Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

–  Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes sur l’enquête demandée en application du 2° de l’article 58 de la LOLF intitulée 10 ans de politiques publiques en faveur de l’industrie : des résultats encore fragiles.              2

  Présences en réunion...........................28

 


Jeudi
28 novembre 2024

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 054

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La commission auditionne M. Pierre MOSCOVICI, Premier président de la Cour des comptes sur l’enquête demandée en application du 2° de l’article 58 de la LOLF intitulée 10 ans de politiques publiques en faveur de l’industrie : des résultats encore fragiles.

 

M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues,

Nous sommes conduits à examiner ce matin une enquête réalisée par la Cour des comptes à la demande de notre commission, datant du mois de novembre 2023, sur proposition du groupe Renaissance, relative à dix ans de politiques publiques en faveur de l’industrie.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, a tenu à présenter les résultats de ces travaux et je l’en remercie.

Monsieur le Premier président, je vous cède la parole.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés,

J’ai en effet tenu à présenter moi-même ce rapport intitulé « Dix ans de politiques publiques en faveur de l’industrie : des résultats encore fragiles », auquel la Cour des comptes tient beaucoup et qui pose un diagnostic pouvant utilement éclairer le débat public.

Je tiens d’abord à saluer le travail approfondi de l’ensemble des artisans de ce rapport : Carine Camby, présidente de la première chambre, Mathilde Lignot-Leloup, présidente de section, Denis Tersen, contre-rapporteur, ainsi que les rapporteurs Julien Turenne, Fabienne Rosenwald et Ousmane Galocko.

Votre commission a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur dix ans de politiques publiques en faveur de l’industrie le 7 novembre dernier, durant la précédente législature. La dissolution de l’Assemblée nationale n’a bien entendu pas eu d’effet sur l’instruction de nos rapports à destination du Parlement. Toutes les saisines effectuées au cours de la précédente législature ont été remises aux commissions et, en premier lieu, à la vôtre.

Notre rapport intervient à l’issue d’une période de dix ans (2013-2023), au cours de laquelle le cadre, les objectifs et les moyens de la politique industrielle ont sensiblement évolué. Selon l’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), les activités qui relèvent de l’industrie sont des activités économiques combinant des facteurs de production, tels que les installations, les approvisionnements, le travail ou encore le savoir-faire, pour produire des biens matériels destinés au marché. Cette définition traditionnelle assimile donc l’industrie à la production de biens tangibles. Au sens des nomenclatures statistiques françaises et européennes, ce secteur regroupe l’industrie manufacturière mais aussi les industries extractives, la production et la distribution d’énergie ou d’eau, l’assainissement, la gestion des déchets ainsi que la dépollution, soit un ensemble d’activités extrêmement vaste.

Les politiques publiques en faveur de l’industrie ont une grande variété d’objectifs et de leviers d’action. Elles regroupent traditionnellement, d’une part, les politiques horizontales, qui agissent sur le cadre de l’activité des entreprises via la fiscalité, les coûts de production ou de recherche et développement (R&D), l’innovation ou les compétences et, d’autre part, des politiques dites verticales qui portent sur des secteurs ou des entreprises plus spécifiques.

La conception et la mise en œuvre de stratégies industrielles, ayant vocation à coordonner ces différentes politiques publiques, sont un enjeu majeur de politique économique.

Or la France a connu, par rapport aux autres grands pays européens comparables, une diminution marquée de la part de la valeur ajoutée industrielle dans le produit intérieur brut (PIB), en particulier entre les années 2000 et 2010, période marquée par un processus de désindustrialisation assez marqué.

À la suite du rapport Gallois de 2012 et de la prise de conscience de ce recul, la France a progressivement modifié cette stratégie. Cette période de dix ans constitue donc une césure assez pertinente, car 2013 marque l’année où renaît une prise de conscience de l’importance de l’industrie.

Les actions transversales d’amélioration de la compétitivité-coût et hors coût ont été renforcées, puis articulées avec des soutiens sectoriels. Ces actions ont pris des formes diverses et présentent des résultats contrastés en 2024.

C’est dans ce contexte que vous avez demandé à la Cour des comptes de réaliser un bilan de dix années de politiques publiques en faveur de l’industrie.

Comme pour toutes les communications au Parlement, le périmètre et l’objectif de ce rapport ont été définis en lien avec votre commission. Il s’agit de dresser un état des lieux des forces et des faiblesses de l’industrie française, d’analyser les objectifs et les leviers mobilisés par les pouvoirs publics, ainsi que les résultats obtenus entre 2013 et 2023. Vous souhaitiez également que nous formulions des recommandations visant à rendre la politique industrielle plus efficace et efficiente, en posant notamment la question — très importante et débattue par ailleurs — de l’efficience du crédit d’impôt recherche (CIR).

Je tiens à souligner qu’en accord avec votre commission, les politiques sectorielles de défense ou de santé ainsi que des instruments, tels que la commande publique et la régulation de l’accès au marché et aux prix, ne sont pas étudiés dans ce rapport.

Notre rapport fait suite à une note structurée de la première chambre de la Cour des comptes, parue en 2021, et à d’autres réflexions que nous avons menées, y compris très récemment avec l’évaluation du dispositif « Territoires d’industrie », publiée il y a une semaine.

Un autre élément de contexte est l’accroissement des tensions internationales et des inquiétudes concernant les projets industriels de décarbonation, la transition du secteur automobile ainsi que la fermeture de certains sites industriels.

J’ajoute enfin, parmi les éléments de contexte, le rapport Draghi remis en septembre dernier à la Commission et dont une part significative est consacrée à l’analyse européenne, qui dresse un tableau assez sévère mais plutôt fondé de la compétitivité de l’économie de l’Union européenne, avec une situation en France qui apparaît plus problématique que chez nos voisins, malgré des résultats intéressants mais encore fragiles.

J’aimerais insister sur le caractère inédit de l’étude que nous avons menée. Nous avons produit un véritable travail de fourmis avec l’aide des data scientists de la Cour des comptes. En effet, l’ensemble des soutiens financiers publics dont ont bénéficié les entreprises françaises durant les dix dernières années ont été recensés et quantifiés, à partir de leurs codes NAF. Les données relatives aux aides versées ont été récupérées auprès de l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), de l’agence de services de paiement (ASP) et de l’agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Elles ont été complétées par l’exploitation des données du système d’information comptable de l’État et des collectivités, ainsi que des données mises à disposition via le Centre d’accès sécurisé aux données sur les impôts de production, les crédits d’impôt et les financements de Bpifrance pour la période 2012-2021. Les données en accès libre de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et de la Commission européenne ont également été prises en compte. Le recensement de ces données très vastes constitue donc un apport original de la Cour.

Les rapporteurs ont par ailleurs conduit près de 70 entretiens avec une grande diversité d’acteurs : des représentants des administrations concernées, des représentants des régions de France, du secrétariat général des affaires européennes, des équipes de France Stratégie ou encore de l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ils ont naturellement auditionné des organisations représentatives des entreprises, telles que l’association française des entreprises privées (AFEP) et l’association nationale France Clusters.

Enfin, notre rapport contient à la fois des enquêtes de terrain, des focus sur certains bassins, secteurs ou entreprises, une analyse de trois projets dans le cadre du programme « Territoires d’industrie » (La Roche-sur-Yon, Vitré et Lacq-Pau-Tarbes), des éclairages sur trois secteurs (l’automobile, l’aéronautique et l’agroalimentaire) ainsi que des comparaisons européennes de l’industrie française, notamment avec l’Allemagne et l’Italie. Toutes les grandes entreprises de la chambre franco-allemande de commerce et d’industrie, telles que Bayer, BASF, Braun ou Siemens, ont été contactées et entendues.

Notre rapport est structuré en trois parties.

La première partie analyse l’évolution de l’industrie au cours des dix dernières années.

La deuxième partie examine le renforcement des politiques en faveur de l’industrie.

Enfin, la troisième partie montre que des améliorations substantielles doivent être apportées à notre stratégie industrielle en agissant sur plusieurs dimensions.

Notre premier message est que l’analyse du poids de l’industrie dans l’économie montre une stabilisation récente à un faible niveau, ainsi que des écarts persistants de compétitivité par rapport à nos voisins européens.

Soulignons d’abord que la désindustrialisation a été plus marquée en France au cours des dix dernières années que dans les autres pays européens.

Deux crises majeures ont affecté le niveau de production industrielle : la crise de 2008-2009, à la suite de laquelle il a fallu attendre 2013 pour retrouver le niveau de 2007, et la crise sanitaire, avec une valeur ajoutée de l’industrie qui a dépassé en 2022 son niveau de 2019 en valeur, sans le retrouver en volume.

Après avoir décroché plus fortement que chez nos voisins, le poids économique de l’industrie s’est stabilisé — j’insiste sur ce terme — à un niveau relativement bas, à savoir 14 % du PIB, entre 2011 et 2019. Elle a atteint 15 % en 2023 en raison du rebond du secteur de l’énergie. La part de l’industrie manufacturière reste stable, à 11 % de la valeur ajoutée totale de l’économie, soit un niveau nettement inférieur à ceux de l’Allemagne et de l’Italie, respectivement de 21 % et de 17,5 %.

Par ailleurs, la tendance à la baisse de l’emploi industriel s’est inversée, sur la période que nous avons étudiée, à partir de la fin de l’année 2017. En effet, hormis une diminution ponctuelle en 2020, l’emploi salarié dans l’industrie continue d’augmenter et a aujourd’hui dépassé le niveau pré-crise sanitaire. La part de l’emploi industriel, qui représente tout de même 10 % de l’emploi total, reste cependant nettement plus faible que chez nos voisins (17 % en Italie et 18 % en Allemagne).

Par ailleurs, les entreprises industrielles sont relativement peu nombreuses, à savoir 274 200 en 2021, soit seulement 7 % de l’ensemble des secteurs non agricoles et non financiers, mais représentent 28 % de la valeur ajoutée et 62 % de notre chiffre d’affaires à l’exportation. L’activité industrielle en France a la caractéristique d’être concentrée dans des entreprises grandes ou de taille intermédiaire, organisées sous forme de groupes, avec des filiales très diversifiées et fortement marquées par l’activité à l’étranger. Ainsi, en 2021, les firmes multinationales industrielles concentraient 69 % des effectifs salariés du secteur et généraient 78 % de la valeur ajoutée produite sur le territoire français.

