Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

–  Examen pour avis du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2023 (n° 4) (M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis)              2

  Information relative à la commission................19

  présences en réunion...........................20

 


Mercredi
9 octobre 2024

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 011

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel, Président

 

 


  1 

La commission examine, pour avis, le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2023 (n° 4) (M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis).

M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis. L’exercice est inhabituel à double titre. D’une part, certains d’entre vous ont déjà eu l’occasion d’examiner le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Le texte avait été rejeté par notre commission ainsi que par la commission des affaires sociales, saisie au fond, sans pouvoir être discuté en séance publique. Or, selon le principe du chaînage vertueux, nous ne pouvons pas examiner le PLFSS pour 2025 sans avoir étudié les comptes de l’année 2023. Nous voilà donc saisis de nouveau. D’autre part, je n’ai pas la même couleur politique que mon prédécesseur, Michel Lauzzana. Je tire donc du texte d’autres enseignements. Je proposerai ainsi de le rejeter, tout en précisant que le groupe Droite républicaine n’est guère favorable par principe à la suppression d’articles.

J’évoquerai successivement le solde et la dette pour 2023, les dépenses puis la non-certification des comptes de la branche famille.

Pour l’ensemble des administrations de sécurité sociale – périmètre plus large que celui du PLFSS –, l’article liminaire du projet de loi indique un excédent de 0,5 % du PIB, soit 12,9 milliards d’euros, contre 0,3 % du PIB, soit 9,2 milliards d’euros l’année précédente. Cette amélioration est néanmoins en trompe-l’œil puisqu’elle tient surtout à l’excédent de certains régimes de retraite complémentaires et aux opérations de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades). Nous devrions nous interroger sur l’existence d’un excédent provenant des opérations de remboursement de la dette passée.

Le solde de la Cades, structurellement excédentaire, démontre sa capacité à rembourser les déficits passés. L’établissement public a bénéficié de 21,1 milliards d’euros de recettes en 2023 qui lui ont permis d’amortir 18,3 milliards d’euros de la dette sociale, dépassant ainsi l’objectif de 17,7 milliards d’euros fixé par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2023.

Selon les documents annexés au Placss, les ressources de la Cades devraient reculer à 19,3 milliards d’euros en 2024, le montant de la dette amortie s’établissant à 16 milliards d’euros. Cette baisse est due à la réaffectation d’une fraction de contribution sociale généralisée (CSG) à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) à compter de 2024. Elle se poursuivra en 2025 avec la diminution des versements annuels du fonds de réserve pour les retraites (FRR).

La reprise de dette à hauteur de 136 milliards d’euros, décidée par le Parlement en 2020 dans le contexte de la crise sanitaire, s’est accompagnée d’une diminution des ressources de la Cades pour la première fois de son histoire, en contrepartie du report de l’horizon d’amortissement de 2024 à 2033. Au total, le montant de la dette sociale amortie au 31 décembre 2023 s’établit à 242,6 milliards. Le montant de la dette transférée et restant à rembourser s’élève à 145,1 milliards, soit 37 % des déficits repris par la Cades. C’est sans compter les éventuels transferts supplémentaires, qui nécessiteraient soit de reporter la date d’extinction de la Cades, soit d’augmenter les ressources qui lui sont affectées, soit de rétablir les comptes sociaux en dégageant des excédents. Je le rappelle, les déficits prévisionnels des régimes de base à compter de l’année 2024 ne sont couverts par aucune reprise de dette à ce stade. Dans son rapport de janvier dernier, le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFPS) alerte sur la reconstitution rapide de la dette sociale non transférée, qui pourrait atteindre 70 milliards d’euros en 2027.

La situation financière positive des administrations de sécurité sociale ne doit pas détourner notre attention de l’état inquiétant des comptes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (Robss) et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), décrit à l’article 1er du projet de loi.

Alors que la LFSS de 2024 prévoyait un déficit de 8,7 milliards d’euros, celui-ci atteint finalement 10,8 milliards, correspondant au solde arrondi entre 600 milliards d’euros de recettes et 610,7 milliards d’euros de dépenses. Ce solde s’améliore sensiblement par rapport à l’année 2022 où le déficit avait atteint 19,6 milliards d’euros, après avoir connu un pic historique de 39,7 milliards d’euros en 2020 dans le contexte de la crise sanitaire.

Ces résultats sont en majeure partie imputables à l’amélioration du solde de la branche maladie, dont le déficit reflue de 21 milliards d’euros en 2022 à 11,1 milliards d’euros en 2023. Les excédents et les déficits des autres branches, beaucoup plus réduits, se compensent entre eux.

Dans son rapport du printemps dernier sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes alerte sur « la perte de maîtrise des comptes sociaux ». Je partage cette appréciation alors que la présentation du PLFSS pour 2025 devrait, selon toute vraisemblance, confirmer que le déficit des régimes de base et du FSV en 2024 sera supérieur à la prévision initiale de 10,5 milliards.

L’accumulation des déficits du régime général, en l’absence d’une nouvelle reprise de dette par la Cades, pèse sur l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). L’Agence couvre provisoirement les besoins de financement de la sécurité sociale par des emprunts de court terme, inférieurs à un an. Elle se trouve non seulement exposée à toute augmentation des taux d’intérêt mais aussi contrainte à une gestion particulièrement prudente du risque de liquidité.

En ce qui concerne les dépenses de l’année 2023, elles progressent de 3,1 % pour s’établir à 610,7 milliards d’euros, soit une progression de 1,2 point inférieure à la dynamique constatée en 2022.

Les dépenses relevant de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) atteignent 247,8 milliards d’euros en 2023, soit une hausse de 0,3 % par rapport à 2022 si l’on inclut les dépenses liées à la crise sanitaire. Les dépenses hors covid-19 augmentent, quant à elles, de 4,8 %, suivant ainsi l’inflation constatée l’année dernière. Il est problématique, compte tenu de l’état des comptes sociaux, que les dépenses n’évoluent pas à un rythme inférieur à l’inflation. Plusieurs raisons expliquent l’augmentation : les diverses mesures de revalorisation de la rémunération des agents publics ; les hausses successives du SMIC, qui ont entraîné la revalorisation de la base de calcul des indemnités journalières de maladie.

L’extinction des dépenses exceptionnelles liées à la crise sanitaire réduit paradoxalement nos marges de manœuvre financières. Il n’est plus possible de compter sur cette source d’économies pour rétablir nos comptes sociaux à l’avenir. Il faudra une action résolue pour améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. L’assurance maladie chiffre à 1,56 milliard d’euros les économies potentielles pour 2025. Il est indispensable que le PLFSS contienne des dispositions en ce sens.

