Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Examen, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (n° 1257) (Mme Dominique Voynet, rapporteure) 2
– Informations relatives à la commission.....................11
Mercredi
28 mai 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 66
session ordinaire 2024-2025
Présidence
de M. Alain David,
Vice-président
— 1 —
La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote du projet de loi, adopté par le Sénat n° 1257.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Présidence de M. Alain David, vice-président.
M. Alain David, président. Mes chers collègues, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence du président Bruno Fuchs, qui doit intervenir au Forum d’Astana, au Kazakhstan.
S’agissant du projet de loi soumis à notre examen aujourd’hui, je soulignerai tout d’abord que les règles d’imposition des rémunérations des travailleurs entre la France et la Suisse sont précisées par deux textes principaux : la convention fiscale du 9 septembre 1966, qui prévoit une imposition dans l’État d’exercice de l’activité, et l’accord du 11 avril 1983, applicable à huit cantons. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères recense un peu plus de 236 000 travailleurs français transfrontaliers en Suisse.
L’avenant à la convention fiscale de 1966 que nous examinons ce matin poursuit un double objectif.
Le premier est de pérenniser la neutralisation des effets fiscaux du télétravail, prévue par des accords temporaires conclus depuis 2020. Il s’agit concrètement de reconduire le principe de l’imposition dans l’État de situation de l’employeur si le travail effectué à distance n’excède pas 40 % du temps de travail, tout en ajoutant une compensation fiscale au profit de l’État de résidence des transfrontaliers télétravailleurs, ce qui devrait bénéficier à la France.
Le second objectif vise à intégrer les dernières avancées en matière de lutte contre les pratiques d’optimisation et de fraude fiscales, s’inscrivant en cela dans le cadre du projet de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) contre l’érosion de la base d’imposition et transfert des bénéfices, dit « Base Erosion and Profit Shifting » (BEPS).
Bien loin des fantasmes que pourrait susciter tout texte relatif aux régimes fiscaux convenus entre la France et la Suisse, l’avenant qui nous est soumis est utile. Il revêt une portée concrète pour nos concitoyens travaillant en Suisse et sera budgétairement plus avantageux pour notre pays.
Mme Dominique Voynet, rapporteure. Ce projet de loi autorise la ratification de l’avenant à la convention fiscale du 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse. Cet avenant, signé à Paris le 27 juin 2023, vise à moderniser un cadre bilatéral devenu obsolète à l’heure où les mobilités transfrontalières s’intensifient et où les pratiques professionnelles évoluent profondément.
Depuis des décennies, les relations fiscales entre la France et la Suisse sont marquées par une forme de complexité institutionnelle. Ainsi – et encore n’évoquerons-nous que la fiscalité des revenus du travail –, en fonction du canton dans lequel un Français exerce, il peut relever d’un régime d’imposition à la source, par exemple à Genève, ou d’un régime d’imposition dans son État de résidence, comme à Neuchâtel ou à Vaud. Ce système hérité de compromis anciens et d’accords spécifiques génère des traitements inégaux pour des situations pourtant similaires : deux habitants de la même commune française peuvent être soumis à des règles fiscales différentes selon qu’ils franchissent la frontière à l’Est ou à l’Ouest.
S’y ajoute un déséquilibre territorial préoccupant entre départements français : tandis que l’Ain et la Haute-Savoie bénéficient de compensations financières substantielles, d’autres tout aussi concernés par les flux de frontaliers restent privés de redistribution, comme le Doubs, la Savoie et le Haut-Rhin, dont les collectivités doivent répondre à des besoins croissants en termes d’infrastructures, de services publics ou de logement sans disposer des recettes fiscales associées.
La pression exercée sur ces territoires est devenue considérable. Le nombre de travailleurs frontaliers français en Suisse ne cesse d’augmenter : ils sont aujourd’hui près de 236 000, en hausse de 86 % depuis 2010, le canton de Genève concentrant près de la moitié de ces flux. La dynamique économique helvétique, combinée au différentiel de salaires, continue d’attirer massivement les actifs français. Nos collectivités locales doivent alors faire face à un afflux démographique, à une flambée des prix de l’immobilier et à une congestion des infrastructures sans être dotées des moyens financiers correspondants.
