Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean‑Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation internationale              2

 


Mardi
20 mai 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 62

session ordinaire 2024‑2025

Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président


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La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. JeanNoël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation internationale.

La séance est ouverte à 16 heures 35.

Présidence de M. Bruno Fuchs, président.

M. le président Bruno Fuchs. Nous recevons cet après-midi le ministre de l’Europe et des affaires étrangères venu, comme il en avait pris l’engagement, évoquer la situation internationale.

Avant de lui donner la parole, je souhaite faire part de l’activité de notre commission. Je mentionnerai notamment un déplacement aujourd’hui de deux rapporteurs d’information à Washington, un autre d’une délégation au Liban début juin, puis un autre encore d’une délégation au Maroc, concomitamment. Une délégation se rendra aussi à la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan, à Nice, et nous préparons avec une dizaine de présidents de commission des affaires étrangères des États de l’Union européenne un déplacement à Washington pour y faire, ensemble, le plaidoyer en faveur de l’Europe. Nous recevrons enfin demain l’ambassadeur de France en Algérie et entendrons un peu plus tard l’ambassadeur d’Allemagne pour évoquer la relation franco-allemande, qui s’intensifie, ainsi que, probablement, l’ambassadeur d’Arabie saoudite pour parler de la conférence de haut niveau co-organisée par la France et son pays sur la paix en Israël et en Palestine, laquelle aura lieu mi-juin à New York.

L’actualité est dense. Aux États-Unis, où il n’est pas une semaine sans annonce importante ou tonitruante du président Trump, la guerre commerciale a finalement été reportée. Les provocations répétées du président américain à l’égard du Canada ont conduit le peuple canadien à accorder sa confiance à Mark Carney qui, élu premier ministre, s’est empressé de manifester sa volonté de prendre des distances avec son encombrant voisin, ce qui appelle une réponse favorable de notre part. Une déclaration conjointe des dirigeants de la France, du Royaume-Uni et du Canada sur la situation à Gaza et en Cisjordanie a d’ailleurs été publiée hier.

Les élections en Roumanie ont conduit à la victoire du président démocrate. C’est un signe important face aux pressions et à la désinformation russes, à l’œuvre dans ce pays, et une bonne nouvelle pour le développement européen. Sur le dossier ukrainien, l’Europe a pris ses responsabilités : la coalition des volontaires pour apporter des garanties de sécurité à l’Ukraine s’est réunie plusieurs fois et la venue à Kiev de quatre chefs d’État et de gouvernement européens, le 10 mai, a exposé Vladimir Poutine à montrer ses mauvaises dispositions à l’égard d’un cessez-le-feu et de négociations de paix. Que le nouveau chancelier, Friedrich Merz, soit plus aligné sur les positions françaises est très important pour les développements européens à venir, et pour le couple franco-allemand et avec les Polonais – dans le cadre du Triangle de Weimar.

Au Proche-Orient, le cessez-le-feu au Liban est très fragile. Les discussions entamées au sultanat d’Oman entre Washington et Téhéran au sujet du programme nucléaire iranien se poursuivent. Nous aimerions savoir dans quelle mesure les diplomaties européennes participent à ce processus qui les intéresse au premier chef. En Syrie, la transition politique se poursuit et le chef d’État par intérim a rencontré le président français à Paris, ainsi que le président Trump à Ryad, pour évoquer le redressement économique du pays. La levée des sanctions annoncée par le président Trump est une bonne nouvelle pour la sous-région.

Je me dois d’évoquer les crises en cours en Afrique : au Soudan comme en République démocratique du Congo. La première semble s’enliser et conduire à la partition du pays. L’engagement des Américains dans la seconde laisse espérer la signature d’un cessez-le-feu et un accord de paix dans les prochaines semaines, permettant aux habitants de vivre une situation plus calme qu’au cours des trois dernières décennies. L’Afrique est néanmoins aussi porteuse de bonnes nouvelles, comme l’a montré l’élection de Brice Oligui Nguema à la présidence du Gabon, pays dont l’Union africaine a constaté qu’il est le seul à avoir mis en œuvre sa feuille de route vers la transition politique.

En Asie, la fièvre entre l’Inde et le Pakistan dans la région du Cachemire est heureusement retombée mais nul ne peut prédire si la situation restera stable entre ces deux pays dotés de l’arme nucléaire.

Enfin, deux importants rendez-vous diplomatiques sont annoncés : la conférence internationale co-présidée par la France et l’Arabie saoudite sur la paix au Proche-Orient, qui se tiendra du 17 au 20 juin à New York, et la 3ème Conférence des Nations unies pour l’océan, qui aura lieu à Nice du 9 au 13 juin prochains. Cette conférence co-organisée par la France et le Costa Rica réunira plus d’une centaine de chefs d’État et de gouvernement et près de 30 000 participants.

Monsieur le ministre, nous attendons avec intérêt vos commentaires de ce panorama non exhaustif de la situation du monde.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. C’est pour moi un honneur et un plaisir de vous retrouver pour une autre étape de notre dialogue diplomatico-parlementaire. Je salue à nouveau la contribution décisive des membres de votre commission à la diplomatie française, qu’il s’agisse de vos déplacements à venir au Liban, au Maroc et aux États-Unis ou dans le cadre de la 3ème conférence des Nations unies sur l’océan. Le 13 mai, jour de mon anniversaire, j’ai accueilli au Quai d’Orsay les présidents des groupes d’amitié de l’Assemblée nationale en présence de la présidente de celle-ci. C’était une première, et une manière de manifester l’intérêt et la considération que nous portons à la diplomatie parlementaire, parfaitement complémentaire du travail que nous menons.

Le 2 avril, nous avons évoqué le bilan de l’action diplomatique conduite au cours des cent premiers jours du gouvernement de François Bayrou. Je viens vous rendre compte de ce qu’a été notre action depuis lors et je commencerai par le sujet de la semaine : l’attractivité de notre pays. Sur la carte projetée à l’écran figurent, pour l’ensemble de notre territoire, les lieux concernés par les annonces d’implantation d’entreprises industrielles résultant de la politique d’attractivité de la France, notamment des sommets Choose France, dont la huitième édition s’est tenue hier à Versailles. J’insiste sur le rôle de nos ambassadeurs et de nos agents en service dans les missions diplomatiques et les postes consulaires. Ils ne passent pas leur temps dans des réceptions : ils accompagnent sans relâche nos entreprises à l’export et identifient les investisseurs internationaux pour les amener à prendre des décisions d’investissement qui concernent notre pays. La carte montre qu’au cours des six ou sept années écoulées, les bénéficiaires de la politique d’attractivité menée ont été toutes les Françaises, tous les Français et toutes les régions de France. Notre politique d’attractivité conduit à réindustrialiser ou à engager la réindustrialisation de sites particulièrement éprouvés par des décennies de désindustrialisation : ainsi de l’implantation à venir, sur le site de l’ancienne centrale à charbon de Saint-Avold, d’une usine de recyclage de textiles qui redynamisera le bassin d’emploi.

En Ukraine, nous continuons de jouer un rôle central dans la mobilisation des Européens et la coordination avec les Américains pour bâtir une coalition pour la paix et créer les conditions d’une paix solide et durable sur la base d’un soutien à l’Ukraine et, lorsqu’un cessez-le-feu sera intervenu, de capacités de réassurance et d’arrangements de sécurité. Nous avons réuni à Paris, le 17 avril dernier, les partenaires européens et américains et, pour la première fois, l’Ukraine, les Européens et les Américains étaient assis à la même table. Le 9 mai dernier, j’étais à Lviv, à l’Ouest de l’Ukraine, avec mes collègues ministres des affaires étrangères : nous avons acté la création du tribunal spécial qui jugera le crime d’agression russe contre l’Ukraine. Le 10 mai, j’ai accompagné le président de la République à Kiev. Avec nos partenaires européens, nous avons réaffirmé notre priorité : un cessez-le-feu immédiat de 30 jours complet et inconditionnel. L’Ukraine l’a accepté et tous nos partenaires soutiennent cette démarche ; seule la Russie refuse d’y adhérer.

Pas de cessez-le-feu côté russe, pas de discussions en direct à Istanbul : si, donc, Vladimir Poutine ne veut pas la paix, nous devons l’y contraindre. Depuis trois ans, les sanctions européennes ont eu pour effet d’infliger 400 milliards d’euros de pertes à l’économie russe, l’équivalent de trois années d’effort de guerre. La semaine dernière, le dix-septième paquet de sanctions européen a été adopté par la Commission européenne. Il vise principalement la « flotte fantôme » utilisée par la Russie pour contourner l’embargo sur son pétrole et financer son économie de guerre. Nous sommes prêts à aller plus loin, en coordination avec les États-Unis, où les sénateurs préparent un train de sanctions massif visant les secteurs financier et pétrolier. Ils envisagent notamment d’instaurer des droits de douane de 500 % sur les importations de pétrole russe et sur toutes les importations en provenance de pays qui continueraient d’importer du pétrole russe. La Commission européenne travaille à une proposition un peu différente mais dissuasive. Ne demandons pas aux États-Unis ce qu’ils peuvent faire pour nous ; demandons-nous ce que nous pouvons faire pour l’Ukraine. Il nous appartient aussi de faire cesser à la guerre coloniale que la Russie mène contre cet État.

À Gaza, nous appelons inlassablement à un cessez-le-feu afin qu’un avenir politique se dessine pour les Palestiniens et les Israéliens. Gaza est une plaie ouverte aux yeux du monde. Tout y manque : l’eau, la nourriture, les soins, les médicaments. Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), plus de 70 000 enfants ont besoin d’un traitement d’urgence contre une malnutrition aiguë. Dimanche dernier, après trois mois d’efforts diplomatiques constants, le gouvernement israélien a annoncé le déblocage d’une partie de l’aide humanitaire. Cette annonce est insuffisante. J’appelle à ce que l’aide humanitaire parvenant à Gaza soit immédiate, massive et sans entrave pour répondre à l’ampleur de la tragédie humaine en cours. Je condamne fermement la volonté exprimée par certains membres du gouvernement israélien de contraindre les populations, à force de destructions, à quitter définitivement Gaza. Ce projet est inacceptable et il est contraire aux intérêts de sécurité d’Israël. On ne construit pas la paix, la stabilité, la sécurité sur l’injustice et la violence.

Mon homologue néerlandais a demandé à la Commission européenne de réexaminer l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël si son article 2, qui impose le respect des droits de l’Homme, est violé. Nous avons appelé la Commission européenne à se saisir du dossier et à apporter une réponse à la hauteur de ce que vivent les Palestiniens. En attendant, il est urgent d’aller vers un cessez-le-feu, que cessent les souffrances des populations civiles, que soient libérés sans conditions tous les otages du Hamas – qui doit être désarmé –, dont les dirigeants doivent quitter la bande de Gaza et qui doit être exclu à l’avenir de toute forme d’administration de Gaza ou de la Palestine.

Dans ce contexte dramatique, nous préparons activement la conférence sur la solution à deux États que la France co-présidera avec l’Arabie saoudite du 17 au 20 juin prochains à New York ; c’est la seule initiative diplomatique porteuse d’espoir. Nous avons pour priorités la reconnaissance de l’État de Palestine, la normalisation par des pays musulmans de leurs relations avec Israël, les réformes de l’Autorité palestinienne, le désarmement du Hamas et l’architecture régionale de sécurité. Je recevrai, vendredi en principe, les représentants des pays arabes pour que nous puissions progresser.

J’ajoute que le ministère des affaires étrangères a réalisé deux opérations d’évacuation de la bande de Gaza les 16 et 25 avril. Elles ont permis de mettre à l’abri 174 personnes, ressortissants français et leurs ayants-droit, personnels de l’Institut français de Gaza et leurs familles et personnalités palestiniennes proches de notre pays.

