Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Examen, ouvert à la presse, des conclusions de la mission d’information sur la mise en application de la LPM 2024-2030 (M. Jean-Michel Jacques, président ; MM. Yannick Chenevard et Sébastien Saint-Pasteur, rapporteurs) 2
Mardi
30 septembre 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 86
session 2024‑2025
Présidence
de M. Jean‑Michel Jacques,
président
— 1 —
La séance est ouverte à seize heures trente-deux.
M. le président Jean-Michel Jacques. Vous le savez, j’ai l’honneur d’avoir été le rapporteur de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 (LPM), promulguée le 1er août 2023. J’ai tenu à mener ce travail jusqu’au bout, en présidant, avec votre assentiment, la mission d’information qui a examiné sa mise en application, comme le prévoit l’article 145-7 du règlement de l’Assemblée nationale.
Nos travaux ont été intenses – ils ont duré plus de quatre mois – mais se sont déroulés dans un climat cordial, malgré nos différences. Je salue l’engagement de nos deux rapporteurs.
Mme Valérie Bazin-Malgras, MM. Édouard Bénard et Matthieu Bloch, Mme Geneviève Darrieussecq, MM. Yannick Favennec-Bécot, Damien Girard, Laurent Jacobelli et Arnaud Saint-Martin étaient également membres de cette mission d’information. Je les remercie également et ils pourront publier une contribution en annexe du rapport.
En lien avec les deux rapporteurs et considérant le moment de bascule stratégique que nous connaissons, nous avons souhaité ensemble que ces travaux soient plus ambitieux que le simple recensement des textes d’application. Le rapport identifie donc plusieurs axes d’efforts pour mieux renforcer notre outil de défense, ce qui sera particulièrement utile dans la perspective de l’actualisation prochaine de la loi de programmation militaire.
Je voudrais vous exposer mes constats et les axes d’effort qui me semblent prioritaires.
Il faut d’abord constater que la première annuité de la LPM a été exécutée conformément à ce qui était prévu, comme cela avait été le cas pour la précédente.
En 2017, le budget de la défense s’élevait à 32,3 milliards d’euros ; en 2025, à 50,5 milliards d’euros. D’ici à 2027 et en dix ans, ce budget aura doublé. C’est le fruit d’un engagement politique exigeant, amorcé en 2015 par le président François Hollande et porté par le ministre Jean-Yves Le Drian, puis accéléré de façon significative par le président Emmanuel Macron et mis en œuvre par les ministres Florence Parly et Sébastien Lecornu.
Je remercie les parlementaires qui ont soutenu et voté ces efforts budgétaires. Chacun doit avoir conscience que, dans le contexte stratégique actuel, ceux-ci sont indispensables : la paix et la liberté ont un prix.
Il faut aussi constater que l’impulsion donnée depuis 2017 a permis d’engager une modernisation capacitaire appréciée sur le terrain, et qui a eu des effets positifs sur le moral et le quotidien de nos militaires. Des efforts sans précédent ont été réalisés dans des domaines stratégiques tels que le cyber, le spatial, le renseignement, les munitions ou encore l’intelligence artificielle.
Les adaptations apportées à la trajectoire capacitaire durant cette première année ont été justifiées par le besoin de donner la priorité à certains domaines majeurs : la dronisation dans les différents milieux – spatial, aérien, terrestre, maritime, sous-marin –, la guerre électronique, la très haute altitude, le spatial, le quantique ou l’intelligence artificielle. Nous savons nous adapter : la loi de programmation militaire, sans doute encore plus que les autres lois de programmation, doit être vivante, et revisitée au besoin, si elle veut conserver toute sa force et sa cohérence.
Nous avons l’ambition de garantir à la France son autonomie d’analyse, de décision et d’action en tout temps et en tout lieu ainsi que de renforcer son statut de puissance d’équilibre et de pays-cadre pour d’autres nations. Pour atteindre ces objectifs, j’identifie cinq axes d’effort.
Le premier axe, c’est l’humain : les femmes et les hommes qui s’engagent, civils ou militaires, constituent la première richesse de notre défense nationale. Beaucoup a été fait, mais il nous faut aller plus loin encore en matière de recrutement, de fidélisation et de préparation opérationnelle.
Le deuxième, c’est la cohésion et la résilience de la nation : nous devons accentuer nos efforts pour permettre à nos concitoyens de s’engager en servant comme volontaire ou dans la réserve. Plus largement, nous devons rechercher davantage de synergies entre militaires, citoyens, élus locaux et entrepreneurs. Chacun d’entre nous a ici un rôle à jouer.
Le troisième, c’est la supériorité technologique et l’innovation, qui font déjà l’objet d’un fort investissement – 10 milliards d’euros dédiés d’ici à 2030 – que nous devons muscler. Nous devons mieux capter et encore mieux accompagner les pépites partout dans nos territoires. Nous devons continuer de valoriser l’esprit d’initiative, d’alléger les normes et de simplifier les processus d’accompagnement et d’accès au marché de la défense.
Le quatrième, c’est le soutien accordé à nos entreprises de la défense, en particulier à nos petites et moyennes entreprises et industries (PME et PMI), qui ont besoin d’une trésorerie solide pour se structurer et entrer dans une logique d’économie de guerre. Pour cela, les groupes bancaires doivent poursuivre leurs efforts et nous devons favoriser la structuration de fonds d’investissements dans le domaine de la défense. Nous devons également veiller à ce que nos PME bénéficient de la même visibilité que celle donnée par la LPM aux grands groupes. C’est nécessaire pour garantir leur développement et leur pérennité.
Le cinquième, c’est l’autonomie stratégique de notre pays, qui est indispensable si nous voulons rester les maîtres de notre destin. Nous devons continuer d’avoir une lecture indépendante et fiable des enjeux stratégiques grâce à nos services de renseignement et à nos investissements dans le spatial. Nous devons continuer de faire porter notre voix singulière dans le monde et d’assumer notre ferme attachement au droit international. Nous devons également continuer à agir pour l’autonomie stratégique européenne et conserver ce statut d’allié fiable au sein de l’Otan.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Vous évoquiez l’état d’esprit dans lequel nous avons mené nos travaux. Je voudrais souligner aussi la conscience aigüe que nous avons de la gravité du contexte : en ce moment même, le président Donald Trump réunit tous ses généraux à Washington. Le budget américain de la défense est proche du trillion de dollars.
La commission nous a confié, peu avant l’été, la tâche de nous pencher sur la mise en application de la LPM. Il s’agissait d’examiner si tous les décrets nécessaires à la bonne application de cette loi avaient bien été publiés – nul n’ignore ici combien c’est important – et plus généralement de vérifier si toutes les mesures d’application avaient bien été prises. Deux ans après l’adoption de la LPM, c’était aussi l’occasion d’en dresser un premier bilan concernant plus particulièrement certains enjeux : l’exécution budgétaire de la loi, la montée en puissance capacitaire de nos armées, la transformation de leur modèle de ressources humaines, la simplification des normes, la rénovation des infrastructures ou encore les moyens des services de renseignement – cette liste n’est pas exhaustive.
Le moment politique et stratégique particulier que nous traversons rendait particulièrement opportun ce tour d’horizon. Une nouvelle revue nationale stratégique (RNS) est parue ; le Président de la République a annoncé en juillet dernier vouloir un effort budgétaire supplémentaire de 6,5 milliards d’euros en faveur du ministère des armées pour la période 2026-2027 ; les tensions s’accroissent chaque jour sur le flanc Est de l’Europe, voire sur l’ensemble du continent.
Nous avons, en un temps resserré, entendu de nombreux services, agences et directions du ministère des armées, industriels, et responsables de services de renseignement. Nous vous présentons aujourd’hui nos conclusions, accompagnées d’une trentaine de recommandations.
La quasi-totalité des décrets prévus a été publiée. Leur élaboration n’a pas soulevé de difficulté majeure, y compris quand il fallait une coordination interministérielle. Le décret concernant le nucléaire de défense, qui limite le recours à la sous-traitance pour certaines activités touchant à la sûreté des installations, n’a été publié que le 16 avril 2025, mais cela s’explique par le caractère délicat des arbitrages – le sujet est sensible.
Un seul texte manque encore. Il est relatif à la fin de carrière des officiers et sous‑officiers. Sans rentrer dans le détail, nous recommandons qu’il soit publié, dans un souci de sécurité juridique.
La publication rapide des décrets n’est pas un exercice de style : elle rend l’action possible. L’exemple des drones hostiles le montre bien. Le décret du 12 mars 2024 et les arrêtés du 14 juin 2024 fixent qui décide, avec quels moyens et comment. Face aux survols constatés récemment au Danemark, ce cadre évite le double écueil des interdictions générales et des interdictions hésitantes, qui laissent passer la menace. Il permet une réponse proportionnée, rapide et traçable. Autrement dit, publier les décrets en temps et en heure, c’est transformer une loi en capacité d’agir sur le terrain. L’exemple danois, je le répète, montre que ce n’est pas là une question théorique.
Plus grave à nos yeux, sept des dix-huit rapports dont la LPM prévoit la remise au Parlement ne lui ont pas été transmis alors que le délai prévu pour ce faire a déjà expiré. On parle ici des rapports sur l’évolution de la présence militaire française en Afrique, sur les possibilités de réquisitions pour la sécurisation des approvisionnements des forces armées, sur la mise en place du plan « famille », sur les utilisations de la technologie quantique dans les armées… L’absence de transmission de ces rapports ne relève pas d’un simple retard administratif : elle traduit un manque de respect de la volonté du législateur et de son rôle de contrôle. Au vu des montants financiers considérables alloués au ministère des armées, le Parlement doit disposer des faits, des résultats, des écarts : c’est un impératif démocratique et la condition d’un débat éclairé, tant lors de l’examen du projet de finances que pour une éventuelle actualisation de la LPM – qui relève, comme l’indique la Constitution, d’un choix du Parlement et non d’une déclaration présidentielle.