Malgré ces proportions élevées, l’analyse des indicateurs, tels que la croissance de la valeur ajoutée ou le commerce extérieur, la dynamique industrielle reste inférieure en France à celle des autres pays européens, en particulier de l’Allemagne et, dans une moindre mesure, de l’Italie.

De 2000 à 2019, la France, troisième pays industriel de l’Union européenne, a connu une croissance de 20 % de la valeur ajoutée industrielle, contre 61 % en Allemagne et 28 % en Italie.

Au cours de la dernière décennie, la part de marché de la France dans le commerce mondial a diminué, tandis que l’Allemagne et l’Espagne ont réussi à maintenir la leur. Cette évolution est principalement imputable à l’industrie, qui représente 69 % des exportations françaises. La balance commerciale de biens, qui était devenue positive dans les années 1990, est redevenue déficitaire à partir du début des années 2000 et s’est ensuite constamment et fortement dégradée.

L’analyse de la structure de la balance commerciale est également intéressante car elle reflète l’évolution de la spécialisation productive de l’industrie et de l’économie française.

La France se positionne parmi les principaux exportateurs mondiaux dans quatre secteurs clés historiques, en étant premier exportateur pour les boissons ainsi que pour les parfums et cosmétiques mais également deuxième exportateur pour le cuir et la bagagerie ainsi que pour l’aéronautique et le spatial.

L’activité industrielle s’est donc globalement spécialisée dans des secteurs de haute et moyenne technologies, tels que l’industrie aéronautique, civile et militaire, la chimie-pharmacie mais aussi dans des secteurs dits de basse technologie, comme l’agroalimentaire, dont la part augmente. Les replis les plus marqués concernent certains secteurs de moyenne technologie, comme l’automobile, les produits électriques ainsi que les machines et équipements.

Enfin, les effets d’entraînement de l’industrie sur l’économie française ont évolué de manière contrastée au cours de la période. Les gains de productivité de l’industrie ont diminué davantage que dans d’autres pays depuis 2019, ce qui a des effets négatifs sur la productivité de l’ensemble de l’économie. Je souhaite toutefois souligner un aspect positif : bien que les effets d’entraînement sur l’activité et l’emploi local demeurent difficiles à mesurer avec précision, 75 % de l’emploi industriel est situé hors des métropoles, ce qui fait de l’activité industrielle un levier important de cohésion sociale et territoriale.

Pour faire face à cette trajectoire, globalement stable ou baissière, des mesures importantes ont été prises pour améliorer la compétitivité des entreprises qui se sont révélées efficaces en matière de compétitivité-coût. Toutefois, la compétitivité hors coût reste un handicap sérieux.

S’agissant de la compétitivité-coût des entreprises, les mesures prises depuis 2015 ont réduit les écarts avec les autres pays européens. Tout d’abord, le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), depuis 2014, ainsi que les allégements de cotisations sociales qui l’ont complété puis remplacé, ont eu pour effet de rapprocher l’évolution du coût du travail de celle de la productivité. Ces mesures de baisse de charges concentrées sur les bas salaires bénéficient surtout aux activités de service et à certains secteurs industriels où les salaires sont plus bas mais profitent aussi indirectement à l’industrie, à travers le coût des consommations intermédiaires.

Les entreprises industrielles françaises ont certes pu bénéficier d’une certaine modération des coûts salariaux mais le coût horaire du travail en France demeure nettement supérieur à celui de l’Italie, de l’Espagne et des pays d’Europe de l’Est, tandis qu’il est équivalent à celui de l’Allemagne. L’industrie allemande peut toutefois s’appuyer sur un rapport qualité-prix et un positionnement de gamme qui sont structurellement supérieurs.

Les pouvoirs publics ont également pris, à partir de 2017, des mesures pour rééquilibrer la fiscalité des entreprises et réduire les écarts avec la moyenne européenne et les pays comparables. La diminution de l’impôt sur les sociétés depuis 2019 n’est pas ciblée sur l’industrie. En revanche, la baisse des impôts au titre des impôts de production lui a davantage bénéficié. Je rappelle qu’en 2019, la France appliquait le taux moyen effectif de taxation des entreprises non financières le plus élevé de l’Union européenne, à 35 %. Ce taux, passé à 25 % en 2022, est maintenant inférieur à celui de l’Allemagne et de l’Espagne tout en se rapprochant de celui de l’Italie.

Cependant, pour la Cour des comptes, la fiscalité des entreprises industrielles reste sous-optimale, en raison de l’existence d’impôts de production dont les modalités de calcul sont défavorables à la production en France et dont l’industrie supporte une part significative. En ciblant les entreprises indépendamment de leur profitabilité, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) affectent leur rentabilité et leur capacité à exporter.

Leurs modalités de calcul devraient être révisées pour les remplacer par des modalités non distorsives, comme l’impôt sur les sociétés (IS) ou les taxes foncières. Nous ne nous prononçons pas sur une éventuelle suppression ou diminution mais sur un changement ou une réforme des impôts de production, qui doit être réalisée à condition de s’inscrire dans une évolution d’ensemble de la fiscalité des sociétés qui permettrait d’en neutraliser les effets sur les finances publiques.

Le rapport souligne également un point sensible pour l’avenir sur la compétitivité-coût par rapport aux autres pays européens. Les entreprises industrielles ont bénéficié pendant toute la période étudiée d’un tarif très favorable de l’électricité, au titre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH). Ce prix de l’électricité était inférieur de 40 % à la moyenne de l’Union européenne et de 92 % au prix en Allemagne, de 2012 à 2021. Néanmoins, ce mécanisme d’accès régulé prendra fin le 1er janvier 2026 et les négociations en cours entre EDF et les industriels ont donc une importance particulière.

Si la compétitivité-coût s’est globalement et incontestablement améliorée, notre rapport met en lumière les handicaps structurels qui grèvent la compétitivité hors coût de l’industrie française.

Tout d’abord, la contraction de l’industrie limite les capacités de financement de la recherche, ce qui se traduit donc insuffisamment en innovations industrielles. Il existe un risque de décrochage, voire un décrochage sérieux. La progression de la France, de la 22e à la 11e place de l’indice mondial de l’innovation établi par l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle, ne se retrouve pas dans les indicateurs européens relatifs à l’innovation industrielle, où elle apparaît en retrait par rapport à l’Allemagne mais aussi par rapport à l’Italie.

Un autre enjeu réside dans l’image de l’industrie, qui demeure dégradée, ce qui nuit à l’attractivité des formations et des métiers industriels. Ainsi, parmi les apprentis qui ont suivi une formation en métaux et mécanique et qui sont en situation d’emploi en janvier 2021 après leur sortie d’étude, seuls 55 % exerçaient un emploi correspondant à leur formation.

En conséquence, les employeurs éprouvent des difficultés croissantes à recruter du personnel qualifié : 52 % des entreprises dans l’industrie étaient concernées par des difficultés de recrutement au premier trimestre 2024 et 19 % se disaient limitées dans leur activité par le manque de personnel. Cette proportion est supérieure à celle des entreprises concernées en Italie ou en Espagne.

Pour réduire les tensions de recrutement dans l’industrie, la Cour des comptes recommande donc de définir un dispositif durable de soutien à la formation des salariés de l’industrie, en veillant à la coordination entre les actions des branches professionnelles et les collectivités locales. Les politiques de l’emploi et de l’insertion, de la formation et de l’orientation mais aussi de la cohésion territoriale, du logement, des transports, de la petite enfance, du développement économique et de la transition écologique doivent aussi intégrer pleinement cette préoccupation en lien avec les politiques sectorielles.

Si elle est mesurée par le nombre de projets, l’amélioration de l’attractivité de la France est incontestable mais demeure fragile. Les projets en France comportent moins de créations de sites qu’en Allemagne et au Royaume-Uni. L’environnement des entreprises peut être simplifié pour faciliter leur développement. Enfin, malgré les dispositions adoptées par le Parlement pour sécuriser et accélérer les projets d’implantation industrielle en 2020, 2021 et 2023, un écart important subsiste avec les autres pays de l’Union européenne sur les délais réellement constatés, qui peuvent aller de quatre à huit mois supplémentaires selon les procédures.

Notre deuxième message est que, malgré la succession de plans et l’augmentation récente des moyens budgétaires alloués au soutien de l’industrie, l’efficacité de ces mesures est inégale.

La Cour des comptes a mesuré les soutiens publics à l’industrie de 2012 à 2022 à partir des transferts financiers directs ou indirects aux entreprises industrielles, sous forme de prises de participation, de subventions, de prêts et d’avances remboursables.

Les soutiens publics s’élèvent à 17 milliards d’euros par an de 2012 à 2019 et à 26,8 milliards d’euros par an sur la période 2020-2022, hors interventions en fonds propres. En excluant les dépenses fiscales et les niches sociales, ce montant s’élève à 5,8 milliards d’euros sur 2012-2019 et à 9,6 milliards d’euros sur 2020-2022. Notons que les collectivités territoriales représentent une part assez marginale de ces transferts.

Les politiques transversales de soutien à la recherche et développement (R&D), à l’emploi, à la formation, à l’énergie, au commerce extérieur et à l’innovation représentent 86 % du coût total, tous types de dépenses confondues. Au sein de ces politiques transversales, certains instruments bénéficient surtout à l’industrie :

 le CIR, qui représente 5,6 milliards d’euros par an, dont 61 % pour l’industrie,

 l’activité partielle, qui s’élève à 3,3 milliards d’euros, dont 47 % pour l’industrie, hors crise sanitaire,

 la fiscalité sur les entreprises énergo-intensives, d’un montant de 1,1 milliard d’euros par an pour l’industrie sur la période récente,

- et l’assurance export.

Le CIR constitue donc, pour les entreprises et de nombreux observateurs, un facteur important d’attractivité pour le maintien des activités de R&D en France. La Cour des comptes s’est déjà prononcée à plusieurs reprises sur ce crédit et n’entend pas remettre en cause son principe. Toutefois, plusieurs travaux d’évaluation et d’analyse économique récents invitent à ajuster son assiette pour en améliorer l’efficacité. Dans ce contexte, la Cour des comptes recommande au ministère de l’économie et au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche d’ajuster l’assiette des dépenses éligibles au CIR pour en améliorer l’efficacité et d’expertiser une mesure de plafonnement de la créance du CIR au niveau des groupes.

Le bilan des plans successifs de soutien à la réindustrialisation et à la numérisation de l’industrie est peu concluant. Leur ciblage apparaît insuffisant et les instruments peu efficaces, à l’exception de certains secteurs, comme l’aéronautique ou la microélectronique, pour lesquels l’État a su faire preuve de continuité.

De même, les programmes d’investissement d’avenir mis en œuvre entre 2010 et 2019 ont eu un impact limité sur l’industrialisation. Depuis 2020, les pouvoirs publics ont complété les instruments de politique horizontale par un instrument de soutien vertical, notamment sous forme de subventions, dans le cadre de France 2030. Néanmoins, au vu des premières évaluations du comité de surveillance de France 2030, la Cour des comptes préconise de resserrer, dès 2025, le ciblage des investissements publics, en arrêtant certains projets et en engageant une revue des priorités de France 2030.

Par ailleurs, nous relevons que la doctrine d’intervention de ces plans devrait privilégier davantage les instruments les plus efficaces, comme les instruments financiers et les avances remboursables, et limiter le recours aux subventions. Nous avions déjà formulé cette recommandation dans notre communication au Sénat sur les crédits exceptionnels au secteur de la culture pendant la crise, et nous la formulons dans d’autres rapports, prochainement publiés.

Les interventions en fonds propres dans les entreprises industrielles représentent 2,2 milliards d’euros par an sur la période 2012-2022. Elles prennent la forme de prises de participation de l’agence des participations de l’État (APE) dans les secteurs industriels stratégiques à des fins de souveraineté, de Bpifrance pour le développement des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), de la Caisse des Dépôts et d’ADEME Investissement.

La Cour des comptes relève que le suivi par l’État de ses participations publiques doit être amélioré pour mesurer la pertinence du cumul des interventions dans certains secteurs ou entreprises, ainsi que les risques associés. Nous suggérons que la doctrine de l’APE soit précisée et articulée avec celle de Bpifrance, de la Caisse des Dépôts et d’ADEME Investissement. Une cohérence doit être assurée.

Enfin, notre troisième message est qu’il faut approfondir notre stratégie industrielle en agissant sur trois dimensions : le renforcement de son caractère transversal, la mise en place d’instruments de suivi et l’approfondissement de sa dimension européenne.

Je rappelle que l’objectif de la politique industrielle est de maintenir ou de développer la part de l’industrie dans la valeur ajoutée nationale. Elle ne se réduit pas aux aides aux entreprises, souvent peu ciblées sur les entreprises industrielles. Les politiques macroéconomiques et horizontales portant sur l’environnement compétitif des entreprises doivent être coordonnées et jouent un rôle absolument déterminant.

Le premier levier sur lequel jouer est le caractère transversal de la politique industrielle. La stratégie industrielle doit faire partie intégrante — et durablement — des politiques horizontales de compétitivité et de l’action des ministères sectoriels. Elle doit être inscrite dans les objectifs de la politique de formation, de transition énergétique, de protection de l’environnement, de santé, d’innovation et de recherche mais doit aussi s’appuyer sur les collectivités territoriales, dont le rôle est déterminant pour l’accès au foncier et l’accompagnement de projets industriels.

Le deuxième levier d’action que nous suggérons d’utiliser est celui du renforcement de la dimension européenne de la politique industrielle. Si ce terme est resté longtemps tabou à l’échelle européenne, nous observons qu’il devient progressivement une compétence partagée entre l’Union européenne et ses États membres, dans la limite des politiques communes du marché intérieur et de la concurrence. Le récent rapport Draghi souligne la nécessité d’aligner la politique commerciale, la politique de la concurrence et la politique industrielle européenne, tout en préconisant d’aller au-delà des évolutions engagées depuis 2015 et des mesures récemment annoncées après la crise sanitaire et en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Celles-ci ont pour objectif stratégique la réduction des dépendances européennes dans six secteurs : les matières premières critiques, les semi-conducteurs, la santé, le numérique, l’agroalimentaire et l’énergie.

Plusieurs instruments de développement sectoriel ont été mis en place grâce aux programmes européens en faveur de l’innovation et au mécanisme de projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC). Nous nous en félicitons car l’assouplissement des aides d’État pendant les crises sanitaires et énergétiques a augmenté les risques de fragmentation du marché intérieur et d’inefficacité des aides nationales. Le mécanisme des PIIEC encadre le recours aux subventions nationales pour s’assurer que les investissements productifs subventionnés répondent à des besoins stratégiques, visant à maîtriser ce risque.

Le rapport Draghi propose notamment d’amplifier le recours au PIIEC. Pour le moment, la France participe à dix projets de ce type, pour un montant d’aides publiques de 6,4 milliards d’euros, soit 17 % du total. Cela correspond à un peu moins que notre part dans le PIB européen. D’autres modalités de coopération européenne peuvent être envisagées dans un cadre intergouvernemental — comme c’est le cas avec Airbus — ou dans un cadre communautaire — comme c’est le cas avec l’Agence spatiale européenne.

La stratégie industrielle nationale ainsi que le choix de ses instruments et de ses projets doivent s’inscrire résolument dans ce cadre en priorisant les projets soutenus à l’échelle européenne, ce qui constitue également une recommandation de la Cour des comptes.

Enfin, la Cour des comptes recommande de développer les travaux prospectifs et de se doter d’instruments de suivi adaptés pour la politique industrielle. Des progrès ont été accomplis dans l’organisation des pouvoirs publics pour concevoir et mettre en œuvre la politique industrielle au niveau national, notamment avec la réorganisation de la direction générale des entreprises (DGE), du Conseil national de l’industrie et des conseils stratégiques de filière, qui ont permis de structurer et de renforcer le dialogue avec ce secteur.

Cependant, un dialogue plus stratégique avec l’industrie doit être développé entre les acteurs publics, au sein de l’État et avec les collectivités, en s’appuyant sur des travaux prospectifs réguliers. Au-delà des indicateurs macroéconomiques couramment utilisés, comme la valeur ajoutée, l’emploi et le commerce extérieur, une plus grande attention doit être portée aux impacts territoriaux et aux disparités des secteurs et des entreprises du secteur industriel. Le rôle de l’industrie comme outil de cohésion sociale et territoriale implique que nous portions un regard plus précis sur ce point.

La Cour des comptes préconise de compléter les indicateurs macroéconomiques traditionnels en élaborant, d’ici 2026, un ensemble d’indicateurs macroéconomiques et microéconomiques pour mesurer les impacts de la stratégie industrielle et prendre en compte les impacts territoriaux ainsi que les disparités des secteurs et des entreprises industrielles.

J’espère que ces éléments d’analyse et ces recommandations susciteront votre intérêt et une réflexion collective. Vous avez choisi un sujet excellent et très important. Je crois que l’équipe a pris un grand intérêt à réaliser ce travail.

La politique industrielle est en effet un aspect vital de notre politique économique et elle est vouée à le devenir davantage encore au cours des années à venir, porteuses de mutations mais aussi de menaces. Cette politique cristallise de nombreux enjeux très sensibles, tels que la fiscalité, la coordination — voire la hiérarchisation — entre projets européens et français et l’orientation des financements publics sur certains secteurs via des soutiens verticaux. En tout état de cause, notre politique industrielle doit être dotée d’une véritable stratégie nécessitant des choix courageux et fermes, ainsi qu’une forme de continuité.

M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie.

M. Benoît Mournet, qui a suivi ce rapport et qui appartenait au groupe à l’origine de la demande, ne siégeant plus parmi nous, le bureau a décidé qu’il reviendrait à M. Jacques Oberti, rapporteur spécial concernant le développement des entreprises et régulations, de rapporter sur cette enquête.

Monsieur Oberti, je vous cède la parole.

M. Jacques Oberti, rapporteur spécial. Je souhaite tout d’abord remercier la Cour des comptes pour ce rapport, qui pose une analyse claire sur les difficultés rencontrées par les politiques de réindustrialisation entamées depuis plusieurs années et qui identifie bien les principes directeurs permettant de parvenir à un effort efficace et soutenable en faveur de l’industrie.

Je remercie bien évidemment toutes les équipes qui m’ont accompagné dans cette analyse.

Le titre du rapport indique que les résultats sont encore fragiles. J’aurais sans doute préféré la mention de résultats inégaux selon les mesures développées au fil des années.

En tout état de cause, nous vivons en temps réel les résultats de ces politiques, qui peuvent être alarmants à certains égards et nous interroger sur la nécessité d’une stratégie — voire d’un repli — pour éviter un atterrissage forcé.

À cet égard, le projet de loi de finances (PLF), qui nous sera sans doute imposé dans les jours qui viennent, sacrifie des pans entiers de la politique de soutien à l’industrie française, avec l’arrêt programmé ou la baisse radicale de certains dispositifs d’accompagnement, le manque d’investissement suffisant dans la transition énergétique et l’innovation mais aussi la faiblesse des moyens dégagés pour valoriser des métiers qui ont radicalement changé — sans même parler évidemment de la carence de formation. Ces éléments sont autant de facteurs qui affectent la compétitivité de notre pays.

Les pôles de compétitivité, dont la Cour des comptes souligne l’efficacité, voient, dans ce PLF, leur financement par l’État disparaître, sans avoir vérifié s’ils disposent de la trésorerie nécessaire pour absorber un tel choc.

Notons aussi l’alerte au sujet de la fin du mécanisme d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, au 1er janvier 2026, alors qu’il s’agit bien d’un domaine dans lequel la France conserve un avantage comparatif.

Apprécions au passage la belle formule sur le bien-fondé de la diminution des impôts de production, et plus particulièrement de la CVAE, « à condition d’en garantir la neutralité pour nos finances publiques ». Or force est de constater que cette condition n’est pas suivie à ce jour.

Il serait d’ailleurs intéressant d’analyser les parts respectives des impôts dits de production et des impôts de consommation, dans différents pays, pour savoir comment agir pour favoriser l’industrie française, tout en conservant le même niveau d’intervention de l’État.

