui demeurent insuffisamment utilisées. Nous attendons également qu’ils emploient les ressources existantes dans les départements pour rendre les cours de culture citoyenne et de défense plus vivants.
Les différentes personnalités auditionnées nous ont expliqué qu’un lien très fort est en train de s’établir entre l’éducation nationale et les armées, ce dont il faut évidemment se féliciter.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons maintenant à une séquence de six questions complémentaires, en commençant par une première série de trois questions.
M. Pascal Jenft (RN). Je me permets tout d’abord de vous féliciter pour la qualité de votre travail. Dans votre rapport, vous évoquez la possible création d’un service à la nation pour tous les jeunes Français. Ils auraient ainsi la possibilité d’opter pour un service militaire ou bien un service civil. Cela pourrait leur permettre de construire leur esprit de défense et de services rendus à la nation.
Monsieur le rapporteur, vous évoquez un service à la nation obligatoire. Or, une obligation implique une sanction en cas de non-respect de celle-ci. Quel type de sanctions préconisez-vous en cas de non-respect du service à la nation?
Mme Stéphanie Galzy (RN). Depuis la suspension du service militaire en 1997, le débat sur le service national suscite de nombreuses attentes dans notre pays, tant il touche à la cohésion nationale, à l’engagement civique et à la résilience de notre société. Votre proposition de mise en place d’un service à la nation pour les jeunes Français s’inscrit dans une vision à long terme que je salue. Il renoue en partie avec un héritage républicain d’intégration et de formation, tout en cherchant à l’adapter aux réalités contemporaines.
Néanmoins, un point mérite d’être éclairci. Alors que certains de nos voisins européens ont récemment rétabli un service militaire obligatoire face à des menaces géopolitiques directes, vous formulez une proposition ambitieuse reposant sur une composante militaire sélective et, à défaut, une composante civile. Dès lors, il semble nécessaire de comprendre ce qui a motivé cette orientation afin d’éclaircir pleinement nos concitoyens sur la nature et les ambitions de ce nouveau modèle. Pourquoi avoir fait le choix d’écarter un service militaire obligatoire pour tous ? Quel diagnostic a conduit à cette architecture particulière du projet ?
M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC). La sensibilisation des jeunes à l’esprit de défense représente un enjeu majeur. Elle ne se décrète pas, mais se construit aussi dans la durée par des parcours concrets, incarnés et valorisés. Plus que l’incantation, la démonstration par l’exemple est souvent bien plus efficace. Le lien armée-nation ne doit pas être à sens unique, mais bien réciproque.
Je souhaite ici évoquer un exemple étranger pouvant nous inspirer dans une certaine mesure, la Reserve Officers Training Corps (ROTC) américaine, où l’engagement militaire est intégré au parcours universitaire, en contrepartie de bourses d’études substantielles. Ce dispositif attire des jeunes de tous horizons et leur permet de découvrir l’armée et d’en partager les valeurs, sans pour autant renoncer à une trajectoire civile. Il permet aussi de travailler l’attractivité sur des profils spécifiques, particulièrement recherchés. Pourquoi ne pas imaginer un modèle français adapté, combinant excellence académique et esprit de défense, notamment dans les universités ou les grandes écoles ? Cela permettrait d’enraciner profondément et positivement la culture de défense dans notre jeunesse.
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. Puisque je propose un principe d’obligation, celui-ci prévoit nécessairement une sanction pour les jeunes qui refuseraient de s’y soumettre.
Je rappelle que ce dispositif est prévu pour s’étendre au maximum soixante jours, pour des personnes âgées de 18 à 30 ans, soit un jour tous les deux mois et demi, ce qui ne me semble pas extrêmement contraignant. En outre, cette période pourrait être suivie soit en bloc, soit de manière étalée dans le temps.
Enfin, je suis convaincu que si nous mettons en place ces cours d’EMC dès le collège, nous pourrons apporter à ces jeunes cet esprit de défense et d’implication auprès de la société. Ensuite, à 18 ans, le service national prendra le relai. Honnêtement, je ne pense pas que les jeunes, dans leur grande majorité, refuseraient de le suivre. Les sanctions éventuelles devraient être mesurées, proportionnées. Il pourrait s’agir d’une amende pécuniaire ou de travaux d’intérêt général correspondant au service national qu’ils n’auraient pas suivi.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Madame Galzy, nous appelons de nos vœux un service à la nation moderne, adapté aux enjeux actuels et à la sociologie de nos jeunes. À ce titre, nous pensons que les jeunes ne sont plus à même d’accepter une césure et nous nous sommes fortement inspirés du modèle suédois.
Monsieur Saint-Pasteur, le parcours, doit naturellement se poursuivre jusque dans les études supérieures. De notre côté, nous avons décidé d’insister sur le collège, car nous estimons que dans cette tranche d’âge, les jeunes sont plus réceptifs.