Nous œuvrons à la stabilisation de la Syrie. Le 7 mai, le président de la République a été le premier chef d’État occidental qui ait reçu le président intérimaire Ahmed al-Charaa. Cette visite a permis de sécuriser des engagements importants dans la lutte contre le terrorisme de Daech – dont nous voulons écarter le risque de résurgence en Syrie –, les négociations avec nos alliés kurdes et la lutte contre l’impunité des crimes commis par le régime de Bachar al-Assad comme par les auteurs des exactions contre les communautés alaouites et druzes au cours des derniers mois. En contrepartie, nous avons annoncé la levée des sanctions économiques visant la Syrie, adoptée aujourd’hui au Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne ; le clan Assad et les groupes terroristes demeurent évidemment sous sanctions.

Sur place, nous rouvrons notre dispositif diplomatique. Le chargé d’affaires nommé pour renforcer l’action de la France auprès de toutes les composantes de la société syrienne s’est rendu à Damas pour la première fois la semaine dernière. Nous sommes lucides sur la situation politique en Syrie, où des affrontements ont eu lieu ces dernières semaines. Un accord a été trouvé le 2 mai entre le gouvernement syrien et les notables druzes mais la situation reste fragile. Comme il n’y a pas de paix possible sans justice, nous avons demandé aux autorités syriennes de traduire devant les tribunaux les auteurs des exactions et, à mon initiative, nous avons fait adopter des sanctions européennes visant les responsables des massacres perpétrés en mars contre la population alaouite, comme je m’y étais engagé publiquement.

Le dossier nucléaire iranien engage la sécurité du territoire national. Nous encourageons le dialogue ouvert par les États-Unis avec l’Iran et souhaitons qu’il aboutisse mais nous sommes vigilants. Si, dans quelques semaines, lorsque l’accord sur le nucléaire iranien expirera, nos intérêts de sécurité n’étaient pas garantis, nous appliquerions à nouveau les sanctions que nous avions décidé de lever lors de la signature de cet accord, il y a dix ans.

Nous sommes mobilisés sans relâche pour obtenir la libération des otages Cécile Kohler et Jacques Paris, couple de professeurs emprisonné arbitrairement depuis trois ans en Iran et détenu dans des conditions assimilables à de la torture. Je remercie l’Assemblée nationale de leur avoir rendu hommage. Comme je vous l’avais annoncé, nous avons fait adopter le 14 avril dernier des sanctions européennes contre les responsables des services pénitentiaires et judiciaires iraniens qui mettent en œuvre cette politique d’otages d’État. Le 16 mai, comme je m’y étais également engagé devant vous, nous avons déposé plainte devant la Cour internationale de justice pour violation du droit international par les autorités iraniennes, qui refusent à nos ressortissants la protection consulaire à laquelle ils ont droit. Ne leur ont été permises que quatre visites consulaires en trois ans, dans des conditions extrêmement restrictives. Les services du ministère continuent d’accompagner étroitement les familles et les proches de Cécile Kohler et de Jacques Paris dans cette épreuve douloureuse.

Au Soudan, la guerre entre l’armée et la milice paramilitaire des Forces de soutien rapide continue de plonger le pays dans la crise humanitaire la plus grave que connaît le monde ; 12 millions de personnes sont déplacées et 30 millions sont au bord de la famine. Pour marquer les deux ans de ce conflit, nous avons organisé le 15 avril dernier, à Londres, avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Union européenne et l’Union africaine la deuxième Conférence humanitaire pour le Soudan que j’ai co-présidée. La première s’était tenue à Paris. Vingt-deux États et organisations internationales et régionales ont participé à cette rencontre qui a permis de lever près d’un milliard d’euros d’aide supplémentaire pour soutenir la population soudanaise. Nous continuerons de nous mobiliser pour éviter de devoir marquer le troisième anniversaire de ce conflit.

En Europe, nous avons fait redémarrer au quart de tour le moteur franco-allemand. Le nouveau chancelier, Friedrich Merz, est venu à Paris rencontrer le président de la République le 7 mai, dès le lendemain de son élection. J’ai rencontré mon homologue allemand le même jour et nous nous sommes rendus ensemble à Varsovie, puis à Lviv le 9 mai, pour rappeler notre détermination à soutenir l’Ukraine. Face à la menace russe et compte tenu de la posture de l’administration américaine, nous sommes décidés à rebâtir un couple franco-allemand fort, capable de redonner une impulsion solide à l’Europe. La compétitivité sera au cœur de notre action. Nous agirons pour renforcer nos convergences en matières économique, fiscale, sociale, de sécurité et d’immigration.

Le 9 mai, nous avons aussi célébré le 75ème anniversaire de la déclaration de Robert Schuman, point de départ de la construction européenne et, le même jour, signé le traité pour une coopération et une amitié renforcées avec la Pologne dit « traité de Nancy ». Je salue l’engagement des agents de mon ministère qui ont rendu ce succès diplomatique possible au terme de négociations très dures. Ce traité touche à de très nombreux domaines : énergie, mobilité étudiante, industrie et coopération de défense. Il comporte notamment une clause de solidarité mutuelle en cas d’agression. C’est le premier accord d’une telle ampleur signé par la France avec un pays qui ne lui est pas limitrophe.

Je me rendrai la semaine prochaine en Arménie pour poursuivre nos initiatives en faveur d’une paix respectueuse de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des deux États concernés. J’invite les membres du groupe d’amitié qui le souhaitent à se joindre à ce déplacement. Lors de ma dernière audition, je vous avais indiqué combien nous étions mobilisés en faveur de la signature rapide du traité de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ; cette mobilisation ne faiblit pas et le président de la République s’est entretenu avec le premier ministre arménien vendredi dernier à Tirana. Les deux pays se sont mis d’accord sur les termes d’un traité de paix mais les travaux se poursuivent sur la délimitation de la frontière. La France a exprimé avec l’Union européenne et les États-Unis le souhait de voir le traité signé et ratifié dans les meilleurs délais. L’Arménie accueillera d’autre part à Goris, les 2 et 3 juin, les Assises de la coopération décentralisée franco-arménienne. Je souligne l’importance de l’implication des élus au service de notre action diplomatique. Les collectivités territoriales, par le biais de la coopération décentralisée et de leur action internationale, sont le premier partenaire du ministère des affaires étrangères.

La Communauté politique européenne a tenu son sixième sommet à Tirana le 16 mai dernier. Quarante-sept dirigeants européens ont répondu à l’appel, dont Volodymyr Zelensky, et des échanges importants ont eu lieu sur la sécurité européenne et la lutte contre les ingérences étrangères. La Communauté, lancée en 2022 pendant la présidence française de l’Union européenne, a démontré sa pertinence ; elle illustre la force créative de la diplomatie française.

Du 2 au 13 juin prochains, nous accueillerons à Nice la 3ème Conférence des Nations unies sur l’océan. L’océan est l’affaire de tous. Il produit la moitié de l’oxygène que nous respirons : c’est notre plus grand puits de carbone – il absorbe 30 % de nos émissions de CO2 – et un réservoir de biodiversité, un quart des espèces y ayant leur habitat. Pourtant, l’océan reste méconnu, ne dispose ni d’une gouvernance globale ni des financements nécessaires à sa préservation, et il est en danger. Nous souhaitons que la 3ème Conférence marque pour l’océan un tournant équivalent à ce que fut l’accord de Paris pour le climat il y a dix ans. Vous êtes toutes et tous invités à participer, le 8 juin, au Parlement de la mer qui rassemblera des parlementaires du monde entier. Je remercie les députés Éléonore Caroit et Hervé Berville qui se sont fortement mobilisés pour donner le maximum d’impact à ce très important sommet.

Je reviens sur les deux chantiers de transformation du ministère dont j’avais fait état devant vous le 2 avril.

Le premier vise à mesurer l’impact de notre action sur la vie quotidienne des Françaises et des Français. Nous avons lancé un travail interne permettant non seulement de faire valoir tout ce que le ministère apporte à nos compatriotes établis à l’étranger – je parle, ce disant, du service public sans doute le mieux géré de France, qu’il s’agisse de la délivrance des actes, de l’accès à l’enseignement ou de l’organisation des votes, qu’ils peuvent réaliser par Internet – mais aussi de démontrer précisément l’impact de l’action diplomatique de la France sur les préoccupations de nos concitoyens. Je vous parlais tout à l’heure de l’importance de la politique d’attractivité pour l’emploi mais il n’y a pas que cela : les agents du ministère à Paris et dans les postes diplomatiques sont pleinement mobilisés dans la lutte contre l’immigration irrégulière, le narcotrafic et le terrorisme. Le groupe de travail que nous avons constitué avec des volontaires issus de toutes les directions du ministère nous permettra de le faire apparaître. J’en dirai un mot demain à la commission des finances de votre Assemblée, qui m’auditionnera sur le bilan de l’année 2024 dans le cadre du Printemps de l’évaluation.

Je vous avais aussi dit notre intention de « monter le son », afin que la voix de la France soit entendue pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle dit dans un monde structuré par des réseaux sociaux qui déforment et fragmentent l’espace public. Cela vaut pour les messages que porte la France. Cela vaut aussi pour riposter lorsque la France ou son image sont prises pour cibles par des acteurs étrangers qui veulent lui causer du tort.

Pour mieux faire comprendre l’action de la France à l’étranger, nous avons engagé une démarche auprès des diasporas, notamment africaines, en France. Le Forum Ancrages, que nous avons organisé à Marseille il y a quelques semaines, visait à mettre en valeur les créateurs et les entrepreneurs issus des diasporas qui forment des ponts entre la France et les pays africains et montrent par leurs activités et les programmes dont ils sont les bénéficiaires ou les lauréats l’approche transformée de la France vis-à-vis des pays d’Afrique. Cette approche partenariale qui respecte la souveraineté des pays africains tend à des coopérations mutuellement bénéfiques. J’ai aussi engagé le dialogue avec les principales figures des grandes diasporas africaines en France. Je poursuivrai ce travail.

S’agissant de la riposte, je signale que, pour la première fois, nous avons officiellement attribué au service de renseignement militaire russe des cyberattaques sur le mode APT28 ayant pris pour cibles l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 et la campagne présidentielle de 2017, le dénonçant donc publiquement comme nous avions dénoncé l’origine russe d’une campagne de désinformation, par le mode opératoire informationnel Storm-1516, visant des élections un peu partout en Europe – y compris, en France, les élections européennes et législatives de 2024. Vous aurez aussi constaté que nous avons riposté avec plus de vigueur que par le passé à deux opérations récentes. L’une, dite « du mouchoir », tendait à faire passer un mouchoir en papier pour un pochon de cocaïne dans le train emmenant les dirigeants européens jusqu’à Kiev. Plus récemment, nous avons été la cible d’allégations infondées sur une supposée ingérence de la France dans le processus électoral en Roumanie alors que, chacun s’en souvient, si les élections ont eu lieu dimanche dernier dans ce pays c’est parce que la première tentative a dû être annulée après qu’il eut été établi que les règles de financement de la campagne électorale avaient été dévoyées avec l’aide du réseau TikTok pour favoriser l’émergence d’un des deux candidats. Nous avons très vigoureusement réagi aux allégations infondées dont la France était la cible ce week-end, et vous pouvez vous attendre à ce que, dans les semaines et les mois qui viennent, nous montions également le son en matière de riposte.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie pour cet exposé et pour les informations que vous avez données sur nos deux compatriotes retenus otages en Iran et les efforts que vous poursuivez pour obtenir leur libération. Mais d’autres Français sont emprisonnés ailleurs, dont Paul Maillot à Madagascar ou Tom Félix dont vous avez rencontré la famille en Malaisie.

Sur un autre plan, je salue la nomination de Christophe Bigot en qualité de représentant spécial de l’Union européenne pour le processus de paix au Proche-Orient. C’est une bonne nouvelle pour la diplomatie française.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.