Enfin, la non-certification des comptes de la branche famille et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) par la Cour des comptes est préoccupante, même si elle n’est pas nouvelle – le problème s’était déjà posé en 2022.

J’appelle votre attention sur un chiffre : le montant des indus et des rappels qui ne seront jamais recouvrés, à la suite d’erreurs imputables aux caisses d’allocations familiales (CAF), est estimé à 5,5 milliards, soit 7,4 % des prestations versées. J’attends des précisions de la part de la Cnaf sur le montant des autres indus, notamment frauduleux.

Certains soulignent que les prestations affectées d’erreurs déclaratives non corrigées à l’issue des contrôles internes concernent les opérations réalisées par le réseau des CAF pour le compte de l’État et des départements. Tel est le cas de la prime d’activité, du RSA et des aides au logement. Cela n’exonère toutefois pas la branche famille de son devoir de bonne gestion. Nous devrons être très attentifs à cette question.

L’examen du Placss pour 2023 démontre, une nouvelle fois, que la situation financière de la sécurité sociale est inquiétante, de même que ses perspectives pour les prochaines années. Pour l’ensemble de ces raisons, et en cohérence avec la position que les députés du groupe Les Républicains avaient adoptée en juin dernier, j’appelle à voter contre le projet de loi.

M. le président Éric Coquerel. Lors de son premier déplacement, en réponse à des personnels de santé qui lui exposaient leurs difficultés quotidiennes ainsi que le manque de moyens financiers et humains à l’hôpital, Michel Barnier a déclaré qu’il ne pouvait pas faire de miracle. Cette phrase m’a rappelé, en des termes plus aimables, les propos tenus par Emmanuel Macron dans des circonstances identiques selon lesquels il n’y avait pas d’argent magique. Pourtant l’argent magique, il a bien fallu en trouver, et en quantité, pour faire face au covid.

L’incapacité à répondre aux besoins de notre système de santé reste entière. En la matière, il n’est pas question de miracle ; il suffit de mettre fin à la politique d’assèchement des comptes sociaux et de revenir sur des choix financiers contestables au premier rang desquels la baisse continue des recettes.

Cette évolution est parfaitement documentée s’agissant du budget de l’État mais elle concerne aussi la sécurité sociale. Les 89 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales pour les entreprises, sans aucune contrepartie, représentent plus de 14 % des recettes de la sécurité sociale. Certes, ces exonérations sont presque intégralement compensées mais les transferts de l’État pèsent sur son budget, donc aggravent le déficit. Il en est de même du hold-up sur les excédents : l’assurance chômage a ainsi subi une ponction de 2 milliards d’euros sur ses 3,5 milliards d’euros d’excédents en 2023. Enfin, la sécurité sociale a dû, elle aussi passer à la caisse puisque le transfert de la fraction de TVA n’a pas suffi à compenser les pertes de recettes liées aux exonérations de cotisations pour les régimes de retraite complémentaire et l’assurance chômage.

Par ailleurs, on peut s’interroger sur les régimes sociaux dérogatoires pour les compléments de salaires. La Cour des comptes, dans son rapport du 29 mai 2024 sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, considère ainsi que « l’ampleur prise par les régimes sociaux dérogatoires pour les compléments de salaire en modifie leur portée. Ils portent désormais atteinte aux équilibres financiers de la sécurité sociale et à l’équité du prélèvement social entre les entreprises et entre les salariés. »

Ensuite, malgré ces attaques, le système de protection sociale est excédentaire. Le solde des administrations de la sécurité sociale est ainsi positif de 0,5 point de PIB. En 2023, le déficit des régimes obligatoires de sécurité sociale s’élève à 10,8 milliards d’euros sachant toutefois que 18,3 milliards de dettes ont été remboursés. Nous ne sommes certes pas à l’équilibre mais on ne peut pas dire que les déficits s’accumulent année après année. Face au détournement de 19 milliards d’euros de recettes d’impôts injustes, car non progressifs – la CSG et la CRDS –, au profit de la Cades, on peut se demander si la raison d’être de la caisse n’est pas de faire croire que la sécurité sociale est dans le rouge.

S’agissant de la dette sociale, contrairement à la dette de l’État, elle n’est pas négociable et ne peut pas être reportée. Nous devons donc nous interroger sur la pratique consistant pour l’État à créer de la dette sociale pour financer des mesures – qui peuvent au demeurant être légitimes, telles que le chômage partiel pendant le covid.

Il est un dernier choix sur lequel il est essentiel de revenir, celui de faire supporter le poids financier de la politique menée par ceux qui ont le plus besoin de la sécurité sociale. Je pense évidemment à la réforme des retraites mais aussi au sous-financement de l’hôpital public. Le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Arnaud Robinet, qui est également maire de Reims et membre du parti Horizons, réclamait plus de 1 milliard d’euros pour compenser les surcoûts liés à l’inflation. Seulement 500 millions d’euros ont été débloqués, de surcroît à partager avec le secteur privé. La FHF continue de s’inquiéter du sous-financement chronique de l’hôpital public.

Alors que les établissements publics attendaient de récupérer 720 millions d’euros de sous-exécution de l’Ondam qui leur étaient destinés, seuls 470 millions d’euros de crédits non consommés leur ont été rendus au titre de l’année 2023. Une ponction de 250 millions d’euros a donc été opérée sur l’hôpital public.

Ce n’est pas satisfaisant. C’est la raison pour laquelle, pour ma part, je n’approuverai pas les comptes.

M. Charles de Courson, rapporteur général. La loi organique du 14 mars 2022 a créé une nouvelle catégorie de loi de financement de la sécurité sociale : la loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss), qui doit être déposée chaque année sur le bureau du Parlement avant le 1er juin. Celle-ci permet au Parlement d’examiner les comptes du dernier exercice clos dès le printemps, et ce séparément de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l’année suivante, qui a lieu à l’automne.

Un projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale a ainsi été déposé en mai dernier. Rejeté par la commission des affaires sociales le 5 juin, il est devenu caduc en raison de la dissolution. Un nouveau projet de loi, dont notre commission est saisie pour avis ce matin, a donc été déposé le 19 juillet.

Même si le présent texte fait état d’une réduction des déficits, celle-ci est moins importante que celle anticipée par la LFSS pour 2024 en raison d’une croissance moins forte que prévu.

