Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Table ronde, conjointe avec la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et ouverte à la presse, sur les enjeux de la 3e conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3) à Nice, du 9 au 13 juin 2025, avec la participation de Mme Isabelle Autissier, présidente d'honneur du WWF-France, et de M. Joachim Claudet, directeur de recherche au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement              2

 

 


Mardi
13 mai 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 58

session ordinaire 2024-2025

Co-Présidence
de Mme Eléonore Caroit,
Vice-présidente de la commission des affaires étrangères, et de
Mme Sandrine Le Feur,
Présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire


  1 

La commission procède, conjointement avec la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à une table ronde ouverte à la presse, sur les enjeux de la 3e conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3) à Nice, du 9 au 13 juin 2025, avec la participation de Mme Isabelle Autissier, présidente d'honneur du WWF-France, et de M. Joachim Claudet, directeur de recherche au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement.

La séance est ouverte à 16 h 35.

Co-présidence de Mme Eléonore Caroit,
vice-présidente de la commission des affaires étrangères,
et de Mme Mme Sandrine Le Feur,
présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nos deux commissions se réunissent conjointement aujourd’hui dans la perspective de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3), un événement majeur qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin 2025. Nous accueillons à cet effet Madame Isabelle Autissier, présidente d’honneur du WWF France, et Monsieur Joachim Claudet, directeur de recherche au Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement. Madame Françoise Gaill, directrice de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et vice-présidente de la plateforme Océan et Climat, n’a malheureusement pas pu se joindre à nous.

Cette audition s’inscrit dans notre volonté d’entendre au Parlement l’engagement des organisations non gouvernementales (ONG) et du monde de la recherche scientifique, réaffirmant ainsi notre attachement à des politiques fondées sur des faits scientifiques. Nous souhaitons connaître vos attentes en termes de soutien pour améliorer la connaissance et la protection des océans.

Bien que la ratification des traités ne relève pas de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, je salue l’action de Jimmy Pahun – et aussi celle d’Eléonore Caroit – sur ces questions. Notre commission se concentre actuellement sur les politiques d’adaptation au changement climatique. Les océans, qui absorbent un quart de nos émissions de CO2, jouent un rôle crucial dans cette problématique. Nous devons donc nous interroger sur l’évolution de cette capacité d’absorption et sur les moyens d’endiguer leur réchauffement et la hausse de leur niveau.

Il est impératif d’intégrer ces enjeux non seulement dans les politiques maritimes et littorales mais aussi dans la programmation pluriannuelle de l’énergie et nos plans d’adaptation au changement climatique. Je salue à cet égard l’investissement de Sophie Panonacle sur ces sujets.

Nous sollicitons vos recommandations prioritaires afin d’éclairer notre dialogue avec le gouvernement sur les positions françaises dans les négociations. Quels sont, selon vous, les points les plus cruciaux en vue de la déclaration politique de Nice ? La gouvernance mondiale de l’océan, la protection des aires marines protégées (AMP), la pêche durable et l’exploitation minière des fonds marins sont autant de sujets sensibles qui méritent notre attention.

Mme Eléonore Caroit, co-présidente. Je suis honorée de coprésider cette table ronde conjointe entre la commission des affaires étrangères et la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Cette collaboration souligne l’importance de la dimension internationale des enjeux écologiques et de développement durable.

À l’approche de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan à Nice, je tiens à rappeler mon engagement personnel sur la ratification du traité international sur la haute mer (BBNJ). Ce traité, signé par plus de cent pays en septembre 2023, nécessite soixante ratifications pour entrer en vigueur. J’appelle chacun d’entre vous à mobiliser vos collègues parlementaires pour accélérer ce processus crucial.

L’UNOC 3, prévue du 6 au 13 juin et co-organisée par la France et le Costa Rica réunira plus d’une centaine de chefs d’État et de gouvernement ainsi que près de trente mille participants. Notre objectif est d’en faire un moment décisif pour la conservation et l’utilisation durable de l’océan, comparable à l’impact qu’a eu la conférence de Paris sur le climat il y a dix ans.

Cette conférence devrait aboutir à l’adoption du plan d’action de Nice pour l’océan, comprenant une déclaration politique des États et des engagements volontaires de tous les acteurs. Notre rôle de parlementaires est crucial pour transformer ces intentions en actions concrètes.

Le traité BBNJ que l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité il y a un an prévoit des mesures essentielles telles que l’obligation d’études d’impact environnemental pour toute activité en haute mer, la création d’aires marines protégées reconnues internationalement, l’instauration d’un système d’accès aux ressources génétiques marines et le transfert de technologies marines vers les pays en développement.

Je vous invite tous, en particulier les collègues de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à vous joindre à nous le 8 juin à 9 heures au Centre universitaire méditerranéen (CUM) pour lancer une coalition de parlementaires engagés pour l’océan. Plus nous serons nombreux, plus notre impact sera significatif.

Au-delà de l’ambition concernant l’entrée en vigueur du traité BBNJ, je souhaite aborder les perspectives positives que nous pouvons envisager pour l’UNOC 3. Il est crucial de se projeter et d’identifier les avancées potentielles. J’aimerais donc connaître vos attentes, Mme Autissier et M. Claudet, concernant cette conférence et votre perception des préparatifs en cours à un mois de l’événement.

Pensez-vous que cette conférence permettra de relancer les négociations, mises à mal à Busan en décembre dernier, pour l’approbation d’un traité international contre la pollution plastique ? Je tiens à saluer l’engagement de nos collègues députés sur ce sujet. Par ailleurs, estimez-vous qu’elle renforcera le moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins ? Je rappelle à cet égard la décision courageuse du président de la République de se prononcer pour une interdiction totale de l’exploitation minière des fonds marins, initiative suivie par trente-deux pays en faveur de cette pause de précaution. Pensez-vous que ce sujet pourrait progresser ?

Avant de vous céder la parole, je tiens à excuser les collègues absents aujourd’hui. Cet horaire inhabituel et les multiples engagements simultanés expliquent certaines absences. Il est important de le souligner car on reproche parfois l’absentéisme des députés. Malheureusement, ils ne possèdent pas encore le don d’ubiquité. Soyez néanmoins assurés de l’intérêt réel de nos deux commissions pour ce sujet.

Mme Isabelle Autissier, présidente d’honneur du WWF-France. Permettez-moi tout d’abord de vous exposer la philosophie du WWF concernant l’océan. Nous considérons que c’est une ressource limitée et qui n’est pas inépuisable. L’exemple de la morue de Terre-Neuve est éloquent à cet égard. Jadis si abondante qu’on disait naviguer sur les poissons, cette ressource a été définitivement épuisée dans les années 1980, mettant fin à une activité qui avait longtemps fait prospérer les communautés de pêcheurs et les populations littorales.

Au WWF, nous sommes sensibles non seulement aux questions purement environnementales mais aussi à la relation entre l’homme et la nature. Notre objectif est de promouvoir une coexistence harmonieuse dans l’intérêt même de l’humanité. Concernant plus spécifiquement l’océan, il est crucial de comprendre que nous ne produisons pas de poissons mais que nous prélevons une ressource naturelle gratuite. Paradoxalement, nos schémas de pensée économiques n’accordent aucune valeur aux écosystèmes marins tels que les prairies sous-marines, les mangroves ou les coraux.

Le WWF a réalisé une estimation intéressante il y a quelques années. En additionnant toutes les ressources que l’humanité tire de l’océan en termes financiers – pêche, loisirs marins, transport maritime, absorption du CO2 –, nous avons constaté que l’océan représenterait la sixième puissance économique mondiale. Bien que ce calcul puisse sembler abstrait, il illustre son importance économique considérable, sans même mentionner son rôle vital pour notre survie. Rappelons qu’une respiration sur deux que nous prenons dans cette salle provient de l’océan et que le pouvoir d’absorption des gaz à effet de serre de ce dernier est environ six fois supérieur à celui des forêts.

L’océan joue également un rôle crucial dans la nutrition d’une grande partie de l’humanité, un milliard et demi de personnes environ tirant leurs protéines des ressources marines. Cette relation étroite avec la nature est au cœur de notre engagement dans les grandes conférences internationales.

Nous plaçons beaucoup d’espoir dans cette troisième édition de l’UNOC. Je ne vous cacherai pas notre déception face au texte relativement faible issu de la deuxième édition. Nous espérons que le texte de cette nouvelle édition, porté notamment par les parlementaires français, sera nettement plus ambitieux.