À ces enjeux budgétaires s’ajoutent désormais des enjeux environnementaux : les trajets domicile-travail transfrontaliers génèrent un trafic automobile dense, avec son lot de pollution, d’émissions de CO2 et de saturation des axes routiers. En l’absence de transports collectifs suffisants ou de mécanismes fiscaux redistributifs adaptés, cette situation devient de plus en plus difficile à justifier.
Dans ce contexte, l’avenant que nous examinons représente une étape utile, bien que petite. Il apporte une réponse attendue à un bouleversement du monde du travail provoqué ou amplifié par la pandémie de covid-19, celui du télétravail, dont aucun des textes existants ne tient compte. Dans certains secteurs d’activité, cette situation a créé de nombreuses incertitudes pour les salariés comme pour les employeurs, qui demandent des solutions concrètes. Les administrations fiscales se trouvent souvent dans l’embarras pour leur répondre.
L’avenant sécurise cette pratique en prévoyant que la fiscalité reste celle de l’État de l’employeur jusqu’à 40 % de télétravail par an et que, au-delà, les revenus des jours télétravaillés sont imposés dans l’État de résidence du salarié. Cette règle claire limite les effets de seuil tout en reconnaissant que les jours travaillés depuis la France mobilisent aussi les services publics français.
La véritable avancée réside dans la mise en place d’un mécanisme de compensation fiscale. Désormais, la Suisse s’engage à reverser à la France 40 % de l’impôt perçu sur les revenus correspondant aux jours télétravaillés effectués depuis notre territoire. Cette innovation importante est une reconnaissance du fait que la fiscalité doit refléter l’usage réel des services publics.
Plusieurs zones d’ombre subsistent toutefois. D’abord, cette compensation, qui transite par les administrations centrales, ne fait l’objet d’aucune affectation territoriale claire : rien ne garantit que les collectivités locales concernées par le télétravail percevront une part des ressources générées. Ensuite, l’exception genevoise, qui limite la compensation à une fourchette comprise entre 15 % et 40 % de télétravail, est difficilement justifiable, surtout au regard des efforts consentis depuis des années par l’Ain et la Haute-Savoie.
Les modalités de mise en œuvre interrogent également. Ni les collectivités, ni les parlementaires ne disposent d’estimations fiables sur les montants en jeu car les données nécessaires ne seront pas disponibles avant 2026. Sur ce sujet, le silence et le manque de précision de l’étude d’impact du projet de loi sont éloquents. Enfin, le seuil de 40 % de télétravail reste rigide : quelques jours supplémentaires seront suffisants pour basculer dans un autre régime fiscal, avec toutes les conséquences que cela entraîne sur les déclarations, les cotisations ou les conventions d’entreprise. Cette rigidité pourrait avoir des effets contreproductifs, voire inciter certains employeurs à limiter artificiellement le télétravail.
L’avenant introduit par ailleurs des clauses de lutte contre l’évasion fiscale en conformité avec les recommandations de l’OCDE. Il renforce les droits des contribuables, améliore la coopération entre les administrations fiscales et permet une sécurisation juridique. Ces avancées sont utiles et nécessaires pour accompagner la complexité croissante des flux économiques transfrontaliers
L’absence d’une évaluation plus large est cependant regrettable. Les impacts environnementaux ne sont pas pris en compte, bien que le télétravail puisse contribuer à contenir l’augmentation constante des déplacements et donc des gaz à effet de serre. Les effets sociaux de la réforme n’ont pas non plus été analysés, alors que certains contribuables verront leur situation bouleversée par un changement de régime fiscal qui n’a pas été anticipé. Les services fiscaux seront mis à l’épreuve dans leur capacité à contrôler, informer et accompagner les changements à venir.