Le 29 mai dernier, avant la dissolution, la Cour des comptes avait présenté à la commission des affaires sociales son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. Ce rapport inclut plusieurs critiques au sujet de la perte de maîtrise de la trajectoire des déficits de la sécurité sociale, de la pertinence de certaines niches sociales, de l’intérim médical et paramédical à l’hôpital ou encore de la réduction du nombre de lits d’hôpital. Rappelons en outre que les précédentes trajectoires financières ont été entérinées dans le cadre de PLFSS adoptés grâce au 49.3, c’est-à-dire sans réels débats.

Ce texte, bien que comptable par essence, révèle des tendances de fond inquiétantes, un déficit croissant et des recettes insuffisantes pour soutenir un modèle social basé sur la solidarité.

La suppression de lits d’hôpital constitue un autre sujet de préoccupation. La Cour des comptes a critiqué ces fermetures, qu’elle attribue davantage à un manque de personnel qu’à des décisions budgétaires bien évaluées. En 2022, 21 % des lits de l’AP-HP sont restés fermés, dans 70 % des cas à cause d’effectifs insuffisants. Le même phénomène a également été observé dans les hôpitaux relevant de l’AP-HM, à Marseille, ou encore des Hospices civils de Lyon (HCL). Les causes principales de ce manque de personnel sont liées aux conditions de travail, à la rémunération, à la pénibilité des métiers hospitaliers, et elles vont de pair avec un fort taux d’absentéisme dans la fonction publique hospitalière.

En 2022, les comptes des administrations de sécurité sociale (Asso) ont connu un excédent de 0,5 point de PIB. Cependant, pour l’année 2023, on observe une dégradation par rapport aux prévisions initiales. Alors que la LFSS de 2024 prévoyait un solde positif de 0,7 point de PIB, l’article liminaire du présent Placss n’indique un excédent que de 0,5 point de PIB, ce qui correspond à 13,2 milliards d’euros.

Le montant consolidé des recettes des Asso s’élève à 750 milliards d’euros, mais celui des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale est de 600 milliards ; 150 milliards proviennent donc des régimes complémentaires, notamment de retraite, qui sont structurellement excédentaires. Si les Asso sont excédentaires de 0,5 point de PIB et que les Robss affichent un déficit de 0,4 point, cela signifie que les premières, hors Robss, sont excédentaires de 0,9 point de PIB. Ce sont donc les systèmes de retraite complémentaires, qui capitalisent des excédents pour faire face à leurs engagements, qui expliquent le solde positif des Asso, que les observateurs non avisés peuvent avoir du mal à analyser.

Le Gouvernement explique la dégradation des prévisions par un rendement des prélèvements obligatoires inférieur aux prévisions, combiné à une croissance économique également plus faible qu’attendu. L’article 1er approuve le tableau d’équilibre des seuls Robss, dont le solde s’élève à – 10,8 milliards d’euros en 2023. S’il s’agit bien d’un progrès, le fait est qu’un solde de – 8,7 milliards d’euros était initialement prévu, ce qui représente un écart de 2,1 milliards d’euros.

Les dépenses relevant du champ de l’Ondam se sont établies à 247,8 milliards d’euros, dépassant de 200 millions d’euros la prévision rectifiée dans la LFSS de 2024. Cela étant, ce léger dépassement ne saurait masquer une réalité bien plus alarmante. Le Gouvernement continue de faire du taux d’endettement des hôpitaux la variable d’ajustement du respect de l’Ondam. À cet égard, le président de la Fédération hospitalière de France considère que le déficit de fonctionnement des hôpitaux publics atteindra 1,4 milliard, voire 1,7 milliard d’euros en 2024, et qu’il devrait dépasser les 2 milliards d’euros l’an prochain. Le quasi-respect de l’Ondam s’apparente donc à une illusion. Nos établissements s’endettent, se fragilisent et voient leur mission de service public remise en cause.

Le présent projet de loi n’apporte donc pas de réponse satisfaisante aux défis majeurs auxquels notre système de sécurité sociale est confronté. Compte tenu des derniers éclairages sur l’état inquiétant de nos finances publiques, il est indispensable de réfléchir à des réformes structurelles, notamment en ce qui concerne le mode de financement de la sécurité sociale. Je rappelle que ce texte a de nouveau été rejeté par la commission des affaires sociales le 25 septembre, les groupes de l’ex-majorité ayant été les seuls à le soutenir. Pour toutes ces raisons, j’appelle à également maintenir notre avis défavorable.

Enfin, je souhaiterais vous poser trois questions, monsieur le rapporteur pour avis.

La première porte sur l’efficacité des exonérations et des réductions de cotisations sociales, lesquelles ont atteint la somme de 76 milliards d’euros. Ces allègements sont-ils intégralement compensés par l’État ? Quelles sont les principales pistes examinées dans le cadre de la préparation du PLFSS pour 2025 – si tant est que vous ayez des informations à ce sujet – pour renforcer leur efficacité, stimuler l’activité et l’emploi et réduire leur coût ?

Quel est le montant de la dette sociale non transférée à la Cades à la fin 2023 et quelle est la prévision pour l’année 2024 ?

Enfin, quelle est votre évaluation de la performance du fonds de réserve pour les retraites en 2023, sachant que sa gestion est considérée comme plutôt bonne ? Quelles sont les perspectives pour cet outil qui ne reçoit plus de dotation depuis 2010 ?

M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis. Par des chemins différents, monsieur le président, vous et moi arrivons aux mêmes conclusions sur ce texte.

Même si nous avons remboursé 20 milliards d’euros de dette, nous continuons d’en créer, conservant ainsi un déficit structurel de 10 milliards. Et comme nous avons décidé d’étaler la dette lors de la crise sanitaire et que nous n’y intégrons pas tout, il me semble que nous nous trouvons bel et bien dans le rouge. Il ne faut pas se tromper d’analyse : ce point me semble majeur. Par ailleurs, que les décisions sociales de l’État aient des répercussions sur les comptes de la sécurité sociale me paraît tout de même plutôt logique.

J’en viens aux questions de M. le rapporteur général.

S’agissant des mesures fiscales, elles sont compensées à plus de 96 %, soit un niveau tout de même élevé. Les mesures envisagées pour le prochain PLFSS, d’après ce que nous avons pu en lire dans la presse, pourraient générer un surcroît de recettes de l’ordre de 15 milliards d’euros entre 2025 et 2027. L’objectif affiché est d’adoucir la pente des allègements sociaux, en aboutissant à une réduction générale et dégressive des cotisations patronales jusqu’à trois fois le Smic. Les principaux bénéficiaires en seraient les salariés dont la rémunération se situe entre 1,3 et 1,8 Smic.