M. Michel Herbillon (DR). La semaine dernière ont eu lieu à Istanbul les premiers pourparlers directs entre l’Ukraine et la Russie depuis le début du conflit entre ces deux belligérants. Tout le monde y était pour tenter de relancer le dialogue, sauf Vladimir Poutine. Son absence n’est pas un détail, c’est un message : le président russe ne cherche pas la paix, il la refuse délibérément ; et pendant que la communauté internationale tentait de raviver l’espoir un minibus ukrainien a été pulvérisé par un drone russe et neuf civils sont morts. Ce comportement cynique illustre l’hypocrisie de la Russie, qui s’est à nouveau manifestée hier lors de la conversation téléphonique entre Donald Trump et Vladimir Poutine, vraisemblablement peu concluante. Alors que le président américain semble espérer des négociations rapides, le président russe joue une nouvelle fois la montre en évoquant des étapes préalables : un mémorandum et une discussion sur les causes profondes et l’origine du conflit.

Étant donné l’attitude dilatoire de Vladimir Poutine, vous avez évoqué la semaine dernière la nécessité de sanctions dévastatrices pour « prendre la Russie à la gorge », en coordination avec les États-Unis, par le biais de droits de douane de 500 % sur les importations de pétrole russe. Mais comment garantir concrètement que ces nouvelles sanctions seront effectivement appliquées et non pas contournées par la Russie, comme l’ont souvent été les trains de sanctions précédents ? Comment vous assurez-vous du soutien de votre homologue américain alors que le président Trump menace une nouvelle fois de se désengager du règlement de ce conflit ?

Par ailleurs, le 11 mai dernier, le gouvernement algérien a, de nouveau, brutalement expulsé plusieurs de nos agents. En réponse, vous avez annoncé que la France agirait immédiatement et de manière proportionnée en expulsant tous les agents algériens titulaires de passeports diplomatiques ne disposant pas de visa. Cette mesure a-t-elle été effectivement mise en œuvre ? Nos pensées vont à Boualem Sansal, notre compatriote détenu arbitrairement depuis plus de six mois, dont nous appelons à la libération dans les plus brefs délais ; nous comptons sur votre engagement à ce sujet. Sur le fond, comment envisagez-vous la sortie de la crise profonde entre la France et l’Algérie et la fin du blocage de leurs relations ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Il est vrai que l’absence de Vladimir Poutine à Istanbul n’était pas un détail mais un message. Initialement, nous considérions qu’un cessez-le-feu ne suffisait pas car nous voulions une paix durable mais Donald Trump, jugeant que l’on ne peut pas négocier sous les bombes, a beaucoup insisté en ce sens. Il avait raison, puisque les discussions engagées il y a trois ans, à Istanbul déjà, avaient été interrompues par le massacre de Boutcha. Cela signifie que lorsqu’on se bat pour un cessez-le-feu et que l’on essaye de structurer l’architecture de sécurité d’une région comme celle-là, on a assez peu de chances d’y parvenir. Nous avons désormais intérêt à bloquer la continuation de la guerre coloniale de Vladimir Poutine par la menace de sanctions suffisamment dissuasives pour produire un effet utile : le cessez-le-feu.

Je parle presque un jour sur deux au téléphone au sénateur américain Lindsey Graham, qui est à l’origine de la proposition de loi tendant à taxer à 500 % les importations en provenance de pays qui continuent d’acheter du pétrole russe. La base de réflexion de la Commission européenne pour le nouveau paquet de sanctions dissuasives n’est pas tout à fait la même mais nos échanges avec les sénateurs américains nous ont permis de faire accélérer ce travail, la Commission n’ayant pas l’intention, avant que nous fassions monter la pression, de remettre l’ouvrage sur le métier avant l’été. Nous avons donc obtenu qu’elle se retrousse les manches et c’est une bonne chose. Je veux une nouvelle fois mettre en valeur le travail des agents du ministère : pour le 17ème paquet de sanctions que nous avons adopté et qui n’est pas de nature à interrompre la progression de Poutine, le Quai d’Orsay a fourni à lui seul près de la moitié des désignations, alors que l’Union européenne compte vingt-sept membres. J’appelle tous les Européens à trouver des moyens de contribuer à cet effort de sanctions.

Avec l’Algérie, nous avons appliqué les ripostes que j’avais annoncées : immédiates, fermes et proportionnées. La vérité, c’est que, par leurs décisions, les autorités algériennes ont dénoncé de facto l’accord de 2013 régissant la délivrance et l’utilisation des passeports diplomatiques entre nos deux pays. Ce faisant, elles creusent encore le fossé qu’elles ont contribué à établir entre nos deux gouvernements. C’est donc à elles qu’il faut demander comment rétablir le dialogue ; pour notre part, nous ne voyons, à ce stade, aucun espace de dialogue possible. Nous sommes très préoccupés par l’état de santé de Boualem Sansal et très attentifs à sa situation. Le procès en appel a encore été repoussé et je le déplore. Je souhaite que le jugement intervienne au plus vite et qu’ensuite les autorités algériennes, comme nous les y avons appelées, fassent un geste d’humanité à son égard.

Mme Dominique Voynet (EcoS). La France se targue d’une diplomatie d’équilibre et d’un fort soutien au multilatéralisme. Vous entendez monter le son ; fort bien. Pourtant, nous constatons une perte préoccupante de la crédibilité de notre pays sur la scène internationale. Notre politique étrangère semble, depuis 2017, guidée par des impulsions présidentielles successives sans concertation avec vos services, qui sont parfois même marginalisés, et par des positions rarement suivies d’effets positifs. Quelle réponse à la perte de la voix de la France au Sahel et à l’hostilité des populations et des gouvernants envers l’ancienne puissance coloniale ? On suspend les visas pour les étudiants maliens, nigériens, burkinabés, accentuant ainsi leur ressentiment à notre égard. La stratégie est la même face à l’Algérie : l’Exécutif se montrant incapable de ramener le sur-actif ministre de l’intérieur à la raison, nous connaissons les résultats : ils sont nuls. Le revirement historique consistant à reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, en contradiction avec des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, n’a rien arrangé et la relation entre la France et l’Algérie ne s’en est toujours pas remise.

L’annonce d’une possible reconnaissance de l’État palestinien a suscité de grands espoirs. L’idée d’une conférence internationale à New York, avec le soutien de l’Arabie saoudite, en vue d’une reconnaissance mutuelle, est attrayante mais à quel point a-t-elle été travaillée avec nos partenaires ? Alors que Trump négocie en ce moment même le déplacement d’un million de Gazaouis vers la Libye et que le gouvernement israélien entend contrôler l’ensemble du territoire de Gaza, quel avenir a cette annonce ? Les conditions posées font s’interroger. Vous les avez énumérées ce matin même sur France Inter : le désarmement du Hamas, son exil et sa non-participation à l’avenir de la Palestine. À force de conditions, on devine déjà l’issue : il ne se passera rien. Des annonces et des reculs ne font pas une politique.

Le désordre est le même en matière d’écologie et de lutte contre le changement climatique. La France, pays de l’accord de Paris, soutient ou laisse faire les projets d’intérêt privé de TotalEnergies en Ouganda, où le pipeline EACOP traversera des zones écologiquement sensibles du parc naturel des Murchison Falls. Même mollesse s’agissant des accusations de complicité de crimes de guerre à Afungi, au Mozambique ; en d’autres termes : « faites ce que je dis, pas ce que je fais ».

Dans ces conditions, comment la France retrouvera-t-elle sa crédibilité et son influence sur la scène internationale ? Le travail de long terme de nos diplomates n’est-il pas mis à mal par les revirements et l’instabilité des positions d’un président en quête d’un moment gaullien faute de maîtriser sa politique intérieure ? Ne faut-il pas envoyer les bons signaux à nos diplomates qui se désespèrent de l’amateurisme déployé en haut lieu ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Vous êtes un peu dure. Nos diplomates ont des raisons d’être fiers de l’action qu’ils mènent. Je vais néanmoins vous répondre point par point.

Au Sahel, je vous le disais, notre point d’entrée, même si des difficultés – que nous devons régler – subsistent sur la question des visas des étudiants, est la société civile. C’est pourquoi la première des diasporas que j’ai rencontrées est la diaspora malienne : l’une des principales en France, dont certains représentants sont opposés à la junte au pouvoir dans leur pays, ont envie d’un autre avenir pour le Mali et sont attachés à la France comme ils le sont à leur pays d’origine. C’est avec eux que nous voulons rebâtir une relation. C’est la raison pour laquelle, au Sahel et ailleurs, les liens établis par la diplomatie parlementaire dans les pays où vous vous déployez sont si précieux.

Il n’y a aucune raison que la décision prise par la France au sujet du Sahara occidental ait un impact sur notre relation avec l’Algérie. Beaucoup de pays européens ont pris cette décision avant nous sans que l’Algérie en tire des conséquences pour sa relation avec eux. La France a le droit souverain d’entretenir les relations qu’elle entend, différentes les unes des autres, avec chacun des pays de son voisinage immédiat.

Je trouve aussi dure l’appréciation que vous portez sur l’annonce que la France est déterminée à reconnaître l’État de Palestine à brève échéance. Cette annonce a soulevé une espérance et de nombreux pays européens attendent que nous fassions ce mouvement pour le faire avec nous. On ne peut s’empêcher de vouloir que cette décision ne reste pas que symbolique, même si les symboles comptent, surtout quand la perspective d’une solution politique est fragilisée comme elle l’est aujourd’hui. Imaginons que l’on parvienne ainsi au désarmement du Hamas et à une réforme en profondeur de l’Autorité palestinienne la mettant en mesure, le moment venu, d’administrer l’État de Palestine ? Il est difficile de ne pas vouloir le tenter.

On peut toujours faire mieux, certes, mais l’accord de Paris sur le climat est l’un des grands succès de ces dernières décennies de la diplomatie française. Nous démontrerons, lorsque nous célébrerons son dixième anniversaire cette année, qu’il a eu un impact mesurable sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre. L’accueil de la 3ème Conférence des Nations unies sur l’océan, auquel nous consacrons tant d’énergie et de ressources, est une nouvelle démonstration de la volonté de la France de ne rien lâcher à ce sujet, comme sur les autres.

M. le président Bruno Fuchs. Monsieur le ministre insiste sur l’importance de la diplomatie parlementaire. On en voit un exemple avec le Mali, qui s’est retiré de l’Organisation internationale de la Francophonie mais qui, quelques semaines auparavant, avait fortement contribué à l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, dont il était le deuxième contributeur net après la France. L’antagonisme entre les Exécutifs peut apparaître fort mais de nombreux acteurs agissent à d’autres niveaux pour le bien des citoyens des deux pays.

Mme Louise Morel (Dem). Notre groupe se félicite des résultats du second tour de l’élection présidentielle en Roumanie. Après que le candidat d’extrême droite était arrivé en tête au premier tour, la victoire du candidat pro-européen, qui a obtenu 54 % des suffrages au second tour, est un soulagement pour ce pays, mais aussi pour l’Europe. Le sursaut démocratique des électeurs roumains a empêché que le pays bascule dans une extrême-droite anti-européenne et anti-ukrainienne faisant le jeu de la Russie de Poutine, même si elle s’en défendait. Les circonstances de cette élection présidentielle sont inédites : non seulement une première tentative a été invalidée mais elle a été perturbée par le soupçon d’ingérences russes, comme ce fut le cas en Pologne et en Moldavie. Les tentatives de déstabilisation qui se multiplient fragilisent la sécurité démocratique de tout le continent. Comment l’Europe peut-elle préserver l’intégrité de ses processus électoraux face aux ingérences numériques ? Peut-on envisager une coopération en ce sens entre la Roumanie et les instances de l’Union européenne ?