Dans ces conditions, si la ratification de l’avenant est justifiée, sa mise en œuvre doit impérativement être accompagnée, évaluée et corrigée si nécessaire. Les élus locaux, les représentants des usagers et les partenaires sociaux devront s’associer pour s’assurer que les bénéfices de la réforme fassent l’objet d’une redistribution équitable, afin de soutenir les collectivités dans lesquelles habitent ou par où transitent les transfrontaliers.
Le texte ouvre des perspectives en tenant compte des réalités territoriales et des pratiques professionnelles actuelles mais il ne règle pas tout : le chemin vers une fiscalité transfrontalière équitable, lisible et adaptée aux enjeux de notre temps est encore long.
Tout en saluant les avancées contenues dans cet avenant et en vous appelant à le voter, je souhaite donc que nous restions vigilants, afin qu’il ne vienne pas reproduire sous une forme nouvelle les déséquilibres du passé.
M. Alain David, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Jean-François Portarrieu (HOR). Le nombre de résidents français ayant une activité professionnelle en Suisse enregistre une croissance ininterrompue depuis plus d’une décennie : près de 236 000 travailleurs sont concernés, soit une hausse de 86 % depuis 2010 et une progression de 5,3 % pour l’année 2024. C’est considérable.
Certains élus locaux y voient un phénomène positif et considèrent avantageux de maintenir des résidents étrangers dans leur commune, même s’ils travaillent ailleurs. Vous relevez cependant que cette augmentation du nombre de frontaliers s’accompagne d’une hausse sensible des coûts des services publics dans les communes françaises limitrophes, notamment liés aux déplacements, sans recette fiscale associée.
Le phénomène accentue de manière préoccupante certains déséquilibres de développement territorial : des territoires ruraux fragilisés sont confrontés à des tensions foncières et sociales. Avez-vous une estimation des montants concernés et des propositions pour en limiter les effets pervers ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure. Comme je l’ai évoqué dans mon propos liminaire, nous ne disposons quasiment d’aucun chiffre.
Il se trouve que je mène par ailleurs une mission d’information scientifique sur le projet de nouveau collisionneur du CERN, l’organisation européenne pour la recherche nucléaire, pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Je me suis donc rendue à plusieurs reprises dans les zones concernées et connais la réalité des communes riveraines des installations du CERN à Meyrin, en Suisse.
Les communes ont fait des efforts considérables, notamment en termes de logements, de services publics ou d’écoles. Bien qu’elles fassent partie de celles qui touchent des compensations financières, comme c’est le cas de Ferney-Voltaire et de Crozet, elles ont le sentiment de toujours subir la situation. Et dans le Doubs, des usagers exigent la mise à deux fois deux voies de la route nationale pour aller travailler en Suisse alors qu’il n’y a aucune retombée pour le département !
Nous n’avons pas de chiffres, l’étude d’impact est muette sur la question et nos questions à l’administration fiscale n’ont fait émerger qu’une certaine gêne. Pourtant la commission des affaires étrangères a déjà étudié le sujet, notamment par le biais du rapport d’information de Brigitte Klinkert sur les problématiques rencontrées par les Français vivant en zone transfrontalière dans l’Hexagone. Se contenter de rectifier de micro-briques de l’édifice ne suffit plus : il faudra bien un jour que le gouvernement soit capable de remettre à plat les conditions d’échange entre la Suisse et la France dans un monde ouvert.
M. Alain David, président. Savez-vous comment l’Allemagne et l’Italie traitent le problème avec la Suisse ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure. C’est une question piège ! Je n’en ai pas la moindre idée. Les problèmes doivent être exactement les mêmes, par exemple pour l’Italie entre le Haut-Adige et la Suisse, mais je ne connais pas les conditions fiscales.
M. Laurent Mazaury (LIOT). Le groupe LIOT votera en faveur de ce texte qui marque une avancée significative dans l’adaptation du cadre bilatéral franco-suisse aux réalités économiques actuelles, en particulier à l’essor du télétravail et aux exigences de la lutte contre l’évasion fiscale.