En ce qui concerne le fonds de réserve pour les retraites, il s’agit d’un instrument de taille modeste, mais qui permet d’affecter à la Cades une ressource stable. Cette dernière est issue des placements du FRR, sans recours à une mesure fiscale supplémentaire. La performance du fonds devrait diminuer à l’avenir, à mesure que la part des actifs de performance est abaissée pour garantir la liquidité du fonds et sécuriser le remboursement de son passif.

Quant à la dette sociale amortie, son montant a atteint 242,6 milliards d’euros au 31 décembre 2023. Le montant de la dette transférée restant à rembourser s’élève à 145,1 milliards, soit 37 % des déficits repris par la Cades. Quant au montant de la dette non transférée, sachez qu’il devrait atteindre les 70 milliards d’euros d’ici trois à quatre ans.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Christine Loir (RN). Pour la deuxième année consécutive, les comptes de la sécurité sociale ne sont pas bons. Ce Placss illustre avec force une gestion défaillante de notre système de santé et, malgré une volonté de transparence vis-à-vis du Parlement, ce texte se transforme en chemin de croix. Comment pourrions-nous accorder notre confiance au Gouvernement quand la Cour des comptes refuse, pour la deuxième fois, de certifier dans son rapport une partie des comptes de la sécurité sociale ? Comment valider ces derniers alors que ce même rapport décèle des anomalies comptables rendant les données tantôt obsolètes, tantôt erronées ? Si le but d’un tel texte était de permettre une lecture claire des finances publiques, c’est loupé !

Il s’agit en réalité du bilan comptable biaisé des gouvernements successifs, du reflet des effets d’une politique de santé publique dégradée. Cette situation est d’autant plus alarmante que ces gouvernements, qui se suivent et se ressemblent, sont responsables et coupables des conséquences délétères pour la santé des Français.

Alors que nous nous apprêtons à examiner le PLFSS pour 2025, il est essentiel de garder à l’esprit que la santé est la priorité absolue pour 83 % de nos concitoyens et que près d’un Français sur deux a des difficultés pour accéder aux soins. Dans mon département de l’Eure, par exemple, il s’agit d’une préoccupation majeure.

La question de la nécessité d’un audit des comptes publics, tel que le réclamait Jordan Bardella lors de la campagne pour les élections législatives afin d’obtenir la vérité sur la situation financière de la France, ne se pose donc plus. Puisque les mêmes causes produisent les mêmes effets, les députés du groupe Rassemblement national sont opposés à ce texte, qui ne fait que démontrer les manquements d’un système à bout de souffle.

M. David Amiel (EPR). Sur le fond, d’abord, la situation des administrations de sécurité sociale s’améliore, avec une diminution du déficit des régimes obligatoires. Ce dernier reste toutefois à un niveau important – 11 milliards d’euros –, ce résultat étant d’ailleurs moins bon que celui que prévoyait la LFSS de 2024. Alors que nous examinerons bientôt le PLFSS pour 2025, il est donc évident que la maîtrise des dépenses demeure un objectif prioritaire.

Le présent texte est l’objet de la même confusion que les projets de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes précédemment examinés. Je ne désespère pas de vous convaincre qu’un tel texte ne permet pas de définir des choix politiques. Il ne s’agit pas du projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais d’une simple photographie, prise par nos administrations, de la situation passée.

J’y insiste, ce Placss reflète fidèlement les comptes de la sécurité sociale, sa sincérité et sa régularité ayant été confirmées par la Cour des comptes. Son adoption est cruciale pour la transparence de nos débats et pour permettre le travail de nos administrations. Le refuser constituerait un acte de défiance à l’égard des acteurs de la sécurité sociale, qui font leur travail au service de l’intérêt général, nonobstant les différents choix politiques que nous sommes amenés à faire dans le cadre des LFSS.

Au fond, je trouve que le rejet de textes essentiellement administratifs, sans aucune incidence sur nos politiques publiques ni sur la vie des Français, alimente d’une manière quelque peu nihiliste un antiparlementarisme à plein tube. Il me semble que c’est exactement ce dont les Français ne veulent plus, raison pour laquelle mon groupe soutiendra évidemment ce projet de loi.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). On nous demande d’approuver les comptes de la sécurité sociale, mais nous ne le ferons pas.

Celui qui parle le mieux de ce texte n’est autre que le rapporteur général de la commission des affaires sociales, notre collègue de droite Yannick Neuder, qui a parlé d’« insincérité budgétaire révélée au grand jour ». Les Mozart de la finance sont irrécupérables : qu’il s’agisse du budget de l’État ou de la sécurité sociale, de nos impôts ou de nos cotisations, ce n’est ni fait ni à faire !

Nous devrions approuver les comptes alors que nous sommes dans un contexte lamentable, que les budgets se font attendre et que les informations dont nous disposons ne sont pas de nature à nous rassurer. Alors que les administrations de sécurité sociale sont excédentaires et que ce qui coûte le plus cher – les comptes le montrent –, ce ne sont ni les patients ni les retraités, mais les innombrables niches et cadeaux fiscaux, on continue de nous dire à longueur de journée que des économies doivent être faites sur notre santé et notre protection sociale.

Le gouvernement précédent a passé son temps à creuser un trou et à demander aux Français de le reboucher et c’est ce que s’apprête à faire également le nouveau, soutenu par la droite et les macronistes et cautionné par le Rassemblement national. C’est par leur santé que les Français vont payer le grand plan Barnier-Macron !

Pour l’année à venir, ce sont 60 milliards d’euros d’économies qui sont prévus, dont 15 milliards sur la sécurité sociale. Concrètement, cela signifie que le Gouvernement – de droite, macroniste et cautionné par le Rassemblement national – va moins rembourser les consultations de médecins, ce qui aboutira à une augmentation du prix des mutuelles. Des économies seront aussi réalisées sur les arrêts maladie, ainsi que sur les pensions de retraite. Un reste à charge sera désormais appliqué sur les dispositifs médicaux – y compris sur les pacemakers ! – afin de rembourser la dette. C’est dire combien la santé des Français va être sacrifiée ! Et je ne mentionne pas le sous-financement de l’hôpital public, à qui il manquait déjà 1 milliard d’euros en 2023.