Plusieurs points nous semblent cruciaux, et tout d’abord la mise en œuvre des grands traités existants. Concernant le traité BBNJ, seuls quatre pays européens l’ont ratifié à ce jour. Il serait souhaitable que vous convainquiez vos homologues parlementaires, en commençant par les pays européens, de l’importance de cette ratification.

Un deuxième traité important, pour lequel nous sommes plus proches de l’objectif, concerne l’arrêt des subventions accordées aux pêches dommageables, négocié à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). D’après mes informations, nous en sommes à quatre-vingt-quatorze ratifications sur les cent-onze nécessaires. L’application de ce traité sera cruciale. Il est en effet inconcevable de continuer à allouer des fonds publics à des activités qui nuisent aux pêcheurs, au public, aux consommateurs et aux États.

Enfin, vous avez évoqué le troisième grand traité qui nous préoccupe : le moratoire sur l’exploitation des grands fonds. Il y a une dizaine de jours, Donald Trump nous a profondément choqués en annonçant son intention d’autoriser le forage non seulement dans la zone économique exclusive américaine mais également dans l’ensemble des océans, faisant fi de toute contrainte. Cette déclaration du président américain a suscité l’indignation, y compris de la part de la Chine, pourtant peu scrupuleuse concernant l’exploitation des fonds marins. En effet, elle remet en cause la légitimité de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Il est donc crucial de renforcer la légitimité et la transparence des travaux de cette autorité pour consolider la coalition que vous avez mentionnée.

Concernant le traité sur le plastique, le WWF œuvre depuis 2016-2017 pour la création d’une commission de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur ces questions et l’élaboration d’un tel traité. Malgré un contexte actuel difficile, marqué par un certain repli, ce texte demeure indispensable. Le WWF a démontré que nous ingérons l’équivalent d’une carte de crédit par semaine, soit cinq grammes de plastique, que nous absorbons par l’alimentation, la respiration et le contact cutané. Compte tenu de la nocivité avérée du plastique, il est impensable de poursuivre dans cette voie, d’autant plus que l’océan est saturé de plastique dans toutes ses dimensions.

J’ai eu l’occasion de naviguer dans les mers d’Extrême-Nord et d’Extrême-Sud. Le spectacle est désolant : même à des milliers de kilomètres de toute ville, les plages sont jonchées de déchets plastiques transportés par les courants marins. Il est évident qu’aucune zone maritime n’échappe à cette pollution plastique. En parallèle de ces accords internationaux, nous, ONG, nous efforçons de promouvoir ces accords dans différents pays. Nous avons réfléchi à des engagements concrets, particulièrement pertinents pour la Méditerranée, étant donné que nous allons débattre à Nice. Il est primordial pour nous de proposer des solutions tangibles et d’en démontrer l’efficacité.

Permettez-moi de vous présenter quelques exemples. L’un d’entre eux est particulièrement emblématique. Depuis une dizaine d’années, nous collaborons avec les pêcheurs de crevettes de Guyane pour concevoir une « sortie de secours » dans leurs chaluts, destinée aux raies, aux requins et aux tortues marines. Ce dispositif consiste en un grillage métallique placé à l’entrée du chalut, permettant aux gros animaux de s’échapper tout en laissant passer les petites crevettes. Cette innovation est bénéfique pour tous : elle préserve la biodiversité en épargnant les grands animaux, souvent inscrits sur les listes rouges de l’Union internationale pour la protection de la nature (UICN), tout en facilitant le travail des pêcheurs qui n’ont plus à gérer les prises accidentelles de requins ou de tortues.

Nous plaidons auprès de l’Union européenne (UE) pour qu’elle fasse de ce dispositif une condition sine qua non à l’importation de crevettes pêchées au chalut sur le marché européen. Les États-Unis appliquent cette mesure depuis longtemps avec succès. L’adoption de cette pratique par l’UE permettrait non seulement de rétablir une certaine équité avec les pêcheurs guyanais qui font déjà ces efforts mais aussi de protéger ces animaux marins à l’échelle mondiale. Le président de la République a évoqué ce sujet, et nous espérons des avancées significatives au niveau de l’UE.

Un deuxième enjeu, particulièrement pertinent pour la Méditerranée mais ayant des répercussions mondiales, concerne la protection des herbiers sous-marins. Les herbiers de posidonies, plantes à fleurs marines rares, jouent un rôle crucial en tant que source de nourriture et de refuge pour de nombreuses espèces. Un quart environ de la biodiversité marine méditerranéenne dépend de ces herbiers. Malheureusement, ils sont gravement menacés par diverses pollutions, le chalutage et l’ancrage des navires. Lors de la réunion de Nice, nous allons promouvoir une coalition des pays du Nord de la Méditerranée pour interdire le mouillage dans les zones d’herbiers, au minimum pour les bateaux de plus de 24 mètres, dont les longues chaînes d’ancre arrachent systématiquement ces posidonies.

Par ailleurs, nous avons identifié environ 50 millions d’euros de fonds européens non utilisés que nous souhaiterions voir alloués à la protection, au développement et à la restauration de ces herbiers de posidonies. Il serait regrettable que ces fonds restent inutilisés, alors qu’ils pourraient contribuer à la restauration de nos écosystèmes.

Enfin, abordons un troisième sujet d’envergure mondiale : la protection des requins et des raies, qui constituent actuellement le groupe marin le plus menacé, avec 37 % des espèces en voie d’extinction. Nous allons tenter de former des coalitions de pays pour élaborer des réglementations adaptées selon les régions, qu’il s’agisse de restrictions spatio-temporelles, de régulations des engins de pêche ou de diverses incitations. Un accent particulier sera mis sur la Méditerranée, où nous visons à obtenir un moratoire sur le débarquement du requin à peau bleue, une espèce en danger critique d’extinction dans cette zone.

Les mesures de protection des requins à peau bleue ne se limitent pas à des approches coercitives. Nous pouvons envisager des dispositifs incitatifs, notamment pour les pêcheries de thonidés à la palangre qui capturent accidentellement ces requins. Par exemple, nous pourrions accorder des quotas supplémentaires aux navires qui adoptent des pratiques visant à éviter la capture de ces espèces.

La pollution plastique en Méditerranée est particulièrement alarmante. Cette mer, qui ne représente que 1 % de la surface marine mondiale, concentre en effet 7 % des déchets plastiques océaniques, ce qui en fait la plus polluée au monde dans ce domaine. Il est donc urgent de mettre en place des coalitions entre les pays riverains pour réduire drastiquement l’utilisation et la production de plastiques à usage unique ainsi que de microbilles plastiques présentes dans de nombreux produits, des lessives aux crèmes solaires. Il est également crucial d’interdire l’incorporation de phtalates dans ces plastiques, dont la dangerosité pour la santé humaine est désormais avérée. Parallèlement, nous devons accélérer la collecte et le recyclage des déchets plastiques. Bien que le contexte international actuel soit complexe, nous pourrions nous appuyer sur la convention de Barcelone pour faire émerger une protection efficace au niveau méditerranéen.

Concernant les aires marines protégées, le WWF préconise une interdiction totale de la pêche dans les zones centrales des parcs et une interdiction des pratiques de pêche destructrices dans le reste des aires protégées. Il est crucial de présenter ces aires non comme des contraintes mais comme des opportunités. Notre expérience de terrain démontre que lorsqu’une aire marine est véritablement protégée, on observe une explosion de la biodiversité qui bénéficie également aux pêcheurs des zones adjacentes. Nous avons constaté une augmentation des rendements de pêche allant jusqu’à 250 % après quelques années de protection effective. Pour faciliter l’acceptation de ces mesures, nous suggérons de réserver l’accès aux ressources dans la zone périphérique des aires fortement protégées aux pêcheurs professionnels, leur garantissant ainsi un retour sur investissement plus rapide pour leur engagement dans la préservation de ces espaces.

En conclusion, notre vision est qu’il est essentiel de se concentrer sur des projets concrets et réalisables pour démontrer l’efficacité de ces approches. Lorsqu’elles sont correctement mises en œuvre, ces mesures de protection marine produisent des résultats tangibles et bénéfiques pour tous les acteurs concernés.

M. Joachim Claudet, directeur de recherche au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement. Tout d’abord, il convient de souligner que l’UNOC 3 n’est pas une conférence des parties (COP). Elle ne donnera donc pas lieu à un traité contraignant comme ce fut le cas pour la COP 21 sur le climat. Néanmoins, elle revêt une importance capitale car elle s’inscrit dans le cadre de l’objectif de développement durable n° 14 (ODD  14) relatif à l’océan.