Nous saluons la logique de continuité de cet avenant qui modernise une convention ancienne sans toutefois la déstabiliser. Il clarifie les règles fiscales applicables à plus de 230 000 travailleurs frontaliers dont bon nombre résident dans des territoires ruraux et montagnards soumis à des contraintes spécifiques d’aménagement, territoires que notre groupe défend avec constance.
L’instauration d’un plafond de 40 % de télétravail sans remise en cause du régime fiscal est une réponse pragmatique et équilibrée. Le mécanisme de compensation entre États, inhabituel et rare, garantit une juste répartition des ressources fiscales. Nous accueillons favorablement cette nouvelle dimension de solidarité territoriale dans un contexte de relations transfrontalières denses et en expansion.
Une évaluation chiffrée de l’impact financier de ces mesures sur les territoires frontaliers aurait été utile pour en apprécier les effets concrets : cette démarche reste à mener, dans un souci de clarté et de pilotage des politiques publiques à l’échelle locale.
Nous nous félicitons également de l’intégration de principes de l’OCDE, tels que la clause générale anti-abus et l’ouverture au Pilier 2, c’est-à-dire au modèle de règles globales anti-érosion de la base d’imposition, même si son effet restera certainement limité à court terme.
Mme Dominique Voynet, rapporteure. Je partage tous vos propos, à l’exception de ceux concernant les territoires ruraux et montagnards.
Il y a quelques décennies, les mouvements se faisaient plutôt de la Suisse vers la France, notamment pour des travailleurs agricoles ou en microtechniques. La tendance s’est inversée. Surtout, de plus en plus de salariés vivant dans des pôles urbains parcourent quotidiennement des distances considérables pour aller travailler.
Dans le Doubs, la zone d’attraction de la Suisse s’étend jusqu’à Besançon. La quasi-totalité des élèves formés en soins infirmiers ou en secrétariat médical à Besançon se voient offrir des postes en Suisse, où le secteur de la santé est très attractif et bien payé. Une première expérience professionnelle rémunératrice est avantageuse pour ces jeunes salariés, d’autant plus qu’ils sont logés sur place. De notre côté, nous avons beaucoup de difficultés à pourvoir les places dans les établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et dans les hôpitaux.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Vos explications sur les retours fiscaux vers les départements et communes qui font vivre un territoire me rendent dubitatif. À ma connaissance, l’impôt sur le revenu dont nous parlons revient à l’État ! C’est donc plutôt à l’échelon de notre pays que nous devrions régler la redistribution de cet impôt rendu à l’État, sous la forme d’une péréquation au profit des territoires concernés, et non dans le cadre d’un accord international. Une étude d’impact aurait sans doute permis de faire le point sur le sujet et de poser les vrais enjeux d’aménagement du territoire.
Les communistes ont toujours défendu l’idée que l’impôt soit payé là où la richesse est produite. Par exemple, peu importe que le siège d’une raffinerie de mon département se trouve dans le quartier d’affaires de la Défense : nous voulons que l’impôt soit payé sur le territoire de la raffinerie, même si certains espéraient déplacer cet impôt ou les taxes d’apprentissage vers le siège. Cette lutte permanente qu’il faut mener est bien présentée dans votre rapport.
L’avenant est intéressant mais le dispositif global ne nous convient pas encore totalement. Nous nous abstiendrons donc.
Mme Dominique Voynet, rapporteure. L’intérêt majeur que j’ai trouvé à la préparation de ce rapport a été de mettre au jour un dispositif globalement insatisfaisant.
Il existe deux régimes différents. La convention fiscale de 1966 retient comme principe l’imposition des revenus dans l’État d’exercice de l’activité. Elle concerne dix-huit cantons, dont Genève, qui est le principal bassin d’emploi frontalier.
En 1983, on a dérogé à ces règles pour huit cantons : les travailleurs frontaliers exerçant dans les cantons de Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura sont imposés dans leur État de résidence, moyennant une compensation financière compliquée dont personne ne mesure vraiment l’impact. Les questions que nous avons adressées aux services fiscaux n’ont pas permis de nous éclairer.
Dans ce cadre, la négociation entre départements et régions pour une redistribution solidaire n’est pas du tout, comme vous le souligniez, à l’ordre du jour.
M. Michel Guiniot (RN). En préambule, il serait intéressant d’avoir un éclairage complémentaire sur la question qu’a posée M. le président Alain David tout à l’heure.
Nos près de 240 000 transfrontaliers voient leurs habitudes de travail et leur fiscalité particulière évoluer avec les apports du télétravail. Cet avenant a pour but de pérenniser les multiples accords temporaires de 2020 et d’apporter une stabilité juridique aux travailleurs transfrontaliers et aux entreprises qui ont un usage constant du télétravail. Il porte à 40 % du temps de travail, soit un peu plus de deux jours par semaine, le temps pouvant être télétravaillé sans entraîner de fiscalité pénalisante.
Selon les dernières enquêtes de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, ce pourcentage est la norme pour les salariés français qui peuvent télétravailler. Et contrairement à l’accord fiscal que nous avons dernièrement examiné concernant le Luxembourg, il existe dans l’avenant qui nous est soumis aujourd’hui une clause de compensation pour que les États à qui profitent les recettes fiscales financent les services publics qui bénéficient aux travailleurs transfrontaliers.
Cet avenant prévoit la mise à jour des multiples dispositions en vigueur depuis 1966. L’article 7 prévoit la création d’une clause anti-abus qui permet à un État de refuser, sous condition, le bénéfice d’un avantage prévu par la convention de 1966 au titre d’un élément de revenu ou de fortune, pour éviter les montages fiscaux ou les transactions discutables. L’article 10 contient une particularité pour le canton de Genève, qui affiche une franchise de 15 %, soit trente-quatre jours de télétravail, lui permettant de bénéficier d’une part des recettes fiscales en complément de celles perçues par l’administration fiscale française.
Le Rassemblement national votera en faveur de cet avenant. Je m’interroge toutefois sur le point 3 de l’article 10, qui inclut dans la convention les missions temporaires effectuées dans des pays étrangers, dans une limite de dix jours. Cela ne risque-t-il pas d’être pénalisant pour des professions qui y consacrent beaucoup de temps, comme dans les domaines de la recherche ou de l’audit ?
L’étude d’impact n’apporte pas de données claires sur les conséquences fiscales de cet avenant. Pourriez-vous nous indiquer les montants de compensation prévus par le point 1. b) de l’article 10 ?
Enfin, l’article 6 liste les nombreux éléments qui doivent être communiqués entre administrations pour le suivi des données fiscales mais les tâches de contrôle ne sont pas précisées. Comment les administrations pourront-elles vérifier ces éléments déclaratifs pour éviter la fraude fiscale ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure. Concernant la question du président, on m’indique l’existence d’un forfait fiscal entre l’Italie et la Suisse, qui prend en compte le nombre important de salariés franchissant la frontière chaque jour. Je n’ai pas d’information pour l’Allemagne, sinon que les distorsions de revenus avec la Suisse sont beaucoup moins importantes que pour ce qui est des départements français. Ce point reste à creuser.
Pour le reste, j’ai clairement indiqué que l’étude d’impact est inexistante et que nous aurons besoin de plus d’éléments. L’avenant a été signé en juin 2023 ; or nous sommes en juin 2025 et les informations de base sur les circuits financiers n’arriveront pas avant 2026. Il serait raisonnable que les services fiscaux procèdent à une évaluation pour rendre compte des difficultés rencontrées, afin que nous puissions éventuellement adapter une fois encore les dispositions de la convention. Les années d’expérience après le covid-19 ont permis une expérimentation grandeur nature mais nous aurons besoin de données chiffrées pour nous assurer de procéder correctement.