Au-delà de l’affaiblissement du contrôle parlementaire, il s’agit ici du lien entre armée et nation : dans une période politique exigeante, nos concitoyens ont besoin de sens ; publier ces rapports, c’est rendre compte, dans une logique de transparence, de ce qui est fait, pourquoi et avec quels résultats. Pour entretenir le lien de confiance entre les citoyens, les acteurs et les responsables du secteur de la défense, il faut expliquer les choix.
Nous appelons donc le gouvernement à nous transmettre ces documents dans les plus brefs délais. À défaut, notre commission devra probablement se saisir elle-même de ces sujets en organisant des auditions et des missions d’information. Il y va du bon fonctionnement de notre régime parlementaire, de la crédibilité de notre trajectoire de défense et du respect dû aux Français qui consentent un effort financier important.
M. Yannick Chenevard, rapporteur. Afin de faire plus vite, moins cher, plus adapté, la LPM donnait la priorité à la simplification des normes et des procédures, en particulier dans le cadre des marchés publics et de la commande publique.
De réels progrès ont été accomplis, notamment par la direction générale de l’armement (DGA), dans la continuité du document unique de besoin introduit par l’instruction ministérielle 1618. La DGA a également mis en place au printemps 2023, afin d’accélérer les procédures d’acquisition de matériels, une « force d’acquisition réactive » (FAR), qui a démontré son efficacité, notamment à l’occasion des Jeux olympiques. Je rappelle aussi que la Commission européenne a présenté en juin dernier un paquet de mesures dit Omnibus, visant notamment à introduire un régime d’autorisation accéléré pour les projets de défense, à réduire la charge administrative pour les candidats au Fonds européen de défense, à encourager les achats groupés, à relever les seuils contractuels pour faciliter la passation de marchés et à accélérer les transferts transfrontières de produits de défense. Le réveil est partout présent.
Malgré ces progrès, la complexité du cadre normatif et des procédures d’achat demeure un obstacle tant pour les armées et les services du ministère que pour notre base industrielle et technologique de défense (BITD). C’est le cas par exemple dans le domaine des soutiens, où la complexité des normes freine la mise à niveau indispensable, ou en matière d’innovation, où les procédures d’acquisition demeurent inadaptées à un soutien efficace. Trente années de réductions budgétaires et d’imposition de normes civiles à des sujets militaires ne s’effacent pas facilement.
C’est pourquoi nous appelons à amplifier la politique de simplification des normes. La distinction entre temps de paix et temps de guerre tend à s’estomper : cela ouvre des fenêtres d’opportunité pour l’assouplissement de la réglementation, notamment en matière de commande publique militaire. Il convient de s’appuyer sur la classification Stadef – stades de défense – afin de placer le curseur à sa juste place à l’instant T. La revue nationale stratégique 2025 le relève d’ailleurs en appelant à « la préparation de […] régimes juridiques intermédiaires entre l’état de paix et celui de guerre ».
Il faut rassurer les acheteurs du ministère des armées, soucieux de ne pas voir leur responsabilité pénale engagée – préoccupation qui entraîne parfois une multiplication de précautions qui ne sont en rien imposées par le droit, le fameux « ceinture et bretelles ». Pour cela, un accent particulier doit être mis sur leur formation à des pratiques contractuelles beaucoup plus agiles et à la gestion dynamique du risque pénal. Nous renvoyons ici au rapport de Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d’État, sur la sécurisation de l’action des autorités publiques, qui contient des pistes tout à fait intéressantes.
Nous avons souhaité ensuite savoir où en sont les programmes d’équipements de nos armées. C’est ici la question cruciale de leur adaptation à un conflit de haute intensité en Europe qui est posée, scénario qui est d’ailleurs au cœur de la RNS.
La mise en œuvre de la LPM en 2024 a certes marqué une amélioration incontestable de la satisfaction des besoins capacitaires. De nombreux véhicules blindés ont été livrés – 35 Jaguar, 150 Griffon, 103 Serval – et 21 chars Leclerc ont été rénovés. Le renforcement de nos capacités navales se poursuit avec un bâtiment ravitailleur de forces, un sous-marin nucléaire d’attaque et un patrouilleur outre-mer, le deuxième ayant été livré en 2025. Les Atlantique 2 au standard 6 sont désormais livrés, après quelques mois de glissement, tout comme la première frégate de défense et d’intervention. Je suis cependant inquiet du glissement qui concerne les bâtiments de guerre des mines, dont nous mesurons pourtant tous les jours l’importance capitale notamment en mer Noire : pour maîtriser l’entrée et la sortie d’un port comme la navigation dans un canal ou un détroit, il faut pouvoir déminer.
Des décalages sont prévisibles dans la livraison d’hélicoptères de manœuvre, de systèmes de drones tactiques, de postes de communication, de systèmes de lutte anti-drones. Le trou capacitaire lié à l’arrêt d’utilisation des C-160G, comblé par la location de Saab 340, doit impérativement être comblé par l’arrivée dans les plus brefs délais des Falcon 8X Archange, indispensables dans le renseignement électromagnétique. Trois de ces appareils auraient dû être livrés à partir de 2025.
La montée en puissance capacitaire prévue par la LPM, bien réelle à présent, doit être accélérée afin d’atteindre les cibles prévues pour l’horizon 2030.
Au vu du contexte stratégique en Europe et de la possible bascule d’une partie des moyens des États-Unis vers la mer de Chine, nous ne pouvons pas laisser s’opérer de tels glissements dans la transformation de nos armées, si durement touchées par les réductions budgétaires des années des « dividendes de la paix ». Sur certains segments capacitaires, comme le ravitaillement en vol, la défense sol-air ou la guerre électronique, les forces armées des pays européens pourraient paraître, faute d’appui américain, insuffisamment robustes en cas d’engagement de haute intensité.
Nous appelons donc instamment à respecter les calendriers et à mettre à profit les surcroîts de moyens financiers qui seront alloués aux armées pour répondre aux besoins capacitaires les plus pressants, notamment en matière de défense sol-air, de lutte anti‑drones, de frégates de défense et d’intervention, de patrouilleurs hauturiers et de bâtiments de guerre des mines. La construction du futur porte-avions de nouvelle génération comme la fabrication de drones et de munitions ne doivent prendre aucun retard.
Il conviendra aussi de prolonger l’effort déjà engagé en matière d’innovation, pour laquelle, je le rappelle, la LPM a prévu 10 milliards d’euros de besoins programmés sur la période 2024-2030.
Ainsi, en matière de quantique, si la France est en avance sur les calculateurs et les capteurs, elle souffre encore d’un retard sur les communications, et il est impératif d’y consacrer les investissements nécessaires si nous voulons préserver notre souveraineté. C’est une course qui est lancée !
L’intelligence artificielle constitue le second grand domaine stratégique d’innovation. Dans le domaine de la défense, elle est susceptible de multiples usages, de l’analyse des flux numériques au traitement de la parole, de l’identification des cibles au contrôle de la navigation. Il faut ici laisser une plus grande marge de manœuvre aux acteurs, notamment aux PME et aux sous-traitants, dont les solutions innovantes pourraient ensuite être davantage intégrées par les grands industriels.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. La montée en puissance capacitaire suppose, entre autres prérequis, une capacité de la BITD à produire rapidement des quantités importantes de matériel, capacité qui est aussi un gage de résilience en cas de conflit. Nous appelons donc à la vigilance.
Les efforts menés depuis le début de la guerre en Ukraine, et accélérés depuis l’entrée en vigueur de la LPM, ont permis de réduire les délais de production et d’augmenter les volumes pour certains matériels. Le délai de production des missiles Aster devrait passer de quarante-deux mois en 2022 à dix-huit mois en 2026, pour un volume de production de moitié supérieur. Les progrès réalisés concernant les canons Caesar – camion équipé d’un système d’artillerie – et les obus de 155 millimètres sont remarquables.
Il faut que les commandes soient à la hauteur ; or, selon beaucoup d’industriels, leur niveau est faible. Il existe une dissonance entre les discours prononcés depuis l’Élysée et la réalité observée depuis les ateliers.
Le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (Gicat), qui compte près de 500 adhérents, a réalisé à notre demande une enquête interne afin que nous ayons une vue objective de la situation. Il en ressort que le volume des commandes depuis janvier 2025 est en net recul par rapport aux années précédentes. Des projets sont décalés, parfois sans explication et sans visibilité sur une éventuelle date de reprise. Ces reports pénalisent tout spécialement les PME et les ETI (entreprises de taille intermédiaire). Concernant la filière aéronautique, le Gifas – Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, pendant du précédent pour l’industrie aéronautique – a confirmé la faiblesse des nouvelles commandes ainsi que les reports de livraisons, qui mettent en difficulté en particulier les PME, dont la trésorerie se trouve ainsi fragilisée.
Il faut saluer le plan en faveur des ETI, PME et start-ups (Peps) mis en place par la DGA en 2024 : les maîtres d’œuvre industriels se sont engagés à répercuter la visibilité dont ils disposent de la part de la DGA vers leur chaîne de sous-traitance, et notamment vers les industriels de rang 1. Il n’en reste pas moins que, si la DGA a une bonne vision des PME et ETI avec lesquelles elle contracte directement, sa communication semble en revanche moindre avec les prestataires de rang inférieur dont elle connaît moins les vulnérabilités. La coordination et la communication entre ceux-ci et la DGA doit ainsi impérativement être renforcée.
Les industriels que nous avons auditionnés ont par ailleurs fait valoir que les précédentes LPM contenaient un échéancier plus détaillé que l’actuelle LPM. Il nous semblerait donc important qu’une actualisation de la LPM ou une prochaine loi de programmation prévoient un calendrier de livraisons plus précis, s’inspirant de l’échéancier figurant dans la LPM 2019 2025.
Tout cela doit être mis en regard des rigidités budgétaires qui seront évoquées par Yannick Chenevard.