Ce dernier joue un rôle crucial à de multiples égards. Il constitue une source majeure de nourriture, tant par la pêche, dernière activité d’exploitation d’animaux sauvages à l’échelle industrielle, que par l’aquaculture, qui est en pleine expansion. Il génère de nombreux emplois, directement et indirectement liés aux activités maritimes. L’océan est également un moteur économique important, notamment dans le secteur du tourisme. De plus, certains écosystèmes marins, comme les mangroves et les récifs coralliens, protègent naturellement les côtes contre l’érosion et les phénomènes météorologiques extrêmes, dont l’intensité s’accroît avec le changement climatique.

L’océan joue aussi un rôle primordial dans la régulation du climat à l’échelle planétaire. Il absorbe une grande partie de l’excédent de chaleur et de carbone produits par les activités humaines, contribuant ainsi à atténuer les effets du changement climatique.

Or tous ces bénéfices dépendent directement de la santé des écosystèmes marins et de leur biodiversité. Un océan en bonne santé, caractérisé par des processus écologiques fonctionnels, est indispensable au maintien de ces services. Malheureusement, l’érosion actuelle de la biodiversité marine menace l’ensemble de ces bénéfices.

L’économie bleue, qui englobe tous les secteurs économiques liés à l’océan, connaît une croissance exponentielle. Il est impératif de veiller à ce que ce développement soit durable et respectueux des écosystèmes marins. Contrairement à ce que son nom pourrait suggérer, l’économie bleue n’est pas nécessairement synonyme de durabilité, à l’instar de l’économie verte. Elle peut inclure des activités liées aux énergies fossiles, par exemple. Il est donc primordial d’orienter cette croissance vers des pratiques véritablement durables pour préserver les ressources océaniques sur le long terme.

Même dans une perspective purement utilitariste, la biodiversité s’avère indispensable au soutien de la nature. La conférence des Nations unies vise à dresser un bilan de l’avancement de l’ODD 14. En parallèle, le CNRS et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) co-organisent une conférence scientifique internationale pour évaluer l’état des connaissances actuelles. Sans dévoiler l’intégralité des conclusions, il apparaît d’ores et déjà que nous sommes loin d’atteindre les objectifs fixés par l’ODD 14.

En tant que scientifiques spécialisés dans les problématiques de durabilité, nous n’anticipons pas de nouvelles résolutions significatives, telles que la création d’aires marines protégées supplémentaires qui, en réalité, ne protègent pas efficacement. Notre attente principale est la reconnaissance collective de la situation actuelle, établissant ainsi une base commune de réflexion. L’enjeu majeur réside dans la mise en œuvre effective des engagements déjà pris par les pays car force est de constater que nous en sommes encore loin.

Pour illustrer cette situation, prenons l’exemple de l’ODD 14, qui stipule clairement la nécessité de mettre fin aux subventions néfastes à l’environnement, notamment celles accordées à la pêche, et d’améliorer la régulation de cette activité. Actuellement, plus de la moitié des opérations de pêche en haute mer ne seraient pas rentables sans ces subventions. Leur simple suppression suffirait à éliminer une grande partie de la pêche en haute mer, qui ne contribue pas à la sécurité alimentaire mondiale mais concerne principalement la capture de thons et autres grands pélagiques destinés à la consommation dans les pays les plus riches.

Concernant les aires marines protégées, nous n’atteignons actuellement que 8 % de couverture mondiale, alors que l’objectif initial de l’ODD 14 était de 10 %, récemment porté à 30 % par la convention sur la diversité biologique. Ces objectifs découlent de preuves scientifiques démontrant l’efficacité des aires marines protégées pour préserver la biodiversité, soutenir la pêche, réguler le climat et protéger les côtes. Cependant, la réalité est bien différente des recommandations scientifiques initiales. Sur les 8 % d’aires marines protégées existantes, un tiers n’existe que sur le papier, un quart n’est pas compatible avec les objectifs de conservation de la biodiversité et seule une infime partie bénéficie d’une protection intégrale efficace.

La France, en tant que deuxième territoire maritime mondial, se doit d’être exemplaire. Pourtant, malgré des déclarations ambitieuses – 60% de la Méditerranée française et 40 % de la façade Atlantique-Manche-mer du Nord sous protection –, la réalité est bien moins reluisante. Seuls 0,1 % en Méditerranée et 0,01 % sur la façade atlantique bénéficient de réglementations véritablement contraignantes et efficaces pour la biodiversité.

Il est crucial de mettre en œuvre des mesures concrètes plutôt que de multiplier les annonces. Les scientifiques recommandent depuis longtemps une protection intégrale de 10 % des zones marines, sans exploitation ni extraction de ressources. Cette approche a démontré son efficacité, générant des bénéfices au-delà des zones protégées grâce à un effet de débordement ou spillover.

Le principal obstacle à ces enjeux réside dans une vision à court terme. Bien que certains acteurs puissent être impactés initialement par la mise en place de zones protégées, les bénéfices à moyen et long termes sont universels. Des solutions existent pour atténuer ces impacts, comme la création de zones tampon favorisant la pêche locale durable ou la mise en place de mécanismes de compensation similaires à ceux utilisés pour les projets éoliens.

En conclusion, la communauté scientifique s’inquiète de voir les conférences se succéder sans actions concrètes. La science n’est plus le facteur limitant pour agir en faveur de la durabilité. Bien que de nombreux aspects de l’océan restent à découvrir, notamment concernant le rôle de la biodiversité des grands fonds dans la régulation du climat, les solutions pour atteindre les objectifs de l’ODD 14 sont connues. Le véritable défi réside désormais dans leur mise en œuvre effective par les États.

Mme la présidente Sandrine Le Feur. Je vous remercie. Les orateurs des groupes politiques vont à présent intervenir et vous interroger successivement.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Votre engagement en faveur de la protection de l’océan, de la science et de la coopération internationale est d’autant plus précieux dans le contexte international actuel. Nous faisons face à l’émergence d’un courant que l’on pourrait qualifier de « carbo-fascisme », en réaction à l’échec du néolibéralisme face au changement climatique. Ce courant prône une destruction délibérée des milieux naturels au profit d’une accumulation toujours plus grande de richesses. La volonté de Donald Trump d’outrepasser les autorités internationales pour exploiter les grands fonds marins en est une illustration frappante.

L’océan subit de plein fouet les conséquences de nos actions : acidification due aux émissions de CO2, perturbations encore mal mesurées et pollutions diverses. Ces problèmes sont similaires à ceux que connaissent d’autres écosystèmes essentiels à la vie humaine, tous soumis à une pression excessive par les logiques court-termistes de la production capitaliste.

La protection de l’océan est donc cruciale. La France doit, au sein de l’AIFM, examiner les sanctions possibles si les États-Unis mettaient en œuvre leur décision préjudiciable. L’UNOC offre l’opportunité de porter collectivement une voix forte pour la protection des grands fonds marins.

Concernant la ratification de l’accord BBNJ, quelles sont vos attentes, au-delà de la ratification elle-même ? Quels sont vos espoirs et vos recommandations pour que ces dispositions juridiques se traduisent en politiques concrètes de protection de l’océan, notamment en ce qui concerne la création et l’efficacité des aires marines protégées ?

La science joue un rôle crucial dans ce domaine. Le projet de panel international pour la durabilité de l’océan (IPOS), porté par Françoise Gaill, s’articule utilement avec la proposition, votée à l’unanimité par notre Assemblée le 2 avril dernier, invitant le gouvernement à s’engager pour la création en France d’un institut sur l’océan de l’Université des Nations unies. Ces deux initiatives nourrissent l’espoir de voir la France s’ouvrir concrètement à la défense de la coopération scientifique internationale pour l’océan. Nous souhaitons donc que le gouvernement s’engage en ce sens devant le monde lors du sommet de Nice.

Mme Isabelle Autissier. À propos du BBNJ, la question cruciale sera la mise en œuvre concrète des mesures de protection. Les grands espaces océaniques, bien que différents des espaces côtiers, sont tout aussi essentiels pour la biodiversité et le fonctionnement climatique global. Nous commençons à identifier les zones potentiellement intéressantes à protéger. Le défi réside dans la création effective de ces espaces protégés, leur gouvernance et leur respect.

Pour avancer sur ces questions, il faudra attendre qu’un nombre suffisant de pays aient ratifié l’accord. Nous pouvons nous appuyer sur de nombreux pays fortement liés à la mer, que ce soit par l’étendue de leurs côtes, leur dépendance à la pêche ou leur vulnérabilité face à la montée du niveau marin. En tissant des accords de coalition avec ces pays, nous pourrions contrebalancer l’influence de quelques grands États qui semblent vouloir dominer ces débats.

M. Joachim Claudet. La plus grande menace pour la haute mer, et l’océan en général, est la fragmentation de sa gouvernance. Chaque aspect est géré par une organisation différente : le trafic maritime par l’Organisation maritime internationale (OMI), les grands fonds marins par l’AIFM, les ressources génétiques bientôt par le BBNJ, la pêche par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et les organisations régionales de gestion des pêches (ORGP). Cette liste est loin d’être exhaustive.

Nous espérons que le BBNJ incitera les États à mettre fin à cette schizophrénie institutionnelle. Bien que la gouvernance soit fragmentée, ce sont les mêmes États qui négocient dans ces différentes arènes. Il est crucial que les décisions prises dans un forum ne contredisent pas celles prises dans un autre. Par exemple, lorsqu’une aire marine protégée est créée dans le cadre du BBNJ, il faut éviter qu’une ORGP refuse ensuite de réglementer la pêche dans cette zone.

Cette cohérence est primordiale pour assurer l’efficacité des mesures de protection. Il serait souhaitable que les pays s’engagent à ne pas reproduire en haute mer les erreurs commises dans les eaux sous juridiction nationale, où l’on a parfois privilégié une politique du chiffre au détriment de la qualité de la protection.

La première aire marine protégée en haute mer sera cruciale. Si elle n’offre qu’une protection de façade, elle risque de créer un précédent néfaste. Il est donc préférable de prendre le temps nécessaire pour établir des aires marines protégées qui réglementent effectivement les activités impactant la biodiversité, plutôt que de se précipiter pour atteindre des objectifs chiffrés sans réelle efficacité.

Mme Eléonore Caroit, co-présidente. L’initiative de créer une coalition de parlementaires pour la mer, qui se penchera notamment sur la question des aires marines protégées, vise à impliquer directement les décideurs étatiques dans la résolution de cette gouvernance fragmentée. J’encourage vivement les parlementaires présents à rejoindre cette coalition afin de la dynamiser et d’influencer concrètement les politiques nationales.

Vous avez raison de souligner que cette fragmentation nuit à l’efficacité de la gouvernance. La multiplicité des enjeux et des acteurs complique la situation, particulièrement pour certains pays où le sujet est sensible. L’avantage du traité BBNJ, si je puis me permettre de compléter vos propos, réside dans le fait qu’il concerne les zones les moins régulées actuellement, véritables espaces de non-droit. Cela nous offre l’opportunité d’être exemplaires en instaurant des mécanismes véritablement efficaces. Je suis convaincue de l’importance de la ratification de ce traité et de son potentiel impact. Bien qu’il ne concerne pas les zones sous juridiction nationale, limitées aux 200 milles nautiques, ses répercussions pourraient être considérables.

Mme Alexandra Masson (RN). Notre débat intervient à quatre semaines de l’ouverture de la troisième conférence mondiale des Nations unies sur l’océan, qui se tiendra à Nice du 9 au 13 juin. Nous avons collectivement la responsabilité de faire en sorte que cette conférence ne soit pas un simple exercice diplomatique mais un acte politique fondateur. L’océan représente à la fois notre avenir écologique, notre force stratégique, l’exercice de notre souveraineté et notre mémoire civilisationnelle. Bien qu’il soit menacé, surexploité, pollué et acidifié, il est paradoxalement de plus en plus convoité par des puissances qui voient dans ses grands fonds une réserve de richesses considérable.

La France n’est pas un pays comme les autres mais la deuxième puissance maritime mondiale grâce à ses territoires ultramarins, ses chercheurs et sa tradition intellectuelle et politique profondément tournée vers la mer. Il est temps de se mobiliser. L’océan n’est pas la périphérie de notre nation : il en est le centre trop souvent invisible. C’est pourquoi je plaide pour que le 9 juin soit le point de départ d’un agenda de Nice pour l’océan, un agenda français, européen et international mais, surtout, cohérent avec nos intérêts, nos valeurs, notre économie et notre géographie.

Cet agenda doit, selon nous, reposer sur trois piliers. Tout d’abord la sécurité environnementale : cela implique de renforcer la lutte contre la pollution plastique, d’accélérer la décarbonation du transport maritime et de protéger les écosystèmes côtiers et marins, avec une attention particulière aux zones économiques exclusives ultramarines. Ensuite la justice maritime : l’écologie ne doit pas être imposée d’en haut mais s’ancrer dans les réalités vécues par les pêcheurs, les artisans de la mer et les populations insulaires. Nos outre-mer ne doivent pas être des variables d’ajustement mais des partenaires à part entière. Enfin, la souveraineté économique : l’économie bleue doit être une force de relocalisation, d’innovation et de souveraineté. La France a tous les atouts pour créer un modèle de développement maritime fondé sur l’excellence scientifique et les savoir-faire traditionnels.

L’écologie, pour être durable, doit être une écologie politique, capable de faire le lien entre la protection des milieux, la protection des peuples et la sauvegarde des patrimoines culturels. Ce lien, c’est notre souveraineté. À Nice, nous devons envoyer un message clair : la France doit être leader et reprendre en main son destin maritime et son rôle de protecteur des océans. Son rôle dans l’application du traité BBNJ sera fondamental. J’espère que, d’ici là, nous obtiendrons le maximum de ratifications pour que ce traité puisse entrer en vigueur concomitamment à la conférence de Nice. C’est cette voix que, j’espère, nous porterons tous, chers collègues, et que je porterai pour ma part dans la continuité de mes engagements pour le maritime.

Mme Isabelle Autissier. Tout d’abord, la collaboration avec les pêcheurs et les populations locales est primordiale. Nous ne parviendrons à protéger la biodiversité nulle part si les acteurs de terrain n’y trouvent pas leur intérêt et leur motivation. Ces populations ont souvent un profond respect pour la mer et ses habitants. C’est un travail qui doit se faire main dans la main. Nous nous efforçons de le faire autant que possible. Par exemple, nous invitons des pêcheurs de Guyane à l’UNOC pour qu’ils nous aident à porter les éléments que je vous ai présentés. Le dialogue est absolument essentiel, même s’il n’est pas toujours aisé et que les désaccords existent. Nous avons beaucoup à apprendre des communautés locales et des communautés de pêche qui sont sur le terrain depuis longtemps. Il ne faut pas s’en priver.

Ensuite, concernant le statut de la France comme deuxième nation maritime du monde, il est vrai que nous avons tendance à nous en enorgueillir. Nous disposons de chercheurs remarquables, respectés dans le monde entier, d’une marine nationale exceptionnelle et d’entreprises maritimes performantes. Cependant, nous peinons à développer une vision d’ensemble, comme cela a été souligné à propos du BBNJ. Au WWF, nous avons réalisé cet exercice en Méditerranée occidentale en superposant toutes les zones d’activité sur une carte : zones de pêche, réserves, forages, éoliennes, tourisme, etc. Le résultat est inextricable, illisible. Évidemment, tous ces acteurs se croisent sur des territoires maritimes avec des objectifs et des méthodes souvent antagonistes. Il deviendra inévitable d’avoir une réflexion globale pour déterminer nos priorités. Devons-nous développer une approche spatio-temporelle ? Quelles activités méritent notre attention première ? Sans cela, la gestion de ces espaces restera extrêmement complexe.

M. Joachim Claudet. J’anime un groupe de travail international nommé Blue Justice, qui se concentre sur l’équité sociale et qui a développé un indice d’équité océanique. Revenons sur la thématique des aires marines protégées, souvent présentées comme l’unique outil de conservation de la biodiversité. Il est crucial de rappeler que la France s’est engagée, dans le cadre de la convention pour la diversité biologique, à gérer durablement 100 % de l’océan. Les aires marines protégées visent spécifiquement la conservation de la biodiversité sur 30 % de l’océan, tandis que les 70 % restants doivent être gérés de manière durable.

La justice sociale, dans ce contexte, soulève des questions importantes. En France métropolitaine, par exemple, les seules aires marines protégées véritablement efficaces, avec une interdiction de pêche bénéficiant aux zones extérieures, ont été mises en place en collaboration avec la petite pêche côtière. Ces pêcheurs artisanaux sont les premiers fournisseurs de solutions et les plus impactés par l’industrialisation de la pêche et les pratiques destructrices. Paradoxalement, ce sont les pratiques industrielles qui devraient être davantage réglementées mais elles ne sont que peu affectées par les aires marines protégées existantes, situées principalement au-delà de la bande côtière et souvent dépourvues de réglementation efficace.

La justice sociale implique également une répartition équitable des contraintes entre les acteurs. Actuellement, la pêche industrielle n’est soumise à quasiment aucune contrainte significative. Il est essentiel de reconnaître la diversité des pêches et de comprendre que la conservation de la biodiversité est au service des pêcheurs. Sans conservation, l’exploitation future des ressources marines sera compromise.

Par ailleurs, la littérature scientifique démontre clairement les bénéfices de la concertation dans la gestion des aires marines protégées. Les études révèlent que l’efficacité de ces aires est significativement améliorée lorsqu’il y a une implication forte des parties prenantes, en plus d’autres facteurs essentiels tels que des niveaux élevés de protection et une réglementation adéquate.

Cependant, je constate qu’en France, notre approche de la concertation tend à favoriser le statu quo. Le processus, souvent long, avantage les acteurs les plus importants, généralement les grands industriels, qui disposent des ressources nécessaires pour s’impliquer pleinement. Il en résulte fréquemment un maintien de la situation existante. Nous devons améliorer notre capacité à forger un véritable consensus.

Il est impératif d’établir dès le départ une ligne directrice claire : si nous parlons d’une aire marine protégée, l’objectif principal doit être la conservation de la biodiversité. Les décisions prises doivent soutenir cet objectif. Si ce n’est pas l’intention, il faut alors envisager d’autres outils de gestion durable des ressources. Le rôle du politique est crucial pour affirmer cette orientation dès le début du processus.

Mme la présidente Sandrine Le Feur. Notre commission a effectivement eu l’opportunité d’auditionner divers acteurs de la pêche, notamment la pêche côtière en baie d’Audierne, qui ont soulevé ces problématiques.

Mme Sophie Panonacle (EPR). Je tiens à exprimer, au nom du groupe Ensemble pour la République, ma sincère gratitude pour cette audition sur la troisième conférence des Nations unies sur l’océan. Il est en effet crucial d’entendre les scientifiques et les experts au sein de nos commissions, particulièrement en ces temps où la science est parfois remise en question. C’est pourquoi je soutiens pleinement l’initiative Choose Europe for Science et la proposition de loi visant à créer un statut de réfugié politique pour les scientifiques. Je remercie également les cent parlementaires qui ont signé l’appel de Nice intitulé « La science au secours de l’océan ».

Avant d’envisager des solutions, il est essentiel de dresser un constat : l’océan va mal et nous en connaissons les raisons. Réchauffement, acidification, surexploitation et pollution sont autant de menaces dont l’homme est responsable. L’océan, cet espace à la fois infiniment grand et petit, n’appartient à personne en particulier mais à tous. C’est là que réside le défi : faire prendre conscience à chacun de l’importance de la santé de nos océans et mers.

L’océan joue un rôle crucial dans l’équilibre de la vie sur Terre. Il régule le climat, absorbe le carbone, produit l’oxygène et transporte la chaleur des tropiques vers les régions tempérées. Il abrite une biodiversité immense, dont une grande partie reste à découvrir. C’est à la fois une surface, un volume et un fond, reliant et séparant les continents. Il est le berceau de la vie, un espace d’échanges et de conflits, un territoire de savoirs et d’imaginaires. Aujourd’hui, il est aussi le théâtre d’inégalités et le révélateur de crises écologiques majeures.

Dans ce contexte, la troisième conférence des Nations unies sur l’océan revêt une importance capitale. Initiée par la France et le Costa Rica, cette conférence offre une opportunité unique de mobiliser les attentions et les connaissances autour des enjeux maritimes. L’UNOC 3 porte de nombreux espoirs, notamment l’entrée en vigueur du traité sur la protection de la haute mer, la création de nouvelles aires marines protégées, un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds, un traité contre la pollution plastique et la lutte contre la pêche illicite. L’événement comprendra également des rendez-vous importants sur la finance bleue et les villes côtières, ainsi que le One Ocean Science Congress (OOSC), organisé par l’Ifremer et le CNRS, qui réunira deux mille scientifiques. Ce congrès devrait envoyer un message fort : sauver l’océan nécessite un élan universel fondé sur la connaissance.

J’espère que l’UNOC 3 à Nice marquera l’avènement d’une nouvelle ère où l’océan deviendra le lien indéfectible entre tous les habitants de notre planète. Pouvez-vous nous donner dès maintenant au moins une raison d’espérer pour l’avenir de nos océans ?

Mme Isabelle Autissier. L’espoir réside dans notre présence et notre détermination à agir. L’océan mobilise de nombreuses personnes, ce qui est encourageant. Un point crucial concernant l’océan est l’invisibilité de sa destruction. Si nous pouvions observer directement les dégâts causés par le chalutage des fonds marins, nous y mettrions immédiatement un terme. De même, si le réchauffement d’un degré de l’océan se traduisait par un changement de couleur visible, cela provoquerait une prise de conscience immédiate. L’absence de visibilité du déclin des populations marines est un obstacle majeur à la sensibilisation. Il est impératif de rendre ces phénomènes plus tangibles pour susciter une véritable prise de conscience.

La situation des villes côtières est particulièrement préoccupante. Nous travaillons à la création de coalitions sur divers sujets, notamment la pollution plastique. Ces villes font face à un afflux touristique qui entraîne une augmentation de 40 à 70 % de la pollution plastique durant la période estivale. Cette situation engendre des coûts considérables pour le nettoyage des littoraux, sans parler des dommages causés à la biodiversité par certaines méthodes de nettoyage inadaptées. Il est donc crucial de développer des coalitions de villes côtières pour partager les bonnes pratiques et élaborer des stratégies efficaces.

Mme Eléonore Caroit, co-présidente. La coalition des villes côtières sera lancée à Nice. J’espère vivement qu’elle s’emparera de ces problématiques essentielles.

M. Joachim Claudet. Pour approfondir la question de la visibilité des impacts sur l’océan, je recommande le film récent de David Attenborough intitulé Océan, qui présente de nouvelles images saisissantes du chalutage de fond. Cependant, au-delà de la simple prise de conscience visuelle, il est crucial de comprendre à quel point notre bien-être et notre santé dépendent de l’océan. C’est un point fondamental que j’ai souligné dès le début de mon intervention.

En tant que scientifiques, nous nous intéressons à tous les aspects du monde, y compris à la valeur intrinsèque de la nature. Même si l’on adopte une vision purement utilitariste de la nature, caractéristique des sociétés occidentales, il est indéniable que nous avons besoin d’un océan en bonne santé pour notre propre survie. C’est cette prise de conscience qui est cruciale.

Le défi réside dans notre nature même d’êtres humains, dont le cerveau est programmé pour privilégier la survie à court terme de l’espèce. Il est difficile de s’engager dans une vision à long terme, pourtant essentielle pour la durabilité. Nous devons dépasser notre instinct de survie individuelle pour considérer la survie de l’espèce dans son ensemble.

Il importe aussi de souligner que les menaces qui pèsent sur la science ne se limitent pas aux États-Unis. En France, j’ai personnellement constaté des situations préoccupantes. Dans mon travail au sein d’instances d’interface entre science et politique, j’ai observé que les décideurs sont demandeurs d’informations scientifiques. Néanmoins, leur réception varie selon que ces informations confortent ou contredisent leurs attentes. Lorsque les données scientifiques vont à l’encontre de leurs plans, nous sommes parfois taxés de militants, ce qui est profondément problématique.

Dans le domaine des sciences de la durabilité, qui implique nécessairement une dimension politique, il est essentiel de distinguer entre la présentation de résultats scientifiques et l’engagement politique. Malheureusement, j’ai été confronté à des situations où la science était considérée comme une simple opinion parmi d’autres, notamment au sein du Conseil national de la mer et du littoral. Cette attitude est dangereuse et rappelle des discours entendus outre-Atlantique.

La science, bien qu’elle ne doive pas dicter les décisions politiques, n’est pas une simple opinion. Elle repose sur une méthode rigoureuse d’objectivation des faits. Les compromis et les choix de société sont nécessaires mais ils doivent se fonder sur une compréhension éclairée des réalités scientifiques.

M. Laurent Lhardit (SOC). La France, par l’immensité de son domaine maritime et l’étendue de son littoral, qui s’étend sur plus de 17 000 kilomètres, porte une responsabilité particulière dans la protection des mers, des océans et des littoraux.

Le littoral que je connais le mieux est celui du Sud de Marseille, englobant les calanques et s’étendant jusqu’à la base olympique récemment rebaptisée Florence Arthaud, en passant par la Corniche jusqu’au Vieux-Port. Cette zone présente une grande diversité d’enjeux, notamment en ce qui concerne les herbiers de posidonie, cruciaux pour l’écosystème marin de Marseille. Je souhaite attirer l’attention sur un défi supplémentaire auquel sont confrontés ces herbiers : l’installation de câbles sous-marins. Marseille est devenue le cinquième hub mondial pour ces infrastructures, ce qui soulève des questions importantes quant à leur impact sur l’environnement marin, bien que le dialogue avec les opérateurs soit constructif.

La protection et la conservation du littoral seront au cœur du prochain sommet de l’UNOC 3. Cet événement réunira, comme à l’accoutumée, des représentants des Nations unies, de la société civile, des ONG, des scientifiques, des entreprises, ainsi que de nombreux élus. Je tiens à rassurer la vice-présidente Caroit : je conduirai personnellement une délégation d’élus socialistes. Nous commencerons par visiter Marseille avant de nous rendre à Nice pour participer au sommet.

Nous allons échanger sur l’ensemble des problématiques rencontrées sur nos territoires en façade maritime, tant en métropole que dans les océans. Parmi les nombreux sujets que nous traiterons collectivement, je souhaite mettre en exergue la préservation effective de nos aires maritimes protégées, comme vous l’avez souligné précédemment. L’élévation du niveau de la mer, conséquence directe et incontestable du changement climatique, s’impose comme un défi majeur. Il est impératif de l’affronter avec détermination, y compris face à ceux qui persistent à le nier publiquement, non seulement de notre côté de l’océan Atlantique mais également au sein même de notre Assemblée.

Je tiens particulièrement à souligner l’enjeu crucial de la décarbonation du transport maritime. En élargissant notre perspective au-delà des côtes et des littoraux, nous constatons que la majorité écrasante de nos approvisionnements et de nos exportations transitent par les océans. Cette tendance ne fera que s’accentuer à l’avenir, avec une part croissante du commerce mondial empruntant ces voies maritimes.

Je sais que beaucoup ici partagent des réserves quant aux résultats potentiels de tels sommets. Au-delà de l’éphémère effervescence médiatique que nous connaîtrons dans un mois, comme c’est souvent le cas avec ces grandes réunions internationales, quelles sont vos attentes concrètes pour cette conférence ? Plus spécifiquement, quels engagements tangibles souhaitez-vous voir la France prendre au nom de l’Union ?

Mme Isabelle Autissier. Je partage pleinement vos inquiétudes. Le WWF participe à ces grands rassemblements, qu’ils concernent le climat, la biodiversité ou les océans, depuis leur création. Nous sommes conscients de leur fragilité intrinsèque car la plupart du temps, il n’existe pas de véritable mécanisme de responsabilisation. Des textes sont signés, des engagements sont pris, mais leur mise en œuvre effective reste aléatoire, sans réelles conséquences en cas de non-respect.

Néanmoins, l’intérêt de ces sommets réside, selon moi, dans leur capacité à braquer les projecteurs sur ces enjeux cruciaux. Il est fort probable que cette réunion n’aurait pas eu lieu aujourd’hui sans la perspective de l’événement à venir dans un mois. Ces moments offrent une opportunité unique de débattre de ces sujets, de les mettre en lumière. La présence de médias, d’élus et d’entreprises crée un contexte propice aux échanges et à la formation de coalitions. Ces alliances, initiées par des acteurs de terrain, ont souvent plus de chances d’aboutir à des résultats concrets que les textes officiels.

Notre objectif est de contribuer à l’élaboration du meilleur texte possible, intégrant un maximum d’engagements pour un avenir prometteur. Cependant, nous restons lucides quant à l’impact réel de ces déclarations. C’est pourquoi nous avons choisi de nous concentrer sur des objectifs précis, comme je l’ai mentionné en introduction. Nous sommes convaincus qu’il est possible, sur des sujets spécifiques, de passer à l’action concrète et de démontrer l’efficacité de ces mesures une fois mises en œuvre. Cette approche pragmatique constitue, à nos yeux, un choix stratégique essentiel.

M. Joachim Claudet. Nous appelons à une mise en œuvre effective des engagements existants, largement inspirés et guidés par les données scientifiques disponibles. Force est de constater que les objectifs de l’ODD 14 sont loin d’être atteints. Avant d’envisager de nouvelles mesures, il est impératif de concrétiser les promesses faites par les pays il y a plusieurs années.

Nous plaidons pour l’instauration d’un véritable processus de responsabilisation, actuellement inexistant. Il serait judicieux d’accepter la création d’organismes indépendants, intégrant des chercheurs, des élus et des usagers, chargés d’évaluer la réalisation de ces engagements. Par exemple, pour les aires marines protégées, il conviendrait d’examiner le niveau et la qualité de la protection. Concernant les subventions néfastes à l’environnement, une des cibles de l’ODD 14, une analyse approfondie s’impose.

L’objectif n’est pas d’imposer des contraintes, ce que les États refuseraient probablement, mais de disposer de chiffres fiables et consensuels. Cela permettrait d’éviter que certains chercheurs, militants ou ONG ne soient taxés de militantisme ou que des acteurs privés ne soient accusés de blue washing. Il est crucial d’établir des données chiffrées par des organismes indépendants, reconnues par tous, sans pour autant instaurer de mécanismes punitifs.

Comme l’UNOC n’est pas une COP, la force de l’événement réside dans l’émergence de coalitions. Des alliances de villes et d’élus se forment pour prendre des engagements à leur niveau. La décarbonation du transport maritime illustre parfaitement cette dynamique, avec des avancées significatives.

L’économie bleue, qui représenterait la cinquième puissance mondiale selon un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), se caractérise par une forte concentration. Les cent plus grandes entreprises concentrent 65 % des revenus totaux. Dans le transport maritime, les dix plus importantes contrôlent plus de 93 % du secteur. Pour les croisières, ce chiffre dépasse 90 % et, pour les ports, il avoisine les 80 %. Cette concentration soulève certes des questions d’équité et de redistribution, mais elle offre également un levier d’action considérable. En effet, l’engagement d’un nombre restreint d’acteurs vers des pratiques plus vertueuses pourrait avoir un impact majeur, étant donné leur contrôle sur une part importante de cette économie. Cela ouvre des perspectives prometteuses pour une transformation du secteur, notamment dans la décarbonation du transport maritime, en collaborant étroitement avec le secteur privé.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Nous n’en sommes qu’à la troisième conférence sur l’océan, alors que les discussions internationales sur la biodiversité se poursuivent depuis plus de quatre décennies. Cette prise de conscience tardive concernant les enjeux océaniques contraste avec l’ancienneté des débats sur d’autres questions environnementales.

Pourtant, l’océan est au cœur de la vie sur Terre. Son rôle essentiel pour la biodiversité et le climat n’est plus à démontrer. Je tiens à insister sur les dangers cumulés de l’exploitation humaine et des changements climatiques. Nous faisons face à une multitude de défis : hausse des températures, saturation en CO2, acidification des eaux, prolifération de zones mortes, effondrement de la biodiversité et pollution plastique. Cette liste, hélas, n’est pas exhaustive.

Le plus frustrant dans cette situation est que nous connaissons les solutions. La recherche scientifique fait preuve d’un consensus remarquable sur les mesures à prendre. Notre véritable défi réside donc dans le passage à l’action. Nous ne manquons pas de solutions mais de volonté d’agir. Vous avez cité un exemple probant : lorsque les scientifiques ont préconisé des quotas de pêche pour le thon rouge en Méditerranée, les résultats ont été au rendez-vous. Les pêcheurs, initialement réticents, reconnaissent aujourd’hui le bien-fondé de ces mesures.

L’UNOC doit précisément assumer ce rôle : renforcer les actions dans le cadre du multilatéralisme environnemental, favoriser la coopération entre les États et encourager les engagements volontaires. Je tiens également à souligner l’opportunité que représente cet événement pour la France. En tant que deuxième domaine maritime mondial, notre pays a l’occasion de s’affirmer comme un leader en matière de protection des océans. Nous pourrions ambitionner de faire de Nice l’équivalent du sommet de Paris pour les océans. Pour atteindre cet objectif, il est impératif que la France s’engage résolument et devienne un modèle en la matière. Notre exemplarité sera la clé de notre influence et de notre capacité à mobiliser la communauté internationale autour de ces enjeux cruciaux pour l’avenir de notre planète.

Or force est de constater que les aires françaises, à l’instar de nombreuses autres, sont souvent des aires de papier où aucune action concrète n’est menée. Prenons l’exemple de la Méditerranée. Certes, 6 % du bassin méditerranéen est couvert par des aires marines protégées. Cependant, lorsque l’on examine celles qui sont effectivement réglementées, ce chiffre tombe à 0,6 %, soit un centième seulement. Si l’on considère la France dans sa globalité, seulement 0,1 % de l’ensemble de ses aires marines protégées au niveau mondial correspondent à des réglementations véritablement appliquées. L’association Bloom a notamment mis en lumière que la pêche au chalut de fond est pratiquée dans des aires marines protégées, ce qui vide ce concept de son sens. Il est impératif de souligner que les réalités françaises contredisent le discours que nous portons sur la scène internationale. La première mesure à mettre en place est d’assurer l’effectivité de nos aires marines protégées.

Quelles sont, selon vous, les mesures prioritaires en termes de réglementation et de moyens de surveillance et de gestion pour ces aires marines protégées ? De plus, ne devrions-nous pas relancer la coopération en faveur du développement durable de la Méditerranée ?

Mme Isabelle Autissier. Vous avez raison. Nous connaissons les actions à entreprendre. L’élément crucial est la volonté politique, c’est-à-dire vos décisions et ce que vous inscrivez dans la loi, qui constitue un marqueur allant au-delà de la simple législation. Il s’agit d’une orientation. Dès lors que la direction de l’État français et les lois de la République française engagent les citoyens dans certaines voies, cela transcende les simples dispositions actées. Il s’agit véritablement d’une volonté globale. Cela s’applique aussi bien aux aires marines protégées qu’aux autres domaines, comme la pêche. Je m’en tiendrai à cela. Vous détenez les leviers d’action nécessaires.

M. Joachim Claudet. Concernant les aires marines protégées, voici ce que vous pouvez faire. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe en France un débat récurrent sur la définition et le décret relatifs à la notion de protection forte. Celle-ci diffère de la protection stricte européenne, que la France refuse de reconnaître au niveau européen en œuvrant d’ailleurs à ce que les autres pays adoptent la même position. Une coalition contre la protection stricte est en train de se former. Si nous souhaitons que les aires marines protégées gagnent en qualité afin de fournir les bénéfices escomptés, il conviendrait d’adhérer à la notion de protection stricte européenne.

M. Bertrand Bouyx (HOR). Les enjeux de la conférence des Nations unies sur l’océan portent sur la préservation de la biodiversité marine, objectif indiscutable et essentiel. Cependant, il est nécessaire d’intégrer le secteur de la pêche dans les grandes orientations internationales en matière de protection marine, comme vous l’avez tous deux évoqué.

Les perspectives d’interdiction totale du chalutage dans les aires marines protégées, souvent sans réelle concertation suscitent de vives inquiétudes au sein du secteur de la pêche artisanale. Ces professionnels, véritables piliers de notre souveraineté alimentaire, redoutent évidemment une distorsion de concurrence qui favoriserait des produits importés de pays non communautaires où les exigences sociales et écologiques sont souvent inexistantes ou nettement inférieures.

La pêche artisanale, que vous avez également distinguée de la pêche industrielle et qui est fondée sur des pratiques durables, est indispensable à la gestion de nos écosystèmes marins. Contrairement à certaines accusations, elle incarne un modèle respectueux de l’environnement et de la biodiversité. Nos pêcheurs, engagés depuis des années dans la mise en place de ce fonctionnement vertueux, ont prouvé leur capacité à concilier activité économique et préservation de la mer. Il est impératif de les impliquer dans ces processus. Leur participation doit s’inscrire dans une logique de dialogue et de responsabilité partagée. Ainsi, la question que pose le groupe Horizon est la suivante : comment, selon vous, concilier la nécessité de protéger nos écosystèmes marins tout en soutenant les acteurs locaux qui ont fait le choix de la durabilité depuis de nombreuses années ?

Mme Isabelle Autissier. En France, nous surconsommons le poisson. Cette surconsommation encourage inévitablement des pratiques qui, à terme, sont défavorables aux pêcheurs eux-mêmes, puisqu’elle favorise la surpêche. De plus, comme nous ne disposons pas de ressources suffisantes localement en France, elle encourage l’importation de poissons qui ne sont pas toujours produits dans des conditions environnementales et sociales acceptables, et qui peuvent parfois être sujets à certaines épidémies.

À un moment donné, il faudra mettre un terme à l’utilisation de chaluts ou de dragues dans des zones dites protégées. Ces pratiques détruisent les fonds marins, les rendant à terme moins productifs. Cependant, vous avez souligné l’importance de la concertation et je crois aussi qu’il s’agit d’une question de transition progressive. Il n’est pas envisageable de dire du jour au lendemain aux pêcheurs que c’est terminé.

La question est donc : comment pouvons-nous, petit à petit, faire évoluer les pratiques de pêche ? Comment faire en sorte que les personnes pratiquant un certain type de pêche se tournent vers d’autres méthodes, d’autres zones, ou ciblent d’autres espèces moins fragiles et moins menacées ? Comment pouvons-nous faire confiance aux marins-pêcheurs pour qu’ils trouvent des solutions techniques permettant d’adopter d’autres types de pêche ou d’autres façons d’exploiter les océans ?

Ce serait possible, par exemple, en ouvrant des quotas de pêche pour certaines catégories de pêcheurs qui accepteraient d’arrêter le chalutage dans des zones protégées pour se tourner vers d’autres pratiques. Une réflexion globale impliquant les pêcheurs est donc nécessaire mais, encore une fois, il faut tracer un chemin clair pour leur dire qu’à un moment donné, nous ne pouvons plus continuer comme avant. C’est dans leur intérêt en premier lieu. Nous devons donc véritablement construire une transition progressive.

M. Joachim Claudet. Je suis entièrement d’accord avec tout ce qui a été dit, je vais donc simplement chercher à compléter ces propos. Tout d’abord, comment concilier conservation et pêche durable ? Il faudrait déjà le mettre en pratique. Si nous créions des zones qui protègent réellement la biodiversité, nous pourrions démontrer l’efficacité de cette approche. Cependant, en France, nous parlons de confettis : 0,1 % en mer intérieure, 0,01 % dans l’Atlantique et la Manche. Nous n’avons même pas de quoi élaborer des cas d’école pour montrer que la conservation n’est pas du tout en opposition avec la pêche. Or tous les exemples à l’étranger et tous les modèles mathématiques et bioéconomiques démontrent que cela fonctionne. Il faut donc le mettre en œuvre. Le meilleur moyen de concilier ces objectifs consiste à créer de véritables aires marines protégées, dont les premiers bénéficiaires seront les pêcheurs eux-mêmes.

La France s’est tendue un piège en créant de nombreuses aires marines protégées qui ne protègent pas réellement. Aucun scientifique n’a suggéré de protéger 60 % des eaux françaises ou 40 % de l’Atlantique. Il est donc évident qu’il devient difficile de faire en sorte que toutes ces aires n’aient de protection que le nom. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature et tous les standards internationaux, le chalutage de fond est incompatible avec une aire marine protégée, quel que soit son niveau de protection. Nous nous trouvons donc maintenant dans une situation délicate.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). La France ne devrait pas se présenter systématiquement comme un modèle. En effet, au Havre, par exemple, la suppression de la décharge publique qui se déversait dans la mer est un chantier récent. Cette décision politique courageuse implique non seulement l’arrêt des déversements mais aussi l’élimination complète des déchets existants. Dans ce contexte, je m’interroge sur la manière dont la conférence de Nice pourrait aider les pays confrontés à des problématiques similaires, sachant que pendant longtemps, les mers et les océans ont été considérés comme des exutoires pour tous types de déchets, y compris industriels.

Au Havre, port important, nous constatons une évolution positive. Les grands armateurs commencent à envisager la régulation de la vitesse des navires et la décarbonation de la flotte. Cependant, la question du financement de ces transitions se pose. Comment pouvons-nous accompagner financièrement ces changements, y compris pour les pêcheurs qui pourraient être contraints de cesser temporairement leur activité ?

Je souhaite également évoquer le lycée des pêcheurs de Fécamp. Il me semble crucial d’intégrer dans leur formation les enjeux de protection des océans et les alternatives en matière de pratiques de pêche. Par exemple, pour la pêche à la coquille Saint-Jacques, qui est importante dans notre région, nous devrions réfléchir à des méthodes moins invasives pour les fonds marins.

Mme Isabelle Autissier. En Méditerranée notamment, il est vrai que de nombreux pays, y compris la France dans une certaine mesure, rencontrent des difficultés. Les moyens de gérer correctement leurs déchets font souvent défaut. Il est donc essentiel de réfléchir à des coopérations internationales permettant d’aider les différents pays à traiter leurs déchets. C’est dans notre intérêt collectif.

Quant au financement, il est important de noter que des ressources financières considérables existent. Le problème réside dans leur allocation actuelle. Les subventions néfastes pour l’environnement, notamment celles soutenant l’industrie pétrolière, représentent des centaines de milliards chaque année. Il est crucial de rediriger ces fonds vers des initiatives bénéfiques pour les sociétés humaines. Cela permettrait, par exemple, d’aider les petits pêcheurs côtiers à s’adapter aux nouvelles réglementations, à acquérir de nouveaux équipements et à se former. Il s’agit avant tout d’une question de volonté politique pour réorienter ces ressources financières de manière appropriée.

M. Joachim Claudet. Je suis entièrement d’accord concernant la réallocation des subventions. Ces milliards actuellement utilisés de manière préjudiciable à l’environnement sont à l’origine de nombreux problèmes que nous rencontrons.

Il est également crucial de concevoir l’océan en trois dimensions, contrairement à notre tendance à le planifier en deux dimensions, comme nous le faisons pour l’espace terrestre. Avec le développement croissant des fermes éoliennes offshore, qui excluent souvent les pêcheurs, nous devrions envisager une utilisation plus intégrée de ces espaces. Ces structures modifient les écosystèmes, attirant de nouvelles espèces et créant de la biomasse exploitable. Il serait judicieux d’autoriser la pêche dans ces zones et d’y développer l’aquaculture, comme cela se fait déjà au Japon.

Cependant, des obstacles persistent, notamment au niveau des assurances pour les pêcheurs. Il faudrait convaincre les assureurs de couvrir ces activités. Certaines pratiques de pêche, comme l’utilisation de filets dormants, sont tout à fait compatibles avec ces installations. L’objectif devrait être de favoriser la superposition des usages lorsque c’est possible, permettant ainsi la coexistence de l’éolien, de la pêche et de l’aquaculture au même endroit.

Mme Eléonore Caroit, co-présidente. Nous en venons à présent aux interventions et questions formulées à titre individuel.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Notre groupe considère la mer, au même titre que l’espace, comme l’une des nouvelles frontières de l’humanité. Il est impératif d’organiser nos sociétés de sorte que le développement de l’espace maritime ne reproduise pas les problématiques rencontrées sur la terre ferme. La protection de la biodiversité marine représente un enjeu vital pour la survie de l’homme et son harmonie avec la nature, comme vous l’avez justement souligné. L’organisation de rencontres multilatérales dans le cadre de l’UNOC constitue une approche positive, permettant de surmonter certains points de blocage. Bien que différente d’une COP, cette démarche est essentielle pour fédérer autour de la protection des biens communs.

Je m’interroge particulièrement sur les négociations lancées en 2022 pour l’établissement d’un traité contre la pollution plastique. Quelle est votre analyse de la situation ? Estimez-vous qu’un accord soit envisageable à court terme ? Quelles conditions et concessions seraient nécessaires pour y parvenir ? Comment la France pourrait-elle contribuer à faire évoluer la position des pays réticents ?

M. Michel Guiniot (RN). Je souhaite vous interroger sur le rôle du Costa Rica dans l’organisation de la troisième conférence des Nations unies sur les océans, découlant d’une résolution de l’ONU du 18 décembre 2023. Il nous a été précisé récemment que la participation du Costa Rica n’était ni financière ni matérielle, ces aspects étant à la charge du pays hôte. Disposez-vous d’informations complémentaires à ce sujet ?

Par ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis un avis le 11 février dernier, jugeant plutôt décevants les résultats des deux premières éditions. En tant que directeur de recherche et présidente d’ONG, quel est votre point de vue sur ces précédentes conférences ? Quels espoirs nourrissez-vous pour cette nouvelle édition en termes de mobilisation des acteurs et d’actions concrètes pour la conservation et l’utilisation durable de nos océans ?

Mme Sophie Panonacle (EPR). Je souhaite réitérer mon appel à une plus grande implication de l’Assemblée nationale sur les questions maritimes. En 2023, j’avais déposé une proposition de loi visant à instaurer un débat annuel sur la mer au sein du Parlement. Cette proposition n’a malheureusement pas été retenue par les présidents de nos groupes. Je déplore cette décision car j’estime que multiplier les discussions sur l’océan et l’économie bleue est essentiel pour progresser collectivement sur ces enjeux cruciaux.

Mme Isabelle Autissier. Concernant le traité sur les plastiques, nous devons mener une lutte acharnée car l’objectif est clair : il faut impérativement réduire notre production et notre consommation. Les solutions palliatives, telles que le filtrage des océans pour récupérer les nanoparticules de plastique, sont illusoires et inefficaces. L’augmentation continue de la production entraîne mécaniquement une présence accrue de plastiques dans l’environnement et les organismes vivants.

Nous faisons face à une forte opposition de la part des pays et des entreprises dont l’économie repose sur la production de plastique, elle-même liée à l’industrie pétrolière. C’est dans ce contexte que les coalitions prennent toute leur importance. En parvenant à rassembler un nombre suffisant de pays influents, nous pouvons espérer faire évoluer la situation. Nous envisageons également d’appliquer cette stratégie à l’échelle de la Méditerranée, en formant des coalitions plus restreintes mais potentiellement plus réactives et efficaces.

Quant au Costa Rica, je ne suis pas en mesure de vous apporter des précisions supplémentaires.

Concernant l’organisation d’un débat parlementaire régulier sur la mer, je soutiens pleinement cette initiative. Il est en effet surprenant que la mer, qui joue un rôle si crucial dans nos économies, nos vies quotidiennes et notre imaginaire collectif, ne fasse pas l’objet de discussions plus fréquentes au sein de vos assemblées. J’espère sincèrement que cette situation évoluera prochainement.

Mme Eléonore Caroit, co-présidente. Lorsque deux pays co-organisent l’UNOC, celle-ci se déroule sur deux années consécutives, avec une fréquence biennale. Une pré-conférence a lieu dans le pays co-organisateur l’année précédente. Ainsi, la conférence Immersed in Change s’est tenue à San José, en mai 2024, pour préparer l’UNOC 3. Le Costa Rica sera également responsable de l’organisation de certaines séquences à Nice. Il s’agit d’une conférence onusienne, soumise aux règles multilatérales habituelles, y compris dans son organisation.

Le Costa Rica, pays maritime bénéficiant d’un accès à l’Atlantique et au Pacifique, se distingue par ses efforts en matière de protection de la biodiversité. Sa réglementation environnementale, mise en place de longue date, fait figure de modèle pour de nombreux pays de la région. Nous pourrions nous inspirer de certaines de ses pratiques.

Nous espérons tous que cette conférence sera couronnée de succès. La commission des affaires étrangères enverra une délégation qui veillera à ce que cet événement ne soit pas une simple conférence de plus mais un moment d’engagement concret pour les parlementaires. Je suis convaincue que la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’y intéressera également.

 

***

La séance est levée à 18 h 15.

_____

Membres présents ou excusés

Présents.  Mme Nadège Abomangoli, M. Bertrand Bouyx, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, M. Michel Guiniot, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Alexandra Masson, M. Pierre Pribetich, M. Jean-Louis Roumégas

Excusés.  M. Laurent Mazaury, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, Mme Sabrina Sebaihi, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa

Assistaient également à la réunion.  M. Jean-Michel Brard, Mme Chantal Jourdan, Mme Sandrine Le Feur, M. Laurent Lhardit