D’autre part, quelles sont les suites à attendre de la plainte déposée par la France contre l’Iran devant la Cour internationale de justice au sujet des otages Cécile Kohler et Jacques Paris, retenus depuis trois ans dans des conditions indignes et contraires au droit international ? Il y a urgence à ce qu’ils soient libérés et que justice soit rendue.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Vous avez raison, Vladimir Poutine a pour stratégie la conquête par les armes sur le champ de bataille en Ukraine mais aussi l’influence dans les urnes lors des derniers scrutins européens. Il est heureux que les dégâts causés lors du scrutin de la fin 2024 aient pu être réparés, mais le mal est fait. Se pose bien sûr la question de savoir si la Roumanie, située sur le flanc oriental de l’Union européenne et en prise directe avec une Russie désormais armée jusqu’aux dents, a intérêt ou non à se donner un dirigeant nationaliste et pro-russe. Mais, de manière plus grave et plus profonde, l’annulation de l’élection présidentielle a indiqué qu’à moins que nous nous réveillions, nous prenions le risque de voir démontré que les élections peuvent être facilement manipulées – et si le sentiment s’installe qu’il en est ainsi, s’installe aussi le sentiment qu’elles sont peut-être insincères et que ce n’est peut-être pas la meilleure manière de prendre les décisions.

Nous devons donc prendre cette question très au sérieux, d’abord en détectant ces manœuvres. Cela suppose de disposer de moyens d’expertise particuliers et la France a pris un peu d’avance avec Viginum. Cela suppose aussi de préserver et de défendre une presse libre, indépendante, pluraliste, l’un des leviers principaux pour détecter ces manœuvres. Il faut ensuite leur faire échec. J’ai parlé de la riposte mais les plateformes de réseaux sociaux doivent prendre leurs responsabilités. Elles sont codifiées par le règlement sur les services numériques démocratiquement adopté au niveau européen et que la Commission européenne est chargée d’appliquer. Ce règlement établit que les plateformes de réseaux sociaux doivent veiller à ce que leurs services ne perturbent pas le débat public et l’exercice démocratique. Des enquêtes ont été diligentées ; il est temps qu’elles soient conclues et que des sanctions soient prononcées. Il y a enfin une question d’immunité collective : nul d’entre nous ne doit se laisser contaminer, afin de ne pas contaminer les autres. Cela suppose le développement de l’esprit critique.

La plainte que nous avons déposée contre l’Iran devant la Cour internationale de justice va être plaidée et si, comme je l’imagine, l’Iran est estimé coupable par les juges, il sera condamné. Cette plainte est aussi un levier de pression. Si nous avons pu obtenir une très courte visite consulaire cette année, c’est grâce à la pression que nous avons collectivement fait monter sur l’Iran, et je vous invite à continuer de faire pression sur ce pays au sujet de nos deux otages.

M. le président Bruno Fuchs. La commission est très mobilisée pour eux et pour d’autres ressortissants français emprisonnés dans le monde.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). Hier, à Londres, le Royaume-Uni et la présidente de la Commission européenne, accompagnée du président du Conseil européen, ont scellé un partenariat stratégique sur la défense et la sécurité. On peut se féliciter de la décision relative à l’accès de nos pêcheurs aux eaux britanniques. On peut aussi se satisfaire de l’accès au futur programme européen de défense, doté de 150 milliards d’euros, octroyé aux entreprises britanniques, mais souhaiter que la participation à ce programme exige une contribution financière britannique. Cinq ans après le Brexit, s’agit-il d’un moment historique, comme le suggèrent certains, et une nouvelle ère commence-t-elle ? Le Royaume-Uni joue un rôle de premier plan dans le soutien à l’Ukraine et mène avec la France des efforts indiscutables pour construire une coalition des volontaires. Mais ce qui a été conclu hier n’est, bien entendu, ni une nouvelle adhésion à l’Union européenne ni une participation au marché unique sur le modèle des pays membres de l’Espace économique européen. Ce n’est pas davantage un retour dans l’union douanière, puisque le Royaume-Uni négocie directement un accord commercial avec les États-Unis. Cela ne peut non plus être une sorte d’accord à la carte. Quelle est donc la nature de l’accord signé à Londres ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je trouve dans cet accord une satisfaction presque personnelle, parce qu’il y a un an exactement, j’étais à Boulogne-sur-Mer avec des pêcheurs très inquiets sur le sort qui leur serait réservé. Alors qu’approchait la renégociation des accords du Brexit, l’accès aux eaux britanniques risquait de leur être interdit en 2026. Grâce à l’accord trouvé par la Commission européenne – et la France a tapé du poing sur la table ou, en tout cas, a rechigné à laisser filer un accord sans avoir de garanties –, cet accès sera préservé jusqu’en 2038.

S’agissant des programmes militaires, nous défendons la même position que vous : nous travaillerons plus étroitement avec le Royaume-Uni tout en conservant notre objectif, celui de la souveraineté européenne, en matière de défense comme en d’autres domaines. Et si le rapprochement est manifeste, le Royaume-Uni ne peut pas être traité tout à fait comme un État membre de l’Union européenne, ni même comme les membres de l’Espace économique européen, qui contribuent financièrement à la politique de cohésion.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Personne ne méconnaît la situation du Myanmar depuis la prise du pouvoir par la junte militaire. Le séisme du 28 mars dernier a causé plus de 3 800 morts et les autorités empêchent l’accès de la population à l’aide humanitaire alors que le gel de l’aide américaine se traduit notamment par la fermeture brutale d’hôpitaux dans des camps de réfugiés et, en conséquence, par la mort de nombre d’entre eux. Les réfugiés birmans dans les pays frontaliers sont également dans une situation critique, indépendamment même de leurs conditions de vie. Pour ne citer que le cas de la Thaïlande – qui, en février dernier, a expulsé vers la Chine des dizaines d’Ouïgours où ils sont pourtant victimes de génocide –, on peut nourrir de fortes inquiétudes quant au possible renvoi de réfugiés qui seraient alors menacés de mort ou enrôlés par la junte. Le président de la République se rendra à la fin du mois au Dialogue Shangri-La 2025, à Singapour : quelle position prendra la France pour défendre les principes du droit international humanitaire et quelles garanties seront demandées aux pays frontaliers du Myanmar pour assurer la protection des réfugiés birmans ?

Depuis mars dernier, Israël, invoquant son détournement par le Hamas, bloque l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza. Hier seulement, neuf camions ont enfin pu passer, bien trop peu au regard des besoins de la population. Pour contourner cette impasse, les États-Unis ont lancé un nouveau mécanisme de distribution excluant les Nations unies et les organisations non gouvernementales (ONG) traditionnelles. L’aide serait désormais gérée par une entité privée, la Gaza Humanitarian Foundation ; la sécurité immédiate des travailleurs humanitaires serait assurée par des prestataires privés, l’armée israélienne se chargeant de la sécurité « à distance ». Ce dispositif est fortement critiqué par l’Organisation des Nations unies (ONU), qui dénonce une atteinte aux principes fondamentaux de neutralité, impartialité et indépendance de l’aide humanitaire. C’est aussi le point de vue qu’a exprimé le représentant de la France à l’ONU. Quelles conséquences cette proposition pourrait-elle avoir sur le modèle actuel de l’aide humanitaire et sur le travail de nombreuses ONG pour lesquelles ces principes sont fondamentaux ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Le président de la République, en déplacement dans la région la semaine prochaine, abordera la question du Myanmar avec tous ses interlocuteurs. Avec plus de 11 millions d’euros d’aide humanitaire en 2024 et son soutien aux organisations de la société civile et de l’opposition démocratique, la France est au premier rang de l’aide donnée par l’Union européenne, qui a été de 46 millions d’euros en 2024. Pour porter assistance aux populations touchées par le séisme du 28 mars dernier, la France a apporté une aide exceptionnelle de 2 millions d’euros, dont 1 million est allé aux ONG françaises sur place, 0,5 million au Programme alimentaire mondial et 0,5 million au Comité international de la Croix-Rouge. Nous continuerons de soutenir la population birmane au Myanmar et les personnes déplacées dans les pays voisins. Nous poursuivrons aussi nos pressions sur le régime issu du coup d’État, par le biais de la politique européenne de sanctions à l’encontre des entreprises et des individus birmans impliqués dans la fourniture de matériel militaire ; le neuvième train de sanctions a été adopté en octobre 2024. La France appelle également à l’arrêt durable des violences et à l’ouverture d’un dialogue incluant toutes les parties, conformément au consensus en cinq points de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et à la résolution 2669 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous sommes très opposés aux modalités de la délivrance de l’aide humanitaire à Gaza présentées par le gouvernement israélien et que vous avez décrites. Elles contreviennent au droit international humanitaire en prévoyant le criblage des organisations qui peuvent délivrer l’aide ainsi que le criblage des bénéficiaires. On ne peut méconnaître le détournement par le Hamas d’une partie de l’aide humanitaire, qui a contribué à entraver la tâche des travailleurs humanitaires sur place, mais la solution proposée créerait un précédent dangereux et nous ne pouvons que nous y opposer.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). L’Association des juristes pour le respect du droit international va agir en justice contre l’Union européenne pour manquement à son obligation de prévention du génocide à Gaza, ce que nous dénonçons depuis le début des bombardements de civils, des violations les plus flagrantes du droit international et de la commission de crimes contre l’humanité. L’article 1er de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide votée par la France en 1950 est ainsi libellé : « Les parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir ». Depuis des mois, nous interpellons le gouvernement pour qu’il en soit ainsi et que des actions aient lieu. Des paroles sont prononcées mais d’actions, point.

Vous m’avez répondu mardi dernier, lors des questions d’actualité, que des pays membres de l’Union européenne avaient interpellé la Commission européenne sur le respect par le gouvernement israélien de l’article 2 de l’accord d’association entre l’Union et Israël et que la France soutenait cette démarche. Mais pourquoi la France, qui prétend être un grand pays et avoir une diplomatie de haut niveau, n’a-t-elle pas pris cette initiative ? Quelles actions allons-nous entreprendre pour ne plus nous rendre complices de crimes contre l’humanité et pour faire pression sur Israël afin de le contraindre à cesser ces massacres ?

Neuf entreprises israéliennes doivent être présentes au Salon international de l’aéronautique et de l’espace au Bourget en juin. Leur interdirez-vous d’exposer leurs matériels pour ne pas promouvoir des armes certainement utilisées pour massacrer le peuple palestinien ?

Enfin, vous avez fait valoir que d’autres pays européens ont, avant la France, reconnu le Sahara occidental comme étant marocain sans que leurs relations avec l’Algérie se dégradent et semblé surpris qu’il en soit autrement quand la France prend cette décision. Mais l’histoire commune de la France, de l’Algérie et du Maroc est sans équivalent, et il va donc de même du regard que portent les peuples marocain et algérien sur ce que fait la France dans un sens ou dans l’autre. C’est bien pourquoi la décision de la France a été à ce point mal vécue par le peuple et le gouvernement algériens, entraînant les réactions que l’on sait.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Avant de vous répondre, je vous indique qu’une dépêche tombée à l’instant nous informe que le Royaume-Uni dénonce son accord de libre-échange avec Israël. L’accord d’association entre l’Union européenne et Israël suppose le respect de son article 2 stipulant que les relations entre les parties sont fondées sur le respect des droits de l’Homme. Les Pays-Bas ont proposé – et nous soutenons cette proposition, je vous l’ai dit – que la Commission européenne examine le respect de l’article 2 par le gouvernement israélien. La discussion doit avoir lieu aujourd’hui à Bruxelles mais j’ai préféré être avec vous plutôt qu’avec mes collègues au Conseil européen.

S’il est avéré que le gouvernement israélien ne respecte pas l’article 2 de cet accord, plusieurs possibilités sont envisageables. La première est, comme l’avait proposé Josep Borrell, le précédent Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, de convoquer les Européens et les Israéliens pour que l’on en discute. Cela a été fait mais Israël n’a pas répondu à cette sollicitation. La deuxième possibilité, c’est la suspension de l’accord d’association dans son entier : elle requiert l’unanimité, hors d’atteinte aujourd’hui. La troisième possibilité est la suspension du volet commercial de l’accord : elle suppose une majorité qualifiée qui, selon nos estimations actuelles, n’est pas tout à fait à portée. C’est pourquoi nous avons, en première intention, soutenu l’effort des Pays-Bas. Mais lorsque nous avons pris des initiatives au niveau européen, nous avons privilégié celles qui avaient toutes les chances d’aboutir rapidement. Ce fut le cas pour les sanctions contre les colons extrémistes et violents et les entités favorisant ou participant d’une manière ou d’une autre à la colonisation. C’est aussi ce qui explique nos efforts en perspective de la conférence internationale, en juin, visant à la reconnaissance de l’État de Palestine et à faire progresser la solution à deux États.

Pour le Salon du Bourget, nous prendrons une décision en temps et en heure. Vous savez quelle a été la politique de la France pour les salons Eurosatory et Euronaval et ce qu’est sa position au sujet des exportations d’armes à destination d’Israël.

J’ai épuisé mon temps de parole, monsieur le président, mais je reparlerai très volontiers du Sahara occidental.

Mme Christelle D’Intorni (UDR). Nous ne regretterons jamais le régime sanglant de Bachar al-Assad mais mon groupe est indigné de la faute politique majeure que fut l’accueil en grande pompe à l’Élysée, le 7 mai dernier, du président syrien Ahmed al-Charaa. Ce chef de guerre islamiste a contribué au développement de Daech en Irak avant de fonder Al-Nosra en Syrie, un mouvement affilié à Al-Qaïda devenu Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Ce choix politique est une insulte à nos soldats morts en opération et aux familles des victimes de terrorisme islamiste. Le bourreau du professeur Samuel Paty était en contact étroit avec le groupe HTC. C’est cette organisation islamiste qui dirige la Syrie aujourd’hui et c’est son chef que vous décidez d’accueillir à Paris, ce même al-Charaa qui a refusé de serrer la main à une ministre allemande parce qu’elle est une femme.

Ces compromissions avec nos bourreaux sont incompréhensibles pour la représentation nationale et pour de nombreux Français. Avec Emmanuel Macron, la France se compromet avec ceux qu’elle combattait hier. La situation en Syrie est connue : vous exhortez le dirigeant syrien à défendre les minorités et parallèlement des groupes islamistes liés au régime, telle l’Armée nationale syrienne, massacrent des Alaouites, des chrétiens et désormais des Druzes. Vous appelez à une transition démocratique alors même que l’islamisme politique est fondé sur le refus de séparer le temporel et le spirituel. Vous assurez faire primer la sécurité des Français alors que le renseignement américain a confirmé que le gouvernement d’al-Charaa distribue des passeports à d’anciens djihadistes étrangers.

Dois-je rappeler que plusieurs dizaines de djihadistes français sont encore en Syrie ? Dois-je rappeler que ce sont des djihadistes français venus de Syrie qui ont commis les horreurs du Bataclan ? Quelles garanties exactes avez-vous obtenues du gouvernement syrien en matière de coopération dans la lutte contre le terrorisme ? Quels éléments vous permettent de penser que le régime saura contenir ses nombreux alliés islamistes qui sèment la terreur en Syrie ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je comprends que le profil du président de transition de la Syrie ne vous réjouisse guère mais, si vous étiez à ma place, votre principale préoccupation serait précisément de contenir le risque de résurgence de Daech en Syrie en profitant de la période intérimaire. Daech qui n’a qu’une chose en tête : aller ouvrir les prisons qui, dans le Nord-Est syrien, contiennent plusieurs dizaines de milliers de combattants terroristes, dont des combattants terroristes étrangers et leurs familles. C’est cela notre priorité absolue parce que, comme vous l’avez dit, c’est en Syrie qu’ont été fomentés les attentats du 13 novembre 2015, au Bataclan et ailleurs.

C’est aussi de Syrie que, fuyant les persécutions et les crimes du régime de Bachar al-Assad, sont partis des millions de réfugiés prenant le risque de perdre leur vie en Méditerranée pour chercher l’asile en Europe.

Donc, oui, quelques semaines après la chute de Bachar al-Assad, je me suis rendu en Syrie avec ma collègue allemande pour dire aux autorités quelles étaient nos attentes et dans quelles conditions nous pouvions espérer coopérer avec elles. Nous leur avons demandé de laisser l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques entrer en Syrie pour recenser et détruire les stocks d’armes ; c’est chose faite. Nous leur avons demandé d’engager un dialogue avec les Kurdes, avec lesquels nous avons des liens historiques, parce qu’ils sont nos alliés dans la lutte contre Daech et parce qu’ils gardent les prisons dans lesquelles sont détenus les combattants terroristes de Daech ; ce dialogue a commencé. Nous leur avons demandé de constituer un gouvernement un peu plus représentatif ; la pleine représentativité de toutes les composantes syriennes n’est pas encore atteinte mais, de fait, le nouveau gouvernement est plus représentatif que le précédent. Nous ne faisons pas de chèque en blanc : nous jugeons sur les actes et nous veillons à tout instant à ce que nos attentes soient respectées.

Il en est deux en particulier, que nous avons formulées lors de la visite du président intérimaire. La première, c’est l’engagement ferme de lutter contre Daech. Il n’a guère eu d’hésitation à ce sujet, Daech voulant faire tomber le président et même, à mon avis, l’exécuter à la première occasion. Mais parce que nous voulions un engagement beaucoup plus ferme, publiquement assumé, nous avons demandé que le gouvernement syrien écrive au Conseil de sécurité des Nations unies pour réclamer le soutien explicite de la coalition internationale contre Daech, à laquelle nous appartenons. Nous avons aussi demandé que soient traduits en justice tous les responsables – quels qu’ils soient et quelle que soit leur proximité avec le gouvernement actuel – des exactions commises à l’encontre des communautés alaouites et druzes. Notre dialogue est donc très exigeant.

Je note que vous n’avez pas mentionné la décision prise par le président Trump de rencontrer Ahmed al-Charaa, parce qu’il en vient à la même conclusion que nous : il voit que, dans l’intérêt de la sécurité des États-Unis, pour éviter la résurgence de Daech et sa prolifération partout au Moyen-Orient, il est obligé d’être réaliste et donc de travailler avec cette autorité de transition.

Mme Marine Le Pen (RN). Nous sommes des Français et c’est donc à vous que nous nous adressons ; ce que fait Donald Trump nous intéresse beaucoup moins. Or, vous n’avez pas répondu à la question, qui était de savoir pourquoi M. Ahmed al-Charaa a bénéficié lors de sa visite en France des plus grands honneurs que notre pays peut offrir à un dignitaire étranger, dont une réception en grande pompe à l’Élysée.

Cette visite n’est pas seulement une honte : ma collègue D’Intorni l’a dit, c’est une gifle aux victimes du terrorisme islamiste en France et à l’étranger, une gifle à des dizaines de millions de Français qui ressentent encore dans leur chair le traumatisme de l’attentat du Bataclan – dont il s’est félicité –, une gifle à des siècles de tradition diplomatique française fondée sur la défense exigeante de nos intérêts sans jamais consentir à l’abaissement. Quel crédit peut avoir la France lorsqu’elle annonce par la voix de son ministre de l’intérieur vouloir lutter contre le terrorisme islamiste ? Il y a quelques mois encore, M. al-Charaa était Abou Mohammed al-Joulani, son nom de guerre djihadiste en tant qu’ancien haut responsable terroriste d’Al-Qaïda et de l’État islamique, puis fondateur du Front Al-Nosra. Il s’est engagé depuis décembre dernier dans une opération visant à asseoir sa respectabilité sur la scène internationale, comme si la mémoire du sang versé était soluble dans des déclarations d’intention ou des costumes bien ajustés.

Et pourtant, c’est le sens de votre réponse : oui, la mémoire des crimes et du sang versé est soluble dans le flux des affaires courantes qui semble être votre seule boussole dans la conduite de nos relations diplomatiques. À nos yeux, aucune Realpolitik ne justifie l’apparat de cette visite qui aurait pu se tenir de manière confidentielle. Il faut, bien sûr, entretenir des relations diplomatiques avec tous, y compris les pires crapules, mais il est scandaleux d’avoir reçu ce monsieur sous les ors de la République. C’était en réalité une opération de crédibilisation d’un terroriste islamiste et aucun pragmatisme diplomatique ne peut conduire à insulter les victimes du terrorisme islamiste en réservant tous les honneurs à un djihadiste aux mains couvertes de sang. Vous allez nous dire que vous luttez ainsi contre le fondamentalisme islamiste ; est-ce sérieux ? Quelles sont les vraies raisons de cet accueil avec tous les honneurs ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Il a eu le même tarif, si je puis dire, que n’importe quel dirigeant en visite dans notre pays.

Mme Marine Le Pen (RN). C’est bien le problème !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. La question qui se pose à nous, lorsque nous nous intéressons à la sécurité des Français, c’est d’éviter le risque, que vous ne devez pas sous-estimer, d’une très forte résurgence de Daech en Syrie. La France a toujours été du côté des Syriennes et des Syriens. Nous avons toujours dénoncé la répression sanglante du régime de Bachar al-Assad ; nous avons permis l’exfiltration de César, le lanceur d’alerte syrien qui par ses milliers de photos des corps torturés par les bourreaux du régime de Bachar al-Assad a éveillé la conscience internationale, permis aux États-Unis et aux Européens de prendre des sanctions contre ce régime qui a assassiné près de 500 000 personnes, utilisé des armes chimiques contre son propre peuple et développé la torture à l’échelle industrielle. Lorsque, par une coalition de mouvements aux origines troubles – c’est vrai –, le régime est tombé…

Mme Marine Le Pen (RN). Origines troubles ! ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. …les Syriens que nous avions soutenus pendant dix ans nous ont dit : soyez exigeants avec eux mais donnez-leur une chance de rétablir le pays.

La perception est celle-là, y compris chez ceux qui ont été les victimes du terrorisme en Syrie : il faut encourager les autorités de transition, celles qui ont été reçues à Paris, à œuvrer sur la bonne voie : celle qui ne laisse aucune place au terrorisme de Daech et au terrorisme islamiste tout court, une voie qui permet à toutes les composantes de la société syrienne de vivre dans un pays unifié, où chacun a le droit d’accéder à la pleine citoyenneté, un pays qui redevient un foyer de stabilité dans la région en coopérant de manière pacifique avec ses voisins, le Liban, Israël et l’Irak. S’il n’en va pas ainsi, nous risquons de voir se perpétuer ce que le régime de Bachar al-Assad a fait de la Syrie : un pays réduit en quelque sorte à un entrepôt logistique pour l’activité de tous les proxies de l’Iran que sont les Houthis, le Hamas et le Hezbollah, un foyer d’instabilité d’où partent les projections d’attaques terroristes et d’immenses vagues migratoires qui déferlent vers l’Europe et où prolifèrent les armes chimiques.

Mme Eléonore Caroit (EPR). Monsieur le ministre, je salue votre action. La déclaration de la France, du Royaume-Uni et du Canada sur la situation à Gaza et en Cisjordanie est claire : nous nous opposons fermement à l’extension de l’offensive militaire israélienne et dénonçons un niveau de souffrance intolérable.

Le 7 octobre 2023, Israël a été la cible d’un attentat ignoble. Nous avons soutenu son droit à se défendre contre le terrorisme mais ce droit ne saurait justifier une riposte disproportionnée. L’annonce injustifiable faite par Israël d’un accès limité à l’aide alimentaire et humanitaire contrevient aux principes fondamentaux du droit international. Nous ne pouvons rester silencieux face à cette violence, aux déplacements forcés, à la destruction systématique de Gaza, à l’extension des colonies en Cisjordanie, aux violations du droit international.