En matière de ressources humaines, la LPM fixait un cap clair : recruter et fidéliser afin d’atteindre 275 000 équivalents temps plein (ETP) en 2030. Les premiers résultats sont positifs : les recrutements sont effectués, les départs se calment. Ces résultats sont liés à la revalorisation des grilles indiciaires des militaires du rang et des sous-officiers ainsi qu’à la réforme du système indemnitaire.
Trois grands chantiers restent à conduire.
Le premier doit viser à une meilleure reconnaissance des responsabilités des officiers, qui font preuve d’une grande disponibilité. La révision de leur grille indiciaire, annoncée pour 2025, doit vite aboutir : l’attente est forte et légitime ; l’absence d’action a des effets pervers. Sans cette révision, nous continuerons à perdre de jeunes diplômés, qui se tourneront vers le civil, et à dissuader les sous-officiers de franchir le pas.
Le deuxième est relatif à l’attractivité dans certains domaines critiques. C’est, nous le savons tous, un enjeu central. En matière d’intelligence artificielle, de renseignement et de cyber, la concurrence du secteur privé est frontale : il faut donc prévoir des parcours dédiés, des primes ciblées, du recrutement latéral et des passerelles avec nos écosystèmes académiques et industriels.
Le troisième, qui n’est pas le moindre, est celui de la condition militaire au quotidien. La solde ne fait pas tout : le logement, la garde des enfants, la gestion des temps et des parcours comptent tout autant. Le plan Fidélisation 360 a enclenché une dynamique, avec notamment une augmentation de 16 % des investissements dans la construction et la rénovation de lits et de 10 % pour les solutions de garde d’enfants. Mais le parc immobilier demeure un point noir, avec une « dette grise » estimée à 4,4 milliards d’euros. Force est de constater qu’on stabilise plus qu’on ne rénove.
Un mot enfin sur la réserve : l’objectif est d’atteindre 80 000 réservistes opérationnels en 2030, puis 105 000 d’ici à 2035. Il paraît ambitieux au vu des chiffres atteints à la fin de l’année 2024 : nous avions alors un peu moins de 44 000 réservistes. C’est positif, mais ce chiffre reste inférieur à ceux atteints dans de nombreux pays. Ainsi, l’Estonie – notre alliée, et directement menacée par la Russie – compte environ 40 000 réservistes actifs pour 230 000 potentiels et 1,3 million d’habitants. Si l’engagement des citoyens français s’exprime différemment, des améliorations simples paraissent possibles : raccourcir les délais de recrutement, verser la solde plus rapidement, mieux planifier les missions de ces Françaises et Français qui donnent de leur temps libre tout en occupant un emploi civil, augmenter le nombre de formateurs. Ce dernier point est critique : près d’un millier de formateurs manquent, selon le Conseil supérieur de la fonction militaire. Il faut aussi clarifier sur le terrain la complémentarité entre réserve et active, afin que chaque journée de service soit aussi efficace que possible.
M. Yannick Chenevard, rapporteur. La première annualité budgétaire prévue par la LPM a été exécutée avec efficacité. Les 47,2 milliards d’euros de crédits de paiement prévus pour la mission Défense ont été effectivement adoptés en loi de finances initiale pour 2024, ouverts et consommés. L’effort national de défense a ainsi représenté 2 % du PIB en 2024, atteignant par avance l’objectif fixé par l’article 3 de la LPM.
Si la trajectoire financière a bien été respectée, la situation budgétaire du ministère des armées révèle néanmoins plusieurs rigidités, le volume global des restes à payer et des autorisations d’engagement s’étant considérablement accru. Les investissements massifs dans les programmes d’armement, souvent de long terme, ont conduit à une augmentation des restes à payer, c’est-à-dire du stock de crédits de paiement ayant vocation à être consommés pour payer les autorisations d’engagement. Les restes à payer sont ainsi passés de 52,1 milliards d’euros en 2017 à 97,4 milliards en 2023, représentant un montant cumulé de 99 milliards à la fin de l’année 2024. Le volume très significatif de ces restes à payer, qui constituent par nature des dépenses inéluctables, a pour effet de tendre la gestion des crédits de paiement du ministère.
À moyen ou long terme, il ne faudrait surtout pas fragiliser la trajectoire financière de la LPM. Les reports de charges – c’est-à-dire les dépenses qui auraient dû être réglées au cours de l’année mais dont le paiement a été reporté – sont ainsi en hausse, atteignant 8 milliards d’euros en 2024 contre 6,1 milliards en 2023. S’ils peuvent être considérés comme un outil de pilotage, ainsi que le souligne la direction des affaires financières du ministère, ces reports n’ont pas le caractère structurel des restes à payer. Il n’en demeure pas moins qu’ils contribuent, eux aussi, à rigidifier le budget du ministère des armées.
Il nous apparaît donc essentiel de mettre à profit le rehaussement annoncé de la trajectoire financière de la LPM pour assainir l’exécution budgétaire de la mission Défense et garantir la soutenabilité des dépenses.
Nos auditions ont montré que sur deux points au moins, il existait un désaccord entre la vision du ministère des armées et celle du ministère de l’économie et des finances. Le premier point a trait à l’utilisation de la réserve de précaution prévue par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) : la direction du budget reproche au ministère des armées de l’intégrer systématiquement dans sa programmation pour des dépenses qui ne sont pas de l’ordre de l’imprévu. Le second point concerne les opérations extérieures (Opex) qui, selon la direction du budget, sont systématiquement sous-budgétisées. Ces différences d’interprétation ne sont pas saines et nous appelons à leur clarification.
J’en viens aux services de renseignement relevant de la tutelle du ministère des armées : la DRM (direction du renseignement militaire), la DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense) et la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure). La LPM a prévu en leur faveur des crédits à hauteur de 5,4 milliards d’euros.
L’article 42 de la LPM impose aux militaires, anciens militaires et agents civils de l’État ayant occupé des fonctions sensibles ou très techniques et souhaitant travailler pour un État étranger, une organisation ou une entreprise étrangère, de faire une déclaration préalable auprès du ministre de la défense. Le décret et l’arrêté prévus par la loi ont bien été pris ; l’arrêté n’a cependant pas été publié, pour des raisons de confidentialité. En pratique, la DRSD est chargée de diligenter une enquête, sur sollicitation du cabinet du ministre, afin de proposer à celui-ci un avis. À ce jour, elle a été saisie de quatre demandes d’avis. Le caractère dissuasif de la loi et la publicité qui en a été faite ont probablement constitué une première réponse efficace au phénomène de transfert à l’étranger de savoir-faire militaires opérationnels.
Nous souhaitons attirer votre attention sur le manque d’attractivité financière de la DRM et de la DRSD en particulier. Ces deux services ont du mal à attirer et surtout à conserver suffisamment longtemps les personnels militaires. Je n’entre pas dans le détail mais il s’agit d’un sujet fondamental que nous devons garder présent à l’esprit. Vous trouverez par ailleurs dans notre rapport un certain nombre de points sur lesquels les services ont souhaité appeler notre vigilance, qu’il s’agisse de la préservation de nos capacités spatiales, en ce qui concerne la DRM, ou de certains besoins opérationnels exprimés par la DGSE.
Notre dispositif national de cyberdéfense, supervisé par l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) et faisant l’objet des articles 64 à 68 de la LPM, présente un bilan positif. Le niveau de cybersécurité des opérateurs d’importance vitale (OIV) apparaît parmi les plus performants de l’Union européenne, au moins pour leurs systèmes les plus critiques ; notre pays a été précurseur dans ce domaine. Nous devons cependant progresser s’agissant de leurs clients, fournisseurs, prestataires et sous-traitants. La menace cyber s’est en effet étendue à tous les échelons de la chaîne de valeur et à tous les pans de notre tissu économique, administratif et social. Les acteurs les plus éloignés dans la chaîne de valeur sont souvent moins sécurisés et plus imprudents alors qu’ils sont en général connectés aux réseaux internes de leurs grands clients : nos efforts doivent également porter sur eux.
Il nous semble essentiel, dans le contexte actuel de dégradation de l’environnement stratégique, que l’adaptation de nos armées demeure une priorité. Les efforts engagés en 2017 doivent être maintenus sans baisse de régime. Nous ne pouvons nous permettre le moindre retard, la moindre pause. Tous les secteurs – humain, technique, juridique, capacitaire et financier – sont concernés. La LPM 2024-2030 est une étape fondamentale sur le chemin du redressement. Deux ans après l’adoption de ce texte refondateur, nous espérons avoir permis, avec ce rapport, un premier bilan et un état des lieux utiles dans la perspective des échéances qui nous attendent.
Permettez-moi enfin de citer un homme dont les mots résonnent singulièrement aujourd’hui. Le 10 décembre 1945, en pleine préparation du budget des armées pour 1946 et dans le contexte politique que l’on connaît, le général de Gaulle déclarait : « L’hiver qui vient nous place devant de plus grands soucis publics et privés. Gagnons le sommet d’où l’on voit l’ensemble. Nous serons ensuite plus hardis à regarder en face les difficultés qui subsistent et qui sont l’inévitable lot d’un grand peuple en plein redressement. » Mes chers collègues, nous avons tous un devoir envers celles et ceux qui servent nos armées. Nous souhaitons, en votre nom, leur rendre hommage.
M. le président Jean-Michel Jacques. La parole est aux orateurs des groupes.
M. Frédéric Boccaletti (RN). Je remercie messieurs les rapporteurs pour le travail effectué dans le cadre de ce rapport.
La loi de programmation militaire est un pilier de notre souveraineté. Loin d’être un exercice de communication, elle conditionne la capacité de la nation à se défendre et à tenir son rang. Son élaboration et son exécution devraient être irréprochables. Visiblement, M. Lecornu ne l’a pas compris. L’enjeu, en effet, est bien celui-ci : la LPM, qui présentait déjà des failles capacitaires constamment dénoncées par le Rassemblement national, sera‑t‑elle seulement exécutée ? Votre rapport montre deux failles majeures qui, comme nous le soulignons depuis 2023, minent la crédibilité de cette loi.
La première concerne la sincérité budgétaire. Pour appuyer un ton faussement martial, l’ancien ministre des armées a construit un budget trompeur qui accumule les artifices comptables. Le recours aux autorisations d’engagement et aux reports de charges explose, hors de contrôle. La constitution d’une dette massive aboutit pour certains programmes à une rigidité budgétaire totale, comme vous l’avez indiqué. Nous n’avons plus la moindre marge de manœuvre pour faire face aux évolutions stratégiques et la « surmarche » annoncée par le Président de la République en juillet dernier ne comble pas ce gouffre. Cela pose un problème démocratique : le prochain chef de l’État pourra-t-il encore agir dans ce domaine réservé ?
La deuxième faille concerne la situation de la BITD. Au lieu de sécuriser nos industriels, la LPM les a plongés dans l’incertitude. Les annonces gouvernementales non suivies d’effets ont envoyé des signaux dramatiques. De nos champions industriels jusqu’aux PME sous-traitantes, tous les industriels constatent le fossé entre le discours et les actes du ministre des armées. Cette situation se combine à l’acharnement dangereux du bloc central à maintenir sous perfusion les programmes Scaf (système de combat aérien du futur) et MGCS (système principal de combat terrestre). Elle met en péril notre souveraineté et notre autonomie, contre l’avis même des industriels concernés.
En un mot, la LPM est-elle encore un instrument de défense ou est-elle définitivement devenue un instrument de communication politique du gouvernement ?
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Je vous rejoins en partie sur la rigidité budgétaire et sur une certaine forme d’insincérité – alors que la sincérité est, comme vous le savez, l’un des grands principes budgétaires à respecter. Les budgets de défense peuvent néanmoins soulever des questions : Giorgia Meloni, par exemple, intègre dans les dépenses militaires la construction d’un pont entre l’Italie continentale et la Sicile !
Au-delà de la polémique que l’on peut chercher à entretenir, la rigidité a des conséquences concrètes sur notre capacité à adapter nos investissements dans un contexte très mouvant. Je salue à cet égard l’inventivité du ministère des armées, qui a recyclé des canons datant des années soixante-dix et y a intégré de l’intelligence artificielle pour faire face à une menace nouvelle sur notre sol, celle que constituent les drones.
Il est vrai ensuite que les industriels de la BITD, en particulier en bout de chaîne, soulignent un manque de lisibilité. Les PME et ETI font face à des problèmes de trésorerie qui peuvent leur être préjudiciables. C’est un point de vigilance majeur, et nous appelons à ce que cette situation soit corrigée.
Je voudrais enfin rappeler, s’agissant des programmes européens que vous avez cités, que la France est bénéficiaire du budget européen : elle perçoit des financements du Fonds européen de la défense et de l’Asap – règlement relatif au soutien à la production de munitions. Alors que notre budget de défense est inférieur à celui de l’Allemagne, et que la population française représente 15 % de celle de l’Union, la France bénéficie de 17 % de l’effort de défense. Face aux États-Unis comme face à la Russie – l’un étant son allié ou partenaire contractuel, l’autre son ennemi –, elle a intérêt à adopter une stratégie européenne. Je ne partage donc pas votre analyse sur ce point : les programmes européens sont plus une trajectoire à soutenir qu’un chemin à redouter.
M. Yannick Chenevard, rapporteur. Imaginons un instant qu’à partir de 2017 – alors que la situation internationale n’était pas celle que nous connaissons depuis l’attaque russe contre l’Ukraine –, le budget de la défense ait suivi la courbe qui avait été initiée à partir de 1992 ! Cette trajectoire était irresponsable : en 2017, on a fermé un régiment sur deux et onze bases aériennes ; on est passé de 135 à 85 bâtiments de combat. Imaginons que nous n’ayons rien fait dans le cadre de la précédente LPM, qui était une loi de réparation, et que nous ne poursuivions pas nos efforts avec la LPM actuelle, dont le budget est deux fois supérieur !
À l’arrivée, nous avons évidemment beaucoup d’autorisations d’engagement, qu’il faut couvrir avec des crédits de paiement. Mais il y a tant de grands programmes qui avaient été complètement ignorés ; tant de besoins d’adaptation et de configurations internationales jusqu’alors impensables. Avant la guerre de 1914-1918, certains de nos généraux pensaient encore en fonction de celle de 1870. De la même façon, qui aurait pu imaginer il y a trois ans la révolution stratégique que provoquerait l’arrivée des drones sur les champs de bataille, dans le domaine naval et dans les fonds marins ?
Certes, il reste du travail à accomplir, mais félicitons-nous d’avoir réajusté la trajectoire depuis 2017. Regardons l’Allemagne : la reconstruction de son armée prendra plus de dix ans, peut-être quinze. Depuis 2017, nous reconstruisons et nous nous efforçons, petit à petit, d’adapter notre outil à la guerre de nouvelle génération – pas seulement frontale, mais aussi hybride.
M. le président Jean-Michel Jacques. Les chiffres ne mentent pas. De 32,3 milliards d’euros en 2017, le budget de la défense est passé à 50,5 milliards en 2025. Ne sous-estimons pas l’effort qui est réalisé, même si vous avez raison de souligner qu’il faut éviter les crises de croissance liées à l’afflux de commandes. N’oublions pas non plus que ces dépenses bénéficient aux entreprises dans nos territoires, comme beaucoup d’entre vous peuvent le constater.
Mme Corinne Vignon (EPR). Je tiens d’abord à vous féliciter pour la grande qualité de votre rapport et de votre présentation.
Le 25 septembre dernier, à Cherbourg, a eu lieu la cérémonie de première soudure du porte-avions de nouvelle génération (Pang) appelé à succéder au Charles de Gaulle en 2038. Inscrit et confirmé dans la LPM 2024-2030, ce programme structurant sera à la fois un symbole de souveraineté nationale, un outil de puissance au service de notre stratégie de défense et une vitrine de nos savoir-faire militaires et industriels. Ce bâtiment hors normes deviendra le plus imposant navire de combat d’Europe et l’un des plus avancés au monde. Véritable pivot de notre capacité aéronavale, il intégrera les dernières innovations, notamment deux réacteurs nucléaires K22. Sa durée de vie est projetée jusqu’en 2080, il aura une capacité d’emport de quarante aéronefs et il sera compatible avec le système de combat aérien du futur.
Ce bâtiment représente un défi technologique, industriel et militaire majeur, mais il faut tenir le calendrier prévu pour éviter une rupture capacitaire. Disposons-nous de toutes les garanties pour respecter le calendrier de livraison et de mise en service en 2038 ? Pourriez‑vous aussi, monsieur le rapporteur Chenevard, nous présenter les bénéfices qu’aurait la construction d’un second porte-avions ?
M. Yannick Chenevard, rapporteur. Un porte-avions est un outil fondamental pour la supériorité aérienne. Rappelons que 70 % des villes dans le monde sont à portée d’ailes d’un porte-avions et que le Charles de Gaulle, qui fait environ 42 000 tonnes, emporte l’arme nucléaire. Il devrait être retiré du service actif en 2038, au moment de l’arrivée du porte-avions de nouvelle génération. Cela signifie que nous n’avons pas droit au moindre retard et qu’il faudra attendre son arrêt technique majeur pour aller faire un tour dans ses chaudières et déterminer si son utilisation peut être un peu prolongée.
Entre 2035 et 2038, nous aurons donc en fait deux porte-avions, avec des groupes aériens passant d’une plateforme à l’autre. Il faudra bien entraîner et qualifier l’équipage du futur porte-avions, et y préparer l’utilisation des catapultes et des brins d’arrêt. Cela pose la question de notre capacité à poursuivre l’effort, compte tenu notamment de la situation internationale. Même si l’on ne voit que l’Ukraine actuellement, une vraie bascule est en train de s’opérer vers la mer Rouge, l’Océan indien et, surtout, la mer de Chine. Cela fait un an et demi que les Européens y ont une présence importante, avec les porte-avions et groupes aéronavals de la marine italienne et de la marine française – dans le cadre de la mission Clemenceau 25 pour cette dernière, intégrant des bâtiments d’autres pays – puis avec le HMS Prince of Wales britannique. Si nous n’avons qu’un seul porte-avions, cette bascule va beaucoup compliquer les choses.
Je vous renvoie à ce que je disais précédemment au sujet de la décroissance du budget de la défense jusqu’en 2017. D’abord, nous y verrons bientôt clair sur le plan financier, puisque nous saurons combien auront coûté les K22. Je pense ensuite que nous devons retrouver la situation que nous avons connue avec les porte-avions Foch et Clemenceau ; ce serait un marqueur fort de puissance.
Surtout, le moindre retard dans le projet actuel serait préjudiciable et nous priverait d’une capacité importante. Il nous faut absolument nous insérer dans le calendrier des Chantiers de l’Atlantique : n’imaginons pas qu’ils ne prendraient aucune commande de paquebot en attendant la construction du futur porte-avions !
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Rappelons qu’un porte-avions n’est ni un canon Caesar ni un Griffon. C’est un engagement financier majeur et un outil dont ne disposent pas toutes les puissances. Les États-Unis en ont onze mais la Russie n’en a plus depuis 2017 – elle en a deux en projets, mais cela semble obscur. Lorsque les porte-avions américains ont débarqué dans le golfe Persique, on a pu constater qu’ils constituaient un élément de dissuasion très fort.
Les sujets sont imbriqués : l’un des rapports dont nous déplorons l’absence concerne la possible prolongation de la durée de vie du Charles de Gaulle. Or notre commission a besoin d’être éclairée. Le parcours de Yannick Chenevard et son implantation locale le rendent très sensible au sujet, et sa position n’est sans doute pas partagée par tous. Ce qui est certain c’est que, compte tenu de l’engagement financier en jeu, du changement de doctrine tactique et du contexte de bascule, nos collègues ont besoin d’informations.
M. le président Jean-Michel Jacques. N’oublions pas qu’il y a aussi, derrière un porte-avions, un groupe aéronaval. Les budgets étant limités, un choix dans ce domaine nécessite une discussion très poussée. Se pose aussi la question de ce que l’on fera atterrir, demain, sur un porte-avions : des drones ? Des avions de chasse avec pilote ? Sans pilote ? Cette question a animé nos débats sur la LPM et animera sans doute encore nos débats à venir.
Enfin, le meilleur moyen d’éviter que la construction de notre porte-avions ne prenne du retard, c’est de voter les budgets au bon moment ! L’année dernière, nous avons perdu trois mois ; pour nos armées, c’était un problème. L’idéal serait de trouver un consensus à temps !
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Je vous remercie pour la présentation de ce rapport utile, et j’aimerais vous interroger sur votre proposition 23 : « Si, comme l’a annoncé le président de la République, la trajectoire financière de la LPM est rehaussée, il sera indispensable de mettre à profit la hausse des crédits annuels du budget de la défense pour garantir la soutenabilité de l’exécution de la programmation, limiter les reports de charges et recréer des marges de manœuvre. » L’air de rien, cette proposition pointe l’insincérité du texte voté il y a deux ans seulement et vanté encore aujourd’hui par le président de notre commission. Depuis qu’il est au pouvoir, Emmanuel Macron a fait voter deux LPM, inabouties et pas respectées.
Notre groupe pointe depuis le début l’insincérité de cette programmation qui n’a pas tenu compte de façon exhaustive des besoins réels des armées – une programmation qui fluctue parfois en mode agile, en fonction des exigences atlantistes. Plusieurs retards sont à déplorer, notamment dans l’intégration de systèmes contre les drones de toutes catégories, alors que les murs et dômes anti‑drones poussent dans le monde entier et qu’il faudrait urgemment travailler à renforcer notre protection. Un livre blanc de la défense s’impose en la matière pour élaborer des solutions souveraines et planifier efficacement l’acquisition de capacités.
La programmation est défaillante aussi parce qu’elle conduit à l’augmentation de dettes, qu’une nouvelle programmation aura à éponger. La sous-budgétisation des surcoûts des OPEX et les retards d’investissement dans les infrastructures sont ainsi estimés à 4,4 milliards d’euros. Quelle est donc la soutenabilité de la programmation actuelle ? Emmanuel Macron a présenté l’actualisation de la LPM et la marche supplémentaire de 3 milliards d’euros par an comme indispensables à de nouveaux investissements. À la lecture du rapport, on se dit cependant que cette somme servira davantage à corriger les sous‑estimations de la LPM.
En résumé, confirmez-vous dans ce bilan d’étape – dont j’espère qu’il n’est pas un dépôt de bilan – que la loi de programmation militaire est insincère ? Comment corriger le tir et comment assurer à moyen terme les nouveaux investissements promis in extremis, ainsi que ceux qui restent à anticiper à l’horizon 2030 et au-delà ?
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Le principe de sincérité budgétaire, qui est fondateur, est aujourd’hui remis en question ; nous l’évoquons dans notre rapport. L’effort supplémentaire demandé par le Président de la République permettra-t-il de dégager des marges de manœuvre ou visera-t-il à « purger » les sous-évaluations ? La question, légitime, mérite d’être posée, même si nous ne sommes pas en mesure d’y répondre. Le retard pris dans le budget est-il lié à la censure par le Parlement ou à l’incapacité du gouvernement à réunir les conditions pour que les députés puissent adopter le budget ? La question de la responsabilité reste entière.
L’état des lieux n’est pas nouveau : il a été dressé par Dominique de Legge, sénateur Les Républicains appartenant au socle commun. Ce constat objectif souligne la nécessité de renforcer les missions de contrôle du Parlement dans l’exécution du budget. Celle-ci pose en effet de véritables problèmes opérationnels. Au-delà des débats sur la réallocation des moyens pour faire face aux besoins qui se font jour, notamment la lutte anti-drones, il faut de l’agilité et de l’intelligence car la capacité de nos forces à réinventer des solutions en mode « low cost » a ses limites.
Je partage donc globalement votre analyse, tout en soulignant le fait que l’insincérité ne relève pas du mensonge volontaire – le mot est un peu équivoque – mais renvoie à un principe budgétaire.
M. Yannick Chenevard, rapporteur. La difficulté, c’est de s’adapter. C’est un peu comme quand on réalise des travaux chez soi : le montant à payer à l’arrivée n’est pas tout à fait le même que celui figurant dans le devis, et il faut s’adapter. Cela peut d’ailleurs être positif. La LPM a été préparée en 2023 avec une inflation à 4,9 % ; en juillet dernier, elle était de 0,9 %. Le bénéfice, sur l’ensemble de la LPM, s’élève à 791 millions d’euros, qui seront ventilés au profit du programme 178, à hauteur de 402 millions, et du programme 146, à hauteur de 379 millions. Cette adaptation positive permettra de financer les correctifs que vous avez évoqués.
Les marches actuelles permettent de faire grossir l’enveloppe budgétaire. Les « surmarches » qui pourraient venir contribueront, pour partie, à renforcer la capacité à faire. Les autorisations d’engagement ont débuté de façon très massive ; il faut passer à l’étape des crédits de paiement. Cela nécessite des adaptations, qui peuvent être positives – c’est le cas de la réduction de l’inflation – mais aussi négatives.
M. le président Jean-Michel Jacques. Contrairement à ce que vous avez affirmé, cher collègue Saint-Martin, la loi de programmation militaire n’a pas été conçue en réponse à une attente atlantiste. Elle a été élaborée avec nos armées, en cherchant non pas à combler les manques mais à définir une ambition pour la France. C’est ainsi que nous avons déterminé qu’il était nécessaire pour notre pays de se doter de son propre renseignement. Vous qui travaillez beaucoup sur l’espace, vous savez qu’il est indispensable de disposer d’une capacité d’analyse et d’action en tout temps et en tout lieu.
La loi de programmation militaire est le fruit de cette réflexion menée sous l’angle des objectifs nationaux, avec la dissuasion nucléaire comme clé de voûte et le tableau capacitaire afférent. Bien sûr, on pourra toujours considérer qu’il n’y a pas assez d’avions, pas assez de chars, pas assez de bateaux. Néanmoins, la cohérence globale de cette loi permet à la France d’être un pays cadre pour d’autres nations et d’être une puissance d’équilibre.
Mme Isabelle Santiago (SOC). Je tiens tout d’abord à saluer le travail des rapporteurs, qui met en lumière non seulement les avancées mais aussi des fragilités préoccupantes, que mon groupe avait déjà soulignées.
La première fragilité tient à la faiblesse du contrôle parlementaire – ce n’est pas nouveau. Cela nuit profondément à l’action du Parlement et à l’éclairage des choix stratégiques. Lors de l’examen de la LPM, tous les groupes avaient insisté pour échanger sur la revue nationale stratégique et le Livre blanc. Cela s’est traduit par des amendements et des demandes de rapports. Comment faire pour les partager et, ainsi, valoriser le rôle du Parlement ?
La deuxième fragilité relève de la crise de croissance. Près de 97 milliards d’euros devront être payés dans le cadre d’engagements contractuels concernant le Rafale, les frégates, le Scaf, le porte-avions, etc. Ils ne sont pas encore financés et devront l’être sur deux décennies. De plus, les reports de charges en 2024, autrement dit les factures dues aux industriels mais non encore réglées, s’élèvent à 8 milliards d’euros. Au vu de cette double réalité, comment préserver notre capacité à financer les besoins nouveaux, qui sont nombreux et importants, tout en conservant des marges pour ne pas figer nos engagements pluriannuels ? Il nous faudra entrer dans le détail des dispositifs, par exemple sur le porte-avions. Comment répondre à ces enjeux en tenant compte de cette difficulté ?
Quand je présenterai mon rapport sur le budget des forces terrestres, je vous apporterai des précisions à la suite des auditions que je mène, notamment sur la question des marchés publics destinés à nos armées – je tiens à les saluer parce qu’elles font le maximum.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Tout d’abord, je vous rejoins sur le contrôle parlementaire. Qu’il s’agisse du porte-avions, des technologies de rupture comme le quantique – 250 millions d’euros ont été mobilisés – et du retard pris dans le volet des communications quantiques, l’éclairage des députés est indispensable.
L’annonce de la création d’un livret d’épargne consacré à l’investissement en matière de défense n’a pas été suivie d’effet, alors même que les Français semblent prêts à concourir à l’effort dès lors qu’on leur fournit un véhicule financier adapté. Il nous faudrait nous montrer plus créatifs pour dégager des marges de manœuvre, par exemple en revoyant les critères ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance). Beaucoup, dans le monde bancaire, sont prêts à travailler : le Parlement peut être force de proposition sur ce sujet.
Les inquiétudes concernant ces rigidités sont légitimes et renvoient à la capacité des parlementaires à faire des propositions positives. Il faut souligner que ce sujet est relativement consensuel, même si quelques crispations ont pu s’exprimer. Le groupe socialiste a voté la LPM en commission mixte paritaire, démontrant ainsi qu’il existe une conscience de la nécessité de faire l’unité sur ces enjeux.
M. Yannick Chenevard, rapporteur. La première règle est de ne pas prendre de retard dans l’exécution budgétaire, ce qui suppose de voter le budget en temps et en heure. Nombre d’entreprises ont dû attendre la fin du mois de juin pour être payées en raison du décalage budgétaire.