Pour utiliser la même conclusion que le rapporteur général de la commission des affaires sociales, « nous sanctionnerons l’insincérité budgétaire révélée au grand jour. […] Nous voterons donc contre le texte. »

M. Philippe Brun (SOC). Si l’examen de ce texte n’a aucun intérêt, si nous ne devions qu’approuver les comptes et nous contenter de les commenter, pourquoi prévoir un débat et un vote ? Souffrez donc que nous remettions en cause la gestion passée, une gestion que nous ne sommes pas les seuls à regretter puisque la Cour des comptes a dressé une sorte de réquisitoire contre la trajectoire non maîtrisée du déficit : « Un tel niveau de déficit est un point de bascule, car le financement des déficits de la sécurité sociale n’est plus assuré à terme », est-il écrit dans son rapport.

D’un côté, les recettes connaissent un tassement en raison des allégements généraux – sujet sur lequel nous allons devoir travailler dès les prochains projets de loi de finances (PLF) et PLFSS, notamment en ce qui concerne les exonérations de cotisations sociales au-dessus de deux Smic. De l’autre côté, la hausse des dépenses n’a évidemment pas été compensée par les recettes affectées à la sécurité sociale.

La Cour des comptes pointe également quelques éléments critiquables de la politique du Gouvernement, en particulier les niches sociales sur les compléments de salaire, dont le coût a atteint 19,3 milliards d’euros en 2023 – un chiffre à mettre en regard de celui du déficit de la sécurité sociale, de 7,8 milliards d’euros ; l’intérim médical et paramédical, qui est un autre sujet sur lequel nous devrons nous pencher, en nous appuyant notamment sur le rapport produit par l’Inspection générale des finances (IGF) ; la suppression de lits d’hôpital ; la qualité du contact des usagers avec les caisses.

Pour l’ensemble de ces raisons, les députés socialistes se prononceront contre le Placss et espèrent que les débats budgétaires qui s’ouvrent nous permettront enfin de doter notre sécurité sociale et notre modèle de protection sociale d’un financement adéquat.

Mme Véronique Louwagie (DR). Ce projet de loi est en tout point identique à celui que la commission des affaires sociales a rejeté en juin dernier. Son vote étant un préalable indispensable à l’examen du PLFSS, le changement de législature impose qu’il soit à nouveau déposé et examiné au Parlement.

Le rejet du Placss n’entraîne pas de conséquence – celui de 2022 avait été définitivement rejeté par le Sénat en juillet 2023, sans effet sur l’examen du PLFSS. C’est pourquoi le groupe Droite Républicaine s’y opposera. Nous ne pouvons aucunement nous y associer, tant il illustre une situation budgétaire catastrophique et s’apparente à un aveu d’impuissance à résorber la dette sociale. Face au dérapage des comptes de la sécurité sociale, nous appelons à une gestion responsable et durable des dépenses de santé pour ne pas faire porter sur les générations futures le poids des mauvais choix des derniers gouvernements.

S’agissant de l’hôpital, je voudrais insister sur le poids de la bureaucratie. Nous avons 10 % de personnel non soignant en plus par rapport à d’autres pays. Dans le cadre d’une mission d’information que j’avais conduite avec Robin Reda, le ministre de la santé nous avait indiqué qu’en 2022, son ministère avait recueilli, pour chacune des 18 agences régionales de santé (ARS), quelque 8 500 données chiffrées, qu’il n’avait pas les moyens d’étudier. Le ministère avait produit, la même année, 4 300 pages d’instructions à destination de ces agences.

Allons-nous pouvoir continuer à financer le budget de la sécurité sociale sur les revenus du travail, sachant que le nombre de cotisants va diminuer de 41 000 par an à partir de 2030 et passer de 31,5 millions d’euros en 2030 à 30 millions d’euros en 2070 ? Nous devons engager une réflexion sur le mode de financement de la sécurité sociale et sur notre modèle social.

M. Tristan Lahais (EcoS). Sans surprise, le groupe Écologiste et social votera contre le projet de loi.

Nous contestons tout d’abord une méthode de pilotage des politiques sociales dont la réforme des retraites et celle de l’assurance chômage ont montré combien elle est contraire aux principes fondateurs de la sécurité sociale, le dialogue social et le paritarisme.

Sur le plan strictement comptable, on observe les effets de la politique de moins-disant social, qui traduit l’obsession de la réduction du coût du travail conduisant à faire de la protection sociale l’ajustement à la baisse de la valeur travail.

Le déficit des comptes de la sécurité sociale s’élève à 10,8 milliards d’euros, alors que les réductions et les exonérations de cotisations, dont beaucoup ne sont pas compensées, s’établissent à 73 milliards d’euros : cherchez l’erreur…

Des décennies durant, notre modèle de protection sociale a accompagné la croissance des besoins sociaux qu’impliquent l’augmentation permanente des besoins de formation et l’allongement de l’espérance de vie. Le sous-financement de la sécurité sociale ne permet plus de répondre aux besoins de la population ; pis, il encourage les logiques de protection individuelle.

Je vous épargnerai l’inventaire exhaustif des sujets brûlants et me contenterai d’en citer trois : la dégradation de l’accès aux soins dans les zones rurales, pour un Français sur deux ; les déserts médicaux, qui placent 11 millions de Français à plus de 30 minutes d’un service d’urgence ; la prise en charge indigne des personnes âgées et la situation financière dramatique des Ehpad.

La branche retraite demeure déficitaire sans que les enjeux de la pénibilité ou des carrières hachées aient été pris en compte, et alors qu’est annoncé, au 1er juillet 2025, un report de l’indexation des retraites qui sera dramatique pour les retraités en situation précaire.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Les comptes de la sécurité sociale font apparaître une amélioration du solde global des administrations de sécurité sociale mais un déficit des régimes obligatoires de 10,8 milliards, principalement dû à la branche maladie. Si ce déficit est en amélioration par rapport à 2022 en raison de la baisse des dépenses liée au covid-19, il reste cependant très supérieur aux prévisions initiales, notamment à l’Ondam voté chaque année par le Parlement. La persistance d’un tel écart fait redouter l’apparition d’un déficit structurel dans les années à venir, à moins que des réformes ambitieuses ne soient menées.

Pour garantir l’équilibre de nos comptes sociaux, nous devons accélérer les réformes visant à parvenir au plein-emploi et à renforcer la lutte contre la fraude sociale, ou encore nous interroger sur le maintien de certaines niches sociales. Discuter de ce texte constitue un progrès en matière de transparence et une avancée notable en faveur du renforcement du pouvoir de contrôle et d’évaluation du Parlement. Toutefois, ce serait en limiter la portée que de refuser de prendre acte de la gestion de l’année précédente. Décider de ne pas approuver les comptes conduirait à remettre en cause l’évaluation car, sans chiffres, il n’y a pas de constat possible.

C’est en responsabilité que les députés Démocrates voteront en faveur de ce texte.

