Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 

 Examen, ouvert à la presse, du rapport d’information sur l’enjeu alimentaire (Mme Éléonore Caroit et M. Guillaume Garot, rapporteurs)                 2

– Informations relatives à la commission ............... 22


Mercredi
13 novembre 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 13

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président


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La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, du rapport d’information sur l’enjeu alimentaire de Mme Éléonore Caroit et M. Guillaume Garot.

La séance est ouverte à 9 h 00.

Présidence de Bruno Fuchs, président.

M. le président Bruno Fuchs. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’examen du rapport d’information de Mme Éléonore Caroit et M. Guillaume Garot sur l’enjeu alimentaire. Nos rapporteurs d’information avaient mené, sous la seizième législature, un travail de réflexion important sur cette question et ils étaient sur le point de présenter leurs conclusions au moment de la dissolution, le 9 juin dernier. Le bureau de notre commission a souhaité que ce rapport soit présenté ce matin devant nous.

Les objectifs de développement durable des Nations unies visaient à parvenir à l’éradication de la famine dans le monde d’ici 2030, mais ils ne seront clairement pas atteints. Le problème ne porte pas tant sur le volume de production que sur le nombre de facteurs qui ne permettent pas d’extraire près de 800 millions de personnes d’une situation de survie alimentaire.

Plusieurs éléments peuvent être évoqués, dont l’organisation des marchés, qui ont pour vocation de créer de la rentabilité dans la production et la vente de denrées alimentaires mais également les conflits, qui affectent particulièrement les populations les plus faibles. Il faut également citer la dimension environnementale : la sécheresse ou inversement l’excès d’eau viennent affecter une partie importante des productions alimentaires. L’alimentation constitue enfin une arme politique dans de nombreux théâtres de guerre, ce qui ne peut être accepté sur le plan moral et humain.

Je cède à présent la parole aux deux rapporteurs pour la présentation de leur rapport. Leurs réflexions susciteront à n’en pas douter un nombre important de débats et de questions car elles portent à la fois sur la production et le système politique, y compris la volonté de certains États d’instrumentaliser cette question, notamment dans le cadre de conflits.

M. Guillaume Garot, rapporteur. J’ai plaisir à retrouver cette commission, dans laquelle j’ai siégé durant deux années. Nous allons présenter ce matin les conclusions d’un rapport qui intéresse directement les équilibres mondiaux et les relations internationales : l’enjeu alimentaire. C’est Éléonore Caroit qui était à l’initiative de ce rapport.

Depuis la pandémie de la Covid mais aussi la guerre en Ukraine, nous nous sommes tous rendu compte de l’importance de l’enjeu alimentaire. Les systèmes alimentaires s’inscrivent dans la mondialisation, dont les règles sont parfois peu efficaces et ne permettent pas toujours la meilleure allocation des ressources. Il existe une très grande variété d’acteurs, qu’ils s’agissent des producteurs, des transformateurs ou de ceux qui commercialisent l’alimentation. En outre, au fil des ans, de nouveaux acteurs ont investi le champ de l’alimentation : les grandes et très grandes entreprises de l’agroalimentaire et de la chimie ont pris une place parfois prépondérante. Lors de notre travail, nous avons été frappés de constater que l’organisation de ce système à l’échelle internationale est sans doute défaillante.

Cette situation se reflète dans l’évolution de la faim dans le monde, qui a augmenté depuis 2019. Aujourd’hui, 730 millions de personnes souffrent de la faim et parmi elles, 280 millions vivent une situation d’insécurité alimentaire aiguë. À ce titre, le rapport s’est notamment concentré sur deux cas particuliers : Haïti et Gaza.

Au-delà de la faim à proprement parler, un autre phénomène gagne le monde, y compris nos sociétés développées : l’insécurité alimentaire. Cette dernière touche un quart de l’humanité. Ainsi, en Afrique, 72 % de la population n’a pas les moyens de se nourrir sainement. Le coût humain subséquent est considérable, puisque 150 millions d’enfants de moins de 5 ans présentent un retard de croissance.

Pour cerner les causes de l’augmentation de l’insécurité alimentaire, nous avons rencontré un grand nombre d’interlocuteurs au cours de ces deux années de travail. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organisation ou FAO), l’agence onusienne qui traite des questions d’alimentation insiste sur le rôle joué par les conflits, les chocs économiques et les événements climatiques, qui sont devenus extrêmes. Nous soulignons par ailleurs dans le rapport deux autres facteurs qui nous paraissent importants : l’accaparement des terres et la spéculation sur les matières premières.

Un autre paradoxe doit être relevé : au moment où tant d’êtres humains ont faim, nous constatons que les pertes et le gaspillage alimentaires ont gagné du terrain. Aujourd’hui, un tiers de la production alimentaire mondiale est ainsi perdu ou jetée chaque année. Il y a là un sujet majeur à traiter dans les réponses que nous pouvons formuler. Je laisse à présent Éléonore Caroit développer ces constats, avant que nous ne vous présentions les solutions que nous envisageons.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Nous sommes particulièrement heureux de vous présenter ce rapport, fruit d’un travail de longue haleine. En effet, nous avons entamé ce rapport en 2022, lors de la première année de la guerre en Ukraine, à l’époque où la question de la souveraineté alimentaire commençait à émerger et à devenir de plus en plus présente dans le débat public. Nous avons choisi le sujet de l’alimentation et non de l’agriculture ou des matières premières, car il nous a paru important de comprendre les systèmes.

Le constat, terrible, est le suivant : la faim dans le monde ne cesse de progresser, alors même que nous n’avons jamais été autant capables de produire, en termes caloriques, de quoi nourrir la planète. Il nous est donc apparu essentiel de comprendre comment un tel dysfonctionnement systémique a pu se développer. Ce travail sur deux ans, émaillé par quelques interruptions, nous a permis de procéder à un nombre d’auditions plus important que d’habitude et de nous interroger sur de nombreux sujets touchant à l’alimentation.

Vous nous reprocherez peut-être d’avoir mené un travail trop large, mais il nous semble qu’il s’agit d’une question clé pour la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Elle est clé parce qu’elle comporte évidemment un aspect climatique, mais également un impact géopolitique majeur. Enfin, il nous est apparu que notre commission n’avait pas travaillé sur ce sujet. Nous sommes conscients que vous avez reçu tardivement ce rapport, en raison des aléas du calendrier, mais nous espérons que vous pourrez le lire de manière approfondie. Nous sommes évidemment à votre disposition pour en parler, y compris en dehors de cette présentation.

Parmi les éléments majeurs, il convient de souligner les enjeux géopolitiques de la question alimentaire. Il existe dans le monde des puissances agroalimentaires assumées, qui mènent à ce titre des politiques agricoles et industrielles depuis des années. Je pense notamment aux États-Unis, à la Chine, à l’Inde, à la Russie, à l’Australie, au Brésil, au Canada, et évidemment, à la France. L’Assemblée nationale s’est interrogée sur cette question dans le cadre de différentes commissions d’enquête, notamment la commission d’enquête sur la souveraineté alimentaire, à laquelle j’ai eu l’opportunité de participer.

Pour notre part, nous avons souhaité aborder ce sujet sous un angle international. Les puissances alimentaires, possèdent un réel avantage sur la scène internationale, notamment parce qu’elles ont procédé à une diversification de leur production, contrairement à d’autres pays qui ont choisi, au contraire, de se focaliser sur certains produits ou certains segments du marché. Depuis 2022, le ministère de l’agriculture est également celui de la souveraineté alimentaire, choix qui a inspiré l’Italie dans l’appellation de son propre ministère. Nous nous sommes d’ailleurs rendus dans ce pays pour rencontrer les représentants d’institutions internationales, qu’il s’agisse de la FAO, du Programme alimentaire mondial (PAM) et du Fonds international de développement agricole (FIDA).

Il est évident que la souveraineté alimentaire constitue une condition de la sécurité alimentaire, tant l’alimentation est vitale pour une population. Elle permet en effet à un pays de limiter sa dépendance envers d’autres États, mais également d’utiliser la nourriture comme un outil de pression diplomatique voire comme un outil militaire, ce que certains États assument clairement. En l’espèce, l’arme militaire consiste à interdire ou limiter de manière délibérée l’accès à l’alimentation à tout ou partie d’une population.

Certains modes d’action peuvent ainsi être employés et cibler directement des denrées alimentaires, par le pillage, la destruction ou la contamination. Cela peut aussi consister à attaquer des facteurs de production agricole ou à bloquer les voies de communication. Ces actions sont inadmissibles mais il importe de les analyser. Les sièges sont une constante dans l’histoire, qu’il s’agisse du siège d’Alésia, du siège de Paris en 1870, du siège de Leningrad par l’Allemagne nazie, ou des blocus maritimes et continentaux.

Lorsque l’on s’intéresse aux relations internationales et aux conflits internationaux, il est très important de garder en tête le rôle crucial que joue l’alimentation. À la fin de l’année 2022, quand nous avons débuté ce rapport, l’invasion de l’Ukraine avait remis en lumière l’arme alimentaire. La Russie a délibérément attaqué l’appareil agricole ukrainien, qui était le grenier de l’Europe, en violant le droit international. Elle a pillé, attaqué des récoltes, des infrastructures, des silos à grains, des fermes. Aujourd’hui, elle occupe plus de 20 % des terres agricoles ukrainiennes. Surtout, la Russie utilise toujours la nourriture comme un moyen de pression sur l’Ukraine et sur les pays occidentaux, pour exercer une forme de chantage aux matières premières de manière hybride. Au-delà de la guerre en Ukraine, cette arme a été utilisée récemment dans d’autres théâtres de conflits.

L’alimentation est un instrument de hard power, mais aussi de soft power ou d’influence. Nous nous sommes intéressés à un autre aspect, qui peut paraître moins essentiel, mais qui est en réalité majeur : la diplomatie culinaire ou « gastrodiplomatie ». En effet, l’alimentation est un bien culturel qui représente un marché économique extrêmement important et nous avons interrogé à ce titre un certain nombre de chercheurs, de grands chefs, d’acteurs de cette gastrodiplomatie.

Nous pouvons la définir comme un instrument qui permet d’affirmer la singularité d’un pays sur la scène internationale, de témoigner de son hospitalité, d’encourager des négociations, notamment lors de dîners d’État, d’améliorer la balance du commerce extérieur, et enfin de s’opposer à d’autres pays de manière non coercitive mais tout à fait efficace. Au-delà de la France reconnue pour sa gastronomie, certains États comme le Pérou, la Thaïlande, le Danemark, l’Espagne ou l’Italie ont fait un choix délibéré et politique d’investir dans la promotion de leur gastronomie, à tel point qu’ils ont même inventé un imaginaire gastronomique et organisé des pratiques culinaires existantes pour s’en servir comme un outil d’influence. La gastronomie peut apparaître comme une évidence en France, ce qui peut paradoxalement conduire à moins investir ce champ. Il nous a précisément semblé important de formuler des propositions dans ce domaine.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Il existe une compétition internationale en matière d’alimentation mais également des outils de coopération, qui comportent deux volets : les négociations commerciales et les initiatives pour la sécurité alimentaire.

Les négociations commerciales multilatérales sont aujourd’hui bloquées : aucun accord d’envergure n’a été signé à l’OMC depuis une trentaine d’années. Dans ce contexte, les grandes organisations régionales ont essayé d’avancer. À ce titre, l’Union européenne (UE) a multiplié des accords commerciaux bilatéraux ou régionaux. À l’heure actuelle, des accords sont en attente d’adoption avec la Chine et le Mercosur.

Les accords commerciaux offrent des avantages, notamment en termes de débouchés, mais en contrepartie, ils occasionnent des inconvénients, notamment en matière de dépendance et de concurrence accrue, qui est parfois déloyale.

Nous souhaitons un commerce international respectueux des normes sociales et environnementales européennes. Dans ce cadre, il faut introduire des conditionnalités tarifaires dans ces accords commerciaux, faire usage de mesures miroirs dans la législation européenne, mais également nous doter de moyens de contrôle. De fait, aujourd’hui, des quotas ou contingents de produits, notamment de viande, ne sont pas systématiquement contrôlés lorsqu’ils partent des pays tiers ou lorsqu’ils arrivent sur le sol de l’Union européenne.

Le deuxième levier concerne les initiatives autour de la sécurité alimentaire. Comme Éléonore Caroit l’a indiqué, nous sommes allés à la rencontre de la gouvernance mondiale, à Rome en particulier. Ainsi, la FAO organise le débat multilatéral et apporte une aide technique aux États pour la mise en œuvre des politiques agricoles et alimentaires. Le PAM mène quant à lui des missions d’assistance alimentaire et de logistique humanitaire. Il intervient donc avant tout dans les situations d’urgence ou d’insécurité alimentaire aiguë. Enfin, le FIDA conduit une action très ciblée et très efficace pour aider les petits producteurs et les populations rurales les plus pauvres.

Malheureusement, ces dispositifs ne fonctionnent pas suffisamment bien en raison d’enchevêtrements de compétences entre ces institutions. Les délimitations entre ces trois organisations sont parfois floues et leur coordination est largement insuffisante. De fait, de grandes puissances comme la Chine et la Russie utilisent ces difficultés de périmètre pour investir ces organisations au nom de leurs propres intérêts. En outre, d’autres outils viennent ajouter de la confusion. Je pense en particulier à ces plateformes multilatérales qui, en soi, sont très intéressantes mais compliquent encore la coordination. Il s’agit par exemple de l’initiative résilience alimentaire et agricole (Food & Agriculture Resilience Mission, FARM), dispositif promu par la France pour faire face en particulier aux conséquences de la guerre en Ukraine. De même, le Brésil devrait très prochainement lancer de façon opérationnelle son alliance mondiale contre la faim et la pauvreté dans le cadre du G20.

En résumé, cette coopération internationale est aujourd’hui largement imparfaite, provoquant inévitablement des défaillances, des gaspillages et une mauvaise allocation des ressources financières. Pour autant, cette coopération reste vitale dans un monde qui devra nourrir 10 milliards d’habitants en 2050, contre 8 actuellement.

Venons-en enfin aux propositions du rapport, qui sont au nombre de trente.

Le premier axe de propositions concerne la France, qui doit être exemplaire en matière de lutte contre la précarité et l’insécurité alimentaires, mais aussi contre le gaspillage alimentaire. Comme nous l’avons indiqué précédemment, un tiers de la production alimentaire totale dans le monde est jeté ou gaspillée. Nos propositions seront reprises dans le débat parlementaire et nous organiserons au mois de mars les états généraux de la lutte contre le gaspillage à l’Assemblée nationale, qui réuniront l’ensemble des acteurs investis aujourd’hui en France sur le sujet. Ici aussi, il nous faut du volontarisme, un cap clair et surtout des moyens pour y parvenir.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Ce rapport est extrêmement détaillé et nous serons ravis d’échanger avec vous sur ce sujet. Concernant la France, nous souhaitons qu’elle devienne un modèle en matière d’éducation à l’alimentation, dès le plus jeune âge, afin de combattre la malnutrition, l’obésité et les défaillances alimentaires. Il est certain que dans notre pays, cette éducation à l’alimentation demeure insuffisante. Elle est assez simple à expliquer mais, dans le cadre scolaire, elle implique d’aménager nos écoles pour permettre d’organiser des cours de cuisine. Cependant, un certain nombre d’initiatives pourraient être réalisées à moindre coût.

Ensuite, l’éducation à l’alimentation doit également se poursuivre à l’âge adulte, pour rendre les consommateurs et citoyens que nous sommes aient davantage conscience de l’impact des produits que nous consommons. Certains dispositifs existent déjà, à l’instar du nutriscore qui, pour l’instant, est réalisé sur une base volontaire, mais qui pourrait être étendu. De manière plus globale, le rapport a pour ambition de susciter des travaux transpartisans pour améliorer l’éducation à l’alimentation dans notre pays.

Dans le cadre scolaire, il faut également mentionner la coalition mondiale pour l’alimentation scolaire qui a été lancée en 2021 et que la France copréside avec le Brésil et la Finlande. Nous pourrions transmettre un certain nombre de propositions qui s’appliqueraient déjà évidemment en France et dans le réseau des lycées français à l’étranger mais qui pourraient ensuite se décliner dans d’autres pays qui sont membres de la coalition. Je rappelle d’ailleurs qu’un très grand nombre d’enfants ne bénéficient que d’un seul repas par jour, précisément à l’école. En résumé, l’école est un vecteur d’éducation à l’alimentation, mais surtout d’éducation à l’alimentation de qualité.

Il convient également de mentionner les « lois Egalim » et la nécessité de s’assurer de leur application, en ce qui concerne notamment les cantines scolaires, et de l’évaluation qui est effectuée. Le rapport liste également des pistes de réflexion sur les cantines scolaires ou les perturbateurs endocriniens.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Le rapport formule en outre une série de propositions autour du volet européen. L’une d’entre elles concerne l’idée d’une politique agricole et alimentaire commune (PAAC), afin que la politique agricole commune (PAC) intègre demain un volet relatif à l’alimentation. Je ne reviens pas par ailleurs sur les enjeux liés au commerce international, mais nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir lors de nos échanges.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Nous proposons des réflexions qui peuvent ensuite se décliner sur le plan national, soit en propositions de loi, soit en discussions avec le gouvernement, pour construire des projets de loi. Nous évoquons également des sujets d’audit, de contrôle et de connaissance des accords et traités signés par la France.