Je partage l’avis de mon collègue sur la nécessité d’être inventif, notamment dans la collecte financière. La création d’un livret défense permettrait aux citoyens de flécher leur épargne vers cette industrie, quelles que soient leurs capacités financières. Ce serait une excellente façon d’associer l’ensemble de la nation à l’effort général – on sera étonné de voir à quel point les citoyens français sont attachés à la défense et prêts à participer à cet effort.
M. le président Jean-Michel Jacques. Vous avez raison de rappeler l’importance des travaux parlementaires. Que ce soit dans le cadre du contrôle parlementaire, dans les avis budgétaires ou dans les missions d’information, ils sont conséquents et doivent être exploités. Nous sommes une véritable force de proposition et c’est lorsque nous parlons d’une seule voix que nous sommes les meilleurs.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Nous proposons la création d’un institut parlementaire disposant de moyens humains pour exercer la mission de contrôle parlementaire, afin notamment de publier des indicateurs de disponibilité des matériels. La France ne préserve pas une position de supériorité technologique et industrielle : elle ne fait que rattraper un retard important, comme cela est rappelé dans le rapport.
Le cadre de la conflictualité contemporaine voit le remplacement du triangle paix‑crise-guerre par le triptyque compétition-contestation-affrontement. Où se trouve la coopération ? Nous sommes à un moment charnière pour le renforcement de notre défense aux niveaux national et européen. La France doit s’engager pour une Europe de la défense plus cohérente. Or il y a une incapacité à se fédérer autour de grands projets, au point que nous exprimons des préoccupations pour le MGCS (système principal de combat terrestre) et pour le Scaf.
Par ailleurs, nous constatons un manque de visibilité et de trajectoire pour l’industrie : des PME et des PMI sont en souffrance ; il y a eu des glissements dans les calendriers. Ainsi, la livraison de trois systèmes de lutte anti-drones, prévue en 2024, a été décalée à 2026, alors même que la menace venant de l’Est nous montre l’urgence de développer de tels systèmes. Une prise de conscience sur ce point serait bienvenue.
En conclusion, une simplification est envisageable, sans toutefois sacrifier les exigences environnementales. L’acceptation de la population est indispensable pour soutenir l’augmentation du budget de la défense. Nous promouvons donc une approche transversale et hors silos, notamment pour la rénovation des bâtiments de l’ensemble des personnels.
Comment pouvons-nous renforcer la confiance des citoyens, des industriels, de l’économie et des investisseurs pour financer la défense, alors même que l’accès à l’information est limité et que le contexte politique et budgétaire est incertain ?
M. Yannick Chenevard, rapporteur. Nous n’avons aucun intérêt à publier des indicateurs – sauf à vouloir faire plaisir à nos compétiteurs –, surtout dans le contexte international actuel.
La coopération est fondamentale, tant sur le plan industriel que sur le plan opérationnel. Ainsi, l’opération Aspides réunit des marines européennes pour protéger les porte-conteneurs, les méthaniers et les pétroliers empruntant le canal de Suez – la marine française se faisant même tirer dessus avec des missiles balistiques. La transformation de l’organisation administrative européenne et le renforcement des capacités consacrées à ce type de mission vont dans le bon sens et doivent se poursuivre.
L’accélération est réelle. Nul n’imaginait, il y a encore trois ans, que les problèmes de taxonomie des entreprises de défense seraient résolus et que nous pourrions bénéficier de fonds européens avec le paquet de mesures dit Omnibus et la Facilité européenne pour la paix. Tout cela est donc positif. La guerre qui se déroule à quelques kilomètres des frontières européennes nous a rendus réalistes.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Je partage l’avis de mon collègue sur les indicateurs. Il faut cependant souligner que l’effort de transparence est réel. Le rapport évoque très clairement les retards des segments capacitaires, l’hélicoptère de manœuvre qui manque, les drones tactiques, la flotte navale, le renseignement aéroporté... Nous avons la chance, en démocratie, de pouvoir exercer un contrôle et d’assurer la transparence, à condition bien entendu que cela ne mette pas en défaut nos armées et notre capacité de dissuasion.
Je tiens à préciser, car cela a fait l’objet de discussions soutenues, que la simplification ne doit pas se faire au détriment des enjeux environnementaux : c’est explicitement mentionné à la page 25 du rapport. La volonté d’accélérer les procédures ne doit pas prendre le pas sur les enjeux environnementaux. Il serait inacceptable d’aboutir à une hiérarchisation des priorités.
Mme Josy Poueyto (Dem). Je souhaiterais obtenir des précisions sur le chapitre consacré à la montée en puissance capacitaire, que vous qualifiez de tangible et de perfectible. Auriez-vous d’autres éléments d’information à nous communiquer, même s’ils ne méritent pas de figurer dans votre rapport ? Je pense notamment aux résultats actualisés des efforts attendus en faveur des petites munitions. Le groupe Les Démocrates insiste régulièrement sur cette question.
Au moment où l’Europe s’interroge sur la fiabilité de son allié américain au sein de l’OTAN et alors que nous devons faire face à la perspective de la haute intensité dans la durée, le retard de la France en matière de petites munitions constitue un enjeu fondamental. Dans le contexte actuel – ce « point de bascule » mentionné par le président de la République dans la nouvelle revue nationale stratégique –, je pense même que parler des seules munitions de petit calibre n’est pas suffisant. Avez-vous pu obtenir des informations actualisées, par exemple sur le coût d’un rattrapage capacitaire de nature à assurer une défense sol-air tout aussi qualitative qu’adaptée à la réalité des menaces, comme avec les essaims de drones ?
Enfin, il est important de souligner que la population souhaite être associée. La réunion que j’ai organisée avec le général Jean Laurentin a été un succès auprès des citoyens, qui sont très demandeurs d’explications et même désireux de s’inscrire dans la réserve.
M. Yannick Chenevard, rapporteur. J’en profite pour saluer la réouverture de l’usine de Bergerac. Rendez-vous compte : on ne fabriquait plus de poudre à munitions en France ! Il fallait vraiment vivre dans un monde de Bisounours pour en arriver à laisser à d’autres pays le choix de nous en livrer ou pas.
La prise de conscience s’étend au-delà des petites munitions. L’objectif est d’être en capacité de produire 100 000 obus de 155 par an. La production a été accélérée pour les missiles Aster – elle est passée de quarante-huit à dix-huit mois –, pour les canons Caesar – de deux à six par mois – et pour le Rafale – de deux à cinq par mois. La situation de dépendance que nous connaissions dans certains secteurs tend à disparaître. Cette prise de conscience est la traduction d’une maxime que nous connaissons tous : « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Je partage l’avis de mon collègue sur la question des munitions, qui n’est pas propre à la France mais se pose également outre‑Atlantique. Nos collègues Damien Girard et Thomas Gassilloud ont rédigé un rapport, intitulé Masse et haute technologie : quels équilibres pour les équipements militaires français ?, qui présente ces enjeux. Toute la difficulté est d’avancer au bon rythme et de rattraper notre retard sur des choses qui paraissent basiques mais sont indispensables.
Concernant la réserve, la proposition n° 17 de notre rapport est un peu iconoclaste car elle vise à promouvoir une logique d’amélioration de la relation usager. Nos concitoyens qui souhaitent s’engager dans la réserve témoignent, pour dire les choses d’une façon polie, d’un accueil qui peut être rugueux, ou bien d’une volonté qui n’est pas suivie d’effet en raison d’un manque de places. Un changement de paradigme est sans doute nécessaire : nos forces armées devraient réinventer leur modèle d’accompagnement des citoyens qui expriment le désir de s’engager, afin de le rendre plus conforme à ce à quoi ils sont habitués en matière de réponse de l’administration. Cela éviterait ainsi la perte en ligne que l’on peut constater. Cette question doit faire l’objet d’une attention très soutenue parce que le lien armée-nation est précieux.
M. le président Jean-Michel Jacques. La fourniture de munitions de petit calibre peut également faire l’objet de synergies européennes, comme il en existe entre la France et la Belgique dans le cadre du partenariat stratégique CaMo (capacité motorisée) – nous leur vendons des blindés et eux nous vendent des munitions de petit calibre. Une telle synergie ne se fait pas avec n’importe qui ni n’importe comment, mais c’est du gagnant-gagnant et cela permet de développer un lien très fort.
Mme Lise Magnier (HOR). Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur rapport. Leurs analyses sur la simplification des normes, sur l’agilité dans les procédures d’acquisition et sur le plan d’action du ministère des armées en faveur des ETI, des PME et des start-up sont précieuses.
Une attention particulière est accordée à la question du financement de la BITD, l’objectif étant d’orienter davantage l’épargne et les investissements privés vers les entreprises, en particulier les PME et les ETI, de faciliter leur accès au crédit et de s’assurer que les normes financières européennes, notamment en matière de taxonomie et de finance durable, ne constituent pas un obstacle à l’investissement dans le secteur de la défense. Nous n’avons pas grandement avancé sur ces sujets, même si la volonté semble être unanime.
Dans vos propos liminaires, vous avez évoqué la situation concrète des industriels, de leurs fournisseurs et de leurs sous-traitants, soulignant que si la DGA entretenait une très bonne relation avec les entreprises de rang 1, celle-ci était qualifiée de « plus distante » avec les entreprises de rang inférieur qui, pourtant, seraient volontaires pour participer à notre production industrielle de défense. Quelles sont vos préconisations en la matière ?
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. En effet, nous n’avons pas beaucoup avancé dans cette réflexion. Certes, des acteurs comme France Invest interviennent, ou encore des banques qui, de façon autonome, proposent des produits financiers, mais ce n’est pas à la hauteur des enjeux.
Une véritable réflexion, technique et exigeante, doit donc être menée. Dans ce cadre, notre commission pourrait faire œuvre utile avec son rapport parce que force est de constater que l’on a du mal à trouver le bon équilibre entre tous ces enjeux. La durabilité étant nécessaire pour ce type d’investissement, un livret d’épargne classique serait sans doute moins adapté qu’une assurance vie. Peut-être y a-t-il là matière à réflexion, mais ce n’est qu’une remarque personnelle.
Dans le dialogue avec la DGA, une PME de dix ou quinze personnes travaillant dans l’IA (intelligence artificielle) de défense est sans doute moins bien outillée qu’un grand groupe. Je n’adresse aucun reproche à la DGA, qui fait avec les moyens dont elle dispose. L’hétérogénéité des acteurs dans ce domaine, avec la présence de start-up, ne rend pas le dialogue particulièrement fluide. De plus, la DGA a elle-même beaucoup de travail et il est vrai que certains acteurs, qu’ils soient directement en lien avec la DGA ou bien des sous‑traitants de grands groupes, sont parfois traités comme des prestataires de second rang.
Nous devons donc être attentifs à cette question parce que la richesse de notre tissu industriel réside notamment dans ses PME et dans leur capacité à innover. Si l’on n’y prend garde, des ruptures technologiques majeures peuvent intervenir dans le quantique ou dans l’intelligence artificielle. Je partage donc votre analyse, même si nous ne sommes pas allés au bout de la réflexion en la matière.
M. Yannick Chenevard, rapporteur. Si l’on veut que tout le monde réagisse à l’instant T et avance du même pas, il faut que tout le monde soit éclairé de la même façon. C’est pourquoi nous devons absolument trouver le moyen de mieux associer les sous-traitants à la DGA. Je ne doute pas que cela se fera : ces trois dernières années nous avons enfilé nos bottes de sept lieues dans des secteurs où l’on pensait que c’était impossible. Regardez l’organisation actuelle de la DGA ! Qui aurait pu penser qu’elle améliorerait ainsi sa capacité de réaction ? Un ingénieur, qui y serait entré il y a trente ans, aura connu une longue période avec ceinture et bretelles. Tout était vérifié, survérifié et contrevérifié. Actuellement, la DGA vit une véritable transformation. Nous avons raison de continuer à nous adapter. Vous connaissez la formule : « S’adapter, c’est dominer. »
M. le président Jean-Michel Jacques. On reconnaît la députée de terrain au contact des entreprises, madame Magnier. En effet, il faut continuer à travailler sur les normes. La direction des affaires juridiques fait des propositions en ce sens. L’information et les bonnes pratiques doivent circuler dans d’autres secteurs, que ce soit à la DGA ou à la DRH-MD (direction des ressources humaines du ministère de la défense). Certains doutent et s’abstiennent, se bridant tout seuls. La direction des affaires juridiques peut accompagner ces acteurs pour diminuer leurs freins.
Quant au soutien des petites entreprises, des acteurs sont mis en avant depuis quelques années par la direction générale de l’armement : les délégués régionaux. Nous disposons de bons outils, qui autorisent tous les espoirs. Voyez par exemple l’inauguration de la direction de l’industrie de défense au sein de la DGA. Il faut aller plus loin.
Concernant les groupes bancaires, que nous avons auditionnés à l’Assemblée et secoués collectivement, pour avoir assisté au forum économique breton à Saint-Malo, il y a trois semaines, j’ai pu constater que les choses bougent. La banque Arkea, par exemple, ainsi que la Banque populaire Grand Ouest, ont travaillé sur ces sujets. Nous avons de l’influence et réussissons à faire bouger les choses. Continuons !
Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Laurent Jacobelli (RN). Votre rapport met en lumière une réalité accablante. Alors que la France contribue massivement au financement des coopérations européennes de défense – Fonds européen de la défense, Asap (Action de soutien à la production de munitions), programme Edip (programme européen pour l’industrie de la défense) –, elle n’a, selon vos propres mots, aucune véritable stratégie pour en tirer un retour sur investissement équitable. Malheureusement, vous ne tirez aucune leçon de cet état de fait et allez jusqu’à proposer, page 35, que la France s’investisse davantage dans les coopérations européennes, ce qui signifie payer toujours plus pour recevoir toujours moins. Ce n’est pas parce que ça ne marche pas qu’il ne faut pas continuer ! Messieurs les rapporteurs, plutôt que d’aller quémander quelques miettes à Bruxelles, le bon sens ne commande-t-il pas de rompre avec cette logique funeste et de flécher le même montant vers nos investissements et notre base industrielle et technologique de défense nationale, la seule autonome de l’Union européenne et en mesure de défendre les intérêts français ?
Mme Caroline Colombier (RN). Vous soulignez dans votre travail une contradiction croissante entre l’exigence de technologies de rupture – ordinateurs quantiques, intelligence artificielle, cyberdéfense – et la rigidité budgétaire liée à l’envolée des restes à payer qui fragilise notamment les PME de la BITD. Vous recommandez un choc de simplification – une formule désormais usée qui n’a jamais produit beaucoup de résultats – pour redonner de la souplesse et soutenir les acteurs clés. Comment garantir que l’économie de guerre ne se traduise pas in fine par une asphyxie de nos PME innovantes, alors même qu’elles portent une part décisive de notre souveraineté technologique ?
M. Thibaut Monnier (RN). À l’occasion de la visite du ministre des armées au premier régiment de spahis à Valence pour une revue de l’état des forces de la sixième brigade légère blindée, nous avons été stupéfaits de constater les maigres dotations de matériel, notamment en drones, en véhicules blindés ou en missiles antichar. Vous revenez d’ailleurs longuement sur ces failles capacitaires dans votre projet de rapport d’information. Notons un effort de modernisation avec l’arrivée de nouveaux équipements à haute valeur technologique. Nous sommes toutefois encore très loin d’atteindre la masse suffisante pour prétendre exposer nos forces à un conflit de haute intensité. Dès lors, le mieux étant l’ennemi du bien, ne devrait-on pas conserver et maintenir en condition opérationnelle nos équipements plus rustiques comme les VAB (véhicules de l’avant blindé) ou les AMX-10 RC, qui sont soit remplacés conformément au programme Scorpion, soit livrés à d’autres pays comme l’Ukraine ? Pouvez-vous nous dire combien de ces engins sont encore en dotation ? De la même façon, pour ce qui concerne la décroissance de la flotte d’avions, ne devrait-on pas prolonger la mise en service de nos Mirage 2000, dont le retrait est prévu en 2029, et conserver nos Rafale d’occasion plutôt que de les céder à la Grèce ou à la Croatie ?
M. Yannick Chenevard, rapporteur. Monsieur Jacobelli, nous avons eu l’occasion d’évoquer ce sujet, lorsque nous avons été rapporteurs sur le bilan de la précédente loi de programmation militaire. Il y a un véritable réveil de l’Union européenne, qui se traduit par plusieurs programmes, notamment le programme de réarmement Safe qui mobilisera quelque 180 milliards d’euros, afin de permettre à des États d’emprunter pour acheter du matériel européen. Voilà une révolution ! Certains se plaindront que des États achètent des F-35. Mais s’ils le font, c’est pour des questions de compatibilité avec leur armement nucléaire américain. Globalement, on a intérêt à poursuivre ces efforts. Mes travaux me conduisent à penser que le problème, en réalité, c’est qu’on ne se sert pas assez de l’Union européenne. Regardez comme nos amis italiens savent utiliser d’une manière redoutable un certain nombre de programmes, en en prenant la direction. Quand on sait bien se servir de l’Europe, les résultats sont au rendez-vous.
Monsieur Monnier, je ne sais absolument pas combien d’AMX-10 ou de VAB sont encore en service ni combien ont été transférés. Et quand bien même je le saurais, je ne pourrais pas le dire. Le VAB a 45 ans. Tous ceux qui ont servi à son bord, notamment sur le théâtre africain, connaissent ses failles. Je ne parle même pas de ceux qui nous ont malheureusement quittés mais des militaires qui ont été blessés, parce que le véhicule était insuffisamment protégé. Vous évoquez Valence, mais on pourrait aussi mentionner Carpiagne. Les dotations commencent à arriver. Si l’on peut toujours être insatisfait de ne pas être à 100 ou à 110 % de ce que nous voulons, ce qui est important, c’est de constater que, si nous n’avions rien fait, nous serions dans une situation catastrophique. Il faut reconnaître que, à partir de 2017, la loi de programmation dite de réparation puis celle qui a suivi et dont nous parlons nous ont permis de retrouver les moyens d’assurer la défense de la nation.
M. le président Jean-Michel Jacques. J’étais avec vous à Valence, monsieur Monnier. Il est vrai que, en matière de dotation de drones, par exemple, il y a un effort à faire. Mais il faut trouver un équilibre : la technologie évoluant très vite, il est inutile d’en avoir trop. J’ai été ravi de voir les nombreuses initiatives du régiment dans le domaine de la dronisation, que ce soit en termes de formation, d’invention et d’adaptation aux armées de drones plus classiques. Les choses bougent. Ce secteur doit être investi. C’est là toute l’importance de réactualiser la loi de programmation militaire pour qu’elle reste forte et cohérente.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Monsieur Jacobelli, nous n’avons pas écrit dans le rapport que la France n’avait aucune stratégie pour ses investissements mais qu’elle « ne disposait pas encore d’une véritable stratégie ». Plutôt que de nous battre sur les mots, examinons la situation d’un point de vue pratique. Notre rapport est critiquable en ce qu’il aurait dû être plus étayé sur ce point. Les données de 2023 dont je dispose montrent que la France a un retour sur investissement positif sur les deux fonds. C’est donc un appel à être encore plus exigeant. Dans la mesure où de l’argent est disponible pour soutenir les technologies de rupture ou l’achat de munitions, nous devons déployer une vraie stratégie pour profiter de ces financements.
Ce serait une erreur que la France, un grand pays qu’il ne faut pas voir plus grand qu’il ne l’est dans le concert des nations, adopte une stratégie isolationniste. Nous avons tout intérêt à coopérer. Pour quelques échecs, il y a surtout beaucoup d’externalités positives.
Nous n’avons pas donné d’avions à la Croatie, nous lui en avons vendu. Le Rafale est un outil qui s’exporte. Il faut avoir des lectures objectives. Aspirer à un repli n’est pas conforme à la réalité des besoins, surtout quand on voit combien la Chine ou les États-Unis sont puissants.
La rigidité budgétaire sur les technologies de rupture est réelle. Il faut tout de même savoir dans quoi on investit. J’ai pu observer, lors d’un déplacement à l’étranger, des drones libellules qui coûtaient très cher mais qui n’étaient plus opérationnels dès que le vent se levait. C’est l’aspect pratique et opérationnel qui doit guider notre politique d’achat des équipements, derrière lesquels il y a des femmes et des hommes qu’il nous faut protéger.
M. Yannick Chenevard, rapporteur. Madame Colombier, les restes à payer, que j’ai évoqués tout à l’heure, sont en effet un point de vigilance. Il ne faut pas que nous prenions de retard dans le vote du budget et son exécution.
La France est une grande nation, bien sûr, qui a une grande histoire. C’est un pays qui pèse dans les affaires du monde. Pour continuer à le faire, il faut une diplomatie mais il n’y a pas de diplomatie sans puissance militaire ni puissance économique. Et il n’y a pas de puissance militaire sans puissance économique, à moins d’écraser ses habitants, comme le font les Russes, qui ont augmenté la TVA de 2 points et dont l’économie est tournée à 40 % vers la défense. Nous, qui avons tous conscience de ce qu’est la France, devons poursuivre les efforts en restant objectifs et en pointant ce qui mériterait d’être amélioré.
M. Julien Limongi (RN). Le fiasco du Scaf, ce système de combat aérien du futur en coopération avec l’Allemagne, était écrit d’avance. Depuis des années, le Rassemblement national vous alerte. Ce programme ne peut pas être imposé par un fanatisme eurobéat, alors que la France et l’Allemagne ont des besoins radicalement différents en matière d’aviation de combat. Pourtant, M. Sébastien Lecornu, ministre des armées pendant plus de trois ans, s’est obstiné. Il a multiplié les rencontres, se rendant à plusieurs reprises à Berlin, recevant aussi son homologue allemand. Tout cela pour sauver un projet condamné ! Au bout du compte, il a déjà dilapidé plus de 3 milliards d’euros pour imposer une coopération vouée à l’échec. C’est son échec et il faut le dire aux Français ici même, dans l’enceinte de notre prestigieuse commission de la défense nationale et des forces armées. Désormais, Berlin cherche à nous écarter du projet en courtisant d’autres partenaires, alors que nous n’avions nul besoin de cette dépendance. Nos industriels eux-mêmes avaient lancé des alertes que les ministres macronistes n’ont pas voulu écouter. Nous avions raison. Mais à quel prix ? Des milliards gaspillés, des années perdues et la souveraineté militaire de la France affaiblie. Messieurs les rapporteurs, quel bilan tirez-vous de cet échec stratégique majeur ?
M. Frank Giletti (RN). Je souhaiterais obtenir deux précisions. Alors que nous avons besoin de clarté, j’aimerais connaître la position du groupe Renaissance sur les projets de porte-avions. Alors que l’ancien président de la commission de la défense souhaitait, dans un rapport, le report du projet de construction, j’entends M. Chenevard dire qu’il serait bon d’en avoir même un deuxième. Quelle est la position de votre groupe ?
Par ailleurs, je ne vous ai pas entendu évoquer l’article 5 de la LPM aux termes duquel « les surcoûts des opérations extérieures et des missions intérieures, nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette provision font l’objet d’un financement interministériel ». Ce sont des centaines de millions d’euros qui doivent être trouvés sur d’autres programmes, au détriment du capacitaire.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Chers collègues rapporteurs, j’aimerais insister lourdement sur un aspect que vous avez signalé. Vous pointez le fait qu’un nombre non négligeable de rapports tardent à être remis au Parlement, alors que la loi oblige le gouvernement à le faire : sur l’évolution de la présence militaire en Afrique, sur la stratégie française et les besoins à Mayotte, sur le porte-avions après 2040 ou sur le bilan de la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’Otan. C’est préjudiciable de n’être pas éclairés dans ces domaines si stratégiques. Entre les retards de transmission de rapports et l’obsolescence programmée des informations qui y sont contenues, quand l’Assemblée nationale et les représentants du peuple seront-ils enfin pris au sérieux s’agissant des questions de défense nationale ? C’est, pour le moins, la garantie d’un contrôle parlementaire robuste et fiable qui s’en trouve fragilisée.
Votre rapport semble un peu hors de propos, notamment concernant les réserves. Vous ne faites aucune mention d’un éventuel service militaire volontaire, alors même qu’il a été annoncé. Étiez-vous au courant de cette option au moment de votre rédaction et l’avez‑vous prise en compte ?
M. Yannick Chenevard, rapporteur. Monsieur Giletti, le rapport auquel vous faites référence présentait la position de corapporteurs. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de préciser ma pensée – qui s’était exprimée dans un amendement cosigné à trois – sur le besoin impératif de réfléchir à la possibilité de construire un sister ship au futur Pang. Il n’y a donc là rien de nouveau. C’est pour ça qu’il faudra examiner les infrastructures du Charles de Gaulle lors de son prochain arrêt technique majeur, afin d’estimer les possibilités de prolongation et de planifier la suite. Dans cette LPM, 5 milliards sont prévus pour le futur porte-avions et 5 autres le sont pour la suivante, car il faut du temps pour construire un tel bâtiment.
Monsieur Limongi, je vous laisse la responsabilité de vos propos concernant l’échec majeur que serait le Scaf. Tant que le bal n’est pas fini, on ne paie pas les musiciens. Attendons et nous verrons. Nous sommes censés avoir le lead parce que, en réalité, nous pourrions faire seuls, comme l’a rappelé le président de Dassault. La contrainte n’est donc pas absolue. D’ailleurs, si nous ne trouvons pas les compromis techniques nécessaires, nous ne nous interdisons pas de penser que nous aurons, après le Rafale, un avion de combat français que nous exporterons aussi bien. Cela a été le cas avec l’Eurofighter. Le Rafale est un succès : il se vend bien et est redouté.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Chers collègues, un peu d’humilité ! Vous auriez tout prévu pour le Scaf, tout anticipé, tout dénoncé. Les convictions sont les ennemies de la vérité, pour citer Nietzsche. Le problème du Scaf, comme on nous l’a dit en audition, est plus interindustriel qu’interétatique. Le PDG de Dassault a pris position. Il y a des annonces publiques. On verra ce qui se passe dans un projet d’une telle envergure et dont les enjeux sont multiples – navalisation, cloud de combat. Restons humbles face à ces sujets complexes.
Nous avons parlé des Opex, monsieur Giletti. Leur coût considérable est signalé dans le rapport. C’est un point de vigilance majeur, relevé par la direction du budget, d’autant que ce n’est pas la première fois. Quand les dépassements s’élèvent à plus d’1 milliard, la sincérité budgétaire s’en trouve questionnée, même si ce n’est évidemment pas volontaire. Nous en revenons au contrôle exercé par le Parlement. Je rejoins les propos de M. Saint-Martin : l’exigence de transparence est d’autant plus grande dans la configuration parlementaire actuelle. Il ne peut plus y avoir un domaine réservé et des députés godillots. Il faut une rupture et un plus grand respect du Parlement. Cette nouvelle donne doit nous inviter à revoir nos façons de faire, au Parlement comme au gouvernement.
M. Yannick Chenevard, rapporteur. Alors que 800 millions d’euros étaient provisionnés au titre des Opex et des missions intérieures en 2024, leur coût final s’élève à 1,2 milliard. C’est la solidarité interministérielle qui comble ce déficit, dans la mesure où il est difficile de prévoir ce type d’engagements qui dépendent notamment de la situation internationale.
M. Sébastien Saint-Pasteur, rapporteur. Même si cela peut paraître abscons, il est fondamental de trancher entre la doctrine du ministère du budget et celle du ministère des armées. La solidarité interministérielle ne peut pas être à géométrie variable avec, d’un côté, la direction du budget qui affirme que les réserves de précaution sont préemptées par le ministère des armées et, de l’autre, le ministère des armées qui les sollicite pour des raisons légitimes. Ces querelles entre ministères nous désolent tous.
M. le président Jean-Michel Jacques. Monsieur Saint-Martin, je suis d’accord, les rapports doivent être rendus à l’heure. Avant l’échéance, j’envoie un courrier au ministère des armées pour les obtenir. S’ils sont en retard, je fais des relances. Ne dramatisons pas non plus la situation : il nous en manque huit. Le retard ne relève pas d’une volonté politique. En l’absence de gouvernement, nous sommes bloqués. Dès qu’il sera nommé, je relancerai le ministère – les courriers sont déjà prêts.
La commission autorise la publication du rapport d’information.
M. le président Jean-Michel Jacques. Avant l’élection du nouveau bureau de la commission, après-demain jeudi, je tenais à vous remercier chaleureusement pour le travail accompli collectivement pendant un an. Son sérieux est reconnu à l’extérieur de l’Assemblée.
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La séance est levée à dix-huit heures trente.
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Membres présents ou excusés
Présents. – Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Édouard Bénard, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, M. Hubert Brigand, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Sophie Errante, M. Frank Giletti, Mme Florence Goulet, Mme Catherine Hervieu, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Nadine Lechon, M. Julien Limongi, Mme Lise Magnier, M. Thibaut Monnier, Mme Anna Pic, Mme Josy Poueyto, Mme Marie Récalde, Mme Catherine Rimbert, M. Arnaud Saint-Martin, M. Sébastien Saint‑Pasteur, Mme Isabelle Santiago, Mme Sabine Thillaye, M. Romain Tonussi, Mme Corinne Vignon
Excusés. – M. Christophe Bex, M. Bernard Chaix, M. David Habib
Assistait également à la réunion. – M. José Gonzalez