Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Examen, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981 (n° 969) (M. Pierre‑Yves Cadalen, rapporteur) 2
– Informations relatives à la commission.....................16
Mercredi
30 avril 2025
Séance de 11 heures 15
Compte rendu n° 54
session ordinaire 2024-2025
Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président
— 1 —
La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur le projet de loi n° 969.
La séance est ouverte à 11 h 15.
Présidence de M. Bruno Fuchs, président.
M. le président Bruno Fuchs. Nous sommes réunis pour examiner le projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 155 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la sécurité et la santé des travailleurs (n °969). Je souligne que cette convention a été adoptée le 22 juin 1981 à Genève, lors de la 67e session de la Conférence internationale du travail.
L’OIT a été créée en 1919 et elle est devenue une agence spécialisée de l’Organisation des Nations unies (ONU) en 1946. Elle réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs issus des 187 États membres. Sa mission consiste à protéger et promouvoir les droits des travailleurs grâce aux normes internationales qu’elle élabore.
On ne peut pas dire que le processus de ratification de ce texte s’illustre par sa rapidité, contrairement au traité pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine dit « BBNJ » – marine Biodiversity of areas Beyond National Jurisdiction –, qui a été ratifié par notre Assemblée seulement huit mois après son adoption.
J’ai déploré à plusieurs reprises que les accords internationaux soient souvent soumis à notre approbation beaucoup trop tard. Un courrier avait été adressé au ministre chargé des affaires étrangères à ce sujet. Il faut que les processus de ratification deviennent beaucoup plus réalistes.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Adoptée en 1981, la convention n° 155 de l’OIT présentait en son temps plusieurs avancées significatives en matière de droits sociaux, à commencer par le droit de retrait et l’exigence de mécanismes de contrôle et d’inspection, garantie fondamentale pour que le droit du travail s’applique réellement.
Dans la longue histoire du mouvement ouvrier, le combat pour les conditions de travail est décisif, tant la classe ouvrière a été violentée dans le processus de production. Cela reste d’ailleurs une réalité prégnante dans la division internationale du travail et dans certains secteurs. L’importance des troubles musculo-squelettiques et l’état physique des travailleurs du secteur agroalimentaire en Bretagne rappelle que cette violence du travail sur les corps est encore une réalité en France.
La convention n° 155 reconnaît le caractère essentiel de la santé et de la sécurité au travail. C’est en effet un domaine où se posent des questions de vie et de mort. Il est utile de rappeler qu’en France l’espérance de vie à 35 ans d’un ouvrier reste de cinq ans inférieure à celle d’un cadre.
Cette convention offre des garanties minimales utiles car il est à tout le moins nécessaire de créer un environnement normatif international permettant de protéger de manière concrète les travailleurs, notamment grâce à des moyens assurant des inspections et un contrôle effectif.
En France, les lois Auroux des années 1980 ont été décisives pour renforcer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Pourquoi cette convention n’a-t-elle pas été ratifiée alors que l’on assistait à une période remarquable de conquête sociale ?
Un projet de ratification avait été envisagé en 1988 mais le Conseil d’État avait émis un avis défavorable car les consultations des syndicats et l’association des parlementaires avaient été insuffisantes, notamment au sujet des restrictions que le gouvernement entendait apporter à l’application de la convention. Le processus de ratification avait donc été abandonné.
Il faut noter que la France a fait évoluer son droit social dans un sens qui va au-delà des recommandations minimales de la convention.
Pourquoi en discuter maintenant, alors que l’on a assisté ces dernières années à de nombreux reculs en matière de droit social et de protection des travailleurs ?
La convention n° 155 est devenue une convention fondamentale de l’OIT, ce qui emporte deux conséquences. D’abord, ses stipulations sont désormais juridiquement opposables à tous les États membres de l’OIT. Sa ratification ne crée donc aucune obligation nouvelle pour la France. C’est un point important. Ensuite, l’Union européenne exige que ses États membres ratifient les conventions fondamentales.
Le gouvernement présente une démarche purement formelle comme une avancée majeure pour le droit social : il avance qu’une telle décision ferait de la France une bonne élève s’agissant de la protection des travailleurs. C’est factuellement faux : d’abord, parce que cette ratification valide a posteriori l’élévation de ce texte au rang de convention fondamentale ; ensuite, car elle s’opère normalement à droit constant ; enfin, parce que cette convention prévoit des obligations minimales qui sont en deçà des protections déjà prévues par le droit européen et le droit français.
Dans ce domaine, la question est plutôt celle de l’application du droit. En effet, il n’est guère possible de se payer de mots ou de penser que des symboles peu coûteux pourraient masquer la réalité des politiques antisociales menées par ceux qui gouvernent depuis plusieurs années. Comme l’avait déjà bien compris Blaise Pascal, le droit sans la force est impuissant.
Cela vaut donc la peine de s’intéresser à la réalité concrète des moyens de contrôle et d’inspection du travail. De 2015 à 2021, les effectifs de l’inspection du travail ont diminué de 16 %. La norme établie par l’OIT impose de disposer d’un agent pour 10 000 salariés. Du fait des suppressions de postes d’inspecteurs ces dernières années, nous ne respectons plus ce seuil puisque nous en sommes en théorie à un agent pour 10 500 salariés, voire à un agent pour 13 200 salariés si l’on tient compte des postes non pourvus, qui atteignent 20 % des effectifs.
Dans ce contexte, comment peut-on présenter cette ratification comme une victoire pour les salariés sans faire preuve d’une hypocrisie que plus personne ne supporte dans ce pays ? À commencer par ceux qui savent combien les conditions de protection des travailleurs ont été dégradées ces dernières années. On ne peut pas occulter la succession particulièrement brutale des lois dites Macron et Rebsamen en 2015, de la loi dite El Khomri en 2016 ainsi que des cinq ordonnances Macron de 2017. Toutes ont porté atteinte aux droits des travailleurs.
C’est par exemple le cas de la fusion des comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avec les comités techniques. Les élus qui siégeaient au sein des CHSCT étaient particulièrement formés aux questions de sécurité et de santé au travail. La fusion a donc constitué une mauvaise nouvelle. S’y ajoute le fait qu’un CHSCT était auparavant obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, alors qu’un comité social et économique (CSE) ne l’est désormais que dans celles de plus de 300 salariés. Le nombre de travailleurs couverts a donc bien entendu diminué.
En 2023, 759 personnes sont décédées à la suite d’un accident du travail. Le manque de prévention et la prévalence du travail intérimaire en sont particulièrement responsables. On compte 50 000 accidents du travail par an dans l’intérim et les accidents mortels y sont deux fois plus nombreux.
Précariser le marché du travail a donc des effets funestes qui s’observent d’ores et déjà. Précariser tue : ce n’est pas une nouvelle.
La Journée mondiale pour la santé et la sécurité au travail a été célébrée lundi 28 avril. La France présente de ce point de vue un bilan calamiteux : elle est le quatrième pays en Europe où ont lieu le plus d’accidents du travail et le nombre de ces derniers y est deux fois supérieur à la moyenne européenne.
Nous y voyons un effet concret et tragique des politiques de flexibilisation du marché du travail. Le gouvernement prétend que la ratification de la convention offrira une perspective radieuse mais il se refuse à mener la nécessaire réflexion sur les politiques conduites ces dernières années. Il ferait mieux de réaliser un examen critique de ses politiques antisociales plutôt que de se laisser aller à une fanfaronnade sans objet.
Malgré cette posture duplice, l’idée selon laquelle la ratification s’opère à droit constant semblait jusqu’à présent assez généralement partagée. Trois éléments invitent toutefois à la plus grande prudence sur ce point.
D’abord, les raisons qui avaient motivé l’avis négatif du Conseil d’État en 1988 restent valables, puisque les parlementaires ne sont pas appelés à se prononcer sur les régimes d’exclusion de certains secteurs – notamment pour ce qui est du droit de retrait – et que les syndicats n’ont pas été pleinement consultés à ce sujet.
Ensuite, compte tenu de la politique menée par le gouvernement, il ne faudrait pas que ce dernier se prévale d’une avancée alors qu’il n’y en a guère, voire qu’il considère les standards minimaux de la convention comme le nec plus ultra de la protection sociale.
Enfin, les régimes d’exclusion suscitent la principale crainte. Le cas de l’aéronautique civile est particulièrement instructif. Le gouvernement entend exclure ce secteur de l’application de la convention, en prétextant que le droit de retrait pourrait difficilement s’y exercer. Ce droit est pourtant pleinement effectif pour le personnel navigant depuis une quarantaine d’années. Les syndicats du secteur ont alerté le gouvernement à ce sujet mais il ne leur a pas répondu. Ce seul élément suffit à prouver que les consultations n’ont pas été dûment organisées et doit inviter le gouvernement à revoir sa copie.
Il faut souligner que la remise en cause du droit de retrait dans ce secteur serait une source de danger. En effet, comment imaginer qu’un pilote souhaitant exercer son droit de retrait soit contraint d’effectuer un vol dans des conditions qu’il juge dangereuses ? Ce n’est de toute évidence pas raisonnable et, à vrai dire, fort peu compréhensible.
J’invite donc la commission à se prononcer contre ce projet.
Nous déposerons un amendement en séance pour que le personnel navigant du secteur de l’aviation civile ne soit pas exclu de l’application de cette convention. S’il était adopté, nous pourrions voter en faveur de la ratification, qui s’effectuerait dès lors à droit constant.
Quoi qu’il en soit, notre commission devrait se prononcer très clairement ce matin pour envoyer un signal au gouvernement sur les défauts de ce projet, qui ont été mis en évidence par les auditions des représentants des syndicats.
M. le président Bruno Fuchs. Pour être clair, vous voteriez en faveur de la ratification de cette convention si l’on intégrait les personnels navigants dans son champ d’application ?
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Compte tenu de la position actuelle du gouvernement, je propose de rejeter ce projet. Mais nous pourrions voter pour ce texte en séance si le gouvernement donnait des garanties sur le fait que la ratification se fera à droit constant et si l’Assemblée nationale jouait son rôle en votant sur ce point.
M. Michel Guiniot (RN). Une question au préalable : pourrons-nous ratifier la convention si des changements lui sont apportés ?
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. L’amendement que j’ai évoqué ne modifierait pas le texte dont la ratification est demandée mais il permettrait d’offrir une garantie juridique à ceux qui s’inquiètent de ses conséquences, en particulier dans le secteur de l’aéronautique civile.
M. le président Bruno Fuchs. Sans entrer dans la technique, on peut imaginer un avenant qui engagerait le gouvernement français. Nous en débattrons plus tard.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Michel Guiniot (RN). Le texte que nous examinons vise à ratifier une convention de l’OIT sur la sécurité et la santé des travailleurs. Cette dernière date de 1981, c’est-à-dire d’un autre temps. Si les risques n’ont pas évolué depuis, la façon de travailler a changé, de même que la société et les normes. Certaines mesures figurant dans la convention sont déjà en vigueur, voire désuètes compte tenu de l’évolution de notre droit, tandis que d’autres sont contraires à ce dernier.
Dès 1988, le Conseil d’État avait rendu un avis défavorable à la ratification de la convention en raison d’un manque de travail du gouvernement, ce qui avait abouti à l’abandon provisoire du processus de ratification. Celui-ci a été relancé en 2022, le changement de qualification de la convention par l’OIT, agence spécialisée de l’ONU, la rendant juridiquement opposable.
Toutefois, le gouvernement souhaite exclure le droit de retrait pour certaines catégories d’emplois, en revenant ainsi sur ce qui constitue un acquis social depuis quarante ans dans notre droit et dans le droit européen.
Je suis d’ailleurs plutôt surpris, monsieur le rapporteur, que vous ne fassiez pas davantage état des multiples réserves énoncées dans l’étude d’impact.
Dans votre rapport, vous n’avez eu qu’un mot pour les secteurs de la navigation maritime et de la pêche, ainsi que pour les agents publics qui opèrent dans les domaines de la sécurité ou de la défense, alors qu’ils sont eux aussi concernés par le contournement du Parlement. Si votre laïus sur la sécurité aérienne est conforme aux courriers de la confédération générale du travail (CGT) que vous avez choisi d’annexer au rapport, vous n’évoquez pas la situation des capitaines de navire, qui pourraient être contraints de risquer leur vie, celle de leurs passagers et l’intégrité de leur bâtiment s’ils ne pouvaient pas bénéficier du droit de retrait.
De plus, j’appelle votre attention sur le fait que le gouvernement prévoit d’écarter l’application du droit de retrait des personnels navigants de l’aviation civile dès lors que la mission de l’équipage a commencé, ce qui les priverait de toute possibilité de réaction. Comment faire face à un danger grave et imminent si l’on n’est pas en mesure de l’apprécier ? Le maintien du droit de retrait permettrait de garantir que les professionnels se consacrent à leur tâche dans des conditions optimales de sécurité. Il n’y a eu aucun problème notable en quarante ans. Pourquoi tout changer ?
Reste la question de l’application. Étant donné que la Conférence internationale du travail a élevé cette convention au rang de convention fondamentale, en l’absence de ratification du texte, comment ses dispositions pourraient-elles s’appliquer au secteur de la navigation maritime et de la pêche alors qu’elles sont en contradiction flagrante avec le décret du 15 mars 2016, qui offre la possibilité au capitaine d’un navire de suspendre l’exercice du droit de retrait à bord ?
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. J’ai été assez clair dans mon intervention : nous n’avons pas été consultés à propos des régimes d’exclusion, ce qui pose un problème. Le gouvernement doit apporter des garanties juridiques en s’engageant en séance à protéger le droit de retrait.
Mme Eléonore Caroit (EPR). Il nous revient de nous prononcer sur la ratification de la convention n° 155 de l’OIT, consacrée à la santé et à la sécurité des travailleurs. Notre droit a depuis longtemps intégré l’essentiel des principes de cette convention mais ratifier ce texte permet de donner une force nouvelle à nos engagements en inscrivant la santé au travail parmi les droits humains universels, au même titre que la liberté syndicale ou l’abolition du travail forcé.
Cette convention fixe des principes clairs. Son article 4 prévoit qu’une politique nationale en matière de sécurité et de santé des travailleurs doit être construite avec les partenaires sociaux. L’article 16 porte sur les responsabilités des employeurs pour garantir un environnement de travail sûr. Enfin, l’article 19 stipule que les travailleurs ont le droit d’être les acteurs de leur propre protection.
La ratification de ce texte s’inscrit dans la continuité de notre histoire sociale et apporte une réponse aux défis nouveaux posés par l’évolution du travail, le télétravail et les risques climatiques ou numériques.
C’est aussi un signal politique fort. La France continue ainsi à s’engager en faveur de standards sociaux élevés, en Europe comme à l’échelle internationale, et elle renforce sa crédibilité auprès de ses partenaires.
Surtout, ce texte valorise une approche qui nous est chère : celle du dialogue social. Construire un environnement de travail sûr passe par la concertation entre les employeurs, les salariés et les pouvoirs publics. Tout cela correspond évidemment à l’esprit de nos institutions.
Des interrogations et même des critiques ont été formulées, notamment au sujet du droit de retrait des personnels navigants. Mais soyons clairs : cette ratification ne remet pas en cause les protections existantes. Notre droit continuera de primer lorsqu’il est plus protecteur, conformément au principe de non-régression. Ce texte, loin de fragiliser nos acquis, les consolide.
C’est pourquoi le groupe EPR votera en faveur de sa ratification, animé par la volonté d’inscrire la France dans une dynamique internationale qui fait de la santé au travail un droit fondamental.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Si telle est la position de votre groupe, peut-être le gouvernement formulera-t-il en séance les engagements que je l’invite fermement à prendre dans mon rapport. Nous pensons qu’un signal politique clair doit lui être envoyé.
Je ne peux m’empêcher d’ironiser sur votre attachement au dialogue social. Les millions de Français qui ont défilé contre la réforme des retraites n’ont pas particulièrement goûté la manière de concevoir ce dialogue sous le régime macroniste.
L’ensemble des syndicats était opposé à cette réforme, qui n’a pas été votée par l’Assemblée nationale et qui a des effets extrêmement concrets en mettant en danger des travailleurs. Le fait de devoir prolonger sa carrière de deux ans n’est pas rien lorsque l’on atteint un âge où l’on est plus fragile. J’ai rencontré dans ma circonscription un conducteur de bus qui va avoir 61 ans et qui devra travailler jusqu’à 63 ans et 9 mois. Il subit de plein fouet les effets de la réforme et m’a dit qu’il était déjà en arrêt maladie et que c’était de plus en plus difficile. Cela nous ramène à mes observations sur le personnel navigant de l’aéronautique civile et à la question de la sécurité des usagers.
M. le président Bruno Fuchs. Si vous me permettez un commentaire personnel, la convention dont nous discutons n’a pas de rapport avec les retraites.
Comme l’a indiqué Mme Caroit, la législation française est plus protectrice que la convention. Si nous ne la ratifions pas, cela permettrait au législateur de réduire ces protections. Je comprends vos interrogations sur l’exclusion des personnels navigants de l’aéronautique civile mais ne pas adopter ce projet pourrait affaiblir les droits de travailleurs. Je perçois donc une forme de contradiction dans vos propos. Mais j’attends votre réponse.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Le gouvernement ayant été soit imprécis soit mal intentionné lorsqu’il a rédigé l’étude d’impact, il lui appartient de prendre l’engagement que cette ratification s’opère véritablement à droit constant.
Notre rôle de parlementaires consiste précisément à exercer notre pouvoir de contrôle et à dire au gouvernement que son texte pourrait introduire de l’insécurité juridique alors même qu’il n’est pas nécessaire de ratifier la convention.
De fait, je m’inscris en faux contre votre interprétation. Cette convention a été élevée au rang de convention fondamentale et, de ce fait, elle est juridiquement opposable, qu’elle ait ou non été ratifiée.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous pratiquons l’archéologie législative puisqu’on nous propose de ratifier en 2025 une convention de l’OIT qui date de 1981 – très belle année politique.
On pourrait estimer au premier abord que ce texte est seulement superflu – ce qui est un moindre mal en Macronie – puisque la convention est largement dépassée : en effet, elle ne prend en compte ni les risques psychosociaux, ni les questions managériales ni les enjeux de la sous-traitance en cascade. Le droit français est mieux-disant, ce qui ne nous empêche pas de détenir le record d’Europe en matière d’accidents du travail, dont le nombre excède 700 000 par an, dont près de 800 mortels.
Alors que cette convention n’ajoute aucun droit, on apprend dans l’étude d’impact que le gouvernement entend exclure de son application l’aéronautique civile, la navigation maritime et la pêche, et ce sans que cette exclusion fasse l’objet d’un vote de notre Assemblée.
Lorsque l’on demande aux branches professionnelles si elles ont été consultées, elles répondent que non. Eh bien nous aussi, en l’état, nous disons non, pour les raisons très bien exposées par le rapporteur.
Pourquoi exclure différentes branches du champ d’application de la convention ? L’étude d’impact indique que « La convention pose le principe du droit de retrait pour le travailleur en cas de péril imminent et grave pour sa vie et sa santé ». Je trouve cela bien mais, apparemment, des gens dans les ministères estiment que c’est critiquable. Pourtant, le code du travail garantit déjà le droit de retrait du personnel navigant, qu’il s’agisse de l’aéronautique civile ou du secteur maritime, étant entendu que ce droit s’exerce sous réserve de la préservation de la sécurité des collègues et des passagers.
La seule conclusion que nous pouvons en tirer à ce stade est que l’on envisage de rogner le droit de retrait lors d’une prochaine réforme et que l’on ne souhaite pas qu’une convention internationale le garantisse. Or les conditions de travail des salariés de l’aviation civile sont extrêmement pénibles, du fait des horaires décalés, du travail de nuit, d’un niveau de stress important et de l’exposition aux rayons ionisants. Nier leur droit ajoutera à leur angoisse et contribuera à abîmer leur santé.
Tout cela est très paradoxal : même lorsqu’il s’agit de ratifier une convention sur la santé des travailleurs, le gouvernement trouve encore le moyen de leur nuire.
M. le président Bruno Fuchs. Cette convention n’a pas été négociée par la « Macronie ». Le président Macron était âgé de 4 ans lorsqu’elle a été adoptée…
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je reconnais là votre humour légendaire, monsieur le président !
Je remercie notre collègue Hadrien Clouet d’apporter son expertise de commissaire aux affaires sociales. Le fait que les parlementaires ne puissent pas discuter des régimes d’exclusion secteur par secteur constitue le cœur du sujet. Nous ne disposons pas d’éléments d’information suffisants, ce qui est un problème démocratique.
Si j’ai mis en avant le secteur de l’aéronautique civile, c’est bien parce que nous avons été alertés par l’ensemble des syndicats des personnels navigants – et pas seulement par la CGT – sur le risque d’une ratification qui, non seulement, ne s’effectue pas à droit constant mais, en plus, crée des incertitudes juridiques du fait des exclusions mentionnées dans l’étude d’impact.
Quel serait, dès lors, l’intérêt de ratifier une convention qui est déjà juridiquement opposable ? Le problème qui est posé ne relève pas d’un clivage entre la gauche et la droite mais des rapports entre le Parlement et le gouvernement.
M. Alain David (SOC). En juin 2022, la Conférence internationale du travail – que l’on présente souvent comme le Parlement international du travail – a décidé de reconnaître le caractère fondamental de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs. Ériger en principe le droit à un milieu de travail sûr et salubre – aux côtés de la liberté syndicale, du droit de négociation collective, de l’abolition du travail forcé et de celui des enfants, ainsi que de l’élimination de la discrimination – constitue une avancée majeure, saluée à juste titre par la Confédération syndicale internationale et par la Confédération européenne des syndicats.
Cette ratification, aussi tardive soit-elle, doit être un signal politique important. Notre pays est un membre actif de l’OIT et dispose d’un siège permanent au sein de son conseil d’administration.
Il faut rappeler que les conventions reconnues comme fondamentales par l’OIT établissent un socle de normes minimales. Les États membres seront encouragés à mettre leur législation en conformité avec les normes de la convention n° 155, ce qui permettra de créer un cadre commun facilitant la coopération transfrontalière et de renforcer la protection des travailleurs.
Vous estimez, monsieur le rapporteur, que cette dimension est essentielle, mais avons-nous, en France, la volonté d’agir et les moyens de notre ambition ? Si l’on rapporte le nombre d’inspecteurs de travail à celui des salariés, la France se situe en deçà du ratio de l’OIT, qui est lui-même insuffisant.
Nous sommes confrontés à un problème de fond. Les enquêtes de terrain nous apprennent qu’en moyenne, chaque jour, deux personnes meurent en France dans un accident dans le cadre de leur emploi – chiffre d’ailleurs sous-estimé, car il n’intègre ni les suicides, ni les maladies. Les ouvriers ont cinq fois plus de risques de perdre la vie que les cadres. Les accidents mortels sont deux fois plus fréquents chez les intérimaires. La ratification de la convention ne saurait nous exonérer de notre responsabilité en la matière.
Nous appelons donc la France à faire preuve d’exemplarité et à renforcer sa législation pour assurer un environnement de travail sûr et salubre aux travailleuses et aux travailleurs. La loi doit prendre en compte les risques psychosociaux ainsi que les nouveaux risques engendrés par les technologies numériques. Lors de vos auditions, avez-vous évoqué, avec les représentants du ministère du travail et de la santé, le hiatus entre les apports, certes limités et datés, de ce texte, et la situation de trop nombreux travailleurs ?
Nous soutenons le texte mais demeurons vigilants sur les réserves émises par le gouvernement dans l’étude d’impact et déplorons, comme l’avait fait le Conseil d’État en 1988, que ces dernières ne figurent pas dans le projet de loi. La réserve relative à l’exercice du droit de retrait par les personnels navigants du transport aérien paraît plus restrictive que la jurisprudence actuelle. Aussi, au nom du groupe Socialistes, j’appelle le gouvernement à préciser, avant la séance publique, la rédaction – et notamment le terme « mission » – afin que cette réserve ne puisse pas être utilisée par certaines entreprises pour restreindre l’exercice du droit de retrait des salariés.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Les auditions m’ont permis de mettre au jour deux contradictions entre le discours et la politique du gouvernement.
D’une part, la ratification ne s’inscrit pas, pour employer un euphémisme, dans une phase de progrès social dans notre pays. Au début des années 1980, peu après l’adoption de la convention, les lois Auroux avaient joué un rôle essentiel dans l’établissement du droit social. Aujourd’hui, nous sommes supposés nous féliciter d’un texte qui, au mieux, s’appliquerait à droit constant alors que le droit national recule dans le domaine social. Cela contredit largement l’argument, que je partage en théorie, selon lequel une convention doit être ratifiée pour produire des normes internationales plus favorables et aligner par le haut les régimes sociaux. Il est curieux d’entendre le gouvernement défendre cet argument alors que l’on assiste, dans les faits, à une diminution des garanties fondamentales accordées aux travailleurs, ne serait-ce qu’en raison de l’application défaillante du droit due à l’insuffisance des effectifs de l’inspection du travail.
D’autre part, comme nous l’avons évoqué au cours des auditions, notamment avec Anousheh Karvar, représentante de la France auprès de l’OIT, de nouvelles questions doivent être prises en compte, à commencer par les risques psychosociaux et l’exposition aux produits toxiques. Cette dernière fera l’objet d’une prochaine convention de l’OIT, ce dont on peut se réjouir. C’est un enjeu essentiel compte tenu des effets des pesticides mais aussi de l’amiante, à laquelle les travailleurs continuent à être exposés dans ma ville de Brest, ce qui m’a conduit à saisir la direction générale du travail.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Notre groupe votera en faveur de la ratification de cette convention de l’OIT. Affirmer que chaque travailleuse, chaque travailleur a droit à des conditions de travail sûres et dignes, ce n’est pas une option : c’est une obligation morale et politique. Cet engagement revêt une importance singulière depuis le 10 juin 2022, date à laquelle la santé et la sécurité ont été élevées par l’OIT au rang de principes et droits fondamentaux au travail.
Cette convention est la seule des dix conventions fondamentales de l’OIT que la France n’avait pas encore ratifiée. Par cette ratification, qui constitue un geste fort, symbolique mais aussi concret, nous nous apprêtons donc à clore un cycle. Nous ne le faisons pas seulement pour nous mais aussi parce que nous avons conscience que nous ne sommes pas seuls au monde. Dans de nombreux pays d’Europe de l’Est, la ratification de la convention n° 155 représente une avancée majeure, un outil nouveau pour structurer une culture de la prévention. Ce qui, pour nous, peut paraître un droit acquis, reste ailleurs un droit à conquérir. C’est pourquoi, étant profondément attachés au droit européen, nous ne négligeons aucune avancée. Une petite marche gravie est déjà une victoire, surtout lorsqu’elle donne aux travailleurs des moyens juridiques pour se défendre dans leur entreprise et pour exiger l’adoption de mesures protectrices.
Nous disposons déjà, en France, d’un arsenal juridique avancé en matière de santé au travail mais le fait de ratifier cette convention nous permettra d’inscrire nos engagements au sein d’un socle international commun, de renforcer nos alliances et la cohérence des actions menées à l’échelle européenne et mondiale. Par ce vote, nous affirmons que le progrès social n’a pas de frontières.
Toutefois, il nous faut rester lucides : nous sommes confrontés à des défis immenses, qu’il s’agisse du changement climatique – en particulier des canicules –, des crises sanitaires, des risques psychosociaux, des burn-out mais aussi de l’exposition accrue à des produits chimiques, des troubles musculo-squelettiques liés aux gestes répétitifs ou encore de la surcharge mentale dans les métiers du soin. Nous devons apporter des réponses à la hauteur de ces nouveaux dangers. Trop souvent, au sein de certaines entreprises, dans les métiers féminisés comme le nettoyage, l’aide à domicile ou la petite enfance, dans les secteurs précaires comme l’intérim, la livraison ou la restauration rapide, la prévention est absente, les souffrances invisibles, les droits fragiles.
Ce texte n’est pas un aboutissement : il doit être un point de départ. Il ouvre un débat essentiel, relatif au droit universel de chaque travailleur, quelle que soit sa profession, à exercer son métier sans risquer sa vie ni sa santé. Or, en privant les personnels navigants du droit de retrait, le gouvernement tourne le dos à ce principe fondamental. Cette réserve est injustifiable car elle oppose les travailleurs entre eux et affaiblit un droit collectif conquis de haute lutte ; nous aurons l’occasion de le dénoncer en séance.
Nous soutiendrons tout de même la ratification parce qu’elle marque une étape vers la reconnaissance du droit à la sécurité au travail mais nous demeurons déterminés, vigilants et animés par la ferme volonté de poursuivre le combat pour l’égalité des droits, l’élimination des violences systémiques dans le monde du travail et la promotion d’une société au sein de laquelle on ne sacrifie jamais la santé à la rentabilité.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je m’associe à cette alerte. Je suis attaché, tout comme vous, à l’application concrète du droit social mais, comme je l’ai expliqué, nous préconisons le rejet du texte afin d’envoyer un signal au gouvernement concernant le droit de retrait dans l’aéronautique civile et le mode de consultation des parlementaires. Ce vote aurait également le mérite de montrer, pour dire les choses un peu abruptement, que notre commission sert à quelque chose et qu’en particulier, elle exerce pleinement son droit de contrôle. Ce vote n’exprimerait pas une opposition à la ratification mais, au contraire, la volonté qu’elle s’opère véritablement à droit constant.
Mme Maud Petit (Dem). Il nous est demandé d’autoriser la ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, adoptée en 1981 par l’OIT. En 1988, notre pays avait eu la possibilité de ratifier le texte mais le Conseil d’État avait émis un avis défavorable, estimant qu’avant de soumettre la convention à la ratification, le gouvernement aurait dû procéder à une étude et à des consultations afin de définir les catégories de travailleurs et les branches d’activité susceptibles d’être exclues de l’exercice du droit de retrait. Trente ans plus tard, en juin 2022, la convention est redevenue d’actualité lors de la 110e session de la Conférence internationale du travail. À cette occasion, le principe de sécurité et de santé des travailleurs a été érigé au rang de droit fondamental, au même titre que la liberté syndicale, l’abolition du travail forcé, l’abolition du travail des enfants et l’élimination de la discrimination.
Avec cent vingt-neuf conventions et deux protocoles de l’OIT approuvés depuis la création de l’organisation, en 1919, la France occupe la deuxième place dans le monde pour le nombre de ratifications. La convention n° 155 est la seule des dix conventions fondamentales de l’OIT que la France n’a pas encore ratifiées, anomalie qu’il nous est proposé de corriger.
Cette convention constitue en effet une avancée mondiale majeure pour la protection et la santé des travailleurs. Elle a pour objectif principal de garantir un environnement de travail sûr et salubre, tout en promouvant une culture de la prévention et en mettant en œuvre une responsabilité partagée des employeurs et des employés. Elle énumère les mesures que les États doivent prendre en matière de sécurité et de santé au travail, en mettant l’accent sur le dialogue social et la formation. Elle stipule également que les États membres doivent instituer un système de contrôle de l’application des lois et des prescriptions sur la santé et la sécurité au travail, ainsi que prévoir des sanctions en cas de non-respect de celles-ci.
Nous disposons, en France, d’un cadre législatif très avancé – quoique toujours perfectible – en matière de santé et de sécurité au travail mais cette convention, qui s’appliquera à toutes les branches d’activité, privées comme publiques, consolidera nos dispositifs nationaux en les intégrant dans une perspective internationale et en introduisant des exigences supplémentaires en matière de prévention, de coordination et de gestion des risques.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Démocrates votera en faveur de la ratification.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Si ce texte constituait une avancée dans les années 1980, tel n’est plus le cas aujourd’hui car ses dispositions font d’ores et déjà partie de notre cadre normatif.
Il faut entendre l’alerte lancée sur le personnel navigant de l’aéronautique civile car il serait ubuesque que, du fait de la ratification, on affaiblisse la sécurité juridique de ces salariés. Actuellement, leur droit de retrait ne fait l’objet d’aucune restriction, sauf lorsque la mission de l’équipage a commencé, autrement dit, lorsqu’ils sont à bord. En cela, leur statut diffère de celui du personnel navigant maritime, dont le droit de retrait est limité par la législation.
Je renouvelle mon appel non à ce que nous nous opposions à la convention en tant que telle mais à ce que nous votions contre le texte pour ne pas mettre un secteur professionnel dans une situation d’insécurité juridique. En agissant de la sorte, nous placerions le gouvernement devant l’obligation de prendre un engagement en séance.
Mme Laetitia Saint-Paul (HOR). Le groupe Horizons et indépendants votera assurément pour la convention sur la sécurité et la santé des travailleurs de l’OIT, qui a conduit à de grandes avancées, lesquelles ont été saluées, notamment, par la Confédération syndicale internationale. La ratification par la France, bien que tardive – la convention, adoptée en 1981, a été ratifiée à ce jour par quatre-vingt-deux États – contribuera à l’amélioration des standards internationaux. Nous ne sommes pas seuls au monde, comme cela a été dit.
Contrairement à ce que semble affirmer notre rapporteur, la France n’est absolument pas moins-disante ; la ratification du texte ne conduira pas à un recul des droits puisqu’il existe un principe de non-régression. Le fait que la France ratifie la convention contribuera à l’amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs de par le monde. C’est ce à quoi nous nous attelons, ce matin, en commission car nous ne nous intéressons pas exclusivement aux problématiques franco-françaises.
Le texte participe à la construction d’un modèle social équilibré, protecteur et adapté aux transformations du travail à l’échelle mondiale. Nous sommes confrontés, et nous le serons encore davantage dans les années à venir, à des défis globaux de natures technologique, écologique et cyber. Monsieur le rapporteur, comment s’y préparer et faire régresser la mortalité au travail, qui constitue toujours un drame humain pour la famille et l’entreprise ? Tout ce que nous pourrons faire pour limiter ce fléau sera salutaire, tant à l’échelle nationale que mondiale.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. J’ai fait allusion au projet de convention de l’OIT sur l’exposition aux produits toxiques, qui constitue un enjeu fondamental. Dans des secteurs tels que l’industrie numérique, qui produit téléphones portables et ordinateurs, il est fait usage de produits polluants, ce qui appelle des normes de protection strictes des travailleurs.
Je ne crois pas que l’on puisse opposer, comme vous semblez le penser, l’effet normatif international supposé de la ratification de la convention et l’état du droit national. L’application concrète des normes juridiques constitue une dimension essentielle en politique internationale. Or l’affaiblissement considérable de l’inspection du travail et la précarisation du marché du travail, fruits de la politique nationale, contribuent à la survenue des accidents et des drames humains que vous évoquiez. La politique visant à multiplier les contrats courts favorise les accidents du travail dans la mesure où ceux-ci frappent particulièrement le secteur de l’intérim.
Ce n’est pas en ratifiant une convention internationale dont les dispositions sont d’ores et déjà applicables et opposables juridiquement que l’on obtiendra un effet normatif : c’est en menant une politique sociale qui se donne pour modèle au reste du monde. D’une certaine façon, les lois Auroux ont constitué un signal envoyé au monde, même si nous n’avions pas ratifié la convention n° 155. Par ces lois, qui s’inspiraient d’ailleurs de la convention, on a envoyé un message politique en faveur de la protection concrète des travailleurs. Je n’ai absolument pas adopté un point de vue franco-français dans le rapport.
M. Laurent Mazaury (LIOT). Le projet de loi visant à autoriser la ratification de la convention n° 155 de l’OIT constitue une avancée importante dans la reconnaissance d’un droit fondamental : celui de travailler dans des conditions sûres, salubres et respectueuses de la dignité humaine. Adoptée en 1981, cette convention attendait depuis plus de quarante ans d’être ratifiée par la France.
Ce texte s’inscrit dans un cadre plus large : en effet, les conditions d’exercice du travail doivent être respectées et repensées à l’aune des grandes mutations économiques, sociales et environnementales. Il s’agit non seulement de prévenir les risques professionnels, qu’ils soient physiques ou psychiques, mais aussi de mieux associer les travailleurs à la gouvernance de leur santé au travail, dans une logique de responsabilité partagée entre l’État, les employeurs et les salariés. La convention est empreinte d’une vision que le groupe LIOT et ses membres, dans leur diversité, ont toujours soutenue : celle d’une société où la valeur du travail ne s’apprécie pas uniquement par les chiffres mais également en fonction des conditions dans lesquelles il s’exerce.
En ratifiant le texte, la France renforce sa cohérence internationale, aligne ses engagements sur ses principes et rappelle que le progrès social ne saurait être dissocié de la justice, de la santé et de la sécurité dans le travail. Il s’agit d’un signal fort en faveur d’un modèle social fondé sur la prévention, la concertation et la dignité du travail. Notre groupe est donc favorable à ce projet de loi.
Cela étant, nous nous interrogeons sur la réserve que souhaite faire le gouvernement au sujet du droit de retrait de l’équipage des aéronefs. Selon l’étude d’impact du projet de loi, le gouvernement souhaite, pour des raisons de sécurité, que le personnel navigant soit exclu de l’application du droit de retrait mentionné aux articles 13 et 19 (f) de la convention « dès lors que la mission de l’équipage a débuté ». J’ai été alerté sur les conséquences qui pourraient résulter de l’emploi du terme « mission », alors qu’il est utilisé dans la profession pour désigner non seulement l’activité de l’équipage à bord de l’aéronef mais également la préparation du ou des vols, les temps d’arrêt au sol et, éventuellement, pour le long courrier, les temps d’escale en dehors de l’avion. Cette terminologie pourrait limiter davantage l’exercice du droit de retrait des personnels navigants. Monsieur le rapporteur, nous attendons de prendre connaissance de l’amendement que vous comptez présenter en séance mais, a priori, nous devrions voter en sa faveur.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je propose que nous déposions, en séance, un amendement d’appel qui contraindrait le gouvernement à prendre clairement position, ce qui l’engagerait juridiquement, afin de sécuriser la condition du personnel navigant de l’aéronautique civile.
J’invite les collègues qui seraient gênés à l’idée de s’opposer à la ratification en commission à s’abstenir. Il s’agit d’envoyer un signal au gouvernement et de manifester le fait que les parlementaires constituent un pouvoir indépendant et que, à ce titre, ils peuvent dialoguer avec l’Exécutif mais aussi, lorsque c’est nécessaire, engager un rapport de force.
M. le président Bruno Fuchs. Comme je vous l’ai dit, en voulant vous opposer au gouvernement, vous risquez d’affaiblir la position des travailleurs. Vous comptez interpeller le gouvernement en séance, à l’instar d’un grand nombre de nos collègues, mais il l’est déjà par vos interventions en commission. En tout état de cause, nous lui demanderons de présenter des éléments de réponse, que vous déposiez ou non un amendement.
Nous en venons aux questions des autres députés, posées à titre individuel.
Mme Christine Engrand (NI). Je salue l’ambition de ce texte, dont la ratification marque une avancée pour la protection des travailleurs. Il est essentiel que la santé et la sécurité au travail soient une priorité claire dans tous les secteurs et à tous les niveaux de responsabilité. Toutefois, pour ne pas rester théorique, cette ambition doit s’accompagner d’un effort de mise en œuvre, notamment dans les territoires. En effet, les plus petites entreprises rencontrent souvent des difficultés pour appliquer les normes, non par négligence mais par manque de moyens et d’accompagnement. Il ne s’agit donc pas seulement d’imposer des obligations mais aussi de créer les conditions de leur application réelle. La question est de savoir si le gouvernement entend garantir l’application réelle de la convention sur le terrain, notamment dans les très petites entreprises, sans alourdir davantage les contraintes qu’elles subissent. De quelle manière seront évalués à moyen terme les effets concrets de ce texte sur la santé des travailleurs en France ?
M. Frédéric Petit (Dem). Mon vote ne saurait être contraint, conformément à la Constitution. Lorsque je me prononce, ce n’est pas pour envoyer un signal ni pour préparer la prochaine réunion. Je vote en mon âme et conscience, à un instant t, pour le pays. Nous avons bien compris les implications d’un éventuel vote positif mais, en sens inverse, que risquerait-on si l’on choisissait de ne pas ratifier la convention ?
L’étude d’impact précise que l’exclusion du personnel navigant de l’aéronautique civile de l’application du droit de retrait se fait en lien avec les instances de consultation de chaque branche. Elle implique donc la consultation des organisations représentatives des employeurs et des salariés ; ce n’est pas une décision du législateur. En tout état de cause, on ne peut exercer son droit de retrait – s’agissant, par exemple, du commandant de bord – si cela risque de mettre en danger d’autres personnes.
M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je n’entendais évidemment exercer aucune contrainte sur qui que ce soit.
Dans l’aéronautique civile, selon le droit actuel, l’équipage est soumis au statut du personnel navigant lorsqu’il se trouve à bord ; il est alors placé sous les ordres du commandant de bord et ne peut plus exercer son droit de retrait.
L’étude d’impact du gouvernement prévoit en effet la tenue de consultations, qui, nous a-t-on dit lors des auditions, ont été menées. Aussi ai-je été fort surpris d’apprendre que le gouvernement n’avait pas répondu aux questions très précises des syndicats. Peut-on vraiment, dans ces conditions, parler de consultations ? Cela renvoie à la décision du Conseil d’État de 1988 et pose les mêmes problèmes politiques et juridiques que ceux qui avaient été soulevés à l’époque.
On ne risque rien à ne pas ratifier la convention. En effet, celle-ci ayant été élevée au rang de convention fondamentale de l’OIT et la France étant membre de cette organisation, le texte lui est opposable juridiquement, qu’il y ait ratification ou non. On encourrait en revanche un risque juridique si le gouvernement ne prenait pas d’engagements clairs sur les questions que nous avons soulevées et débattues aujourd’hui.
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Article unique (autorisation de la ratification de la convention n° 155 de l’Organisation internationale du travail sur la sécurité et la santé des travailleurs, adoptée le 22 juin 1981 à Genève lors de la 67ème session de la Conférence internationale du travail)
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
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Informations relatives à la commission
En conclusion de sa réunion, la commission désigne :
– Mme Dominique Voynet, rapporteure sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (n° 1257) ;
– M. Aurélien Taché, rapporteur sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, signé à Paris le 14 octobre 2022 (sous réserve de sa transmission).
La séance est levée à 12 h 20.
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Membres présents ou excusés
Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, Mme Sophia Chikirou, M. Alain David, Mme Sandra Delannoy, M. Nicolas Dragon, Mme Christine Engrand, M. Olivier Faure, M. Bruno Fuchs, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Brigitte Klinkert, M. Arnaud Le Gall, Mme Élisabeth de Maistre, M. Laurent Mazaury, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Thomas Portes, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Lionel Vuibert
Excusés. – M. Gabriel Attal, M. Hervé Berville, M. Sébastien Chenu, M. Marc Fesneau, M. Nicolas Forissier, M. Perceval Gaillard, Mme Pascale Got, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa
Assistait également à la réunion. – M. Hadrien Clouet