Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Caroline Krajka, sous‑directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles, au ministère de l’Europe et des affaires étrangères (cycle « Espaces maritimes et enjeux de défense ») 2
Mercredi
7 mai 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 62
session ordinaire de 2024‑2025
Présidence
de M. Jean‑Michel Jacques,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à onze heures deux.
M. le président Jean‑Michel Jacques. Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle consacré aux espaces maritimes et aux enjeux de défense avec l’audition de Mme Caroline Krajka, sous‑directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
Le droit de la mer est largement coutumier, il constitue l’une des branches les plus anciennes du droit international public, mais s’est longtemps limité au seul principe de la liberté de navigation en haute mer. Ce n’est qu’au XXe siècle, avec le progrès technique de l’exploitation des ressources comme les hydrocarbures et leurs risques pour l’environnement marin, ainsi qu’avec la multiplication des revendications territoriales, que la nécessité de codifier le droit de la mer a vu le jour. Aujourd’hui, ce droit repose principalement sur deux Conventions des Nations unies : la Convention des Nations unies du droit de la mer (CNUDM), dite Convention de Montego Bay, et le Traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (Marine Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction, BBNJ).
Nous observons toutefois aujourd’hui un mouvement de remise en cause de ce droit, et notamment de la logique de coopération internationale. La liberté de navigation en particulier fait face aux tentatives de déni d’accès mis en œuvre par la Chine en mer de Chine méridionale, tandis que les attaques répétées des Houthis en mer Rouge provoquent une insécurité majeure sur cette voie stratégique du commerce maritime. Nous notons par ailleurs que le 24 avril dernier, dans un contexte de compétition pour l’accès aux ressources et à l’exploitation des grands fonds marins, le président Trump a signé un décret allant à l’encontre de la Convention de Montego Bay.
Mme Krajka, nous aimerions également en savoir plus sur les dispositions concernant la protection des infrastructures sous‑marines – câbles de télécommunications, pipelines – qui sont essentielles à l’économie mondiale et qui sont aussi sources de vulnérabilité pour notre démocratie en cas de sabotage. Enfin, le changement climatique fait également l’objet de nos préoccupations.
Mme Caroline Krajka, sous‑directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles, au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. À l’occasion des Assises de l’économie de la mer à Montpellier, en 2019, le Président de la République a indiqué : « Le XXIe siècle sera maritime. C’est sur cet espace que la France aura à se penser, à se vivre. ». La sous‑direction du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles du Quai d’Orsay, contribue à ce que la France se pense et se vive dans cet espace au sein duquel le droit international joue un rôle essentiel puisque la CNUDM définit le cadre juridique dans lequel doivent s’inscrire toutes les activités intéressant les mers et les océans, comme le rappelle chaque année l’Assemblée générale des Nations unies.
L’un des principaux apports de la CNUDM porte sur la stabilisation de la classification des différents espaces maritimes auxquels s’appliquent des régimes juridiques spécifiques qui permettent ou contraignent l’exercice de droits et libertés. La CNUDM, dont la ratification par 170 parties assure une autorité universelle, est ainsi fondée sur la recherche constante de l’équilibre entre exercice des droits et libertés.
Trois accords d’application ont été adoptés à ce jour : l’Accord relatif à l’application de la partie XI de la Convention, adopté en 1994, précisant les dispositions institutionnelles prévues par la CNUDM portant sur l’exploitation des ressources minérales des fonds marins au‑delà de la juridiction des États ; l’accord dit « des stocks chevauchants », adopté en 1995 ; l’accord pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (BBNJ) adopté en 2023, portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.
Un système multilatéral robuste et vivant est nécessaire, afin que prennent pleinement effet les dispositions portées par la CNUDM, sur la base desquelles des décisions communes, fruits de négociations multilatérales, sont prises et s’appliquent à un espace interconnecté. La France défend constamment l’unicité et l’universalité de ce cadre juridique, essentielles pour la préservation de ses intérêts, et menacées par les actions de certains acteurs.
C’est dans ce cadre que ma sous‑direction contribue à la poursuite de la délimitation de nos espaces maritimes, condition sine qua non de leur sécurisation ; contribue, par ses analyses juridiques et la production d’avis, à éclairer les décisions prises en matière de préservation de la liberté de navigation mais également de la sécurité de celle‑ci dans les espaces où elles sont menacées ; et travaille à la création d’un cadre robuste permettant de faire face aux enjeux contemporains liés, entre autres, à la préservation de l’environnement et au changement climatique.
S’agissant de la délimitation de nos espaces maritimes, mais également de l’extension du plateau continental, nous travaillons avec les autres services concernés, notamment du ministère des outre‑mer, du ministère des armées et le Secrétariat général de la mer, afin de finaliser le tracé de nos frontières maritimes. Le travail interne relatif à l’accord signé avec les Pays‑Bas en 2023 pour la délimitation au titre de Saint‑Martin est en cours de réalisation, afin qu’il puisse vous être soumis pour approbation. Nous échangeons régulièrement avec nos voisins sur ces sujets, que ce soit avec le Royaume‑Uni, l’Italie, l’Espagne, ou encore Samoa. De même, le travail mené dans le cadre du programme d’extension raisonnée d’extension du plateau continental (Extraplac) piloté par le Secrétariat général de la mer, est fondamental, à l’heure où certains veulent s’affranchir du droit international pour exploiter les fonds marins. Nous avons déjà bénéficié de huit recommandations de la part de la Commission des limites du plateau continental, préalable fondamental à la concrétisation de l’extension, et le dossier relatif à l’extension au large de Wallis et Futuna devrait normalement être examiné à partir de 2026.
Ces délimitations constituent le préalable pour déterminer sur quel espace la France dispose d’un titre de compétence, et qui permet sur le plan juridique, une sécurisation de ces espaces plus ou moins aisée en fonction du régime applicable. Ainsi, en mer territoriale, les États côtiers exercent pleinement leur souveraineté, et peuvent mettre en œuvre leur législation nationale. Les navires battant pavillon étranger y jouissent néanmoins d’un droit de passage inoffensif qui ne peut être encadré que dans certains domaines limitativement énumérés par la Convention de Montego Bay, par exemple la sécurité de la navigation et la sécurité du trafic, la protection des câbles et des pipelines, ou encore la conservation des ressources biologiques et la préservation de l’environnement.
À l’inverse, dans la zone économique exclusive (ZEE) et en haute mer, la liberté de navigation prime, avec l’application du principe de la juridiction exclusive de l’État du pavillon. Les États côtiers jouissent dans leur ZEE de droits souverains et n’ont juridiction que dans certains domaines, notamment la protection et la préservation du milieu marin. Seuls les États du pavillon ont juridiction à bord des navires naviguant en ZEE et en haute mer, sauf dans certains domaines – notamment la piraterie et le trafic d’esclaves. Un navire de guerre d’État ne peut ainsi arraisonner un navire battant le pavillon d’un État tiers au titre de la CNUDM seulement s’il le soupçonne de s’adonner à des actions relevant de ces domaines.
En dehors de ces cas précis, et notamment en matière de trafic de drogue, d’êtres humains ou d’armes, d’autres cadres juridiques peuvent s’appliquer : des Conventions multilatérales, des accords bilatéraux, ou des dispositions spécifiques établies dans le cadre de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous travaillons avec les administrations en charge de l’action de l’État en mer pour expertiser ces cadres juridiques et permettre la conduite d’opérations. Ainsi, des discussions sont en cours avec les Pays‑Bas pour favoriser la coopération en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants au large de Saint‑Martin, une réflexion est menée concernant l’autorisation d’embarquer des agents étrangers pour faciliter la conduite des opérations.
La sécurisation de nos espaces maritimes vise aussi la sécurisation de nos infrastructures sous‑marines critiques, au premier lieu desquels les câbles de télécommunication et électriques. Ceux‑ci assurent 99 % du flux de données intercontinental ou permettent l’intégration des marchés de l’électricité des États, renforcent la sécurité d’approvisionnement et acheminent les énergies renouvelables en mer vers le rivage. La France est concernée puisqu’environ trente câbles de télécommunication atterrissent sur le territoire métropolitain et que deux entreprises leaders, Alcatel Submarine Networks et Orange Marine, sont françaises. Les récents évènements en mer Baltique ont néanmoins démontré la complexité d’assurer la protection d’infrastructures localisées dans des espaces où s’applique le régime de liberté de navigation. Des discussions sur le cadre juridique actuel, et les meilleurs moyens de le mobiliser pour faire face à ce phénomène, ont actuellement lieu dans différents forums, notamment les meilleurs moyens pour attribuer ces actes aux entités suspectées, et pour mettre en œuvre des mesures concrètes de protection effective de ces infrastructures.
De plus, les avancées technologiques en la matière, avec le développement des technologies dites SMART (Sensor Monitoring and Reliable Telecommunications) et de mesure acoustique distribuée (DAS), permettant le recueil de plusieurs types de données (pression, température, mais aussi trafic maritime et activités sismiques), donnent à ces câbles un caractère multi‑usage présentant de vifs intérêts de sécurité. La question du régime juridique applicable à de tels câbles fait également l’objet de discussions.
La protection de la liberté de navigation est essentielle afin de permettre la libre circulation de nos navires de guerre et d’État, mais également pour préserver le commerce international et la sécurité des navires de commerce, et l’exercice des autres libertés de la haute mer, comme la recherche scientifique marine ou la pose de câbles et de pipelines. Ainsi, la France défend avec constance une interprétation de la CNUDM garantissant l’exercice uniforme des différents droits et libertés de navigation aujourd’hui menacés dans certains espaces comme la mer de Chine méridionale ou le golfe d’Aden.
Par sa présence et son action dans tous les océans, la France contribue au maintien de ces droits et libertés, ce qui implique notamment que soit assurée la sécurité de la navigation. À ce titre, notre mission consiste à éclairer le gouvernement sur le cadre juridique applicable aux différents espaces dans lesquels se matérialisent des menaces. En effet, les règles de droit international applicables peuvent relever de la CNUDM mais également de dispositions adoptées dans le cadre de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ; c’est notamment le cas s’agissant des régimes spécifiques qui s’appliquent dans le cadre de la mise en œuvre d’embargos, ou qui ont pu s’appliquer pour faire face au phénomène de piraterie au large de la Somalie. Les analyses alimentent aussi les négociations menées en vue de lancer des opérations en coopération, qu’elles soient conduites dans un cadre multilatéral, comme le cadre des « forces maritimes combinées » pour lutter contre les trafics de stupéfiants dans le nord‑est de l’Océan Indien ; dans un cadre européen à l’image de l’opération Irini, dont la tâche principale est de participer à la mise en œuvre de l’embargo sur les armes à destination de la Libye ; ou encore dans un cadre bilatéral, à l’image d’opérations pour lutter contre le trafic de drogue par voie maritime conduites en coopération avec la Colombie depuis plusieurs années.
La sécurité et la sûreté maritime nécessitent ainsi un cadre commun, global et, autant que faire se peut, universellement reconnu. La navigation commerciale est ainsi largement réglementée par les dispositions relevant du cadre Conventionnel issu de l’Organisation maritime internationale (OMI), agence spécialisée des Nations unies, qui garantit notamment des standards de sécurité à même de prévenir les risques pesant sur les activités maritimes ainsi que les risques environnementaux liés aux accidents de navigation.
C’est dans ce cadre que sont actuellement menées les réflexions relatives au futur cadre juridique international applicable aux navires autonomes, qui soulèvent de nombreuses questions. Le respect de la réglementation issue des Conventions de l’OMI par la flotte mondiale dessine, en creux, la carte des acteurs – étatiques ou non – qui opèrent en dehors des règles et constituent ce qui a pu être qualifié de « flotte fantôme ». La flotte fantôme et son expansion affectent tant l’efficacité des régimes de sanctions européens ou relevant du cadre des Nations unies que celle du cadre Conventionnel établi par l’OMI. Dans la mesure où les navires qui la composent sont engagés dans des opérations illicites variées, incluant la pêche illicite, non‑déclarée et non‑réglementée (INN) ou les transferts de bord‑à‑bord, ils constituent des menaces tant pour l’environnement marin que pour la sécurité de la navigation maritime.
Nos intérêts de défense en mer sont également affectés par des défis nouveaux, corollaires des enjeux contemporains globaux, au premier titre desquels le changement climatique. La diminution de la banquise estivale pourrait favoriser à terme la navigation dans les eaux arctiques et ouvrir la voie à l’utilisation de voies maritimes nouvelles. Il en est question pour la route maritime du Nord, ou « passage du Nord‑Est », qui relie l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en longeant la côte nord de la Sibérie jusqu’au détroit de Béring ; mais également du passage du Nord‑Ouest ou de la route la plus directe qui passerait par le pôle Nord.
Néanmoins, ces nouvelles voies maritimes présenteront toujours des risques pour la navigation du fait notamment de conditions climatiques extrêmes (augmentation des glaces dérivantes, modification des courants, obscurité) et de la faible cartographie actuellement disponible. L’intensification de la navigation commerciale empruntant ces voies nous semble peu probable, à court terme.
Comme le rappelle la stratégie nationale polaire adoptée en 2022, la France est fondamentalement attachée à la défense et l’application du droit international dans cet espace comme partout ailleurs. La Convention de Montego Bay s’y applique, et la France défend le respect de la souveraineté des États arctiques et l’application des Conventions et traités internationaux. Le maintien et la garantie de la liberté de la navigation en Arctique revêtent une importance stratégique pour la France, laquelle ne reconnaît pas la légitimité de mesures que pourraient prendre les États côtiers qui contreviendraient au droit de la mer ou constitueraient une distorsion de son application uniforme.
Plusieurs États (Russie, Danemark, Canada) ont déposé des dossiers auprès de la Commission des limites du plateau continental (CLPC) en vue d’étendre leur plateau continental respectif. Le chevauchement de certaines de ces revendications se matérialise singulièrement en Arctique. Les cinq États côtiers de la région (États‑Unis, Russie, Canada, Norvège, Danemark au titre du Groenland) se sont néanmoins engagés en 2008 à respecter les principes du droit de la mer pour régler leurs éventuels différends dans la région.
Enfin, la protection de l’environnement marin constitue un enjeu majeur du droit de la mer. Nous nous félicitons de l’adoption de l’accord BBNJ. Le fait que la France ait été l’un des premiers États à le ratifier témoigne de la volonté forte que ses dispositions puissent rapidement être mises en œuvre pour assurer une meilleure protection d’espaces au‑delà des juridictions nationales. Les activités militaires conduites en haute mer ne seront pas contraintes par les règles que prévoit cet accord, pas plus qu’elles ne le seront dans le cadre de la négociation d’un code minier à l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
À cet égard, nous déplorons l’adoption d’un décret présidentiel américain par lequel les États‑Unis semblent contourner le cadre juridique international relatif à l’exploitation des ressources minérales des fonds marins situés au‑delà des juridictions nationales. Nous sommes en cours d’analyse de ses incidences potentielles, à savoir une exploitation unilatérale de ressources relevant du patrimoine commun de l’humanité et, par là même, à une remise en cause du mandat exclusif de l’Autorité internationale des fonds marins en matière d’exploitation de ces ressources.
M. le président Jean‑Michel Jacques. Je vous remercie et cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
M. Thierry Tesson (RN). Je me permets d’intervenir aujourd’hui pour vous interroger sur le secours en mer, et plus particulièrement sur son encadrement juridique. Sans remettre en cause ce devoir fondamental très ancien consacré par la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie en mer (Solas), la Convention de Genève, la Convention SAR (Search And Rescue), la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme, il me semble utile toutefois d’interroger le flou qui entoure aujourd’hui sa mise en œuvre.
Il n’est pas question de contester cette obligation morale autant que légale, à laquelle nous devons collectivement nous conformer. Pour autant, en dépit de la multiplicité des textes sur le sujet, ce devoir absolu souffre aujourd’hui d’un certain flou juridique. Le droit de la mer impose à tout navire l’obligation de porter assistance à toute personne en détresse en mer, sans distinction de nationalité ou de statut. Il prévoit également que les États doivent coopérer pour garantir un débarquement rapide dans un lieu sûr.
Le principe de non‑refoulement interdit de renvoyer une personne vers un pays où elle risque persécutions ou traitements inhumains. Or, ces notions essentielles – détresse, lieu sûr, coopération – sont insuffisamment définies. Le droit ne dit pas précisément ce qu’est une détresse en mer, ne qualifie pas clairement ce qu’est un lieu sûr et n’impose à aucun État l’obligation explicite d’accueillir les personnes secourues.
Pouvez‑vous clarifier la position de la France sur ces points ? Comment notre pays définit‑il un lieu sûr ? Quelles sont les obligations de la marine nationale et de la direction nationale garde‑côtes des douanes en matière de secours en mer ? Ces dernières impactent‑elles leur mission première ? Enfin, si les services de l’État sont placés dans une situation juridiquement incertaine, que faites‑vous pour y remédier ?
Mme Caroline Krajka. Les enjeux du sauvetage sont effectivement importants. D’une manière générale, la question du lieu de sauvetage est indifférente pour l’application du principe de non‑refoulement. En mer territoriale, le droit applicable ne prévoit pas, sans l’autorisation de l’État côtier concerné, la conduite régulière d’opérations de sauvetage. En haute mer, si l’État responsable d’une zone SAR n’est pas le seul à pouvoir y mener des opérations de sauvetage, il y assume une responsabilité particulière en matière de coopération de débarquement. Cependant, la question de cette responsabilité est sujette à interprétation. L’absence de zone de SAR officielle ne permet pas d’identifier un cadre précis pour le débarquement.
Des discussions sont en cours dans le cadre de l’OMI pour déterminer le contenu de la notion de port sûr. La question principale est celle de la responsabilité de l’État dans lequel le sauvetage a lieu.
M. François Cormier‑Bouligeon (EPR). Votre intervention met en lumière le rôle central du droit maritime dans un contexte de rivalités géopolitiques croissantes. Deuxième espace maritime mondial, la France est directement concernée par les défis actuels de sécurisation de ces espaces maritimes. Si la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 reste un fondement incontournable, elle s’inscrit dans un ensemble plus large de règles internationales, coutumières, Conventionnelles ou encore issus de l’Otan ou de l’Union européenne, qui encadrent les usages militaires, les droits de passage ou la prévention des conflits en mer.
Or depuis le début de la guerre en Ukraine, ces équilibres sont fragilisés. L’activité des forces navales russes s’intensifie à proximité de nos côtes. L’amiral Vaujour, chef d’état‑major de la marine, nous a alertés dans cette commission sur la surveillance accrue que nécessite la présence de flotte fantôme ou de drones sous‑marins russes en Atlantique, en lien notamment avec la menace qui pèse sur nos infrastructures sous‑marines critiques
– câbles, capteurs, pipelines. Ces opérations menées dans les grands fonds, souvent invisibles, constituent une forme de guerre hybride qui interroge l’efficacité de notre cadre juridique actuel, tant sur le plan de la prévention que de la dissuasion.
Dans ce contexte de militarisation silencieuse des espaces maritimes, pouvez‑vous éclairer notre commission sur les leviers juridiques qui relèvent de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, du droit international coutumier ou d’autres régimes que la France peut mobiliser pour affirmer sa souveraineté et protéger efficacement ses intérêts face aux activités militaires étrangères dans ces ZEE ? Identifiez‑vous aujourd’hui les principales lacunes ou vulnérabilités de ce cadre ? S’agissant plus spécifiquement des infrastructures sous‑marines, quelles pistes sont‑elles aujourd’hui examinées par la France afin de renforcer le cadre juridique international pour faire face aux nouvelles menaces ? Ces sujets seront‑ils à l’ordre du jour de la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC), qui se tiendra à Nice en juin prochain ?
Mme Caroline Krajka. Des divergences d’interprétation persistent en effet s’agissant des droits des États côtiers à réglementer les exercices et manœuvres militaires dans leurs zones économiques exclusives. La position française, et plus largement celle des États affinitaires, est toutefois de considérer que la Convention de Montego Bay ne permet pas un État côtier de limiter le droit des États tiers à conduire des exercices militaires dans leur ZEE.
D’une manière plus étayée et contrairement à la mer territoriale, où la CNUDM interdit explicitement les exercices ou manœuvres avec armes de tout type dans son article 19, cette Convention est silencieuse sur la question des exercices militaires en zone économique exclusive et ne contient aucune interdiction de ce type. Une lecture a contrario de cette disposition devrait conduire à considérer qu’il n’existe aucune interdiction des exercices militaires dans les ZEE, d’autant plus que l’article 56 de la Convention, qui précise les droits, juridictions et obligations de l’État côtier dans ces ZEE, ne fait pas référence à la possibilité de proclamer unilatéralement une telle interdiction.
L’exercice des libertés de navigation en ZEE doit cependant se réaliser en prenant dûment compte des droits et obligations de l’État côtier dans cette zone, ce qui implique notamment que ne soient pas utilisés certaines méthodes et moyens qui pourraient affecter les ressources halieutiques ou les câbles.
L’identification de vulnérabilités, s’agissant de la conduite d’exercices dans nos ZEE, de relève plutôt d’une analyse technique et stratégique. Le cadre juridique tel qu’il existe doit cependant être défendu avec constance, afin que des acteurs ayant une interprétation divergente n’en profitent pas pour repousser les limites qui sont aujourd’hui communément établies.
S’agissant plus spécifiquement des infrastructures sous‑marines et des menaces, il convient d’abord de rappeler que le régime applicable à la pose et l’entretien des câbles dans les zones au‑delà de la mer territoriale est un régime de liberté. La protection des infrastructures sous‑marines critiques fait l’objet actuellement de réflexions approfondies par l’ensemble des États confrontés aux menaces de dommages.
Pour l’heure, il n’existe pas d’instrument international dédié. En conséquence, les États ne peuvent agir qu’en se fondant sur la Convention de Montego Bay et sur le droit international général. Ces câbles étant par essence interconnectés, les réflexions sur leur protection sont menées dans un cadre multilatéral, le seul à même d’apporter une réponse globale satisfaisante. Des analyses et des réflexions sont en cours et se concentrent pour l’heure sur le cadre juridique existant, en prenant en considération le risque d’adopter une interprétation trop large de dispositions de la Convention.
En effet, toute interprétation pourrait être utilisée contre nous par des acteurs aux intérêts divergents. Il convient donc d’être prudent s’agissant de l’autorisation d’actions contraignantes. Par ailleurs, nous estimons qu’il est essentiel qu’une réponse la plus large et la plus universelle possible soit adoptée pour limiter la fragmentation du droit de la mer. Le cadre juridique offert par la CNUDM fait déjà l’objet de remises en question ; il serait vraiment regrettable de les fragiliser davantage en essayant d’apporter une réponse ponctuelle.
M. Aurélien Saintoul (LFI‑NFP). Vos propos coïncident évidemment avec les préoccupations de la France insoumise, puisque, dès 2012, Jean‑Luc Mélenchon avait pu dire dans ses meetings que l’humanité était entrée en mer et que c’était dans cet espace que se jouerait son avenir.
Je note – une fois n’est pas coutume – une forme de convergence de vues entre le président de la République actuel et ma famille politique sur ces sujets. Ainsi, le moratoire sur l’exploitation des fonds marins a bien été voté ici à l’Assemblée nationale. La nationalisation de Alcatel Submarine Networks que nous proposions de longue date et que j’avais reprise dans mon rapport sur la maîtrise des fonds marins, a finalement bien eu lieu. Enfin, nous avons voté ensemble, à l’unanimité, en faveur de la création d’une université de l’ONU à Brest dédiée à l’océan. Ces exemples témoignent, chers collègues, qu’il est possible de s’entendre.
Nous vivons une époque que je qualifie de « nouvelle ère corsaire ». Ce problème a été particulièrement révélé par le sabotage de Nord Stream en Baltique. Aujourd’hui, j’ai posé par écrit une question au gouvernement sur ce sujet, pour connaître le degré de certitude concernant l’identité des auteurs de cette action, que l’on pourrait quasiment qualifier d’attentat. Quelle est la stratégie française en matière de caractérisation de ces actions ? Enfin, est‑il possible de voir émerger un jour un garant international du droit de la mer, une forme de « casques bleus » maritimes ?
Mme Caroline Krajka. Je ne sais pas si nous pourrons voir émerger un garant du droit de la mer, de tels casques bleus du droit de la mer. L’essentiel consiste d’abord à appliquer pleinement la Convention de Montego Bay et de la faire respecter, y compris par les États qui ne sont pas parties.
Vous avez également évoqué la question de la caractérisation exacte des actions en mer Baltique et avez demandé s’il existait une stratégie française en la matière. Des patrouilles sont menées dans cette zone, une surveillance y est réalisée, mais il est toujours difficile d’être en mesure d’arraisonner les navires en raison de la liberté de navigation. Je rappelle en effet que les possibilités d’arraisonnement sont strictement encadrées.
La question de la caractérisation et des problèmes associés fait partie d’une réflexion en cours, notamment dans le cadre de l’Otan. À partir du moment où il ne s’agit pas de piraterie, les options sont assez limitées. Des analyses sont conduites, mais aucune convergence n’a encore été établie concernant les solutions. Nous y travaillons au sein de ma sous‑direction, au même titre que le ministère des armées.
Mme Anna Pic (SOC). Le bouleversement des grands équilibres géopolitiques que nous traversons actuellement nous oblige, davantage qu’à l’accoutumée, à porter une attention toute particulière à l’environnement maritime. En effet, celui‑ci fait l’objet d’une compétition croissante entre les États, notamment les grandes puissances, pour des raisons stratégiques ou économiques, souvent les deux. À cette territorialisation des espaces maritimes qui contraint la liberté d’action en mer, vient s’ajouter l’apparition de nouveaux espaces de conflictualité, tels que les fonds marins, ou encore le dérèglement climatique, qui engendrent de nouvelles menaces pour certains territoires.
Je souhaite vous interroger sur la dronisation et la robotisation de la mer et ses perspectives militaires, à l’heure où elles occupent déjà une place non négligeable dans le monde maritime civil et où l’industrie maritime travaille à une intégration de plus en plus poussée de ces nouveaux outils. Notre marine nationale a déjà programmé l’utilisation de drones pour certaines de ses missions.
Or, dans une note publiée en avril dernier pour la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques, Jean‑François Pelliard s’interroge sur le statut juridique du drone naval et les enjeux de son intégration dans le droit international. Le drone naval est‑il un drone de guerre ? Malgré une apparition assez récente dans le paysage technologique, les drones navals prolifèrent rapidement sans définition juridique précise et sans que ceux‑ci ne répondent pleinement à la Convention de Montego Bay définissant les critères d’un navire de guerre ainsi que leur statut.
Cette absence de cadre juridique de référence laisse une liberté d’appréciation très voire trop importante aux États, notamment dans les espaces maritimes internationaux. Au regard du contexte géopolitique, les risques de dérive et de prolifération sont importants. Comment pourrions‑nous intégrer ces nouveaux outils dans le droit international ?
Mme Caroline Krajka. La définition juridique en droit international des navires et engins de surface autonome ou téléopérés fait l’objet de discussions régulières et nourries dans le cas de l’OMI. En l’espèce, la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture du ministère en charge de la mer suit directement ces négociations, en lien avec notre représentation permanente auprès de l’OMI.
Les difficultés principales tenant à la définition d’un cadre juridique complet ne sont pas tant liées à des critères techniques ou physiques – en France par exemple, ce sont des critères de poids, de longueur et de puissance qui différencient des navires autonomes des drones maritimes – mais plutôt à des enjeux liés aux centres qui seront dédiés au pilotage et au suivi de ces engins, lesquels ne seront pas nécessairement localisés dans le pays de pavillon desdits engins.
S’agissant du statut juridique des drones de guerre, la Convention de Montego Bay ne prévoit pas de définition du navire de guerre sur la base de critères techniques. Néanmoins, dans la mesure où un navire de guerre doit porter des marques extérieures distinctives des navires militaires, être commandé par un officier de marine au service de l’État et son équipage soumis aux règles de la discipline militaire, il est tout à fait envisageable qu’un drone soit qualifié comme tel, à condition que le personnel du centre de commandement à distance soit considéré comme l’équipage et comme embarqué.
M. Jean‑Louis Thiériot (LR). Dans la compétition de puissances que nous connaissons actuellement, les espaces maritimes connaissent un droit positif, que vous avez évoqué, mais ils constituent également des espaces sans juge ni gendarme, puisqu’il n’existe pas d’autorité de contrôle et de régulation. Pouvez‑vous nous dresser un tableau des embryons d’autorités de contrôle, des instances arbitrales qui sont établies pour résoudre les éventuelles difficultés, litiges et contentieux sans recourir à la voie de la force et de la puissance ?
Mme Caroline Krajka. Les espaces maritimes sont soumis au régime juridique de la Convention de Montego Bay. Il n’existe pas d’autorité de contrôle en tant que telle, mais en cas de désaccord ou de différend sur l’application des dispositions, et notamment de sur ce qui peut être autorisé ou non dans un espace maritime donné, des recours juridictionnels sont possibles, aussi bien en droit national qu’en droit international. Par exemple, la Cour internationale de justice peut être saisie, de même que le Tribunal international du droit de la mer ou une cour arbitrale.
Le principe repose sur l’exclusivité de la compétence du pavillon à bord, sauf pour les exceptions mentionnées à l’article 110 de la Convention de Montego Bay pour la piraterie et l’esclavage. L’État du pavillon doit exercer effectivement sa juridiction et porte donc une responsabilité sur les dommages ou les pratiques non conformes à la Convention qu’exercerait un navire battant son pavillon. Nous ne sommes donc pas sans recours, ni actions possibles.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). La commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale examinera tout à l’heure une proposition de résolution européenne transpartisane initiée par mes collègues Damien Girard et Vincent Caure, qui vise à démontrer le soutien de la France et de l’Union européenne au Danemark et au Groenland, face aux intimidations du président des États‑Unis.
Cette zone polaire suscite aujourd’hui des convoitises croissantes. Le dérèglement climatique ouvre de nouvelles routes maritimes comme celle du Nord‑Est entre l’Asie et l’Europe, susceptible de modifier durablement les flux commerciaux mondiaux. L’Arctique concentre également des ressources naturelles précieuses. On estime qu’entre 12 % et 25 % des réserves mondiales de terres rares y sont situées, sans compter les gisements d’hydrocarbures encore largement inexploités. Cette reconfiguration géostratégique attire l’intérêt de nombreuses puissances, dont la Chine et la Russie, qui y renforcent leur présence.
Ces tensions rappellent l’importance d’un cadre de gouvernance stable et coopératif. Dans ce contexte, quel état des lieux juridique pouvez‑vous dresser concernant les règles applicables à la région Arctique en matière de souveraineté, de délimitation des zones économiques exclusives et de protection de l’environnement ? Quelles perspectives de coopération voyez‑vous émerger au sein du Conseil de l’Arctique ou à travers d’autres instances internationales, pour prévenir et résoudre les inévitables litiges liés à la montée des intérêts géopolitiques économiques dans cette région ?
Mme Caroline Krajka. Les règles applicables à la région Arctique sont les mêmes que dans les autres espaces maritimes ; la CNUDM s’y applique intégralement et les États côtiers disposent des mêmes droits s’agissant des questions de souveraineté et de délimitation des ZEE.
Des dispositions spécifiques de la Convention de Montego Bay s’appliquent par ailleurs pour les zones couvertes de glace (article 234), qui permettent aux États côtiers, sous certaines conditions, d’adopter des lois et règlements visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin par les navires dans des zones recouvertes de glace.
S’agissant de la gouvernance, vous soulignez à juste titre que le Conseil de l’Arctique est l’organe intergouvernemental de coopération qui permet de traiter des questions de sécurité, de protection de l’environnement. Les huit États arctiques en sont membres, ainsi que six organisations représentant les peuples autochtones de l’Arctique. La France y a un statut d’observateur depuis 2000 et la Chine depuis 2013. L’Union européenne participe également à ces travaux en tant qu’invité spécial. D’autres enceintes plus informelles ont par ailleurs permis de faciliter les échanges sur les enjeux liés à l’océan Arctique – Arctic Circle en Islande, Arctic Frontiers en Norvège, notamment.
Dans le contexte géopolitique actuel, le Conseil de l’Arctique traverse une période complexe, mais a su néanmoins poursuivre les travaux des experts et scientifiques dans le cadre de ses différents groupes de travail. Le Danemark, qui prendra la présidence de cette organisation en mai, a déjà indiqué vouloir poursuivre sur cette voie et renforcer la coopération mise en place, notamment avec les communautés autochtones. La France restera impliquée dans ces travaux, conformément à sa stratégie nationale polaire, notamment par la présence d’experts dans les groupes de travail du Conseil de l’Arctique, qui portent notamment sur les questions de sécurité et de protection de l’environnement.
Mme Josy Poueyto (Dem). Dans La Tribune du 30 avril dernier, le sénateur du Tarn, Philippe Folliot analyse la situation de l’île française de Clipperton, la seule possession française du Pacifique Nord, dotée d’une ZEE de 435 kilomètres carrés. Selon le titre de l’article, volontairement accrocheur, nous n’exerçons pas notre souveraineté sur cette île. À l’entendre, si un État voulait s’approprier ce territoire inhabité, il ne rencontrerait pas d’obstacles. La présence française se caractérise en effet par un passage symbolique de la marine nationale, une fois par an.
L’un des enjeux soulevés ici porte sur les ressources sous‑marines de la zone. À la surprise générale, Donald Trump a autorisé les entreprises américaines à forer dans les eaux internationales, à proximité. Que pourrait‑il se passer en cas de débordement des Américains ? La captation des ressources peut les tenter, d’autant plus que les pêcheurs mexicains prélèvent déjà, semble‑t‑il, une partie de la ressource halieutique, car le Mexique conteste ce territoire à la France.
Pouvez‑vous nous confirmer ce que dit le droit international à propos de Clipperton ? Par ailleurs, le même droit international, bloque‑t‑il la création et le développement d’activités, par exemple scientifiques, sur ce bout de terre ? Je rappelle que le secteur Clipperton est celui où l’on trouve le plus de nodules polymères métalliques dans le monde.
Mme Caroline Krajka. La France exerce effectivement sa souveraineté sur l’île de Clipperton, qui n’est plus contestée par le Mexique. Les enjeux qui y sont liés se rapportent principalement à la gestion des ressources halieutiques, ainsi qu’à la protection et la préservation de l’environnement. À ce titre, une ère marine protégée a été créée en 2016 dans la mer territoriale de l’île, puis modifiée en 2017. Des réflexions ont lieu actuellement pour envisager d’étendre cette aire marine protégée.
S’agissant de l’exercice de la souveraineté, il n’est pas nécessaire d’être en permanence sur place. Je vous renvoie également vers la marine nationale concernant les possibilités de s’y rendre effectivement plus régulièrement.
Ensuite, vous évoquez le décret présidentiel américain qui pourrait permettre l’exploitation des fonds marins dans la Zone, avec un grand « Z ». Nous n’avons pas eu d’écho de velléités particulières liées à l’administration Trump concernant Clipperton. Dès lors que la France exerce sa souveraineté sur l’île, nous nous estimons que toute prétendue prétention, ou toute contestation ne seraient pas conformes au droit international et qu’il existe des mécanismes de règlement des différends pour les traiter de manière pacifique.
Le fait qu’un décret présidentiel américain puisse, le cas échéant, autoriser une exploitation des fonds marins en dehors des zones sous juridiction relève de l’Autorité internationale des fonds marins AIFM. La zone de fracture de Clipperton, également connue sous le nom de zone de Clarion‑Clipperton, est extrêmement large. Pour le moment, je n’ai pas eu connaissance d’une autorisation américaine d’exploiter dans cette zone. Une demande a été effectivement produite par la filiale américaine de The Metals Company (TMC), mais nous ne savons pas encore si les autorités américaines l’ont autorisée.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). Je souhaite vous interroger sur la ratification du traité entre la France et Djibouti, qui interviendra bientôt, je l’espère ; mais aussi sur l’opération Aspides, une action européenne qui engage plusieurs pays européens et dont l’objectif est de protéger la libre circulation des navires en mer Rouge. Nous y sommes fortement engagés, comme j’ai pu le constater à Djibouti, notamment à bord d’une frégate italienne. Quel est votre regard sur cette mission ?
Je souhaite également évoquer les câbles télécoms qui passent par Djibouti, lesquels sont essentiels pour la communication depuis l’Europe vers le reste du monde et inversement. Comment la France agit‑elle pour protéger ces câbles sous‑marins dans une zone victime de fortes tensions maritimes ?
Mme Caroline Krajka. S’agissant de la question de la prochaine ratification du traité entre la France et Djibouti, nous vous répondrons par écrit.
Ensuite, sur un plan strictement opérationnel, je ne saurais vous dire si des moyens seront mis en œuvre pour sillonner la zone et protéger concrètement ces câbles. D’une manière plus large, la protection des câbles fait actuellement l’objet d’une réflexion nationale, mais également européenne et internationale.
En termes d’enjeux juridiques, nous sommes très satisfaits de l’opération Aspides. Il n’existe pas d’autorisation spécifique du Conseil de sécurité des Nations unies et nous sommes donc heureux d’avoir pu trouver une base juridique commune pour intervenir, entre États européens.
M. Édouard Bénard (GDR). Lorsque Donald Trump revendique le Groenland et rêve d’annexer le Canada, il ne s’agit pas d’une proposition grotesque, mais le signe clair d’un point de bascule stratégique. L’Arctique n’est plus une terra nullius glacée, mais le théâtre d’ambitions militaires où les tensions s’accroissent. En raison du réchauffement climatique, la fonte rapide de la banquise ouvre la voie à de nouvelles routes maritimes qui rendraient la région encore plus exploitable et potentiellement conflictuelle. Sa position géostratégique en ferait à la fois un atout de taille pour la projection de forces armées et un raccourci pour le commerce maritime mondial. On parle ainsi d’une réduction de 30 % à 40 % de la distance entre l’Europe et l’Asie par rapport au canal de Suez. Enfin, le sous‑sol de l’Arctique regorge de ressources énergétiques indispensables pour certaines puissances, à l’heure où le contexte géopolitique mondial a fait basculer certaines dans une économie de guerre.
Entre ses patrouilles de sous‑marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et l’installation de régimes anti‑aériens, la Russie militarise à marche forcée. En réponse, les États‑Unis construisent et rénovent des bases militaires en Alaska, au large des îles Aléoutiennes. De son côté, la Chine avance masquée mais déterminée, et s’autoproclame comme une puissance quasi‑Arctique. Elle a d’ailleurs largement investi la gouvernance régionale, avec des projets en Islande, en Groenland ou encore en Norvège.
Dans ce contexte tendu, le Conseil de l’Arctique persévère pour faire de l’Arctique un espace de coopération scientifique et pacifique aux côtés d’autres puissances, dont la France, membre observateur depuis 2000. Mais depuis le gel des relations avec Moscou et le début de l’invasion russe en Ukraine, le forum vacille. Quel rôle peut jouer la France dans cette recomposition polaire ? De quels leviers disposons‑nous pour faire en sorte que cet espace reste tout simplement une zone de droit, de recherche et de paix ?
Mme Caroline Krajka. L’Arctique devient une zone dont le potentiel de conflictualité ne cesse de croître, mais nous espérons que de plus amples développements ne verront pas le jour. Ma sous‑direction est très attachée à la poursuite de la coopération dans le cadre du Conseil de l’Arctique. Je précise que lorsque la Russie a présidé le Conseil, les réunions officielles n’ont pas eu lieu, mais des travaux ont continué à avoir cours avec les autres les autres membres sur des sujets de coopération régionale, prouvant par là‑même la force et l’intérêt de ce forum. Nous défendons la pleine application du droit international et, pour ce qui est du droit de la mer, de la Convention des Nations unies qui s’y applique.
La question de la volonté des États‑Unis d’annexer ou d’acquérir le Groenland dépasse ma compétence. Il existe néanmoins un véritable intérêt accru concernant une coopération en Arctique, qu’il s’agisse pour traiter des questions de défense, mais aussi des ressources et de la protection de l’environnement. À ce titre, il existe des lueurs d’espoir, dès lors que l’accord BBNJ sera entré en vigueur, avec la possibilité de créer une aire marine protégée en Arctique central et ainsi renforcer la coopération en matière de recherche scientifique et de partage des données. De notre côté, nous ne cessons de plaider en faveur d’une coopération maximale dans le cadre des forums internationaux existants.
M. Hervé de Lépinau (RN). Nous avons la chance d’avoir la deuxième zone économique exclusive mondiale, qui est malheureusement aujourd’hui victime de pillages systématiques de ses ressources halieutiques par des navires étrangers qui ne respectent pas les règles en vigueur, privant nos pêcheurs de revenus cruciaux, affaiblissant notre souveraineté économique.
Ces actes ne doivent pas rester sans réponse. Cela passe par un renforcement significatif des moyens militaires et civils de surveillance, une fermeté totale face aux infractions, une priorité absolue accordée aux pêcheurs français. De plus, l’exploitation de nos ressources maritimes doit être repensée dans le cadre d’une stratégie globale de développement de nos territoires ultramarins. La France dispose en effet d’importantes ressources énergétiques et minérales au sein de sa ZEE. L’évolution des pratiques et des technologies permettrait d’envisager l’exploitation raisonnée de ces ressources, véritables gisements d’emplois et de croissance locale pour des territoires ultramarins trop souvent négligés. La puissance publique doit s’en saisir avant que d’autres ne le fassent. Aussi, nous souhaiterions connaître votre avis sur l’exploitation des ressources maritimes dans le cadre de notre ZEE et sur les choix gouvernementaux en la matière depuis 2017.
Mme Caroline Krajka. S’agissant des ressources qui se trouvent dans les ZEE, les États jouissent de droits souverains et peuvent donc contrôler effectivement ces espaces. S’agissant spécifiquement de la lutte contre la pêche illicite, je vous renvoie à la direction des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture du ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et au ministère des armées. Je peux néanmoins indiquer l’existence de patrouilles et de contrôles. La France est relativement présente pour patrouiller dans ses ZEE. Enfin, le président de la République a affiché une position très claire et ambitieuse, indiquant que la France ne souhaitait pas exploiter les minerais des fonds marins.
M. le président Jean‑Michel Jacques. Je vous remercie. Je vous souhaite à tous de belles commémorations de la victoire du 8 mai.
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La séance est levée à douze heures cinq.
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Membres présents ou excusés
Présents. – M. Édouard Bénard, M. Hubert Brigand, M. François Cormier‑Bouligeon, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Alexandre Dufosset, Mme Sophie Errante, Mme Catherine Hervieu, M. Laurent Jacobelli, M. Jean‑Michel Jacques, M. Guillaume Kasbarian, M. Loïc Kervran, M. Abdelkader Lahmar, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, M. Julien Limongi, Mme Lise Magnier, Mme Anna Pic, Mme Josy Poueyto, M. Aurélien Saintoul, M. Thierry Tesson, M. Jean‑Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye
Excusés. – Mme Anne‑Laure Blin, M. Manuel Bompard, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Cyrielle Chatelain, M. Emmanuel Fernandes, M. David Habib, M. Pascal Jenft, Mme Murielle Lepvraud, Mme Alexandra Martin, M. Aurélien Pradié, Mme Mereana Reid Arbelot, M. Arnaud Saint‑Martin, M. Boris Vallaud
Assistait également à la réunion. – M. Hervé de Lépinau