Mme Marie-Ange Rousselot (EPR). Le texte qui nous est soumis est très attendu de part et d’autre de la frontière. La relation entre la France et la Suisse est riche d’une longue histoire commune mais aussi d’échanges quotidiens dynamiques. L’avenant vise à réguler la partie fiscale de ces échanges et à instaurer des règles claires et partagées.
Il a pour but de pérenniser l’accord sur le télétravail transfrontalier signé en juin 2023, qui autorise jusqu’à 40 % de temps de télétravail par année civile en maintenant l’imposition dans l’État de situation de l’employeur. Cette pérennisation correspond aux nouvelles habitudes des travailleurs et des entreprises héritées de la crise sanitaire de 2020. Le texte intègre par ailleurs une mise en conformité avec les règles de l’OCDE visant à lutter contre l’optimisation fiscale, la fraude et l’évasion fiscale.
Cet avenant permet à nos concitoyens d’éviter les doubles impositions et il réforme la procédure de différend avec les administrations en cas de recours des administrés. La France et la Suisse font également en sorte de faciliter les relations bilatérales grâce à un mécanisme d’échange automatique de renseignements. Nous pouvons nous réjouir de ces nouvelles stipulations, qui soulageront les citoyens comme les administrations.
Cependant, nous devons rester vigilants sur certains points. Il est important de nous assurer que l’administration française instaure les mécanismes de surveillance et de contrôle nécessaires pour que les objectifs soient atteints et que les obligations de chacun soient respectées. Je pense aussi bien à la bonne tenue de nos finances publiques, de l’assurance chômage, de l’assurance maladie et de l’administration fiscale qu’à la sécurité juridique et fiscale de nos concitoyens, qu’il faudra rétablir, puis maintenir.
Le groupe Ensemble pour la République votera en faveur de ce texte sans la moindre réserve. Nous appelons l’Exécutif à multiplier ce type d’accords, qui favorisent l’intégration régionale et européenne de notre pays, le plaçant ainsi à l’avant-garde des bonnes pratiques internationales en matière de fiscalité et de revenus transnationaux.
Mme Dominique Voynet, rapporteure. Je partage vos encouragements à mener une surveillance et un contrôle efficaces. De nombreux salariés sont plus mobiles qu’il n’y semble, avec des missions à l’étranger, par exemple, ou dans plusieurs cantons, quand leur entreprise dispose de plusieurs installations. D’autres se trouvent structurellement à cheval entre la France et la Suisse et gérer cette mobilité fait partie de leur travail.
Je crois que les dispositions régissant la fiscalité du travail entre la France et la Suisse devront être revues de manière plus profonde. Les situations sont très diverses et il n’y a rien de commun entre un cadre des services financiers, un ingénieur du CERN et une personne employée dans un Ehpad, tenue de se déplacer chaque jour, avec les frais de transport et les problèmes de garde d’enfant que cela engendre. Nous devrons creuser le sujet avec les gens qui connaissent bien le terrain dans les instances de travail territoriales que nous avons en commun avec la Suisse.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Le projet qui nous est soumis comporte de nombreuses bonnes dispositions, à commencer par un régime clair pour l’imposition des heures de télétravail qui met fin à une incertitude juridique, et surtout un système de rétrocession fiscale en faveur de la France. Ces mécanismes de compensation sont très attendus et le groupe La France insoumise souhaite de longue date que toutes les conventions soient dotées de dispositions similaires.
Les régions d’origine des travailleurs transfrontaliers sont souvent transformées en cités-dortoirs, voire en zones sinistrées. Elles ont donc peu de moyens pour financer leurs services publics et beaucoup d’usagers, tandis que les impôts des télétravailleurs partent ailleurs, la plupart du temps en Suisse ou au Luxembourg.
Nous sommes donc favorables au principe de cet avenant. Toutefois, les mécanismes instaurés sont très incomplets : la rétrocession ne s’applique qu’aux heures effectuées en télétravail et les recettes fiscales reviendront à l’État sans qu’aucun système ne permette de les allouer au financement des services publics des collectivités concernées. Nous nous abstiendrons donc sur ce texte.
Mme Dominique Voynet, rapporteure. J’ai rencontré beaucoup d’élus locaux frontaliers qui seraient scandalisés d’entendre qualifier leurs communes de « cités-dortoirs » alors qu’ils déploient beaucoup d’efforts pour les garder dynamiques.
Par ailleurs, j’ai été frappée par l’ampleur des protestations portant sur l’aspect foncier de la question. Les dispositions de protection de l’environnement sont beaucoup plus exigeantes en Suisse qu’en France. Nous nous retrouvons donc à construire des bâtiments, des lotissements, des quartiers de piètre qualité dans un contexte foncier contraint alors que, de l’autre côté de la frontière, des paysages magnifiques sont préservés. C’est tout à fait désolant pour de très nombreux élus, qui ne sont d’ailleurs pas forcément écolos.
M. Stéphane Hablot (SOC). Il est question ici d’adapter une convention datant de près de soixante ans qui concerne presque 240 000 Français travaillant en Suisse, afin de moderniser un cadre bilatéral devenu obsolète et de simplifier ce qui était compliqué. Les objectifs sont la redistribution fiscale pour de nombreux territoires, la clarification des règles d’imposition, notamment pour éviter les doubles impositions, et la lutte contre l’évasion fiscale.
Nous voterons en faveur de ce texte, bien qu’il ne représente qu’un petit pas ; mais qui connaît les territoires transfrontaliers sait que les enjeux sont beaucoup plus larges. J’ai eu l’occasion de questionner les maires de communes frontalières, comme Saint-Jean-de-Luz près de l’Espagne, Mondorf-les-Bains au Luxembourg ou d’autres communes limitrophes de la Belgique ou de l’Allemagne : ils ne parlent plus de cités-dortoirs mais de relations bilatérales avec des coopérations en matière de transport, de construction, de logement et de services. Là sont les véritables défis.
Cette réforme n’est donc que le début d’un grand chantier de la coopération entre nos pays. Dès lors, comment comptez-vous évaluer ses effets, présents et à venir ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure. L’évaluation est prévue aux alentours de 2028 mais la Cour des comptes a souligné à plusieurs reprises que les conventions fiscales avec les pays riverains sont mal évaluées. À l’occasion de la prochaine discussion budgétaire, nous suggérerons, en commission des finances, de réfléchir à une amélioration de la situation pour l’ensemble des conventions.
Mme Maud Petit (Dem). L’avenant dont il nous est demandé d’autoriser la ratification a été adopté par le Sénat ainsi que par l’Assemblée fédérale suisse le 14 juin 2024. Il vise à créer un nouveau régime d’imposition en matière de télétravail et à intégrer dans la convention les derniers standards internationaux développés par l’OCDE dans le cadre du projet de lutte contre l’érosion des bases d’imposition et le transfert des bénéfices.
L’objet de la convention fiscale de 1966 était de fixer les règles de partage des impositions entre la France et la Suisse en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, la taxe sur les salaires et l’impôt sur la fortune immobilière. Son article 17 prévoit un principe d’imposition dans le pays où le salarié exerce son activité.
La pandémie de covid-19 a entraîné le développement du télétravail, qui n’est pas sans conséquence sur l’imposition des personnes résidant en France mais travaillant pour un employeur situé en Suisse : l’État de résidence devient de facto l’État d’exercice de l’activité. Face à cette situation, la France et la Suisse ont conclu divers accords amiables. L’un d’entre eux, temporaire, prévoit de maintenir l’imposition des travailleurs transfrontaliers dans l’État de l’employeur si l’activité de télétravail effectuée depuis l’État de résidence n’excède pas 40 % du temps de travail. Cet avenant vise à intégrer ces modalités dans la convention de 1966.
Les Démocrates voteront en faveur de ce texte, qui présente plusieurs avantages principaux pour la France. D’abord, il lui est favorable car il introduit une compensation fiscale au profit de l’État de résidence des travailleurs transfrontaliers. Il renforce la sécurité juridique à leur profit et simplifie les règles applicables en matière d’imposition des rémunérations. Il contribue aussi à une réduction du trafic routier, qui ne cesse de croître, en même temps que le nombre de travailleurs transfrontaliers. Enfin, l’avenant modernise le cadre de nos relations fiscales bilatérales au regard des derniers standards internationaux.
Toutefois, l’étude d’impact est incomplète quant aux conséquences de l’avenant sur nos recettes fiscales. Quels sont les mécanismes de surveillance et de contrôle qui accompagnent ces stipulations ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure. Je m’interroge en effet beaucoup sur les modalités de mise en œuvre de la convention : les données nécessaires à un début d’évaluation de l’efficacité du dispositif ne seront pas disponibles avant fin 2026. Par ailleurs, ni les collectivités locales, ni les parlementaires, ni les services fiscaux ne disposent d’estimations fiables sur les montants en jeu. Les informations que nous obtiendrons au fur et à mesure nous permettront de rectifier le tir si le dispositif s’avère insatisfaisant.
Quant aux moyens du contrôle, il s’agit de deux mécanismes : les échanges d’informations entre les services fiscaux français et suisse, ainsi que les services des cantons concernés, et les déclarations des salariés.
M. Alain David, président. Je cède à présent la parole à un collègue qui désire s’exprimer à titre individuel.
M. Jérôme Buisson (RN). Dans mon département de l’Ain, frontalier de la Suisse
– et plus particulièrement du canton de Genève –, de nombreux compatriotes passent la frontière pour travailler. Les liens entre les Français et les Suisses sont forts.
J’appelle toutefois votre attention sur la double imposition qui peut exister en cas de succession, suite au rejet par la partie helvétique de la convention applicable en la matière. Un concitoyen s’est ainsi retrouvé dans la situation ubuesque de devoir payer 115 % de droits sur la succession d’un cousin : 55 % en Suisse et 60 % en France. J’ai alerté plusieurs collègues, ainsi que le ministre de l’économie, mais rien ne semble avoir évolué.
Cet avenant à la convention fiscale contient-il un volet concernant les successions qui permettrait d’éviter ce type de situations ?
Mme Dominique Voynet, rapporteure. Non, l’avenant concerne exclusivement la pérennisation des dispositifs transitoires qui avaient été adoptés après la pandémie de covid pour clarifier la situation des télétravailleurs.
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Article unique : (autorisation de l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (ensemble un protocole), signé à Paris le 27 juin 2023)
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
Informations relatives à la commission
En conclusion de sa réunion, la commission désigne :
- Mme Michèle Tabarot, co-rapporteure de la mission d’information commune avec la commission de la défense nationale et des forces armées sur l’articulation et la compatibilité des défenses européenne et atlantique.
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La séance est levée à 10 h 20.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Guillaume Bigot, M. Jorys Bovet, M. Jérôme Buisson, M. Sébastien Chenu, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, Mme Stella Dupont, M. Marc de Fleurian, M. Nicolas Forissier, M. Guillaume Garot, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. Vincent Jeanbrun, M. Alexis Jolly, Mme Sylvie Josserand, Mme Brigitte Klinkert, M. Arnaud Le Gall, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, Mme Élisabeth de Maistre, Mme Alexandra Masson, M. Laurent Mazaury, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Sébastien Peytavie, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-François Portarrieu, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, M. Franck Riester, Mme Laurence Robert-Dehault, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Dominique Voynet, M. Lionel Vuibert
Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, M. Gabriel Attal, M. Bertrand Bouyx, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, Mme Christelle D'Intorni, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Marc Fesneau, M. Bruno Fuchs, M. Perceval Gaillard, M. Bastien Lachaud, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa
Assistaient également à la réunion. - M. Stéphane Hablot, M. Aurélien Taché