Quant à notre capacité à intervenir pour préserver des entreprises stratégiques, les crédits du programme 862 sont divisés par trois, alors que le contexte nous obligera sans doute à intervenir en soutien direct à des entreprises en difficulté, comme l’actualité nous le rappelle.

Enfin, Bpifrance perd 100 millions d’euros normalement dédiés au financement de son activité de fonds de garantie et d’accompagnement en faveur de la transition énergétique et écologique ainsi que de la réindustrialisation, alors que ce fonds était unanimement salué pour son effet de levier permettant de mobiliser des capitaux privés et pour sa frugalité en ressources publiques sous forme d’avances.

Vous considérez d’ailleurs que certaines subventions ou certains crédits d’impôt, massifs au demeurant, dans les domaines du soutien à l’emploi ou de la recherche et de l’innovation, sont particulièrement coûteux. Vous notez l’absence ou l’insuffisance de conditionnalité et de contrôle.

L’une de vos propositions est justement la priorisation du recours aux avances remboursables et aux garanties. Pourriez-vous développer cette priorisation en expliquant comment le recours à des aides non subventionnelles ciblées pourrait être intégré aux différentes étapes de la chaîne de production industrielle ? En outre, quelle pourrait être la place de Bpifrance dans un tel modèle de soutien à l’industrie ?

Le second aspect du rapport ayant attiré mon attention tient à la place des collectivités territoriales et à leur regroupement dans les politiques industrielles. La Cour des comptes note en effet que les collectivités occupent une part marginale dans les transferts financiers directs aux entreprises industrielles. Nous connaissons pourtant la place essentielle que peut occuper l’écosystème territorial dans les choix d’implantation des grands chefs d’industrie. Le rapport souligne d’ailleurs ce point et évoque le foncier et l’impact du zéro artificialisation nette (ZAN), sachant que la moitié de la croissance en foncier pour développer l’industrie est d’ores et déjà fléchée sur des espaces naturels agricoles et forestiers.

Votre rapport aborde la question des pôles de compétitivité mais aussi celle des infrastructures locales, à savoir les transports, les établissements d’enseignement, les services de santé et de tous les services publics locaux essentiels à l’attractivité d’un territoire mais n’en fait pas mention en termes d’investissements.

Pourriez-vous développer la place que vous accordez à l’écosystème territorial dans les politiques de réindustrialisation ?

Vous évoquez les progrès significatifs qui pourraient être accomplis pour le dialogue stratégique entre l’État et les collectivités. Pourriez-vous développer ce point, éventuellement en présentant des exemples, y compris pour des territoires industriels en devenir ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je ne peux naturellement pas faire de commentaire sur le PLF en cours, si ce n’est en vous disant que nos recommandations doivent avoir une traduction dans la politique financière du pays. Si nous souhaitons donner une priorité à l’industrie, celle-ci doit se marquer.

Les impôts de production restent importants en France, malgré les baisses qui ont réduit l’écart par rapport à nos partenaires.

S’agissant de la priorisation des avances remboursables, la place de Bpifrance sur les PME et les ETI est déjà très importante. Il s’agit en effet de 50 % des subventions dans le cadre de France 2030. Si des progrès sont possibles dans la sélectivité et dans la qualité du choix des projets, je crois que nous pouvons tirer un bilan très positif du caractère nécessaire de cette banque pour nos territoires et nos entreprises.

J’ai indiqué lors de ma présentation du rapport que l’écosystème territorial est en effet très important (foncier, environnement global des entreprises ou encore formation). Notons aussi qu’il y a tout de même un certain effet d’aubaine et que c’est sans doute dans le dialogue entre l’État et les acteurs locaux que nous pouvons réaliser des progrès. Les pôles de compétitivité s’inscrivaient d’ailleurs dans cette logique.

Le programme « Territoires d’industrie » n’a malheureusement pas permis de renverser significativement la tendance dans les territoires mais a néanmoins permis le maintien de l’emploi. Je rappelle que cette initiative visait à relancer la politique industrielle dans un cadre explicitement territorial, en instaurant une forme de gouvernance infrarégionale avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), centrée sur les écosystèmes industriels et les territoires ayant une part de l’industrie dans l’emploi local supérieur à la moyenne nationale. Ainsi, 148 territoires d’industrie ont été identifiés en 2019, puis 197 lors d’une seconde vague en 2022. Un comité local de suivi de projet a été constitué, animé par un binôme composé d’un élu local et d’un acteur industriel. La nouvelle phase du programme, qui doit s’étendre de 2023 à 2027, a été lancée sans évaluation préalable de l’étape précédente.

Nous avons donc présenté une évaluation de ce programme il y a quelques jours. Un effet positif que nous soulignons est qu’il facilite une coordination et une concertation jugées indispensables par l’ensemble des acteurs à l’échelle du territoire, ce qui doit sans aucun doute être conforté et même renforcé. Toutefois, le programme n’a pas eu d’effet mesurable sur la priorisation des interventions publiques en faveur de l’industrie, notamment celles des opérateurs publics que sont l’ADEME, la Caisse des dépôts, Bpifrance et Business France. Les impacts sur l’emploi industriel et les TPE sont difficiles à mesurer, ce qui nécessitera sans doute davantage de temps. Notons que de nombreux Territoires d’industrie ne sont pas parvenus à enrayer le déclin des années précédentes. Enfin, nous constatons qu’il n’existe toujours pas de dispositif d’évaluation ni d’indicateurs spécifiques pour mesurer l’atteinte des nouveaux objectifs fixés par l’État. Il existe, très clairement, des marges de progression.

Concernant la place des subventions, nous notons que les avances remboursables et les prêts, déjà développés par Bpifrance, nous paraissent plus efficaces. France 2030 a introduit l’attribution de subventions comme un outil désormais plus important. Les évaluations sont néanmoins mitigées et montrent que le ciblage doit être amélioré et que l’efficacité des avances et des prêts reste, au contraire, prouvée. Nous aurons l’occasion de revenir dans les prochaines semaines sur ces constats, puisque nous allons approfondir notre réflexion sur les soutiens à l’économie.

M. le président Éric Coquerel. Ce rapport est important, puisqu’il constitue le premier bilan de dix ans de politiques publiques au cours desquels la nécessité de réindustrialisation du pays a été évoquée.

Ces dix années de politiques ont suivi quinze ans durant lesquels la question de la désindustrialisation ou du départ de l’industrie était, au mieux, ignorée et, au pire, vantée. Les déclarations de Serge Tchuruk expliquant, en 2000, qu’Alcatel devait devenir une entreprise sans usines ont été l’acmé de cette politique de désindustrialisation. Quinze ans plus tard, il n’y avait plus d’usines Alcatel, mais il n’y avait plus non plus d’entreprise Alcatel tout court.

Ce sujet fait l’objet d’une prise de conscience. Dresser un premier bilan était donc important, particulièrement à un moment où il y a des plans de licenciements massifs dans des secteurs industriels en France, notamment dans le secteur de l’automobile. Parallèlement, les secteurs industriels qui nous ont été vantés au cours des dernières années comme un recours, parmi lesquels les gigafactories de Douai, ne tiennent pas encore leurs promesses en termes de création d’emplois. Il est donc important de faire le bilan de cette politique industrielle et d’en dessiner les perspectives.

Un ministre de l’industrie m’a récemment expliqué que la fermeture de MA France, sous-traitant de Stellantis en Seine–Saint-Denis, qui faisait pourtant des bénéfices mais qui délocalise au profit d’entreprises situées en Turquie, était inarrêtable et nécessitait de se tourner vers d’autres formes d’industries.

Ce bilan est également important car Bruno Le Maire expliquait, le 29 mars 2024, que la réindustrialisation était l’un des plus grands succès économiques des sept dernières années. La lecture de votre rapport révèle que, si vous notez tout de même un progrès, vous relativisez l’importance de ce grand succès et notez que les évolutions sont fragiles au regard des chiffres de comparaison, notamment avec d’autres pays européens.

Je rappelle quant à moi que la part de l’emploi salarié industriel parmi le total de l’emploi salarié privé recule depuis 2018, passant de 16,4 % à 15,5 %, tandis que le travail à temps partiel des ouvriers augmente, à contre-courant de la tendance générale pour le travail salarié. Ces données montrent bien que, s’il existe certes des progrès, ces derniers demeurent extrêmement fragiles.

Plusieurs des recommandations que vous formulez m’intéressent, parmi lesquelles la demande de révision de l’assiette du CIR. Je subodore par ailleurs une interrogation concernant la suppression uniforme de la CVAE. Il serait également pertinent de réfléchir à des modalités de calcul des impôts de production qui évitent les effets de bord sur l’industrie, ainsi que sur différentes autres logiques, notamment concernant la doctrine de prise de participation de l’État ou la réorientation de certains financements de France 2030.

Néanmoins, les politiques de protection de nos industries constituent le grand absent dans vos recommandations alors qu’il s’agit d’un sujet important, d’autant plus au moment où Donald Trump prend la présidence des États-Unis. Je pense, par exemple, à la politique sur les taxes kilométriques que nous avons suggérée, à la renégociation des traités de libre-échange, à l’idée d’une agence pour la relocalisation ou encore aux droits de douane ciblés. Or aucune de ces idées n’apparaît dans votre rapport. Je voudrais connaître votre réflexion sur ce point.

Le prix de l’électricité constitue un avantage compétitif historique pour la France, notamment pour les industries électro-intensives, puisque son prix est inférieur de 92 % par rapport à l’Allemagne sur la période 2012-2020. Or la fin du régime de l’ARENH au 1er janvier 2026 et l’augmentation programmée des prix de l’électricité menacent cet avantage. Quelles devraient être, selon vous, les pistes envisagées pour prévenir la perte de cet avantage historique, tout en préservant le financement d’EDF ?

Par ailleurs, vous dites que la formation, l’apprentissage et la pénurie de compétences constituent un obstacle au développement de l’industrie en France, alors même que les dépenses dans l’apprentissage dirigé vers l’industrie sont passées de 27 millions d’euros en 2019 à 536 millions d’euros en 2023. De plus, à partir de 2018, la création d’écoles de formation soutenues par les filières a été favorisée, avec des dotations importantes. Cette pénurie de compétences traduit-elle un échec du modèle de l’apprentissage tel qu’il existe depuis quelques années dans notre pays et de la formation professionnelle privée sur fonds publics ?