M. Pierre Henriet (HOR). J’ai une pensée pour notre ancien collègue Thomas Mesnier, à qui nous devons cette nouvelle catégorie de loi de financement de la sécurité sociale à la suite de la révision du cadre organique en 2022. Ce projet de loi, présenté avec l’ensemble de ses annexes, renforce l’information du Parlement sur l’état des comptes sociaux et les politiques de sécurité sociale : nous ne pouvons que nous en réjouir.

Sur le fond, on constatera l’excédent de la branche famille en 2023, les progrès significatifs obtenus dans la poursuite des objectifs de réduction des accidents du travail et des maladies professionnelles, pour la branche AT-MP, ou encore les budgets de plusieurs milliards d’euros alloués au soutien des structures de santé et les initiatives de prévention qui incluent le financement de projets visant à améliorer la qualité et l’efficacité des soins ainsi que la gestion des achats hospitaliers.

Je souhaite surtout rappeler qu’il s’agit, par l’adoption de ce projet de loi, de se prononcer, non pas pour ou contre certaines mesures de politique sociale, comme voudraient le faire penser certains collègues, mais de valider, dans une démarche de transparence, les comptes de la sécurité sociale et la sincérité des fonctionnaires qui travaillent à leur élaboration. Je suis sûr que nous pouvons nous réunir sur ce dernier point.

Le groupe Horizons et apparentés votera donc bien évidemment en faveur de ce projet de loi.

M. Michel Castellani (LIOT). Les comptes sociaux présentent un solde négatif de plus de 10 milliards, qui s’ajoute à d’autres déficits : c’est cet ensemble qui est alarmant. Il est impératif, dans ce domaine comme dans d’autres, de repenser les dispositifs afin d’assurer un financement pérenne et équilibré des comptes sociaux, ce qui est loin d’être le cas. La Cour des comptes souligne l’absence de maîtrise de la trajectoire des déficits. C’est un objectif difficile à atteindre compte tenu de l’état de nos établissements de santé, des déséquilibres financiers des hôpitaux et des Ehpad et, surtout, de la situation budgétaire générale.

L’enjeu, qui est de garantir un modèle de protection sociale durable, n’est pas inscrit dans notre trajectoire budgétaire, ce qui justifie notre vote défavorable.

M. Emmanuel Maurel (GDR). Par rapport au texte que la commission des affaires sociales avait examiné et rejeté le 5 juin dernier, ce projet de loi ne comporte aucun élément nouveau qui serait de nature à nous faire changer d’avis.

D’un strict point de vue financier, les comptes demeurent affectés par la non-compensation intégrale par l’État des allègements de cotisations sociales. Cela représente une perte de recettes de l’ordre de 3 milliards, ce qui n’est pas mince en regard d’un déficit de 10,8 milliards.

En matière de rémunération, je voudrais vous alerter sur le développement des compléments de salaire. Ils se substituent aux augmentations de salaire et sont exonérés de cotisations ou n’y sont pas soumis, ce qui constitue un manque à gagner considérable pour la sécurité sociale. C’est un problème qui ne cesse de s’aggraver sans que cela semble préoccuper le Gouvernement – mais nous en avons l’habitude.

Il n’y a pas qu’un problème de déficit ; il y a aussi et surtout une question d’adéquation des ressources de la sécurité sociale aux besoins des Français. Freiner les dépenses d’assurance maladie par des réformes structurelles ne saurait infléchir un phénomène contre lequel on ne peut rien : le vieillissement de la population, qui nécessite l’ajustement durable des dépenses à la prise en charge de la maladie et de la dépendance.

À moins qu’on ne nous explique, l’écart entre les ressources et les besoins grandissant, que les Français n’auront d’autre choix que de se débrouiller eux-mêmes. C’est d’ailleurs l’évolution qui se dessine au travers des annonces du passage de trois à sept jours du délai de carence préalable au versement des indemnités journalières de maladie – dont la seule conséquence sera d’augmenter le nombre de salariés malades au travail –, du déremboursement de 3 euros des consultations médicales, et de la création envisagée d’une franchise sur les dispositifs médicaux. Est-ce le modèle de société que nous voulons ?

Au nom d’une vision tronquée du financement de la sécurité sociale, une partie des dirigeants de ce pays s’apprête à détériorer considérablement notre modèle social et à instaurer un moins-disant social. Nous ne validerons évidemment pas ces comptes.

M. Gérault Verny (UDR). Toutes les entreprises de France ont l’obligation de faire certifier leurs comptes et de présenter des comptes sincères ; en tant qu’entrepreneur, je m’étonne que l’État puisse fonctionner différemment. Or on nous présente des comptes non certifiés ou certifiés avec réserve et qui, de surcroît, font apparaître des fraudes massives et des erreurs qui représentent 10 milliards d’euros de pertes pour la seule branche famille. Le déficit global atteint, quant à lui, 17 milliards d’euros. Et on nous demande de voter ce texte : la situation est ubuesque !

Plus désespérant encore, il y a lieu de penser que le budget pour 2025 sera de la même teneur. Aussi je vous appelle, mes chers collègues, à faire preuve de courage et à adopter des mesures raisonnables, permettant d’obtenir l’équilibre des comptes à l’avenir.

Nous voterons bien évidemment contre le texte.

M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis. Ceux qui pensent que nous pouvons continuer à dépenser l’argent que nous n’avons pas condamnent les Français à passer à la caisse, mais il y a fort à parier que personne ne voudra payer l’addition. C’est également les induire en erreur que de laisser penser que tout va bien parce que l’on rembourse une dette de 20 milliards d’euros, tout en présentant des comptes dont le solde est aggravé de 10 milliards d’euros. Je rejoins le Premier ministre : il faut redire la vérité. Nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles crises sanitaires ou d’autres difficultés majeures, et nous devons nous redonner les marges de manœuvre qui nous permettraient d’y faire face. Étaler, comme cela a été fait, le remboursement de la dette engage les générations futures de façon irresponsable.

Imaginer que l’on pourrait mettre fin aux exonérations de cotisations sociales sans affecter la compétitivité de nos entreprises et, à terme, la courbe du chômage est illusoire. Plus de chômage, c’est moins de recettes pour la sécurité sociale, alors même que celles-ci connaissent un phénomène de décélération. Si celui-ci se poursuivait, cela conduirait à nouveau à une dégradation des comptes.

