Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Audition, à huis clos, de M. Alexis Andres, directeur-adjoint de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, sur les derniers événements et la situation en Syrie 2
Mercredi
19 mars 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 46
session ordinaire 2024-2025
Présidence
de M. Bruno Fuchs, Président
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La commission procède à l’audition, à huis clos, de M. Alexis Andres, directeur‑adjoint de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, sur les derniers événements et la situation en Syrie.
La séance est ouverte à 11 h 10.
Présidence de M. Bruno Fuchs, président.
M. le président Bruno Fuchs. Les événements survenus en Syrie du 6 au 10 mars 2025 ont profondément choqué la population française et les parlementaires, soulevant de nombreuses questions sur la situation dans ce pays. Je remercie M. Alexis Andres, directeur-adjoint de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE), d’avoir rapidement accepté notre invitation pour aborder ce sujet. Je précise que cette audition se déroule sous le régime du huis clos, une règle que chacun est prié de respecter pour d’évidentes raisons.
Notre commission suit attentivement l’évolution de la situation en Syrie, particulièrement depuis la chute du régime de Bachar al-Assad le 8 décembre 2024. Nous avons en effet entendu le ministre de l’Europe et des affaires étrangères au lendemain de son déplacement à Damas, en décembre, et, plus récemment, nous avons organisé une table ronde avec des experts et des observateurs.
De ces différentes auditions, il est ressorti que la prise du pouvoir par Ahmed al-Charaa, président intérimaire des autorités syriennes de transition, était susceptible d’ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire de ce pays martyrisé ces treize dernières années, compte tenu du bilan affiché par l’intéressé et de ses intentions affichées à Damas.
Le 6 mars, des embuscades menées par des fidèles du président déchu, Bachar
al-Assad, contre des éléments des forces de sécurité à Jableh, près de la ville côtière de Lattaquié dans l’Ouest du pays, ont déclenché une riposte extrêmement sanglante de plusieurs milliers de combattants aux ordres du nouveau pouvoir ou de ses groupes alliés.
L’Observatoire syrien des droits de l’Homme, une organisation non gouvernementale (ONG) disposant de vastes ressources, a rapporté de nombreuses exactions et exécutions sommaires commises en marge des affrontements, visant principalement des civils de la communauté alaouite mais aussi des chrétiens. Des vidéos particulièrement choquantes attestent de la cruauté de cette répression. Il est question ici de familles entières assassinées, de femmes, d’enfants et de personnes âgées froidement abattus en pleine rue ou dans leur maison. Plus de 1 400 victimes civiles sont à déplorer.
Par-delà l’effroi causé par ces événements, nous avons plusieurs questions à vous adresser, monsieur Andres. D’abord, les opérations à l’origine de cette répression sont-elles le fruit d’une rébellion interne autonome ou bien, comme cela a pu être suggéré, ont-elles été appuyées, voire incitées par des puissances étrangères ? Si oui, lesquelles ? Sont-elles le fait de l’Iran et de son proxy libanais, le Hezbollah ? Ou bien de la Russie, qui chercherait ainsi à faire pression dans les négociations relatives à ses bases militaires de Tartous et de Hmeimim ?
Le pouvoir syrien a-t-il laissé faire ces exactions ou a-t-il été débordé par des supplétifs djihadistes ? Nous savons que ses forces de sécurité sont considérées comme relativement efficaces mais disposent d’effectifs insuffisants en nombre.
Le président par intérim a réagi en annonçant la mise en place d’une commission d’enquête composée de sept membres, parmi lesquels des Alaouites, pour identifier et punir les coupables. La crédibilité de cette commission dépendra de ses résultats et de la mise en œuvre des décisions de justice qui en découleront.
Le 10 mars, la présidence syrienne a annoncé un accord avec les Forces démocratiques syriennes (FDS) pour intégrer au sein de l’État les institutions civiles et militaires de l’administration autonome kurde du Nord et de l’Est de la Syrie. Il s’agit indéniablement d’une nouvelle positive pour la préservation de l’unité de la Syrie et le respect de la diversité de ses composantes. Les Kurdes, alliés importants dans la lutte contre l’État islamique et qui jouent un rôle crucial pour notre sécurité, voient ainsi leurs aspirations prises en compte, ce qui est un gage d’unité et de stabilité de la part du nouveau pouvoir syrien.
Cependant, la déclaration constitutionnelle du 13 mars, qui consacre la prééminence de la jurisprudence islamique, suscite des inquiétudes. Votre appréciation sur ce sujet, monsieur Andres, sera éclairante pour notre commission.
M. Alexis Andres, directeur-adjoint de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Je remercie la commission des affaires étrangères pour cette invitation à échanger sur ces événements tragiques en Syrie, leur analyse et les enjeux qu’ils représentent pour la poursuite de la transition.
En introduction, je souhaite rappeler brièvement la situation actuelle de la Syrie et les conditions dans lesquelles cette transition se déroule. Les Syriens ont récemment commémoré le quatorzième anniversaire du soulèvement de 2011. Le bilan de ces années de guerre est dramatique et la situation du pays reste extrêmement fragile. On dénombre 500 000 morts, 7 millions de déplacés internes, 6 millions de réfugiés et des centaines de milliers de prisonniers et de disparus.
Sur le plan économique, les conséquences sont également désastreuses. Le produit intérieur brut (PIB) syrien a diminué de moitié depuis 2011, le taux de chômage a triplé, et entre 70 et 90 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. La majorité des infrastructures sont détruites, 70 % des réseaux électriques endommagés et le coût de la reconstruction est estimé à 400 milliards de dollars.
Tout au long de ces années de douleur, la France s’est tenue aux côtés des Syriens. Contrairement à certains de nos partenaires européens, qui ont eu des velléités de normalisation avec le régime de Bachar al-Assad, elle s’est refusée à renouer avec ce régime. Nous avons mobilisé une aide massive, avec plus de 450 millions d’euros depuis 2011 et une enveloppe annuelle de 50 millions d’euros renouvelée depuis 2018. Nous avons également accordé l’asile à près de 50 000 Syriens. En outre, la France a été particulièrement active dans le domaine de la lutte contre l’impunité, en finançant des organisations nationales et civiles. Elle a également accueilli et protégé César, qui a récemment révélé son véritable nom, Farid al-Madhan, et que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a rencontré le 14 février pour évoquer les photos qu’il avait exfiltrées en 2013 et les procédures judiciaires françaises contre l’ancien régime de Bachar al-Assad. Nous souhaitons poursuivre notre engagement dans la collecte et la préservation des preuves, ainsi que dans l’identification des victimes.
À ce panorama sombre, il convient d’ajouter la réalité extrêmement complexe sur le terrain. Actuellement, Hayat Tahrir al-Cham (HTC) ne contrôle qu’environ un tiers du territoire et l’un des défis majeurs qui se dresse devant les autorités de transition consiste à intégrer les diverses forces de sécurité, allant des milices tribales à l’Armée nationale syrienne (ANS), au sein de ce qui composera la future armée syrienne.
Le 8 décembre, le régime de Bachar al-Assad a été renversé par l’ensemble des Syriens, et non pas seulement par HTC qui s’est appuyé sur un contexte régional favorable, avec l’affaiblissement de l’influence russe en raison de la guerre en Ukraine, celui du Hezbollah et de l’Iran aux prises avec l’offensive israélienne, et le ralliement des rebelles du Sud et des diverses entités composant l’ANS.
Nos priorités actuelles sont multiples. Sur le plan politique, nous souhaitons voir une Syrie unie, intégrée dans son environnement régional et offrant les conditions nécessaires au retour sûr, digne et volontaire des 6 millions de réfugiés syriens. Or les exactions commises récemment sur la côte alaouite, alors que le retour des exilés s’amorçait, ont provoqué des flux inverses de réfugiés vers le Liban, ce qui est préoccupant.
Sur le plan sécuritaire, nous veillons d’abord à prévenir la résurgence de la menace terroriste de Daech. Nous gardons en mémoire, en cette année de commémoration des dix ans des attaques de 2015, que l’attentat du Bataclan a été lancé depuis la Syrie. Nous restons engagés dans la coalition internationale contre Daech, aux côtés des Forces démocratiques syriennes, qui ont été nos alliés dans cette guerre. Ensuite, nous nous efforçons d’éviter la dissémination des armes chimiques du régime et de poursuivre la destruction des stocks existants. À cet égard, la coopération engagée entre l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et les nouvelles autorités syriennes semble aller dans le bon sens. Enfin, nous persévérons dans la lutte contre le trafic de drogue, notamment celui du captagon, la Syrie de Bachar al-Assad étant devenue un narco-État.
Il nous appartient d’œuvrer pour atteindre ces objectifs et préserver l’espoir encore fragile né le 8 décembre. À cette fin, nous nous sommes rapidement rendus sur le terrain. Dès le 17 décembre, nous avons rétabli une présence diplomatique en hissant le drapeau tricolore sur le campus de l’ambassade de France à Damas. Le 3 janvier, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères s’est rendu à Damas avec son homologue allemande. Le 5 février, le président de la République s’est entretenu par téléphone avec M. al-Charaa.
Depuis, nous maintenons une présence à Damas à travers diverses missions menées par l’envoyé spécial de la France pour la Syrie, M. François Guillaume, ou par nos différents services. Je me suis moi-même rendu en Syrie avec le directeur général de l’administration et, récemment, une mission a été conduite par le centre de crise et de soutien (CDCS), l’Agence française de développement (AFD) et Expertise France.
Nous avons également organisé le 13 février la conférence internationale de Paris sur la Syrie. Cette conférence est la première ayant abouti à une déclaration conjointe des États amis de la Syrie, engageant le nouveau pouvoir à opérer une transition pacifique, inclusive et ordonnée, et à prendre en compte les enjeux de sécurité collective que j’ai évoqués précédemment.
En marge de cette conférence, nous avons organisé deux événements significatifs : une rencontre autour de la justice transitionnelle avec les organisations de la société civile à l’Institut du monde arabe et un atelier de coordination entre bailleurs de fonds pour aborder les enjeux de relèvement et de reconstruction de la Syrie.
J’en viens à présent aux événements qui se sont déroulés entre le 6 et le 10 mars. Leur bilan provisoire est difficile à établir en raison d’une désinformation massive et il est certainement sous-estimé. Les estimations varient entre 600 et 2 000 victimes civiles et militaires. Les forces du nouveau régime comptent plusieurs centaines de victimes, environ 400, de même que les forces loyales à l’ancien régime et leurs affiliés. Quant au nombre de victimes civiles, il dépasse très probablement le millier. Selon les informations recoupées par les Chrétiens d’Orient, la très grande majorité des victimes civiles sont des Alaouites, les victimes chrétiennes se comptant en une dizaine.
Vous avez demandé, monsieur le président, si les événements du début du mois de mars avaient été, d’une manière ou d’une autre, provoqués ou soutenus par une ingérence extérieure. D’après les éléments portés à notre connaissance, il s’agit d’abord d’une rébellion interne. La situation des personnes liées à l’ancien régime est précaire en Syrie. En effet, HTC, qui ne leur fait pas confiance, a mis fin aux fonctions de nombre d’entre eux et a cessé de verser les salaires. Cela a engendré une forte frustration et une paupérisation au sein de la communauté alaouite.
En outre, nous avions constaté avant même les événements du 6 mars une circulation très importante d’armes légères et de petit calibre. Des groupes liés à l’ancien régime se sont constitués en un dénommé « Conseil militaire pour la libération de la Syrie », rassemblant environ 4 000 combattants. Ils ont lancé une offensive coordonnée contre les forces de sécurité des autorités de transition, ainsi que contre des infrastructures hydrauliques et des bâtiments publics dans les gouvernorats de Lattaquié, de Tartous et de Homs.
Considérant les moyens de communication et la logistique sur lesquels se sont appuyés ces groupes loyalistes, un appui de Moscou, et de Téhéran via le Hezbollah n’est pas à exclure mais nous ne disposons aujourd’hui d’aucun élément permettant de le démontrer.
En réponse à votre question sur l’attitude des autorités de transition, j’invite à prendre en compte plusieurs éléments. Il est probable que les autorités n’aient pas pris en compte certains signes précurseurs, certains avertissements annonçant l’imminence d’une rébellion. Par ailleurs, HTC ne dispose que de 30 000 hommes dans ses forces armées, alors que l’ANS compte 50 000 combattants. Pour répondre aux attaques visant les forces de sécurité syriennes, HTC s’est appuyé sur l’ANS mais aussi sur d’autres groupes qu’il ne contrôle pas nécessairement.
Nous considérons que les massacres sont imputables à différents acteurs. Les premiers mis en cause, selon de nombreuses sources, sont les groupes turkmènes de l’ANS, en particulier la Brigade Sultan Souleymane Shah, la Brigade Hamza ibn Abdel-Mouttalib et la Division Sultan Mourad. Ces groupes ont participé à différentes opérations turques, par exemple contre Daech et les FDS entre 2016 et 2019, parmi lesquelles la prise d’Afrin en 2018. Ils ont également participé à des opérations turques ou soutenues par la Turquie à l’extérieur de la Syrie, en Libye, au Haut-Karabagh ou au Niger.
Ces formations, apparentées à des groupes mafieux, font l’objet de sanctions américaines depuis 2023 et nous avons engagé contre eux une procédure de désignation. En revanche, il ne s’agit pas de groupes djihadistes extrémistes et ils n’entretiennent pas de liens avec le terrorisme international. Leurs relations avec HTC sont particulièrement complexes. Alliés à HTC avant 2023 dans les combats contre le front du Levant, ils se sont éloignés par la suite avant de se rapprocher de nouveau au moment de la chute du régime de Bachar al-Assad. Mais, de manière générale, il convient de préciser que la relation entre HTC et l’ANS n’est pas une relation de hiérarchie, puisque l’ANS reste avant tout un proxy turc.
Le deuxième acteur mis en cause dans les exactions commises en mars est le groupe djihadiste Ansar al-Tawhid, composé d’environ 350 combattants, dont de nombreux étrangers. Troisième acteur identifié, le contingent ouïghour du Parti islamiste du Turkestan (PIT), dont le rôle a été révélé par des vidéos. Je précise que ces deux factions djihadistes, Ansar al-Tawhid et les combattants ouïghours du PIT, étaient basées à Idlib et avaient trouvé un modus vivendi avec HTC, qui gérait cette province et avait obtenu leur soumission en échange d’une forme de tolérance quant à leur présence sur place. Enfin, une part des exactions est imputable à des individus non affiliés à des factions militaires, agissant par vengeance personnelle, ainsi qu’à des personnes armées venues de différentes régions syriennes pour prêter main-forte aux forces de sécurité du nouvel État.
La multiplicité et la diversité des acteurs impliqués dans la riposte déclenchée à partir du 6 mars traduit l’absence d’une armée centralisée obéissant directement aux ordres de HTC. La responsabilité de HTC est engagée en ce sens précis et nous lui avons transmis des messages clairs sur ce point.
Les autorités de transition syriennes doivent affronter les défis que constituent le contrôle du territoire syrien et des différentes factions armées qui s’y trouvent, la cohésion sociale du pays qui, aujourd’hui, est encore extrêmement fragile, l’apaisement des tensions intercommunautaires et le processus de justice transitionnelle et de réconciliation.
Nous avons insisté auprès de ces autorités pour que les engagements qu’elles ont pris, notamment la création d’une commission d’enquête et d’un Conseil national pour la cohésion sociale, trouvent une traduction dans des actes concrets. Cela signifie, en particulier, que les personnes impliquées dans les exactions soient jugées pour leurs crimes. Nous avons rappelé avec insistance aux autorités syriennes, notamment à l’occasion de la 9e conférence internationale de soutien à la Syrie qui s’est tenue le 17 mars à Bruxelles, que le soutien de la communauté internationale et de la France à la transition reste conditionné au respect des engagements pris.
Je terminerai mon propos en évoquant un élément positif, à savoir l’accord signé le 10 mars entre le général Mazloum, le commandant des FDS, et Ahmed al-Charaa, qui témoigne des avancées dans la reconstitution de l’unité de la Syrie.
M. le président Bruno Fuchs. Je retiens de votre exposé, monsieur Andres, que les massacres commis du 6 au 10 mars ne sont pas le fruit d’une stratégie délibérée de HTC, mais que les autorités de transition n’ont pas su les empêcher. Dès lors, un dilemme survient : HTC a réclamé une levée des sanctions internationales, notamment pour renforcer les forces de sécurité et de police et assurer une meilleure sécurité dans l’espace qu’il contrôle, voire l’étendre ; mais si nous levons ces sanctions, ne risquons-nous pas de renforcer aussi des groupes armés que HTC ne parvient pas à contrôler, et par conséquent d’ouvrir la voie à des drames similaires à ceux qui se sont déroulés entre le 6 et le 10 mars ? Quelle est la position de la France à l’égard de la levée des sanctions ?
M. Alexis Andres. Il importe avant tout de distinguer deux catégories de sanctions : les sanctions individuelles et les sanctions sectorielles.
Les sanctions individuelles restent en vigueur, à l’image de celles prononcées contre M. al-Charaa par le comité 1267 de l’Organisation des Nations unies (ONU), au nom de la lutte contre le terrorisme. Ces sanctions ne sont pas remises en question et constituent un moyen de pression. Ainsi, tout déplacement à l’étranger de M. al-Charaa requiert une dérogation à l’interdiction de voyager qui le frappe et le comité 1267 la lui a accordée afin qu’il se rende en Arabie saoudite, en Turquie et en Égypte.
Quant aux sanctions sectorielles, elles font l’objet de levées partielles et précises. Le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne du 27 février a permis une levée partielle dans les secteurs bancaires, des transports et de l’énergie, nécessaire pour faciliter la reconstruction de la Syrie. Le secteur bancaire, en particulier, est totalement atrophié. Or il est indispensable à la montée en puissance de notre dispositif de soutien au redressement et au déploiement de l’aide humanitaire. Un deuxième paquet de levée de sanctions est envisagé sur les biens à double usage et les transactions financières, afin de soutenir les efforts de reconstruction. Cependant, nous attendons des garanties des autorités syriennes avant de déclencher ces nouvelles levées de sanctions.
Pour répondre directement à votre question, monsieur le président, il convient d’envisager deux enjeux relatifs aux forces de sécurité. D’une part, les autorités de transition cherchent à augmenter les effectifs de leurs forces de sécurité, à passer de 30 000 à 60 000 hommes et à recruter des policiers. D’autre part, elles s’efforcent d’intégrer à l’État les autres forces armées. Sur ce point, le succès des autorités de transition dépendra de leur capacité à trouver un équilibre entre l’autonomie de ces forces et leur contrôle par un pouvoir central, comme elles ont su le faire dans le cadre de l’accord avec les FDS, cet équilibre devant prévenir la survenue d’événements tels que ceux du 6 mars.
Encore une fois, la riposte menée du 6 au 10 mars a été sanglante et inacceptable, mais nous ne disposons pas d’indications relatives à une volonté des autorités de transition de commettre des exactions à grande échelle. Nous savons cependant que certaines pratiques violentes ne disparaissent pas subitement et, à cet égard, la pression internationale, notamment par le biais des sanctions, reste un levier important. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a d’ailleurs proposé lors du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne du 17 mars que des sanctions ciblées soient prononcées contre les responsables d’exactions envers les civils.
M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie pour ces éclaircissements. Nous en venons à présent aux questions des orateurs des groupes politiques, à qui je cède la parole.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Il est précieux d’entendre un représentant du Quai d’Orsay quelques semaines après la tenue d’une table ronde sur la situation en Syrie réunissant des intervenants extérieurs. Lors de cette table ronde, mon groupe parlementaire avait exprimé ses inquiétudes concernant certaines minorités, notamment la minorité alaouite. L’un des intervenants, M. Wassim Nasr, avait relativisé nos inquiétudes, évoquant seulement quelques exactions isolées. Depuis le 6 mars, il apparaît que la situation des Alaouites est effectivement préoccupante.
Les autorités de transition ne contrôlent pas l’ensemble de leur base, à moins que M. al-Charaa tienne un double discours et que ses actions ne correspondent pas aux bonnes intentions qu’il affiche dans ses déclarations à destination de la communauté internationale. J’aimerais connaître l’avis de M. Andres sur ce point.
L’accord signé le 10 mars entre les Kurdes et le pouvoir syrien est assurément une bonne nouvelle. Néanmoins, Donald Trump menace de retirer les 2 000 soldats américains positionnés dans la région. Si cela devait se produire, qu’est-ce qui empêcherait les forces turques, notamment l’ASN que vous avez qualifiée de « proxy turc », de s’en prendre aux Kurdes ? La levée des sanctions ne risque-t-elle pas d’accentuer ce danger ?
Enfin, Israël tente de déstabiliser la région en bombardant le plateau du Golan et en reprenant les bombardements sur Gaza, en violation des règles du droit international. Quelle est la position de la France par rapport aux actions d’Israël ? Comment l’accord de cessez-le-feu conclu avec le Liban pourra-t-il être respecté dans ces conditions ?
M. Alexis Andres. Je ne suis pas dans la tête de M. al-Charaa et je ne sais pas s’il tient un double discours. En revanche, nous entretenons de nombreux contacts en Syrie, avec la société civile, les oppositions ou les milieux alaouites, et personne ne nous a signalé l’existence d’ordres secrets venus des autorités de transition. Il nous semble que M. al-Charaa est avant tout un pragmatique et qu’il s’est doté d’un agenda national.
Son défi consiste à transposer à l’échelle de la Syrie les modalités de gouvernance qu’il a mises en place à Idlib – dont je me garderais bien d’affirmer qu’elles forment un modèle idéal de bonne gouvernance – et il est tout à fait conscient d’être sous la surveillance de la communauté internationale. Aussi, je ne crois pas qu’il soit en position de se permettre de tenir un double langage, et je le dis avec toutes les précautions requises par une situation de laquelle nous n’avons pas une connaissance complète.
Il convient de souligner que l’accord signé avec les FDS, le 10 mars, porte sur une feuille de route. Cet accord n’est donc qu’un préalable aux négociations qui vont s’engager à présent. Le contact est désormais établi entre HTC et les FDS pour mettre en œuvre cette feuille de route, qui prévoit la reconnaissance de la communauté kurde, un cessez-le-feu entre les parties et des formes de coopération au niveau de la police. L’enjeu est de trouver un équilibre, sachant que la communauté kurde ne représente que 10 % de la population dans cette région et qu’il est par conséquent difficile d’y répliquer le modèle irakien. Mais l’accord est important en ce qu’il permet de reconnaitre l’identité culturelle kurde et ouvre la voie à l’intégration des FDS dans la future armée syrienne selon des modalités définies.
Par ailleurs, des négociations sont en cours entre HTC et les représentants de la communauté druze. Elles progressent dans la même direction que celles ayant mené à l’accord du 10 mars. Il s’agit d’une avancée dont l’enjeu est certes moins vif mais qui n’en demeure pas moins encourageante.
Le retrait américain n’est pas encore engagé mais il pourrait intervenir à la fin de l’année 2025. Cette possibilité soulève des inquiétudes pour nos amis kurdes et pour nos propres intérêts de sécurité. Nous maintenons à ce sujet un dialogue avec les Américains, dont les décisions obéissent à des paramètres particuliers. Dans ce contexte, nous avons proposé à Ahmed al-Charaa que la Syrie rejoigne la coalition internationale contre Daech, afin de renforcer la coordination de la lutte contre cette organisation.
Enfin, la France a toujours condamné fermement l’occupation du plateau du Golan par Israël. De manière générale, nous mettons en garde contre toute ingérence qui pourrait déstabiliser la Syrie, qu’elle vienne d’Israël, de la Turquie ou d’ailleurs.
M. Pierre Pribetich (SOC). La chute du régime de Bachar al-Assad début décembre 2024 a provoqué un véritable séisme politique, institutionnel et économique dans toute la région, entraînant une reconfiguration de l’équilibre national, régional et international. Cependant, comme tout tremblement de terre, des répliques se font sentir sous forme de flambées de violence aveugle, qui ont causé la mort de plus de 1 400 personnes, dont trois-quarts d’Alaouites. Les auteurs de ces exactions sont vraisemblablement des djihadistes encore armés, ce qui soulève des doutes sur la capacité du nouveau régime à tenir ses troupes, à maintenir l’ordre, l’unité et la paix, et surtout à rendre justice.
Il est important de rappeler qu’en 1920, le traité de Sèvres prévoyait la création d’un État kurde sur les ruines de l’Empire ottoman, mais le traité de Lausanne a ensuite nié l’existence de cette minorité, l’éclatant en quatre groupes marginalisés et discriminés. Victimes d’une politique d’arabisation depuis 1962, les Kurdes de Syrie sont devenus des acteurs incontournables depuis 2011, notamment dans la lutte contre Daech. Aux avant-postes de ce combat depuis des territoires autonomes riches en hydrocarbures, ils restent cependant tributaires de leurs parrains occidentaux face à la menace turque et aux conséquences de la chute de la dictature syrienne en décembre 2024.
Le 10 mars, un accord de principe signé avec Ahmed al-Charaa prévoirait, selon les échos de la presse, l’intégration au sein de l’État syrien de toutes les institutions civiles et militaires relevant de l’administration autonome kurde du Nord-Est de la Syrie. Sur le plan militaire, l’accord stipulerait l’incorporation des miliciens kurdes dans les forces de sécurité du nouveau régime. Sur le plan économique, il est question de partager les revenus de la production pétrolière et gazière sous contrôle kurde.
Mais que recouvre exactement cet accord ? Sous quelles modalités les Kurdes
vont-ils rejoindre l’administration syrienne ? Quelles sont les implications de cet accord vis-à-vis de la Turquie de Erdogan, féroce censeur du kurdisme et du Kurdistan et ses 30 millions de ressortissants répartis dans six pays ?
M. Alexis Andres. L’accord du 10 mars comporte sept points principaux. Premier point, il garantit la représentation et la participation au processus de transition politique de tous les Syriens sans distinction ethnique ou confessionnelle. Deuxième point, il assure les droits constitutionnels des Kurdes en tant que composante essentielle de l’État syrien. Troisième point, il prévoit un cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire syrien. Quatrième point, il stipule l’intégration des institutions civiles et militaires du Nord-Est syrien à l’État central, y compris les postes-frontières, l’aéroport de Kameshli et les champs pétrolifères et gaziers. Cinquième point, il garantit le retour à la protection des réfugiés syriens par l’État. Sixième point, il prévoit un soutien dans la lutte contre les groupes fidèles au régime déchu d’al-Assad. Enfin, septième point, il réaffirme l’attachement à la cohésion et à l’unité de la Syrie à travers le refus des appels au séparatisme et des discours de haine.
En d’autres termes, cet accord relève de la déclaration d’intention mais il fixe également des objectifs et un calendrier pour les négociations à venir. Le général Mazloum, avec qui le ministre de l’Europe et des affaires étrangères s’est récemment entretenu, considère cet accord comme une étape positive répondant aux demandes des Syriens et définissant les grandes lignes des prochaines négociations. Des applications concrètes de l’accord entreront rapidement en vigueur, notamment l’ouverture des points de passage frontaliers vers l’Irak et la Turquie, qui seront contrôlés par le gouvernement syrien.
Concernant les relations avec la Turquie, il est important de rappeler que lors des premières négociations entre les Kurdes et le groupe HTC, les positions de celui-ci étaient alignées sur celles de la Turquie. L’accord du 10 mars montre combien HTC s’est significativement éloigné de la Turquie. D’ailleurs Ahmed al-Charaa n’a pas informé Ankara de la signature de cet accord, signature précipitée par les événements qui se sont déroulés autour de Lattaquié : cela montre bien que HTC n’est pas un proxy turc.
M. le président Bruno Fuchs. La question de M. Pribetich se rapportait à un risque d’affaiblissement des Kurdes à moyen terme, au cas où la gouvernance devait changer subitement en Syrie. L’affaiblissement militaire des Kurdes pourrait être préjudiciable si cet accord n’était pas respecté.
M. Alexis Andres. Il convient de relier la conclusion de cet accord à l’appel lancé en février, depuis sa prison, par Abdullah Öcalan en faveur de la fin de la lutte armée du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), dont il est le leader. Les rapports entre la Turquie et les Kurdes sont à l’évidence en cours d’évolution et il est préférable de se concentrer sur ces changements positifs plutôt que d’envisager d’emblée des scénarios pessimistes, d’autant que nous disposons aujourd’hui d’éléments tangibles dénotant des progrès.
M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Les terribles massacres perpétrés contre la communauté alaouite la semaine dernière révèlent la fragilité de la transition démocratique en Syrie. Après treize ans de guerre et cinquante-quatre ans de dictature, la rancœur et la souffrance conduisent certains groupes à commettre l’irréparable. L’absence de toute perspective économique ne fait qu’aggraver la situation.
Le président par intérim de la Syrie, Ahmed al-Charaa, apparaît aujourd’hui comme la seule personnalité disposant de la crédibilité nécessaire au rétablissement de la stabilité dans son pays. Depuis son arrivée au pouvoir, il envoie des signaux positifs. Il a en effet revendiqué l’unité du pays et la protection de toutes les communautés, appelé au désarmement des milices et à leur intégration dans l’armée syrienne, et réclamé la tenue d’une commission d’enquête sur les massacres des Alaouites et des sanctions strictes contre les auteurs. Il a également montré sa capacité au compromis en signant un accord avec les FDS la semaine dernière.
Cependant, la Syrie est un pays ravagé par la guerre. Les besoins sont immenses et les Syriens ressentent quotidiennement le poids des sanctions. Comment réconcilier des populations meurtries quand elles n’ont pas de quoi vivre et qu’elles n’ont qu’une heure d’électricité par jour ? Les sanctions datent de la période d’al-Assad mais ce régime n’est plus. Il faut donc donner au gouvernement de transition les moyens de réussir, en soutenant la Syrie sur les plans financier et diplomatique et en levant les sanctions.
On ne peut que se féliciter de l’engagement de l’Union européenne, qui a promis une aide de 2,5 milliards d’euros et a levé partiellement les sanctions en février. Mais tant que les États-Unis n’en feront pas autant, ces efforts seront vains, les entreprises et les banques européennes ne pouvant se permettre de reprendre pied en Syrie tant que persistent les blocages américains. Disposez-vous, monsieur Andres, d’informations relatives au positionnement américain sur la levée des sanctions ?
M. Alexis Andres. Les États-Unis ont procédé à une première levée temporaire de sanctions sur une période de six mois. Nous ne disposons pas, à ce jour, d’indications relatives à la prolongation de cette levée mais il est clair qu’une très forte résistance à la poursuite de la levée des sanctions s’exerce aux États-Unis, notamment au Congrès dont de nombreux membres considèrent que M. al-Charaa est un djihadiste et le restera toute sa vie. Aussi, il me semble présomptueux de faire des pronostics sur l’attitude américaine relative aux sanctions.
Cependant, il convient d’observer que le désengagement américain en matière d’aide est une réalité d’ordre général. Le 17 mars, lors de la conférence internationale de soutien à la Syrie, la Commission européenne a annoncé, vous l’avez rappelé monsieur Roumégas, une aide de 2,5 milliards d’euros pour 2025 et 2026, à la fois pour la Syrie et ses pays voisins, notamment le Liban et la Jordanie. Le service européen pour l’action extérieure (SEAE) a annoncé, quant à lui, fournir une aide de 720 millions d’euros pour les réfugiés et de 750 millions d’euros pour la Turquie. Au total, cette conférence des donateurs a permis de rassembler 5,8 milliards d’euros, dont 4,2 milliards d’euros en subventions et 1,6 milliard d’euros en prêts. En outre, la France a annoncé la poursuite de son aide annuelle de 50 millions d’euros.
Rapportée au coût estimé de la reconstruction de la Syrie, que j’ai évoqué dans mon introduction et qui est de l’ordre de 400 milliards de dollars, il est évident que cette aide internationale seule ne permettra pas de relever le pays. C’est pourquoi la levée des sanctions doit également permettre à la communauté syrienne, notamment à l’étranger, de contribuer à la reconstruction.
M. Frédéric Petit (Dem). Je souhaite aborder l’action de la France, en tant qu’elle s’étend, par-delà ses initiatives diplomatiques, aux échanges entre les sociétés civiles.
Ma première question porte sur la présence française en Syrie. Quel est, aujourd’hui, son format exact ? Je suppose que nous n’allons pas envoyer un ambassadeur à brève échéance mais comment procédons-nous et quelles sont les prochaines étapes ? Il me semble que nous avons continué à salarier le personnel de l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) et que certains lycées qui étaient autrefois français continuent de fonctionner.
Ma seconde question concerne la diaspora syrienne, au sein de laquelle se trouvent des compétences juridiques, médicales, entrepreneuriales et même politiques. Les membres de cette diaspora, qui pourraient contribuer au redressement de la Syrie, vivent aujourd’hui sous le statut de réfugiés. Ces personnes sont prêtes à aider, pour certaines à retourner temporairement, en Syrie mais, par précaution, elles ne souhaitent pas nécessairement renoncer à ce statut. Or leurs métiers et leurs compétences sont indispensables en Syrie et je suis convaincu que l’action de la France serait sensiblement plus efficace si nous leur permettions de rentrer au pays temporairement sans remettre automatiquement en question leur statut de réfugié. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements sur ce point ?
M. Alexis Andres. Nous avons identifié la question du statut de réfugié dès les événements de décembre 2024. Un dispositif ad hoc a été mis en place permettant aux préfectures de délivrer, à titre exceptionnel et pour motif humanitaire, des sauf-conduits aux personnes bénéficiant de ce statut. Ce mécanisme leur permet de revenir en Syrie, d’évaluer la situation sans perdre leur statut de réfugié et éventuellement de s’impliquer dans la reconstruction du pays. J’ignore la durée de séjour autorisée par ce dispositif mais les réfugiés Syriens qui retournent au pays ne perdent pas immédiatement et automatiquement leur statut. Environ 4 % des réfugiés syriens ont commencé à revenir en Syrie, souvent sous la forme de visites temporaires. Nous espérons que, progressivement, ils pourront revenir définitivement.
Concernant notre dispositif sur place, nous n’avons pas de présence permanente hormis une présence de sécurité pour nos emprises. L’ambassade, la chancellerie et la résidence ne sont pas fonctionnelles à ce jour. Nous effectuons seulement des missions de quelques jours, menées par notre envoyé spécial ou par certains opérateurs.
L’IFPO est actuellement fermé et des travaux de rénovation sont nécessaires avant d’envisager sa réouverture, puisque le bâtiment a subi un début d’incendie et connaît des problèmes d’infiltration. Toutefois, ses collections sont intactes. L’enjeu est ici financier, puisque remettre l’IFPO en état de fonctionnement requiert une levée de fonds.
Le lycée français Charles de Gaulle n’est pas un établissement conventionné mais il bénéficie du système de bourses de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Il est actuellement en activité, et son proviseur, M. Bertrand Roesch effectue un travail remarquable avec son conseil d’administration. L’établissement scolarise près de 600 élèves : il est un outil très important de notre présence en Syrie.
Concernant le dispositif diplomatique, nous travaillons à l’envoi d’une équipe sur place d’ici quelques semaines, composée de trois agents du ministère. Nous sommes encore en discussion, notamment au regard des récents événements, sur le statut précis de l’agent qui conduira cette mission. Celle-ci sera basée dans un premier temps à Beyrouth et effectuera des missions de trois à cinq jours en Syrie. Elle aura pour tâche de gérer la montée en puissance de notre dispositif à Damas.
M. Vincent Trébuchet (UDR). Permettez-moi de retracer une brève chronologie pour questionner la stratégie du MEAE. En 2011, durant les printemps arabes, on a pu entendre ce slogan : « L’Alaouite au tombeau, le Chrétien à Beyrouth ». Nous y sommes.
Nous n’ignorons pas le passé djihadiste d’Ahmed al-Charaa, passé par l’État islamique en Irak. Il ne nous a pas échappé non plus qu’il a refusé de serrer la main à la ministre des affaires étrangères allemande, Mme Annalena Baerbock. Et il est permis de supposer qu’il a, à certains endroits, laissé passer les milices islamistes responsables des massacres à Lattaquié ?
D’autres signaux inquiétants sont visibles dans le pays, tels que des profanations de symboles religieux, l’imposition du port du voile ou encore des ségrégations entre femmes et hommes dans certaines zones que HTC ne contrôle pas directement mais dans lesquelles on peut supposer qu’il laisse faire, à tout le moins.
Nous avons connu un ministre des affaires étrangères, en l’occurrence M. Jean-Yves Le Drian, qui appelait de ses vœux un « talibanisme inclusif ». Aujourd’hui, les talibans murent les fenêtres des pièces dans lesquelles se trouvent des femmes. Ne reproduisons-nous pas, vis-à-vis du nouveau pouvoir en Syrie, la même naïveté que celle dont nous avons fait preuve dans nos rapports avec d’autres régimes ?
Nous avions exprimé ces inquiétudes lors de la table ronde du 12 février mais elles avaient été balayées d’un revers de main par Mme Manon-Nour Tannous, de l’Université de Reims, et par M. Wassim Nasr, journaliste à France 24. D’ailleurs je m’interroge, sans esprit polémique, sur la partialité des personnalités que nous invitons dans cette commission et sur la juste représentation des différents points de vue sur la situation en Syrie.
Il me semble que l’accord avec les FDS, s’il semble témoigner d’une certaine bonne volonté, est aussi un leurre. En réalité, HTC n’a pas eu le choix, parce que les Kurdes sont armés et représentent une menace pour lui, contrairement aux autres minorités, alaouites et chrétiennes, qui sont plus facilement maîtrisables et massacrables, si j’ose dire. Dès lors, comment mieux protéger ces minorités ? Nous avons suggéré au ministre de l’Europe et des affaires étrangères l’idée de créer une ambassade thématique pour la défense des chrétiens d’Orient. Allez-vous étudier cette proposition ?
Je suis sceptique quant à l’efficacité des sanctions économiques. Les différentes parties prenantes en Syrie témoignent unanimement de leur caractère délétère au cours de ces dix dernières années. Ces sanctions n’ont pas tant fragilisé le régime de Bachar al-Assad qu’affamé la population, la contraignant à choisir entre les islamistes et le régime pour se nourrir.
Enfin, l’Union européenne a annoncé le 17 mars vouloir procéder à des investissements en Syrie. Comment justifiez-vous ce signal, quelques jours seulement après les massacres ? Quel contrôle sera effectué sur l’utilisation de ces fonds ?
M. le président Bruno Fuchs. Je souhaite, monsieur Trébuchet, apporter quelques précisions sur les personnalités invitées à s’exprimer au sein de notre commission. Les personnes que nous invitons ici sont choisies pour leur expertise, qui s’appuie sur des travaux robustes dans leur domaine de compétence, ou bien pour leur capacité à rendre compte de certaines situations à partir de leurs observations sur le terrain.
Vous avez mentionné Mme Tannous, qui est une chercheuse reconnue, spécialiste du monde arabe, et M. Nasr qui s’est rendu à de nombreuses reprises sur place, notamment à Idlib. Je ne crois pas que quiconque ici se soit trouvé à Idlib en même temps que lui ; il a donc apporté son témoignage direct.
Je n’ai pas l’impression que les personnes qui se sont exprimées devant notre commission aient eu une appréciation partisane ou extrême de la situation en Syrie. Nous nous efforçons d’obtenir des informations et, ensuite, libre à chacun de se forger une opinion.
M. Alexis Andres. Les milices djihadistes sont les ennemies de M. al-Charaa. Les exactions qu’elles ont commises ne prouvent pas qu’elles sont sous le contrôle de HTC ; elles tendent plutôt à démontrer le contraire. Les milices djihadistes, en particulier Daech, ont pour objectif d’éliminer M. al-Charaa qui, lorsqu’il a repris le contrôle d’Idlib, s’est attaqué aux éléments les plus radicaux.
Vous me demandez si nous ne sommes pas naïfs ; je peux vous assurer que nous ne le sommes pas. Nous connaissons bien M. al-Charaa, nous sommes au fait de son parcours et nous en tirons des conclusions. Nous analysons très attentivement chaque nomination dans son gouvernement, dans son comité de transition, dans son Conseil national. Tous ces éléments nous permettent d’évaluer les progrès ou l’absence de progrès et d’adapter notre discours en conséquence. Mais quoi qu’il en soit, si nous restons très vigilants et très exigeants à son endroit, nous n’allons pas chercher à renverser ce nouveau régime. L’enjeu actuel est celui de la réussite de la transition en Syrie.
Vous dites, monsieur Trébuchet, que les FDS représentent une menace pour HTC mais, si nous laissons des forces antagonistes s’affronter sans les aider à trouver un terrain d’entente, si M. al-Charaa laisse l’ANS poursuivre ses actions contre les Kurdes, soyez assuré que ces derniers se trouveront dans une position bien plus précaire que celle que définit l’accord du 10 mars. Je rappelle que l’ANS avait entrepris plusieurs sièges, notamment à Kobané, qui ont pu être évités grâce à l’intervention, entre autres, de M. al-Charaa auprès des Turcs.
Vous avez suggéré au ministre de l’Europe et des affaires étrangères de créer un poste d’ambassadeur thématique pour la défense des chrétiens d’Orient : je lui laisse donc le soin de vous répondre.
Quant aux sanctions et à l’appui de l’Union européenne, je maintiens ce que j’ai dit et que nous assumons pleinement. Si nous voulons que la Syrie se relève, il faut l’aider. Je parle bien de la Syrie et des Syriens, pas de HTC. Nous allons bien évidemment tracer l’utilisation de ces fonds. Comme pour tout pays que nous aidons à se relever, il y a une part d’engagement. Et prendre un engagement, ce n’est pas être naïf, c’est être volontaire.
M. Stéphane Rambaud (RN). La Syrie sombre de nouveau dans l’horreur et le bilan des victimes civiles des exactions perpétrées depuis le 6 mars à l’encontre des populations alaouites et chrétiennes est probablement bien en deçà de la réalité. Ahmad al-Charaa, le nouvel homme fort de Damas, est soupçonné d’orchestrer ces massacres barbares en laissant agir des groupes islamistes radicaux officiellement incontrôlés mais qui constituent en réalité l’épine dorsale de son régime.
Je me garderai de tout commentaire politique mais, puisque cette réunion se tient à huis clos, j’aimerais obtenir des réponses claires à mes questions. Premièrement, vous avez évoqué, monsieur Andres, des milices non liées au gouvernement venant en aide aux forces du régime. Comment expliquer qu’elles aient pu franchir tous les points de contrôle du régime sans difficulté ? Ne cherchons-nous pas à dédouaner le nouveau gouvernement de ces massacres ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous éclairer sur les motivations qui auraient pu conduire des groupes armés alaouites à s’en prendre aux forces de sécurité syriennes ? L’hypothèse selon laquelle ils auraient cherché à renverser le nouveau gouvernement est totalement illusoire. Quel aurait été leur intérêt à mener ces attaques, sachant pertinemment qu’ils s’exposaient à de violentes représailles ? Ou bien répliquaient-ils à des attaques antérieures ?
Enfin, comment expliquez-vous que plusieurs milliers de civils soient encore réfugiés sur la base russe de Hmeimim ? Cette situation interroge en effet à plusieurs titres. Avez-vous connaissance d’échanges entre Ahmed al-Charaa et les Russes ? Ou cela montre-t-il que les autorités de transition ne contrôlent pas du tout cette zone ?
M. Alexis Andres. Je ne crois pas que M. al-Charaa dispose d’un total contrôle sur les auteurs des exactions. Certaines ont été commises par des groupes auxquels il avait fait appel, en effet, mais d’autres groupes, notamment des milices djihadistes que j’ai mentionnées, ont profité de l’opportunité pour poursuivre leur but, à savoir semer le chaos et déstabiliser la transition. Nous ne cherchons pas à dédouaner M. al-Charaa. Au contraire, nous lui avons demandé de tirer, des massacres, les conséquences qui s’imposent et de traduire en justice les responsables, qui sont pour la plupart identifiés. Mais, naturellement, nous ne lui demandons pas d’exercer une justice expéditive et nous laissons à la commission d’enquête mise en place le temps de parvenir à ses conclusions.
Le déclenchement des violences aurait été causé le 6 mars par l’incursion des forces de sécurité syriennes dans un village des environs de la ville côtière de Jableh, pour y arrêter un individu présenté comme proche de l’ancien régime. Plusieurs hommes, dont un adolescent de 16 ans, auraient été arrêtés. Les forces de sécurité auraient ensuite essuyé des tirs en quittant la ville. Selon diverses sources, ces groupes pro-Assad auraient bénéficié d’un soutien logistique indirect et financier du Hezbollah et de la Russie, laquelle aurait fourni des armes et imposé une zone d’exclusion aérienne dans la région. Les affrontements se sont ensuite étendus à Jableh et aux autres gouvernorats.
La communauté alaouite, en effet, se sent menacée, et la question de la reconversion des personnes ayant travaillé pour l’ancien régime crée un climat particulièrement tendu. Actuellement, des groupes loyalistes pro-Assad se sont réfugiés dans une zone montagneuse et continuent de représenter une menace pour HTC.
Je vous laisse libre de votre interprétation quant à la présence de civils sur les bases russes. Toutefois, il est certain qu’Ahmed al-Charaa, dans ses négociations avec les Russes, a posé certaines conditions au maintien de leurs forces en Syrie. Pour notre part, nous l’incitons à ne pas prolonger cette présence russe. L’ouverture des bases russes pour accueillir la population alaouite a peut-être permis de sauver des vies mais je ne dispose pas d’informations sur la présence actuelle de civils dans ces bases.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). J’aimerais vous interroger, monsieur Andres, sur les tensions actuelles entre la Syrie et le Liban. Une récente altercation a fait sept morts du côté de l’armée libanaise et trois du côté syrien. Des rumeurs à Beyrouth suggèrent que le frère de Bachar al-Assad, Maher al-Assad, qui commandait la 4e division blindée de l’armée syrienne et qui est un soutien présumé du Hezbollah, serait à l’origine de l’incident. Pensez-vous que le Hezbollah, malgré son affaiblissement par Israël, puisse représenter une réelle menace pour la Syrie ? Peut-on craindre une escalade entre la Syrie et le Liban ?
En tant que députée des Français de l’étranger, j’échange régulièrement avec nos compatriotes vivant en Syrie et ils sont très inquiets. Des personnes d’ascendance ou de descendance française me demandent de les mettre en contact avec le consulat de Beyrouth pour entamer des démarches de demande d’asile. Quelles actions proactives pouvons-nous entreprendre pour aider nos compatriotes dans cette situation ?
M. Alexis Andres. Les incidents auxquels vous faites référence se sont produit à la frontière Nord du Liban, qui n’est pas clairement délimitée. Cette zone a toujours été propice aux trafics et elle est actuellement le théâtre d’affrontements armés liés principalement à ces activités illégales.
Le 16 mars, les autorités de transition syriennes ont annoncé la mort de trois soldats syriens et accusé le Hezbollah de les avoir enlevés du côté syrien de la frontière. Le porte-parole du Hezbollah a nié ces accusations, tout comme il a nié l’implication du mouvement chiite dans les affrontements du début du mois de mars et a accusé à son tour les Syriens d’avoir pénétré illégalement sur le territoire libanais. Une source au ministère de la défense syrien a déclaré à l’agence de presse officielle Sana que l’armée syrienne avait lancé une opération de sécurité dans la zone frontalière pour expulser les milices du Hezbollah des villages syriens utilisés pour la contrebande et le trafic de drogue.
Le Hezbollah, dont la Syrie a été la principale voie d’approvisionnement militaire et financier, est aujourd’hui considérablement affaibli. Cependant, il n’a pas disparu et continue de représenter une menace tant pour la Syrie que pour le Liban. Les incidents récents ont généré des échanges de tirs entre les forces armées libanaises et syriennes mais il est important de noter que les autorités des deux pays sont en contact pour favoriser la désescalade. Un cessez-le-feu a d’ailleurs été annoncé à la suite d’un entretien entre les deux ministres de la défense.
La communauté française en Syrie s’est sensiblement réduite du fait de la guerre qui a ravagé le pays. Le consulat général à Beyrouth est très attentif à la situation de nos ressortissants. L’examen des demandes d’asile pour les ayants droit a été suspendu au lendemain de la chute du régime syrien et nous cherchons actuellement la meilleure manière de répondre aux nouvelles demandes, qui s’élèvent à une centaine depuis le début du mois de mars.
Mme Véronique Besse (NI). Depuis vingt ans, la communauté des chrétiens d’Orient connait une véritable hémorragie, notamment en Syrie. Pourtant, la contribution des chrétiens d’Orient à l’histoire de la Syrie est considérable, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé. Récemment, ils ont de nouveau été victimes de massacres dans des conditions épouvantables. Quels moyens la France compte-t-elle mettre en œuvre pour soutenir les minorités ethniques et religieuses menacées de disparition en Syrie, en particulier les chrétiens qui ont perdu plus de 80 % de leur communauté en à peine quelques années de guerre ?
M. Alexis Andres. La question des chrétiens d’Orient est suivie avec une grande attention par nos services. Nous sommes en contact constant avec leurs représentants, notamment celui basé à Damas, et nous avons contacté l’Œuvre d’Orient pour obtenir un bilan actualisé des exactions commises récemment. Il semble que les violences aient plutôt touché des familles dans les quartiers alaouites, sans cibler spécifiquement les quartiers chrétiens.
Notre envoyé spécial a rencontré les représentants des communautés religieuses lors de sa première mission à Damas pour évoquer leur protection. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a fait de même lors de son déplacement le 3 janvier. Dans nos échanges avec les autorités de transition, nous insistons sur le respect de la diversité religieuse en Syrie et, jusqu’à présent, ils se sont clairement engagés en ce sens.
Mme Constance Le Grip (EPR). Vous l’avez mentionné, monsieur Andres, 2,5 milliards d’euros destinés à l’aide humanitaire seront alloués par l’Union Européenne mais plusieurs ONG ont alerté sur les risques de détournement de ces fonds, une problématique récurrente dans cette région. Compte tenu de l’état de délabrement du système bancaire syrien, de quelle manière ces fonds seront-ils tracés ? La France et l’Union européenne disposent-elles d’un mécanisme renforcé de suivi et de vigilance ?
M. Alexis Andres. L’aide humanitaire française est placée sous la responsabilité du centre de crise et de soutien du ministère, qui dispose de procédures extrêmement strictes. Nous sélectionnons rigoureusement les bénéficiaires, généralement des ONG, et nous avons décidé de continuer à accompagner celles qui étaient basées hors de Syrie. L’attribution de l’aide est soumise à des procédures de reporting et de contrôle très rigoureuses.
Nous sommes conscients des risques relatifs aux détournements, notamment dans le cadre de l’aide transitant par les Nations unies. C’est d’ailleurs l’une des raisons de la méfiance de certains groupes envers l’ONU, accusée d’avoir fermé les yeux sur certains détournements au profit du régime. C’est la raison pour laquelle une levée conditionnelle et graduée des sanctions est nécessaire afin de permettre au système bancaire et au système de transfert financier de redevenir opérationnels en Syrie. Sans cela, nous serons contraints de recourir à des solutions de fortune pour répondre à l’urgence, ce qui n’est jamais souhaitable en Syrie.
M. Alain David (SOC). Le PKK a annoncé être prêt à déposer les armes. Bien qu’Erdogan n’ait pas réagi dans un premier temps, pensez-vous que l’abandon de la lutte armée par le PKK pourrait modifier l’attitude de la Turquie envers les Kurdes ? Peut-on envisager, à terme, une véritable sanctuarisation du territoire kurde en Syrie ?
M. Alexis Andres. Il est difficile de donner une réponse précise à ce stade, parce que l’abandon de la lutte armée par le PKK reste sujet à caution. En effet, ce n’est pas la première fois que M. Öcalan lance un tel appel et il ne fait pas l’unanimité au sein même de son parti. Toutefois, en Syrie, le général Mazloum a récemment expulsé un élément réfractaire à l’accord du 10 mars et au dépôt des armes, donnant ainsi des gages quant à son degré d’engagement.
Le suivi de l’accord et la mise en œuvre de ses dispositions seront déterminants pour envisager, à terme, une sanctuarisation du territoire kurde. Il ne s’agit pas seulement de territoire mais aussi de la reconnaissance constitutionnelle des droits culturels des Kurdes. Cependant, la Syrie ne s’oriente pas vers un État fédéral. La future constitution syrienne déterminera comment les équilibres seront respectés pour les Kurdes, les Alaouites, les Druzes et les autres communautés. L’objectif est d’éviter une partition de la Syrie tout en garantissant les droits de chaque communauté.
M. le président Bruno Fuchs. Je laisse à présent la parole aux collègues qui souhaitent intervenir ou vous interroger à titre individuel.
M. Jorys Bovet (RN). Lors de la table ronde du 12 février, les intervenants nous ont dressé un tableau positif de la Syrie aux mains du nouveau gouvernement. Lorsque j’ai exprimé des réserves, on m’a répondu que mon point de vue allait à contre-courant des observations. Pourtant, nous avions déjà connaissance d’exactions commises contre les Alaouites et les chrétiens d’Orient.
« L’État de barbarie est tombé » a déclaré le président de la République au lendemain de la chute de Bachar al-Assad. Pourtant, la Syrie venait de passer aux mains d’une ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda. Son nouveau ministre de la justice a immédiatement procédé à une purge des femmes au sein de son ministère et transféré toutes les affaires en cours traitées par des femmes à des hommes. Ensuite, il a annoncé que la justice serait désormais rendue au nom d’Allah et non plus au nom du peuple syrien. Est-il ministre de la justice ou ministre de l’application de la charia ?
J’aimerais, monsieur Andres, que vous nous éclairiez sur les relations que la France a entretenues avec l’opposition à Bachar al-Assad au cours des treize dernières années et quels éléments nous ont conduits à penser que l’islam radical n’était pas au cœur des actions politiques du nouveau gouvernement et des milices qui le soutiennent. En effet, il est permis de se demander quel avenir attend le peuple syrien. S’agit-il à nouveau, après l’Irak et la Libye, de chasser le dictateur pour installer le chaos ?
Enfin, le président de la République a annoncé que la France restera engagée pour la sécurité de tous au Moyen-Orient. Comment pouvons-nous assurer la sécurité des minorités religieuses et celle des femmes dans un pays qui peut faire pression sur nous avec la menace de renvoyer d’anciens djihadistes français sur notre territoire ?
M. Alexis Andres. Il est indéniable que la dictature de Bachar al-Assad était d’une rare brutalité et que l’on peut la qualifier de barbare.
Vous avez évoqué, Monsieur Bovet, l’attitude du ministre syrien de la justice. Il s’agit effectivement d’un point sur lequel nous attendons des clarifications de la part des autorités de transition. Nous sommes conscients que ce ministre, dans le cadre des fonctions qu’il occupait à Idlib, s’est rendu coupable d’actes que nous ne pouvons tolérer. Un nouveau gouvernement devrait être annoncé prochainement. Comme je l’ai indiqué, nous en examinerons attentivement la composition ainsi que la feuille de route et nous adapterons notre position en conséquence.
Je n’ai jamais prétendu que tout était parfait depuis le 8 décembre et j’ai rappelé les immenses défis qui attendent le nouveau gouvernement. HTC a pris le pouvoir et a d’abord composé avec ses propres cadres. Désormais, nous attendons qu’il élargisse sa base.
M. le président Bruno Fuchs. Permettez-moi d’apporter quelques éléments de réponse supplémentaires. Lors de la table ronde du 12 février, les intervenants ont clairement indiqué que la situation en Syrie resterait extrêmement instable durant les quatre ou cinq prochaines années, compte tenu des forces en présence et de la difficulté pour HTC d’assurer la sécurité. Il a été précisé que l’évolution de la situation ne serait ni constante ni linéaire, et que des événements aussi effroyables que ceux survenus entre le 6 et le 10 mars étaient malheureusement susceptibles de se reproduire.
M. Alexis Andres. Concernant notre soutien à l’opposition pendant la dictature de Bachar al-Assad, nous avions reconnu la coalition nationale syrienne comme interlocuteur privilégié. Nous avons aussi soutenu de nombreuses organisations de la société civile, pour certaines basées hors de Syrie. Ces contacts permanents nous ont permis de disposer d’éléments d’information sur l’évolution de la situation en Syrie, de suivre les questions de lutte contre l’impunité – un aspect qu’il ne faut surtout pas négliger – et de soutenir cette société civile qui représente la diversité de la Syrie.
M. Frédéric Petit (Dem). Il est important de rappeler que l’État de barbarie est effectivement tombé. Celui-ci n’était pas en place seulement depuis l’arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad en 2000 mais depuis que son père avait installé une dictature. Le 8 décembre, c’est bien une barbarie de plusieurs décennies qui a pris fin et il faut mesurer quelle horreur elle a représenté pour les Syriens. Cependant, dire qu’un État de barbarie est tombé ne signifie pas que le paradis est arrivé. Il convient de rester très prudents et, à cet égard, j’invite mes collègues à se référer aux comptes rendus de cette commission pour ne pas déformer les propos tenus ici par les intervenants de la table ronde du 12 février.
Je suis surpris, monsieur Andres, que votre propos laisse en suspens la question de la partition de la Syrie. Si je comprends bien l’histoire ancienne et présente de la Syrie, et les équations que doit résoudre le nouveau gouvernement, la Syrie s’orienterait sur le chemin d’une nation citoyenne, plutôt que d’une fédération. Il me semble que cette voie pourrait protéger les différentes composantes de la population et correspond à la tactique adoptée par M. al-Charaa depuis qu’il a rompu avec les djihadistes.
M. Alexis Andres. Pardonnez-moi, monsieur Petit, si mon propos n’a pas été clair : j’ai bien dit qu’il fallait éviter à tout prix une partition de la Syrie. D’ailleurs, l’impératif de préservation de l’unité de la Syrie, de son territoire et de sa population, figure en tête de la déclaration constitutionnelle proclamée par M. al-Charaa dans le cadre du congrès du dialogue national du 25 février. Aussi je le répète afin que notre position soit parfaitement comprise : nous sommes pour l’unité de la Syrie et pour l’inclusion de l’ensemble des composantes de la société syrienne.
M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie, Monsieur Andres pour toutes ces informations et je vous invite à prononcer quelques mots de conclusion.
M. Alexis Andres. Nous sommes véritablement au début d’un processus de transition. La chute du régime de Bachar al-Assad est intervenue avec une rapidité qui nous a tous surpris. Aujourd’hui, d’immenses défis se dressent sur la route des nouvelles autorités et nous mesurons bien ce qu’ils représentent en termes de soutien à apporter, d’exigences à avoir, mais aussi de patience à cultiver. Le relèvement de la Syrie prendra malheureusement des années. Une récente estimation du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) indiquait qu’au rythme actuel de croissance économique de la Syrie, il faudrait attendre 2080 pour qu’elle retrouve son niveau de PIB de 2011.
Il faut aborder tous ces enjeux avec la gravité et le sérieux qui s’imposent. Nous nous y efforçons en nous appuyant sur une quête d’informations rigoureuses et en diversifiant nos sources. Nous restons vigilants mais nous devons soutenir cette transition.
M. Frédéric Petit (Dem). Monsieur le président, avant que vous clôturiez notre réunion, je souhaite aborder le sujet des délégations de vote, qui m’irrite sérieusement. Si je me rends en mission ou à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), alors j’obtiens une délégation. En revanche, si je représente la commission des affaires étrangères, en vertu d’une mission que celle-ci m’a confiée, au conseil d’administration de l’Agence française du développement (AFD), je n’en ai pas. Cette situation insupportable est basée sur une interprétation rigide de l’ordonnance du 13 novembre 2018. Nous bénéficions d’une délégation pour une mission ou en cas de maladie mais pas pour représenter nos collègues au conseil d’administration de l’AFD, et ce sur la base du même article, ce qui est totalement incompréhensible. Je souhaite qu’une solution soit trouvée pour régler cette situation absurde.
M. le président Bruno Fuchs. Je comprends votre requête, qui me paraît de bon sens alors qu’on reproche aux membres de notre commission de ne pas être suffisamment présents dans ces conseils d’administration.
La séance est levée à 12 h 50.
***
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Véronique Besse, M. Jorys Bovet, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, M. Alain David, M. Nicolas Dragon, M. Bruno Fuchs, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. François Hollande, Mme Sylvie Josserand, Mme Amélia Lakrafi, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Élisabeth de Maistre, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Sabrina Sebaihi, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Vincent Trébuchet, Mme Dominique Voynet
Excusés. – Mme Nadège Abomangoli, M. Bertrand Bouyx, Mme Christine Engrand, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Mazaury, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez