Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Examen, ouvert à la presse, des conclusions de la mission d’information sur « Masse et haute technologie : quels équilibres pour les équipements militaires français ? » (MM. Thomas Gassilloud et Damien Girard, rapporteurs) 2
Mercredi
11 juin 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 72
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
Président
— 1 —
La séance est ouverte à neuf heures deux.
M. le président Jean‑Michel Jacques. Notre ordre du jour appelle l’examen du rapport confié à nos collègues Thomas Gassilloud et Damien Girard sur : « Masse et haute technologie : quels équilibres pour les équipements militaires français ». Ce sujet fait écho aux débats animés qui ont été les nôtres sur le format capacitaire de l’armée française lors de nos travaux relatifs à la loi de programmation militaire (LPM) 2024‑2030.
Depuis la fin de la guerre froide et l’effondrement de l’URSS en 1989, notre perception de la nature des menaces a changé et le format de notre armée a fortement évolué, traduction de la réduction des budgets de nos armées pendant plusieurs décennies, avant 2015. Le choix avait alors été opéré de maintenir les compétences et la cohérence capacitaire, à une période où nous sommes également passés à une armée professionnelle.
Ce modèle a démontré son efficacité, permettant à la France de maintenir une armée d’emploi aguerrie et capable de répondre aux opérations extérieures et aux missions opérationnelles sur le territoire national et en dehors. En outre, le choix de la haute technologie a souvent assuré la supériorité tactique de nos forces dans leur engagement. Toutefois, dans un contexte de retour des conflits symétriques et d’incertitude géopolitique, une réflexion sur l’actualisation et la cohérence capacitaire du format et des ressources humaines de nos armées s’impose.
Les armées françaises doivent concilier l’excellence technologique acquise avec le retour indispensable de la masse critique, avec trois défis sous‑jacents. Le premier concerne le retour de la haute intensité avec, en conséquence, le retour de l’impératif de la masse et des stratégies d’attrition qui suscitent un défi d’épaisseur capacitaire. Ensuite, la dualité croissante des technologies, l’intelligence artificielle (IA), les systèmes de combat et de communication, le renseignement, tirent profit des innovations accomplies dans le secteur civil. Enfin, la prolifération des armes à bas coût alimente les stratégies de saturation, y compris dans les engagements asymétriques. Ces défis appellent des réflexions que ce rapport abordera.
En conclusion, je souhaite remercier les rapporteurs pour leur investissement dans l’accomplissement de ce travail ambitieux et le pré‑rapport transmis. Vous avez réalisé une trentaine d’auditions, un déplacement à l’étranger et deux déplacements sur le territoire national.
M. Damien Girard, rapporteur. Je souhaite en premier lieu rappeler les objectifs que nous nous étions fixés avec mon co‑rapporteur, ainsi que le contexte stratégique dans lequel s’inscrit cette mission d’information. Notre travail a porté sur l’équilibre entre la masse d’une part, c’est‑à‑dire la capacité à engager des volumes importants de combattants, de matériel et de munitions dans la durée, et la haute technologie d’autre part, c’est‑à‑dire l’usage des équipements les plus avancés technologiquement.
Nous nous sommes appuyés sur plusieurs postulats. Nous avons volontairement décidé d’écarter les considérations relatives à la dissuasion nucléaire pour nous concentrer sur les enjeux capacitaires opérationnels conventionnels. Nous avons aussi opéré fait le choix de considérer dès le départ que toute hausse budgétaire en matière de défense ne peut qu’être limitée.
Ma conviction personnelle est en effet qu’une éventuelle hausse ne doit pas nuire à l’équilibre général des politiques publiques. Il en va de la cohésion de la nation : sans cohésion il n’est pas possible de tenir dans un conflit de haute intensité ou de faire face à des manœuvres de déstabilisation.
Sur le fond du rapport, il nous a d’abord paru essentiel d’étudier l’évolution du format de nos armées au regard de l’évolution du contexte stratégique.
Le contexte géostratégique dans lequel évoluent nos armées s’éloigne toujours plus du mirage de la « fin de l’histoire » post‑Guerre Froide. Il est marqué par une résurgence et un usage décomplexé de l’usage de la force militaire, notamment par les dictatures, aux dépens du droit international.
En Europe, l’annexion de la Crimée en 2014 puis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022 par la Russie, rappellent à l’Union européenne (UE) que les conflits de haute intensité sont devenus une menace bien réelle. Au Moyen‑Orient, des tensions latentes depuis plusieurs années se sont aussi transformées en conflits ouverts en mer Rouge, entre l’Iran et Israël notamment. Dans l’Indopacifique, l’expansionnisme chinois vis‑à‑vis de ce qu’elle considère comme son espace maritime et de Taïwan menace la sécurité de la région, faisant craindre une paralysie du commerce international, voire l’émergence d’un conflit généralisé entre puissances.
Les derniers conflits en date témoignent d’un retour des guerres de haute intensité. Ces conflits sont bien plus consommateurs en hommes, en matériel et en munitions que les conflits asymétriques. Une supériorité à la fois technologique et de quantité y est bien plus complexe à obtenir. L’avantage technologique seul ne suffit plus ; il doit être conjugué à la masse. L’attrition est plus importante et certaines capacités sont déterminantes : drones, lutte anti‑aérienne, frappes dans la profondeur, guerre électronique.
La guerre en Ukraine montre également que les engagements de haute intensité peuvent durer dans le temps, en raison de l’usage de capacités de contre‑mobilité comme les mines, mais aussi de la transparence du champ de bataille qui rend difficile les efforts de concentration et de percée. Ils sont alimentés par des stratégies de mobilisation en masse du potentiel démographique et économique.
Le champ de bataille, avec l’usage massif des drones et d’autres technologies d’observation, devient ainsi davantage transparent, mais cette transparence ne rend pas tout mouvement impossible. Elle n’empêche pas non plus l’effet de surprise, comme ont pu le montrer les Ukrainiens avec leur offensive dans l’oblast de Kursk en 2024. Les armées doivent dorénavant s’adapter à la surveillance et à la menace omniprésente que représentent les drones, qu’il s’agisse des munitions téléopérées, des drones à vue subjective ou plus rarement des drones à rayons d’action moyen ou long.
Ils servent autant à l’observation qu’à la destruction et ont un cycle d’innovation très rapide. Il faut quelques mois seulement pour qu’une innovation soit détectée et utilisée à grande échelle et quelques mois seulement pour qu’une contre‑innovation soit mise en place. Deux exemples de cette tendance concernent les drones Bayraktar TB‑2 et les drones FPV.
Au début du conflit, les drones d’origine turque Bayraktar TB‑2 étaient très utilisés par les Ukrainiens sur le champ de bataille, permettant de repérer les colonnes russes et de participer à les détruire. Quelques mois plus tard, ils ont cessé d’être utilisés, devenant trop vulnérables à la défense anti‑aérienne russe.
Les drones FPV, utilisés massivement par les Ukrainiens, puis par les Russes, ont vu leur efficacité diminuée par le déploiement de dispositifs de brouillage. Russes puis Ukrainiens ont ensuite installé des câbles optiques sur les drones pour les rendre insensibles à ces brouillages.
Le conflit ukrainien est ainsi une illustration de ces dynamiques d’adaptation rapide qui peuvent rendre obsolètes des stocks d’armement et demandent une agilité constante.
Le contexte actuel est aussi marqué par un usage décomplexé des moyens hybrides, mêlant divers champs : cyber, informationnel, électronique, économique, action indirecte à travers le soutien à des organisations et pays tiers. Ces moyens peuvent être utilisés pour nuire à des adversaires tout en restant sous le seuil du conflit armé ouvert. Ils peuvent également s’intégrer dans une logique de combat multi‑milieux multi‑champs (M2MC) permettant de maximiser les dégâts infligés à l’adversaire.
J’en viens maintenant au contrat opérationnel de nos armées, qui précède la réflexion sur leur format. Les armées françaises doivent répondre à un contrat opérationnel particulièrement exigeant au regard des ressources allouées.
Elles doivent assurer la protection du territoire et des populations y résidant. Les opérations Sentinelle, les forces de souveraineté, la posture permanente de sauvegarde maritime et la posture permanente de sûreté aérienne mobilisent déjà des dizaines de milliers de personnels. Hors du champ militaire, elles peuvent intervenir lorsque les moyens civils sont inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles.
Comme l’ont relevé les travaux de notre commission sur l’actualisation de la revue nationale stratégique (RNS), les armées doivent jouer un rôle croissant dans la défense de l’Europe face à la menace grandissante que constitue la Russie. Elles doivent participer d’une véritable « dissuasion conventionnelle » européenne, en même temps que d’assurer la crédibilité de notre effort de solidarité avec nos partenaires est‑européens.
Enfin, les armées doivent honorer les engagements internationaux à travers le monde et être en mesure d’opérer des signalements stratégiques dans des régions éloignées de l’Hexagone, dans l’océan Indien et l’océan Pacifique. Face à ce contexte géostratégique et ce contrat opérationnel exigeants, plusieurs constats peuvent être portés sur l’armée française et son format.
L’armée française est une armée d’emploi, compétente, qui a connu et connaît l’expérience du feu. Elle est en mesure de réaliser un vaste panel de missions, l’un des plus vastes d’Europe. Son modèle d’armée est cohérent avec les exigences des opérations extérieures, qui ont constitué la majorité des déploiements de l’armée française depuis la fin de la guerre froide. Elle a maintenu des compétences dans des domaines de pointe. En témoignent, par exemple, les frégates multimissions (Fremm) de la marine nationale, dont les capacités de lutte anti‑sous‑marine, anti‑surface et anti‑aérienne sont reconnues par nos alliés.
Néanmoins, la réduction continue des budgets militaires depuis la fin de la guerre froide, en même temps que la recherche d’un équipement toujours plus technologique, ont abouti à une armée dont le format est souvent qualifié « d’échantillonnaire ».
Les effectifs ont été réduits, passant de 540 000 personnes en 1991 à 263 000 en 2024.
Si elles peuvent compter sur un panel élargi de matériels, les armées ne disposent généralement pas d’une épaisseur suffisamment importante pour supporter une attrition élevée sur des longues durées. À titre d’illustration, entre 1990 et 2024, l’armée de Terre a vu ses effectifs de char passer de 1 255 à 225, l’armée de l’Air et de l’Espace est passée d’un format à 450 avions de chasse à 196 et la Marine nationale a vu son nombre de frégates de premier rang passer de quinze à dix. Les stocks de munitions et les capacités de soutien, bien qu’en amélioration, restent insuffisants pour supporter les exigences d’attrition d’un conflit de haute intensité.
Des efforts ont été réalisés depuis 2017 ; ils s’incarnent notamment dans la LPM 2024‑2030. Si elle est appliquée, elle permettra de dépasser les 2 % du PIB investis dans la défense. Néanmoins, des efforts supplémentaires restent à faire, pour permettre à l’armée française de générer de la masse. Certains segments capacitaires clés ont également été abandonnés ou trop peu soutenus. C’est notamment le cas des segments des drones, de la suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD) et de la frappe dans la profondeur.
La réduction des formats de l’armée française s’est aussi traduite par une réduction des commandes effectuées auprès des industriels de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Elle a aggravé ce que les spécialistes appellent la « loi d’Augustine », énoncée par un responsable militaire américain dans les années 1980. Norman Augustine observait ainsi que le coût des avions de chasse militaires double tous les dix ans à cause de la complexité technologique croissante. Selon lui, si cette tendance devait continuer, vers 2050, tout le budget de défense américain ne permettrait d’acheter qu’un seul avion.
Pour la BITD française, la baisse des volumes de commande a entraîné une augmentation des coûts unitaires. Les volumes étant réduits, l’amortissement des coûts de développement doit désormais s’opérer sur un nombre d’unités plus faible, ce qui entraîne mécaniquement une hausse du coût unitaire. La réduction des volumes de commandes s’est également traduite par une priorisation des activités de conception sur les activités de production. Les entreprises de la BITD se sont concentrées sur les matériels du haut du spectre, ceux dont la conception est la plus exigeante.
En conséquence, les industriels sont capables de développer des matériels de pointe, mais peuvent éprouver des difficultés à produire des matériels plus simples et dans des délais réduits. Enfin, pour maintenir des volumes permettant d’absorber les coûts de développement, l’export a été fortement encouragé. S’il peut effectivement permettre d’augmenter les volumes de commande, il est incertain et n’est donc pas un palliatif parfait.
La réduction des commandes, la recherche de la polyvalence et de la haute technologie, la multiplication des spécifications aboutissent à nos difficultés actuelles, avec des équipements très coûteux qui vérifient la loi d’Augustine. À titre d’exemple, citons le Rafale, qui affiche un prix unitaire situé entre 70 et 100 millions d’euros contre 15 millions d’euros pour le Mirage 2000.
En conséquence, les acteurs de la BITD sont désormais habitués à produire en petite quantité, avec des programmes dont les durées s’étalent sur plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années. Là encore, des efforts ont été entrepris, surtout depuis 2022 après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Celle‑ci a fourni l’occasion pour les industriels d’augmenter les cadences et de réduire les délais de production. Des acteurs innovants émergent de plus en plus sur les segments « simples » : drone, lutte anti‑drones, intelligence artificielle et peuvent constituer une réponse aux limites des acteurs historiques de la BITD.
En effet, ils sont capables d’innover rapidement et de trouver des solutions simples, différenciantes, plus économiques, à l’instar de l’entreprise Turgis et Gaillard. Néanmoins, ils ont pu rencontrer des difficultés à travailler avec les instances d’acquisition du ministère, ces dernières n’étant pas habituées à travailler avec ce type d’acteurs.
Vous avez parlé, monsieur le président, d’un triple défi. Nous retrouvons ces défis dans l’analyse que nous avons faite du modèle d’armée français. Il se trouve aujourd’hui à un véritable point d’inflexion. Le retour de la guerre en Europe nous a brutalement rappelé une vérité militaire fondamentale : la supériorité technologique ne peut écraser seule l’adversaire si elle n’est pas accompagnée de la masse. Nous devons donc édifier un nouveau modèle hybride, articulant des équipements à bas coût pour les logiques d’attrition et de saturation, avec le maintien de plateformes hautement technologiques pour emporter la décision.
Je laisse la parole à Thomas Gassilloud pour la présentation de nos recommandations.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Depuis les années 1990, nous avons collectivement cru aux dividendes de la paix. Aussi, nos budgets militaires ont considérablement été réduits. Trois objectifs ont toutefois été maintenus : la crédibilité de la dissuasion, le meilleur niveau de maîtrise technologique avec la préservation de notre BITD et le maintien d’une capacité expéditionnaire pour mener des combats limités et choisis. Depuis 2017, grâce à l’impulsion du président de la République, nous avons engagé des LPM de réparation et de modernisation qui sont suivies à l’euro près, et d’ores et déjà, le budget a augmenté de 20 milliards d’euros par an avec une cohérence retrouvée
Toutefois, les décroissances précédentes continuent de produire leurs effets et le prix unitaire des équipements continue à fortement augmenter. Aussi, malgré un doublement du budget en 2030 par rapport à 2019, nous aurons moins de chars, moins d’avions et moins de bateaux qu’à la fin de la Guerre Froide. Je continue de penser que nos choix de LPM ont été les bons. Ils nous permettent aujourd’hui de disposer d’un socle de capacités large et performant. Nous avons eu raison de choisir, sous contrainte budgétaire, la cohérence plutôt que la masse et la réactivité plutôt que l’endurance, mais il nous faut aujourd’hui tirer pleinement les conséquences du retour d’expérience (Retex) de la guerre en Ukraine et des incertitudes du soutien américain, voire du risque de désalignement de nos valeurs et de nos intérêts.
Nous avons donc l’obligation de reconstituer la masse de notre défense et d’en assurer l’endurance et ce, pour trois raisons majeures : pour renforcer l’épaulement de notre dissuasion et en empêcher le contournement par le bas ; pour faire face aux menaces hybrides qui peuvent être massives, tout en restant en dessous du seuil de nos intérêts vitaux, et qui placent non seulement le combattant, mais aussi le citoyen en première ligne et pour honorer nos engagements au sein de l’Otan et de l’UE, garantissant ainsi l’autonomie stratégique européenne et donc notre sécurité.
Toutefois, nos contraintes restent les mêmes : de manière quelque peu caricaturale, nous souhaitons être capables de tout faire, tous seuls, mais avec des moyens limités. C’est pourquoi, en tant que parlementaires, nous devons dire la vérité et prendre des risques, quitte à parfois nous tromper ou déplaire, tout comme nous le demandons à nos militaires et à nos entreprises.
C’est dans cet esprit que notre rapport propose d’engager trois révolutions pour faire évoluer notre modèle, qui nous semble marquer une véritable inflexion de trente ans, comme l’ont été en leur temps la dissuasion dans les années 1960 ou la professionnalisation dans les années 1990 : « faire autrement » pour nos armées ; demander à la nation de « faire mieux » et développer le « faire avec » nos partenaires internationaux.
En premier lieu, il s’agit de faire autrement pour nos armées. Avec les deux dernières LPM, nous disposons d’un socle solide et cohérent. Bien entendu, il doit être complété par certaines capacités, qui ne sont pas toujours prévues en LPM. Mais face aux menaces exposées précédemment, au‑delà de ces capacités, il nous faut retrouver rapidement de l’épaisseur.
La première révolution consiste donc à assumer pleinement la différenciation capacitaire en complément de nos équipements de pointe, pour disposer de matériel simple, rustique, peut‑être imparfait, mais en mesure d’être produit à faible coût et à grande cadence, en intégrant notamment les capacités du monde civil. Ces capacités différenciées seront déterminantes pour employer à bon escient et épauler les armes de décision, vecteurs coûteux et donc rares.
Cette logique me semble particulièrement pertinente dans le milieu terrestre notamment en raison de sa viscosité, comme en témoigne le succès de nos canons CAESAR. Je rappelle que lors de son lancement, personne n’en voulait, ni les armées, ni la direction générale de l’armement (DGA), car il n’était pas blindé ni chenillé, posait des risques de protection pour nos soldats. Le retour d’expérience en Ukraine montre finalement que cet équipement affiche un taux de survivabilité remarquable et que, parfois la mobilité est préférable au blindage. On pourrait également parler de l’articulation dans le milieu aérien, de vecteurs très coûteux et très performants comme le Scalp et de missiles plus low cost et de leur complémentarité pour atteindre nos objectifs stratégiques. En résumé, nous vous proposons une différenciation, c’est la première révolution qui est proposée en intégrant pleinement le potentiel des capacités civiles.
Les armées doivent être capables d’intégrer avec des délais très courts des équipements et des technologies duales. Pour cela, nous portons plusieurs propositions visant à redynamiser les cycles d’acquisition et d’innovation capacitaires. Nous proposons par exemple de déconcentrer de certains crédits pour renforcer les logiques de subsidiarité au niveau de chaque armée et même de chaque unité comme cela se pratique déjà dans l’armée de Terre.
Au‑delà des équipements, nos forces doivent continuer à développer trois cultures complémentaires qui feront notre supériorité qualitative : la culture d’innovation, l’agilité opérationnelle et l’ambiguïté. La culture d’innovation, et notamment l’innovation participative et l’innovation d’usage, inspirée par les pratiques déjà courantes au sein de nos forces spéciales, doit irriguer tous les échelons par l’expérimentation permanente. Elle se concrétise par notre proposition de former chaque élève officier et sous‑officier à la construction et à l’emploi d’un drone dès sa formation initiale.
L’agilité opérationnelle permet d’accélérer les cycles de décision grâce notamment au commandement par l’intention. Elle doit également être impérativement alimentée par une réelle démultiplication des capacités de connaissance, d’anticipation et de coordination. L’impulsion de la LPM est la bonne. Mais nous devons accentuer les efforts consacrés aux technologies de pointe dans ces domaines, à savoir l’IA, le calcul haute performances et quantique ainsi que les constellations de satellites en orbite basse, tels OneWeb puis Iris2.
Enfin, il faut renforcer l’ambiguïté stratégique, opérative et tactique. En effet, dans un champ de bataille rendu transparent par les technologies de surveillance, développer les capacités de déception et d’intoxication informationnelle permet de restaurer une part du « brouillard de la guerre ».
La deuxième révolution consiste à demander à la nation de « faire mieux ». Il faut bien avoir conscience que la somme de nos militaires, 200 000 personnels d’active, représente moins de 1 % de la population active. Il est donc impératif de mobiliser plus largement toute la nation pour atteindre notre objectif d’endurance et notre objectif de résilience.
En conséquence, la deuxième révolution doit être celle des réserves. L’objectif ambitieux d’atteindre 100 000 réservistes d’ici 2035 a été établi par notre ministre des armées. Nous devons désormais concrétiser ce projet en créant une véritable « garde nationale », avec des crédits sanctuarisés de l’ordre de 1 milliard d’euros annuels, soit environ 2 % de notre budget de défense pour un tiers des effectifs. Cette garde nationale permettrait de générer une troisième division hybride et interarmées, composée principalement de réservistes et équipée selon la logique rustique que j’évoquais précédemment. Ainsi, la France disposerait de trois divisions, dont deux projetables, formant un corps d’armée complet qui renforcerait considérablement nos capacités et notre crédibilité stratégique.
Cette révolution, ancrée dans la nation, implique également de libérer nos forces des missions qui ne relèvent pas de leur cœur de métier. La suspension du dispositif Sentinelle, en arrêtant le déploiement permanent pour ne conserver qu’une capacité de réactivation sur alerte, nous semble une nécessité pour retrouver de la marge de manœuvre. Mon collègue Damien Girard propose de mettre formellement fin au service national universel (SNU), afin de libérer encore davantage de marges qui seraient affectées en priorité aux réserves.
Mais cette révolution va au‑delà de la simple augmentation des effectifs. Il s’agit d’offrir une réelle attractivité à cet engagement, de professionnaliser profondément l’emploi des réservistes, de leur donner des parcours de carrière clarifiés, des équipements dédiés, et surtout de sortir du paradigme actuel où ils servent de variable d’ajustement budgétaire.
Au‑delà des réservistes opérationnels de niveau 1 (RO1), nous devons poursuivre un meilleur référencement de la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2) et mobiliser les compétences civiles stratégiques. Par exemple, nous proposons l’animation de communautés de renseignement d’origine source ouverte (Osint), en intégrant des experts civils volontaires. Elles démultiplieraient nos capacités d’analyse à moindre coût.
Nous encourageons également la mise en place rapide de la journée défense et citoyenneté (JDC) nouvelle version et des « stades de défense » (Stadef) pour organiser la montée en puissance de notre appareil de défense, au travers une mobilisation coordonnée de chaque acteur, jusqu’au citoyen afin qu’il adapte sa posture en conséquence, à l’image des alertes météorologiques.
Notre troisième révolution, celle du « faire avec », concerne nos partenariats stratégiques et l’action indirecte. En effet, la France, représentant moins de 1 % de la population mondiale et quelles que soient les options retenues, elle n’aura pas la masse pour faire face seule aux défis stratégiques contemporains.
Toutefois, notre coopération doit avant tout servir nos intérêts nationaux, sans les diluer. Nous devons donc rationaliser nos coopérations en matière d’armement. Plutôt que de multiplier certains programmes complexes sources de retards et de surcoûts, nous privilégions une approche pragmatique de spécialisation.
Ainsi, nous estimons que le programme Scaf doit être rééquilibré avec une maîtrise d’œuvre française claire, compte tenu de notre avance dans l’aviation de combat, et prioriser une livraison rapide du cloud de combat, y compris pour faire fonctionner les équipements existants.
Je soutiens également que nous devons étudier l’opportunité de poursuivre ou non le programme Eurodrone, qui pourrait être dépassé avant même ses premières livraisons prévues en 2031, au profit de solutions plus légères et agiles.
Nous pensons enfin que la coopération capacitaire doit venir de la coopération opérationnelle. Elle peut s’appuyer sur des expériences concrètes comme la brigade franco‑allemande qui devrait évoluer vers une unité aux matériels et moyens véritablement uniformes. Cet objectif pourrait débuter par la convergence sur des segments précis comme la logistique ou les transmissions.
Par ailleurs, l’espace de conflictualité étant de plus en plus immatériel et numérique. Il est indispensable d’accroître la surface de contact entre notre outil de défense et les grands acteurs du numérique. Gardons en tête trois grandes masses de valeurs. En Européens, nous investissons quelques milliards d’euros chaque année en matière de R&D militaire. Les Américains investissent quelques dizaines de milliards d’euros chaque année en matière de R&D militaire. Les GAFA investissent quelques centaines de milliards d’euros chaque année en termes de R&D. Il y a donc un rapport d’un à cent entre notre R&D de défense européenne et la R&D des GAFA portée sur un seul secteur du numérique.
Enfin, la véritable révolution réside dans le développement massif de notre action indirecte. L’exemple ukrainien démontre l’efficacité du soutien indirect : formation, munitions, équipement, conseil, assistance technique. En cas d’attaque sur le front oriental de l’Europe, notre solidarité stratégique reposera tout autant sur l’envoi de troupes que sur la capacité à soutenir le pays agressé, sans obérer nos propres capacités de défense.
Tirant pleinement profit du retour d’expérience de notre soutien à l’Ukraine, nos armées peuvent obtenir des résultats stratégiques importants via une montée en puissance de nos actions de soutien extérieur. Cette « révolution de l’action indirecte », pertinente aussi face aux menaces asymétriques, doit s’accompagner de doctrines et de moyens dédiés, ainsi que de formations spécialisées pour nos cadres.
Ces trois révolutions – « faire autrement » pour les armées, « faire mieux » pour la nation, et développer le « faire avec » les partenaires – doivent être conduites simultanément, car elles s’alimentent mutuellement.
En conclusion également, j’aimerais délivrer trois messages clés. D’abord, nous pourrons être fiers de nos soldats, de la DGA, de nos industriels. Cela n’exclut pas de jouer pleinement notre rôle de parlementaires pour mettre le système sous pression et contribuer à prévenir la surprise stratégique. Ensuite, nos choix ont été globalement adaptés, mais la masse doit désormais accompagner la cohérence, y compris pour une France dotée. Enfin, avec 0,1 % du PIB, nous pouvons obtenir un impact important sur notre modèle avec une approche différenciée au niveau matériel et humain.
Au‑delà de tous ces aspects, rappelons une vérité éternelle : la force morale d’une nation reste la constante de la décision dans les conflits de haute intensité. Nos trois révolutions doivent soutenir cette dimension immatérielle qui fera notre force. Nos soldats, comme nous le rappelait le commandant du 1er régiment de hussards parachutistes (1er RHP) à Tarbes, sont « prêts dès ce soir ». À nous de leur donner les moyens d’être prêts plus massivement et dans la durée.
M. le président Jean‑Michel Jacques. Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
M. Romain Tonussi (RN). Je vous remercie pour la qualité de ce rapport, qui insiste sur la nécessité de retrouver de la masse, alors que la LPM a opéré le choix de privilégier la cohérence avant tout.
Au Rassemblement National, nous déplorons que ni la masse, ni la cohérence ne soient satisfaisantes : les stocks de munitions sont insuffisants, les hélicoptères Tigre ou NH90 cumulent des indisponibilités techniques et notre marine demeure sous‑dimensionnée. Dans un contexte marqué par le retour des engagements majeurs, la question de la masse est redevenue centrale et cette masse ne se limite pas aux équipements puisque, comme l’a souligné notre collègue Caroline Colombier dans son rapport sur le recrutement et la fidélisation, les hommes et les femmes assurent la tenue de l’effort et la résilience de notre modèle. Le chef d’état‑major des armées Thierry Burkhard avait d’ailleurs été l’un des premiers à alerter sur la nécessité de rééquilibrer notre modèle et de trouver un juste milieu entre haute technologie et masse.
La dissuasion nucléaire nous permet justement de disposer de ce format d’armée et nous tenons à ce qu’elle soit sanctuarisée. Pour cela, elle doit être protégée face aux vulnérabilités nouvelles, notamment celles que pourrait introduire l’usage non encadré de l’intelligence artificielle dans les chaînes de décision.
Ainsi, à la lecture du rapport, deux points essentiels soulèvent selon nous des interrogations. D’une part, le concept de différenciation capacitaire que vous évoquez, en associant des équipements rustiques à des plateformes avancées, ne risque‑t‑il pas d’aboutir à une armée à deux vitesses, voire à des ruptures de cohérence doctrinale ? D’autre part, dans un contexte de non‑exécution budgétaire et de retard de paiement envers les industriels de défense, comment espérer atteindre une vraie massification de nos moyens ?
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Effectivement, la dernière LPM met l’accent sur la cohérence plutôt que sur la masse. Pour ma part, je continue de penser que nos choix d’optimisation ont été les bons, compte tenu du budget des 413 milliards d’euros dont nous disposions et des menaces de l’époque. Aujourd’hui, la cohérence étant progressivement retrouvée, nous poursuivons effectivement l’objectif de retrouver de la masse, à partir d’approches plutôt réalistes et pragmatiques en termes de budget. À l’approche du sommet de l’Otan, qui actera peut‑être des trajectoires de dépenses de défense en augmentation, il est préférable de formuler des propositions qui résistent à toutes les hypothèses budgétaires.
Ensuite, la question de la différenciation, du mix capacitaire est extrêmement importante. Si nous ne nous sommes dotés que de matériel de haute technologie, nous serons déclassés opérationnellement. Face à une menace asymétrique, disposer uniquement de missiles très coûteux conduit rapidement à un épuisement. En mer Rouge, en l’absence d’autres moyens, la marine nationale a été contrainte de détruire des drones Shahed à 20 000 euros l’unité avec des missiles Aster, dont le coût est de plusieurs millions d’euros.
Nous avons besoin de vecteurs plus low cost, pour nous permettre de concentrer nos armes de décision sur les objectifs stratégiques. En résumé, il faut traiter les menaces plus faibles avec des vecteurs peu coûteux. Le bon mix consiste à pouvoir envoyer une horde de missiles low cost pour contraindre les défenses sol‑air adverses à se dévoiler, à s’user. Une fois que le chemin est ouvert, il est ensuite possible d’employer l’arme de décision qui touchera son but de manière certaine. Ce mix capacitaire concerne tous les segments, des simples capacités terrestres en passant par les capacités maritimes aériennes jusqu’aux capacités spatiales.
En conclusion, je suis convaincu que la différenciation est la clé du retour de la masse et donc absolument nécessaire pour faire face aux menaces d’aujourd’hui.
M. Damien Girard, rapporteur. Concernant votre remarque sur l’exécution budgétaire, notre proposition n° 2 propose de mettre en place une instance de suivi spécifique dotée d’experts détachés pour suivre l’exécution budgétaire, dans le cadre plus général d’un contrôle parlementaire le plus précis possible, comme c’est le cas dans d’autres démocraties européennes. Il pourrait s’agir d’agents de la Cour des comptes spécialistes de ces questions, qui seraient mis à disposition.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Pour finir, nous sommes à la recherche du mix capacitaire idéal. Il faut trouver un équilibre entre une armée de masse peu technologique et une armée très avancée technologiquement, mais peu massifiée.
En 1991, nous disposions d’une armée de masse, mais aussi d’appelés du contingent. La première guerre du Golfe a révélé que nous manquions de capacités technologiques, raison pour laquelle ont été créés la direction du renseignement militaire (DRM) ou le Commandement des opérations spéciales (COS). Depuis cette période, l’accent a été porté sur la technologie. Désormais, nous avons besoin de compléter ce socle technologique par de la masse, avec des équipements plus rapidement issus du civil, plus « low tech », plus « smart tech ».
Aujourd’hui, des services de renseignement font état d’un possible test de souveraineté de la part de la Fédération de Russie dans un horizon trois à cinq ans. Diversifier et différencier le matériel est important pour obtenir plus de masse compte tenu de notre budget, plus rapidement. Dans le domaine des équipements terrestres, nos équipementiers sont en mesure de fabriquer quelques centaines de blindés par an, quand les constructeurs automobiles peuvent produire quelques centaines de milliers d’équipements par an. En cas d’un éventuel besoin de remontée en puissance brutale, nous avons la possibilité d’acquérir très rapidement des équipements différenciés auprès de nos industries civiles. Il s’agit à la fois d’un objectif de masse à meilleur coût, mais aussi dans de plus brefs délais.
M. François Cormier‑Bouligeon (EPR). La question de l’équilibre entre masse et haute technologie occupe nos réflexions depuis maintenant de longs mois. Il faut maintenant quelques années pour réparer et moderniser notre armée après des décennies de sous‑investissements dramatiques dans les années 1990 et 2000. Nous avons fermé des régiments, nous avons perdu des dizaines d’avions de chasse et de chars, mais nous avons également perdu des capacités de production. Député du Cher et de Bourges, je peux témoigner que les années 1990‑2000 ont occasionné la perte de milliers d’emplois dans l’industrie de défense.
Comment passer de cette armée idéale en temps de paix à une armée en temps de guerre, qui soit efficace dans la durée, qui tienne compte de l’attrition en hommes et en armes que produisent les conflits symétriques, mais aussi des besoins de haute technologie auxquels peut répondre notre industrie de défense française, qui est indispensable dans les conflits asymétriques ? J’ai noté que vous avez parlé de mix capacitaire idéal, de mix technologique bas‑haut du spectre et également de « smart tech » de masse.
Vous avez évoqué les missiles low cost, mais l’on pourrait également parler des drones. Je voudrais vous interroger sur la capacité de production, dans la mesure où ces segments sont soumis à l’accélération des ruptures technologiques. En effet, on ne peut pas établir de stock de drones ou de missiles low cost parce qu’ils sont périmés très rapidement. Comment déclencher les capacités de production de masse au moment où nous en aurions besoin ?
M. Damien Girard, rapporteur. Nous avons commencé à évoquer la « smart tech » de masse dans notre propos liminaire. Compte tenu des cycles d’innovation et de réponses extrêmement courtes, il ne s’agit pas tant de disposer de stocks très rapidement obsolètes, mais de pouvoir produire rapidement, le jour où cela serait malheureusement nécessaire. Cela implique par exemple de posséder sur le territoire national ou européen des outils, des usines duales de fabrication de drones, aujourd’hui plutôt destinés aux civils, mais capables de basculer rapidement sur des usages militaires. À ce titre, il importe de disposer de modèles de contractualisation qui permettent et préparent ce cas de figure.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Le concept de différenciation existe depuis le livre blanc de 2013. Pour autant, les LPM ont privilégié la cohérence plutôt que la masse ; à l’époque, nous n’avions pas encore été confrontés à la guerre d’agression russe en Ukraine, où un pays a décidé seul d’envoyer 700 000 de ses soldats et d’assumer 1 000 pertes par jour. Par ailleurs, se rajoute aujourd’hui l’incertitude du soutien américain, qui nous amène à nous reposer cette question.
Si la France promeut la souveraineté stratégique européenne, elle doit être a minima en mesure d’assumer sa quote‑part conventionnelle de ce qui serait nécessaire à l’Est. Désormais, au concept de « paix‑crise‑guerre » s’est substitué le concept, porté par le chef d’état‑major des armées (Cema), de « compétition‑contestation‑affrontement ».
Dès le temps de compétition, nous avons besoin de montrer notre détermination, d’épauler la dissuasion avec des forces conventionnelles. Aujourd’hui, à mon sens, un écart trop important s’est créé entre nos capacités conventionnelles et le seuil des intérêts vitaux déterminés par le président de la République. Une zone n’est pas totalement couverte entre les deux et il nous faut pouvoir rassurer nos alliés à l’Est. Aujourd’hui, ceux‑ci achètent du matériel américain, car ils estiment que les États‑Unis viendront à la rescousse s’ils sont un jour attaqués. Il nous faut être en mesure de produire un corps d’armée, non seulement parce que nous en avons besoin pour notre défense, mais également pour notre souveraineté stratégique, pour prévenir un test de prise de gage territorial, au‑delà de la dissuasion nucléaire.
Vous abordez également la question de la montée en puissance. Il convient déjà de se préparer intellectuellement à cette montée en puissance. Aujourd’hui, dans nos contrats opérationnels, l’hypothèse la plus haute d’engagement indique qu’en cas de conflit, nous aurons six mois pour nous préparer et déployer seulement 24 000 hommes, pour une durée maximale de six mois. Désormais, cette hypothèse d’engagement majeur me semble totalement désuète au regard des menaces auxquelles nous devons faire face.
Notre armée a besoin de se muscler conventionnellement pour mieux épauler la dissuasion. Pour faire face à une capacité de remontée en puissance, il faut opérer un arbitrage entre les stocks, assez faibles actuellement, et la capacité productive. Il est donc indispensable de travailler davantage la réversibilité de la capacité de production civile. Dans les prochains jours sans doute, un partenariat sera annoncé entre un équipementier automobile et l’une de nos PME de défense pour produire massivement des missiles low‑cost équipés de moteurs de voiture, dont le coût est inférieur à 5 000 euros et de calculateurs valant quelques centaines d’euros.
Enfin, cette montée en puissance repose selon moi sur les stades de défense qui permettent à l’ensemble de la nation de trouver la posture adaptée, notamment en matière d’industrie de défense. Lors de notre visite à Tarbes, j’ai été marqué par l’ensemble des contraintes auxquelles l’industriel Europlasma devait faire face pour sa montée en puissance. Il me semble nécessaire de réfléchir davantage à des clauses dérogatoires, en fonction du niveau de stade de défense, pour permettre à notre BITD d’accélérer. Ces dérogations porteraient par exemple sur le temps de travail, sur certains délais, naturellement en lien avec l’ensemble des organisations représentatives du personnel, qui nous ont indiqué être prêtes à de telles adaptations.
Enfin, vous évoquez la question des drones. Vous avez tout à fait raison : il est inutile de disposer de grands stocks de drones, dont l’obsolescence serait rapide. Nous proposons que chaque élève officier et sous‑officier – soit 5 000 cadres sont formés chaque année – ait la capacité, pendant sa scolarité, de construire un drone. À 1 000 euros le drone, cela correspondrait à une dépense de 5 millions d’euros. À titre de comparaison, la contribution française à l’Eurodrone s’élève à 1,2 milliard d’euros. Au‑delà, nos régiments sont en train de s’équiper d’imprimantes 3D, de capacités à produire des drones.
Il me semble que nous devrions étudier, à l’échelle européenne, des barrières à l’entrée de drones chinois. En effet, demain, en cas de conflit, la clef résidera dans notre capacité européenne de production civile des drones. À titre personnel, je pense que nous devrions en faire de même pour les masques sanitaires. Toutes les entreprises à qui nous avions demandé de fabriquer des masques pendant la crise sanitaire connaissent des difficultés importantes. Sur de tels équipements qui nous paraissent sans intérêt et sans valeur jusqu’à ce que le contexte change, nous devons assumer un protectionnisme intelligent pour protéger ces industries qui sont en réalité extrêmement stratégiques.
M. Guillaume Garot (SOC). Vous évoquez une garde nationale, avec un objectif de 100 000 réservistes d’ici 2035. Il s’agit là d’une véritable ambition. Mais concrètement, comment y parviendrons‑nous ? Comment recruter et ensuite fidéliser les réservistes ? Quelle sera la soutenabilité financière ?
Ensuite, s’agissant du volet industriel, vous prônez une différenciation capacitaire, associant des équipements les plus sophistiqués et, en appui, un grand nombre de matériels civils plus simples, voire plus rustiques. Comment pouvons‑nous nous assurer que cette stratégie préserve bien notre souveraineté industrielle ? En effet, nous savons bien que les équipements dont il est question ne sont pas forcément aujourd’hui produits en France.
Enfin, comment inscrivez‑vous cette stratégie dans une stratégie européenne de défense ? De quelle manière se joue l’articulation, afin que nous soyons efficaces et que nous puissions avancer dans cette stratégie européenne de défense ?
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Nous souscrivons pleinement à l’objectif de 100 000 réservistes établi par notre ministre. Cependant, cet objectif doit s’accompagner aujourd’hui de moyens concrets pour la montée en puissance de ces réservistes, afin d’éviter une forme de dissonance entre les grandes ambitions et les moyens, sur le terrain. Actuellement, la tendance est plutôt à demander à nos unités de réserve, y compris en gendarmerie, de baisser leur rythme opérationnel.
Nous souhaitons que des moyens soient dédiés à la garde nationale, de l’ordre d’un milliard d’euros par an, soit 0,03 % du PIB, pour une capacité de disposer de 100 000 hommes. À partir notamment de ces 100 000 hommes, il s’agit pour nous de pouvoir contribuer à former une troisième division (25 000 hommes), en plus des deux divisions d’active. Pour améliorer l’attractivité et la fidélisation, il importe de donner de l’activité à ces réservistes, au moins une trentaine de jours par an.
En outre, il est absolument nécessaire d’améliorer les délais de paiement. Nos réservistes sont souvent de jeunes étudiants. Or lorsqu’ils effectuent une activité en septembre, ils ne sont parfois payés que l’année suivante. Le réservistedoit pouvoir recevoir sa solde sur son compte dans un délai d’un mois.
Le ministre porte également le projet d’une JDC nouvelle formule, qui sera renforcée, militarisée, marquée par un référencement de compétences. Cette JDC, qui pourrait remplacer le SNU, concernera 800 000 jeunes par an et sera susceptible d’ouvrir la voie à un engagement dans la réserve. À l’issue de la journée, ces jeunes pourraient repartir avec un gilet orange, de telle sorte qu’ils soient mobilisables sur des missions de basse intensité, fondée sur le volontariat. En résumé, nous proposons une approche différenciée entre une JDC pour tous renforcée et l’engagement dans la réserve pour ceux qui le souhaitent. Enfin, dans les prochaines semaines, des annonces pourraient avoir lieu concernant un service militaire volontaire nouvelle génération.
Ensuite, j’estime que la différenciation est compatible avec notre souveraineté industrielle. Les produits low cost que nous voulons fournir massivement à nos armées sont des majoritairement fabriqués en France. Je mets de côté les smartphones, pour lesquels nous aurions juste la maîtrise de la couche logicielle, comme les gendarmes. Ces derniers disposent de l’application Néogend et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) produit un système d’exploitation (OS) qui permet de sécuriser le téléphone. De leur côté, les armées utilisent déjà l’application Auxylium pour gérer des déploiements Vigipirate sur la base de petits smartphones.
Produisons‑nous des véhicules tactiques sur notre sol ? Renault Trucks, propriété de Volvo, fabrique des camions à destination des armées, soit seulement 1 % de leur production. Du jour au lendemain, l’entreprise est capable d’augmenter sa cadence. Ineos Grenadier produit en Alsace un 4x4 d’excellente qualité, extrêmement rustique. Enfin, le fusil d’assaut constitue l’armement individuel du fantassin. Je suis favorable à la démarche en cours à la fois pour regagner notre souveraineté en matière de production de munitions de petit calibre, mais souhaiterais également que nous puissions produire à nouveau un tel fusil en France. Je rappelle d’ailleurs que l’entreprise Verney‑Carron a été reprise récemment.
M. Damien Girard, rapporteur. Je partage les propos de mon co‑rapporteur concernant les moyens de la remontée en puissance de la réserve. Je suis à ce titre favorable à la suspension de Sentinelle et du SNU, pour réallouer ces moyens plutôt que de les disperser.
S’agissant de l’articulation avec l’échelle européenne, nous avons formulé quelques pistes de réflexion, notamment autour de la notion de best athlete pour certains projets, comme leSCAF, autour d’entreprises pilotes. La proposition n° 29 sur la brigade franco‑allemande recommande de disposer de capacités complètes et d’un matériel uniforme. La complémentarité européenne est nécessaire, tant l’armée française n’est pas capable de répondre seule à tous les enjeux, compte tenu notamment du contexte géostratégique actuel.
M. Christophe Bex (LFI‑NFP). La question d’un nouvel équilibre à trouver entre rusticité et technologie a été posée de longue date par La France Insoumise, notamment en 2017, en soulignant les besoins de masse de notre pays afin d’exercer pleinement sa souveraineté sur le deuxième territoire maritime du monde.
Quelles sont vos propositions en matière d’acquisition de drones de surface et sous‑marins ? Comment considérez‑vous les hypothèses de développement rapide de ces appareils relativement peu chers et dont nous avons vu dans la guerre en Ukraine qu’ils pouvaient produire des effets importants ?
Enfin, monsieur Gassilloud, vous proposez de décaler l’arrivée du porte‑avions de nouvelle génération (PANG). Il s’agit d’une proposition très forte dont on aimerait connaître les conséquences. Quels surcoûts engendrerait‑elle, compte tenu de la prolongation du Charles‑de‑Gaulle ? Les Chantiers de l’Atlantique sont‑ils en mesure de décaler leur planning et de réserver leurs cales pour ce bateau exceptionnel ? Comment la marine pourrait‑elle s’assurer du maintien des compétences dans un calendrier mouvant ?
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. La France a naturellement besoin d’un porte‑avions de nouvelle génération pour remplacer le Charles‑de‑Gaulle, qui sera retiré du service en 2038, parce que nous sommes un pays archipel, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Nous avons besoin de projeter de la puissance et le porte‑avions constitue un outil extraordinaire en faveur de la supériorité aéromaritime. Enfin, nous en avons besoin pour préserver des savoir‑faire industriels et militaires dans un monde incertain. Il ne s’agit donc pas pour moi de remettre en cause la pertinence de disposer d’au moins un porte‑avions pour la marine française et notre aéronavale.
Pour autant, le PANG est le plus gros objet de nos armées, soit 10 milliards d’euros, hors équipement. Dans le cadre de notre mission sur la masse, il était donc inconcevable de ne pas évoquer ce sujet. Nous disons simplement qu’il faut réfléchir à minimiser le plus possible la période de tuilage, pour essayer de décaler un peu dans le temps le porte‑avions de nouvelle génération, idéalement sans surcoût ni rupture capacitaire.
Sur dix ans, cela correspond à un milliard d’euros par an. Chaque jour de décalage du PANG représente plusieurs millions d’euros, que nous pouvons investir de manière supplémentaire pour les besoins des prochains mois et des prochaines années, notamment pour la marine nationale. Nous portons ainsi la proposition ambitieuse de lancer en production trois frégates supplémentaires, sur le modèle « italien », dans les chantiers de Lorient.
Ces frégates seront déterminées pour l’export et, au pire, nous les intégrerons dans la marine. Quelle que soit l’option retenue, cela sera intéressant pour l’État : le loyer de l’argent immobilisé pour commander est largement compensé pour l’État par les retours fiscaux et sociaux de la vente d’une frégate à l’étranger. La France a besoin d’un PANG, mais voyons s’il est possible de le reporter sans surcoût et sans rupture capacitaire, en sachant par ailleurs qu’en 2028, un arrêt technique majeur interviendra. À cette occasion, nous découvrirons peut‑être que sa durée de vie peut être prolongée.
M. Damien Girard, rapporteur. S’agissant de ce décalage, j’ai « sous‑amendé » la proposition de Thomas Gassilloud. S’il faut décaler, je pense que ce délai pourrait être mis à profit pour réfléchir à l’européanisation du PANG et essayer d’avoir deux porte‑avions.
S’agissant des drones de surface et sous‑marins, nous envisageons aussi une logique de partenariat et d’innovation, en modifiant la démarche historique de la DGA qui consiste à exprimer un besoin, de réaliser un appel d’offres, puis de commander. Je retiens des échanges que nous avons menés que certains drones maritimes seront plutôt low cost, quand d’autres seront en réalité assez chers et répondront à des logiques différentes.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Pour revenir sur la question des frégates, nous avons été invités à Lorient, où nous avons pu observer sur place l’excellence des chantiers de Naval Group. Les frégates de défense et d’intervention (FDI) constituent à ce titre un équilibre intéressant entre masse et technologie. Je formule d’ailleurs une proposition un peu iconoclaste, qui porte sur un rapprochement industriel entre les chantiers de Saint‑Nazaire et les chantiers de Lorient pour la production des coques.
La marine nationale dispose actuellement de quinze frégates et nous proposons de porter ce nombre à dix‑huit, mais dans un cadre réaliste et pragmatique. Les chantiers de Lorient produisent une frégate par an, quand ils pourraient en fabriquer deux. Dans un monde en compétition où nous disposons de prospects à l’export, il est quand même dommageable de ne pas utiliser pleinement notre outil productif. Prenons le risque de lancer en chantier des frégates dont nous aurons besoin dans tous les cas.
Si ces frégates sont conservées pour la marine nationale, le décalage de trésorerie sera de l’ordre d’un milliard d’euros par frégate sur quelques années, soit un coût en intérêt de l’ordre de quelques dizaines de millions d’euros. De plus, nous avons largement de quoi les armer, avec des marins qui sont déjà en double équipage sur nos bateaux. Si nous nous sommes en capacité de les vendre à l’étranger, 300 à 500 millions d’euros reviendront dans les caisses de l’État sous forme de cotisations sociales, patronales, d’impôts sur les sociétés et de la TVA.
En conclusion, nous souhaiterions que cette réflexion puisse être poussée à son maximum pour voir s’il n’est pas pertinent de lancer dès à présent la construction de frégates supplémentaires, soit dans une logique d’export, soit pour avancer l’équipement de nos forces.
M. Jean‑Louis Thiériot (DR). Je vous remercie pour cette réflexion complète sur la question de la masse, qui fait part de vues extrêmement pertinentes, notamment sur la différenciation. Je souhaite cependant faire part d’une vraie réserve de notre groupe sur la proposition de notre collègue Damien Girard concernant l’européanisation des porte‑avions.
La France utilise ces porte‑avions pour porter la dissuasion nucléaire. Or européaniser les porte‑avions reviendrait à abandonner cette composante de la dissuasion. Est‑ce votre suggestion ? Je rappelle qu’un bateau porte un pavillon, il répond à une chaîne de commandement. Il existe un état‑major de l’Union européenne, mais celui‑ci relève de la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc), domaine dans lequel les décisions sont prises à l’unanimité des Vingt‑Sept, ce qui affectera l’octroi des missions.
Ensuite, nous sommes évidemment d’accord avec Thomas Gassilloud sur la nécessité d’être à la hauteur au niveau du corps d’armée. Cependant, à la lecture du rapport, j’ai eu l’impression que vous évoquiez le nombre de divisions, mais pas nécessairement les soutiens au niveau corps d’armée nation cadre. Pouvez‑vous m’éclairer à ce sujet ? Enfin, concernant les coopérations industrielles, l’idée du best athlete est importante, mais si la logique est poussée à son terme, cela signifiera peut‑être pour la France renoncer à un certain nombre de capacités. Jusqu’où faut‑il aller dans ce domaine ? Cette réflexion concerne notamment certains éléments terrestres.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. La différenciation et la masse d’un corps d’armée à trois divisions, me semblent pertinentes sur le territoire national. La différenciation est très utile, notamment en soutien de la ligne de front, pour fournir des engins du génie qui ne soient pas forcément des engins blindés. À titre d’exemple, les Ukrainiens utilisent des équipements assez rustiques et assez simples. Nous avons certes besoin de camions‑citernes nouvelle génération, pour remplir des missions spécifiques, mais surtout de camions‑citernes quasiment issus du civil, pour les flux logistiques. Lors de l’opération Barkhane, une opération importante, mais assez limitée en volume, 75 % de la logistique avait ainsi dû être externalisée. Face à ce problème de masse, dans le cadre d’une hypothèse budgétaire réaliste, nous n’avons pas d’autre choix que de prendre ce qui existe sur étagère pour respecter des contraintes de budget et de délai.
Enfin, une autre conviction personnelle est encore plus iconoclaste. Je me permets de vous en faire part, même si elle peut parfois interpeller. Je pense que l’hybridité et la légèreté sont pertinentes en première ligne ; le retour d’expérience du terrain ukrainien montre qu’elles sont beaucoup plus importantes que le blindage et la visibilité. La réussite du canon CAESAR en Ukraine en fournit un exemple patent. Tout regroupement de blindés, même avec des défenses sol‑air et des capacités de blindage, est immédiatement sujet à un traitement de la part de l’adversaire.
C’est la raison pour laquelle j’estime que la différenciation est même pertinente en première ligne, avec des équipements plus légers, plus nombreux, plus mobiles, plus rustiques, pour restaurer une forme de « brouillard de la guerre ». Ces théories ne sont pas nouvelles. Elles ont par exemple été développées dans les années 1970 dans l’excellent ouvrage de Guy Brossollet, Essai sur la non‑bataille. Il disait que face à la menace russe pléthorique, il faudrait une dispersion des moyens. Ce faisant il souhaitait revenir sur lala concentration des moyens chère au maréchal Foch, afin de privilégier la concentration des effets, en utilisant pleinement la viscosité du milieu terrestre.
M. Damien Girard, rapporteur. Concernant l’européanisation du porte-avions, nous dessinons une idée, dont il faudra prendre le temps nécessaire pour préciser le périmètre. Ensuite, j’exclus que le porte‑avions ne porte plus la dissuasion nucléaire et n’envisage pas non plus que cette dissuasion soit européanisée. Nous savons cependant que la flottille qui accompagne le Charles‑de‑Gaulle est déjà parfois européanisée, puisque des navires italiens ont pu escorter le porte‑avions. À partir de cet exemple, je pense qu’il est possible de réfléchir à une européanisation plus poussée permettant de disposer des moyens mutualisés à l’échelle européenne, au sein desquels la France pourrait avoir des porte‑avions.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). À travers la mission des deux rapporteurs, des questions cruciales ont été soulevées dans cette période de redéfinition stratégique de la défense française et européenne, à l’aune des bouleversements mondiaux en cours : le retour des conflits de haute intensité, la remise en cause du droit international et l’émergence d’une internationale réactionnaire. Au vu de ces constats, le rapport se demande comment renforcer notre autonomie stratégique en matière de défense et quelles sont les forces et les faiblesses de notre armée.
Cette réflexion s’inscrit dans une stratégie française, mais également une stratégie de défense partagée avec nos partenaires européens. En effet, face à l’accroissement des menaces et l’émergence de puissances hostiles, nous avons besoin de partenariats européens pour défendre notre modèle démocratique. Ensuite, l’armée française est une armée cohérente et efficace ; nous pouvons nous en féliciter. Toutefois, selon votre rapport, « elle présente des incohérences de masse en opposant masse et technologie ».
La loi de programmation militaire a choisi de ne pas choisir, en conservant un modèle d’armée complet, au risque de perdre en épaisseur stratégique. Il nous faut donc aujourd’hui choisir un modèle d’armée qui réponde à ces nouvelles menaces. Le rapport propose plusieurs pistes intéressantes : mettre fin au dispositif SNU pour réorienter les crédits vers la réserve opérationnelle, qui permettrait réellement de renforcer la capacité humaine de l’armée ; prévoir le développement d’une force terrestre low tech à basse intensité technologique afin d’être en capacité de répondre à des attaques massifiées dans la durée ; et la suspension du dispositif Sentinelle comme dispositif permanent, puisque celui‑ci mobilise 10 % de notre effectif de force opérationnelle. Enfin, il effectue des propositions extrêmement intéressantes sur la manière d’associer le Parlement à cette réflexion. La création d’un institut parlementaire, avec des ressources dédiées et des experts techniques qui pourraient fournir une expertise indépendante sur la loi de programmation militaire à intervalle régulier sur des programmes d’armement me semble un outil extrêmement utile.
Le rapport opère des choix, dégage des choix stratégiques extrêmement clairs d’un modèle d’armée. À quelles menaces stratégiques correspondent les choix que vous avez opérés ?
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Je vous remercie pour cette question, qui me permet de saluer la mue des écologistes sur les questions de défense, en France comme en Allemagne, dont nous pouvons collectivement nous féliciter. Vous avez parfaitement raison : l’atteinte des grands défis mondiaux et notamment la lutte contre le réchauffement climatique nécessitent un ordre mondial. Les moyens hybrides permettent d’agir face aux aléas climatiques comme le font nos forces, notamment celles de Nouvelle‑Calédonie, qui mènent un grand nombre de coopérations capacitaires avec leurs voisins à ce sujet.
Dans un monde en compétition, il est de notre responsabilité de donner aux démocraties les moyens de « gagner le match » face aux régimes autoritaires. Pour remporter cette compétition, il faut être confiant dans nos valeurs, nous avons notamment besoin de vérité. Poutine a subi une grande désillusion lors des premiers jours de l’invasion russe en Ukraine, car on lui avait menti sur l’état réel de l’armée russe. Il pensait prendre l’Ukraine en trois jours, mais s’est aperçu à ses dépens que l’armée qui lui avait été vendue par ses chefs depuis des années ne correspondait pas à la réalité.
La vérité constitue bien un actif stratégique pour nos démocraties. C’est la raison pour laquelle nous devons tenir, notamment concernant l’indépendance des médias, afin de restaurer la confiance chez nos concitoyens et éveiller leur regard sur les menaces du monde actuel. Nous, parlementaires, figurons parmi les acteurs importants pour permettre aux démocraties de « gagner le match ». À ce titre, nous, parlementaires, devons faire preuve d’exigence, continuer à « être des poils à gratter », pour mettre le système sous tension et prévenir la surprise stratégique. Notre système et nos militaires sont dotés d’immenses qualités, mais éprouvent parfois des difficultés à brûler des objets qu’ils ont adulés pendant des années. Or notre histoire est constellée de surprises stratégiques, faute d’avoir perçu la nouvelle révolution qui arrivait. Notre retard sur les drones peut à ce titre en fournir une nouvelle illustration.
M. Damien Girard, rapporteur. Je rejoins ces derniers propos sur le rôle des parlementaires, raison pour laquelle nous souhaitons renforcer notre rôle, à travers cette proposition d’un institut parlementaire., qui serait doté d’une importante expertise.
Ensuite, afin de pouvoir réellement jouer notre rôle de solidarité avec l’est de l’Europe, il nous a semblé important que les propositions les plus fortes soient axées sur l’armée de terre, à travers la proposition de réserves réellement opérationnelles et suffisamment dotées ou la brigade low tech permettant de répondre à ces enjeux dans le cadre de coûts maîtrisés.
M. Christophe Blanchet (Dem). Les temps changent. Il y a cinq jours, nous célébrions le quatre‑vingt‑unième anniversaire du débarquement, qui amenait la paix en France et en Europe. Pendant quatre‑vingt‑un ans, les discours et cérémonies célébraient la préservation de la paix. Désormais, nous en sommes à nous demander comment éviter la guerre. Le rapport répond à cette question, en mettant en avant le volume des forces, des matériels et des munitions. Mais pour éviter la guerre, il faut également montrer que nous sommes prêts à la faire, ce qui implique une adhésion nationale.
Monsieur Gassilloud, vous avez indiqué qu’il faut placer le citoyen en première ligne, avec une référence manifeste à un objectif de 100 000 réservistes. Les différents rapports soulignent d’une part que 30 % des réservistes ne se déclarent pas à leurs employeurs et restent "fantômes", et d’autre part, qu’ils quittent la réserve quand ils ne se sont pas reconnus. Dès lors, comment les fidéliser réellement si nous voulons atteindre cet objectif ? Vous connaissez mon ambition de vouloir inclure dans les normes relatives au travail le fait qu’être réserviste fait partie des dimensions de discriminations, car tel est le cas aujourd’hui. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Ensuite, j’entends vos réserves sur le SNU, mais pour atteindre la masse que vous appelez de vos vœux, comment faire adhérer la population dès le plus jeune âge ? Enfin, vous avez évoqué 700 000 hommes mobilisables en Russie. Est‑ce toujours le cas aujourd’hui ?
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Le chiffre concernant la Russie demeure d’actualité. Par ailleurs, si un cessez‑le‑feu était signé demain, l’appareil productif russe désormais lancé à pleine vitesse serait en mesure de reconstituer des capacités extrêmement rapidement. Aujourd’hui, de nombreuses personnes vivent de la guerre en Russie et les populations y sont habituées, y compris à travers la perception d’indemnités en cas de décès de proches sur le front.
Ensuite, vous avez évoqué les « réservistes fantômes ». Effectivement, une partie des réservistes ne font pas part de leur statut à leur employeur, par crainte de voir freinée leur progression dans l’entreprise. À ce titre, il convient de parvenir à un équilibre des contraintes, parce que tout ne peut pas non plus être imposé à l’employeur civil, au risque de rendre le réserviste moins employable et moins attractif.
Il nous faut progresser dans trois directions très rapidement. La première concerne l’importance de la culture de défense. Au‑delà des normes et de la contrainte, chacun doit avoir conscience de l’importance de cette défense et du geste citoyen réalisé quand un réserviste est libéré ; qui peut se traduire également par un développement de compétences pour l’entreprise, puisque le réserviste développera des capacités de commandement, de gestion du stress. Une deuxième pratique consisterait à convoquer en amont, sous un délai de six mois à un an, l’ensemble des réservistes d’une unité pendant une semaine. Enfin, par décret ministériel, il est possible de convoquer la réserve de sécurité nationale quand notre pays est confronté à un problème grave. Or ces dernières années, nous aurions pu le faire à plusieurs reprises, par exemple à l’occasion de la crise sanitaire.
Enfin, l’adhésion nationale représente un sujet qui me tient à cœur. Je suis persuadé que si la capacité militaire et technologique est essentielle, la volonté fait, in fine, la différence. Les conflits récents en fournissent la preuve. Il est impératif que chaque Français se sente personnellement responsable de la défense nationale. Chacun doit se dire qu’il a un rôle à jouer pour son pays, avec un fusil ou un clavier. La JDC nouvelle formule a pour objet d’y contribuer, de rappeler à nos jeunes que la nation aura peut‑être besoin d’eux, un jour. Rappelons‑nous toujours cette phrase de Saint‑Exupéry : « Chaque sentinelle est responsable de tout l’empire ».
M. Damien Girard, rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes qui évalue le SNU estime que le dispositif ne répond pas à deux des objectifs clés : la mixité sociale et l’engagement. Pour notre part, nous considérons qu’une réserve réellement opérationnelle, avec des moyens et des doctrines d’emploi bien plus importantes qu’aujourd’hui permettrait bien plus d’assurer cette cohésion nationale et de répondre à cet enjeu. Nous pensons que nous avons plutôt intérêt à concentrer nos moyens sur cette réserve, car aujourd’hui, le SNU ne répond pas aux objectifs qu’il s’était fixés et il mobilise des moyens humains et financiers.
Mme Lise Magnier (HOR). Votre rapport éclaire avec justesse les dilemmes auxquels notre modèle d’armée est aujourd’hui confronté. Il s’agit de conjuguer l’impératif de masse avec la préservation de notre supériorité technologique tout en restant lucides sur nos contraintes budgétaires.
Vous effectuez un certain nombre de propositions. Vous avez notamment mis en lumière l’importance des drones et de la guerre électronique dans les conflits contemporains et, plus largement, l’évolution de la conflictualité vers une hybridité toujours plus marquée. Vous avez déjà eu l’occasion de revenir sur cette question des drones.
Je souhaite revenir sur votre proposition n° 12 que je trouve particulièrement innovante et pertinente. Elle vise à doter chaque élève d’école d’officiers et de sous‑officiers d’un drone commercial FPV pour l’acculturer aux nouveaux modes de combat. Pouvez‑vous nous détailler cette proposition et ses modalités de mise en application, mais aussi son articulation avec l’exigence de sécurité opérationnelle et de confidentialité des données ? Comment s’assurer que l’emploi des drones commerciaux issus du secteur civil ne crée pas de vulnérabilité pour la formation et la doctrine de nos armées ?
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Nous avons progressé en matière de drones, mais nous partions de très loin. Je me souviens qu’il y a quelques années, nous étions allés passer le réveillon du 31 décembre en Guyane avec la première ministre Élisabeth Borne. Un des soldats de l’opération Harpie nous avait alors appris qu’il avait dû acheter un drone sur ses fonds personnels pour pouvoir observer l’activité des orpailleurs de l’autre côté de la colline. L’armée ne lui en fournissait pas.
Nous souhaitons accélérer la massification. À ma connaissance, nos armées n’ont toujours pas le droit, sur leurs propres champs de tirs, de s’exercer à tirer sur un drone. Certains militaires rencontrés nous ont même indiqué devoir s’inscrire à un club civil de ball-trap pour s’entraîner à l’interception de drone. Il importe donc de mieux prendre en compte la singularité de l’équipement de défense. Il s’agit de lever des contraintes réglementaires normatives pour intégrer pleinement l’usage des drones, dont certaines ajoutent des surcoûts considérables à nos équipements. Ce n’est pas forcément le « made in France » qui coûte plus cher, mais la manière dont on le fait.
Nous proposons que tous les élèves officiers et sous‑officiers fabriquent un drone durant leur cursus. Les entreprises contactées sont prêtes à fournir les drones en pièces détachées. Dans un cadre maîtrisé, il faudrait également permettre à ces élèves d’utiliser ce drone dans leur milieu civil, afin qu’ils puissent intégrer pleinement leur usage et développer leur dextérité.
M. Bernard Chaix (UDR). L’excellent rapport que vous présentez fait bien état de la multiplicité des menaces, à la fois le retour de la haute intensité, mais également des stratégies non conventionnelles déployées par des pays hostiles, comme l’Azerbaïdjan, qui viennent menacer nos intérêts vitaux. Cette pluralité des menaces ouvre différents fronts. Pour faire face, la France doit adapter son modèle d’armée. Nous souscrivons donc à l’idée d’un développement d’un modèle hybride. Les pays impliqués dans les guerres conventionnelles en fournissent une bonne illustration. Ainsi, l’Ukraine va produire 4 millions de drones FPV en 2025, dont les capacités seront démultipliées par le réseau civil de Starlink.
Si ce modèle hybride est souhaitable, nous devrons cependant faire des choix. Avec 3 400 milliards d’euros de dettes, dont un tiers depuis 2017, le seul remboursement des intérêts à nos créanciers est déjà supérieur au budget annuel de nos armées. Faute de sérieux budgétaire, nous n’avons pas les moyens de nos ambitions militaires.
Si vous insistez sur le nécessaire renforcement de notre corps de bataille terrestre, le groupe UDR s’inquiète aussi des progrès technologiques de l’arsenal militaire chinois, notamment en matière de dilution et de furtivité de ses sous‑marins. Par ailleurs, la Chine prévoit de disposer de six porte‑avions en 2035 et bénéficie déjà de catapultes électromagnétiques. Cette nouvelle avance technologique pourrait acter la supériorité aérienne de la Chine, notamment dans la zone indopacifique, une zone qu’elle convoite et où nous avons des intérêts vitaux. Pour la France, l’un des objectifs porte sur la construction d’un porte‑avions de nouvelle génération, équipé en catapultes électromagnétiques, afin de nous maintenir dans la course technologique.
Face à ces responsabilités, est‑il raisonnable, comme le suggère la proposition n° 7 du rapport, de décaler de plusieurs années la réalisation du programme de porte‑avions de nouvelle génération ?
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. La France a besoin d’un porte‑avions ; nous proposons simplement, si cela n’entraîne pas de surcoûts, de réfléchir à décaler de quelques mois sa livraison, afin de raccourcir la période de tuilage.
Vous avez abordé le cas de l’Azerbaïdjan. Je souhaite à ce titre revenir sur la révolution n° 3 que nous proposons, qui concerne le soutien et les stratégies indirects. Dans certains cas, nous avons parfois intérêt à aider des alliés dans des situations opérationnelles, lorsque nos intérêts convergent. À ce titre, il me semble que nous aurions pu faire mieux en matière de soutien capacitaire à l’Arménie, face à l’Azerbaïdjan. Nous n’avons pas pu y parvenir, faute de stocks suffisants d’équipements correspondant à un usage plutôt rustique. Nous pouvons également nous interroger pour savoir ce que nous aurions pu réaliser en complément de Barkhane pour entraîner une meilleure remontée en capacité des armées sahéliennes engagées face aux terroristes dans un contexte où l’acceptabilité d’une force étrangère n’est pas toujours acquise.
Je suis convaincu de la pertinence des stratégies indirectes. Face à une menace pesant sur le front oriental de l’Europe, la France peut apporter sa dissuasion à travers la réflexion sur la dimension européenne de ses intérêts vitaux, sa capacité projetable. Mais si la Pologne et la Finlande sont attaquées, elles seront en première ligne et nous devrons leur fournir une capacité de soutien industriel. En résumé, au‑delà de la capacité à projeter des forces, nous devons nous préparer à soutenir industriellement l’effort de guerre d’un pays tiers dans le cadre de notre solidarité stratégique.
M. Damien Girard, rapporteur. Le décalage temporel que nous proposons à la réflexion vis‑à‑vis du PANG vise à profiter des moyens qui ne seraient pas mobilisés à ce moment‑là pour travailler sur le modèle « à l’italienne » de commande de coques blanches de frégates, qui permettrait par ailleurs de fournir le volume préconisé par le Livre blanc de 2013.
Il nous semble pertinent d’explorer cette piste, notamment dans le cadre d’un volume budgétaire contraint, afin de ne pas déstabiliser les autres budgets de l’État, qui sont extrêmement importants pour la cohésion de la nation. Je pense notamment aux enjeux sociaux ou écologiques sur lesquels nous devons continuer à investir massivement.
M. Philippe Bonnecarrère (NI). J’ai lu attentivement votre rapport, que j’ai trouvé remarquable, instructif. Je souhaite me concentrer sur la question de la masse et le sujet de la garde nationale, des 100 000 réservistes. Comment y parvenir ? Deux solutions me semblent envisageables. La première concerne 100 000 « vrais » réservistes, issus des militaires d’active, ou qui se sont ensuite réorientés vers un régime de réserve. Je suis un peu dubitatif sur la capacité d’arriver à 100 000 réservistes par ce moyen, notamment pour des raisons de disponibilité.
Un autre modèle pourrait être envisagé, dont j’ai pris connaissance à l’occasion d’un récent déplacement en Norvège organisé par le président de la commission. Celui‑ci concerne un service national sélectif, sur la base d’un volontariat, dans une culture de césure après les études. Quelle serait donc la bonne perspective entre « vrais » réservistes et service national sélectif ?
M. Yannick Chenevard (EPR). Le décalage du projet de porte‑avions de nouvelle génération engendrerait des effets considérables et désastreux, notamment un risque de perte capacitaire. Il est important de rappeler que sur le plan industriel, le troisième arrêt technique majeur (ATM3) du porte‑avions Charles‑de‑Gaulle interviendra en 2027, pendant une durée de dix‑huit mois. Durant cette période, nous n’aurons plus de porte‑avions disponible.
Si nous prolongeons le Charles‑de‑Gaulle, nous serons obligés de faire travailler TechnicAtome sur les réacteurs K‑15 du porte‑avions et nous prendrons alors un retard considérable sur les K‑22 du futur porte‑avions à propulsion nucléaire, se traduisant finalement par plusieurs années de décalage. Je préfère une association Charles de Gaulle‑PANG n° 1, avant d’associer, à un moment donné, le PANG n° 1 et le PANG n° 2 ; qui nous permettrait de retrouver une posture opérationnelle sans prise de risque industrielle.
M. Sébastien Saint‑Pasteur (SOC). En Ukraine, 70 % des pertes humaines et matérielles sont aujourd’hui générées par les drones. Nous constatons en outre l’esquisse d’un tournant stratégique, comme en atteste le partenariat avec Renault, notamment sur la fabrication de drones en Ukraine. Si Saint‑Exupéry parlait des sentinelles et de l’empire, il disait également : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s'agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ». Y a‑t‑il un autre salut que les technologies duales pour soutenir cet effort de défense ? Est‑ce le seul chemin que nous pourrons emprunter demain pour être en capacité de soutenir l’effort que nous devons consentir ?
M. Frank Giletti (RN). Je vous remercie pour votre rapport qui valide ce que nous proposions pendant l’étude de la LPM, notamment sur les trente Rafale supplémentaires, les trois frégates que nous avions défendus par amendement. Je félicite tout particulièrement Damien Girard et le groupe Écologiste et Social pour leur changement de position, de paradigme sur la défense. Je me souviens ainsi que lors de nos débats, ce groupe avait proposé une LPM à 270 milliards d’euros, sans marge d’augmentation. Il indiquait également dans un de ses amendements que le porte‑avions était inadapté et injustifié, et proposait enfin une stratégie de dissuasion non nucléaire, avec un désarmement total. Quelle est la raison de ce changement de vision de votre groupe ?
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Je pense que l’emploi de l’enveloppe de 413 milliards d’euros pour la LPM était le bon et ne suis pas persuadé que le Rassemblement National aurait pu opérer de meilleurs choix, avec ce montant.
Parmi les futurs possibles, un des plus sombres serait représenté par le « tout technologique ». Selon ce scénario, après l’intégration de la smart tech de masse, l’intelligence artificielle et la robotisation feront une irruption massive sur le champ de bataille, induisant une quasi‑disparition du soldat. Les guerres deviendraient alors des guerres industrielles, où seule la capacité industrielle compte. Sans le maintien de la limite humaine, je crains que le seuil de déclenchement de la guerre soit encore plus bas. En conséquence, je pense qu’un jour, l’humanité devra, comme elle l’a fait sur le nucléaire avec le traité de non‑prolifération, se pencher sérieusement sur cette question.
Monsieur Chenevard, s’il n’existe aucun doute sur la nécessité de disposer de deux porte‑avions, il convient effectivement de lancer le PANG tout de suite. J’estime que nous disposons de marges de quelques mois, mais n’étant pas expert sur ce sujet, j’écoute avec une grande attention vos retours.
Monsieur Bonnecarrère, l’engagement du ministre concernant les 100 000 réservistes est parfaitement atteignable. Le budget de la garde nationale correspond à un milliard d’euros, soit 2 % du budget de défense. Par ailleurs, le niveau de 100 000 réservistes correspond à un flux de l’ordre de 20 000 recrutements par an sur une classe d’âge de 800 000 personnes. À l’issue de la JDC, nous souhaitons simplement que quelques pourcents de nos jeunes s’engagent dans la réserve.
Aujourd’hui, nos armées n’éprouvent pas des difficultés de recrutement, mais de fidélisation des réservistes et de financement de leurs activités. En 1991, l’armée française disposait de plusieurs millions de réservistes. Aujourd’hui, la seule armée finlandaise est en mesure d’en aligner au moins 500 000, alors que sa taille est semblable à celle de la région Auvergne‑Rhône‑Alpes. À cette réserve de niveau 1, s’ajoute la réserve de disponibilité, la RO2, qui correspond à l’engagement des anciens militaires d’active à être rappelables pendant cinq ans. Cette réserve de niveau 2 doit être revitalisée.
Enfin, je tiens à rappeler mon attachement à la LPM qui nous fournit un socle de cohérence. Nos choix ont été les bons ; la cohérence peut précéder la masse, quand l’inverse n’est pas possible. Pour autant, notre rapport souligne le besoin impérieux de regagner de la masse. Au travers des quelques propositions que nous avons développées, nous avons essayé de vous montrer qu’avec moins de 0,1 % du PIB, nous sommes en mesure de produire des effets stratégiques sur notre modèle d’armée.
M. Damien Girard, rapporteur. Les écologistes développent une vision élargie de la stratégie et de la sécurité globale. Nous réfléchissons à l’échelle européenne et à l’ensemble de nos dépendances, notamment les dépendances vis‑à‑vis de la Russie. Nous prônons à ce titre la sortie de l’usage du fossile et du fissile. De ce point de vue, nous sommes clairement cohérents.
Quand le monde évolue, que les menaces augmentent et les retournements d’alliances sont plus vraisemblables, il est normal que les réflexions évoluent également. Je rappelle que les écologistes n’avaient pas voté contre la LPM, mais s’étaient abstenus, considérant notamment que le volet concernant le pivot est‑européen était insuffisant. Notre rapport d’information est cohérent à ce sujet et j’estime que nous avons le devoir d’être cohérents vis‑à‑vis de nos militaires. Enfin, je pourrais vous rappeler que Marine Le Pen serre la main de Vladimir Poutine. S’agissant de cohérence, je préfère la nôtre.
M. le président Jean‑Michel Jacques. Je vous remercie.
La commission autorise à l’unanimité la publication du présent rapport d’information.
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La séance est levée à onze heures quatre.
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Membres présents ou excusés
Présents. ‑ Mme Delphine Batho, Mme Valérie Bazin‑Malgras, M. Édouard Bénard, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, M. Philippe Bonnecarrère, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, M. François Cormier‑Bouligeon, M. Yannick Favennec‑Bécot, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. Damien Girard, Mme Florence Goulet, M. Daniel Grenon, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Jean‑Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Loïc Kervran, M. Abdelkader Lahmar, Mme Gisèle Lelouis, Mme Lise Magnier, M. Sylvain Maillard, Mme Laure Miller, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint‑Pasteur, M. Thierry Sother, M. Jean‑Louis Thiériot, M. Romain Tonussi
Excusés. ‑ M. Gabriel Attal, Mme Anne‑Laure Blin, M. Matthieu Bloch, M. Frédéric Boccaletti, M. Manuel Bompard, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Didier Lemaire, Mme Murielle Lepvraud, Mme Alexandra Martin, Mme Anna Pic, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Mereana Reid Arbelot, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud, Mme Corinne Vignon