S’agissant du contrôle des investissements étrangers, une actualité concerne la vente annoncée d’Opella, producteur de Doliprane. Or le décret Montebourg de 2014 est censé permettre à l’État d’assurer la sécurité des activités stratégiques. Toutefois, l’utilisation de ce décret par les gouvernements successifs semble limitée — je pense à Alstom, à Opella ou encore à General Electric — et a manqué ses engagements, avec une sanction modeste et insuffisamment douloureuse de 50 millions d’euros. Les alternatives dont dispose l’État face à l’acquisition d’une entreprise présentant un intérêt stratégique vous semblent-elles suffisantes ?

Enfin, concernant l’industrie automobile et la bifurcation écologique, la Cour des comptes a-t-elle identifié des instruments permettant de soutenir l’industrie afin d’électrifier le parc automobile par une production française ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. J’ai tenu à venir présenter ce rapport devant vous car je suis particulièrement sensible à ce sujet. Je n’oublie pas que j’ai été trois fois élu au sein de cette Assemblée par des électeurs de la circonscription très industrielle du Pays de Montbéliard et que j’ai présidé pendant quelques années l’agglomération de ce territoire touché par la désindustrialisation, notamment de l’industrie automobile. Je ne peux cacher la très grande préoccupation que j’ai pour notre industrie, y compris pour notre industrie automobile, et ma conviction que nous devons absolument faire de l’industrie une priorité. Un pays comme le nôtre qui se désindustrialise est un pays qui s’affaiblit incontestablement. J’ai toujours pensé que l’idée d’une France sans usines était non seulement une ânerie, mais également suicidaire pour le pays.

La décennie est une bonne unité de mesure. Il ne s’agit pas d’un problème politique, lié à qui a gouverné à ce moment-là. La prise de conscience de la nécessité du retour de la politique industrielle, qui avait marqué les premières décennies de la Ve République puis qui s’était estompée, date effectivement de cette période. Une date particulièrement importante est la publication du rapport Gallois de 2012, qui, bien qu’il n’ait pas été intégralement appliqué par le gouvernement de l’époque dont j’étais le ministre des finances, a néanmoins été assez largement suivi dans quelques-unes de ses principales conclusions, notamment concernant la compétitivité-coût.

Effectivement, le constat a permis de stopper l’hémorragie et de marquer certains progrès mais ces derniers restent limités et fragiles. Il ne serait pas exact de dire que la France est massivement réindustrialisée. Elle a cessé de perdre des emplois industriels et a recommencé à en créer, à un rythme assez lent. L’écart avec nos partenaires compétiteurs reste assez marqué et ces acquis demeurent fragiles. Il est donc nécessaire de continuer à faire de l’industrie une priorité si nous voulons rester dans cette course et aller de l’avant.

Vous avez repris, monsieur le président, un certain nombre de propositions du rapport sur lesquelles j’insiste à nouveau, notamment sur le CIR, qu’il ne s’agit pas de démanteler, mais de réformer.

En outre, nous ne suggérons pas de réduire l’importance des impôts de production pour les finances publiques, mais d’en modifier les assiettes afin de les rendre davantage orientées pour l’industrie. Je dois avouer que cette réflexion est ancienne et suscitait déjà des débats lorsque j’étais ministre des finances.

De plus, nous suggérons non seulement de préciser la doctrine de l’APE, qui a fait d’importants progrès au cours de la dernière décennie, mais surtout de l’articuler avec les autres grands acteurs des politiques publiques en matière industrielle que sont la Caisse des Dépôts, Bpifrance et l’ADEME afin de disposer d’une vision globale des acteurs étatiques ou para-étatiques en la matière et d’éviter ainsi les déperditions en ligne qui peuvent se produire.

J’ai également indiqué que certains programmes de France 2030 pouvaient être arrêtés et qu’il était nécessaire de repenser l’ensemble. La Cour a eu l’occasion de se prononcer sur ce programme dans un rapport destiné à la commission des finances du Sénat.

Par ailleurs, nous n’avons pas réalisé de travaux sur la protection — ni au sens des investissements étrangers en France ni au sens du commerce extérieur — bien que ce sujet soit largement d’actualité. Néanmoins, si la commission des finances envisage de nous confier un nouveau rapport, nous le ferons avec le même intérêt. Je crains que nous ayons assez rapidement quelques champs d’expérience un peu nouveaux. Je ne souhaite pas faire de commentaire à chaud sur quelque chose qui est en train de se produire mais la protection fait partie des thèmes sur lesquels nous réfléchirions volontiers à votre demande dans les mois à venir.

Au sujet de la révision de l’assiette du CIR, nous suggérons un ajustement avec une prise en charge forfaitaire des frais de fonctionnement, l’exclusion des dépenses de veille technologique, la suppression du crédit d’impôt sur les collections et l’ajustement des dépenses jeunes chercheurs, actuellement subventionnés à 120 %, ce qui semble élevé.

Nous ne nous prononçons pas sur les tarifs de l’électricité car une négociation est en cours avec les entreprises énergo-intensives, principales bénéficiaires des aides à l’énergie. Nous avons tout de même pointé qu’à l’évidence, ce sujet devait faire l’objet d’une vigilance, puisque ce changement en 2026 pourrait entraîner une perte de compétitivité mais est également dopé par des mécanismes très particuliers.

Enfin, la Cour des comptes a formulé et formulera à nouveau des recommandations pour revoir et rationaliser le financement de l’apprentissage, aujourd’hui trop élevé. La relance de l’apprentissage était bienvenue car le chômage des jeunes était très élevé. Toutefois, nous observons un certain nombre d’effets latéraux, tel qu’un coût extrêmement important pour un bénéfice insuffisant pour des publics qui en auraient véritablement besoin. Si cette problématique n’est pas spécifique à ce secteur, l’enjeu essentiel concernant l’industrie ne doit pas être de développer un dispositif de soutien durable coordonné avec les acteurs dans les bassins d’emploi car il existe aussi des problèmes d’attractivité et des problèmes d’image. Trop peu de personnes sont formées, notamment sur les sujets métallurgiques, et trop peu de diplômés travailleront dans l’industrie elle-même. Notre souci est l’efficacité des dépenses. Les diplômés du supérieur ne voient pas d’amélioration de leur employabilité du fait de l’apprentissage, tandis que d’autres jeunes en ont véritablement besoin. Il est donc non seulement question d’économies mais aussi de recentrage et d’amélioration de l’image et de l’attractivité de l’industrie, fondamentale en la matière. Ce sujet de l’apprentissage est à la fois financier et structurel.

M. le président Éric Coquerel. Renvoyez-vous à un rapport la question des alternatives dont dispose l’État en matière d’intérêt stratégique ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Concernant les questions de protection, je ne peux pas dire que nous avons des réflexions approfondies à ce stade sur l’aspect commercial et la protection des investissements. Nous pouvons cependant approfondir si vous le souhaitez.

M. le président Éric Coquerel. Je cède la parole aux orateurs des groupes parlementaires pour leurs questions.

M. Anthony Boulogne (RN). Monsieur le Premier président, une fois n’est pas coutume, je vous remercie, non pas pour vos propos erronés concernant un éventuel shutdown français, mais pour ce rapport sur les politiques publiques en faveur de l’industrie, qui dresse un panorama assez complet de la situation industrielle du pays et démontre le décrochage de la France par rapport à nos voisins européens.

En 2023, la part de la valeur ajoutée de l’industrie dans l’économie française s’élevait à environ 15 %, contre 20 % en Italie et 25 % en Allemagne. Le socle industriel de nos deux voisins a été préservé, ainsi que les emplois qui y sont associés, tandis qu’en France, 2 millions d’emplois industriels ont été détruits en 40 ans, dont environ 900 000 emplois depuis le début des années 2000.

Il va sans dire que ces centaines de milliers d’emplois détruits dans l’industrie ont aujourd’hui une incidence alarmante sur notre taux de croissance, sur la baisse de nos exportations et sur le déficit commercial abyssal que la Macronie n’a cessé de creuser.

Depuis 2000, la part des marchés français dans les exportations mondiales de biens a drastiquement diminué.

La disparition de l’industrie française s’explique en partie par une structure de prélèvements qui pénalise l’appareil de production. La Cour des comptes indique à cet égard que les modalités actuelles de calcul des impôts de production « restent défavorables au développement de l’industrie en France par rapport aux autres pays ». En effet, le niveau de prélèvement obligatoire sur les entreprises s’élève à environ 18 % en France, contre 14 % en Italie et 10 % en Allemagne.

La France restant la championne des impôts sur les entreprises, on pourrait s’attendre à ce que le gouvernement propose de les réduire. Or le budget 2025 prévoit le report de trois ans de la trajectoire de suppression de la CVAE, alors que le bon sens serait d’alléger la fiscalité sur la production. On ne peut pas prôner chaque matin la nécessité de redresser le pays et, ensuite, dans les actes, refuser de diminuer la charge fiscale.

À l’aune des analyses de ce rapport sur l’absence de nouvelles mesures en faveur de l’industrie dans le PLF 2025, de quelle manière le législateur pourrait-il réviser les modalités actuelles d’imposition de l’activité économique pour les rendre plus favorables à l’industrie française ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Tout d’abord, je tiens à rappeler que la Cour des comptes n’est pas un acteur du débat public mais une institution. On ne peut pas l’approuver lorsqu’on partage ses conclusions, tout en la désapprouvant le reste du temps. Je viens présenter des travaux collectifs réalisés par des équipes de manière objective. C’est un élément d’information et de débat public. Nous ne cherchons pas à exercer une influence. Si l’on commence à trop critiquer les institutions indépendantes, on risque de prendre des plis désagréables. En tant que Premier président de la Cour des comptes depuis quatre ans et demi, j’ai parfois plu et d’autres fois déplu, mais je n’ai jamais eu de sujets avec l’exécutif. Or je ne pense pas que tout ce que j’ai dit ait ravi.

Ensuite, vous m’avez prêté des propos faux, ce que je ne supporte pas. En l’absence totale de texte, nous serons en effet dans une situation de risque de shutdown, expression américaine qui désigne un arrêt des paiements. J’ai en revanche toujours dit qu’il existe bien entendu des moyens, suffisamment exposés, pour l’éviter, comme l’adoption d’ordonnances, une loi spéciale ou le fait de laisser filer les débats. Cependant, en toute hypothèse, ces expédients existent et le risque de shutdown est donc évitable. Ne pensons pas non plus que cela résoudra tous les problèmes de finances publiques du pays. Ne prêtez pas à la Cour des comptes ou à moi-même des propos n’ayant pas été tenus.

S’agissant des impôts de production, nous suggérons la réduction de l’écart, même s’il reste important, et des aménagements possibles sur la CVAE et la C3S.

Enfin, je n’ai naturellement aucun commentaire à faire sur les débats en cours dans le PLF.

M. le président Éric Coquerel. Merci pour votre mise au point et le rappel de tous les moyens pour éviter un shutdown.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Ces moyens sont sous-optimaux.

M. David Amiel (EPR). Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour ce rapport de grande qualité. Je remercie également tous ceux qui ont contribué à ce travail ainsi que notre collègue Benoît Mournet, qui en a assuré le suivi ces derniers mois.

Ce rapport tombe à point nommé, tout d’abord au vu de notre situation nationale. L’une des grandes vertus de ce rapport est de montrer que, lorsqu’il y a une continuité dans les politiques publiques menées, avec des consensus transpartisans — cette politique industrielle a en effet été poursuivie à travers des majorités successives —, des résultats sont observés. Nous constatons très bien l’inflexion nette qui s’est produite à partir de 2012. Vous avez rappelé l’impact du rapport Gallois, du CICE et de l’impact des mesures qui ont suivi et ont permis de stabiliser la part de l’industrie, notamment manufacturière, dans le PIB, tout en permettant une reprise plus récente de l’emploi industriel.

Ce rapport tombe également à point nommé au regard de la situation mondiale. L’année 2025 risque en effet d’être une boucherie industrielle avec une mâchoire d’acier chinoise et américaine sur les plans commercial, réglementaire, fiscal et budgétaire, avec deux pays qui se sont engagés dans une stratégie fondée sur des déficits très importants pour subventionner d’une manière ou d’une autre leur industrie.

Cette montée des tensions se produit au pire moment, puisque nos cartouches budgétaires sont limitées. Or nous ne pouvons pas tout renvoyer au niveau européen. Nous devons prendre des mesures au niveau national, en assumant une forme de préférence industrielle, en ciblant davantage nos dispositifs de politiques de l’offre vers l’industrie mais aussi en ciblant la politique de demande vers la production réalisée en France et en Europe. Cette méthode avait été utilisée pour le bonus automobile cette année, ce qui a donné des résultats. Il faut probablement l’étendre à d’autres secteurs industriels.

En outre, la question de l’énergie se pose évidemment avec beaucoup d’acuité. Nous devons préparer la période post-ARENH. Les dispositions ont été supprimées dans le cadre du PLF mais il s’agit d’un enjeu essentiel pour nos industriels.

En matière de gouvernance, quelle articulation voyez-vous entre les plans d’investissement, tels que le programme d’investissements d’avenir (PIA) et maintenant France 2030, et les lignes directes des ministères que vous appelez à renforcer ? Comment assurer leur cohérence ?

Ensuite, quelle articulation voyez-vous entre la politique énergétique et la politique industrielle, puisque l’énergie est devenue quasiment plus importante que le coût du travail, vu les mesures prises en matière de compétitivité ? Nous avons d’ailleurs assisté à un rapprochement des ministères il y a peu. Comment voyez-vous le travail au niveau technique et administratif en la matière ?

Enfin, que pensez-vous des approches menées en termes de contractualisation ? Je pense particulièrement à la décarbonation des sites industriels, qui constitue également un instrument nouveau.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Nous pensons qu’un certain nombre de sujets sont à revoir concernant France 2030. En effet, des rapports de la Cour des comptes, en partie critiques, devraient être pris en compte afin d’éviter des dépenses importantes. Nous mènerons d’ailleurs une enquête sur ce plan d’investissement en 2025 afin de formuler des suggestions à ce sujet.

Par ailleurs, la gouvernance a progressé par deux voies d’amélioration : le ciblage de France 2030, qui reste à améliorer, et la coordination, qui peut être renforcée.

Concernant l’articulation entre la politique énergétique, la politique de l’innovation et la politique industrielle, vous avez entièrement raison de souligner que ce sont des thèmes non seulement connexes, mais parfois confondus. De ce point de vue, la coordination peut sans aucun doute être améliorée.

M. David Guiraud (LFI-NFP). Je vous remercie pour ce rapport intéressant.

Vous vous êtes rendu il y a peu à Wattrelos, dans ma circonscription, également très industrielle, notamment dans l’industrie textile. Roubaix, qui était la ville aux mille cheminées, a globalement perdu quasiment toutes ses industries.

J’ai ressenti une petite frustration à la lecture de ce rapport, concernant la question de la monnaie, insuffisamment traitée. J’aimerais connaître votre avis sur le poids de l’euro sur notre industrie, sachant que vous indiquez que cette dernière est de moyenne gamme. Tout en mettant de côté toutes les autres considérations liées à la monnaie, il me semble en tout cas nécessaire que nous parvenions à établir un bilan sur l’euro, y compris sur les réglementations au sein de l’Union européenne, dont on parle assez peu. La plupart des délocalisations — s’élevant à 55 %, il me semble — se font à l’intérieur de l’Union européenne, plutôt que vers des destinations comme la Chine. Un travail est à effectuer concernant des réglementations permettant trop facilement à un actionnariat, qui a désormais pris le pas sur les capitaines d’entreprises, de rechercher des rentabilités à court terme et de délocaliser rapidement.

Je note cependant avec satisfaction que vous appelez au resserrement du CIR, demande que nous formulons de longue date au sein de la France insoumise et du Nouveau Front populaire.

De même, vous appelez à modifier l’assiette de la CVAE.

Nous avons tout de même eu des investissements publics massifs, dont il faut souligner qu’ils sont compensés par la consommation populaire, puisque la TVA finance désormais les exonérations de cotisations sociales pour le CICE et d’autres politiques en faveur des entreprises, telles que la CVAE. Il s’agit donc d’un choix politique budgétaire important qui concerne en premier lieu les Français.

Pourtant, nous avons du mal à voir un ciblage efficace qui permettrait à l’industrie française de se relever car elle a, quoi qu’on en dise, très fortement perdu en compétitivité.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. S’agissant de la décarbonation, l’industrie et plus particulièrement les activités énergo-intensives, tels que la chimie, l’acier et le ciment, sont les principales bénéficiaires du dispositif de compensation carbone. Il existe des évolutions très importantes sur le marché européen du carbone : la fin des quotas gratuits d’émissions et la taxe carbone. Toutefois, ces mécanismes sont essentiellement ciblés sur l’industrie. Par exemple, 76 % des aides du fonds chaleur vont à l’industrie manufacturière. Il existe donc une forte sensibilité. Ces réflexions et actions sont articulées de très près.

Je vous prie de m’excuser, monsieur le député, mais j’ai peu de réflexions sur la monnaie, sujet qui ne concerne pas exactement la Cour des comptes. Il est nécessaire d’être toujours très prudents sur cette question. Chacun peut avoir un avis, positif ou négatif.

Concernant le contrôle des investissements étrangers, il y a quelques centaines d’entreprises et de laboratoires ainsi qu’une liste clarifiée. La direction générale du Trésor (DG Trésor) joue un rôle fondamental. Le contrôle s’est renforcé depuis dix ans et la France compte parmi les pays où le nombre d’entreprises contrôlées est le plus important. Nous pouvons aller encore plus loin dans l’analyse de ces sujets.

Mme Sophie Pantel (SOC). La période post-ARENH est un sujet important, puisque même de grands groupes, comme ArcelorMittal, traversent des crises sans précédent du fait de la question de l’énergie.

Par ailleurs, une recommandation de votre rapport suggère de stopper certains financements de France 2030 ou de revenir sur d’autres projets, peut-être de moindre envergure. Or il me semble que les auditions que vous avez réalisées concernaient des territoires déjà bien développés sur le plan industriel. Ne serait-il pas plus sage d’évaluer également d’autres territoires, notamment ceux où les écosystèmes industriels peuvent être de véritables outils d’aménagement du territoire ? Notre souhait serait qu’une évaluation plus fine soit réalisée avant de réorienter complètement ces crédits, voire de les supprimer sur certains projets.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Une enquête sur France 2030 est programmée pour l’an prochain.

Notons d’ores et déjà que cela incarne l’évolution de la politique industrielle au profit de mesures de soutien direct ciblant les entreprises et les secteurs identifiés comme stratégiques et que nous avons noté, en matière de gouvernance, le caractère prometteur de l’approche des stratégies d’accélération transversales et décloisonnées, qui doivent faire l’objet d’évaluations régulières.

Cependant, nous avons souligné dans ce rapport que l’évaluation du comité de surveillance de France 2030 relevait que le ciblage du programme devait être amélioré, en resserrant les champs d’investissement à une vingtaine, contre une quarantaine à ce jour. La Cour des comptes souscrit à ces observations. Nous pensons en effet qu’il faut cibler davantage les soutiens pour renforcer l’impact.

M. Nicolas Ray (DR). Je vous remercie, monsieur le président, pour ce rapport et surtout pour votre constat de la nécessité de renforcer le poids de l’industrie dans notre économie.

Je pense que l’un des handicaps majeurs de notre industrie est la complexité administrative et réglementaire qu’elle subit. En effet, les délais d’instruction des autorisations pour l’exploitation de nouvelles industries restent plus longs que la moyenne européenne. Bien que des lois aient tenté de réduire ces délais, comme la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, il reste encore beaucoup à faire. Le projet de loi de simplification de la vie économique, qui arrive à l’Assemblée, pourrait être l’occasion d’améliorer cela. Quels outils législatifs et réglementaires proposez-vous pour y remédier ? Je ne peux m’empêcher d’évoquer le ZAN, qui reste un frein pour l’activité industrielle de notre pays.

Vous avez raison de souligner que l’énergie constitue un avantage compétitif pour notre pays, grâce à notre énergie nucléaire, que notre groupe a toujours défendue. Malgré tout, les prix évoluent fortement. Que pensez-vous d’une taxe flottante sur l’énergie ? Cette solution, souvent évoquée mais qui n’a jamais été mise en œuvre, pourrait être la solution pour neutraliser les fortes évolutions de ces prix.

S’agissant de la prévention des entreprises en difficulté, ne pensez-vous pas que nous agissons trop en réaction et pas assez en prévention afin d’éviter certaines défaillances industrielles ?

Enfin, ne pensez-vous pas qu’il faille faire un peu de tri parmi les interventions en fonds propres de l’État et ses participations ? Des réflexions ont été menées pour que l’État cède certaines participations dans des entreprises industrielles, ce qui permettrait d’obtenir des recettes budgétaires supplémentaires.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Naturellement, ce rapport a été rédigé pour nourrir le débat public. Chacun peut ensuite y ajouter ses préférences ou ses propres analyses.

Je ne vais pas improviser devant vous au sujet d’une taxe flottante sur l’énergie. Je rends compte exclusivement de ce qui est dans le rapport.

De nombreux acteurs sont impliqués dans la prévention des entreprises en difficulté. Il existe un problème de prise en charge dans la durée, qui exigerait que nous nous penchions sur cette question. L’idée d’agir davantage en amont, avec des dispositifs d’alertes intelligents et coordonnés, me semble pertinente.

Quant aux fonds propres, nous ne sommes plus au temps des grands débats sur la privatisation et les nationalisations. Depuis quelque temps, des évolutions sont à noter dans tous les sens de la part des uns et des autres. Ce point rejoint les suggestions que j’ai formulées sur la doctrine de l’APE, qui doit être précisée, ainsi que sur l’articulation de cette doctrine avec celle des autres acteurs publics qui sont intervenants et parties prenantes en la matière. Cela dépend quand même assez largement des décisions politiques.

M. Charles Fournier (EcoS). Je vous remercie, monsieur le Premier président, pour ce rapport qui donne matière à échanger sur les politiques industrielles, dans un contexte particulier. En effet, près de 300 plans sociaux sont évoqués et 140 000 emplois risquent d’être détruits. Or les aides publiques et les interventions publiques en faveur de l’industrie ont augmenté, passant de 17 milliards d’euros sur la période 2012-2019 à près de 27 milliards d’euros sur la période 2020-2022. Nous nous retrouvons donc dans une situation extrêmement paradoxale, avec des aides publiques qui augmentent mais le sentiment d’un risque d’effondrement d’une grande partie de nos activités industrielles.

Le rapport n’évoque pas le fait que les revenus du capital progressent davantage et plus rapidement que les revenus du travail, ce qui me semble être un élément important d’analyse de l’efficacité relative des politiques en faveur de l’industrie.

L’efficacité écologique et sociale doit être prise en compte lors de la mesure de l’efficacité des interventions publiques. Or le rapport n’évoque pas les questions des bifurcations écologiques et aborde insuffisamment la question sociale et celle des emplois. La bifurcation ne se limite pas à la décarbonation mais englobe aussi la biodiversité et la question des ressources. Nous parlons trop peu, en matière d’industrie, de la question des matériaux critiques, qui sera un enjeu absolument déterminant pour l’avenir.

Par ailleurs, la structure du tissu économique est majoritairement constituée de multinationales, ce qui est historique dans notre pays. N’est-ce pas un point de fragilité de notre économie ? Ne devrions-nous pas réfléchir à comment mieux soutenir le tissu de PME et de petites et moyennes industries (PMI) ainsi que l’ensemble des acteurs économiques qui font aussi vivre nos territoires ?

Enfin, vous dites dans le rapport qu’il faut agir en Européen. J’ai pourtant le sentiment que ce n’est pas exactement ce qui est fait à l’heure actuelle. En effet, quarante projets de production de batteries sont en cours en Europe, sans coordination entre eux. Je pourrais également évoquer France 2030. Qu’existe-t-il dans les autres pays européens et comment ces initiatives s’articulent-elles à l’échelle européenne ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je note que Bpifrance intervient beaucoup sur les TPE, les PME, et les PMI, ce qui est tout de même sa mission. Ensuite, cela soulève la question d’une plus grande finesse dans la précision de ces interventions.

Nous avons effectivement souligné la nécessité d’un européanisme fort en matière de politique industrielle, qui a constitué un point aveugle de la politique européenne durant des décennies. Nous définissons actuellement une compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres. Les questions d’autonomie stratégique, qui ne sont plus taboues, sont au cœur du mandat de la Commission européenne. Cependant, il reste naturellement encore beaucoup à accomplir, et de manière bien plus efficace, dans ce domaine. Nous nous inscrivons également dans la lignée des propositions du rapport Draghi.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Je vous remercie pour ce rapport, qui en appellera d’autres.

J’ai une petite pensée pour Benoît Mournet, qui en a suivi l’avancée.

Vous indiquez que la fiscalité des entreprises industrielles reste sous-optimale en raison de l’existence d’impôts de production dont le fonctionnement est défavorable à la production en France, sans pour autant recommander une suppression de la CVAE ou de la C3S. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les pistes qui pourraient être explorées concernant la révision de leurs modalités de calcul que vous suggérez ?

Vous indiquez également que l’image de l’industrie reste très dégradée, ce qui nuit à l’attractivité des formations et des métiers industriels. Quels leviers concrets avez-vous identifiés pour que nous puissions combattre effectivement ce frein ?

Vous évoquez également l’importance de développer des politiques favorisant les innovations de rupture, dans la mesure où elles permettent de constituer des points forts en matière industrielle. Cependant, malgré les efforts de simplification des gouvernements successifs, vous affirmez que l’innovation reste bridée par un ensemble de normes juridiques et mentales qui induisent des obstacles entre le monde de la recherche et celui de l’industrie. Pourriez-vous nous préciser quels sont ces freins à l’innovation ?

Par ailleurs, notez-vous un ralentissement lié à la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et à la création des grandes régions, ayant entraîné la perte de compétences économiques des départements ?

Enfin, concernant la réforme du CIR, vous indiquez dans votre rapport que ce sont les groupes qui sont les plus performants en matière industrielle. Ne craignez-vous pas qu’un plafonnement au niveau des groupes produise un effet négatif, dans la mesure où ces structurations de sociétés holding avec des filiales dans le monde industriel semblent assez performantes pour l’emploi et le développement de ce secteur ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Encore une fois, monsieur le député, je ne vais pas improviser sur des propositions qui ne figurent pas dans le rapport. Je pense notamment à la question du lien entre le passage aux grandes régions et l’efficacité de la politique industrielle. Nous avons au contraire plutôt insisté sur les pôles de compétitivité et sur la nécessité d’articuler les acteurs locaux avec la politique industrielle à un niveau assez fin.

S’agissant de l’impôt de production, l’assiette de CVAE est relative à la valeur ajoutée, tandis que celle de la C3S concerne le chiffre d’affaires. Nous préconisons de mieux relier ces calculs d’assiette à la productivité, ce que ne font ni la CVAE ni la C3S. Ce rapport ne propose pas une suppression des impôts de production ni une réduction de leur part dans un contexte où la stabilité doit être visée. Néanmoins, ce rapport propose de modifier et de réformer structurellement leur assiette afin d’encourager davantage le développement industriel.

Par ailleurs, la France se distingue par le montant de soutien public à la R&D, qui est le plus élevé de l’OCDE, et par la prédominance de dispositifs indirects, tels que le CIR. La commission nationale d’évaluation du CIR a mentionné un effet d’entraînement modéré sur les activités de R&D, confirmé par les études de l’OCDE. Ce phénomène est en général plus marqué dans le cas des PME et plus faible pour les grandes entreprises. Nous n’en déduisons pas pour autant qu’il faille réduire ce soutien aux grands groupes mais nous pensons qu’une expertise doit être menée sur ce thème, qui pourrait être approfondi dans les années à venir.

Mme Félicie Gérard (HOR). Depuis la fin du XXe siècle et à la suite de la crise de 2008, la France a subi un phénomène de désindustrialisation, avec une chute importante de la part de l’industrie dans le PIB.

Pour autant, notre pays conserve une industrie d’excellence dans les secteurs de l’agroalimentaire, la métallurgie, la cosmétique, le luxe, l’automobile ou encore l’aéronautique et compte dans chacun de ces secteurs des entreprises mondiales leaders dans leur domaine, comme Airbus, Dassault ou LVMH.

Depuis plusieurs années, des politiques publiques ciblées sont mises en œuvre pour soutenir notre industrie, parmi lesquelles la baisse des impôts de production et de l’IS, la diminution du coût du travail avec les exonérations de cotisations sociales, des mesures de simplification administrative ou encore des mesures sectorielles, telles que la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte.

Nous devons bien entendu continuer à réduire la pression fiscale et administrative sur nos entreprises et nos industries. À ce jour, notre pays ouvre plus d’usines qu’il n’en ferme. Toutefois, pour que cette dynamique se poursuive, nous devons absolument maintenir notre compétitivité face à la concurrence mondiale et continuer à nous diversifier.

Dans votre rapport, vous préconisez de nouvelles baisses d’impôts de production. Quels autres leviers préconisez-vous afin d’aller encore plus loin dans cette politique de soutien à notre industrie ?

Enfin, devons-nous investir davantage dans la formation et dans l’orientation de nos jeunes vers les métiers industriels afin de faciliter le recrutement de personnel qualifié ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Tout d’abord, nous ne proposons pas de baisse des impôts de production mais une réforme de ces derniers.

Quant à la question de l’attractivité et de l’image de l’industrie, il existe un travail très fin à accomplir, notamment en termes d’amélioration de la formation, ce qui rejoint tout à fait nos propositions.

M. Michel Castellani (LIOT). Il est inutile d’expliquer que l’industrie joue un rôle extraordinaire dans la production de biens et de richesse, mais aussi par ses effets d’entraînement. Ce recul du poids de l’industrie, particulièrement depuis les chocs pétroliers, constitue ainsi un drame.

Le rapport souligne la difficulté de démontrer l’efficacité des plans de soutien à l’industrie. Toutefois, vous identifiez deux filières qui échappent à ce constat, à savoir l’aéronautique et la microélectronique. La Cour des comptes a-t-elle pu identifier les modalités d’intervention, les outils et l’organisation de la prise de décision qui expliquent le succès des plans de soutien dans ces secteurs ? Ces filières constituent-elles des modèles dont nous pourrions nous inspirer pour d’autres secteurs industriels ?

D’autre part, vous proposez la création d’un grand ministère de l’économie, indépendant du ministère des finances, qui coordonnerait l’ensemble des politiques sectorielles, sur le modèle d’un certain nombre de pays. Pourriez-vous développer les difficultés concrètes auxquelles une telle organisation permet de répondre dans les pays étrangers, et selon quelles modalités ?

Enfin, je souhaite évoquer l’insuffisance du travail de veille et de prospective sur les ruptures technologiques. Au cours de vos auditions, avez-vous obtenu des explications concernant ce manque d’efforts en matière de prospective technologique ? Existe-t-il des réformes en cours sur ce sujet ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Nous ne proposons pas la création d’un grand ministère mais plutôt une meilleure coordination entre les différents acteurs.

Quant à la prospective, il s’agit d’un champ de réflexion que nous ouvrons et il revient à chacun de s’y avancer.

M. Emmanuel Maurel (GDR). Je vous remercie pour ce rapport à la fois utile et intéressant, qui propose des mesures structurelles sur le long terme avec une réflexion intéressante. Or nous sommes confrontés à une situation d’urgence, nécessitant des réponses rapides. Le rapport Draghi, cité plusieurs fois, est intéressant à cet égard car il explique comment nous pourrions éviter le décrochage. Toutefois, il nous revient, à l’heure actuelle, d’organiser le sauvetage de l’industrie.

Si la concurrence chinoise et américaine constitue un défi, nous sommes également confrontés à une concurrence intraeuropéenne. Il sera un jour nécessaire de dresser la liste des politiques européennes qui ont été largement défavorables à l’industrie française pendant des années. Une petite inflexion a eu lieu, notamment quand vous étiez membre de la commission. Toutefois, la politique de chasse aux aides d’État, l’obsession de la concurrence et le refus obstiné de la réciprocité en matière commerciale ont eu un impact considérable sur l’industrie française.

Le rapport précise bien que l’intervention de l’État est structurante en matière de politique industrielle, en recommandant de consolider la politique de participation financière de l’État, de la Caisse des dépôts et de Bpifrance.

Toutefois, je regrette que la question de la commande publique ne soit pas suffisamment évoquée alors qu’elle est déterminante en matière industrielle, notamment pour privilégier le made in France ou le made in Europe.

Lorsque vous étiez ministre des finances, le plan Montebourg avait identifié 34 secteurs prioritaires. J’ai cru lire dans le rapport que vous constatiez à la fois une insuffisance de financement et un excès de saupoudrage. Que pourrions-nous faire, concrètement et très rapidement, pour reprendre cet esprit très intéressant en termes de redressement productif ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je ne vais malheureusement pas répondre à votre deuxième question car la question de la commande publique était exclue du rapport, comme cela avait été décidé avec la commission des finances.

J’ai bien noté votre mot aimable concernant l’Europe mais je ne le partage pas totalement. La commission Juncker a commencé à évoquer ces sujets de politique industrielle et à déployer des outils en la matière, notamment le fameux plan d’investissement Juncker, qui reposait principalement sur des prêts mis en œuvre par la banque européenne d’investissement. Cependant, je souhaite rendre justice à la commission suivante, qui a fait davantage. Vous ne portez pas suffisamment d’attention aux mécanismes des PIIEC, ayant permis une forte coordination, ainsi qu’à ceux mis en place après la crise sanitaire liée à l’épidémie de COVID-19, notamment le plan d’investissement Next Generation EU, qui passe non seulement par des prêts comme le plan Juncker mais également par des subventions. Si mon jugement n’est pas exclusivement favorable, j’observe toutefois que l’Europe a progressé en la matière et qu’il s’agit de l’un des grands débats qui nous attendent. Reste à savoir ce que fera la prochaine commission.

M. le président Eric Coquerel. Je cède la parole aux députés pour leurs questions.

M. Laurent Baumel (SOC). Monsieur le Premier président, vous avez fait référence aux premières décennies de la Ve République. Sans cultiver une nostalgie inutile, notons que la politique industrielle n’a plus tout à fait l’ambition qui fut la sienne à l’époque où socialistes, communistes et gaullistes s’accordaient finalement pour dire que l’État devait organiser les filières économiques de ce pays, et pas simplement sous la forme de baisses d’impôts non ciblées pour l’ensemble des sociétés.

Aujourd’hui, la politique industrielle passe plutôt par des concepts d’animation et de coordination à l’échelle locale, tels que les Territoires d’industrie, qui n’ont pas exactement la même ambition.

Sans vous prononcer explicitement sur le plan France 2030, pouvez-vous néanmoins dire ici qu’il est souhaitable que nous ayons une trajectoire budgétaire qui consolide malgré tout le peu qu’il reste de la politique industrielle nationale, par exemple à travers les interventions de Bpifrance ?

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Je tiens à remercier à mon tour la Cour des comptes pour ce rapport et à formuler le vœu que les pouvoirs publics se saisissent de ces recommandations, maintes fois proposées pour certaines, notamment concernant le CIR.

Un règlement entre la France et la Suisse, daté de 2009, permet à de grands groupes français internationaux de bénéficier d’un régime dérogatoire avantageux. Cet accord permet de rattacher leur cadre dans une filiale suisse, tout en les faisant travailler en France. Ces cadres sont alors affiliés au régime social suisse, permettant aux entreprises de ne pas payer les cotisations sociales en France. Une vingtaine de grands groupes français seraient concernés et 300 millions d’euros annuels échapperaient ainsi au budget de la sécurité sociale. Aviez-vous eu connaissance de ce régime dérogatoire lorsque vous étiez ministre de l’économie et des finances de mai 2012 à mars 2014 ?

Mme Véronique Louwagie (DR). Je vous remercie, monsieur le Premier président, ainsi que toutes les personnes ayant participé à ce rapport.

Vous n’avez aucunement évoqué la question du temps de travail en France et du recours aux heures supplémentaires dans l’industrie. Or différentes enquêtes, notamment l’enquête sur les forces de travail d’Eurostat en 2019, nous apprennent que la durée effective annuelle moyenne de travail des salariés à temps complet demeure en France bien inférieure à celle observée dans d’autres pays. En effet, les Français travaillent en moyenne 155 heures de moins par an qu’en Allemagne, 162 heures de moins qu’en Italie et 242 heures de moins qu’au Royaume-Uni. La durée légale du travail hebdomadaire en France pénalise-t-elle la compétitivité de nos entreprises industrielles ? Cela a-t-il des répercussions sur nos entreprises françaises ?

M. Emmanuel Fouquart (RN). Cette enquête met en lumière des lacunes graves dans la gestion des investissements publics au service de notre industrie. Les constats dressés sont préoccupants : une mauvaise gestion des plans et des circuits de financement d’une complexité excessive, qui compromettent l’efficacité des investissements d’avenir.

Sur la période 2010-2020, 11 milliards d’euros de fonds publics ont été engagés dans des secteurs stratégiques, tels que le nucléaire, l’aéronautique, le spatial et l’énergie. Ces investissements indispensables auraient dû faire l’objet de davantage d’attention dans leur utilisation.

Compte tenu de l’ampleur des montants mobilisés, il est impératif d’exiger des vérifications de conformité plus rigoureuses pour s’assurer que chaque euro public investi contribue à des objectifs clairs et mesurables.

Au-delà de l’évolution du degré de maturité technologique, quels ont été les critères précis de sélection des investissements réalisés ? Quels mécanismes préconisez-vous concernant l’évaluation plus rigoureuse de l’investissement dans nos secteurs stratégiques ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je ne sais pas si l’on peut partager cette nostalgie pompidolienne des débuts de la Ve République, qui mériterait d’autres débats. Cependant, il serait intéressant de comparer de manière précise les montants en pourcentage des actions menées à l’époque et celles mises en œuvre aujourd’hui. Les choses ont évidemment fortement changé et l’européanisation représente sans aucun doute une ouverture d’avenir.

Si nous avons certes proposé des marges d’ajustements ou des économies ici et là, aucune politique ne doit y échapper. Le critère reste la qualité de la dépense mais nous pensons qu’il faut garder une ambition pour la politique industrielle, qui doit avoir une traduction budgétaire. Il n’est donc pas interdit de réfléchir à l’efficience de certains mécanismes, comme les impôts de production, mais nous devons globalement garder un cap en la matière et en faire une priorité.

Concernant les cotisations sociales transfrontalières, il s’agit d’un sujet connu, que nous n’avons pas spécialement étudié. J’ai bien entendu eu connaissance de cette question, non seulement parce que j’étais ministre de l’économie et des finances, mais aussi parce que j’étais élu frontalier avec la Suisse. Toutefois, je ne garde pas un souvenir très frais de ce sujet, et notamment du mécanisme que vous évoquez. Je creuserai la question.

Par ailleurs, nous n’avons pas examiné explicitement la question du temps de travail mais nous avons évoqué le travail intérimaire, qui constitue la variable d’ajustement dans l’industrie. La question des 35 heures, qui n’est d’ailleurs pas spécifique à l’industrie, n’est globalement pas préjudiciable à l’emploi industriel, bien qu’il s’agisse d’une question que l’on peut naturellement poser.

Enfin, s’agissant des critères pour les investissements en fonds propres de l’État et de ses opérateurs, il est satisfaisant que cette recherche d’une combinaison de la souveraineté et de l’emploi préside à ces travaux.

M. le président Eric Coquerel. Conformément à l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, je demande à la commission si elle autorise la publication de ce rapport. Il en est ainsi décidé.

Je vous remercie, monsieur le Premier président, ainsi que les membres de la Cour des comptes, pour la qualité de ce rapport.

 

L’audition s’achève à dix heures quarante-cinq.

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du jeudi 28 novembre 2024 à 9 heures

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Laurent Baumel, M. Karim Ben Cheikh, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Mickaël Bouloux, M. Michel Castellani, M. Éric Coquerel, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Emmanuel Fouquart, Mme Félicie Gérard, M. Christian Girard, M. David Guiraud, M. François Jolivet, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jean-Paul Mattei, M. Emmanuel Maurel, Mme Estelle Mercier, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Charles de Courson, M. Corentin Le Fur, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou

Assistaient également à la réunion. - M. Charles Fournier, M. Jean-Pierre Vigier