Guillaume Garot a déjà souligné à cet effet le manque de coopération et de coordination entre les trois agences onusiennes dédiées à l’agriculture et l’alimentation. Elles jouent un rôle essentiel mais les complexités qu’elles engendrent ne nous semblent pas nécessaires. S’il apparaît évident de soutenir le PAM et le FIDA, dont nous avons pu apprécier l’efficacité sur le terrain, ce soutien doit être assorti d’un contrôle de l’efficacité de leur action.

Déjà mentionnée précédemment, la stratégie de la « gastrodiplomatie » nous semble constituer une piste de réflexion extrêmement intéressante pour la France, y compris pour améliorer notre balance commerciale. Nous considérons que nous pouvons bien mieux agir dans ce domaine car la gastronomie est née en France. Cela implique de mener une politique plus coordonnée, telle qu’elle est pratiquée par d’autres pays, à moindre coût et avec succès.

Ce rapport avait enfin pour objectif de dresser un état des lieux et, surtout d’aborder la question de l’alimentation au-delà du cadre local ou national. En effet, il nous semble que si nous ne regardons pas les enjeux sur le plan international, nous passerons à côté d’une grande partie du problème. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des choix menés par différents pays depuis des décennies, mais aussi à un réveil des opinions publiques sur les questions agricoles et alimentaires, à très juste titre.

En conclusion, je vous invite à vous saisir de certaines des propositions de notre rapport, pour travailler ensemble de manière transpartisane. Ces sujets doivent nous rassembler.

M. le président Bruno Fuchs. Je remercie les deux rapporteurs pour leur rapport extrêmement bien maîtrisé, dans son analyse et sa série de propositions. Je retiens notamment votre volonté de bien intégrer dans votre réflexion l’ensemble de la chaîne des acteurs pour promouvoir, notamment, cette proposition de politique agricole et alimentaire commune. Je souscris par ailleurs à votre initiative concernant les états généraux de la lutte contre le gaspillage et souhaite que votre rapport contribue à faire évoluer les pratiques. La commission consacrera toute son énergie à appuyer les propositions que vous venez de formuler et dont nous allons discuter à présent.

Je cède la parole aux orateurs des groupes.

Mme Isabelle Mesnard (HOR). Je tiens d’abord à vous féliciter pour la qualité de votre rapport, qui soulève des enjeux lourds pour l’alimentation mondiale. Je souhaite notamment relever l’angle touristique de la gastronomie, qui représente une vitrine de la France à l’étranger.

Par ailleurs, nous savons que l’insécurité alimentaire progresse dans le monde et que les déséquilibres s’accentuent. Le changement climatique peut aggraver cette situation et nous risquons d’assister à des exodes climatiques et alimentaires. Vous rappelez dans votre rapport que le concept de sécurité alimentaire repose sur quatre piliers : la disponibilité, c’est-à-dire le fait de disposer d’une nourriture sans substances nocives dans une culture en quantité et en qualité suffisante ; l’accès, c’est-à-dire un revenu permettant à chacun de se nourrir suffisamment, où la part de ce revenu consacré à la nourriture n’empêche pas la satisfaction des autres besoins élémentaires ; le fait de disposer d’une alimentation adéquate, d’eau potable, d’installations sanitaires permettant d’atteindre un état de bien-être nutritionnel ; et enfin la stabilité, la capacité d’assurer la sécurité alimentaire en cas de choc soudain ou de phénomène cyclique.

Il faut s’appuyer sur ces quatre piliers pour offrir une sécurité alimentaire à tous. Je m’interroge sur la place de plus en plus importante accordée aux productions agricoles destinées aux agrocarburants et aux biocarburants, parfois au détriment de l’alimentation humaine. Vous indiquez que près du tiers de la production américaine de maïs serait ainsi utilisée pour produire de l’éthanol. J’imagine aussi que les exigences de décarbonation de nos économies devraient augmenter de manière significative concernant la production d’agrocarburants. Pensez-vous que ce développement puisse aboutir à des conflits d’usage sur des surfaces cultivables au niveau mondial ? Peut-on imaginer que l’impératif de décarbonation des énergies puisse, à terme, créer des tensions sur les systèmes alimentaires ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Cette question est effectivement fondamentale, compte tenu du développement de productions agricoles qui ne servent pas l’alimentation, partout dans le monde. La réponse passe par la régulation, dans la mesure où l’agriculture a d’abord pour vocation de nourrir les hommes. Il faut certes que nous produisions davantage, pour nourrir davantage, mais il faut surtout que nous répartissions mieux les ressources alimentaires afin de lutter contre ces phénomènes d’insécurité alimentaire que nous avons détaillés dans le rapport. Il est évident que l’élection de Donald Trump ne nous engage pas dans le chemin de la régulation, mais l’Europe doit s’efforcer de peser le plus possible dans ce domaine.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Votre question est extrêmement intéressante car elle soulève l’enjeu de la disponibilité des terres agricoles. Le conflit de l’usage des terres entre la production d’énergie verte et la production alimentaire n’est pas encore avéré, mais il pourrait survenir rapidement. En réalité, tout dépendra du modèle agricole préconisé. Même si le fonctionnement de certaines agences de régulation laisse à désirer, la coopération internationale est essentielle. En effet, si chaque pays est libre et souverain dans le choix de son modèle agricole, les choix opérés par ce pays engendrent des conséquences bien au-delà de ses propres frontières. En conséquence, cette coordination sur la répartition d’un certain nombre de terres et leurs emplois respectifs est absolument fondamentale. À cet égard, nous formulons des propositions très spécifiques afin que cette question soit intégrée dans les discussions au niveau onusien, mais aussi de l’Union européenne.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Le groupe LIOT salue le travail des rapporteurs et le choix de la commission de creuser cette question alimentaire. Je souhaite mettre en lumière la situation du continent africain. L’Afrique souffre encore gravement de la faim et importe massivement sa nourriture, alors qu’elle concentre 60 % des réserves des terres arables de la planète. Ainsi, la sécurité alimentaire est d’abord une question agricole.

À cet égard, il nous semble capital de changer d’approche pour accompagner l’Afrique afin qu’elle construise une agriculture performante et moderne, qui permettra de nourrir sa population mais aussi le reste de la planète. Cette agriculture doit également lui permettre de créer des emplois dont le continent a désespérément besoin ; c’est-à-dire une agriculture saine, durable, facteur de stabilité et de prospérité, intégrant les nouvelles technologies.

Cette agriculture africaine se conçoit enfin comme respectueuse de l’environnement, elle peut devenir un allié dans la lutte contre le changement climatique, ainsi qu’un outil pour la séquestration du carbone. Dans cette optique, nous rejoignons les rapporteurs dans leur plaidoyer pour l’agriculture africaine. Il faut soutenir le FIDA, mais aussi les initiatives comme Atlas, qui a été notamment été évoqué ces derniers jours lors du Forum de la paix de Paris.

Enfin, la diplomatie gastronomique est effectivement une invention française que l’on doit à Talleyrand et Antonin Carême au début du XIXe siècle. Dans ce domaine également, nous rejoignons les rapporteurs et espérons que leurs recommandations seront suivies.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Nous partageons votre analyse sur le FIDA et la nécessité de doter l’Afrique de véritables moyens de production. Les questions de souveraineté et de sécurité alimentaires sont à la fois agricoles et politiques. Deux pays de même surface de terres disponibles et de même climat peuvent avoir des trajectoires totalement différentes en la matière, selon les choix préalablement effectués. Certains sont ainsi extrêmement dépendants du commerce international et de différents aléas quand d’autres ont su conserver une certaine souveraineté, tout en permettant des exploitations mieux disantes et plus respectueuses de l’environnement. Aujourd’hui, nous disposons de recul sur ces données et pouvons aider à la construction de politiques agricoles.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Le constat que vous dressez dans votre rapport correspond à la formation de militant communiste que j’ai reçue, où l’on m’expliquait que le système capitaliste n’était pas forcément le garant de la justice, y compris de la justice alimentaire dans le monde : les lois du marché sont celles du profit.

Ensuite, vous avez évoqué l’utilisation de l’alimentation à des fins guerrières. Selon moi, le fait d’affamer une population s’apparente à du terrorisme. À ce titre, je suis choqué d’entendre qu’une citoyenne française portant des responsabilités du blocage de l’alimentation à Gaza serait présente à un gala organisé aujourd’hui à Paris. J’espère que des arrestations et des jugements auront lieu car derrière le problème alimentaire se profile également l’enjeu essentiel de la justice.

Le rapport insiste également à juste titre sur les choix politiques qui peuvent être opérés par des États. À ce sujet, les accords de libre-échange entre l’UE et certaines zones du monde engendrent des problèmes alimentaires dans les pays qui exportent vers l’Union. Je salue donc l’honnêteté de votre rapport qui a le mérite de pointer les sujets majeurs, même si nous pouvons diverger sur leur appréciation.

M. Guillaume Garot, rapporteur. L’analyse du monde tel qu’il va n’est pas uniquement l’apanage des formations marxistes des années 1970. Il suffit de regarder la réalité : nous produisons mais l’alimentation est très mal répartie et distribuée, engendrant des inégalités de richesse dans le monde. Une fois ce constat posé, le débat peut avoir lieu sur les outils qui peuvent être employés pour corriger ces inégalités. Face au libre-échange, je plaide pour ma part pour la promotion d’un « juste-échange ».

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Je remercie Jean-Paul Lecoq de ses commentaires. J’ajoute que nous avons également eu l’opportunité d’auditionner des négociants de matières premières, avec lesquels nous avons pu mener un débat assez ouvert, nous permettant d’aboutir au constat que ce marché a besoin d’être régulé. En effet, nous n’avons jamais autant produit qu’aujourd’hui mais, simultanément, nous n’avons jamais aussi mal réparti cette production. À partir de ces deux constats, une série de solutions est envisageable en fonction des orientations politiques de chacun.

Quoi qu’il en soit, en tant que parlementaires, nous devons jouer un rôle, en évaluant les politiques de la France sur le plan international et en agissant au niveau national. Je pense que ce rapport devrait susciter un certain nombre d’initiatives transpartisanes très concrètes et très locales, en complément de notre rôle de contrôle parlementaire.

Mme Marine Hamelet (RN). La France a pris sa place dans la lutte contre l’insécurité alimentaire. Elle a augmenté ses contributions de plus de 300 % en cinq ans et contribue à hauteur de 350 millions d’euros à l’aide alimentaire. À cela s’ajoute la part française dans les 4,5 milliards d’euros que l’Union européenne investit annuellement pour la sécurité alimentaire et la nutrition.

Ces contributions viennent alimenter plusieurs fonds, parmi lesquels figure le Programme alimentaire mondial, le fonds d’urgence humanitaire et de stabilisation ou l’aide alimentaire programmée. Or, lorsque l’État finance l’action de telles organisations, il externalise une partie de son action extérieure. Cette délégation d’une politique publique est plus complexe à valoriser, pour les autorités nationales comme pour les bénéficiaires finaux. Notre aide alimentaire est brouillée, éclatée, dispersée entre plusieurs canaux selon des mandats insuffisamment définis, ce qui renforce les risques de chevauchement.

Pour finir, je souhaite évoquer avec vous l’action américaine. En matière d’aide alimentaire, une importante partie du soutien américain s’opère via une aide en nature, à travers l’expédition de produits alimentaires américains. En 2024, le gouvernement américain a annoncé déployer un milliard de dollars pour acheter des produits de base cultivés aux États-Unis, afin de fournir une aide alimentaire d’urgence aux personnes dans le besoin, principalement en Afrique.

Les États-Unis n’hésitent pas à conjuguer leur aide alimentaire internationale au soutien direct de leurs filières agricoles. La France s’est toujours refusée à le faire, alors que nos agriculteurs en souffrance pourraient être davantage mis à contribution. Ne faut-il pas envisager une évolution vers un système gagnant-gagnant où nous fournirions des denrées alimentaires de qualité tout en soutenant notre filière agricole en difficulté ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. L’aide alimentaire française est effectivement en augmentation, ce qui me semble positif. Ensuite, nous opérons une véritable distinction entre l’action parfois très concrète d’agences comme la FAO, le PAM et le FIDA et les critiques que nous pouvons émettre. Haïti appartient à ma circonscription et je peux observer l’action que le Programme alimentaire mondial y mène sur le terrain. Dans certains endroits, il existe une réelle utilité à pouvoir agir à travers ces organismes, qui sont d’ailleurs parfois les seuls à pouvoir aller sur le terrain. Simultanément, notre rapport insiste sur la question du contrôle de ces organismes. Pour le FIDA, notre aide est extrêmement contrôlée.

J’émets par ailleurs des réserves sur le soutien de la filière agricole française pour l’aide alimentaire. En effet, il me semble essentiel d’encourager les pays aidés à développer leur économie et leur permettre de devenir indépendants, afin qu’ils puissent se nourrir eux-mêmes. Il m’apparaît donc nécessaire de soutenir les filières agricoles locales, au-delà des coûts de transport des produits agricoles depuis la France.

Il faut également évoquer la question de la concurrence déloyale, qui a été soulevée dans certains pays, à très juste titre. L’aide alimentaire étant très bon marché, elle rendait très peu compétitive la production locale. En conséquence, je crois davantage à l’investissement dans des modèles de production permettant ensuite aux pays d’être indépendants et, à terme, de cesser de recevoir cette aide. À mon sens, celle-ci a vocation à être temporaire, afin de ne pas créer des systèmes de dépendance permanente plaçant sous perfusion des pays, par l’envoi de denrées alimentaires françaises.

Mme Marie-Ange Rousselot (EPR). Je tiens tout d’abord à vous remercier pour la qualité de votre rapport, qui aborde un sujet fondamental. D’ici 2050, l’enjeu alimentaire sera critique en raison de la croissance démographique mondiale et du dérèglement climatique qui menacent nos modes de production et aggravent une situation déjà alarmante pour des centaines de millions de personnes.

Ce rapport met en lumière plusieurs aspects cruciaux, dont l’impact des conflits armés sur les chaînes de valeur agricoles. L’invasion russe en Ukraine en est une illustration frappante. En bloquant les exportations de blé ukrainien, la Russie a déstabilisé les marchés agricoles, entraînant des conséquences drastiques sur les prix. La sécurité des sites agricoles nationaux et ceux de nos partenaires doivent constituer une priorité, comme le soulignent vos propositions n°s 25 à 27 visant à renforcer cette prise en compte par nos armées.

Par ailleurs, les conflits prennent une dimension numérique et la cybersécurité doit être au cœur des agendas stratégique et diplomatique. À l’instar des infrastructures publiques, le secteur agricole est particulièrement exposé à ces menaces. L’activité agricole et agroalimentaire dépend de plus en plus de matériels connectés, de données et de transactions en ligne. En décembre 2023, la coopérative Even, un acteur majeur de l’agroalimentaire français, a subi une cyberattaque paralysant durant une semaine un millier d’agriculteurs et plus de 6 000 salariés. Les effets ont en outre perduré pendant des mois. Face à de telles menaces, dans quelle mesure estimez-vous que la sécurité informatique du secteur agricole doive devenir un sujet stratégique ?

De plus, l’enjeu alimentaire représente également un enjeu de santé publique. Votre rapport insiste sur l’éducation à l’alimentation et formule plusieurs propositions pour renforcer la connaissance des élèves en la matière. La pédagogie auprès des jeunes représente un levier essentiel pour relever les défis du gaspillage, de l’obésité et de la malnutrition. Vous soulignez à raison que le réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) pourrait être pertinent pour expérimenter des actions en ce sens, étant souvent un lieu d’innovation pédagogique.

À ce titre, l’expérience québécoise des projets pédagogiques agricoles doit être considérée. Le gouvernement de la province a mis en place un programme scolaire, de la maternelle au collège, sur les enjeux de souveraineté alimentaire et sur l’importance de consommer localement, pour une alimentation durable. Aussi, dans le cadre du plan national d’éducation à l’alimentation que vous préconisez, quelle place donner aux enjeux de souveraineté agricole à travers la sensibilisation des élèves aux réalités du travail de nos agriculteurs dans une économie globalisée ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Le sujet de la cybersécurité est effectivement essentiel. La proposition n° 26 de notre rapport peut y répondre. La guerre en Ukraine montre à quel point il s’agit d’un véritable enjeu, parfois sous-estimé. À cet effet, nous préconisons de créer au sein du ministère des armées un ou plusieurs postes dédiés au suivi exclusif des enjeux alimentaires, dans le cadre d’une stratégie globale.

Ensuite, je plaide depuis longtemps pour que l’éducation à l’alimentation intervienne dans le cadre scolaire, ce qui implique d’intégrer cet aspect dans les programmes. Pour le moment, nous ne sommes pas parvenus à emporter la conviction. Pourtant, grâce à l’éducation, il est possible de traiter de sujets plus vastes comme l’environnement, la santé, l’histoire, la géographie. L’alimentation est au carrefour de tous les enjeux contemporains.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Nous promouvons effectivement dans notre rapport un plan d’éducation à l’alimentation, dès le plus jeune âge et jusqu’à la terminale, en intégrant des visites de terrain ou des intervenants agricoles dans les écoles. Il y a là un champ d’expérimentations à creuser, par exemple en envisageant des cuisines portables qui peuvent s’installer très facilement et à moindre coût.

M. Pierre Pribetich (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés souligne la qualité de ce rapport, qui dessine les défis, les enjeux, les contradictions, mais aussi les défaillances d’un sujet central concernant l’alimentation. Il a été rappelé qu’une personne sur dix souffre de la faim dans le monde, alors qu’un milliard de repas sont gaspillés chaque jour, et que l’exploitation de nos terres contribue à 20 % des émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu’à une surexploitation de nos ressources naturelles. Enfin, nous reparlons, hélas, de l’arme alimentaire, où affaiblir l’adversaire par la privation de nourriture redevient une arme stratégique, un terrorisme alimentaire.

Fort heureusement, dans votre rapport, vous introduisez la notion de gastrodiplomatie. J’aimerais redire qu’elle constitue une amplification du repas français. Je souhaite mentionner à ce titre le réseau des cités de la gastronomie qui réunit quatre villes françaises : Rungis, Tours, Lyon et Dijon.

Au-delà de ces éléments, « ceux qui ont faim ont droit », écrivait Victor Hugo dans Les Misérables. Le droit à l’alimentation demeure en effet un droit fondamental. Pourtant, en France, il n’est pas reconnu comme ayant une valeur juridique constitutionnelle, y compris dans sa forme minimale, à savoir le droit d’être à l’abri de la faim, contrairement au droit au logement. Manger à sa faim ne devrait pas être un luxe mais un droit accessible à toutes et à tous.

Dans ce domaine, nous pouvons parler de trois fléaux : la famine, l’obésité et le diabète. L’explosion du nombre de diabétiques (500 millions dans le monde) constitue un enjeu essentiel de la stratégie d’une alimentation saine et durable. À ce titre, je souhaiterais que soit réalisée une étude de l’application des lois qui ont été votées, notamment de la loi de 2021 limitant l’excès de sucre dans les produits vendus en outre-mer. Il s’agit de faire un état juridique de l’application des lois concernant l’introduction du sucre, notamment dans l’alimentation.

Enfin, vous proposez un volet alimentation dans la future politique agricole commune 2028-2034. Comment comptez-vous introduire la limitation du sucre, dans une perspective de cadrage de ce fléau qu’est le diabète ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Vous avez raison de mentionner la malnutrition, qui va au-delà de la sous-nutrition pour concerner également la surnutrition ou une nutrition inadaptée. Des actions doivent être conduites pour faire prendre conscience de cet enjeu, qui pourrait en soi faire l’objet d’une réflexion spécifique. En effet, un grand nombre de produits industriels transformés contiennent des sucres « cachés », notamment par l’intermédiaire du sirop de glucose.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Nous portons l’idée d’une politique agricole et alimentaire commune. Pour y parvenir, nous devons convaincre nos collègues du Parlement européen, mais également la Commission afin que ce sujet intègre son agenda et permette d’aboutir à l’horizon 2028. Cette compétence européenne a pris de l’importance au cours des dernières années et il serait passionnant que l’Europe puisse conjuguer dans une seule et même politique ces enjeux d’alimentation, de santé et d’environnement, qui sont évidemment indissociables.

M. Pierre Cordier (DR). Je souhaite aborder la question des organisations non gouvernementales (ONG) et du monde associatif, qui collaborent étroitement sur le sujet de l’alimentation et qui vivent de dons privés, mais également des contributions des États. Avez-vous pu travailler sur ces questions et mesurer l’efficacité des actions de ces structures ? En effet, certaines associations connaissent des effectifs pléthoriques et consacrent parfois davantage de fonds aux frais de fonctionnement qu’à leurs actions proprement dites.

Ensuite, je souhaite évoquer l’action sur le terrain. Je suis favorable à la fourniture d’aide alimentaire, mais surtout à la transmission de connaissances aux populations qui souffrent de malnutrition, afin qu’elles puissent localement se nourrir de la meilleure des manières possibles.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Nous ne sommes pas rentrés dans le détail de l’intervention des associations, qui réalisent dans leur majorité un grand travail tout en étant soumises à des cahiers des charges de plus en plus exigeants, lesquels occasionnent des contraintes compliquées à gérer, sur le terrain. Nous avons besoin de ces associations, de la même manière que nous avons besoin d’une intervention publique, même s’il est nécessaire de coordonner les différents programmes que nous avons détaillés dans notre rapport.

Ensuite, votre question témoigne de l’urgence d’investir durablement dans les programmes de coopération agricole. Nous avons besoin d’appuyer des programmes d’investissement et des programmes de formation sur la production alimentaire. Nous disposons d’une expertise mais nous devons également donner les moyens aux populations concernées de pouvoir trouver leur propre voie de développement. Je crois qu’il est possible d’y parvenir.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Nous avons auditionné les ONG Action contre la faim, CCFD-Terre solidaire, mais aussi un acteur du commerce équitable, Max Havelaar. Il est ressorti de ces auditions la nécessité de mieux coordonner cette aide aujourd’hui trop éclatée. Le Comité de la sécurité alimentaire à Rome interroge justement les ONG, la société civile et les associations présentes sur le terrain. Il existe ainsi une forme de complémentarité entre l’action de ces associations et celle des agences onusiennes mais aussi de celle de la coopération directe ou bilatérale de certains États. Nous devons nous assurer d’une meilleure coordination et surtout, d’un meilleur contrôle. À ce titre, je vous invite à exercer ce contrôle parlementaire, qui fait d’ailleurs partie de nos fonctions, notamment sur l’emploi des fonds publics.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Votre rapport met en évidence un paradoxe. D’un côté, la faim progresse dans le monde. Selon l’ONU, entre 2019 et 2023, 152 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans l’insécurité alimentaire, portant le nombre de sous-alimentés à plus de 9 % de la population mondiale. D’un autre côté, la malnutrition est généralisée dans les pays riches comme dans les pays en développement, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle constitue d’ailleurs la première cause de mauvaise santé dans le monde puisqu’elle entraîne des cancers. L’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité aujourd’hui, devant les maladies infectieuses.

Nous vivons donc dans un système qui ne nourrit pas suffisamment, mais qui, en plus, nourrit mal. Certains ne mangent pas assez, d’autres mangent trop et mal. J’estime que le modèle de l’industrie agroalimentaire en est la cause. Ce modèle se fonde à la fois sur la concentration des acteurs, la spéculation sur les denrées et une agriculture intensive hyper consommatrice de pesticides et d’engrais chimiques. Par ailleurs, il faut aussi dénoncer l’accaparement croissant de terres agricoles pour produire des agrocarburants, qui viennent encore déséquilibrer le système.

Alors que les effets du dérèglement climatique sont de plus en plus visibles et viennent encore fragiliser ce système agricole, il est plus qu’urgent de repenser notre modèle pour promouvoir une agriculture durable et une agriculture vivrière. Pour les mêmes raisons, il est nécessaire de se détacher de certains accords de libre-échange et de défendre la souveraineté alimentaire européenne. Ceci est encore plus vrai après la victoire de Donald Trump. L’accord UE-Mercosur ne doit pas être signé la semaine prochaine. En effet, il menace nos agriculteurs, imposerait aux Européens des produits qui ne respectent pas les normes sanitaires et environnementales et nous rendrait complice de la déforestation en Amérique du Sud.

Enfin, je souhaite achever mon intervention sur une alerte. Vous évoquez dans votre rapport l’utilisation de la faim comme une arme de guerre. Dans la bande de Gaza, 86 % de la population vit en situation d’insécurité alimentaire et 10 % en situation de famine. Il faut dire clairement qu’il s’agit là d’une action délibérée d’Israël qui, d’après la FAO, a détruit la totalité des moyens de production locaux et qui, au surplus, ne laisse rentrer qu’au compte-goutte les camions d’aide alimentaire.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Le paradoxe que vous avez mentionné était au cœur de l’initiative de cette mission. Ce paradoxe place finalement le consommateur, le citoyen, au cœur de l’équation. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas parlé de « systèmes agricoles », mais de « systèmes alimentaires ». Tant que nos choix politiques, sociaux, sociétaux nous empêcheront de consommer ce que nous devrions consommer au bénéfice de notre santé et des grands équilibres nationaux et internationaux, nous ne résoudrons pas cette équation. Dans ce cadre, l’éducation nous semble fondamentale, à la fois l’éducation des enfants, mais également une éducation continue tout au long de la vie. En outre, l’enjeu de la gastrodiplomatie n’est pas aussi anecdotique que cela peut sembler de prime abord. À travers la diffusion d’une gastronomie, on diffuse aussi un savoir-vivre, une alimentation équilibrée et variée, le modèle sain de trois repas par jour.

S’agissant des accords de libre-échange, ma lecture est différente de la vôtre. Je ne pense pas qu’il faille les abolir, mais j’estime que certaines denrées ne sont pas des commodités comme les autres, elles ne peuvent pas s’échanger comme d’autres biens et doivent donc faire l’objet d’un traitement particulier. Sur le Mercosur, qui concerne les pays de ma circonscription, ma position est peut-être dissonante par rapport à celle de l’ensemble de l’Assemblée car j’estime qu’il est extrêmement important de pouvoir commercer avec l’Amérique latine, plutôt que de l’abandonner à la Chine. Dans ce cadre, j’ai fortement insisté sur l’agenda environnemental et sur les conditionnalités tarifaires. En l’état, cet accord ne convient pas à la France, comme cela a été indiqué à plusieurs reprises.

M. Guillaume Garot, rapporteur. L’alimentation n’est effectivement pas une marchandise comme les autres, je considère qu’elle relève d’un bien commun. En conséquence, il faut opérer et réussir les grandes transitions absolument nécessaires pour des raisons sanitaires, environnementales et sociales. Ces transitions concernent le système alimentaire, le système agricole et le système agro-alimentaire. Il s’agit là d’un enjeu majeur. Nous formulons à ce titre quelques propositions, notamment à l’échelle européenne. Dans ce domaine, la France doit tenir ce message, car sa voix porte.

Monsieur Roumégas, vous évoquez à juste titre la question des cultures vivrières. Si nous voulons que l’alimentation soit mieux répartie, il faut d’abord que chacun puisse mieux produire, en fonction de ses réalités climatiques et édaphiques. Il ne faut pas abandonner les objectifs de coopération, pour aider les peuples à pouvoir garantir leur souveraineté, leur autonomie et leur capacité à se nourrir eux-mêmes.

Mme Anne Bergantz (Dem). Comme vous le soulignez dans ce rapport, l’enjeu alimentaire est au croisement de multiples défis internationaux : l’agriculture, la précarité, la malnutrition, mais également les défis environnementaux et les relations internationales. Ces considérations sont liées à la situation du commerce international, à la diplomatie, à la géopolitique des matières premières ou encore au soft power exercé par chaque État.

Je tiens à saluer les propositions que vous avez présentées dans chacun de ces domaines, qui peuvent contribuer à construire des solutions françaises et européennes face à ces défis mondiaux. Permettez-moi de revenir plus spécifiquement sur les recommandations que vous émettez en matière de défense nationale. Dans votre rapport, vous évoquez le cas de l’Ukraine, où les sites agricoles ont effectivement constitué des cibles tactiques dans la guerre d’agression menée par la Russie. L’exportation du blé ukrainien est alors devenue un enjeu de pression diplomatique envers les pays d’Europe et d’Afrique, déstabilisant profondément l’accès de pays entiers à une denrée alimentaire de base.

Je partage votre analyse lorsque vous rappelez qu’en France également, notre production est exposée à des attaques conventionnelles ou hybrides de la part des puissances étrangères. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les risques que vous avez identifiés en la matière ? Vous évoquez en conséquence la possibilité que certains grands sites agricoles stratégiques puissent être davantage protégés de ces attaques. Pouvez-vous nous préciser quels types d’exploitation doivent retenir prioritairement notre attention ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Notre proposition n° 27 vise effectivement à évaluer – et si nécessaire renforcer – la sécurité des sites agricoles stratégiques, par exemple les stocks de grains. Nous devons être capables d’adopter un regard très lucide sur les risques encourus.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Il est nécessaire de mener une évaluation filière par filière pour pouvoir éventuellement redéfinir précisément la liste de ces sites stratégiques, grâce à nos forces armées. En tant que parlementaires, nous pouvons formuler une demande officielle au ministère des armées, puis vérifier l’effectivité de cette évaluation, étant entendu que certains éléments resteront naturellement confidentiels.

Mme Véronique Besse (NI). Je vous remercie pour cet exposé sur un rapport très dense, qui aborde de nombreux sujets d’actualité. En effet, l’accès à l’alimentation est plus que jamais au cœur de l’actualité, aussi bien au niveau international, comme en témoignent les différentes crises géopolitiques, qu’au niveau national, qu’il s’agisse la mobilisation des agriculteurs ou de la question de notre souveraineté alimentaire. Comme vous l’avez expliqué, depuis la crise en Ukraine et l’abaissement des droits de douane, le marché français s’est vu inondé de produits ukrainiens, notamment de volailles. Nos agriculteurs se sont retrouvés assez seuls face à des produits qui ne respectent pas nos normes sanitaires, environnementales et sociales. Conjuguée aux crises sanitaires et climatiques qui affectent les élevages, cette décision contribue à affaiblir les différentes filières et notre souveraineté alimentaire.

La même inquiétude concerne la signature des accords du Mercosur. Sous couvert de libre-échange, nos agriculteurs se retrouvent en concurrence avec des produits moins chers, mais qui ne respectent aucune de nos normes. Au-delà de la simple question du coût des produits, cela affaiblit durablement notre souveraineté alimentaire, mais aussi le tissu industriel qui en dépend – je pense notamment aux abattoirs. Il serait naïf de croire qu’à terme, les pays avec lesquels nous signons ces accords ne les utiliseront pas comme moyen d’influence sur la politique française et européenne.

Dans votre rapport, vous recommandez la mise en place de clauses et de mesures miroirs. Mais de telles mesures sont-elles suffisantes et comment s’assurer de leur réelle mise en place sur le terrain ? Comment mieux armer notre pays et l’Union européenne pour défendre notre souveraineté ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Votre question est au cœur de l’enjeu alimentaire et d’une actualité que nous avons tous à l’esprit. Les clauses miroirs constituent un outil très puissant, qui témoigne d’une véritable volonté politique du « juste-échange » que j’évoquais, c’est-à-dire un échange équilibré. Ensuite, la question porte sur leur périmètre : ces clauses concernent-elles uniquement les traités d’accords commerciaux ou l’ensemble des échanges, y compris alimentaires ? Je plaide pour la deuxième possibilité, afin de mettre en place des contreparties extrêmement claires et l’affirmation d’un cahier des charges évidemment conforme à ce que nous défendons dans nos choix collectifs européens.

La deuxième question que posez à très juste titre concerne le contrôle. Pour assurer ce contrôle, il faut pouvoir disposer de contrôleurs et donc de ressources publiques. Cela suppose de confier des moyens aux États d’affirmer cette puissance et cette prérogative régalienne à tout le moins dans le cadre d’une politique européenne.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Les conditionnalités tarifaires sont d’ordre contractuel dans ces accords de libre-échange. Mais en réalité, au-delà de la question du prix, centrale pour nos agriculteurs, se posent les questions des moyens de production et du respect des normes environnementales et sanitaires.

Dans le cadre de la législation européenne, les critères relatifs à la déforestation importée ont été dénoncés par certains pays. Mais cette législation demeure fondamentale. Lors de nombreux déplacements, notamment au Brésil, j’ai eu l’occasion d’échanger avec des ONG environnementales qui m’ont expliqué que le commerce permet d’introduire des mesures vertueuses dans certains marchés.

En résumé, même si cela peut paraître technique, j’estime qu’il faut faire preuve de nuance entre clauses miroirs et mesures miroirs.

M. le président Bruno Fuchs. Je cède à présent la parole aux députés intervenant à titre individuel.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). En dépit d’un fort réinvestissement financier, l’influence française demeure limitée au sein du système international de sécurité alimentaire, comme le soulignait la troisième partie d’un rapport sénatorial de juillet dernier sur l’aide alimentaire française.

En quelques années, le montant des contributions françaises en matière de sécurité alimentaire a été multiplié par trois. Si cela a permis à la France d’entrer au conseil d’administration du Programme alimentaire mondial, nous représentons toujours une goutte d’eau dans l’océan des contributeurs du système onusien. Dans ce contexte de dégradation importante de nos finances publiques, nous ne pouvons pas continuer dans cette surenchère pour espérer rattraper les 2 milliards de dollars de contribution allemande ou les 7,2 milliards de dollars américains.

Préconisez-vous des pistes d’évolution pour renforcer notre diplomatie humanitaire ? La France pratique par exemple très peu le fléchage pour orienter ses contributions volontaires en fonction de ses priorités stratégiques sectorielles ou géographiques. Renforcer cette pratique vous paraît-il constituer un levier intéressant pour affiner et affirmer notre diplomatie ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Lors de notre déplacement à Rome dans le cadre de cette mission, les agences nous ont au contraire indiqué que la France jouait un rôle allant au-delà de son simple niveau de contribution. Nous sommes ainsi un des seuls pays européens à disposer d’une représentation permanente à Rome, qui est active au quotidien auprès de ces différentes agences. Nous avons certes émis un certain nombre de critiques sur le manque de coordination au sein de ses agences, mais je ne partage cependant pas votre constat sur l’insuffisante influence de la France.

S’agissant du fléchage, l’enjeu porte surtout sur le contrôle. Celui-ci existe, notamment sur les programmes du FIDA. Selon nous, il importe de mener une revue de notre intervention au sein de ces agences liées à l’alimentation au niveau international.

M. Alain David (SOC). Je tiens d’abord à saluer la qualité de ce rapport, dont l’analyse sur l’enjeu alimentaire est à la fois claire et pertinente. Nos rapporteurs nous alertent sur les facteurs qui aggravent l’insécurité alimentaire. Ils écrivent qu’il est indispensable que les accords commerciaux respectent davantage les normes sociales et environnementales, tout en garantissant la souveraineté alimentaire des pays et en préservant notre environnement.

Je souhaiterais obtenir davantage de précisions concernant la mise en œuvre de conditionnalités tarifaires dans les accords commerciaux. Quelles actions doivent selon vous être menées pour éviter que les mesures miroirs soient à la fois incomprises, voire assimilées à du protectionnisme par certains grands pays exportateurs, notamment en Amérique latine ou en Afrique ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Dans notre rapport, nous évoquons notamment la Nouvelle-Zélande, dans le cadre de nos propositions n°s 8 et 9. Nous estimons qu’il ne faut pas hésiter à exclure les produits les plus sensibles du champ des négociations commerciales entre l’Union européenne et les pays tiers. La réciprocité des normes de production agricole et agroalimentaire doit ainsi constituer un objectif plus affirmé dans les politiques européennes. Les conditions tarifaires sont aujourd’hui à l’œuvre, en particulier dans l’accord de libre-échange conclu avec la Nouvelle-Zélande en juin 2022, qui assortit par exemple le contingent bilatéral de viande bovine d’une conditionnalité tarifaire excluant les produits issus de bovins qui sont engraissés dans les parcs d’engraissement (feed-lots).

M. Michel Guiniot (RN). Je souhaite vous interroger sur la proposition 8 de votre rapport, en page 85, où vous recommandez d’exclure les produits les plus sensibles du champ des négociations commerciales entre l’Union européenne et les pays tiers. Outre le fait que cette proposition rejoint notre programme sur l’agriculture, ce que je ne peux qu’approuver à titre personnel, j’aurais souhaité obtenir des précisions sur ce que vous considérez comme étant des produits sensibles. Dans votre rapport, vous évoquez le lait, la viande, le sucre. Pourriez-vous nous indiquer si vous percevez les céréales dans leur ensemble comme étant un produit sensible ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. La question porte surtout sur les accords de libre-échange, dans la mesure où ils vont créer des conditions tarifaires qui peuvent engendrer une concurrence qui peut être parfois perçue à juste titre comme étant déloyale. Lorsque la Commission parle de « produits sensibles » comme cela a été le cas pour les volailles dans le cadre de l’Accord économique et commercial global (CETA), elle se focalise surtout sur cette question de distorsion de la concurrence ou de marché extrêmement concurrentiel.

Il nous a semblé essentiel de garder en tête que tous les produits ne se valent pas. C’est la raison pour laquelle je parlais précédemment de la nuance entre clause miroir et mesure miroir, car il importe de définir les contours du marché que nous voulons au sein de l’Union européenne. Dans ce cadre, il serait évidemment possible d’examiner les différentes filiales et, pourquoi pas, la filière céréalière.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Comment ne pas partager les constats et les propositions de nos deux rapporteurs ? Ils sont argumentés et utiles.

Ensuite, il existe un gradient social de l’obésité, tout le monde le sait. Cependant, hormis le nutriscore, qui n’est toujours pas obligatoire et qui fait peser la responsabilité de ces choix sur le seul consommateur, les pouvoirs publics se montrent incapables d’encadrer la composition de produits dénaturés, ultra-transformés, dénués de tout intérêt nutritionnel. Nous ne sommes même pas capables d’interdire la publicité pour la malbouffe aux heures où les enfants sont devant la télévision.

En outre, le rapport élude un point important. Alors que nous constatons déjà l’impact du changement climatique sur les rendements agricoles, sur la santé des plantes, sur le calendrier des cultures et des récoltes, sur la menace que constituent les ravageurs, est-il raisonnable de consacrer de précieuses terres agricoles dans nos pays, qui disposent encore d’un climat tempéré, à la production d’énergie sous des formes variées ? Je pense ici à la culture énergétique pour une utilisation directe, pour la méthanisation, la fabrication de bioéthanol ou l’installation de panneaux photovoltaïques.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Je partage votre questionnement. Dans le cadre d’une PAAC, la question du nutriscore pourrait être très utilement posée. Nous plaidons pour la généralisation obligatoire de ce dispositif, ce qui permettrait de répondre à l’une des préoccupations de nos entreprises agroalimentaires françaises qui redoutent d’être en difficulté si le nutriscore n’est obligatoire qu’en France et non dans l’ensemble des pays de l’Union.

Ensuite, la priorité de la production agricole porte effectivement sur l’alimentaire, c’est-à-dire le fait de produire pour nourrir. En conséquence, les productions agricoles qui servent l’énergie doivent être extrêmement encadrées. Si tel n’est pas le cas, nous ne pourrons pas nourrir les populations, qui sont en augmentation.

Mme Sylvie Josserand (RN). Votre proposition n° 9 vise à « introduire des conditionnalités tarifaires dans les accords commerciaux pour promouvoir des modes de production durables ». Vous donnez l’exemple de la Nouvelle-Zélande et de l’exclusion dans les accords de libre-échange des produits issus de bovins élevés en parcs d’engraissement industriels et intensifs. Ne pensez-vous pas que cette préoccupation constante pour l’écologie devrait s’illustrer en premier lieu par la réduction des échanges commerciaux internationaux au profit d’une production locale ?

Enfin, vous avez évoqué la nécessité de permettre aux pays aidés de devenir indépendants, ce qui sous-tend l’idée d’une réduction des échanges. Je rappelle que la pollution du transport maritime représente actuellement 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et pourrait atteindre 17 % d’ici 2050, si l’on en croit le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

M. Guillaume Garot, rapporteur. Encore une fois, la question essentielle concerne le « juste-échange ». La population mondiale atteindra 10 milliards d’habitants en 2050 et nous ne pourrons pas nous passer des échanges. En conséquence, il ne faut pas considérer que le localisme serait la bonne et exclusive réponse car elle serait synonyme de fermeture, dont les conséquences seraient également néfastes. Nous sommes favorables aux échanges justes, dans le respect de la souveraineté des peuples, pour permettre de nourrir les populations.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je vous remercie pour votre rapport sur ce sujet extrêmement important. Je souhaite évoquer le surpoids et l’obésité, qui frappent 40 % des adultes et 20 % des enfants. Il s’agit une hécatombe. Le rapport sur la nutrition mondiale de 2022 s’inquiète ainsi des tendances en augmentation, qu’il s’agisse de la faim ou de l’obésité. Le coût des pathologies liées à l’obésité est évalué à 2 000 milliards de dollars par an selon la Banque mondiale – plus que le PIB de l’Espagne ou du Canada – sans parler du coût social induit.

Les responsables sont majoritairement les industriels, qui empoisonnent nos assiettes. Il s’agit bien souvent d’organisations tentaculaires mondiales dont nous savons que les recettes sont responsables de l’obésité et de l’ensemble des maladies qui en découlent. Je pense notamment aux sucres cachés ou ultra-transformés. Ces grandes entreprises sont notamment Nestlé, PepsiCo, ou encore d’autres, qui refusent par ailleurs d’afficher le nutriscore sur les emballages. Les législations nationales ne suffisent plus face à des entreprises qui, de manière complètement débridée, ont installé une véritable habitude de la dépendance.

L’année prochaine, la France accueillera le Sommet N4G. Mais simultanément, le gouvernement a refusé certains amendements sur les sucres cachés dans l’alimentation ou encore sur le nutriscore. Pensez-vous que la France puisse être crédible et moteur dans une réelle coalition de la lutte contre l’obésité ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. J’entends votre colère, ce sujet doit nous interpeller tous aujourd’hui, tant les chiffres sont alarmants. Il faut préserver non seulement nos modes de consommation, nos habitudes alimentaires, mais également alerter sur les risques de la consommation de certains produits ultra-transformés, extrêmement nocifs pour notre santé. Les réponses sont multiples. Des amendements ont ainsi été adoptés, notamment sur la taxation des sodas.

Notre formule de nutriscore est vertueuse par rapport aux formules utilisées dans certains pays, notamment en Amérique latine, qui se contentent d’apposer un grand signe noir sur les produits, sans fournir de détails ni de nuances selon les produits concernés. Or l’éducation à l’alimentation passe nécessairement par la nuance.

M. Frédéric Petit (Dem). Je vous remercie pour cette ode à la nuance, qui est pour moi l’avenir de la démocratie. Je souhaite formuler quelques remarques sur votre rapport. Vous avez un peu abordé la notion de la propriété de la terre. Nous sommes en effet aux prémices d’une immense réflexion sur ce sujet, en particulier pour empêcher la spéculation. Ensuite, on ne rappelle jamais assez que l’eau n’est pas un produit qui se vend. On ne vend jamais l’eau, mais le service à l’eau, même en bouteille.

Par ailleurs, nous ne travaillons pas suffisamment sur les questions liées à l’aquaculture de remplacement. Enfin, s’agissant de votre proposition n° 28, je rappelle que lorsqu’il est question de moyens, il ne s’agit pas uniquement des moyens de l’État français. Lorsqu’il est question de diplomatie, les moyens doivent être mis en coordination avec d’autres pays.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Notre rapport n’a pu aborder en détail la question de la pêche. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, plus de poissons sont élevés que pêchés, ce que nous évoquons dans le rapport et ce qui doit nous interpeller. Vous avez par ailleurs raison d’aborder la question essentielle de l’eau, qui pourrait à elle seule faire l’objet d’un rapport spécifique de notre commission, tant cet enjeu sera de plus en plus géostratégique.

M. Guillaume Bigot (RN). Je vous remercie pour votre travail de qualité, qui relève à la fois d’un tour de force mais aussi d’un exercice d’équilibriste. En effet, vous parvenez à traiter d’enjeux alimentaires sans mentionner les contraintes qui pèsent sur nos agriculteurs, lesquels s’apprêtent pourtant à redescendre dans la rue.

Pourquoi votre rapport ne mentionne-t-il pas que les études de la commission européenne avaient anticipé une baisse de 15 % de la production de blé, de 19 % de la production de maïs et de 16 % de la production d’orge après la mise en œuvre du Pacte vert ? Pourquoi élude-t-il le fait que ces réglementations européennes aggravent dangereusement le tableau du risque alimentaire mondial ?

Enfin, vous nous indiquez qu’il faut lutter contre le gaspillage alimentaire. Personne ne vous dira le contraire. N’est-il pas contradictoire, voire inique, de réduire volontairement notre production agricole pour complaire à Bruxelles, de demander aux citoyens de faire des efforts et de prétendre vouloir lutter contre l’insécurité alimentaire ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Je conteste vos chiffres sur le volume de la production alimentaire et surtout le lien que vous établissez entre cette production et le Pacte vert.

M. Guillaume Bigot (RN). C’est sur le site de la Commission !

M. Guillaume Garot, rapporteur. La véritable question consiste à savoir comment nous pouvons à la fois produire plus pour nourrir davantage de bouches, mais surtout produire mieux. Il s’agit de réussir la transition, qui doit être agricole, alimentaire et agroalimentaire.

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. La colère des agriculteurs est protéiforme, elle dépend de nombreuses causes dont nous pourrions discuter. Notre rapport s’est quant à lui concentré sur les systèmes alimentaires et non sur la question agricole française. L’imbrication de nos agricultures européennes doit faire l’objet d’une analyse approfondie et nous devons répondre en Européens.

M. Jérôme Buisson (RN). Je souhaite connaître votre avis sur une contradiction, un paradoxe écologique, mais aussi dans nos pratiques politiques. Vous avez indiqué que l’agriculture et les terres servent à nourrir les hommes. Or l’évolution écologique, la fin du plastique et l’avènement des biocarburants exigent de plus en plus de ressources agricoles et d’argent, au travers des subventions. La Cour des comptes souligne que le bioéthanol coûte 400 millions d’euros par an, sans aucun bénéfice pour le climat, soit l’équivalent de 9 millions de baguettes de pain brûlées chaque jour. Comment vous accordez-vous avec cette contradiction consistant à financer d’une part ces biocarburants et d’autre part à vouloir réserver la nourriture pour les êtres humains ?

Mme Éléonore Caroit, rapporteure. Il faut cesser d’opposer agriculture et écologie. Les agriculteurs, les représentants de coopératives que nous avons pu auditionner ont tous souligné que les agriculteurs sont les plus vulnérables et les plus exposés au changement climatique. Un investissement massif doit être mené pour adapter nos modes de production.

Mme Dieynaba Diop (SOC). Aujourd’hui, la famine est utilisée comme arme de guerre dans de très nombreux conflits, partout dans le monde. Il faut effectivement non seulement nous en préoccuper, mais également voir comment nous pouvons agir pour résorber cette situation dont sont victimes tant de populations, notamment au Soudan.

Je soutiens la proposition d’une éducation à l’alimentation en milieu scolaire, sans oublier la dimension d’éducation populaire, c’est-à-dire en dehors du temps scolaire. De nombreuses associations pourraient faire le lien et contribuer à cette éducation à l’alimentation.

Enfin, je souhaite évoquer le traité du Mercosur et les inquiétudes qu’il suscite, notamment dans le monde agricole, quant à ses implications environnementales et sociales. Quelles conséquences ce type de traité peut-il avoir sur notre alimentation ?

M. Guillaume Garot, rapporteur. Les données sont aujourd’hui bien connues. Le problème concerne l’autorisation d’importation en Europe de marchandises, notamment les volailles et les bovins, qui ne sont pas « produits » dans les mêmes conditions que sur notre continent. Cela pose donc la question des contrôles, mais aussi de la préservation de la biodiversité face à la déforestation. Nous sommes quelques-uns ici à avoir demandé que la France agisse et oppose son veto sur le projet d’accord avec le Mercosur.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie pour la qualité de votre rapport, qui rappelle notamment qu’un tiers de la production alimentaire est soit jetée, soit perdue. L’enjeu porte donc sur l’organisation des circuits de distribution et l’orientation du commerce mondial, notamment en termes d’éthique et de solidarité.

À mon tour, je souhaite vous faire part d’une suggestion. Notre commission produit un grand nombre d’analyses et de propositions pertinentes, mais elles ne se concrétisent pas toujours. Je proposerai donc au bureau de travailler sur la manière dont notre commission peut accompagner les rapporteurs dans la mise en œuvre de certaines propositions sur lesquelles nous nous accordons.

Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise la publication du rapport d’information qui lui a été présenté.

 

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Informations relatives à la commission

En clôture de sa réunion, la commission nomme :

-          Mme Pascale Got, rapporteure sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’avenant, signé à Bruxelles le 7 novembre 2022, à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, et le protocole y relatif, faits à Paris, le 20 mars 2018, tels que modifiés par l’avenant, fait à Luxembourg, le 10 octobre 2019 (n° 548) ;

-          M. Michel Herbillon rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d’Espagne (sous réserve de son dépôt).

 

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La réunion est levée à 11 h 00.

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Anne Bergantz, Mme Véronique Besse, M. Guillaume Bigot, M. Jérôme Buisson, Mme Éléonore Caroit, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, M. Marc de Fleurian, M. Bruno Fuchs, M. Guillaume Garot, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Marine Hamelet, Mme Sylvie Josserand, Mme Brigitte Klinkert, M. Arnaud Le Gall, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Mazaury, Mme Isabelle Mesnard, M. Frédéric Petit, M. Jean-François Portarrieu, M. Pierre Pribetich, M. Remi Provendier, M. Stéphane Rambaud, M. Franck Riester, Mme Laurence Robert-Dehault, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Sabrina Sebaihi, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, Mme Dominique Voynet, Mme Estelle Youssouffa

 

Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Clémentine Autain, M. Bertrand Bouyx, M. Pierre-Yves Cadalen, M. Olivier Faure, M. Perceval Gaillard, Mme Pascale Got, M. François Hollande, M. Alexis Jolly, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Marcangeli, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez