Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Examen, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama et de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama (n° 1028) (Mme Éléonore Caroit, rapporteure) 2
– Informations relatives à la commission.....................12
Mercredi
14 mai 2025
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 60
session ordinaire 2024-2025
Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président
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La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur le projet de loi n° 1028.
La séance est ouverte à 10 h 15.
Présidence de M. Bruno Fuchs, président.
M. le président Bruno Fuchs. Le Panama compte 4 millions d’habitants. Sa position géographique est stratégique, à tel point que le président Trump voit un intérêt essentiel à y étendre son influence. Notre relation bilatérale avec ce pays connaît un renouveau depuis 2023. Son président est venu à Paris cet automne ; je l’ai rencontré à cette occasion, comme d’autres responsables français.
La coopération franco-panaméenne s’articule autour de deux grandes priorités : la diplomatie économique ; la coopération dans les domaines de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur. Sur le plan économique, une centaine d’entreprises françaises, dont une trentaine de filiales de grands groupes et de petites et moyennes entreprises (PME), sont implantées au Panama et participent à de grands projets d’infrastructures.
Si nos deux Etats sont liés par d’importants traités et accords internationaux en matière de coopération judiciaire et pénale, il n’en va pas de même à titre bilatéral. L’objet du projet de loi qui nous est soumis est d’établir un cadre de coopération judiciaire et pénale franco-panaméen. Les deux conventions de 2023 dont il nous est demandé d’autoriser l’approbation visent à poser des bases bilatérales à la coopération judiciaire entre la France et le Panama afin de lutter au mieux contre la délinquance et la criminalité transnationales, notamment en matière de trafic de stupéfiants, qui ne cessent de s’amplifier, et d’infractions économiques et financières.
S’agissant du nombre de cas potentiellement concernés, quarante-neuf demandes d’entraide françaises ont été adressées aux autorités panaméennes depuis 2014 et dix ont été formulées par les autorités du Panama. Seules trois demandes d’extradition ont été échangées entre la France et le Panama, toutes émanant des autorités françaises.
Mme Eléonore Caroit, rapporteure. Ce projet de loi vise à autoriser l’approbation de deux conventions bilatérales conclues avec le Panama. L’une porte sur l’entraide judiciaire en matière pénale ; l’autre est relative à l’extradition.
Après une dizaine d’années de négociations, ces accords ont été signés le 11 juillet 2023. Ils s’inscrivent dans la double perspective de la poursuite du renforcement de la relation franco-panaméenne, notamment en matière de lutte contre la délinquance financière et contre la criminalité organisée, et de la volonté de nouer davantage de partenariats bilatéraux en vue de favoriser une coopération judiciaire avec des États extra-européens.
Au cours des dernières années, notre commission a examiné des textes de même nature, notamment des conventions avec le Cambodge, l’île Maurice, le Kazakhstan et le Sénégal. Le Panama, qui est un petit pays, est un carrefour important. Il dispose de deux façades maritimes, sur l’océan Atlantique et sur l’océan Pacifique, jointes par le fameux canal qui a récemment dominé l’actualité. Avec ce pays stratégique, nous devons, me semble-t-il, renforcer notre relation.
Le Panama revêt un véritable enjeu stratégique. J’y étais récemment, ce pays faisant partie de ma circonscription. J’y ai rencontré le président de la République, M. José Raúl Mulino, et échangé avec lui sur ce qui est en train de se passer, qui constitue un véritable bouleversement pour le pays. Mettez-vous un instant à la place des Panaméennes et des Panaméens : Donald Trump décide, du jour au lendemain, que le canal du Panama n’est pas panaméen. C’est un vrai choc !
En atterrissant à l’aéroport de Panama-Tocumen, on voit des drapeaux du Panama partout. J’y vois l’expression du sentiment de fragilité et de vulnérabilité d’un tout petit pays, au demeurant très dépendant des États-Unis, qui se sent un peu à la merci de certaines décisions qui peuvent être erratiques.
Le contrôle du canal reliant les océans Pacifique et Atlantique représente un enjeu stratégique majeur. Si le Panama dispose d’une pleine souveraineté en la matière depuis le 31 décembre 1999, lorsque les États-Unis ont consenti à la rétrocession du canal en vertu des accords Torrijos-Carter de 1977, ce dernier suscite des convoitises croissantes parce qu’il est un point de passage incontournable. Il a certes été question d’en construire un autre ailleurs mais rien de tel n’a été fait à ce jour ; le canal de Panama est donc le seul passage permettant de relier facilement les deux océans.
Le canal a été confronté aux conséquences du changement climatique. Je vous engage à cet égard à visiter le musée du canal interocéanique, où l’on prend la mesure de l’impact de la baisse du niveau des eaux sur les infrastructures, où il arrive que de grands navires soient bloqués plusieurs heures. Il s’agit d’une conséquence économique concrète du changement climatique et de ce qui est en train d’arriver à nos océans.
Le canal de Panama est le lieu d’une intense lutte d’influence entre la Chine et les États-Unis. À l’heure de la guerre commerciale provoquée par le président Trump, dans un contexte de rapprochement diplomatique entre le gouvernement panaméen et la nouvelle administration américaine, si surprenant que cela puisse paraître, le fonds BlackRock a manifesté son souhait d’acquérir les ports de Cristóbal et de Balboa pour 22 milliards de dollars, ce qui a logiquement suscité l’opposition de la Chine. Cet exemple illustre le jeu triangulaire dont le canal est l’enjeu. Si l’issue de la transaction demeure incertaine, elle témoigne des tensions traversant actuellement la gestion de cette infrastructure stratégique.
Les Français qui vivent au Panama attendent de la représentation nationale, et de notre commission en particulier, qu’elle montre un intérêt pour ce pays, avec lequel nos échanges sont dynamiques. En 2023, le montant des exportations françaises au Panama s’élevait à près de 438 millions d’euros, soit une hausse de 24 % par rapport à 2022. Une soixantaine d’entreprises françaises sont implantées dans le pays, dont trente filiales de grandes entreprises telles que Vinci, Alstom, Thales et Veolia, qui jouent un rôle très important dans le secteur du développement urbain durable, en assurant notamment la maintenance des lignes de métro ainsi que le traitement et l’assainissement des eaux usées.
Par ailleurs, la France et le Panama se rejoignent dans un engagement sincère au service du multilatéralisme. Le Panama est très engagé en ce sens et vote comme nous dans les instances multilatérales. Notre pays partage avec le Panama le souci de préserver la biodiversité. Ce pays a une législation importante en la matière.
Il fait partie du Corridor marin de conservation du Pacifique tropical (Cmar), qui vise, non sans ambition, à rassembler les zones marines protégées du Pacifique. L’Office français de la biodiversité (OFB) a signé un protocole d’accord avec le magnifique parc national de Coiba. Le Panama sera présent à la troisième conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3), où il enverra une délégation de très haut niveau comprenant notamment le ministre de l’environnement et peut-être le président de la République, francophone et francophile.
L’objet des deux conventions dont il nous est demandé d’autoriser l’approbation est simple : déterminer un cadre procédural commun aux mesures d’entraide et d’extradition de ressortissants. Il s’agit d’un cadre classique de coopération judiciaire. Faute de règles déterminées par un traité bilatéral, la coopération judiciaire s’effectue jusqu’à présent au cas par cas, ce qui provoque des lourdeurs et une forme d’insécurité. Afin de sécuriser et de fluidifier cette coopération, il faut fixer un cadre juridique stable, qui fournira aux autorités des deux pays les moyens de lutter pleinement et efficacement contre toutes les formes de délinquance financière et de criminalité organisée.
En matière de délinquance financière, on a beaucoup parlé des listes sur lesquelles figurait le Panama et de son rôle dans le blanchiment d’argent. Sachez qu’ils ont fait énormément de progrès en la matière, au point d’être retirés de certaines listes. Le pays demeure un point de passage de la criminalité organisée, notamment du narcotrafic, dont est chargé, pour la région, un magistrat de liaison. L’intérêt de la France, en la matière, est de coopérer encore davantage avec le Panama et avec ses voisins.
Depuis le 1er janvier 2014, quarante-neuf sollicitations ont été émises par les autorités judiciaires françaises à l’attention de leurs homologues panaméennes ; vingt-trois sont en cours d’exécution. Autoriser l’approbation de ces conventions permettra d’accélérer les choses. Ces demandes prennent la forme de commissions rogatoires émises par des juges d’instruction et de demandes d’entraide formulées par le parquet, essentiellement par le parquet national financier (PNF). Par ailleurs, trois demandes d’extradition ont été adressées par la France au Panama.
Les infractions délictuelles et criminelles ciblées par ces demandes relèvent principalement de deux catégories : la délinquance financière, soit pour l’essentiel la fraude fiscale et le blanchiment d’argent ; la criminalité organisée avec son cortège d’homicides volontaires, de délits en bande organisée et de trafics, notamment de stupéfiants.
Grâce aux progrès accomplis au cours des dernières années par le gouvernement panaméen dans la lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment de capitaux, le Panama a été retiré de la liste grise du Groupe d’action financière (Gafi). Ce pays fait toujours l’objet de préjugés tenaces, dus à une situation qu’il a corrigée. La France l’a retiré de la liste des États et territoires non coopératifs en matière fiscale. À l’heure actuelle, notre relation est pleinement normalisée et la coopération fonctionne très bien.
Il importe d’autant plus de l’inscrire dans un cadre stable. Les deux conventions fournissent les outils nécessaires au renforcement de la coopération bilatérale en matière fiscale et financière. L’inclusion explicite des infractions dans le champ des textes et l’interdiction de se prévaloir du secret bancaire pour rejeter une demande constituent des avancées majeures qui, j’en suis convaincue, faciliteront les échanges entre les autorités compétentes.
Les articles 22, 23 et 26 de la convention d’entraide judiciaire autorisent explicitement le recours à des interceptions de communications, à des livraisons surveillées et à des opérations d’infiltration. Ces stipulations permettent à la France et au Panama de se doter de moyens juridiques et opérationnels solides et adaptés à l’envergure et aux spécificités de la délinquance financière et de la criminalité organisée, notamment en matière de lutte contre le narcotrafic. Cet objectif réunit nos deux pays.
Elles bénéficieront de surcroît à la coopération multilatérale aux échelles européenne et latino-américaine, dans le cadre notamment du programme d’appui à la lutte contre la criminalité organisée en région Caraïbe (ALCORCA) et du programme Europe-Amérique latine d’assistance contre la criminalité transnationale organisée (EL PACCTO), et à la coopération bilatérale en matière douanière, qu’illustre la saisie record de 5,6 tonnes de cocaïne réalisée l’an dernier au Panama par nos douaniers et par la police panaméenne.
Les accords d’entraide judiciaire et d’extradition sont conformes aux standards juridiques internationaux et s’inscrivent dans le strict respect de nos exigences constitutionnelles et conventionnelles. Leurs stipulations s’articulent pleinement avec les dispositions de notre code pénal et de notre code de procédure pénale.
L’approbation des deux conventions avec le Panama me paraît tout à fait opportune, sinon absolument nécessaire. Je vous invite donc à adopter le projet de loi qui l’autorise.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Les députés Insoumis s’abstiendront. Nous considérons que le système judiciaire du Panama, malgré les progrès récents réalisés dans de nombreux secteurs, pose encore des problèmes sérieux que l’approbation des conventions pourrait occulter. En février dernier, lors de manifestations dans le pays contre le projet du gouvernement de relever l’âge légal de départ à la retraite, 450 manifestants ont été arrêtés. Le chef de l’État les a qualifiés de « terroristes », usant d’un procédé connu pour disqualifier un mouvement social, le criminaliser et le réprimer. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur de tels agissements.
De plus, nous sommes inquiets des déclarations du chef de l’État panaméen concernant sa volonté de mettre en œuvre une politique répressive contre les migrants à leur sortie de la terrible région du Darién. Dans cette crise migratoire agissent de nombreuses associations catholiques, aux côtés de l’Organisation des Nations unies (ONU). La coopération en la matière nous semble poser problème. Ses déclarations selon lesquelles il souhaite les refouler à leur sortie de la jungle sont tout simplement inhumaines et rappellent trop directement les fantasmes anti-migrants de son lointain voisin états-unien.
Nous avons des désaccords sur les bases juridiques sur lesquelles pourrait s’appuyer le Panama pour agir en justice. L’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Panama existe d’ores et déjà, au cas par cas. À la lumière des éléments précités, nous pensons qu’il n’est pas opportun d’aller plus loin tant que la situation ne connaît pas, politiquement en tout cas, une amélioration significative.
Toutefois, nous reconnaissons les progrès réalisés en matière de lutte contre la fraude fiscale et nous savons que le Panama est très désireux de sortir de la liste de l’Union européenne des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales. C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur ce texte. Nous n’y sommes pas opposés mais nous avons des doutes sérieux.
Mme Eléonore Caroit, rapporteure. Toutes les critiques que vous formulez sont recevables. L’exemple du mouvement social contre le report de l’âge de la retraite m’offre l’occasion de faire observer que, contrairement à ce qu’ont dit de nombreux Insoumis, nous ne sommes pas en France dans une dictature, à l’aune du traitement des manifestants lors de la réforme initiée en 2022.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). J’ai parlé de régime autoritaire, pas de dictature !
Mme Eléonore Caroit, rapporteure. Certains Insoumis avaient parlé de dictature. Quoi qu’il en soit, signer une convention de coopération et d’entraide en matière judiciaire ne signifie pas que l’on endosse tous les actes d’un gouvernement donné, surtout s’ils revêtent une signification politique. Le Panama a des institutions solides, garantissant des procès équitables où les droits de la défense sont assurés. Plusieurs organisations internationales évaluant les pays sur ce point l’ont reconnu.
Je prends note de vos réserves et regrette que vous vous absteniez. Ratifier les deux conventions ne signifie pas que l’on donne un blanc-seing au Panama mais que l’on veut fixer un cadre juridique dans lequel la coopération s’exerce. Au demeurant, les magistrats examinent les dossiers de manière individuelle. Aucune forme d’automaticité n’est induite.
S’agissant des listes de pays non coopératifs, le Panama ne figure sur la liste française mais figure toujours sur la liste de l’Union européenne. Il importe d’envoyer des signaux positifs aux pays qui font des progrès et mettent en œuvre des dispositifs qui fonctionnent, comme vous le reconnaissez vous-même.
S’agissant de la terrible jungle du Darién, qui ne fait plus la « Une » des médias français, elle fait partie de ces lieux auxquels on cesse tragiquement de s’intéresser. Véritable zone tampon, elle concentre de nombreuses routes migratoires, où circulent notamment des Haïtiens et des Vénézuéliens, victimes d’un régime dictatorial. Gérer ces flux migratoires qui convergent est difficile pour les autorités panaméennes.
La mise en œuvre de plusieurs politiques a permis de réduire le flux de migrants et d’améliorer leur condition. Le Darién n’en est pas moins une zone aux marges de la légalité, où il serait souhaitable qu’une délégation parlementaire française se rende pour observer ce qui s’y passe. En tout état de cause, on ne peut pas juger l’action du Panama à l’aune de cette seule tragédie du Darién.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Je tiens à préciser que nous nous abstenons sur le texte ; nous ne nous y opposons pas. Nous avons pris note des avancées.
Je rappelle que lorsque nous avons examiné un texte visant à ratifier une convention similaire avec le Sénégal, nous avions voté contre. Les faits, en l’espèce la répression par Macky Sall des manifestants et des Sénégalais installés en France, nous ont donné raison par la suite.
M. Julien Gokel (SOC). Voici dix ans que l’affaire des Panama Papers a mis en lumière l’étendue des réseaux criminels internationaux et l’utilisation de montages financiers par des citoyens français afin de déroger à leurs obligations fiscales en profitant du manque de coopération entre les autorités françaises et panaméennes. Jusqu’à présent, la France et le Panama ne disposaient d’aucun accord bilatéral de coopération judiciaire en matière pénale en sus des cadres multilatéraux, ce qui a restreint l’entraide entre nos deux pays à des échanges au cas par cas, sur la base de la courtoisie internationale et du principe de réciprocité. Cette situation est insatisfaisante, alors même que les demandes du PNF se sont multipliées dans les affaires de fraude et d’évasion fiscale.
Il aura donc fallu presque une décennie pour que cette onde de choc internationale donne lieu à une réponse concrète. La conclusion des deux conventions, respectivement relatives à l’entraide judiciaire en matière pénale et à l’extradition, constitue un pas important vers une coopération plus efficace dans la lutte contre la criminalité transnationale, du trafic de stupéfiants à la corruption en passant par les infractions économiques et financières. Au nom de cette lutte, le groupe Socialistes et apparentés votera le projet de loi. Nous y voyons un instrument utile pour notre justice et pour nos services d’enquête.
En revanche, nous ne pouvons que dénoncer les insuffisants progrès du Panama en matière fiscale. Ce pays de 4 millions d’habitants figurait de manière récurrente sur la liste des États non coopératifs en matière fiscale et de lutte contre le blanchiment jusqu’à sa sortie en 2024. Les propos de son président qualifiant les Panama Papers de simple « manipulation médiatique » et son soutien à la relaxe d’une trentaine de personnes mises en cause dans des infractions financières ne sont pas de nature à nous rassurer.
En dépit des félicitations adressées par le président Macron au Panama et du soutien qu’il lui offre, il faut rappeler que ce pays figure toujours sur la liste noire des paradis fiscaux établie par l’Union européenne. À l’heure où la fraude et l’évasion fiscales privent nos États de ressources précieuses, espérons que l’adoption du projet de loi permettra de rendre plus effectives les investigations et de recouvrer les sommes ayant fait l’objet de fraude pendant toutes ces années. Je rappelle que l’évasion fiscale représente de 60 à 100 milliards de pertes par an pour la puissance publique française, soit au moins l’équivalent du budget du ministère de l’éducation nationale.
Mme Eléonore Caroit, rapporteure. Je remercie votre groupe de soutenir le texte. Comme vous, je suis convaincue que le cadre juridique offert par les deux conventions permettra de renforcer encore davantage la coopération, qui est absolument nécessaire.
En dix ans, le Panama a fait énormément de progrès. Il n’en est pas moins un petit pays, qui est aussi la proie des réseaux internationaux, notamment les réseaux du narcotrafic, inséparables de la question du blanchiment. Les Panama Papers ont été une onde de choc et véritablement une prise de conscience pour tous les gouvernements : celui du président Hollande avait réagi avec force, compte tenu de la présence de ressortissants français dans les documents.
Il me semble utile de rappeler deux choses. D’abord, le Panama a énormément progressé. Il faut l’aider à se doter des instruments qui lui permettront de ne pas être à la merci des réseaux et des actions criminels. Ensuite – c’est la députée des Français établis hors de France qui parle –, on fait trop souvent l’amalgame entre les Français qui résident à l’étranger et les évadés fiscaux. La communauté française du Panama est tout sauf une communauté d’évadés fiscaux. Il existe entre nos deux pays des liens culturels de toute nature.
Mme Clémentine Autain (EcoS). Ces conventions, conformes aux standards internationaux, portent sur l’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et la République du Panama. Elles sont importantes car, depuis les Panama Papers, nous mesurons l’ampleur du problème à résoudre. Le PNF est d’ailleurs demandeur pour que ces logiques d’entraide se développent. En outre, le Panama est la principale porte d’entrée en Amérique centrale de la drogue, notamment de la cocaïne, en provenance d’Amérique du Sud qui, de là, arrive en France.
Notre groupe souhaite alerter le gouvernement – et vous-même, madame la rapporteure, puisque vous n’en avez pas parlé – sur les risques que font peser sur les droits humains les politiques ultrarépressives du président conservateur José Raúl Mulino, élu en mai 2024. Sa chasse aux migrants est en cause, mais aussi ses actions de répression particulièrement musclées et violentes à l’égard des mouvements sociaux. Il est par ailleurs soupçonné de corruption et de complicité avec l’ancien président Martinelli qui, après avoir été condamné à dix ans de prison pour détournement d’argent public et blanchiment d’argent, a fui le pays.
Ne soyons pas naïfs : ces conventions d’entraide pour lutter notamment contre le blanchiment d’argent et la corruption sont conclues avec un pays dont le président a des politiques contraires aux principes au nom desquels nous menons cette lutte.
Mme Eléonore Caroit, rapporteure. Vous avez raison d’alerter sur ces sujets. Toutefois, il faut bien distinguer entre les institutions et la politique du pays.
Le système institutionnel a fait l’objet d’une réforme au cours de la dernière décennie. Il n’est pas parfait mais il fonctionne tant bien que mal. Nous pouvons avoir une réelle coopération avec le système judiciaire, qui est efficace. Établir un cadre juridique avec ce pays lui permettra sans doute d’avancer encore davantage dans des réformes nécessaires.
Je représente la communauté française de la zone et c’est à dessein que je n’ai pas parlé de politique. Vous avez cependant raison de rappeler certains faits. Je prends note de vos réserves.
M. Laurent Mazaury (LIOT). Je me ferai un plaisir de vous rejoindre, madame la rapporteure, pour visiter la côte pacifique du Panama. Merci de nous avoir fait rêver. J’en ai d’autant plus besoin que, venant de la banlieue parisienne, je subis chaque jour la débilité profonde de la mise en place du couloir réservé au covoiturage.
Ce projet de loi nous engage dans une coopération judiciaire plus ambitieuse, plus structurée et surtout plus opérationnelle. Dans un monde où les formes de criminalité se mondialisent à grande vitesse – trafics en tous genres, y compris d’êtres humains, fraudes, corruption, cybercriminalité –, il est essentiel de doter nos magistrats d’instruments fiables, efficaces et sécurisés pour agir au-delà de nos frontières. La relation avec le Panama, pays stratégique entre deux océans et carrefour logistique mondial, prend une importance particulière.
Jusqu’à présent, l’absence de cadres bilatéraux contraignants rendait notre coopération fragile, incertaine, voire inefficace. Nous espérons que ce texte changera la donne. Il permet l’entraide directe et rapide, tout en respectant nos garanties fondamentales, notamment le refus de toute extradition en cas de peine de mort, d’infraction politique ou de risque de traitement discriminatoire.
Par-delà cet objectif global, il est une dimension à laquelle notre groupe est particulièrement attentif : la justice fiscale. Le Panama a longtemps symbolisé les zones d’ombre de la finance mondiale. Les révélations des Panama Papers ont illustré à quel point les circuits opaques peuvent nourrir l’impunité de certains au détriment de l’intérêt général.
Depuis lors, le pays a évolué. Il est sorti de la liste grise du Gafi. Il a renforcé son droit interne et affiche sa volonté de coopérer. La France se devait d’exiger un cadre clair permettant aux autorités judiciaires d’enquêter, de lever le secret bancaire et de poursuivre les auteurs de fraudes fiscales massives. Ce texte va dans ce sens. Notre groupe y est favorable, au nom d’une justice qui n’oublie pas que la fraude fiscale est une rupture du pacte républicain.
Je profite de cette discussion pour affirmer au Panama notre soutien, comme nous l’avons fait récemment pour le Groenland il y a quelques jours, face aux actions impérialistes d’un certain président. Le canal du Panama est et doit rester une partie intégrante du territoire souverain de ce pays.
Mme Eléonore Caroit, rapporteure. Je vous remercie pour votre soutien à ces deux conventions. Vous avez rappelé les progrès réalisés en matière de coopération et d’entraide et la nécessité d’établir un cadre clair.
Il importe de soutenir explicitement les pays dont le territoire est désigné par une sorte de main invisible comme devant faire partie des États-Unis. Il faut aussi rappeler que la France a énormément contribué à la construction du canal du Panama, notamment avec nos ressortissants des Antilles.
Il existe au Panama un cimetière français où reposent de nombreux compatriotes ayant perdu la vie dans la construction du canal. La Plaza de Francia, dans le quartier du Casco Viejo, est une des plus importantes de la ville de Panama. Elle rend hommage à l’implication de la France dans la construction du canal.
M. Michel Guiniot (RN). Les conventions qui nous sont soumises visent à renforcer les liens de coopération entre la France et le Panama, ainsi que les bases juridiques de l’entraide judiciaire en matière pénale, notamment grâce à des procédures d’extradition, afin de lutter contre la criminalité et d’éviter l’impunité internationale.
La convention d’entraide judiciaire peut s’appliquer aux infractions fiscales sans possibilité de s’y opposer, ce qui est une bonne chose compte tenu de la fiscalité avantageuse du Panama. Son article 21 prévoit que les données bancaires peuvent être divulguées dans le cadre de cette coopération après un suivi méthodique et complet sur une période donnée. Dans le cadre de l’affaire des documents panaméens, le PNF a ouvert une enquête pour blanchiment de fraude fiscale aggravée à l’encontre d’une dizaine de personnes sur les 500 suspects cités.
En 2023, la direction générale des finances publiques (DGFiP) indiquait avoir redressé 219 contribuables, soit moins de la moitié des suspects. L’étude d’impact précise que seules quarante-neuf demandes d’entraide françaises ont été formulées depuis 2014, avant l’affaire des documents panaméens, pour dix demandes d’entraide émanant des autorités panaméennes. Pensez-vous que cet accord pourra relancer les procédures pour redresser ou disculper les Français mis en cause dans cette affaire ?
L’article 9 de la convention d’entraide judiciaire précise que la demande d’entraide doit être traitée dès que possible en tenant compte des échanges de procédures. Toutefois, l’étude d’impact souligne que cette disposition pourrait contrevenir à la convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), qui oblige à accorder un délai raisonnable au défenseur. Les engagements internationaux de la France ne risquent-ils pas de nous pénaliser dans la lutte contre la criminalité organisée ?
Son article 3 autorise la présence d’autorités étrangères sur le sol de l’autre État pour mener des interrogatoires. Ce point ne contrevient-il pas à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui pose le principe que seules les autorités françaises peuvent souverainement exercer leur autorité sur le sol national ? Comment cette disposition s’articule-t-elle avec notre droit ?
Pour satisfaire ma curiosité, sauriez-vous me dire pourquoi c’est le ministère des affaires étrangères qui traite des questions d’entraide judiciaire et d’extradition pour le Panama, alors que pour les autres pays l’autorité compétente est le ministère de la justice ?
Mme Eléonore Caroit, rapporteure. Ces deux conventions sont soumises à un contrôle de la constitutionnalité et de la conformité à notre droit pénal. Le cadre juridique qu’elles fixent n’enlève aucun de ses attributs à la justice française, qui rend ses décisions au cas par cas et de manière souveraine.
Vous avez évoqué les Panama Papers. Je rappelle que des proches de Marine Le Pen et des personnalités du Rassemblement national ont été impliqués dans cette affaire, notamment Frédéric Chatillon et Nicolas Crochet, qui ont monté un système offshore très complexe au Panama. Je me permets de le rappeler car votre question laisse entendre qu’il n’y avait pas eu de poursuites.
Toutes les personnes impliquées dans ce système ont bien été poursuivies mais il est très difficile de punir des crimes par nature opaques. La lutte contre la fraude fiscale est une priorité du gouvernement. La coopération avec le Panama et la bonne santé de notre relation bilatérale en sont la preuve. Ces conventions témoignent d’une véritable volonté de doter notre pays des instruments nécessaires pour renforcer cette lutte au niveau international.
M. Vincent Ledoux (EPR). Ces conventions sont importantes car elles témoignent de l’approfondissement du partenariat entre la France et le Panama. Elles s’inscrivent dans un cadre de coopération plus large, marqué par des échanges économiques dynamiques, une collaboration universitaire et culturelle renforcée et un dialogue diplomatique soutenu. Le Panama, premier partenaire commercial de la France en Amérique centrale, partage nos engagements multilatéraux en matière de justice, de lutte contre la criminalité et de protection de l’environnement.
Grâce à ces textes, notre coopération judiciaire bénéficie d’un cadre solide, structuré et directement applicable. Jusqu’à présent, les demandes d’entraide et d’extradition étaient traitées au cas par cas, sur la base du principe de réciprocité. Désormais, nous disposons d’un socle juridique clair : les échanges seront encadrés, accélérés et assortis de garanties essentielles sur la confidentialité, le respect des droits des personnes concernées et la traçabilité des informations.
Il faut aussi souligner la portée opérationnelle de ces conventions. Elles offrent des outils précieux pour lutter contre les menaces transnationales, la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants, la fraude fiscale et la cybercriminalité : levée du secret bancaire ; opérations d’infiltration ; interceptions de télécommunications ; restitution des avoirs criminels. Ces leviers nouveaux sont compatibles avec les standards européens les plus exigeants. Elles ont enfin une portée diplomatique car elles contribuent à consolider la crédibilité internationale du Panama, récemment retiré des listes grises du Gafi, et renforcent la position de la France comme acteur central de la coopération judiciaire internationale.
Le groupe Ensemble pour la République soutient le projet de loi et s’interroge sur un point concret d’application. Ces conventions pourront-elles s’appliquer à des faits antérieurs à leur entrée en vigueur ? Dans quelle mesure les procédures en cours, notamment celles initiées par le PNF après la publication des Panama Papers, pourront-elles bénéficier des facilités introduites par ces textes ?
Mme Eléonore Caroit, rapporteure. Je remercie le groupe Ensemble pour la République de son soutien. Ces conventions permettront d’accélérer les vingt-trois procédures en cours.
M. Jean-François Portarrieu (HOR). Déjà, au XVIe siècle, Hernan Cortés rêvait de relier les deux océans au niveau du golfe du Mexique. La mise en service du canal de Panama en 1904 a accompli en partie ce rêve mais le rêve se poursuit.
Il y a quelques années, l’ancien président mexicain, López Obrador, a dévoilé son projet de créer une ligne ferroviaire dans l’isthme de Tehuantepec pour relier en sept ou huit heures les 300 kilomètres séparant la côte pacifique de la côte atlantique. Ce projet colossal, évalué à près de 3 milliards de dollars, ne constitue pas encore une solution alternative au trafic du canal de Panama mais il illustre la concurrence en Amérique latine, où les ambitions se multiplient.
Le Nicaragua ambitionne lui aussi d’avoir son propre canal et la Colombie évoque un canal à sec. Le monopole du canal de Panama, qui est confronté à des difficultés durables d’alimentation en eau douce, tiendra-t-il encore longtemps ?
Mme Eléonore Caroit, rapporteure. Des projets concurrents existent depuis des décennies. J’ajoute à ceux que vous avez cités celui du Guatemala. Certains impliquent le creusement d’un canal, d’autres utiliseraient la voie terrestre. Tous ces projets sont difficiles à réaliser mais les intérêts chinois, de plus en plus présents dans la région, pourraient permettre d’en concrétiser certains. Il n’est pas impossible que des canaux concurrents soient ouverts dans les années à venir.
La multiplication des voies du commerce maritime, qui est l’un des plus polluants au monde, ne serait pas une bonne chose pour la biodiversité, en l’espèce pour les réserves naturelles de la Basse-Californie du Sud, l’un des endroits les plus spectaculaires du globe. Il me semble donc préférable d’aider le Panama à défendre son canal, qu’il met à la disposition du commerce mondial.
Je rappelle que se tiendra à Nice, le mois prochain, la troisième conférence des Nations unies sur l’océan. Nous y parlerons des océans et de la régulation du commerce maritime.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux interventions et questions formulées à titre individuel.
M. Alain David (SOC). L’une des conventions précise que le secret bancaire ne peut être invoqué pour refuser une demande d’entraide judiciaire dans le cadre d’une enquête pénale. Pourquoi limiter cette levée du secret bancaire au seul champ pénal ? Ne pourrait-on envisager une extension de cette disposition à d’autres infractions et à d’autres domaines, notamment fiscaux, afin de renforcer véritablement la lutte contre l’évasion fiscale et les pratiques d’optimisation, qui empruntent des circuits bancaires très opaques ?
Le Panama reste inscrit sur la liste de l’Union européenne des pays et territoires non coopératifs en matière fiscale. Une telle extension a-t-elle été évoquée lors de vos auditions ?
Mme Pascale Got (SOC). Quelle est la position du Panama, qui est confronté à des enjeux commerciaux avec les Américains, face aux réalités environnementales que nous aborderons à Nice ?
Mme Eléonore Caroit, rapporteure. La convention en question porte sur la coopération en matière pénale, il est donc normal que le cadre d’application de la levée du secret bancaire soit restreint. Toutefois, il n’est pas exclu que d’autres conventions de coopération en matière civile soient conclues, même si elles sont plus rares dans ce domaine.
Le Panama, qui a été le pays hôte d’une précédente conférence, enverra à Nice une délégation de très haut niveau. Leur législation en matière de protection de la biodiversité est vertueuse et se rapproche de celle du Costa Rica, qui a notamment accordé des droits à la nature. Le ministre de l’environnement panaméen, Juan Carlos Navarro, sera présent à l’UNOC 3. Il est très conscient des enjeux et participera aux décisions prises au niveau multilatéral car son pays croit beaucoup au multilatéralisme.
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Article 1er (approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Panama, signée à Panama le 11 juillet 2023)
La commission adopte l’article 1er non modifié.
Article 2 (approbation de la convention d’extradition entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Panama, signée à Panama le 11 juillet 2023)
La commission adopte l’article 2 non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
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Informations relatives à la commission
En conclusion de sa réunion, la commission désigne :
– M. Marc de Fleurian, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti (sous réserve de sa transmission).
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La séance est levée à 11 h 05.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Clémentine Autain, M. Bertrand Bouyx, M. Jorys Bovet, M. Jérôme Buisson, Mme Éléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, Mme Sophia Chikirou, Mme Christelle D'Intorni, M. Alain David, Mme Sylvie Dezarnaud, Mme Dieynaba Diop, M. Nicolas Dragon, Mme Stella Dupont, M. Bruno Fuchs, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. François Hollande, Mme Sylvie Josserand, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, Mme Élisabeth de Maistre, Mme Alexandra Masson, M. Laurent Mazaury, M. Jean-François Portarrieu, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, M. Franck Riester, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Liliana Tanguy, M Vincent Trébuchet, M. Lionel Vuibert
Excusés. - M. Hervé Berville, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Nicolas Forissier, M. Perceval Gaillard, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa