Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français (n° 949) (M. Olivier Faure, rapporteur) 2
Mercredi
28 mai 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 67
session ordinaire de 2024‑2025
Présidence
de M. Jean‑Michel Jacques,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à 11 heures 05.
M. le président Jean‑Michel Jacques. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’examen de la proposition de loi de M. Olivier Faure portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français, qui est inscrite à l’ordre du jour de la séance publique du mardi 3 juin prochain. M. Olivier Faure en est également le rapporteur.
Cette proposition de loi transpartisane traite d’un pan méconnu de notre histoire, qui fait suite à la fin de la guerre d’Indochine et à l’indépendance des pays qui la composaient – le Vietnam, le Laos et le Cambodge – en 1954.
De 1954 à 1974, près de 44 000 ressortissants français ont été rapatriés en France. 6 000 d’entre eux ont été pris en charge par les services de l’État à leur arrivée. Il s’agit principalement de compagnes vietnamiennes de soldats et de fonctionnaires français établis en Indochine, de leurs enfants métis eurasiens, des anciens agents de l’État et de jeunes Vietnamiens engagés dans l’armée française. Pour cette population, l’État a ouvert cinq centres d’accueil aux conditions de vie précaires et dotés d’un règlement strict.
En outre, les rapatriés d’Indochine n’ont pas été intégrés au statut officiel de rapatrié ouvert par la loi du 26 décembre 1961 relative à l’accueil et à la réinstallation des Français d’outre‑mer. Inspirée de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français, la présente proposition de loi vise à reconnaître la responsabilité de l’État dans l’indignité des conditions d’accueil et de vie de ces populations et à étendre le dispositif d’indemnisation de ce préjudice, tel qu’il existe depuis 2022 pour les harkis, aux rapatriés d’Indochine.
M. Olivier Faure, rapporteur. Longtemps membre de cette commission, j’en connais les qualités et vous remercie de votre accueil. Je remercie également, s’agissant d’une proposition de loi transpartisane, celles et ceux qui m’ont accompagné dans ce travail, notamment Anne Le Hénanff, Nicolas Ray et Yannick Monnet. J’espère que nous voterons tous ce texte, issu d’un travail mené de concert et cherchant à réparer une injustice. Je vous remercie toutes et tous d’y avoir contribué.
Cette proposition de loi est un texte transpartisan. Elle résulte d’un long travail, mené initialement par les associations concernées, que je salue – en particulier Daniel Freche, président du Collectif des Eurasiens pour la préservation du centre d’accueil des Français d’Indochine, et Julien Cao Van Tuat, président de l’association des rapatriés de Noyant‑d’Allier.
Je remercie également les personnes qui ont apporté leur précieux témoignage ainsi que les services de l’État auditionnés, notamment la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH), l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) et la direction de la mémoire, de la culture et des archives.
Près de 44 000 ressortissants français d’Indochine ont été rapatriés en France de 1954 à 1974, après la chute de Diên Biên Phu. 4 000 à 6 000 d’entre eux ont été pris en charge par les services de l’État à leur arrivée et installés dans des camps dénommés « centres d’accueil », présentés comme provisoires mais dans lesquels ils resteront, pour certains, jusqu’en 2014. Ces personnes sont au cœur de la proposition de loi. Derrière ces chiffres, il y a des trajectoires personnelles et familiales sur lesquelles il faut nous arrêter un moment pour prendre la mesure des préjudices subis.
Qui sont les rapatriés d’Indochine ayant vécu dans les camps ? Ce qui frappe d’abord, c’est le nombre de femmes et d’enfants. Ils constituent la grande majorité des résidents. Les femmes sont essentiellement les compagnes vietnamiennes de Français installés en Indochine. D’après les témoignages, il s’agissait de militaires, d’agents de la pénitentiaire, de policiers et de gens travaillant dans les plantations et les mines privées.
Les hommes des camps, pour une bonne partie eurasiens, sont d’anciens employés de l’administration, aux profils très divers – outre ceux précités, il s’agit de douaniers, d’instituteurs, de surveillants de chantier, d’ouvriers ou d’auxiliaires des entreprises militaires françaises. Je défendrai un amendement à l’article 1er visant à inclure plus explicitement les supplétifs, selon une distinction dont j’imagine qu’elle est particulièrement importante aux yeux de votre commission.
Ces personnes sont d’abord regroupées à Saïgon, dans des camps de fortune, après leur départ du Nord‑Vietnam. Elles attendront jusqu’à deux ans avant d’être prises en charge par l’État, qui les emmène par bateau jusqu’à Marseille. Les témoignages qui décrivent ce voyage de Saïgon à Marseille, édifiants, illustrent la persistance des inégalités coloniales : les Français eurasiens et vietnamiens voyagent dans la cale, souffrant du manque d’hygiène et de la promiscuité, tandis que les Français d’ascendance européenne séjournent en cabine. Une fois arrivés à Marseille, les rapatriés restant sous la responsabilité de l’État sont déplacés vers les centres d’accueil.
Là, ils connaissent des conditions de vie et d’accueil indignes, constitutives du préjudice qu’il convient de réparer. Les centres d’accueil sont créés dans l’urgence pour installer les rapatriés d’Indochine, auxquels l’État doit, en principe, fournir un hébergement, une aide matérielle et financière ainsi qu’un accompagnement pour l’insertion dans la société hexagonale. Plus d’une dizaine de sites sont initialement mobilisés pour les accueillir, mais ils sont finalement hébergés au sein de quatre camps principaux : le camp du Vigeant, le camp de Bias, le camp de Noyant‑d’Allier et le camp de Sainte‑Livrade‑sur‑Lot. Le caractère indigne de leurs conditions de vie et d’accueil s’incarne dans trois dimensions : l’exercice de la contrainte, le caractère précaire des conditions de vie et l’isolement.
Il y a donc une forme de contrainte et la perpétuation d’un climat quasi colonial au sein des camps. Ceux‑ci, entourés de barbelés, sont dirigés par d’anciens cadres administratifs et militaires des colonies. La journée commence par le salut au drapeau. La discipline y est particulièrement stricte. Les règles régissant la vie des résidents sont formalisées dès 1959 par l’arrêté Morlot, qui prévoit un couvre‑feu, le contrôle des entrées et des sorties, donc des visites, et l’interdiction des signes extérieurs de richesse, ce qui interdit de posséder un frigidaire, une voiture ou un téléviseur.
Les conditions de vie sont très généralement précaires, voire insalubres, même si elles varient d’un camp à l’autre. Il fait chaud l’été, froid l’hiver. Le charbon est rationné. L’anthropologue Dominique Rolland décrit des « baraquements insalubres, infestés de rats et de cafards. Des cloisons et plafonds de carton suinte une humidité continuelle, l’absence de sanitaires entretient un manque d’hygiène préoccupant ».
Enfin, les résidents sont confrontés à une triple isolation : spatiale, culturelle et économique. Leur isolement est d’abord physique, en raison de l’implantation des camps. Ces derniers sont situés à l’écart, dans des installations à l’abandon tels qu’une ancienne ferme, un ancien lieu de détention – Le Vigeant –, une ancienne base militaire ayant servi de lieu d’hébergement ou d’enfermement – Bias –, une ancienne poudrerie – Sainte‑Livrade – ou d’anciens corons miniers – Noyant, qui était certainement le lieu d’accueil le plus conforme à ce que l’on pouvait espérer de l’État français. Ce choix d’implantation rend d’autant plus complexe l’insertion des rapatriés au sein de notre société.
Cette séparation est renforcée par une barrière culturelle et linguistique, de nombreux adultes ne parlant pas français couramment, ce qui limite les interactions avec l’extérieur. L’école, qui aurait pu et dû constituer un facteur d’émancipation, est parfois située au sein des camps eux‑mêmes, comme à Sainte‑Livrade, accentuant un peu plus l’exclusion des rapatriés et de leurs familles. À Sainte‑Livrade, il y avait près de 700 enfants, maintenus à l’isolement dans ce que l’on a appelé « Vietnam‑sur‑Lot ».
Les relations avec les populations locales semblent marquées par l’indifférence et le mépris, voire par une forme d’exploitation économique et même électorale. Les femmes sont employées pour la cueillette de haricots, ainsi que les enfants l’été, et tous sont menés à l’isoloir à chaque élection avec en mains le bulletin qu’il faut mettre dans l’urne.
Ce sont précisément des conditions similaires de vie et d’accueil, jugées indignes par le législateur, qu’il a été décidé de réparer dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie. Dans certains camps, les harkis ont d’ailleurs succédé aux rapatriés d’Indochine.
Comme le dit la CNIH dans son rapport d’activité 2022, le cas indochinois a été le « laboratoire » de la politique officielle d’accueil des rapatriés. Cela est en particulier le cas au Vigeant et à Bias, où des rapatriés indochinois et des harkis se sont succédé. Ces deux sites figurent dans le décret du 18 mars 2022 ouvrant droit à réparation au titre de la loi du 23 février 2022 ; pourtant, les rapatriés d’Indochine ne sont pas concernés par son dispositif.
Face à cette inégalité de traitement, la CNIH recommande d’étendre le champ de cette loi aux anciens supplétifs et rapatriés d’Indochine, afin qu’ils bénéficient des mêmes réparations que les anciens supplétifs rapatriés d’Algérie. Elle indique : « En raison du traumatisme de l’exil, du déclassement social et de la relégation, des mauvaises conditions de vie, il régnait dans ces camps une grande misère psychologique et matérielle ».
Tel est l’objet de la présente proposition de loi : l’extension aux anciens supplétifs et rapatriés d’Indochine du dispositif applicable aux harkis et autres personnes rapatriées d’Algérie. Lors des auditions que nous avons menées en commun, chers collègues, je me suis attaché à estimer son coût potentiel. Le chiffrage précis est assez complexe à établir car les rapatriés d’Indochine ne relèvent pas, pour la plupart, de l’ONaCVG, et parce que la réparation envisagée dépend du temps passé dans les camps. Selon les hypothèses retenues, il devrait être compris entre 2,6 et 4,5 millions, pour 300 à 500 bénéficiaires.
Parmi les sujets qui ont dominé nos auditions figure également la détermination de la période pendant laquelle le séjour dans un camp ouvre droit à réparation, et notamment de son terme. Les fermetures des camps se sont échelonnées entre 1962 à 1966, sauf pour celui de Sainte‑Livrade, dont l’évolution a été distincte : sa municipalisation date de 1981 et ne met pas un terme à l’habitation des lieux par les rapatriés d’Indochine. Certains y vivaient encore en 2014, lors de la destruction des dernières habitations dans le cadre d’un plan de rénovation.
C’est pourquoi j’ai initialement retenu le terme de 2014 dans la proposition de loi. Toutefois, les auditions m’ont sensibilisé à la nécessité de garantir une certaine fluidité de mise en œuvre pour les services de l’ONaCVG et une forme de cohérence avec le dispositif applicable aux harkis.
S’il est difficile de dater avec précision la cessation de l’indignité des conditions d’accueil, des documents d’époque et les témoignages attestent d’un desserrement des contraintes imposées aux résidents des centres au mitan des années 1970. C’est pourquoi je proposerai de ramener la fin de la période ouvrant droit aux indemnisations à 1975, ce qui l’aligne avec le dispositif prévu pour les harkis.
Compte tenu du faible nombre de personnes concernées, les rapatriés de la première génération étant décédés et leurs enfants âgés pour la plupart, il semble urgent de réparer ce préjudice et les pertes de chances associées. Mais, outre la réparation, la proposition de loi comporte une dimension de reconnaissance.
Plusieurs travaux universitaires et rapports ont été consacrés aux rapatriés d’Indochine. Tous dressent le constat d’un oubli, par les pouvoirs publics comme par la nation. La discrétion des rapatriés d’Indochine y a probablement contribué. Le rapport Lacaze, publié en 2006, indique : « La relative faiblesse de leur nombre, […] leur attitude de réserve et de patience, leur courage, puis la capacité de leurs enfants à s’insérer dans la société française ont, dans une certaine mesure, occulté le dénuement et les difficultés rencontrées par beaucoup de rapatriés d’Indochine ». Cette discrétion dissimule une véritable souffrance. À la perte de leur vie en Indochine se sont ajoutés l’isolement et le rejet, dans leur propre pays.
L’objet de la proposition de loi est aussi de répondre au sentiment d’abandon, voire de trahison, exprimé par les associations de rapatriés, animées par leurs descendants. C’est pourquoi l’article 2 vise à créer une journée nationale d’hommage aux rapatriés d’Indochine et aux personnes qui leur ont porté secours et assistance à l’occasion de leur rapatriement, et à instituer plusieurs lieux de mémoire honorant les rapatriés d’Indochine.
À l’heure actuelle, aucune journée nationale d’hommage n’est consacrée aux rapatriés d’Indochine. La journée nationale d’hommage du 8 juin est exclusivement dédiée aux morts pour la France en Indochine. Je propose également d’instituer plusieurs lieux de mémoire honorant les rapatriés d’Indochine, en particulier à Noyant‑d’Allier et à Sainte‑Livrade‑sur‑Lot.
L’État, qui aurait dû proposer un accueil digne à ses ressortissants, a été acteur d’une triple relégation, par la contrainte, par la précarité et par l’isolement. L’oubli de la nation ajoute à ce traumatisme. Plus de soixante‑dix années après la fin de la guerre d’Indochine, il est temps d’y mettre fin.
M. le président Jean‑Michel Jacques. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Frank Giletti (RN). Le 15 mai dernier, dans un silence assourdissant, Gérard Le Louer, 94 ans, nous a quittés. Dernier survivant du commando François ayant participé au combat de Ninh Binh pendant la guerre d’Indochine, il s’en est allé dans la plus grande indifférence. Engagé en 1949 dans la marine, il avait rejoint les commandos de marine, spécialité chère à certains d’entre nous, et fait preuve d’une résistance héroïque en survivant aux conditions inhumaines des camps communistes du Viet Minh. Gérard Le Louer était notamment chevalier de la Légion d’honneur, titulaire de la médaille militaire et décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze, pour ne citer que quelques‑unes de ses médailles. Je tiens à lui rendre hommage, ainsi qu’à ses frères d’armes trop longtemps oubliés.
Quel étrange paradoxe de découvrir parmi les cosignataires de la proposition de loi quelques députés issus du parti communiste et de l’extrême gauche, héritiers idéologiques de Georges Boudarel, ce sinistre personnage qui a trahi la France et torturé des soldats français dans les camps du Viet Minh, qui viennent aujourd’hui jouer les humanistes et les défenseurs des Français rapatriés d’Indochine ! Faut‑il y voir un acte de rédemption ? Une tentative bien tardive de se donner bonne conscience ? L’ironie est mordante : ceux dont les ancêtres politiques soutenaient ouvertement le Viet Minh voudraient désormais se hisser au rang des défenseurs de ceux qu’ils ont méprisés, ignorés, voire trahis.
Pourtant, sur un sujet si consensuel, si évident dans son exigence de justice et de mémoire, on a moins de peine à proposer aux héritiers de ces gens‑là de cosigner la proposition de loi qu’aux membres du groupe Rassemblement national. Ces derniers n’y ont même pas été invités, comme si l’union nationale pour les rapatriés devait exclure ceux qui, depuis toujours, dénoncent leur abandon, comme si notre engagement au service de la mémoire nationale devait être censuré, comme ce fut le cas s’agissant des harkis et des rapatriés d’Algérie.
Revenons au cas Boudarel, exemple le plus sanglant de ce que nous dénoncions à l’instant. Cet enseignant devenu commissaire politique de camps de prisonniers français, dont le tristement célèbre numéro 113, en pleine jungle vietnamienne, avait pour mission de rééduquer nos soldats capturés. En réalité, cela signifiait endoctrinement, propagande et torture. Les survivants ont parlé d’humiliations, de privations et de violences.
Pourtant, cet homme a pu revenir tranquillement en France, grâce à la loi d’amnistie du 10 juin 1966. Il y a mené une carrière universitaire, honoré et respecté, jusqu’à ce que d’anciens prisonniers tentent, en 1991, de le faire juger pour crimes contre l’humanité, mais en vain : l’amnistie couvrait tout. Le rôle des communistes dans la guerre d’Indochine est aujourd’hui encore largement passé sous silence. On préfère détourner le regard. On préfère oublier que, à l’époque, une partie de la gauche française soutenait activement le Viet Minh.
Pendant ce temps, qu’a‑t‑on fait pour les rapatriés d’Indochine ? Rien, ou si peu. Contrairement à la guerre d’Algérie, qui a donné lieu à des lois mémorielles, à des journées nationales, à des discours présidentiels, la guerre d’Indochine reste largement dans l’ombre. Les anciens d’Indochine sont les grands oubliés de la mémoire nationale.
Il y a à peine deux jours, le lundi 26 mai, Emmanuel Macron, en visite au Vietnam, se rendait au mausolée de Hô Chi Minh, en hommage aux dirigeants communistes ayant combattu les Français pendant la guerre d’Indochine. Non, nous ne rêvons pas. Ce jour‑là, il n’y a eu aucune considération, de la part du président de la République, pour nos soldats morts torturés et affamés dans les camps du Viet Minh. Pas de reconnaissance claire, pas de journée nationale, pas même de commémoration digne de ce nom pour les 70 ans de la chute de Diên Biên Phu, célébrée rapidement, presque à la va‑vite, dans une certaine indifférence l’an dernier. Pas de place dans les manuels scolaires, peu dans l’espace public, comme si cette guerre‑là ne méritait pas qu’on s’y attarde.
Pourtant, c’est là que tout a commencé. L’Indochine, c’est le début de la fin de l’empire français. C’est la matrice du drame algérien. C’est une guerre dure, impitoyable, qui a coûté la vie à près de 60 000 soldats français. À leur retour : indifférence, relégation, oubli.
Le groupe Rassemblement national votera la proposition de loi, parce qu’elle va dans le bon sens et parce qu’il est plus que temps que la République reconnaisse l’indignité des conditions d’accueil réservées à ces familles déracinées, reléguées dans des structures précaires, comme ce fut le cas pour les harkis. Ces rapatriés n’ont pas seulement perdu une terre, ils ont perdu un pays.
Pourtant, la France sait faire œuvre de mémoire. Le mémorial de Fréjus, dans le Var, rend hommage aux soldats tombés en Indochine. Ce lieu solennel rappelle que le respect dû à nos morts participe de notre moral. Tel est l’esprit dans lequel j’ai, dès 2023, alerté le ministère des armées et la presse sur le sort des soldats morts à Diên Biên Phu dont les corps sont restés sur place, menacés d’être profanés lors de travaux d’agrandissement de l’aéroport local.
Rappelons que 2 293 soldats y sont morts et que 1 600 y ont été portés disparus. Parmi les 11 721 capturés, seuls 3 290 sont revenus des terribles camps de la mort du Viet Minh. Il est logique et moralement nécessaire que notre reconnaissance s’étende aux civils rapatriés. Eux aussi ont vécu la guerre. Eux aussi ont été abandonnés. Eux aussi méritent que la nation leur tende enfin la main.
Le groupe Rassemblement national soutient pleinement la proposition de loi, en dépit du sectarisme de la gauche qui l’a exclu des cosignataires et manque décidément de mémoire. Nous avons toujours été aux côtés des oubliés de l’histoire. La mémoire nationale ne peut être partielle et sélective ; elle doit être juste et totale. Nous ne construisons pas l’avenir en oubliant ceux qui ont souffert, nous le construisons en leur rendant justice.
M. Karl Olive (EPR). Après plusieurs semaines de travail autour de la présente proposition de loi transpartisane, nous nous réjouissons de son examen au sein de notre commission. Le 7 mai 1954, la France perdait la bataille de Diên Biên Phu face au Viet Minh. Cette défaite, qui signait la fin de la présence française en Indochine après un siècle d’implantation, ouvrit la voie à la naissance de trois États indépendants, le Vietnam, le Laos et le Cambodge, consacrés par les accords de Genève.
Cette décolonisation, comme celle que connaîtra ensuite l’Algérie, ne se fit pas sans heurts ni violences, notamment à l’encontre des civils. Les Français d’Indochine – colons, fonctionnaires, militaires, supplétifs, civils indochinois ou eurasiens ayant fait le choix de la France – se retrouvèrent indésirables dans ces nouveaux États souverains. Il fallut fuir à la hâte, sous peine d’être exécuté.
Plus de 44 000 ressortissants français durent quitter leurs terres pour rejoindre une métropole que la majorité d’entre eux n’avaient jamais connue. Mais tous ne connurent pas le même sort. Si les Français d’ascendance européenne purent fuir dans des conditions certes douloureuses mais relativement dignes, d’autres, notamment les femmes vietnamiennes de soldats français, leurs enfants métis et les hommes eurasiens, furent contraints de se réfugier dans des camps de transit au sud du Vietnam, dans des conditions de grande précarité, parfois pendant de longs mois avant de pouvoir embarquer vers une France dont ils ignoraient tout.
Les auditions menées par M. le rapporteur et les nombreux témoignages recueillis ont mis en lumière les conditions de ces voyages : trente jours passés dans des cales de navires, sans hygiène, sans confort et sans savoir ce que l’avenir réservait. L’arrivée en métropole des rapatriés indochinois ne fut pas à la hauteur de la promesse républicaine. Ils furent accueillis dans d’anciens camps militaires réquisitionnés à la hâte. Ce qui devait être provisoire s’est souvent transformé en des années, parfois des décennies de vie précaire.
À l’exil et au déracinement s’ajoutèrent les conditions inacceptables imposées par l’indigne arrêté Morlot, qui contraignait les rapatriés indochinois à vivre dans une extrême pauvreté, sous peine d’expulsion. Ainsi, les centres d’accueil – qui avaient davantage l’apparence de camps – de Bias, de Vigeant, de Sainte‑Livrade et de Noyant‑d’Allier hébergèrent plusieurs milliers de rapatriés d’Indochine dans des conditions très sommaires. Bien qu’ils fussent citoyens français, beaucoup ne maîtrisaient pas la langue, ce qui rendit leur intégration encore plus difficile. Les femmes du camp, souvent isolées, durent subvenir seules aux besoins de leurs familles, en acceptant des travaux pénibles et mal payés dans les champs ou les usines alentour.
À la dureté de leurs conditions de vie s’est ajouté l’abandon de la nation. Les rapatriés d’Indochine ont été exclus des dispositifs d’indemnisation prévus pour les rapatriés d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. Oubliés dans la version initiale de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, ils n’y furent intégrés que par voie d’amendement. Ils ne figurent pas davantage dans la loi du 23 février 2022, qui entraîne la réparation des préjudices subis par les personnes rapatriées d’Algérie et par leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil.
Il est temps de rendre aux rapatriés d’Indochine l’hommage qu’ils méritent. Il est temps que la nation reconnaisse pleinement leur engagement, leurs souffrances, les sacrifices qu’ils ont consentis ainsi que les conditions indignes dans lesquelles ils ont été accueillis. Il est temps de les honorer dignement dans le cadre d’une cérémonie officielle, aux côtés de nos soldats morts pour la France en Indochine. Il est temps de leur accorder une réparation juste, à la hauteur de l’injustice qu’ils ont subie.
Tel est tout le sens de ce texte. Nous tenons à remercier M. le rapporteur Olivier Faure, les cosignataires de la proposition de loi et le gouvernement pour l’esprit de dialogue et de responsabilité dans lequel nous avons travaillé ensemble. Par le biais de cette proposition de loi, nous allons clore dignement un pan d’histoire trop longtemps laissé sous silence.
Nous formons le vœu que ce texte permette aux rapatriés d’Indochine, à leurs enfants et à leurs petits‑enfants de refermer les blessures ouvertes en 1954. Nous leur devons cette reconnaissance. Le groupe Ensemble pour la République votera avec respect et détermination pour cette proposition de loi.
M. Aurélien Taché (LFI‑NFP). L’histoire des rapatriés d’Indochine est encore trop méconnue. Votre texte, monsieur le rapporteur, permet de réparer cette injustice.
En 1956, l’armée française quitte définitivement le Vietnam et rapatrie dans la foulée les 44 000 ressortissants français installés dans la région. Parmi ces citoyens français, certains font toutefois l’objet d’un régime spécial. Il s’agit pour l’essentiel des Français et Françaises d’origine asiatique, ces femmes et ces hommes du Vietnam ayant travaillé pour l’administration française pendant la colonisation, épousé des militaires français et même donné naissance à des enfants de fait citoyens français.
Pendant le rapatriement, tout ce monde a été transporté vers Marseille au fond des cales des paquebots de croisière – première humiliation. Arrivés en France, ils ont été forcés de loger dans des camps cernés de barbelés, parfois très isolés, tel celui de Sainte‑Livrade, un des plus connus. Ils ont été logés dans des baraquements dépourvus de tout confort, avec le strict minimum et sans sanitaires.
La vie de ces camps était soumise à une discipline militaire rigoureuse. La journée commençait par le lever du drapeau et se terminait à 22 heures par un couvre‑feu. Les visites sans autorisation étaient interdites et les déplacements drastiquement restreints. Comble de l’humiliation, tout signe ostentatoire de richesse était interdit, ce qui proscrivait la possession, par exemple, d’un frigidaire ou de tout objet de confort. Tout cela était prévu dans le règlement des camps.
L’exploitation de ces personnes était généralisée : les femmes et les enfants pouvaient travailler dans des champs de haricots pour 1 franc de l’heure. Cette domination s’étendait même à la foi et à la vie intérieure, certains rapatriés ayant subi des conversions contraintes au catholicisme, au mépris de leurs croyances traditionnelles.
En définitive, ces citoyens de seconde zone, que beaucoup considéraient même comme des réfugiés, ont fait l’objet d’une gestion coloniale sur le sol hexagonal. Cette situation a perduré pendant plusieurs décennies, jusqu’à l’aube du XXIe siècle.
Cette histoire tragique nous oblige, et ce, à trois niveaux. Il est d’abord nécessaire de reconnaître la responsabilité de la France dans l’accueil indigne des rapatriés d’Indochine, dont le traitement constitue une faute politique majeure. De cette reconnaissance découle nécessairement un devoir de mémoire. Le travail mémoriel, mené dignement par les associations de descendantes et de descendants, que j’ai eu aussi l’occasion de rencontrer, doit être soutenu et garanti. Enfin, ce travail de mémoire doit s’accompagner de mesures de réparation justes et exigeantes. La proposition de loi d’Olivier Faure met enfin un terme à soixante‑dix ans d’amnésie institutionnelle envers ceux qui avaient été exclus de la loi sur les rapatriés d’Algérie de 1961 et avaient fini par tomber dans l’oubli collectif au fil des ans.
Le groupe de la France insoumise soutient cette initiative qui vise à élargir le champ de la loi de 2022 afin d’y intégrer les rapatriés d’Indochine. Nous saluons également sans équivoque la reconnaissance par la France de sa responsabilité dans le traitement infligé aux rapatriés d’Indochine. Nous craignons néanmoins que, comme il en va pour les harkis, trop de personnes qui devraient avoir droit à réparation soient exclues du dispositif. Nous proposerons un amendement demandant un rapport sur l’application de la loi de 2022, afin de comprendre pourquoi trop de gens de la communauté harkie n’en bénéficient pas. Nous sommes vraiment convaincus de la nécessité d’apporter aux rapatriés d’Indochine et à leurs descendants une réparation à la hauteur des préjudices et du déclassement social qu’ils ont subis. Ce texte ne doit donc pas se cantonner à une reconnaissance symbolique de leur souffrance.
Nous pensons que ce texte peut contribuer à réinventer les relations que nous avons avec les anciens pays d’Indochine. Nous sommes liés par une histoire coloniale commune, avec des diasporas importantes qui vivent en France. Le Vietnam est en train de réintroduire l’enseignement du français dans ses programmes scolaires. Le Cambodge propose d’accueillir le prochain sommet de l’Organisation internationale de la francophonie. Tout cela est très porteur. Nous espérons vraiment que ce texte, qui permettra sans doute de commencer à panser les plaies du passé, pourra être une première étape vers la réinvention des relations avec les pays concernés. Nous voterons donc en sa faveur.
M. Romain Eskenazi (SOC). Merci de m’accueillir dans votre commission pour rappeler le soutien du groupe Socialistes et apparentés à cette proposition de loi d’Olivier Faure, dont je salue le travail historique. Soutenu par plus de cent députés de tous horizons, ce texte vise à reconnaître enfin une histoire trop longtemps méconnue et oubliée.
Cette histoire est celle de compatriotes rapatriés d’Indochine à partir de 1954, à la suite des accords de Genève – essentiellement des compagnes vietnamiennes et enfants de soldats français. Près de 6 000 rapatriés ont séjourné dans les camps de Sainte‑Livrade‑sur‑Lot, Bias et Noyant‑d’Allier, qui se sont rapidement transformés en enclaves insalubres administrées militairement, faites de baraquements sans eau ni électricité et parfois infestés de rats. Leur vie était marquée par la précarité, l’humiliation et surtout le silence. Ces conditions de vie sont à juste titre qualifiées d’indignes par la proposition de loi. L’arrêté Morlot de 1959 a placé ces rapatriés sous un régime d’exception : couvre‑feu, interdiction de circuler librement, tutelle administrative humiliante. Certains ont vécu dans ces camps jusqu’en 2014.
Au début des années 1960, l’État leur a tourné le dos. Les autorités ont décidé qu’ils ne seraient pas reconnus comme rapatriés, au motif que leur retour, lié à l’indépendance du Vietnam, ne résultait pas d’un « événement politique » ouvrant le droit à ce statut. Cette interprétation absurde a eu des conséquences graves : ils ont été privés des aides et de l’allocation de subsistance, écartés des dispositions d’insertion. Invisibilisés, ils ont été effacés de la mémoire collective et du récit national. Ils n’étaient pas des étrangers, ils étaient Français. Ils aimaient la France. Certains s’étaient battus pour elle, d’autres avaient tout perdu pour elle. La France, elle, n’a pas été à la hauteur de leur dévouement, les abandonnant à l’oubli et à l’injustice.
Dès 2006, l’Inspection générale des affaires sociales réclame dans un rapport un geste légitime de reconnaissance de la nation, attendu par les rapatriés d’Indochine. En 2002, le CNIH va plus loin, jugeant que le périmètre de la loi de 2002 devait être étendu aux rapatriés d’Indochine afin qu’ils puissent bénéficier des mêmes réparations que les anciens supplétifs rapatriés d’Algérie. Mais rien n’a été fait. Aucun texte, aucune disposition. Pendant des décennies, la République est restée sourde à cette demande de justice. Cela ne peut plus durer.
Le texte d’Olivier Faure vient corriger cette injustice. Il ne s’agit pas d’inventer une nouvelle mémoire, mais de réparer une erreur de la France, un oubli de son histoire. Chaque article de cette proposition de loi fait honneur à la France, qui reconnaît enfin le dévouement de ces citoyens oubliés, leur rendant dignité et mémoire après soixante‑dix ans d’injustice.
En consacrant la responsabilité de la nation pour les conditions indignes imposées aux rapatriés d’Indochine, nous leur rendons justice. En instaurant une journée nationale d’hommage le 8 juin, date fédératrice, tout en respectant la mémoire du 14 août à Sainte‑Livrade‑sur‑Lot, nous inscrivons leur histoire dans notre récit national. En octroyant une indemnisation forfaitaire juste, qui devra prendre en considération l’arrêt Tamazount, nous réparons une dette morale envers les 300 à 500 survivants, âgés aujourd’hui de 68 à plus de 90 ans. Oui, le temps presse. En alignant les droits des rapatriés d’Indochine sur ceux des harkis, nous corrigeons une inégalité incompréhensible, de façon juste, mesurée et cohérente. À cet égard, nous soutiendrons l’amendement fixant la fin de la période ouvrant droit à indemnisation au 31 décembre 1975, au lieu de 2014, afin d’aligner le dispositif sur celui des harkis.
Grâce à ce texte, la République se tient enfin debout face à son histoire et à ses erreurs passées. Nous ne créons pas une concurrence mémorielle, nous construisons une cohérence historique et participons à la cohésion nationale, en réintégrant les rapatriés d’Indochine dans notre récit, notre mémoire collective. Les oubliés d’hier ne doivent pas être les invisibles de demain. La République reconnaît, répare. Nous l’avons fait pour les harkis, nous devons le faire pour les rapatriés d’Indochine. Il ne peut pas y avoir de reconnaissance à deux vitesses : ils ont souffert des mêmes injustices ; ils méritent les mêmes droits, les mêmes réparations et la même place dans notre mémoire collective.
Afin de reconnaître les privations, les atteintes aux libertés et les souffrances endurées par les rapatriés d’Indochine placés dans certaines structures sur le territoire national, et afin de réparer les préjudices subis, le groupe Socialistes et apparentés votera pour ce texte avec détermination et appelle à une convergence la plus large possible pour la justice, la mémoire et l’égalité.
M. Nicolas Ray (DR). Merci de m’accueillir pour soutenir cette proposition de loi transpartisane, dont j’ai l’honneur de figurer parmi les premiers cosignataires. Mon département de l’Allier est particulièrement concerné par le sujet. De nombreux rapatriés d’Indochine ont été accueillis dans le camp de Noyant‑d’Allier et de nombreux descendants vivent toujours dans le département. J’ai toujours été très sensible au sort réservé à cette communauté discrète, profondément attachée à notre pays, où elle s’est très bien intégrée.
Notre politique mémorielle doit plus que jamais regarder notre histoire en face, en étant soucieuse de vérité et de responsabilité. Sur les 12 000 rapatriés qui ont transité dans les camps, environ 4 000 se sont établis durablement dans les centres du Vigeant, de Bias, de Sainte‑Livrade et de Noyant‑d’Allier. Les rapatriés étaient des supplétifs de l’armée française, mais aussi des personnels civils. Parmi eux se trouvaient aussi beaucoup de femmes, accompagnées de leurs enfants métis, contraints de fuir en raison de l’opprobre qui les frappait.
À leur arrivée en métropole, ces familles ont été confrontées à une réalité bien différente de l’image qu’elles pouvaient se faire de la France. Pour subvenir aux besoins de la famille, les hommes partaient seuls travailler comme ouvrier dans les usines de la région parisienne, tandis que les femmes et les enfants restaient placés dans ces centres d’accueil fermés et isolés, sous l’autorité de l’État qui les hébergeait. Les conditions de vie dans ces camps étaient très dégradées, voire indignes. Les logements étaient insalubres. Les rapatriés ont subi de lourdes atteintes à leurs libertés individuelles. Des conditions avilissantes leur ont été imposées : couvre‑feux ; restrictions de déplacement ; surveillance constante ; confiscation du moindre revenu ou équipement possédé – jugé incompatible avec leur condition d’assistés.
Reconnaître et réparer ces discriminations est une exigence morale qui s’impose à nous et à laquelle notre famille politique a toujours répondu. La loi du 23 février 2005, qui a accordé la reconnaissance de la nation aux sacrifices consentis par nos compatriotes, a constitué une première étape essentielle. C’est d’ailleurs un amendement d’Yves Simon, ancien député de l’Allier, qui avait élargi le bénéfice de cette loi aux rapatriés d’Indochine. Mais quand la loi du 23 février 2022 a accordé réparation aux harkis et rapatriés d’Algérie, les rapatriés d’Indochine ont été injustement oubliés. D’aucuns estiment que les situations étaient bien différentes, mais la France n’a pourtant connu que deux guerres de décolonisation et certains camps ont accueilli à la fois les harkis et les rapatriés d’Indochine.
Nous devons donc parachever cette avancée. Ces femmes et ces hommes ont vécu dans des conditions similaires et méritent d’être reconnus et honorés de la même manière. Cet élargissement est avant tout symbolique pour beaucoup de rapatriés : certains d’entre eux, encore vivants, feront le choix délibéré de ne pas réclamer d’indemnités. Dans le même esprit, la journée nationale d’hommage aux rapatriés d’Indochine prévue dans ce texte permettra d’élargir la commémoration du 8 juin. Notre objectif n’est pas de donner plus de droits aux rapatriés d’Indochine que nous n’en avons accordé aux harkis et aux rapatriés d’Algérie, mais de les faire bénéficier des mêmes réparations puisqu’ils ont vécu les mêmes traumatismes et les mêmes conditions d’accueil. Sur le chemin de la réconciliation mémorielle, nous ne devons laisser aucune communauté orpheline.
Afin d’affirmer la reconnaissance de la nation à l’égard des rapatriés d’Indochine, afin de réparer les inégalités évoquées, le groupe Droite républicaine votera sans réserve pour cette proposition de loi juste et nécessaire, qui fera l’honneur de la France.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Merci, monsieur le rapporteur, de permettre à la représentation nationale d’aborder cette question de mémoire républicaine. Nous reconnaissons enfin la situation indigne dans laquelle ont vécu les rapatriés d’Indochine et leurs familles, ainsi que le besoin de réparation des préjudices subis.
Entre 1954 et 1974, 44 000 ressortissants français ont été rapatriés depuis l’Indochine. J’insiste : des ressortissants français. Parmi eux, 4 000 à 6 000 ont été installés plus durablement dans des camps dénommés centres d’accueil, mais qui ne répondaient pas au sens premier du mot « accueil ». Ces personnes ont vécu dans des conditions de vie dégradantes et indignes. Femmes, hommes, enfants, familles vivaient dans des logements précaires, isolés de leurs concitoyens, parfois pendant plusieurs années et encore jusqu’à récemment. La jeunesse de nombreux enfants a été marquée par l’exclusion sociale, le racisme, les discriminations et la marginalisation.
Il est primordial de mettre fin à cette inégalité de traitement qui dure depuis plus de soixante‑dix ans. La loi du 23 février 2022 avait prévu la reconnaissance de la nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie, mais les rapatriés d’Indochine demeurent absents du dispositif alors qu’ils ont connu des contraintes administratives et des atteintes aux droits fondamentaux similaires. Les rapatriés d’Indochine – militaires, anciens membres de formations supplétives, agents publics qui ont servi la France en Indochine – n’ont jamais bénéficié d’une reconnaissance officielle ni de dispositifs de réparation. Cette inégalité de traitement a nourri un sentiment d’abandon et d’injustice.
Malgré le temps avancé et le faible nombre de bénéficiaires potentiels d’une indemnité forfaitaire, cette injustice doit être réparée et reconnue par notre commission comme une première étape. La présente proposition vise à restaurer l’égalité mémorielle, à réparer une injustice historique et à intégrer pleinement les populations concernées à notre récit national. Mais il s’agit plus largement de restaurer un lien de confiance entre la République et nombre de ses citoyens oubliés. Il convient donc, d’une part, de reconnaître solennellement la responsabilité de la République, et, d’autre part, d’élaborer un dispositif de réparation pour les victimes ou leurs ayants droit. Pour faire vivre la mémoire nationale, il est aussi important de créer des lieux de mémoire dédiés aux rapatriés d’Indochine et d’instaurer une journée nationale de commémoration en leur honneur.
Le groupe Écologiste et social soutient cette initiative qui renforce la mémoire républicaine en permettant de réparer une injustice historique restée ignorée pendant plusieurs décennies. Nous voterons donc pour ce texte majeur pour les rapatriés d’Indochine et pour la réparation nécessaire des préjudices qu’ils ont subis.
Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Merci beaucoup, monsieur le rapporteur, pour votre texte. Pour m’être occupée de mémoire pendant cinq ans auprès de la ministre des armées et en tant que ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants, j’ai pu constater que le conflit d’Indochine est un conflit un peu oublié dans notre pays. Est‑ce parce qu’il est lointain ? En tout cas, il est moins présent dans notre mémoire collective que d’autres, en particulier celui lié à la décolonisation de l’Algérie.
Ces populations déplacées ont été accueillies dans des conditions difficiles, lamentables, même inhumaines. Comme les harkis, pour lesquels j’ai porté la loi du 23 février 2022, les rapatriés d’Indochine ont été installés dans des camps dont le fonctionnement déshonore notre pays. L’accueil n’était vraiment pas à la hauteur, quand on sait que ces personnes avaient été au service de la France et lui avaient fait confiance. Nous devons sortir de cet oubli, mettre en avant l’indignité de l’accueil de ces supplétifs et rapatriés. Même si la situation n’est pas la même que dans le cas de l’Algérie, nous devons dire que la nation a failli. D’où l’importance de cette proposition de loi. C’est un peu tard, mais il n’est jamais trop tard pour les survivants ni pour leurs familles, qui se sont agrandies, ce qui fait que toute une communauté de notre pays a besoin d’entendre ces mots de reconnaissance de la nation.
Pour ce qui est de la réparation, je resterai attentive aux bornes chronologiques qui seront retenues dans votre texte. La limite de 2014 ne serait pas du tout appropriée, mais celle de 1975 me semble tout aussi difficile à retenir : la mise en cohérence avec les harkis a ses limites puisque ces derniers sont arrivés dix ans plus tard. Si le mécanisme de réparation doit être calqué sur celui qui a été adopté pour les harkis, les repères chronologiques sont à retravailler avec le ministère, avant l’examen du texte en séance, la semaine prochaine. Vous avez parlé de 300 à 500 personnes. Sans avoir de preuve, je pense que le nombre est un peu plus élevé, en tenant compte des familles. L’ONACVG, qui sera chargé d’instruire les dossiers, disposera d’une évaluation plus précise.
Oui à la reconnaissance par la nation de l’indignité de l’accueil de ces populations qui ont servi la France et qui ont cru en notre pays. Oui à une réparation calquée sur celle retenue pour les harkis. Message d’amitié et d’affection à ceux qui ont eu à souffrir de ces conditions d’accueil et à leurs descendants.
Le groupe Les Démocrates votera bien sûr pour ce texte.
Mme Anne Le Hénanff (HOR). À la suite des accords de Genève, qui ont mis fin à la guerre d’Indochine, plusieurs milliers de Français, pour la plupart des familles de soldats et de supplétifs vietnamiens et leurs enfants, ont été rapatriés en France entre 1954 et 1974. Environ 6 000 d’entre eux ont été accueillis dans des centres spécifiques tels que Sainte‑Livrade‑sur‑Lot ou Noyant‑d’Allier, en dehors de tout cadre juridique institutionnel et de tout accompagnement adapté.
Au sein de ces centres, ces personnes ont été soumises à des conditions d’existence contraires aux principes républicains : enfermement administratif, restrictions de liberté, interdictions arbitraires, privation d’accès aux soins et à l’éducation, répression des revendications sociales. Ces pratiques, que le groupe Horizons & indépendants dénonce, ont laissé des séquelles durables, transmises sur plusieurs générations.
Jusqu’à ce jour, ces populations n’ont bénéficié d’aucune reconnaissance spécifique ni mesures de réparation. En 2022, la France a reconnu la responsabilité de l’État dans les conditions d’accueil indignes des harkis. Sans établir de parallèle ou de comparaison entre les mémoires, il serait injuste de ne pas accorder une même légitime reconnaissance aux rapatriés d’Indochine, qui ont connu les mêmes conditions d’existence dans les centres d’accueil.
Dans son premier rapport d’activité, la CNIH, alors présidée par Jean‑Marie Bockel, suggérait d’étendre le périmètre de la loi du 23 février 2022 aux supplétifs et aux rapatriés d’Indochine. Ce texte vient donc corriger une rupture d’égalité dans l’accès à la reconnaissance mémorielle. Le groupe Horizons & indépendants salue cette initiative transpartisane qui représente une étape importante dans la reconnaissance de la nation envers les rapatriés d’Indochine. À titre personnel, en tant que présidente du groupe d’amitié France‑Vietnam à l’Assemblée nationale, je suis fière d’en être cosignataire et je remercie le rapporteur de m’avoir associée à ses travaux. À la suite des auditions menées, qui nous ont apporté un éclairage important, plusieurs amendements essentiels ont été déposés par le rapporteur. Ils viennent préciser le texte, qu’il s’agisse du périmètre, du bornage dans le temps ou encore de la date de la journée d’hommage national.
Je souhaite témoigner et rectifier les propos de notre collègue du Rassemblement national. Non, l’hommage aux soldats morts pour la France à Diên Biên Phu n’a pas été rendu « à la va‑vite ». Le ministre Sébastien Lecornu a pris le temps de se recueillir pour tous les combattants morts à Diên Biên Phu, incluant bien évidemment les Français. Nous étions accompagnés de trois vétérans français avec lesquels nous avons gravi plusieurs collines où ils s’étaient battus contre les Vietnamiens. Les autorités militaires vietnamiennes nous accompagnaient, ouvrant ainsi une nouvelle étape dans notre travail de mémoire et de respect mutuel. De la même manière, c’est en présence du vétéran français William Schilardi que le président de la République s’est rendu au Vietnam, il y a quelques jours – j’étais présente à ses côtés. Il n’y a pas d’oubli ni d’absence de respect. Nous sommes sur la voie non pas de l’oubli, mais de la réconciliation et de la reconstruction d’une nouvelle relation avec le Vietnam. Je considère que ce texte en fait pleinement et totalement partie.
M. Yannick Favennec‑Bécot (LIOT). Avec cette proposition de loi, notre commission a l’opportunité de se confronter à un épisode douloureux et trop souvent occulté de l’histoire de notre République. Il y a soixante‑dix ans, la fin de la guerre d’Indochine a conduit à l’accueil de 44 000 rapatriés entre 1954 et 1974. Disons‑le, l’accueil n’a pas été à la hauteur des valeurs de notre République. La nation a manqué à tous ses devoirs. Le retour des rapatriés s’est fait dans des conditions de vie indignes et a donné lieu à des traitements inhumains dans des camps d’accueil. Je tiens à rappeler qu’il aura fallu attendre 2014 pour que l’État reloge enfin les dernières familles du camp de Sainte‑Livrade.
Grâce à ce texte, nous avons enfin l’opportunité d’entamer un travail de reconnaissance et de réparation à l’égard de ces rapatriés d’Indochine. Il s’inscrit dans la ligne de la loi de reconnaissance envers les harkis de 2022 et permet d’étendre plusieurs de ses mesures de réparation aux rapatriés d’Indochine.
L’article 1er assure la reconnaissance de la nation envers tous les rapatriés. Il ne s’agit pas d’un acte seulement symbolique : cet article établit la responsabilité de l’État pour les conditions de rapatriement et de vie indignes dans des camps d’accueil. C’est de la reconnaissance de cette responsabilité que doit découler la réparation des préjudices subis. Le groupe LIOT souscrit pleinement à la création d’un droit de réparation pour les rapatriés qui ont séjourné dans des structures indigne entre 1954 et 2014.
Notre groupe tient toutefois à alerter sur le niveau d’indemnisation qui sera prévu par le gouvernement. Il faut impérativement que la réparation soit à la hauteur des préjudices infligés, afin d’éviter à la France l’humiliation d’une nouvelle condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme après celle de l’an dernier concernant les harkis. En ce sens, notre groupe salue le choix de confier le traitement des demandes de réparation à la CNIH. Sous réserve que ce choix ait reçu l’approbation des principaux intéressés, il paraît plus efficace de se fonder sur cette commission que de créer un organisme distinct. La CNIH a fait toutes ses preuves et chacun ici a pu constater la qualité de ses travaux.
Enfin, l’autre atout de ce texte tient à son volet mémoriel. Pendant trop longtemps, aux souffrances subies par les rapatriés d’Indochine s’est ajouté un silence inacceptable de la loi et de la nation. Face à un épisode trop méconnu de l’histoire de notre pays, notre groupe salue l’ensemble des mesures permettant de renforcer le devoir de mémoire : création d’une journée d’hommage national ; travail historique à mener par la commission indépendante ; création de lieux de mémoire. Ce sont des avancées très attendues par les associations de rapatriés.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera évidemment pour ce texte.
Mme Mereana Reid Arbelot (GDR). Les rapatriés d’Indochine sont les premiers rapatriés de l’histoire de la République. En juillet 1954, à la suite des accords de Genève sur le Vietnam, une grande partie des ressortissants français d’Indochine durent rentrer en France. Celle‑ci n’ayant aucun cadre institutionnel pour les accueillir, ils furent administrés par des fonctionnaires issus des colonies, formés à des tâches qui relevaient plus de l’enfermement administratif que de l’humanitaire. Une discipline militaire fut ainsi instituée dans les centres dits d’accueil.
Le 23 décembre 1961 fut adopté le premier texte de loi sur les rapatriés. Il donnait une définition légale du rapatrié et de ses droits fondamentaux. Pourtant, les rapatriés d’Indochine, considérés comme de simples exilés économiques, en furent exclus. De même, en 2005, la version initiale de la loi du 23 février portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ne mentionnait pas les rapatriés d’Indochine. En 2022, la CNIH reconnaissait cette rupture d’égalité et préconisait d’étendre le périmètre de la loi du 23 février aux anciens supplétifs et rapatriés d’Indochine.
La présente proposition de loi vise à réparer cette injustice. Elle prévoit d’instaurer une journée nationale d’hommage aux rapatriés d’Indochine et de réparer les préjudices subis, notamment dans les structures dites d’accueil. Afin que la mémoire des rapatriés d’Indochine puisse ainsi faire entièrement partie de notre mémoire collective et de l’histoire de la République, notre groupe votera en faveur de ce texte.
M. Matthieu Bloch (UDR). Il est des silences que l’histoire transforme en reniements et des injustices que le temps n’efface pas, tant elles touchent à ce que nous avons de plus sacré : la fidélité, le sens du sacrifice et l’amour de la patrie.
Le sort réservé aux rapatriés d’Indochine fait partie de ces blessures que la République ne peut plus ignorer. Ces hommes, ces femmes, ces familles n’ont pas seulement refusé un régime autoritaire. Ils ont choisi la France – non par hasard ou par intérêt, mais parce qu’elle représentait pour eux une promesse, celle de la liberté, de la dignité et de l’égalité des droits.
Mais ce n’est pas la patrie reconnaissante qui les attendait à leur arrivée. Ce furent l’enfermement administratif, la relégation sociale et, pire encore, l’oubli. Ceux qui avaient combattu pour nos couleurs ou partagé le destin de nos soldats furent traités comme des étrangers dans le pays qu’ils considéraient comme le leur. La République, si généreuse aujourd’hui avec tant de ceux qui la contestent ou s’en détournent, fut bien avare envers ceux qui l’avaient choisie, aimée et servie sans jamais faillir. Les structures dites d’accueil furent souvent indignes : des lieux coupés du monde, à l’écart d’une société en plein essor, où les réalités quotidiennes semblaient nier les principes mêmes de notre devise républicaine. C’était un abandon organisé, un manquement grave aux devoirs de la nation envers ses propres enfants.
Nous saluons non seulement la réparation d’une injustice, mais aussi l’exemplarité de ces Français venus d’Indochine, du Vietnam, du Laos ou du Cambodge, et de leurs descendants. Ils ont affronté le déracinement, la pauvreté et l’indifférence mais ils ont choisi malgré tout de construire leur avenir dans le cadre de la République et non contre elle. Ils ont transmis à leurs enfants l’amour du travail, le respect des lois et la fidélité aux institutions. Ils ne se sont jamais érigé en martyrs du passé, aussi douloureux fût‑il.
Ils ont montré, génération après génération, que la nationalité française ne dépend ni de la couleur de la peau, ni des origines, mais de l’adhésion au drapeau tricolore et aux valeurs qu’il incarne. Comme l’écrivait Ernest Renan dans son célèbre discours de 1882, « Une nation est une âme, un principe spirituel. » Elle repose à la fois sur le passé et sur le présent. Elle est « une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. »
Les rapatriés d’Indochine et leurs familles ont consenti ces sacrifices, en silence, avec dignité et loyauté. C’est cela être français : aimer la France, même quand elle vous oublie ; croire en ses promesses, même quand elle les trahit.
En votant cette proposition de loi, nous ne faisons pas seulement un geste symbolique. Nous rendons justice à une mémoire. Nous reconnaissons une fidélité exemplaire et nous affirmons une certaine idée de la nation, une nation exigeante, certes, mais juste, qui ne doit jamais trahir ceux qui l’ont servie. La reconnaissance n’est pas une faveur. C’est un devoir. C’est la dette sacrée de la France envers ceux qui ont cru en elle, quand elle ne les regardait plus. Nous avons le pouvoir et le devoir de l’honorer.
Le groupe UDR votera pour cette proposition, même si, comme nos collègues du Rassemblement national, nous regrettons amèrement que l’on ne nous ait pas proposé de la signer. Les 11 millions d’électeurs que nous représentons méritaient mieux. Eux aussi voulaient rendre hommage aux rapatriés d’Indochine.
Article 1er
Amendement DN10 de M. Olivier Faure
M. Olivier Faure, rapporteur. Merci à tous pour vos interventions qui ouvrent la voie à un engagement collectif en faveur de celles et ceux qui avaient choisi la France.
Cet amendement vise à distinguer plus clairement la reconnaissance de la nation envers ces personnes qui ont servi la France et l’admission de sa responsabilité dans l’indignité des conditions d’accueil et de vie qu’elles ont connues. L’amendement DN11, qui suit, a le même objet.
M. Nicolas Ray (DR). Cette précision concernant le champ de la proposition est très utile. Elle permet de distinguer la reconnaissance de la responsabilité.
L’amendement cite en outre expressément les anciens membres des formations supplétives, qui n’étaient pas mentionnés dans le texte initial.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’amendement DN11 de M. Olivier Faure, rapporteur.
La commission adopte l’article 1er modifié.
Article 2
Amendements identiques DN12 de M. Olivier Faure et DN4 de M. Nicolas Ray
M. Olivier Faure, rapporteur. La proposition prévoyait initialement de créer une journée nationale d’hommage aux rapatriés d’Indochine, qui aurait eu lieu le 14 août, date retenue par leurs associations – au beau milieu des vacances d’été.
À la suite des auditions et pour des raisons pratiques, cette journée risquant de ne pas être honorée réellement, je propose, avec cet amendement et le DN13 qui suit, d’élargir la Journée d’hommage aux morts pour la France en Indochine, qui a lieu le 8 juin, aux militaires et membres des formations supplétives ainsi qu’aux rapatriés. Les associations ont été consultées et comprennent le sens de ces amendements. En tout état de cause, cela n’empêchera pas ceux qui le souhaitent de se rassembler le 14 août, comme ils en ont l’habitude.
M. Nicolas Ray (DR). Comme vous le savez le calendrier commémoratif est particulièrement chargé, avec quinze journées nationales qui donnent lieu à des cérémonies à l’échelon national, départemental et communal.
Les discussions avec les associations ont permis de formuler cette proposition consistant à élargir aux anciens combattants et aux rapatriés la journée d’hommage aux morts pour la France en Indochine, qui a lieu chaque 8 juin. Les associations sont plutôt favorables à cette solution, qui n’empêchera pas d’organiser une cérémonie locale au mois d’août lorsque telle est la tradition – c’est notamment le cas dans mon département.
La commission adopte les amendements.
Amendements identiques DN13 de M. Olivier Faure et DN5 de M. Nicolas Ray
M. Olivier Faure, rapporteur. Cet amendement fixe donc la date de cette commémoration au 8 juin.
M. Nicolas Ray (DR). Cette date correspond au transfert de la dépouille du soldat inconnu d’Indochine à la nécropole nationale de Notre‑Dame‑de‑Lorette.
La commission adopte les amendements.
Elle adopte l’amendement rédactionnel DN7 de M. Olivier Faure, rapporteur.
La commission adopte l’article 2 modifié.
Article 3
Amendement DN15 de M. Olivier Faure
M. Olivier Faure, rapporteur. Cet amendement précise que les réparations prévues par l’article 3 concernent les personnes mentionnées au second alinéa de l’article 1er – c’est‑à‑dire les rapatriés d’Indochine militaires, anciens membres des formations supplétives et agents publics qui ont servi la France ainsi que les civils rapatriés et les membres de leurs familles – lorsqu’elles ont été hébergées dans des structures où elles ont été soumises à des conditions de vie indignes.
La commission adopte l’amendement.
Amendement DN14 de M. Olivier Faure
M. Olivier Faure, rapporteur. Cet amendement concerne la délimitation des périodes de séjour en centre d’accueil qui ouvrent droit à la réparation des préjudices.
C’est l’année 2014 qui avait été initialement retenue, puisque des rapatriés ont vécu dans le camp de Sainte‑Livrade jusque‑là. Le gouvernement propose avec insistance de retenir l’année 1966. Selon lui, le transfert de la tutelle des camps du ministère des rapatriés au ministère des affaires sociales permet de considérer que ceux qui souhaitaient vivre différemment le pouvaient à partir de cette date, et qu’un séjour postérieur dans un tel camp ne justifie plus une indemnisation.
L’amendement propose de retenir l’année 1975, par analogie avec celle retenue pour l’indemnisation des rapatriés d’Algérie et des harkis. En effet, même si la plupart des camps ont été fermés en 1966, ce ne fut pas le cas de celui de Sainte‑Livrade. Tous les témoignages concordent – et ils sont confirmés par les historiens, par la Cimade et par les travailleurs sociaux : la contrainte d’ordre quasi militaire n’a disparu qu’au milieu des années 1970. Je rappelle également que l’arrêté Morlot a été appliqué jusqu’à la même période, interdisant aux personnes vivant dans le camp de Sainte‑Livrade de présenter des marques extérieures de « richesse » telles que des voitures, des appareils de télévision, des machines à laver ou des réfrigérateurs.
Tout cela justifie que la période prise en compte pour déterminer l’indemnisation dure jusqu’en 1975, étant entendu que les rapatriés seront indemnisés à proportion de la durée de leur séjour effectif dans les camps.
Je souhaite que le gouvernement précise en séance quel est le niveau d’indemnisation qu’il envisage, en tenant compte notamment de l’arrêt Tamazount cité par notre collègue Yannick Favennec‑Bécot.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte les amendements rédactionnels DN9 et DN8 de M. Olivier Faure, rapporteur.
La commission adopte l’article 3 modifié.
Article 4
Amendement DN16 de M. Olivier Faure
M. Olivier Faure, rapporteur. Cet amendement propose de confier à l’ONaCVG – qui examine déjà les dossiers déposés par les harkis et les rapatriés d’Algérie – le soin d’instruire les demandes d’indemnisation des rapatriés d’Indochine. Cette mesure permettra de gagner en efficacité et d’indemniser dans les meilleurs délais, ce qui est nécessaire en raison du grand âge de nombre de ces rapatriés.
La commission adopte l’amendement et l’article 4 est ainsi rédigé.
Article 5
La commission adopte l’article 5 non modifié.
Article 6
La commission adopte l’article 6 non modifié.
Après l’article 6
Amendement DN3 de M. Aurélien Taché
M. Aurélien Taché (LFI‑NFP). L’amendement demande au gouvernement de remettre un rapport sur les difficultés d’application de la loi de 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles, un certain nombre de demandes d’indemnisation étant refusées sans raison apparente
M. Olivier Faure, rapporteur. Je comprends parfaitement votre intention, mais la CNIH rend compte des difficultés dans ses rapports d’activité et formule des propositions pour améliorer les dispositifs existants.
L’amendement est satisfait. Demande de retrait ou avis défavorable.
Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Cet amendement est un cavalier : il n’a rien à voir avec le texte dont nous discutons.
Comme l’a indiqué le rapporteur, la CNIH publie chaque année un rapport d’activité. Elle procède en permanence à des adaptations, qui concernent aussi bien l’appréciation des situations – notamment en élargissant le nombre des sites éligibles à l’indemnisation – que les possibilités de prise en charge. Cette commission voit d’ailleurs poindre la fin de ses missions.
L’amendement est effectivement satisfait.
M. François Cormier‑Bouligeon (EPR). La CNIH fait son travail, mois après mois. Elle fait appel à des historiens qui se déplacent et font un vrai travail de recherche pour trouver des preuves de la présence des demandeurs dans les sites il y a quelques décennies. La CNIH a d’ailleurs donné suite aux demandes de reconnaissance, que nous soutenions, de trois sites situés dans le Cher. Le nombre des sites ouvrant droit à réparation financière s’accroît progressivement et ces dernières sont versées. Il est sage de s’opposer à cet amendement.
L’amendement est retiré.
Article 7
La commission adopte l’article 7 non modifié.
M. le président Jean‑Michel Jacques. Nous en venons aux explications de vote.
M. Matthieu Bloch (UDR). Je remercie le rapporteur d’avoir pris l’initiative de cette excellente proposition de loi.
Mais il n’a pas réagi à ma remarque lorsque j’ai relevé que seuls certains groupes avaient été sollicités pour signer ce texte transpartisan. Toute une partie de la représentation nationale a ainsi été exclue, alors qu’il s’agit d’une proposition d’intérêt général et que c’est le respect de la mémoire des rapatriés d’Indochine qui est en jeu.
Je ne comprends absolument pas votre position et j’aurais souhaité que vous nous donniez des explications.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
M. le président Jean‑Michel Jacques. La proposition a été adoptée à l’unanimité. (Applaudissements.)
Je vous remercie pour ce débat qui contribue à la cohérence mémorielle et je me réjouis de l’élargissement de la Journée nationale d’hommage du 8 juin.
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La séance est levée à 12 heures 31.
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Membres présents ou excusés
Présents. ‑ Mme Valérie Bazin‑Malgras, M. Christophe Blanchet, M. Matthieu Bloch, M. Manuel Bompard, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier‑Bouligeon, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Alexandre Dufosset, M. Romain Eskenazi, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec‑Bécot, M. Emmanuel Fernandes, M. Frank Giletti, Mme Florence Goulet, M. Stéphane Hablot, Mme Catherine Hervieu, M. Laurent Jacobelli, M. Jean‑Michel Jacques, M. Guillaume Kasbarian, Mme Anne Le Hénanff, M. Julien Limongi, Mme Michèle Martinez, M. Karl Olive, Mme Josy Poueyto, M. Nicolas Ray, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Catherine Rimbert, M. Sébastien Saint‑Pasteur, M. Thierry Sother, M. Aurélien Taché, M. Jean‑Louis Thiériot, M. Romain Tonussi, Mme Corinne Vignon
Excusés. ‑ M. Gabriel Amard, Mme Anne‑Laure Blin, Mme Stéphanie Galzy, M. Pascal Jenft, Mme Murielle Lepvraud, Mme Natalia Pouzyreff, M. Mikaele Seo, Mme Sabine Thillaye, M. Emmanuel Tjibaou, M. Boris Vallaud