M. Yannick Chenevard (EPR). Au moment où nous pourrions devoir affronter des heures sombres, votre rapport tombe à point nommé. Il nous rappelle d’ailleurs nos devoirs en tant que citoyens, au service de du pays. L’organisation de la sécurité civile en France repose sur deux piliers : 250 000 sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, et 250 000 bénévoles des associations agréées de sécurité civile. Ainsi, 500 000 personnes peuvent concourir à la résilience de la nation.
Vous avez évoqué la possibilité pour les jeunes citoyens de s’inscrire dans cette logique, ce qui nous permettrait peut-être de retrouver l’esprit de défense passive et de défense civile, dont la nation a besoin pour sa résilience. Par quels mécanismes voudriez-vous y parvenir ?
Mme Delphine Batho (EcoS). L’étude qui fait référence sur le sujet est celle réalisée par Anne Muxel. Elle brise en effet toutes les idées reçues sur la jeunesse, dont le potentiel est immense. En particulier, depuis les attentats de 2015, la jeunesse fait preuve d’une grande maturité dans son rapport aux questions de sécurité et de défense nationale.
La question de l’engagement de la jeunesse pour le pays ne peut pas être séparée de son état de santé. Je rappelle que dans notre pays, certains étudiants ne mangent même pas à leur faim. Ensuite, tous les gouvernements successifs ont connu des échecs dans l’établissement de dispositifs « par le haut », qu’il s’agisse de service civique ou de SNU. Peut-être convient-il de changer de logique et de soutenir les acteurs de terrain. Tous les ans, les demandes d’intégration des jeunes sapeurs-pompiers dépassent les offres disponibles. Pourquoi ne pas confier plus de moyens aux pompiers ? Enfin, l’enjeu majeur d’attractivité des forces armées auprès de la jeunesse passe par le recrutement massif de femmes.
M. Christophe Blanchet (Dem). Comment considérez-vous le fait qu’aujourd’hui, 75 % des enseignants ne jugent pas nécessaire d’évoquer la défense nationale à l’école ? Ensuite, s’agissant du service national obligatoire, je suis favorable aux modèles suédois et estonien, qui reposent sur une sélection. Pourquoi les armées ne seraient-elles pas en mesure d’indiquer le nombre de jeunes dont elles auraient besoin ? Enfin, nos travaux ne mériteraient-ils pas de s’inscrire dans le débat que le premier ministre a ouvert sur la question suivante : qu’est-ce qu’être Français ?
M. Frédéric Boccaletti, rapporteur. M. Chenevard, compte tenu du caractère « flash » de notre mission qui a duré quelques semaines, nous n’avons pas pu approfondir le sujet des mécanismes. Cependant, à partir du moment où des jeunes devront effectuer un service civil, ils pourront être impliqués dans des associations de sécurité civile.
Mme Alexandra Martin, rapporteur. Madame Batho, je partage avec vous l’idée que la jeunesse dispose d’un potentiel immense. L’état de santé, physiologique et mental, mais aussi le niveau académique de nos jeunes doivent être pris en compte.
Je partage également la nécessité de soutenir les acteurs de terrain, notamment les jeunes sapeurs-pompiers. Il convient d’ailleurs de leur donner plus de moyens, car ils représentent un formidable levier d’engagement. La féminisation est également au cœur de nos préoccupations ; nous considérons à ce titre que le service national à la nation, quelle que soit sa version militaire ou civile, doit naturellement s’ouvrir aux femmes.
Monsieur Blanchet, nous avons naturellement regardé votre sondage avec un grand intérêt. Cependant, aujourd’hui, l’état d’esprit des professeurs a fortement changé. L’éducation nationale et les armées nous disent unanimement que ces professeurs sont désormais prêts, notamment parce qu’ils ont été touchés eux-mêmes dans leurs cœurs et dans leur corps.
Enfin, nous avons été séduits par le modèle suédois et je pense que des propositions allant dans ce sens seront formulées.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie.
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Information relative à la commission.
Mme Anna Pic est nommée rapporteure pour avis sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise (sous réserve de son dépôt).
La séance est levée à onze heures trois.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Delphine Batho, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Manuel Bompard, M. Philippe Bonnecarrère, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Alexandre Dufosset, Mme Sophie Errante, M. Yannick Favennec-Bécot, Mme Stéphanie Galzy, M. Frank Giletti, M. Damien Girard, M. Daniel Grenon, M. David Habib, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Loïc Kervran, M. Abdelkader Lahmar, Mme Anne Le Hénanff, Mme Gisèle Lelouis, M. Julien Limongi, M. Sylvain Maillard, Mme Michèle Martinez, Mme Alexandra Martin, M. Karl Olive, Mme Anna Pic, Mme Josy Poueyto, Mme Marie Récalde, Mme Catherine Rimbert, M. Arnaud Saint-Martin, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Romain Tonussi, Mme Corinne Vignon
Excusés. – Mme Anne-Laure Blin, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Alma Dufour, M. Emmanuel Fernandes, M. Guillaume Garot, Mme Lise Magnier, M. Philippe Naillet, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Jean-Louis Thiériot, M. Boris Vallaud