Aux membres de l’ex-majorité présidentielle, je répondrai que la pertinence de l’approbation des comptes ne tient que si nous avons la possibilité de les désapprouver. Or, face à des comptes reflétant la gravité de la situation et dont certains n’ont même pas pu être certifiés par la Cour des comptes, on peut s’interroger. Reconnaître collectivement que nous avons des marges d’amélioration dans l’organisation de nos comptes est à l’honneur de la République et ne relève en rien de l’antiparlementarisme.

Madame Louwagie, le personnel administratif dans les hôpitaux en France représente en effet 35 % des effectifs contre 24 % en Allemagne et dans d’autres grands pays européens. Il y a là une vraie marge de manœuvre pour transformer notre organisation : sans même chercher à faire des économies, passer une partie de ces agents en personnels soignants améliorerait la qualité de l’offre de soins.

Monsieur le rapporteur général, au 31 décembre 2024, nous aurons 34,5 milliards de dette non affectés à la Cades : 10,6 milliards d’euros relèvent de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) et 16,6 milliards d’euros correspondent à la prévision de déficit des Robss en 2024 ; s’y ajoutent environ 7 milliards d’euros qui n’avaient pas été pris en considération au moment du transfert de la dette du covid à la Cades en 2020. La dette gérée par l’Acoss devrait connaître une augmentation annuelle de 10 à 15 milliards pour atteindre 70 milliards en 2027. Le risque est que cette hausse devienne exponentielle.

La commission en vient à l’examen des articles.

Article liminaire : Prévisions de dépenses, de recettes et de solde des administrations de sécurité sociale pour l’année 2023

Amendements de suppression CF1 de Mme Sophie Pantel, CF5 de Mme Élise Leboucher, CF13 de Mme Christine Loir et CF15 de M. Tristan Lahais

M. Philippe Brun (SOC). Chaque année, nous défendons la suppression de l’article liminaire, non parce que nous nous opposerions au tableau qu’il contient, mais pour dénoncer l’exécution du budget. Les dépenses sont supérieures aux prévisions parce qu’elles avaient été sous-évaluées dans la loi de financement de la sécurité sociale ; les recettes sont insuffisantes parce que le rendement des prélèvements obligatoires avait été surévalué.

Par ailleurs, nous nous opposons au format de l’article liminaire, qui n’offre qu’une vision comptable, limitée à des pourcentages de PIB. Il devrait dresser un tableau de l’état de santé de la population, de l’équité du système de retraite et de la qualité de vie au travail, afin de pouvoir débattre des besoins sanitaires et sociaux.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Nous demandons la suppression de l’article liminaire. Les Asso sont excédentaires, donnant l’impression que la protection sociale est mise à contribution pour combler les déficits de l’État. La loi de programmation des finances publiques précise d’ailleurs que « dans cette trajectoire, il est fait l’hypothèse conventionnelle d’une contribution du secteur Asso à la réduction du déficit de l’État, sous forme de transfert, dès 2019 ». S’il existe un excédent, il faut attribuer les moyens correspondants aux soignants et non s’en servir pour payer les erreurs du Mozart de la finance.

Mme Christine Loir (RN). Nous demandons la suppression de l’article liminaire, car nous ne pouvons valider les comptes de la sécurité sociale de 2023 en nous fondant sur les pourcentages qu’il présente. D’une part, la Cour des comptes a relevé des anomalies significatives ; d’autre part, la présentation du bilan sous la forme de pourcentages du PIB n’est pas claire. Cette méthode répond aux exigences des marchés financiers et de la Commission européenne mais elle n’est pas adaptée à nos débats. Au-delà même du refus de la Cour de certifier les comptes, tout cela manque de transparence. Je vous demande donc de nous faire connaître les montants chiffrés des dépenses, des recettes et du solde de l’exercice 2023.

M. Tristan Lahais (EcoS). L’article liminaire propose une vision purement comptable des comptes de la sécurité sociale. L’excédent des administrations de sécurité sociale est inférieur à celui que prévoyait la LFSS. Vous imputez la dégradation aux moindres recettes des prélèvements obligatoires alors que, pour nous, elle résulte d’abord de la politique d’exonérations de cotisations et d’hypermodération salariale, menée, sans compensation suffisante, par ceux-là mêmes qui prétendent désmicardiser la classe moyenne. La gestion des comptes ne permet pas de relever les défis précédemment énumérés.

M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

Les articles d’un projet de loi d’approbation des comptes sont des figures imposées ; adopter ces amendements de suppression constituerait un non-sens parlementaire digne d’Ubu roi.

Sur le fond, les chiffres ont été validés par la Cour des comptes, qui n’a relevé aucune difficulté majeure, estimant que les données soumises fournissent « une représentation cohérente des recettes, des dépenses et du solde (tableaux d’équilibre), ainsi que des actifs et passifs (tableau de situation patrimoniale) des entités comprises dans leurs champs respectifs ».

La commission adopte les amendements de suppression.

En conséquence, elle émet un avis favorable à la suppression de l’article liminaire.

Article 1er : Approbation des tableaux d’équilibre relatifs à l’exercice 2023

Contre l’avis du rapporteur pour avis, la commission adopte les amendements de suppression CF2 de Mme Sophie Pantel, CF6 de Mme Élise Leboucher, CF10 de M. Matthias Renault et CF16 de M. Tristan Lahais.

En conséquence, elle émet un avis favorable à la suppression de l’article 1er.

Article 2 : Approbation, pour l’exercice 2023, des dépenses constatées de l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie, des recettes affectées au Fonds de réserve pour les retraites et celles qu’il met en réserve et du montant de la dette amortie par la Caisse d’amortissement de la dette sociale

Amendements de suppression CF3 de Mme Sophie Pantel, CF7 de Mme Élise Leboucher et CF17 de M. Tristan Lahais

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Partout en France, les hôpitaux craquent, comme à Limoges en début de semaine, où quatre-vingts patients étaient dans les couloirs des urgences. Partout, les infirmiers, les aides-soignants et les médecins donnent l’alarme. Ils n’ont pas les moyens d’exercer correctement leur métier. Ce n’est pas le fruit du hasard ni le résultat d’un processus naturel, mais la conséquence d’un Ondam bien trop faible. Quasiment tous les hôpitaux sont en déficit et les conférences hospitalo-universitaires ont dénoncé la situation financière la plus grave depuis 1958, date de la création des CHU, les centres hospitaliers universitaires. Le projet de budget pour 2025 ne nous rassure pas du tout. Vous dites que vous ne supprimerez que des postes administratifs quand l’enjeu est de permettre à chacun de soigner ou d’être soigné.

M. Tristan Lahais (EcoS). La situation est grave également pour les Ehpad : 80 % n’ont pas réussi à équilibrer leurs comptes en 2023. L’ensemble des professionnels de santé s’accorde à juger que l’Ondam est insuffisant. Dans le même temps, on constate une sous-consommation de quelque 100 millions d’euros des crédits alloués aux personnes âgées et en situation de handicap. Concrètement, cela se traduit dans les départements par des plans d’aide exceptionnelle financés par les budgets des collectivités territoriales : c’est un transfert de charges qui ne dit pas son nom.

M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis. Supprimer l’article 2 n’aura aucun effet sur la réalité que vous évoquez. Pour améliorer la situation, mieux vaudrait émettre des propositions.

Monsieur Lahais, vous indiquez dans l’exposé sommaire de votre amendement que l’Ondam a augmenté de 0,2 milliard, or il a progressé de 0,6 milliard depuis 2022. Par ailleurs, vous y dénoncez une « chasse disproportionnée aux arrêts maladie ». Aucun employeur n’approuverait cette expression. Entre 2017 et 2022, les dépenses d’indemnisation des arrêts de travail pour maladie du régime général sont passées de 7,7 à 12 milliards – ni l’inflation ni l’augmentation des salaires ne peuvent expliquer cette hausse de 56 %. Si cette chasse existait, il faudrait revoir les armes des chasseurs. Je ne crois pas que nos concitoyens soient frappés d’épidémies qui justifient une telle évolution, que nous ne pouvons pas nous permettre.

Avis défavorable.

La commission adopte les amendements de suppression.

En conséquence, elle émet un avis favorable à la suppression de l’article 2.

Article 3 : Approbation du rapport annexé sur le tableau patrimonial et la couverture des déficits de l’exercice 2023

Amendements de suppression CF4 de Mme Sophie Pantel, CF8 de Mme Élise Leboucher et CF18 de M. Tristan Lahais

M. Philippe Brun (SOC). L’amendement vise à supprimer l’article 3 qui prévoit l’approbation de l’annexe présentant la situation patrimoniale de la sécurité sociale. Depuis 2017, le Gouvernement a augmenté le passif net de la sécurité sociale de 3,7 milliards, c’est-à-dire qu’il l’a endettée d’autant. Cela s’explique par un fort recours à l’emprunt et par l’ampleur des déficits, en raison de sous-financements constants, dus aux exonérations de cotisations sociales – celles-ci ont augmenté de 9 milliards en deux ans, pour atteindre 71 milliards en 2023.

M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis. Vous évoquez l’appauvrissement structurel des ressources de la sécurité sociale mais les recettes des Robss et du FSV ont augmenté de 27,5 milliards entre 2022 et 2023. En outre, l’État compense plus de 96 % des allégements sociaux, par l’affectation de crédits budgétaires et de produits de TVA, à hauteur de 72,1 milliards en 2023.

La commission rejette les amendements de suppression.

Amendement CF9 de M. Matthias Renault

M. Philippe Lottiaux (RN). Nous proposons de réintégrer la dette covid dans le budget de l’État. La situation est anormale et cela pèse sur les comptes sociaux.

M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis. La reprise de la dette covid regroupe un ensemble hétérogène de passifs : 31 milliards d’euros de déficits constitués au 31 décembre 2019 ; 13 milliards d’euros, soit un tiers de la dette hospitalière, dont le principe et les modalités de la reprise avaient déjà été arrêtés lorsque la crise sanitaire s’est déclenchée ; 92 milliards d’euros pour combler les déficits prévisionnels des années 2020 à 2023 liés à la pandémie – j’ai précisé que 7 milliards n’étaient pas couverts par une reprise de dette. On peut, comme je le fais, critiquer ces choix, mais la situation est celle-là. Le transfert à la Cades d’une dette de 136 milliards d’euros se justifiait par le respect de l’équilibre financier de la sécurité sociale, qui relève de la compétence du législateur. Je le répète, il faudra de toute façon payer cette dette, qui constitue bien une dette sociale. Quelque nom qu’on lui donne, nous avons l’obligation de mieux gérer nos comptes sociaux si nous voulons préserver notre modèle social, auquel nous sommes tous attachés.

Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement CF9.

Amendements CF11 et CF12 de M. Matthias Renault

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous menons une quête pour tracer les engagements financiers de la France sur les marchés internationaux et pour identifier les détenteurs des titres. L’amendement CF11 tend à suivre les titres émis par la Cades afin de connaître l’origine géographique des investisseurs, donc d’avoir conscience des risques de dépendance susceptibles d’affecter notre souveraineté. L’amendement CF12 vise à savoir si les titres sont détenus par des fonds de pension ou des fonds souverains, pour les mêmes raisons. Je m’étonne d’ailleurs que, depuis deux ans, le groupe Rassemblement national accomplisse en solitaire – sans doute avec nos alliés ciottistes – ce travail visant à connaître l’origine exacte des investisseurs.

M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis. Je vous donne acte de la constance de votre groupe en la matière. Il serait probablement intéressant de connaître plus précisément, par pays, la répartition géographique des investisseurs, toutefois on connaît déjà les grandes zones : la dette sociale est très majoritairement détenue en Europe.

Vous défendez ici des amendements d’appel, comme vous le savez, car cette mesure n’a pas sa place dans le présent texte. Vous pourriez les déposer à nouveau lors de l’examen du PLFSS pour 2025, sauf à ce qu’ils soient déclarés irrecevables ou que la mesure soit censurée.

Avis défavorable.

Mme Véronique Louwagie (DR). J’ai présidé le comité de surveillance de la Cades jusqu’à la dissolution. Elle dispose de données relatives aux émissions ; le rapport d’activité fournit des informations et vous pouvez la solliciter.

La commission rejette successivement les amendements CF11 et CF12.

La commission émet un avis défavorable à l’adoption de l’article 3.

Elle émet ainsi un avis défavorable à l’adoption de l’ensemble du projet de loi.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Jean-Didier Berger, rapporteur pour avis sur le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2023 (n° 4) et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 9 octobre 2024 à 10 heures

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Philippe Brun, M. Michel Castellani, M. Eddy Casterman, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, M. Benjamin Dirx, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, Mme Félicie Gérard, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. David Guiraud, M. Pierre Henriet, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Corentin Le Fur, M. Jérôme Legavre, Mme Christine Loir, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Denis Masséglia, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, Mme Yaël Ménaché, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, Mme Danielle Simonnet, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Vincent Trébuchet, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Jean-Noël Barrot, M. Karim Ben Cheikh, Mme Marina Ferrari, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, Mme Eva Sas, M. Emmanuel Tjibaou

Assistait également à la réunion. - M. Mathieu Lefèvre