La France a pris ses responsabilités en réaffirmant son attachement à la paix, au droit et à une issue politique durable. La semaine dernière encore, le président de la République a appelé à un cessez-le-feu immédiat et à un accès sans entrave à l’aide humanitaire. Ce matin, sur France Inter, vous indiquiez être déterminé à reconnaître l’État de Palestine, rappelant aussi les objectifs de désarmement du Hamas et de libération des otages. Mais comment désarmer le Hamas ? Comment créer ces conditions indispensables à la paix ? Qui nous suivra dans la mise en œuvre d’une solution à deux États, en Europe et au-delà des frontières européennes ? Quelle est la position de l’Égypte, du Qatar, des puissances régionales avec lesquelles vous êtes en contacts réguliers ? Combien de victimes encore avant que cela cesse ?

Vous évoquiez la potentielle suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, mais avons-nous vraiment les moyens de contraindre Israël à cesser cette offensive ? Enfin, quand et comment la reconnaissance de l’État de Palestine que vous appelez de vos vœux se ferait-elle ? Quelles avancées concrètes attendons-nous de la conférence que la France coprésidera avec l’Arabie saoudite ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Le désarmement d’un groupe armé, et même d’un groupe terroriste, a fonctionné dans certaines situations historiques desquelles on peut s’inspirer pour construire un processus ordonné de désarmement, démobilisation et réintégration. C’est évidemment d’autant plus difficile que la guerre fait rage à Gaza, puisqu’à chaque fois que l’armée israélienne lance une offensive, elle donne en quelque sorte un prétexte au Hamas pour ne pas désarmer. La situation n’est pas spécifique à Gaza et c’est pourquoi nous appelons Israël à ne pas donner de prétexte au Hezbollah au Liban pour se reconstituer ou perturber un processus désormais sur les rails. Certains pays se sont manifestés après nos déclarations récentes ; ils veulent non seulement reconnaître l’État de Palestine mais aussi contribuer à notre démarche qui, vous l’avez compris, est de faire levier, par la puissance symbolique d’une telle décision, pour obtenir des contreparties. L’Égypte et le Qatar sont en attente d’une telle décision puisqu’ils soutiennent la cause palestinienne mais ils ont aussi compris que nous pouvons peut-être, grâce à eux, obtenir des concessions de certains acteurs, Palestiniens ou pays de la région.

Avons-nous les moyens d’amener le gouvernement israélien à cesser le feu ? Ce que je peux vous dire à ce sujet, c’est que si tous les pays du continent européen ou nord-américain s’étaient comportés comme la France depuis le 7 octobre 2023, nous n’en serions sans doute pas là. Certains des leviers dont nous disposons sont européens ; nous avons tenté de les activer lorsque nous le pouvions et, par nos déclarations récentes, nous avons déclenché une dynamique diplomatique. Il n’est pas innocent que le Royaume-Uni et le Canada aient emboîté le pas de la France avec la déclaration des chefs d’État et de gouvernement, historique par ses termes et par les engagements dont elle témoigne. Nous allons travailler dur, avec l’aide des parlementaires, pour aboutir aux meilleurs résultats possibles à la conférence de New York, en espérant aboutir. Mais pour cela, il faut se retrousser les manches.

M. le président Bruno Fuchs. Je ferai circuler prochainement un projet de déclaration relative à la solution de long terme à ce conflit. Il nous faudra, si possible, trouver une rédaction qui permette une adoption la plus largement partagée par la commission des affaires étrangères.

M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Monsieur le ministre, ce n’est pas suffisant. Depuis des mois, inlassablement, le groupe de La France insoumise alerte sur l’intention génocidaire de Benyamin Netanyahou. Vous-même avez parlé ce matin de Gaza comme d’un mouroir et l’ONU annonce que 14 000 bébés pourraient mourir dans les 48 prochaines heures faute d’aide humanitaire. Qu’attendez-vous pour soumettre Israël à des sanctions dévastatrices, comme vous l’avez fait pour la Russie ? On sait ce qu’elles devraient être : « la suspension immédiate de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, dont l’essentiel du commerce se fait avec l’Europe ; l’embargo sur les armes de tous les pays européens ; le défèrement de l’ensemble du gouvernement israélien et des principales autorités militaires israéliennes à la Cour pénale internationale en écrivant collectivement à la Cour ». Ces mots ne sont pas les miens mais ceux de votre illustre prédécesseur, Dominique de Villepin. Ne temporisez plus, annoncez ces sanctions ici et maintenant, et sauvez ainsi des milliers de vies en même temps que l’honneur de notre pays, puis reconnaissez enfin l’État de Palestine afin que cette reconnaissance n’intervienne pas à titre posthume.

Je souhaite aussi vous parler des rapports que nous entretenons avec certains pays d’Afrique francophone – ceux qui acceptent encore d’en avoir avec nous. Je commencerai par le Sénégal. Le 1er juin prochain, la commission installée par le premier ministre du Sénégal pour faire la lumière sur le massacre de tirailleurs sénégalais par l’armée française à Thiaroye rendra ses conclusions. Elles donneront lieu à la publication d’un livre blanc. J’ignore ce qu’elles seront mais tous les acteurs politiques ou scientifiques avec qui j’ai l’honneur de discuter en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Sénégal me disent la même chose : malgré votre important discours du 1er décembre dernier, le compte n’y est pas côté français. J’ai proposé à notre Assemblée la création d’une commission d’enquête transpartisane afin de comprendre pourquoi tant d’archives militaires manquent. Mais si j’ai reçu le soutien de parlementaires de tous bords, dont le président de notre commission, les présidents des groupes du socle commun en ont rejeté le principe. Pensez-vous qu’une telle commission serait utile ? Que comptez-vous faire pour que le travail de mémoire sur Thiaroye soit mené à bien ? Il y va de notre avenir commun avec le Sénégal.

Un mot, aussi, à propos de la Côte d’Ivoire. En 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France a contribué à installer Alassane Ouattara au pouvoir dans les conditions tragiques que nous connaissons. Tout indique qu’il s’apprête à briguer un quatrième mandat cette année, et il a déjà exclu ses principaux opposants de la compétition électorale. La France ne peut rester silencieuse. Hier, des tirs sur des manifestants ont eu lieu sur le plateau d’Abidjan. Si le président ivoirien persiste dans cette voie, la violence se généralisera. Condamnez-vous l’idée d’un quatrième mandat d’Alassane Ouattara ? Savez-vous où sont passés les 5 millions d’euros donnés par la France en vue de la réalisation d’un audit indépendant de la liste électorale ivoirienne ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Dénonciation de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, embargo européen immédiat sur les armes, soit ; mais comme l’indique l’intitulé de ces propositions, cela ne dépend pas que de la France. D’autre part, je vous l’ai dit, si d’autres avaient adopté la même attitude que la nôtre au sujet des livraisons d’armes, nous ne serions pas dans la situation que nous connaissons aujourd’hui. Mais la situation humanitaire catastrophique à Gaza fait que de plus en plus de voix s’élèvent, que de plus en plus de pays font mouvement. Ainsi de l’initiative des Pays-Bas tendant au réexamen de l’accord d’association en cas de violation avérée de l’article 2 du texte. De même, le Canada et le Royaume-Uni ont accepté de signer la déclaration que la France leur a proposée. Ce sont des mouvements auxquels on ne se serait pas attendu il y a encore quelques mois. Nous avons donc aussi une capacité d’entraînement pour essayer d’exercer la bonne pression sur le gouvernement israélien.

Le travail de mémoire au Sénégal est très important ; vous le rappelez à juste titre. Il appartient aux instances du Parlement de décider si une commission d’enquête est indispensable. Pour ce qui me concerne, je soutiens la poursuite de ce travail ; je l’ai dit à Thiaroye. Nous ne voulons pas que notre histoire soit entachée d’une manière que nous n’avons pas pris le soin de confier à l’examen des historiens.

En Côte d’Ivoire, nous soutenons tous les efforts en faveur d’un processus électoral inclusif, transparent et apaisé. Nous entretenons un dialogue avec toutes les forces politiques et la société civile ivoiriennes. Nous suivons la situation avec attention, sans ingérence parce que nous respectons la souveraineté de nos partenaires comme nous exigeons qu’ils respectent la nôtre, et sans indifférence car nous sommes liés à ce pays par un partenariat ancien et étroit. La décision de réviser la liste électorale relève de la responsabilité des institutions ivoiriennes.

M. François Hollande (SOC). Certains se sont employés pendant des années à prétendre que les sanctions sont d’une efficacité limitée et même qu’elles n’ont aucun intérêt dès lors qu’elles sont détournées. Je me suis toujours inscrit en faux contre ces allégations. La meilleure preuve qu’il n’en est rien, c’est que les pays touchés par les sanctions ne cessent de demander leur levée. On le voit avec la Syrie, avec l’Iran, avec tous les pays qui ont été concernés par de telles mesures. Contrairement à ce que prétendent les défenseurs des régimes en question, les sanctions ont un effet symbolique et un effet sur les économies concernées.

Plusieurs volets de sanctions ont été adoptés à l’égard de la Russie ; en qualité de président de la République, j’ai moi-même été amené à les renforcer au nom de la France. Mais nous sommes loin de ce qu’il serait possible de faire. Aujourd’hui encore, des pays européens achètent du gaz russe, des entreprises continuent de travailler avec la Russie, des personnes peuvent circuler sans être inquiétées. Aussi, sans attendre les États-Unis, et au-delà des déclarations, des sanctions à un niveau beaucoup plus élevé peuvent être prononcées à l’égard de la Russie, sachant que Vladimir Poutine a tout son temps pour ouvrir une éventuelle négociation.

Il en est exactement de même avec Israël : les sanctions peuvent être efficaces, à condition qu’elles soient prononcées. Vous avez souligné que la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël suppose l’unanimité mais on peut agir avec la majorité qualifiée pour les échanges commerciaux. Puisque les Pays-Bas ont lancé une initiative, le Conseil européen devrait se réunir pour traiter de la question des sanctions, se prononcer sur le principe et sur la suspension de certains échanges commerciaux avec Israël. La violation de l’article 2 de l’accord d’association permet d’ouvrir cette procédure. Sans procéder de la sorte, nous ne pouvons publier des communiqués victorieux disant que nous allons prononcer des sanctions et c’est la faiblesse de l’Europe par rapport aux États-Unis qui est démontrée.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Les sanctions ont un impact, je le pense comme vous. Elles ont privé la Russie d’environ 400 milliards d’euros, l’équivalent d’un effort de guerre de trois ans. N’eussent-elles pas été prises qu’Odessa serait peut-être aux mains des Russes et peut-être auraient-ils réussi une percée jusqu’à Kiev. Les sanctions ont aussi une portée symbolique, ce pourquoi, vous l’avez dit, la plupart des pays sanctionnés en demandent la levée. Mais les régimes de sanction européens sont parfois frustrants en ce qu’ils supposent l’unanimité. Aussi ai-je demandé que nous révisions notre capacité à prendre des sanctions plus facilement au niveau national, ce que nous faisons volontiers quand nous le pouvons : ainsi des sanctions à l’encontre de 28 colons extrémistes et violents qui ont pris la forme de restrictions d’accès au territoire national et, par extension, à l’espace Schengen, mais nous voudrions aussi pouvoir prononcer des gels d’avoirs, ce qui est beaucoup plus compliqué. J’ai donc demandé la réforme de notre dispositif de sanction, s’agissant des personnes ou entités visées et de la constitution des dossiers, un exercice long et pénible. Je vous l’ai dit, la France a, à elle seule, apporté près de la moitié des preuves permettant de préparer le 17ème paquet de sanctions contre la Russie ; c’est beaucoup de temps mobilisé pour aller les chercher et les rassembler.

S’agissant d’Israël, l’émotion est très vive dans plusieurs États membres de l’Union européenne et nous verrons jusqu’où ira le Conseil européen la prochaine fois qu’il se réunira et qu’il sera saisi de la question. Certains pays ont déjà reconnu l’État de Palestine ; d’autres s’interrogent. Le Conseil européen a une plus grande latitude si un quasi-consensus se dessine pour agir. C’est peut-être ainsi que, comme vous l’avez dit, les choses pourraient se débloquer.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux interventions et questions à titre individuel.

Mme Dieynaba Diop (SOC). Les mots paraissent dérisoires face à l’ampleur de la catastrophe humanitaire en cours à Gaza, où l’entrée de toute aide est systématiquement bloquée depuis 80 jours. Cette décision prise par le gouvernement de Benjamin Netanyahou, qui provoque délibérément la famine de la population civile, constitue un crime de guerre. Les récentes déclarations du président de la République à la télévision ont renforcé notre conviction ancienne : la reconnaissance de l’État de Palestine est plus que jamais indispensable. En appelant à cette reconnaissance, nous ne faisons que tirer les conséquences des résolutions internationales relatives à l’adhésion de la Palestine comme État membre de plein droit de l’ONU et nous reprenons la position constante de la France en faveur d’une solution à deux États, seule voie crédible pour parvenir à un processus de paix véritable. Que ferez-vous pour que la reconnaissance ait lieu le plus rapidement possible ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Notre objectif est de faire faire mouvement à l’ensemble des parties. J’ai des échanges avec mes collègues européens et je constate que mon collègue norvégien, qui a déjà pris la décision, souhaite aider à rassembler un certain nombre de pays pour aller dans la même direction que la nôtre. Je recevrai vendredi, je vous l’ai dit, des représentants des pays arabes. J’aurai des contacts avec l’Autorité palestinienne et avec les principaux interlocuteurs du Hamas au sujet du désarmement. La société civile ne doit pas être oubliée et c’est pourquoi je vous invite à ne pas confondre complètement le gouvernement israélien et le peuple d’Israël car des voix s’élèvent dans la société civile israélienne qui aspirent à la paix. Il faut toujours faire cette différence, et la conférence de New York doit aussi être l’occasion de les mettre en valeur et de faire dialoguer des Israéliens et des Palestiniens pour parvenir à la solution politique de deux États. Tel est notre programme de travail.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). La France et l’Algérie traversent la plus grave crise diplomatique qu’elles aient connue depuis l’indépendance algérienne en 1962 : leurs relations sont gelées, avez-vous dit. La crise, qui s’est cristallisée après la détention de Boualem Sansal par les autorités algériennes en novembre dernier, est alimentée depuis des mois par des responsables politiques de droite et d’extrême droite qui entretiennent une escalade d’agressivité irresponsable contre l’Algérie. La situation requiert pourtant des efforts, en Algérie comme en France, pour revenir au dialogue diplomatique. Pire : le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a été au premier rang de cette campagne, utilisant un vocabulaire guerrier inacceptable. Ses gesticulations sur les plateaux de télévision et à l’Assemblée nationale ont indéniablement détérioré la situation diplomatique ; maintenant qu’il a remporté l’élection interne à la droite, on peut espérer qu’elles vont enfin s’arrêter. Allez-vous cesser de laisser la diplomatie française se faire piétiner par le ministre de l’intérieur qui sort de son périmètre quand il parle de l’Algérie ? La France va-t-elle enfin revenir au dialogue et à l’accalmie qui avaient permis des progrès significatifs le mois dernier ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. C’est aux autorités algériennes, dont les décisions récentes sont injustifiables, qu’il faut poser la question. L’expulsion de douze agents français en poste à Alger a été brutale sur le plan diplomatique et très brutale pour les agents eux-mêmes, sommés de quitter leur domicile et leur famille sous 48 heures. Nous avons dû répondre par la fermeté, de manière proportionnelle et immédiate. Quelques jours plus tard, nous avons assisté au renvoi des agents français en Algérie titulaires de passeports diplomatiques en mission de moins de 90 jours : autrement dit, à la dénonciation tacite de l’accord de 2013 régissant la délivrance et l’utilisation des passeports diplomatiques. Ces très graves décisions des autorités algériennes ne sont au bénéfice ni de la France ni de l’Algérie, et tous les binationaux qui vivent d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée en subissent les conséquences les plus lourdes. C’est vraiment aux autorités algériennes qu’il appartient de se poser la question.

M. Michel Guiniot (RN). M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l’Europe, a publié une note dénonçant le financement par l’Union européenne d’entités hostiles à ses valeurs ; il la présentera au Conseil des affaires générales du 27 mai 2025. La recherche et l’identification des subventions ont visiblement été menées puisqu’un financement de plusieurs dizaines de millions d’euros est évoqué. Quand commanderez-vous une enquête similaire sur le financement de l’aide française au développement ? Lors de l’examen du projet de loi de finances, j’avais identifié des financements qui posent question ; je me tiens à votre disposition pour en discuter avec vous.

D’autre part, avez-vous prévu d’évoquer, lors du Conseil des affaires étrangères la difficile répartition des migrants secourus en mer Méditerranée, en particulier les 273 personnes opportunément récupérées au cours de trois opérations de sauvetage par le même bateau entre 2 heures et 6 heures du matin le 17 mai à quelques encablures des eaux territoriales tunisiennes et libyennes, bien sûr sans concertation aucune ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je vous remercie d’appeler notre attention sur ce sauvetage en mer ; les éléments me manquent pour vous répondre à ce sujet. Soyez assuré de notre détermination à resserrer plus encore le suivi et le contrôle de la distribution par la Commission européenne des fonds dont elle a la responsabilité.

S’agissant de l’aide française au développement, les députés de la commission des affaires étrangères, les rapporteurs de la commission des finances et maintenant une commission d’évaluation de l’aide publique au développement me paraissent très bien armés pour contrôler ce type de dérives si elles se manifestaient.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). La France se décrédibilise et ternit son image en refusant presque systématiquement des visas de court séjour aux demandeurs africains. Pourtant, les dossiers de demande de visa prennent beaucoup de temps en démarches administratives et l’acquittement des frais correspondants représente plusieurs dizaines de millions d’euros par an pour les demandeurs africains. Cette politique est un non-sens économique. Ainsi, j’ai participé la semaine dernière à l’Alkebulan Africa Summit, une rencontre internationale sur la coopération économique entre l’Afrique et ses diasporas, organisée à Paris ; la demande de visas de nombreux participants guinéens a été refusée alors que leur participation à ce sommet aurait représenté des opportunités de coopération économique réelles.

Les refus de visas concernent de riches entrepreneurs, des grands-parents d’enfants nés en France, des étudiants, des chercheurs, des artistes et des travailleurs. Je ne veux pas croire qu’ils soient motivés par des biais racistes et j’aimerais savoir quand le ministère des affaires étrangères reprendra la main sur le ministère de l’intérieur à ce sujet. Sont en jeu nos relations avec le continent africain, qui va peser en ce siècle, mais aussi notre influence.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Il y a un partage des rôles entre le ministère de l’intérieur et le ministère des affaires étrangères. Pour notre part, nous sommes en train d’appliquer les propositions du rapport Hermelin. Elles sont fondées sur le constat que la délivrance de visas est un levier d’attractivité et d’influence et qu’elle concourt à notre prospérité quand elle a pour effet de faire venir des talents qui, par leurs travaux de recherche, leurs entreprises, leurs créations artistiques, enrichiront notre pays. J’ai pris note du cas que vous avez mentionné ; je l’examinerai pour vous apporter une réponse plus détaillée sur les raisons ayant conduit les agents de nos postes consulaires à ne pas délivrer ces visas.

M. le président Bruno Fuchs. En conclusion des travaux de la mission d’information sur les relations entre la France et l’Afrique, rendus il y a 18 mois, Michèle Tabarot et moi-même proposions cette mesure sous la tutelle, au moins dans un premier temps, des deux ministères.

M. Kévin Pfeffer (RN). Votre réponse au sujet du dossier algérien n’a pas été très claire. Pouvez-vous détailler les mesures que prendra la France contre le régime ? La stratégie de conciliation permanente ne semblant pas fonctionner, à quand la suspension immédiate des visas, la fin des avantages d’accès au territoire français accordés aux dignitaires algériens et à leurs proches, le gel immédiat des aides publiques versées à Alger, l’abrogation de l’accord franco-algérien de 1968 ? Je n’ai pas l’habitude de le faire mais je reprends les mots de notre collègue, le président Hollande : les sanctions, ça marche et les pays concernés ne cessent de demander leur levée. Pourquoi cela ne marcherait-il pas pour l’Algérie ? Pourquoi n’essayons-nous pas ? Quel niveau d’humiliation internationale de la France accepterez-vous encore avant d’appliquer ces sanctions ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous avons restreint l’accès à la France de membres de la nomenklatura algérienne en janvier et ces mesures ont été vivement ressenties par les personnes concernées. Ensuite, nous avons répondu aux mesures prises par les autorités algériennes avec une stricte réciprocité : pour douze agents expulsés d’Algérie, douze agents expulsés de France, puis renvoi des agents algériens titulaires de passeports diplomatiques sans visa en mission de courte durée. Les autorités algériennes nous ont fait savoir que tout Français se rendant en Algérie en mission de moins de 90 jours devrait désormais obtenir leur agrément. C’est une violation des termes de l’accord de 2013, qui ne prévoit rien de cela. Nous appliquons donc la même mesure. Comme je vous l’ai dit, par ces décisions les plus récentes, les autorités algériennes ont de facto dénoncé cet accord.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). « La France prend note de l’émission par la Cour pénale internationale (CPI) d’un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine […]. Fidèle à son engagement de longue date pour lutter contre l’impunité, la France continuera d’apporter son appui à l’indispensable travail de la justice internationale pour assurer que les responsables de tous les crimes commis en Ukraine rendent des comptes. Elle apporte son plein soutien à la CPI (…) ». Ce que je viens de lire est un extrait du communiqué de presse diffusé par votre ministère en mars 2023. Plus récemment, M. Netanyahou, son ex-ministre de la défense et le chef du Hamas ont fait l’objet de mandats d’arrêt internationaux pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité émis par la même Cour. Cette décision a conduit votre ministère à publier un autre communiqué, bien plus timoré, puis un autre évoquant « les immunités des États non parties à la CPI », précisant que cette immunité s’applique au premier ministre Netanyahou. Comme la Russie, Israël n’est pas membre de la CPI et n’a pas ratifié le statut de Rome, lequel ne prévoit nullement une immunité pour les crimes les plus graves, que vous avez donc inventée au lieu de respecter le droit pénal international. C’est une curieuse nouveauté en République. Avez-vous inventé cette immunité pour mieux organiser l’impunité de M. Netanyahou ? Est-ce sur le fondement de cette immunité inventée que vous avez autorisé M. Netanyahou, sous mandat d’arrêt international, à survoler l’espace aérien français au lieu de procéder à son arrestation ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. D’abord, pour compléter ma réponse à M. Pfeffer, je n’exclus évidemment rien, y compris les bonnes idées du président Hollande : dès lors que de nouvelles atteintes seraient portées aux intérêts français, on ne peut exclure de prendre des sanctions pour rétablir la France dans ses intérêts.

S’agissant de la bataille des communiqués, si vous entendez donner des leçons de droit international au Quai d’Orsay, madame la députée, commencez par prendre connaissance de ce que ce droit est précisément. Contrairement à ce que vous affirmez régulièrement, le droit coutumier international prévoit des régimes d’immunité et il n’y a pas de consensus absolu sur la manière d’équilibrer les obligations faites aux États membres de la CPI, dont fait partie la France, et le respect de ce droit. Dans tous les cas, ce n’est ni à vous ni à moi de décider de faire justice : c’est à l’autorité judiciaire qu’il appartient de mettre en œuvre et d’exécuter les mandats d’arrêt de la CPI. Faisons donc chacun notre métier : je suis membre du gouvernement, vous êtes parlementaire et c’est à la justice de trancher ce type de questions. C’est d’ailleurs ce que nous disons dans le communiqué.

M. Alexis Jolly (RN). Le 13 mai dernier, lors du Forum d’investissement saoudo-américain, Donald Trump a prononcé un discours dont la teneur est résumée dans ces deux phrases : « Certains des amis les plus proches des États-Unis sont des nations contre lesquelles nous avons mené des guerres par le passé et aujourd’hui, ce sont nos amis et nos alliés. Je veux conclure un accord avec l’Iran ». Les médias et la classe politique européenne ont assez peu commenté ces déclarations, qui annoncent pourtant un bouleversement international sans précédent depuis la chute de l’Union des République socialistes soviétiques (URSS). En affichant sa volonté de dialoguer avec la Russie, la Syrie, le Qatar mais aussi l’Iran, Donald Trump est-il en train de transformer durablement l’équilibre international qui durait depuis trente ans ?

Mme Sylvie Josserand (RN). Le bulletin de la Banque de France de décembre 2024 indique que les investisseurs étrangers détiennent la moitié du capital des sociétés françaises du CAC 40, les investisseurs américains pour plus du tiers. Les six premiers gestionnaires d’actifs mondiaux sont américains ; en tête, BlackRock gère à lui seul 11 000 milliards d’euros. Le français Amundi est la seule société de gestion d’actifs européenne du top 15 mondial, avec 2 240 milliards d’euros. Dans ce contexte, le projet d’approfondissement des marchés de capitaux européens cher à M. Macron et à Mme von der Leyen n’aura-t-il pas pour effet principal d’attirer les capitaux américains et, ce faisant, d’accentuer la dépendance de l’économie française à ces investissements ? Les puissants gestionnaires d’actifs américains ne trouveront-ils pas dans l’union des marchés de capitaux une excellente occasion d’accroître leur part au capital des sociétés françaises ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Les États-Unis ont effectivement une approche nouvelle de certains sujets et l’ouverture du dialogue en direct sur le nucléaire iranien est spectaculaire. Nous l’avons accueillie favorablement parce que, pour nous, il n’y a pas de solution militaire au programme nucléaire iranien. Certains pensent que l’on peut réduire ce programme à néant par la force ; ce n’est pas notre analyse. Nous considérons qu’il faut agir par la négociation pour que l’Iran ne puisse pas disposer de la bombe et que notre sécurité soit préservée. Concrètement, avec un missile balistique d’une portée de 2 000 kilomètres pouvant être chargé d’un engin nucléaire, l’Iran pourrait théoriquement – il n’est pas aujourd’hui en situation de le faire – tenir en joue le territoire national à brève échéance. Nous voulons absolument éviter cela et c’est pourquoi nous soutenons les efforts américains. Mais nous serons très exigeants : tout accord devra être suffisamment protecteur. Pour la suite, nous continuerons de dialoguer avec les États-Unis, pas uniquement sur la crise iranienne, pour tenter de trouver au Proche-Orient des solutions bénéfiques pour la région et pour nous-mêmes.

Madame Josserand, je partage votre opinion sur l’insuffisante efficacité de la gestion de l’épargne européenne, notre principale force. Nous nous sommes interrogés plusieurs fois sur la manière de faire entendre la voix de l’Europe. C’est en prenant conscience que nous sommes un continent riche et en acceptant de consacrer une partie de cette richesse à notre influence dans notre voisinage et dans le monde que nous parviendrons à des résultats. Cela dit, il faut prendre garde aux effets d’optique. Les investisseurs américains et étrangers détiennent beaucoup de notre capital, c’est vrai, mais la zone euro a une exposition plus forte – elle est de 10 000 milliards d’euros – aux actifs américains, avec beaucoup de bons du Trésor américains, que ne l’est l’exposition des États-Unis à la zone euro, avec 7 000 milliards d’euros. La différence réelle est donc de 3 000 milliards d’euros, au bénéfice des États-Unis puisque cette épargne va s’y placer, soit dans de la dette de l’État, soit dans des titres d’entreprises ou d’autres actifs.

Nous apportons de l’argent aux États-Unis, ce qui est invraisemblable. Au moment où nous aurions besoin d’investir dans notre propre économie, nous prêtons aux États-Unis, nous y investissons, nous finançons l’économie américaine, de fait très dépendante de notre épargne. Pour résoudre cela, il faut construire l’union des marchés de capitaux en Europe mais nous devons aussi agir au niveau national. En France, l’épargne réglementée et l’assurance-vie fiscalement encouragée ont pour effet que les ménages investissent beaucoup dans des placements exigibles à tout moment, très liquides et sans risque, et une partie significative de cette épargne va se placer sur des actifs sans risque à l’étranger, notamment aux États-Unis. Nous aurons intérêt à bouger quelques curseurs.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Selon l’ONU, le Soudan subit la pire des crises humanitaires : 13 millions de personnes sont déplacées, soit un tiers de la population, et 25 millions de personnes souffrent de faim aiguë ; les morts complètent ce tableau effrayant. Hier encore, des bombardements de milices paramilitaires ont ciblé le camp de déplacés d’Abou Chouk, tuant 14 personnes. Ces attaques de drones montrent l’inefficacité de l’embargo sur le transfert d’armes en vigueur au Darfour depuis 2004 ; tout le pays devrait être sous embargo mais des armes proviennent des Émirats arabes unis, de Chine, d’Iran, de Russie et, selon Amnesty International, des technologies militaires françaises ont été vues au Soudan. Quelles mesures concrètes notre diplomatie peut-elle prendre face à la prolifération d’armes et pour soutenir des initiatives de paix au Soudan ?

Mme Constance Le Grip (EPR). Beaucoup des sujets qui avaient retenu mon attention ont été abordés : la Russie et l’Ukraine bien sûr, la situation insupportable faite à notre compatriote Boualem Sansal par les autorités algériennes – et je partage votre appel réitéré à un geste d’humanité à son égard –, le partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, la signature de l’essentiel traité de Nancy. S’agissant des ingérences étrangères, je vous donne acte avec satisfaction du changement de doctrine que vous incarnez en dénonçant publiquement les auteurs de manœuvres de désinformation, de manipulations et d’autres attaques malveillantes. Quelles relations pouvons-nous espérer renforcer dans la lutte commune des démocraties européennes contre ces ingérences étrangères malveillantes ?

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). L’aide au développement, qui engage plusieurs milliards d’euros de deniers publics, demande un contrôle parlementaire efficace. Or, certaines réponses de M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD) lors de diverses auditions nous ont laissés perplexes. Il a plusieurs fois renvoyé la responsabilité à ses ministères de tutelle et je saisis donc cette occasion pour vous interroger. Le contrat d’objectifs et de moyens 2023-2025 liant l’État et l’AFD n’a toujours pas été transmis alors que l’année 2025 est déjà bien entamée ; qui est le responsable de ce grave retard ? La loi du 4 août 2021 déterminant notre politique d’aide au développement impose que la composante bilatérale de l’aide publique française au développement atteigne 65 % du total. Le taux actuel avoisine 57 % ; qui est responsable de cette situation ? Enfin, l’AFD occupe la trente-cinquième place sur cinquante au classement international de transparence de l’aide au développement ; jugez-vous ce classement satisfaisant ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je veux d’abord vous annoncer que Kaja Kallas, Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne, vient d’annoncer qu’elle consentait à examiner le respect par le gouvernement israélien de l’article 2 de l’accord d’association signé entre l’Union européenne et Israël. Je salue cette décision soutenue par dix-sept États membres.

Au Soudan, la guerre est alimentée par des puissances étrangères qui ont fait de ce pays le lieu de leur confrontation. C’est pourquoi, lorsque je me suis rendu à la frontière entre le Soudan et le Tchad, j’ai appelé solennellement les puissances étrangères à cesser de jeter de l’huile sur le feu en continuant d’alimenter le conflit. Nous avons ressenti cette tension lors de la conférence à Londres que j’évoquais tout à l’heure. Elle a été un succès pour ce qui est des engagements en matière de soutien humanitaire mais nous avons eu les plus grandes difficultés à obtenir une déclaration politique commune, certains pays s’opposant frontalement sur la manière de qualifier les parties au conflit. Pour espérer trouver une voie de sortie, un dialogue doit se nouer entre les principales puissances régionales impliquées et nous les y appelons, en particulier l’Égypte et les Émirats arabes unis, qui ont une empreinte très forte dans la région. Nous souhaitons qu’un dialogue permette une solution politique et nous sommes disposés à faciliter ces discussions.

Dans son discours d’investiture, la présidente de la Commission européenne a annoncé la création d’un bouclier européen pour la démocratie prévoyant le renforcement des moyens de coordination dans la lutte contre les ingérences étrangères. Ce bouclier n’existe pas encore et les sanctions prévues aux termes du règlement sur les services numériques n’ont pas été prononcées. Nous devons donc continuer de nous mobiliser car les épisodes d’ingérence dans les processus électoraux préoccupent, plus qu’avant, Parlements et gouvernements nationaux. La France, qui a commencé à construire des outils, peut montrer la voie. Nous devons aussi monter le son au niveau national. C’est le chantier engagé au sein du ministère, je l’ai dit, pour que notre message porte et pour riposter plus efficacement. Dans « l’affaire du mouchoir », le ping-pong entre influenceurs des sphères de l’extrême droite américaine et personnalités russes a fait que le trucage a été vu plusieurs dizaines de millions de fois. Pour limiter l’impact de ces fausses nouvelles, nous devons être capables de riposter ou de produire des contenus tout aussi viraux.

Parlementaire dans l’âme, je me réjouis de l’évaluation exigeante que les parlementaires comptent faire des activités de l’AFD et de l’aide publique au développement en général. La commission d’évaluation de l’aide publique au développement qui a été installée montrera que l’aide publique au développement en général sert les intérêts des Françaises et des Français. Elle entraîne de l’activité économique, et donc des emplois sur le territoire national. Elle permet de lutter contre les maux qui nous viennent de l’extérieur, tel le narcotrafic : vous verrez que certains projets de cultures alternatives soutenus par l’AFD permettent de faire reculer la culture du pavot dans certaines régions du monde. Elle contribue à la lutte contre les filières d’immigration irrégulière : ainsi, aux Comores et dans certains pays africains, l’aide publique au développement permet aux autorités de se doter des moyens d’état civil qui leur permettent de mieux contrôler leurs propres ressortissants et de maîtriser l’immigration irrégulière. Que vous ayez pour priorité la lutte contre l’immigration irrégulière, la lutte contre le narcotrafic, la préservation de l’environnement, l’emploi ou le pouvoir d’achat, vous verrez que l’aide publique au développement est un formidable outil pour exercer une forme d’influence sur les pays dont nous attendons qu’ils fassent mouvement pour répondre à nos intérêts. C’est ainsi qu’il faut envisager cette politique, qui est une politique de partenariat.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ce tour d’horizon des grandes crises et des questions qui se posent au monde et à la diplomatie française.

 

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La séance est levée à 18 heures 40.

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Membres présents ou excusés

Présents. Mme Nadège Abomangoli, M. Hervé Berville, Mme Véronique Besse, M. Guillaume Bigot, M. Jorys Bovet, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, M. Pierre Cordier, Mme Christelle D'Intorni, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, M. Nicolas Forissier, M. Bruno Fuchs, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. François Hollande, M. Alexis Jolly, Mme Sylvie Josserand, Mme Amélia Lakrafi, Mme Constance Le Grip, Mme Marine Le Pen, M. JeanPaul Lecoq, M. Laurent Mazaury, Mme Nathalie Oziol, M. Kévin Pfeffer, M. JeanFrançois Portarrieu, Mme Laurence RobertDehault, M. JeanLouis Roumégas, Mme Laetitia SaintPaul, M. Aurélien Taché, Mme Dominique Voynet

Excusés. M. Bertrand Bouyx, M. PierreYves Cadalen, M. Nicolas Dragon, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, Mme Brigitte Klinkert, Mme Mathilde Panot, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa

Assistaient également à la réunion. Mme Gabrielle Cathala, Mme Louise Morel