Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

–  Audition de Mme Mélanie Joder, directrice du budget, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958).              2

  Présences en réunion...........................31

 


Mardi
3 décembre 2024

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 056

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La Commission auditionne Mme Mélanie JODER, directrice du budget, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58 1100 du 17 novembre 1958)

M. le président Éric Coquerel. Nous entamons un cycle d’auditions dans le cadre de nos travaux visant à étudier et à rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024, pour lesquels notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête. Ces auditions, menées en commission des finances, relèvent du régime des commissions d’enquête, tel qu’il est prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

De façon générale, le bureau de la commission a décidé que ces auditions seront publiques. Les deux rapporteurs de l’enquête, MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, ont élaboré un questionnaire écrit, qui a été communiqué à la personne auditionnée et à ses membres.

Après avoir fait prêter serment à la personne auditionnée et écouté son propos liminaire, moi-même puis les rapporteurs lui poseront des questions. Les orateurs des groupes poseront ensuite des questions, si possible courtes, afin de laisser la parole à la personne auditionnée autant que possible.

Le temps imparti à chaque orateur des groupes n’excède pas deux minutes. Nous sommes convenus, dans le cadre du bureau de la commission, que le président et les rapporteurs pourront, s’ils l’estiment nécessaires, procéder à des relances si des réponses leur semblent insatisfaisantes de la façon dont ils l’entendent.

Je rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Son enregistrement sera ensuite disponible à la demande.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Mélanie Joder prête serment.)

Mme Mélanie Joder, directrice du budget au sein du ministère chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, je souhaite en tout premier lieu vous dire que la direction du budget est très préoccupée par les écarts constatés ces dernières années entre la prévision et l’exécution budgétaires. C’est un sujet que nous prenons très au sérieux, dans un contexte de crise – sanitaire, puis énergétique et inflationniste – ayant considérablement accru les difficultés de l’exercice de prévision.

Je préciserai d’abord le rôle de la direction du budget dans la prévision de recettes. Elle y joue avant tout un rôle de coordonnateur et de synthèse au titre de ses missions de préparation du projet de loi de finances.

Nous travaillons en très étroite coordination avec plusieurs autres directions de Bercy : la direction générale du trésor, chargée du cadrage macroéconomique et des prévisions de finances publiques ; la direction générale des finances publiques (DGFIP), qui collecte l’impôt et assure un rôle de prévision ainsi que de suivi de l’encaissement des recettes tout au long de la gestion ; la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ; la direction de la législation fiscale (DLF), qui est chargée du chiffrage des mesures nouvelles. Sur les recettes, la direction du budget a surtout un rôle de coordination – trois agents sont dédiés à leur suivi – mais nous ne disposons en propre d’aucun modèle de prévision.

L’année 2023 se démarque des exercices précédents dans la mesure où l’exécution des recettes a été inférieure à la prévision initiale d’un peu plus de 5 milliards d’euros et, de façon plus marquée, inférieure à la prévision de la dernière loi de finances de l’année, la loi de finances de fin de gestion pour 2023, avec un écart de 7,7 milliards. Je rappelle d’emblée que cet écart à la baisse fait suite à plusieurs années d’écart à la hausse, avec une plus-value à hauteur de 18 milliards en 2021 et de 7,5 milliards en 2022. Sur une période plus longue de dix ans, soit depuis 2014, l’écart constaté est un encaissement supplémentaire de recettes sauf pour deux années, l’année 2016 et l’année 2023, avec un écart moyen de 5,3 milliards en valeur absolue.

C’est pourquoi plusieurs observateurs, notamment la Cour des comptes, ont observé qu’il n’y a pas de biais systématique dans l’exercice de prévision, mais beaucoup de sous-estimations et de sur-estimations, comme dans tout exercice de prévision. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a d’ailleurs affirmé dans son avis d’octobre 2023 que la prévision en matière de prélèvements obligatoires était « globalement plausible ».

La direction du budget travaille dans ce contexte d’écarts allant croissant ces dernières années, avec les autres directions de Bercy, pour améliorer le processus de prévision. Nous serons très attentifs à toutes les propositions que pourra formuler votre commission, l’Inspection générale des finances (IGF), qui travaille actuellement sur le sujet, et le comité scientifique installé par les ministres de Bercy.

J’en viens au pilotage des années 2023 et 2024, non sans rappeler que la direction du budget ne fait pas de prévisions de recettes en propre. Elle pilote la budgétisation et l’exécution de la dépense de l’État et suit l’exécution tout au long de l’année budgétaire dans une double perspective du budget de l’État et de toutes les administrations publiques.

En 2023 comme en 2024, l’exécution budgétaire des dépenses a été maîtrisée. En 2023, nous avons exécuté le périmètre des dépenses de l’État, qui rassemble les dépenses des ministères, les prélèvements sur recettes et les taxes affectées, en sous-exécution à hauteur de 7 milliards d’euros. En 2024, nous anticipons – c’est en tout cas ce qui est prévu dans le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) pour 2024 – un niveau de sous-exécution de 6 milliards d’euros.

Comment sommes-nous parvenus à cette maîtrise de l’exécution ? Nous y sommes essentiellement parvenus grâce à des mesures de pilotage fortes prises en gestion au cours des années 2023 et 2024.

En 2023, plusieurs mesures de régulation en gestion ont été prises, notamment un surgel de crédits à hauteur de 1 % au mois de mai, en plus de la mise en réserve de début d’exécution, et un décret d’annulation de crédits à hauteur de 5 milliards d’euros publié en septembre.

En 2024, les outils de pilotage ont été réactivés dès le début de la gestion. Un décret d’annulation a été publié en février, portant annulation de crédits à hauteur de 10 milliards d’euros, soit un ralentissement très fort en cours de gestion. Des plafonds de dépenses ont été fixés par lettre ministérielle en juillet, à la suite desquels un surgel transversal des crédits a été mis en place. C’est pourquoi le projet de loi de finances de fin de gestion qui vous a été présenté le 6 novembre dernier porte un solde net d’annulation de crédits de 1 milliard d’euros.

Par ailleurs, nous menons des travaux pour essayer de mieux maîtriser les reports d’une année sur l’autre. La direction du budget mène une politique de décroissance progressive des reports, qui se sont substantiellement accrus depuis la crise sanitaire, laquelle a occasionné l’ouverture de volumes de crédits très importants, qui ont été reportés. Sur le budget général, les reports généraux ont atteint presque 31 milliards d’euros en 2021 puis se sont abaissés à un peu moins de 18 milliards en 2022, à 14,2 milliards en 2023 et à 13,5 milliards en 2024. Nous espérons réduire encore leur volume sur l’année 2025.

Sur ce point, nous sommes pleinement en accord avec les recommandations formulées par la Cour des comptes et avec le rapport d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023 publié par le Sénat. Toutefois, nous ne pouvons pas éliminer les reports dans la mesure où il existe toujours des crédits ouverts en gestion que nous ne sommes pas en état de consommer et qui doivent donc être reportés pour ne pas pénaliser la gestion suivante.

Par ailleurs, la direction du budget est favorable à une politique d’amélioration de la transparence vis-à-vis de la représentation nationale et d’amélioration de la qualité des prévisions. Plusieurs observateurs estiment que l’information donnée par le gouvernement au Parlement a été insuffisante au début de l’année 2024. Je rappelle toutefois que trois moments de communication politique sont intervenus entre le vote de la loi de finances pour 2024 et le dépôt en avril du programme de stabilité pour les années 2024 à 2027.

D’abord, le 24 janvier, une communication a été faite en conseil des ministres pour rendre public les chiffres de l’exécution sur le solde budgétaire. Cette communication, qui a lieu chaque année, a mis en exergue les moins-values de recettes enregistrées en fin d’année 2023. Ensuite, le 2 février, nous avons publié une situation mensuelle budgétaire au 31 décembre donnant le détail de l’exécution des recettes fiscales, des dépenses et des comptes spéciaux. Enfin, le 18 février, le ministre de l’économie et des finances est intervenu pour réviser la prévision de croissance pour 2024 de 1,4 % à 1 % et a annoncé la mise en œuvre d’un plan d’économie de 10 milliards d’euros, mis en œuvre le 21 février par la publication du décret d’annulation de crédits.

Je ne minimise pas le besoin de renforcer l’information du Parlement et plus largement du public sur la situation des finances publiques. Au contraire, je crois que nous devons faire preuve de beaucoup de pédagogie. C’est pourquoi nous travaillons actuellement avec nos collègues de Bercy à renforcer la communication sur diverses mesures. En ce qui concerne plus particulièrement le périmètre de la direction du budget, nous sommes favorables à une transmission systématique de la situation mensuelle budgétaire aux commissions des finances des deux chambres, accompagnée de quelques éléments d’explication complémentaires si nécessaire.

Nous sommes également favorables à l’enrichissement de la documentation budgétaire. Nous avons mené ces dernières années des travaux complémentaires pour enrichir l’annexe Voies et moyens détaillant ligne à ligne les prévisions de recettes fiscales. Dans le projet de loi de finances pour 2023, nous avons pour la première fois annexé un fichier au format Excel permettant la réutilisation des données et la décomposition de chaque recette entre l’évolution spontanée et les mesures nouvelles.

Nous pensons que ces travaux doivent se poursuivre, notamment pour enrichir la partie méthodologique de l’annexe Voies et moyens et, le cas échéant, l’actualiser lors de la publication de la loi de finances initiale s’il y a eu des mouvements importants au cours du débat parlementaire. Par ailleurs, nous pouvons continuer de progresser s’agissant de la mise en ligne de nos données – nous en publions beaucoup en source ouverte – afin de favoriser les travaux des chercheurs, donc la possibilité de contester nos prévisions.

En conclusion, les mesures prises en gestion depuis deux ans ont permis d’intervenir de façon assez rapide et efficace pour freiner la dépense sur le champ de l’État. À long terme, le pilotage de la dépense par rabot n’est pas complètement satisfaisant. Nous sommes persuadés, à la direction du budget, que ce n’est qu’en réalisant des économies structurelles que nous arriverons à limiter durablement le niveau de la dépense.

C’est pourquoi nous sommes très favorables aux revues de dépenses, relancées en 2023 par le gouvernement. Elles permettent d’analyser et de réinterroger finement des couches un peu plus anciennes de la dépense pour remettre en cause des éléments qui ne sont plus nécessairement aussi utiles qu’ils pouvaient l’être par le passé.

M. le président Éric Coquerel. Chacun, dans cette commission, a une idée sur ce qui explique prioritairement les écarts de prévision dont cette commission cherche la cause. Pour ma part, j’estime qu’ils tirent principalement leur origine des conséquences de la politique économique menée jusqu’à présent. Je préfère le dire par souci d’honnêteté et pour que chacun comprenne le sens de mes questions.

Depuis 2017, on nous a proposé une politique de l’offre et de la compétitivité consistant, pour résumer, à diminuer la fiscalité pesant sur les porteurs du capital pour encourager à investir en France. J’observe également que, depuis quelques années, tous les résultats économiques nous sont présentés à l’aune de cette politique, avec des lunettes tendant souvent à enjoliver la réalité.

Par exemple, dans les années post-covid, la relance de l’activité économique, après des années quasiment au niveau zéro, a produit une croissance exceptionnelle, donc des rentrées fiscales et de cotisations exceptionnelles. On a trop voulu, me semble-t-il, penser que ces rentrées exceptionnelles étaient dues non à ces années exceptionnelles mais à la baisse des impôts, selon le raisonnement suivant : nous baissons les impôts et les rentrées augmentent, ce qui démontre la réussite de notre politique. D’ailleurs, lorsque l’activité économique a ralenti, les rentrées ont baissé. Pour moi, l’échec de la prévision des recettes fiscales est celui de cette politique : les prévisions ont été un peu trop induites par des analyses optimistes.

Ma première question repose sur cette analyse. Au fur et à mesure que les services ont découvert que les rentrées fiscales n’étaient pas bonnes et pas à la hauteur de ce qu’ils pouvaient espérer – à l’été 2024, les ministres m’ont confirmé que ni la TVA, ni l’impôt sur les sociétés, ni l’impôt sur le revenu ne correspondaient aux rentrées estimées –, votre direction s’est-elle interrogée sur les conséquences des réductions de dépenses proposées sur les recettes ? Vous êtes-vous contentée d’analyser la situation réelle des recettes ou avez-vous donné l’alarme sur l’évidence que vous aviez devant les yeux ?

Mme Mélanie Joder. Les premiers signaux négatifs convergents datent de la toute fin de l’année 2023, après l’adoption définitive de la loi de finances de fin de gestion pour 2023. Nous savions qu’une partie de ces recettes se reporterait en base sur l’année 2024 sans en avoir encore le chiffrage précis. Les éléments se sont précisés en début d’année 2024, au fur et à mesure de l’analyse des recettes, notamment grâce aux travaux de la direction générale du Trésor sur le budget économique d’hiver diffusés au mois de février.

C’est alors que nous avons proposé des mesures d’économie complémentaires pour essayer de freiner la dépense, dans le cadre d’un dialogue étroit avec les ministres et leurs cabinets. Dans ce contexte, la mise en œuvre d’un plan d’annulation de crédits à hauteur de 10 milliards d’euros a été décidée, soit un volume tout à fait inhabituel de ralentissement de la dépense en cours de gestion – les décrets d’annulation de crédits portent habituellement sur des montants bien plus modestes.

M. le président Éric Coquerel. Lorsqu’il est devenu évident qu’une part du montant imprévu de déficit provenait du manque de recettes, certaines pistes ont-elles été exclues a priori de vos recommandations ? Plus particulièrement, avez-vous analysé les effets qu’auraient eue la baisse des aides aux entreprises ou la suppression de certaines niches fiscales, qui ont été proposées au gouvernement dans le cadre des dialogues de Bercy et n’ont jamais été reprises ?

Avez-vous reçu consigne de ne pas expertiser ces pistes de baisse de la dépense pour éviter, par exemple, de revenir sur une diminution de la fiscalité dont j’estime qu’elle a été contre-productive ? Les pistes de travail que vous avez retenues étaient-elles les seules qu’il vous semblait possible de retenir ?

Mme Mélanie Joder. La direction du budget mène des expertises assez larges sur les programmes de dépenses. En règle générale, nous formulons de nombreuses propositions pour laisser au politique le choix d’en retenir certaines et d’en rejeter d’autres.

Au début de l’année 2024, le choix a été fait de passer par voie réglementaire et non par voie législative. Nous n’avons donc pas formulé de propositions de modifications de nature législative, dont relèvent les niches fiscales. Nous avons proposé plusieurs pistes d’économie sur l’ensemble des programmes du budget de l’État. Certaines portaient sur les aides aux entreprises ou sur les aides aux véhicules propres.

M. le président Éric Coquerel. Dois-je comprendre que vos choix ont été dictés par le cadre réglementaire imposé à votre réflexion ?

Mme Mélanie Joder. Pas exactement. En début d’année, nous menons des travaux d’économies structurelles qui n’entrent pas dans un cadre spécifique et portent sur tel ou tel champ de la dépense budgétaire ou de la dépense fiscale, incluant, s’agissant de la dépense budgétaire, des propositions de nature réglementaire et des propositions de nature législative. Une fois que le choix politique de passer par la voie réglementaire a été fait, nous n’avons proposé aucune modification législative.

M. le président Éric Coquerel. Ma troisième question porte sur les trajectoires présentées par le gouvernement, qui se sont avérées « optimistes », pour reprendre le mot employé à plusieurs reprises par le HCFP. Celui-ci considère que la dégradation du déficit en 2024 ne s’explique pas par de mauvaises surprises sur les recettes mais par la prise en compte de mesures d’économie non documentées, comme il l’indique dans son avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2024 à 2027 d’avril 2024.

Un an plus tôt, dans son avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2023 à 2027, il notait que la réduction du déficit reposait sur des économies à hauteur de 12 milliards d’euros et sur la baisse des dépenses des collectivités de 0,5 % en volume, autant d’hypothèses exclues par la suite, ce qui a profondément fait évoluer les prévisions. Il me semble que ces mesures, qui ne se sont pas avérées réelles, concrètes, visaient surtout à afficher un déficit compatible avec un retour rapide sous la barre des 3 %. Je voudrais donc savoir si la direction du budget a évalué la crédibilité de ces mesures.

Mme Mélanie Joder. Chaque année, les mesures d’économies proposées par le gouvernement, qu’elles soient de nature budgétaire ou fiscale, se précisent petit à petit dans l’année. Il est donc normal que, à la publication du programme de stabilité, toutes les économies ne soient pas précisément documentées. Tant que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne sont pas déposés, nous émettons plusieurs hypothèses de volumes d’économies, en dépenses comme en recettes, documentées plus précisément dans la documentation budgétaire annexée aux textes financiers lors de leur dépôt.

En ce qui concerne les collectivités locales, il est vrai que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, la loi de finances pour 2023 et la loi de finances pour 2024 reposent sur l’hypothèse d’un partage de l’effort entre tous les sous-secteurs, ce qui nous semblait, à la direction du budget, parfaitement pertinent, parce que l’on ne peut pas faire des économies uniquement sur le budget de l’État. Il faut absolument partager l’effort entre l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales. L’hypothèse qui sous-tendait la loi de programmation était un ralentissement de la dépense des collectivités territoriales de 0,5 % par rapport à l’inflation, donc en volume.

Cette hypothèse est assez volontariste. Nous l’avions associée à un instrument de pilotage par contractualisation de la dépense locale, qui n’a pas été retenu dans le texte adopté. J’y vois l’un des facteurs expliquant que la dépense des collectivités locales n’ait pas été étroitement pilotée. En 2023 et en 2024, nous ne disposions plus, à l’échelon du gouvernement, d’instruments de pilotage de la dépense locale réellement efficaces, hormis un dialogue étroit avec les collectivités territoriales. Au fur et à mesure de l’année, la dépense locale s’est avérée plus élevée que ce qui était attendu au moment de la loi de finance initiale.

M. le président Éric Coquerel. Ma dernière question porte sur les relations qu’entretient la direction du budget avec les autres administrations. Considérez-vous que vos prévisions sont cohérentes avec les leurs, par exemple celles de la direction générale du Trésor ? S’il y a des différences, estimez-vous qu’elles sont justifiées ? Comment les analysez-vous ?

Identifiez-vous, comme le révèlent notamment les documents transmis dans le cadre de cette commission d’enquête, des différences visant exclusivement à rendre les prévisions cohérentes avec la communication gouvernementale ? Entre ce qui vous est transmis et ce qui est porté à la connaissance du public, y a-t-il des différences d’analyse qui vous ont étonnée ?

Mme Mélanie Joder. Nous travaillons en étroite collaboration avec les autres directions de Bercy et, surtout, sur la base des mêmes hypothèses et du même cadrage macroéconomique. Lorsque la direction du budget travaille sur son esquisse de budget en début d’année, en même temps que les ministères sectoriels préparent leurs propositions de réformes et de mesures supplémentaires, nous travaillons sur la base d’une hypothèse de croissance et d’inflation ainsi que d’une batterie d’indicateurs macroéconomiques identiques à ceux retenus par la direction générale du Trésor.

Celle-ci fonde ses travaux sur l’hypothèse de dépenses transmise par la direction du budget. Par exemple, lorsqu’elle produit ses travaux économiques d’hiver et d’été, elle reprend le niveau du périmètre des dépenses du budget de l’État préparé par la direction du budget.

Il arrive parfois – tel a été le cas cette année – que l’on se rende compte, lors de l’élaboration des travaux économiques d’été, que, compte tenu de la dégradation de la prévision de croissance – passée cette année de 1,4 % à 1 % – et des prévisions de recettes, les économies prévues soient insuffisantes pour atteindre l’objectif de solde fixé par la trajectoire du gouvernement.

Dans ce cas, la direction générale du Trésor documente un volume d’économies complémentaire à trouver et nous pouvons, le cas échéant, modifier notre projet de budget pour faire des économies supplémentaires. Nous pouvons y inclure – tel est le cas cette année – des mesures supplémentaires en recettes. Tout cela est un travail assez interactif, mené par itérations successives, qui préserve la cohérence des travaux.

Je ne peux pas être surprise par les textes budgétaires publiés, dans la mesure où c’est nous qui les préparons. Nous connaissons les sous-jacents économiques et budgétaires du projet de loi de finances. Il est assez naturel que le gouvernement ne retienne pas toutes les économies proposées par la direction du budget. Les administrations ont vocation à proposer des mesures dans un large spectre pour donner au ministre la possibilité d’effectuer un choix politique en matière budgétaire.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous entamons, dans le contexte un peu particulier d’une crise budgétaire majeure, les travaux de la commission des finances dotée des prérogatives d’une commission d’enquête. Nous avons de fortes interrogations et souhaitons savoir pourquoi nous sommes face à un écart substantiel, presque inédit sous la Ve République, entre les prévisions et l’exécution budgétaire.

Nous avons découvert cette situation par les mots du premier ministre, qui a indiqué, le 18 septembre dernier, découvrir la gravité de la situation budgétaire. Lorsqu’il m’a reçu, le premier ministre m’a indiqué que la situation est encore plus grave qu’il ne l’a dit, car elle a continué à se dégrader. Pourtant, quelques jours auparavant, très exactement le 9 septembre, ici même, MM. Le Maire et Cazenave indiquaient qu’il était tout à fait possible de ramener le déficit public à 5,1 % du PIB. Qu’est-ce qui justifie cet écart en quelques jours ?

Vous avez indiqué que des alertes ont été lancées. La note du 7 décembre 2023 de la direction du budget formule sans doute les premières alertes. Y en a-t-il eu d’autres ? À quel rythme ? Selon quel calendrier ? Selon quelles modalités ? Auprès de qui ? Quels étaient vos interlocuteurs ? Les ministres ? Leurs directeurs de cabinet ? Leurs conseillers ?

Mme Mélanie Joder. Les alertes ont été formulées pas à pas au cours de l’année 2024. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il y a eu de premières tendances concernant un ralentissement de l’encaissement des recettes en fin d’année 2023, qui ont été transmises de manière régulière aux ministres. Début 2024, dans le cadre de la préparation des budgets d’hiver, nous avons constaté que, si le solde n’était pas aussi dégradé que celui à 6,1 % dont le gouvernement fait désormais l’hypothèse, les encaissements étaient moindres, à cause notamment d’un effet de base à hauteur de 21 milliards d’euros, correspondant aux moindres encaissements de l’année 2023. C’est à ce moment que le premier décret d’annulation a été publié, afin de ralentir la dépense sur le budget de l’État.

Par la suite, nous avons pu constater que les recettes n’atteignaient pas le niveau fixé par le programme de stabilité et que, manifestement, la dégradation du déficit était plus importante que prévu. Les directions de Bercy interagissent entre elles et se réunissent désormais tous les mois pour faire le point sur les encaissements à partir des chiffres produits par la DGFIP. Cette dégradation s’est confirmée, au fur et à mesure de l’exécution jusqu’à l’été. C’est alors que des mesures complémentaires de freinage, discutées dès le printemps, ont été prises. Nous avons effectué des surgels de crédits très importants, de presque 10 milliards d’euros, qui ont permis de ralentir la dépense sur le budget de l’État. Ce surgel a été accompagné de la notification par le ministre de l’économie à chacun de ses collègues du gouvernement d’une cible d’exécution, qui était assez nettement inférieure à celle de la loi de finances initiale.

Plusieurs mesures de freinage ont été prises sur le budget des administrations de sécurité sociale. En revanche, en raison du principe de libre administration, cela n’était pas faisable en cours de gestion sur les budgets des collectivités territoriales.

Les alertes se font très naturellement sous forme de notes qui remontent aux ministres concernés – ministre du budget et ministre de l’économie, en l’occurrence – dans un dialogue très régulier.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Madame la directrice, à qui précisément avez-vous adressé ces alertes ? Par ailleurs, quelle était la prévision de déficit public la première semaine du mois de juin ? Quels ministres en avaient connaissance ?

Mme Mélanie Joder. Le mois de juin correspond à une période intermédiaire entre le dépôt du programme de stabilité, en avril 2024 – l’avis du Haut Conseil des finances publiques date du 16 avril –, et les travaux sur le budget économique d’été avec l’actualisation de la prévision de déficit, qui n’est intervenue par le biais d’une note de nos collègues de la direction générale du Trésor que le 17 juillet 2024. Au début du mois de juin, au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale, l’hypothèse de déficit sur laquelle nous travaillions était encore celle du programme de stabilité, à 5,1 % du PIB. Ce n’est que par la suite que les travaux des directions ont permis d’actualiser ces chiffrages.

Nos interlocuteurs à cette période étaient les ministres chargés des affaires courantes, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Il est quand même étonnant que, entre début juin et début septembre, la prévision dérape de 1 point de PIB.

À quelle date auriez-vous été en mesure de préparer un projet de loi de finances rectificative (PLFR) ? Savez-vous pourquoi l’option de l’annulation de 10 milliards d’euros de crédits a été privilégiée à la mise en œuvre d’un tel projet, alors que les ministres savaient que les équilibres budgétaires étaient très largement dégradés ?

Mme Mélanie Joder. La direction du budget peut préparer un PLFR en quelques semaines, lorsque le gouvernement le décide. Cela était donc théoriquement possible à tout moment dans l’année. La direction du budget en a d’ailleurs préparé quatre lors de la crise sanitaire en 2020. Néanmoins, passer par la voie réglementaire était un choix politique, qui avait l’avantage d’être très rapide, puisque ne se sont écoulés que trois jours entre l’annonce du ministre de l’économie, le 18 février, au journal de 20 heures de TF1, et la publication du décret d’annulation, le 21 février. Il aurait fallu soumettre un PLFR au Conseil d’État et au Haut Conseil des finances publiques, avant de le faire passer au Conseil des ministres puis de le présenter à la représentation nationale.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. À ce jour, quelle est l’estimation d’écart entre l’exécution prévisionnelle et la LFI 2024 ? Comment se décompose la dégradation ? Quelle est la dégradation des comptes sociaux, même s’ils ne relèvent pas directement de votre compétence ? Pourriez-vous revenir sur le rôle joué par la requalification effectuée par l’Insee ? S’agissant de la dépense de l’État, tous les leviers ont-ils bien été actionnés au cours de l’année ? Concernant les annulations de crédits en fin d’année, considérez-vous, sans porter de jugement politique, qu’il était possible d’aller plus loin et d’agir également par voie réglementaire sur la dépense d’État ou sociale depuis septembre ?

Mme Mélanie Joder. Il faut distinguer l’exécution budgétaire et l’exécution sur l’ensemble des administrations publiques. Nous prévoyons d’exécuter le périmètre des dépenses de l’État environ 6 milliards d’euros en dessous de la LFI. Pourquoi 6 milliards seulement, me demanderez-vous, alors que nous avons freiné d’à peu près deux fois 10 milliards en cours d’année ? Cela s’explique par l’existence d’un volume assez substantiel de reports entrants sur l’année 2024, de l’ordre de 19 milliards d’euros. Pour apprécier l’ampleur du freinage fait sur la dépense de l’État, il faut bien prendre en compte les reports entrants et les autorisations de dépenses pour l’année 2024. Je peux donc vous confirmer que ce freinage était tout à fait exceptionnel, qu’il s’agisse des gels de crédits – les premiers d’une telle importance –, en février et en juillet, ou des mesures de freinage complémentaires, comme les mises en réserve de crédits. Nous attendons évidemment les informations qui arriveront dans les tout prochains jours, la fin de gestion se situant aux alentours du 16 décembre. À partir de là, la direction fera un pilotage étroit des crédits sur la fin de l’année.

S’agissant des recettes, en revanche, le niveau d’incertitude est encore important. Nos prévisions sont toujours celles du PLFG. Néanmoins, la commission des finances a été informée hier d’une légère moins-value d’encaissement sur la TVA, à hauteur de 1,4 milliard d’euros en crédits budgétaires et de 1 milliard en comptabilité nationale, ainsi que d’une plus-value sur les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) de 400 millions d’euros et de 100 millions sur l’impôt sur le revenu. En tout, nous aurions donc une très légère dégradation de 0,5 milliard d’euros. Néanmoins, il faut avoir conscience que les risques sur les recettes de l’État sont, à ce stade de l’exécution, importants : nous ne disposons pas encore d’informations sur le cinquième acompte d’impôt sur les sociétés, qui représente chaque année un facteur d’incertitude majeur. Il y aura aussi, comme chaque année, les différents retraitements de l’Insee sur la dépense, notamment pour les traduire en comptabilité nationale – les chiffres que je vous ai donnés sont des chiffres de comptabilité budgétaire.

Concernant les autres sous-secteurs, dans la révision générale entre le PLF 2024 et l’estimation à ce jour de la loi de finances de fin de gestion (LFG), il y a une cinquantaine de milliards d’euros de dégradation, dont une quarantaine sur les prélèvements obligatoires et une dizaine sur la dynamique de dépenses. En ce qui concerne les prélèvements obligatoires, une moitié est liée à l’effet de base de l’année 2023 – on a encaissé quelque 20 milliards de moins en 2023 que ce que l’on avait estimé – et l’autre à la dégradation de la croissance et à une révision à la baisse de l’élasticité – un point sur lequel nous continuons d’ailleurs de travailler tant son ampleur depuis le programme de stabilité nous a surpris.

La détérioration relative aux collectivités territoriales est estimée à environ 13 milliards d’euros. Ce chiffre datant du mois d’octobre, il faut rester extrêmement prudents parce que la situation des collectivités locales en exécution finale n’est pas encore connue. Il y a aussi une légère détérioration sur la sphère sociale d’environ 4 milliards d’euros, notamment sur l’Unedic et l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). En revanche, on observe une amélioration sur le périmètre des dépenses de l’État. Les incertitudes concernant la sphère sociale sont nombreuses, notamment parce que les dépenses des établissements hospitaliers ne seront arrêtées qu’assez tardivement en début d’année prochaine et qu’il est très difficile d’estimer la consommation réelle.

Enfin, pour répondre à une demande d’Eurostat, l’Insee a changé de référentiel comptable en 2023, ce qui a conduit, toutes choses égales par ailleurs, à une dégradation de 0,2 point de PIB du solde l’an dernier. Le solde de 5,5 % correspondait en réalité à un solde de 5,3 % dans le système antérieur.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Pour les collectivités, s’agit-il de dépenses d’investissement ou de fonctionnement ? Pourquoi leur augmentation n’a-t-elle pas pu être anticipée ?

Mme Mélanie Joder. La dégradation des finances des collectivités locales est liée au fonctionnement et aux investissements, lesquels répondent à une dynamique cyclique en fonction des élections municipales. Nous sommes au point haut d’un cycle, qui a été plus ample que ce que l’on avait estimé, notamment au moment du programme de stabilité. Ce cycle électoral est probablement dynamisé par le fait que les collectivités ont accumulé beaucoup de trésorerie pendant la crise sanitaire et qu’il y a peut-être un effet retard et une accélération pour le rattraper.

Les dépenses de fonctionnement sont elles aussi très dynamiques, notamment les dépenses de personnel, en volume et en niveau de rémunération. Alors que le gouvernement avait l’objectif, assez volontariste et ambitieux, de diminuer les dépenses de fonctionnement de 0,5 point en volume, celles-ci nous ont surpris à la hausse. C’est pour cela que nous avons proposé, dans le PLF 2025, des articles visant à créer une possibilité de maîtrise de la dépense locale, notamment grâce à un mécanisme de mise en réserve de ces dépenses et de ralentissement sur l’année en cours.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Considérez-vous que la hausse des reports de charges à des niveaux substantiellement plus élevés depuis la crise sanitaire gêne la budgétisation initiale et peut brouiller vos prévisions ?

Avez-vous eu des contacts avec vos homologues au Royaume-Uni ou en Allemagne, étant donné qu’ils ont également connu des difficultés de prévisions ces deux dernières années ?

Mme Mélanie Joder. Le niveau des reports de crédits d’une année sur l’autre crée une difficulté supplémentaire, non pas tant pour la budgétisation – cela la facilite presque – que pour le suivi de l’exécution, dans la mesure où il est très difficile d’estimer le volume de consommation. Jusqu’à la crise sanitaire, il y avait à peu près 3 milliards d’euros de reports entrants en début d’année et 3 à 4 milliards d’euros de reports sortants en fin d’année. Les reports n’étaient pas un sujet, étant donné qu’ils se neutralisaient. La donnée intéressante en matière de prévisions, c’est de savoir combien de milliards d’euros seront consommés en plus sur ces reports au cours de l’année. Or nous avons quelques difficultés à les estimer. C’est pourquoi nous essayons de conduire une politique de ralentissement de ces reports pour essayer de les limiter. Elle a déjà porté ses fruits, puisque nous les avons diminués de plus d’un tiers au cours des trois dernières années. Ce n’est sans doute pas suffisant mais cela représente déjà un effort substantiel.

Il est toujours intéressant de constater que nos difficultés sont aussi celles de nos homologues, en particulier européens, que nous rencontrons régulièrement, notamment dans le cadre des travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les Allemands comme les Anglais ont eu les mêmes difficultés que nous en matière de prévision des recettes, ce qui est assez instructif : nos modèles de prévision sont peut-être un peu perturbés en cette période de crise. Par ailleurs, les Allemands rencontrent aussi des difficultés de pilotage de la dépense, pour des raisons peut-être un peu différentes des nôtres. Toujours est-il que l’on constate que les difficultés sont partagées dans l’espace européen, après une période de crise qui a représenté un point haut de la dépense publique. De nombreux pays, dont la France plus particulièrement, font face à un effet cliquet.

M. le président Éric Coquerel. Vous dites que vous avez fait passer plusieurs notes d’alerte sur l’évolution des budgets. Avez-vous l’impression que ces notes d’alerte ont été prises en considération ?

Mme Mélanie Joder. Oui, monsieur le président. Nos propositions de ralentissement de la dépense ont été lues attentivement par les ministres et prises en considération, au moins en partie.

M. le président Éric Coquerel. Vous dites que, dans la période intermédiaire, vous avez travaillé sur l’hypothèse de déficit du dernier programme de stabilité, une hypothèse que vos notes infirmaient pourtant de manière évidente. Comment peut-on continuer à travailler sur une hypothèse que tout le monde sait caduque ?

Mme Mélanie Joder. La situation était un peu plus complexe. Nous travaillons sur la base de la dernière hypothèse de déficit public, mais nous recevons aussi mensuellement des informations complémentaires sur l’encaissement des recettes. Tous les mois, nos collègues de la DGFIP nous transmettent des évaluations sur les principaux impôts. Nous savions que l’encaissement des recettes était sans doute encore plus ralenti que ce que nous avions estimé ; c’est pourquoi nous avons essayé de documenter un maximum d’économies en dépenses pour essayer de compenser, au moins en partie, ces pertes de recettes et de ne pas trop détériorer l’objectif de solde.

M. le président Éric Coquerel. Entre la voie réglementaire et le PLFR, Bruno Le Maire n’avait pas caché sa préférence pour ce dernier. Avez-vous eu vent des interrogations du ministre sur ces questions ?

Mme Mélanie Joder. Les ministres travaillent en étroite relation avec les directions de Bercy. Nous avons donc étudié cette hypothèse avec M. Le Maire et M. Cazenave.

M. le président Éric Coquerel. Qu’en pensait la direction du budget ?

Mme Mélanie Joder. Elle y était favorable, parce que cette hypothèse permettait de définir des mesures de nature fiscale, plus larges donc que le seul champ d’action en dépenses. Ce n’est pas l’hypothèse qui a été retenue et nous nous rangeons naturellement à la décision politique.

M. le président Éric Coquerel. La parole est aux orateurs des groupes.

M. José Gonzalez (RN). Nous faisons face à un dérapage budgétaire alarmant, qui soulève de nombreuses questions. La dérive des finances publiques a été non seulement incontrôlée mais certainement connue, tolérée et passée sous silence pendant trop longtemps, peut-être sous la pression de consignes, comme vous l’avez fait remarquer tout à l’heure, monsieur le président. Cette gestion financière défaillante menace directement la stabilité de notre pays et, pis encore, frappe en priorité les Français les plus modestes, ceux qui subissent déjà de plein fouet la hausse des prix de l’énergie et des biens de première nécessité ou la dégradation de certains services publics.

Madame la directrice, comment en est-on arrivé à une telle situation ? Le gouvernement a-t-il été clairement alerté ? Par quels moyens ? Pourquoi rien n’a été fait pour l’endiguer plus tôt ? Les mesures d’ajustement prises étaient-elles insuffisantes ? Dans un État qui dispose pourtant d’outils d’analyse et de prévision financières robustes, devons-nous remettre en question nos modes de calcul et de suivi ? Ces outils sont-ils suffisamment pertinents pour détecter et alerter en temps utile ? Si oui, pourquoi ces signaux n’ont-ils pas été perçus ? Nous attendons aujourd’hui des réponses claires et précises sur les responsabilités mais aussi des solutions pour garantir que jamais plus une telle dérive ne puisse se produire.

Mme Mélanie Joder. Les directions de Bercy ont alerté les ministres et leurs cabinets, dès qu’elles ont eu connaissance des moindres encaissements de recettes. Des notes sur ces encaissements remontent à échéances très régulières. L’information est fluide et les alertes ont été passées.

Les mesures ont également été prises pour ralentir la dépense. Notre difficulté, c’est que, en cours de gestion, c’est essentiellement sur le budget de l’État que l’on peut ralentir la dépense de manière efficace et que nous n’avions pas vraiment d’autre levier : nous sommes allés au maximum de ce qu’il était possible de ralentir. En revanche, nous n’avons pas pu prendre de mesures sur les collectivités territoriales. Nous en avons pris quelques-unes, d’une moindre ampleur, sur les administrations de sécurité sociale.

Quant à savoir si cela ne peut pas se reproduire, nous espérons continuer à fiabiliser les modèles prévisionnels et aller au bout de l’analyse. C’est pour cela qu’un comité scientifique, réuni par les ministres, est à l’œuvre pour nous aider à affiner les modalités de la prévision. Nous souhaitons mener, dans les prochains mois, un travail continu d’amélioration de la prévision. Gardons cependant en tête que les aléas sont inhérents à tout exercice de prévision et que l’on ne pourra jamais aboutir à un chiffre parfaitement précis et définitif.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Avant tout, je voudrais saluer le travail des hauts fonctionnaires de Bercy. Je ne suis pas sûr que les diatribes des uns et des autres permettent d’approcher la vérité que nous cherchons tous.

Si les années 2023 et 2024 ont apporté de mauvaises surprises, quelle est la moyenne des écarts ces dix dernières années ? Je rappelle que notre commission ne fait pas le procès d’une politique économique. L’objectif de l’enquête est bien de travailler sur les écarts par rapport aux prévisions et non pas sur la valeur absolue des différents chiffres.

S’agissant des collectivités territoriales, vous nous avez dit qu’en l’absence d’outils, comme les contrats de Cahors, nous n’étions pas capables de piloter leurs dépenses. À vous entendre, elles sont pourtant responsables d’une grande part de l’écart en 2024. Les collectivités territoriales nous disent, quant à elles, qu’elles ne font pas de déficit. Entendez-vous par déficit le fait qu’elles outrepassent leur capacité d’autofinancement ?

La dégradation continue en 2024 peut-elle aussi s’expliquer par des phénomènes macroéconomiques exogènes ?

Mme Mélanie Joder. Sur les dix dernières années, la moyenne des écarts s’élève en valeur absolue à 5,3 milliards d’euros. Huit années sur dix, ils sont plutôt à la hausse, témoignant de prévisions plutôt prudentes. Ils sont à la baisse en 2016 – à hauteur de 1,2 milliard d’euros – et en 2023 – à hauteur de 7,7 milliards d’euros. Ce constat permet de relativiser et de souligner que nous n’avons pas de biais systématique dans les prévisions. Il faut aussi noter que nous avions eu, lors de la précédente grande crise financière, des écarts très substantiels par rapport à la LFI : ils étaient de l’ordre d’une trentaine de milliards d’euros en 2009. Ce n’est donc pas la première fois que nous avons des difficultés à prévoir les recettes à la suite d’une crise financière. C’est même relativement logique.

J’en viens à la question importante des collectivités territoriales. Même si leurs budgets, pris un par un, sont équilibrés par section, un déficit existe bien au sens de la comptabilité nationale, notamment parce qu’elles peuvent consommer de la trésorerie pour financer des investissements. Les écarts avec la prévision dans la loi de finances initiale pour 2024 ont été assez substantiels. Le déficit était estimé à 0,2 % du PIB, contre 0,7 % dans le PLFG, c’est-à-dire en novembre. C’est un chiffre historiquement très dégradé pour les collectivités : elles sont d’habitude beaucoup plus proches de l’équilibre. Leurs dépenses ont très fortement accéléré à la fois en investissement et en fonctionnement, mais l’écart s’explique aussi par de moindres recettes locales.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Vous avez évoqué l’environnement extérieur. Dans quelle mesure les éléments exogènes ont-ils joué défavorablement ?

Mme Mélanie Joder. Nous avons révisé l’hypothèse de croissance, qui était de 1,4 % lors du dépôt du projet de loi de finances. Elle a été ramenée en février à 1 %. Deuxième élément macroéconomique important, l’inflation a ralenti plus rapidement que prévu initialement. C’était en soi une bonne nouvelle pour l’économie, mais pas nécessairement pour les recettes fiscales, notamment parce que les recettes de TVA ralentissent lorsque l’inflation fait de même. Par ailleurs, du point de vue des dépenses de l’État, l’année 2024 a été marquée par beaucoup d’événements inattendus lors du dépôt du projet de loi de finances initiale, comme les dépenses générées par les émeutes en Nouvelle-Calédonie et au besoin lié à la reconstruction qui a suivi, les dépenses supplémentaires liées aux Jeux olympiques, non pas du fait de leur organisation, parfaitement bien tenue, mais des dépenses de sécurisation qui ont été plus importantes que prévu. Des dépenses supplémentaires ont également résulté de l’organisation des élections législatives qui, par définition, n’avaient pas été budgétées et des crises agricoles, qui ne l’avaient pas totalement été. Nous avons dû prendre en compte en cours de gestion ces événements non anticipables.

Mme Estelle Mercier (SOC). Vous datez les premières alertes de la fin décembre 2023, lorsque vous dites avoir constaté un moindre encaissement de recettes de prélèvements obligatoires 20 milliards d’euros. Rassurez-moi sur un point : je suppose que le ministre dispose d’un tableau de bord au moins mensuel, voire hebdomadaire ou quotidien. Ce moindre encaissement n’a donc pas été découvert à la fin de l’année 2023 : une tendance s’était dessinée en cours d’année, n’est-ce pas ?

Mme Mélanie Joder. La dégradation des recettes fiscales n’a été vraiment constatée qu’en fin d’année. Le décaissement a été relativement soudain. Les tout premiers signaux se sont matérialisés à partir du mois d’octobre, mais ils se sont surtout confirmés en novembre et en décembre. Les ministres reçoivent une note mensuelle de la DGFIP sur l’encaissement des principales recettes fiscales. Ils sont aussi destinataires, bien sûr, de documents mensuels de suivi, qui sont rendus publics par la direction du budget – c’est ce que nous appelons la « Situation mensuelle du budget de l’État ». Nos collègues de la DGFIP produisent aussi une « Situation hebdomadaire » qui est transmise aux ministres et à leur cabinet. Il me semble qu’assurer un suivi quotidien des recettes et des dépenses n’aurait pas grand sens. Même le suivi hebdomadaire est, objectivement, très souvent difficile à lire : vous pouvez avoir, par exemple du côté des dépenses, des décalages d’une année sur l’autre qui sont simplement liés à des décalages de versement et qui n’ont pas beaucoup de signification en eux-mêmes. S’agissant des recettes, la variabilité d’un mois sur l’autre n’est pas forcément lisible tout de suite : elle ne peut pas nécessairement être analysée. C’est lorsque des tendances se confirment sur plusieurs mois qu’on peut vraiment être certain de l’existence d’une amélioration ou au contraire d’une dégradation des recettes.

Mme Estelle Mercier (SOC). Je vous remercie. Vous confirmez donc que les ministres ont une information mensuelle sur l’exécution budgétaire.

Lors de son audition par le Sénat, le 7 novembre, Bruno Le Maire a contesté la trajectoire suivie par le gouvernement, qui a conduit à fixer le déficit à 6,1 % du PIB. Il a estimé que le déficit aurait dû être de 5,5 %. Un accroissement aussi important en trois mois est-il crédible ?

Mme Mélanie Joder. Comme je l’ai indiqué, une dégradation très substantielle de l’estimation du solde s’est produite entre le dépôt du programme de stabilité et celui du PLF pour 2025, en lien avec plusieurs facteurs, certains macroéconomiques – la croissance et l’inflation –, et d’autres vraisemblablement externes, peut-être en partie liés, aussi, à un changement de l’environnement économique, donc à la pertinence de nos modèles – mais des travaux sont en cours à ce sujet dans l’ensemble des administrations de Bercy.

Mme Estelle Mercier (SOC). Bruno Le Maire a affirmé, lors de la même audition, qu’il ne prenait pas les décisions finales concernant les arbitrages budgétaires. Cette affirmation m’a tout de même surprise. Pouvez-vous nous dire à qui incombent ces arbitrages ? Si ce n’est pas au ministre de l’économie, est-ce aux services ?

Mme Mélanie Joder. Il faut distinguer les recettes et les dépenses.

S’agissant des recettes fiscales, ce sont bien les directions qui, de manière indépendante, et sans intervention de la part des ministres ni de leur cabinet – vos propos sont tout à fait exacts –, font des prévisions techniques sur les encaissements, dans le cadre d’une définition de la croissance qui est arrêtée avec le ministre. S’ajoutent à cela des mesures nouvelles, correspondant à des dispositions fiscales qui sont, bien entendu, choisies par les ministres. Il faut vraiment faire une différence entre ce qu’on peut appeler une tendance d’encaissement des recettes et les mesures nouvelles décidées par le pouvoir politique, ce qui est bien normal.

Pour ce qui est des dépenses, de la même manière, les différentes directions proposent un tendanciel qui, généralement, n’est pas remis en cause techniquement, parce que c’est précisément un travail simplement technique qui a lieu entre les ministères et la direction du budget. Il faut ensuite prendre en compte des mesures nouvelles qui sont éventuellement à financer si un ministère veut mettre en place une nouvelle politique publique, ainsi que des mesures d’économies. Ces éléments correspondent à des choix et font l’objet d’arbitrages interministériels : ils sont à la main du gouvernement.

Mme Estelle Mercier (SOC). Donc des ministres.

Vous avez parlé des collectivités territoriales. Je suis très curieuse de savoir comment sont faites les estimations concernant leurs dépenses, notamment pour 2024. Nous savions que les collectivités avaient subi, dès 2022 et 2023, des taux d’inflation très élevés, pour leurs dépenses de fonctionnement, mais pas seulement. L’inflation était de presque 12 % pour le « panier du maire » et de quasiment de 15 % pour les marchés et les travaux d’investissement ou encore les matériels. Vous avez parlé de dérapage, mais comment pouvait-on ne pas prévoir, en 2024, que les montants des dépenses des collectivités locales, en fonctionnement et en investissement, allaient augmenter, non en volume mais en valeur ?

Mme Mélanie Joder. Nous avions prévu une accélération des dépenses des collectivités locales, malgré une légère baisse par rapport au niveau de l’inflation. C’est l’ampleur de l’accélération qui n’a pas totalement correspondu aux estimations. Ces estimations – mon collègue de la direction générale du Trésor pourra vous l’expliquer plus précisément –reposent, d’une part, sur le positionnement dans le cycle d’investissement des collectivités locales et, d’autre part, pour les dépenses de fonctionnement, sur un modèle de prévision, puis sur des remontées mensuelles relatives à l’exécution des dépenses qui permettent d’affiner la prévision au fil de l’année.

Mme Véronique Louwagie (DR). Je reviens sur les écarts par rapport aux prévisions en ce qui concerne les encaissements en 2023. Vous avez répondu que vous aviez des indications à partir du mois d’octobre de cette année-là. Nous examinions alors le projet de loi de finances pour 2024 : l’idée de modifier les hypothèses de construction de ce budget est-elle apparue ?

Mme Mélanie Joder. Si nous avions de toutes premières tendances en octobre, nous n’avons vraiment pu constater une évolution qu’en novembre et en décembre. La première alerte est remontée au ministre par une note du 7 décembre 2023. Nous nous sommes d’abord posé une question pour l’année en cours, mais le PLFG était déjà adopté par le Parlement et il n’était donc plus possible de corriger les éléments concernant les recettes. Par ailleurs, nous n’avions pas encore, en décembre, de chiffres concernant l’impact sur les prévisions de recettes en 2024. Ces éléments ont fait l’objet d’une analyse au début de l’année suivante dans le cadre des travaux de la direction générale du Trésor sur le budget économique d’hiver. Nous ne disposions pas, au mois de décembre 2023, d’évaluations suffisamment robustes sur l’impact des moindres encaissements en 2024. C’est pour cette raison que le PLF n’a pas été amendé. Nous avions d’ailleurs recommandé au ministre de ne pas tenir compte de cette question à ce stade.

Mme Véronique Louwagie (DR). Si je comprends bien, vous n’aviez pas suffisamment d’éléments et vous n’avez donc pas pris en compte les diminutions de recettes à la fin de l’année 2023. Avez-vous ou non formulé auprès du ministre une hypothèse consistant à modifier, à ce stade, la LFI pour 2024 ? Il serait intéressant d’avoir une réponse précise.

Mme Mélanie Joder. Non, nous n’avons pas fait cette proposition, car nous n’avions pas de chiffrage de l’impact en 2024.

Mme Véronique Louwagie (DR). Je reviens sur le dynamisme des dépenses de fonctionnement. Vous n’aviez plus, dites-vous, d’instrument de pilotage. Il est vrai, néanmoins, que certaines décisions ont eu un impact sur les dépenses des collectivités territoriales, comme l’augmentation, de 1,5 %, de la valeur du point d’indice au 1er juillet 2023 ou d’autres évolutions, relatives aux dépenses sociales des départements, par exemple en matière d’AAH – allocation aux adultes handicapés – et de mineurs non accompagnés, ainsi que la prime Ségur. Avez-vous pu mesurer globalement l’impact de l’évolution de ces dépenses liées à des décisions prises au niveau de l’État ?

Mme Mélanie Joder. Ces éléments liés aux mesures nouvelles sont globalement pris en compte dans l’estimation de la dynamique de la dépense locale, mais je ne sais pas vous répondre plus précisément car ce n’est pas ma direction qui fait les prévisions dans ce domaine.

Mme Véronique Louwagie (DR). Vous avez indiqué, dans votre propos liminaire, que vous étiez préoccupée par les écarts constatés. On peut comprendre qu’il en existe, car faire des prévisions est très difficile ; mais quelles sont les pistes d’amélioration ? Quels outils pouvez-vous utiliser ? Par ailleurs, peut-on corriger plus tôt les prévisions ?

J’aimerais également avoir votre avis sur l’impact du cinquième acompte d’impôt sur les sociétés, qui pose à chaque fois une difficulté en matière de variabilité. On sait que les entreprises procèdent à des ajustements. Aurait-on intérêt à modifier le dispositif ?

Mme Mélanie Joder. Tant que la législation restera inchangée, l’incertitude sur l’impact du cinquième acompte sera très forte jusqu’au début de l’année suivante. C’est inhérent à la mécanique de cet impôt. Faut-il le faire évoluer ? La décision ne m’appartient pas, mais c’est effectivement une option. Il serait également possible, sans le faire évoluer, de renforcer les obligations déclaratives des entreprises suffisamment en amont. D’un autre côté, cela créerait des contraintes supplémentaires. Il faudrait vraiment peser les avantages et les inconvénients.

Nous sommes en train de travailler sur une amélioration des prévisions. Mon propos ne consistait pas à dire que tout était parfait et que rien ne pouvait être amélioré. Des travaux sont au contraire en cours. Une mission de l’Inspection générale des finances formulera des recommandations et des économistes nous aident, dans le cadre d’un comité scientifique, à questionner la manière dont nous travaillons et éventuellement les modèles de prévision. Nous examinerons toutes les propositions avec beaucoup d’attention, pour essayer de les mettre en œuvre le plus rapidement possible.

La direction du budget ne fait pas de prévisions, comme je l’ai expliqué, mais elle est responsable de l’assemblage du tout et de sa présentation au Parlement. Nous serons aussi très attentifs à toutes les propositions qui permettront d’améliorer la transparence et la contestabilité de nos prévisions. Il faut accepter de rendre publiques nos données, ou en tout cas certaines d’entre elles, afin que le monde universitaire, le monde de la recherche, notamment, puisse travailler sur elles et qu’un dialogue soit possible avec ces acteurs – pour l’instant, il n’est objectivement pas très fourni. Des améliorations sont possibles dans ce domaine.

M. le président Éric Coquerel. S’agissant de la LFI pour 2024, vous dites que vous n’aviez pas, fin 2023, de prévisions pour l’année suivante. Vous en aviez néanmoins pour 2023. Les notes de service de Bercy faisaient état, le 30 octobre, d’une alerte sur un fort risque de dégradation des recettes d’IR et de TVA ; le 27 novembre, d’une confirmation de probables moins-values ; le 1er décembre, de premières remontées sur la TVA de novembre toujours mauvaises et d’un risque que les recettes d’IS soient plus faibles que prévu ; le 7 décembre, d’une première évaluation du déficit supérieure aux estimations antérieures ; le 13 décembre, enfin, une note des ministres à la première ministre précisait qu’une partie des moins-values de recettes fiscales prévues pour 2023 aurait également une répercussion sur 2024.

À partir du moment où vous vous aperceviez que les prévisions pour 2023 étaient optimistes par rapport à ce qui était en train de se dessiner, n’étiez-vous pas en mesure de vous dire, alors que nous étions en train de discuter de la loi de finances, que la même chose risquait de se passer en 2024 ?

Mme Mélanie Joder. J’insiste sur un point qui peut paraître un détail mais qui me paraît important : la prévision n’était pas optimiste ; une dégradation relativement rapide et inattendue de l’environnement macroéconomique en fin d’année s’est produite et elle a abouti à une détérioration en matière d’encaissement des recettes. Cela a porté à notre connaissance le fait que des risques importants pesaient sur 2024. Je ne peux pas dire que nous ne le savions pas : il était assez évident qu’il y aurait un impact sur 2024 mais, en vue de pouvoir déposer des amendements au PLF pour 2024, il aurait fallu être en mesure de quantifier précisément l’effet. On ne peut pas simplement dire à l’Assemblée ou au Sénat qu’il existe un risque et que l’environnement va évoluer ; encore faut-il être capable de l’évaluer, recette fiscale par recette fiscale. Ce travail sur l’année 2024 n’avait pas encore été conduit par les différentes directions de Bercy et c’est pourquoi le PLF n’a pas été amendé en décembre 2024.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Merci pour tous les éléments que vous avez présentés, dans votre propos liminaire comme dans vos différentes réponses. Nous arrivons déjà à mieux cerner les caractéristiques des variations qui ont été constatées, aussi bien pour les recettes que pour les dépenses, et qui expliquent la dégradation continue de la situation budgétaire. Nous comprenons qu’une situation imprévue, c’est-à-dire un événement qui se produit soudainement et de manière inattendue, ne fait pas l’objet d’une planification opérationnelle. Ce qui nous a frappés, en revanche, c’est qu’alors qu’il était perceptible que la situation se dégradait, on a peut-être laissé filer les choses, si vous me permettez cette expression. Vous avez dit qu’il était difficile de quantifier le risque. De quelle façon avez-vous donné l’alerte, tout en gardant un équilibre avec la prudence nécessaire et peut-être aussi compte tenu de l’impossibilité dans laquelle vous étiez de proposer des solutions ?

Mme Mélanie Joder. Au moment où les alertes sur les recettes sont remontées, au début du mois de décembre 2023, vers le 7, les possibilités d’action sur l’année en cours étaient de fait extrêmement réduites. Nous étions à deux semaines, environ, de la date de la fin de gestion pour le budget de l’État : il était quasiment impossible d’intervenir pour freiner la dépense. Nous allons néanmoins essayer de le faire en pilotant un peu à la baisse certains crédits ministériels, mais nous n’avions plus vraiment de moyens de ralentir davantage la dépense. Nous avons bien adressé des alertes par différentes notes, qui sont remontées, et nous avons ensuite conduit des travaux au début de l’année 2024 avec les différentes directions de Bercy pour affiner le chiffrage de la dégradation des recettes et en tirer les conséquences. C’est dans le cadre du début de gestion que de premières mesures ont été prises, dès le mois de février.

M. Didier Padey (Dem). Utilisez-vous l’intelligence artificielle pour vos prévisions ? Je pense que vous avez un peu perdu confiance en elles : qu’avez-vous prévu pour éviter que la situation se reproduise en 2025 ? Les indicateurs ne sont pas très bons et je n’ai pas l’impression que vous ayez réglé le problème.

Mme Mélanie Joder. Cette crise de confiance nous interpelle effectivement. Nous menons en ce moment des travaux approfondis pour essayer d’améliorer la qualité des prévisions au sein des directions. Des propositions sont en cours d’élaboration avec l’IGF et un comité scientifique. Elles doivent déboucher sur un plan d’action précis que nous souhaitons mettre en œuvre dès 2025.

Quant à l’intelligence artificielle, je ne sais pas répondre en ce qui concerne les modèles de prévision – il faudra poser la question aux prévisionnistes de Bercy, que vous pourrez auditionner. Nous faisons, pour notre part, pas mal de travaux à la direction du budget pour essayer d’utiliser l’intelligence artificielle à d’autres fins. Nous l’utilisons, par exemple, pendant le débat parlementaire pour classer les amendements que vous proposez, pour les trier rapidement par domaines de politiques publiques. Nous employons des modèles d’intelligence artificielle afin de répartir très rapidement les amendements entre les bureaux, qui sont organisés politique publique par politique publique au sein de la direction du budget, et de préparer des réponses pour le dossier du ministre, qui doit être constitué dans des délais très serrés. Cela nous fait beaucoup gagner en efficacité et en productivité, mais cela ne concerne pas directement les évaluations de recettes.

Mme Félicie Gérard (HOR). Le groupe Horizons & indépendants salue la création de cette commission d’enquête qui répond à une exigence de transparence et de clarification des écarts significatifs observés entre les prévisions fiscales et budgétaires et la réalité des recettes ces dernières années. Cette commission d’enquête, qui entre pleinement dans la mission de contrôle incombant aux parlementaires, permettra de mieux comprendre et surtout de mieux prévenir de telles fluctuations dans le cadre de nos travaux budgétaires en cours et futurs.

Nous le savons tous, la situation budgétaire actuelle est très dégradée. L’incapacité de prévoir de manière précise les recettes remet évidemment en cause l’équilibre des lois de finances et fait peser un risque important d’aggravation du déficit et de la dette de l’État. Nos modèles de prévision sont a priori obsolètes. Compte tenu de votre analyse des deux dernières années, quelles modifications précises doivent être apportées au modèle de prévision des recettes de l’État pour limiter les aléas ?

Mme Mélanie Joder. Comme je l’ai indiqué, la direction du budget ne fait pas, elle-même, de prévisions. Elle assure surtout la synthèse et la bonne organisation du processus de prévision des recettes. Nous coordonnons les travaux de nos collègues des autres directions de Bercy pour la préparation du PLF. Je ne puis donc répondre exactement au sujet des modèles de prévision, mais nous sommes très attachés à la transparence de tout ce que nous produisons, à la très bonne information du Parlement et, plus largement, des citoyens, ainsi qu’à la contestabilité de nos modèles de prévision. C’est pour cela que nous avons fait beaucoup d’efforts, au cours des dernières années et des derniers mois, pour mettre davantage de données en ligne, notamment des données publiques issues de la documentation budgétaire, dans des formats réutilisables par des chercheurs ou des étudiants, et qui permettent d’organiser des travaux sur nos propres missions.

Mme Félicie Gérard (HOR). Je n’ai pas de doutes sur votre transparence, mais il n’y aurait donc aucune amélioration possible pour les prévisions.

Mme Mélanie Joder. Si : je ne suis pas en train de dire qu’il n’existe pas d’améliorations possibles. Les résultats montrent, par ailleurs, qu’elles sont nécessaires, nous ne le contestons pas du tout. Des travaux sont en cours au sein des directions de Bercy, notamment une mission de l’Inspection générale des finances qui formulera des propositions pour améliorer le processus de prévision des recettes fiscales. Un comité scientifique composé de neuf économistes très qualifiés dans ce domaine nous aidera par ailleurs à formuler des propositions que nous souhaitons mettre en œuvre rapidement. L’objectif est bien d’améliorer la qualité des modèles de prévision, donc, in fine, la qualité de la prévision.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Ma première question porte sur le cadrage macroéconomique. Quelle est l’influence de la direction du budget sur les choix en la matière, qui en principe remontent au cabinet ? Avez-vous eu une influence, tant en 2023 qu’en 2024 ?

Mme Mélanie Joder. La direction du budget n’a aucune influence dans ce domaine. Le cadrage macroéconomique est proposé par la direction générale du Trésor et arrêté par les ministres.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Nous avons eu ce matin les dernières estimations pour les différents blocs – administrations publiques centrales, administrations publiques locales et administrations de sécurité sociale.

S’agissant des administrations de sécurité sociale, on constate en 2024 un dérapage de 15 milliards par rapport au programme de stabilité et une augmentation de 38 milliards par rapport à 2023. Quel a été le rôle joué par la direction du budget ?

Pour ce qui est des collectivités locales, contrairement à ce que nous ont expliqué les ministres, le dérapage n’est pas de 16 milliards d’euros, mais de 10 milliards par rapport à des hypothèses fantaisistes qui consistaient à prévoir que les dépenses de fonctionnement des collectivités n’augmenteraient pas de plus de 1,8 % en 2024. Avez-vous eu une influence sur le choix de cette prévision de 1,8 % ? On était, vous l’avez évoqué, à 2,3 %, mais le gouvernement a dit qu’il prendrait comme hypothèse 1,8 %. Quant à l’investissement, l’hypothèse retenue était de 7,8 %. Nous en sommes non pas à 15 %, comme on nous l’a expliqué, mais, selon les dernières statistiques, à 9,9 %. Cela signifie un dérapage de 10 milliards par rapport à des prévisions totalement irréalistes, et de 3 ou 4 milliards, pas plus, par rapport à des hypothèses réalistes.

Reste l’État. On nous dit que la direction du budget a bien tenu les dépenses publiques. Or elles sont de 655 milliards d’euros au lieu de 639 milliards dans le programme de stabilité, soit 15 milliards supplémentaires – et 8 milliards de plus par rapport à l’année précédente. Pouvez-vous nous donner des explications sur le dérapage du côté des dépenses ?

Mme Mélanie Joder. Le bureau des comptes sociaux de la direction du budget travaille sur la dépense sociale en partenariat avec la direction de la sécurité sociale (DSS) du ministère chargé des affaires sociales. Il a pour rôle de faire une prévision générale et d’apporter des idées complémentaires d’économies dans le processus d’arbitrage qui aboutit au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), comme le font la direction de la sécurité sociale et les autres directions du ministère des affaires sociales.

La dépense supplémentaire est effectivement importante par rapport au programme de stabilité. Elle est en partie liée à des dépenses supplémentaires de l’Ondam, mais également à d’autres sous-secteurs de la dépense des administrations de sécurité sociale (Asso), dont la pilotabilité est plus réduite que celle de l’Ondam.

En ce qui concerne les collectivités territoriales, je ne qualifierais pas l’hypothèse de fantaisiste mais plutôt de volontariste. Nous sommes restés sur l’hypothèse de la loi de programmation des finances publiques, c’est-à-dire celle d’une inflation minorée de 0,5 %, en estimant que les collectivités territoriales devaient participer à l’effort collectif de redressement des comptes publics, qui ne peut être uniquement fait par l’État car sa dépense a déjà été pas mal resserrée. Je suis persuadée que nous devons partager les efforts entre les différents sous-secteurs, y compris les collectivités territoriales.

Nous n’avons toutefois pas réellement d’instrument de pilotage en dehors d’un dialogue général. Le premier ministre avait réuni le Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL) pour associer les associations d’élus au pilotage des finances publiques et dialoguer avec eux. Dans ce cadre, la direction du budget a notamment pour mission de proposer aux ministres différents leviers de pilotage. Nous avons ainsi proposé dans le cadre de la préparation du PLF pour 2025 toute une palette d’instruments de différente nature : des instruments contractuels, des instruments portant sur les versements de l’État aux collectivités territoriales et des instruments de modération de la dépense. Plusieurs de ces mesures ont été introduites au moment du dépôt du PLF pour 2025.

En ce qui concerne l’État, les chiffres auxquels vous faites référence ne sont pas ceux que je mentionnais sur le périmètre des dépenses de l’État : ils portent sur l’ensemble des dépenses de l’État, notamment celles des organismes divers d’administration centrale (Odac). Le dynamisme de ces dépenses s’explique par des remboursements et des dégrèvements, par l’accroissement de la charge de la dette au cours des deux dernières années lié à l’inflation en 2022 et 2023 et à l’effet de la hausse sensible des taux. Les chiffres que j’ai mentionnés concernaient la part pilotable des dépenses de l’État.

M. Charles de Courson, rapporteur général. L’évolution mensuelle des trois principaux impôts pour l’année 2024 – je n’ai pas trouvé celle concernant 2023 – montre que le dérapage de la TVA par rapport à vos prévisions annualisées commence dès la mi-janvier et se poursuit de façon constante. Vous avez annoncé avoir constaté un écart de 1,4 milliard d’euros par rapport aux prévisions, soit un total de 6 milliards en moins pour un impôt qui rapporte un peu plus de 200 milliards.

On constate sur ce même document le décrochage de l’impôt sur le revenu à partir de juillet, qui se poursuit lui aussi de façon constante après cette date.

Pour l’impôt sur les sociétés (IS), ce n’est plus un décrochage, c’est un plongeon ! Un écart considérable entre vos prévisions des acomptes et la réalisation peut être observé dès le mois de juillet. Son estimation pour 2024 est 74 milliards d’euros alors que le produit pour 2023 a été de 58 milliards. Comment, alors que le bénéfice des entreprises n’augmente pas, un tel produit peut-il être prévu ? Quel est votre rôle dans ces prévisions ? Aux dernières nouvelles, le produit pour 2024 devrait s’établir aux alentours de 57 milliards.

Mme Mélanie Joder. Les informations que je vous ai données sur la TVA sont à jour à la fin octobre. Elles n’ont pas nécessairement de conséquences sur les mois de novembre et décembre et il ne faut donc pas reproduire le chiffre de moins-value pour ces mois puisque des variations mensuelles sont possibles.

Si les chiffres que vous mentionnez sont issus de la situation mensuelle budgétaire, il est logique de constater un écart puisque celle-ci est évaluée par rapport à la situation de l’année précédente et non par rapport à un profil d’encaissement. Je me permets d’insister : tout dépend de la référence, car les profils sont actualisés à chaque fois que le gouvernement présente un texte à l’Assemblée nationale.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Ce document a été adressé au président de la commission et au rapporteur général.

Mme Mélanie Joder. Ce sont des encaissements effectivement constatés par rapport à l’année précédente, il y a donc une dynamique.

Je ne puis vous répondre sur l’IS, car nous ne faisons pas de prévisions en propre, ni sur l’IS, ni sur les autres recettes. Nous nous contentons de coordonner le processus de prévision au sein de Bercy.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Vous avez dit ne pas disposer de suffisamment d’éléments en octobre 2023 pour pouvoir faire des propositions de modification du projet de loi de finances pour 2024, mais vous en avez fait pour le décret d’annulation de 10 milliards. Que s’est-il passé, entre le mois de novembre 2023 et le mois de janvier 2024, pour que vous disposiez d’informations en février 2024 vous permettant de faire des préconisations pour le décret d’annulation de 10 milliards ?

Mme Mélanie Joder. Des travaux ont été conduits par les directions de Bercy en début d’année 2024 pour effectuer des prévisions de recettes sur l’année 2024. C’est dans le cadre de ces travaux, notamment ceux conduits par la direction générale du Trésor dans le budget économique d’hiver, que nous avons pu fournir au ministre des estimations de détérioration des recettes fiscales. C’est bien en février que cela s’est passé.

Notre pilotage est en principe séparé pour les dépenses et les recettes. Par conséquent, même si la détérioration des recettes n’est pas complètement quantifiée et finalisée, nous pouvons prendre indépendamment des mesures en dépense. Généralement, nous ne faisons pas de lien direct entre les deux, sauf quand nous devons réagir dans l’urgence, comme cela a été fait en 2024. Nous sommes plus attachés aux soldes structurels que nous ne l’avons été encore récemment.

La décision de freiner la dépense à hauteur de 10 milliards d’euros a été prise dans le cadre d’un contexte de dégradation à la fois de l’hypothèse de croissance et des encaissements de recettes, mais sans nécessairement de lien direct avec les chiffres des recettes.

Mme Christine Arrighi (EcoS). La note que vous avez produite doit être consolidée, puisque vous nous avez dit ne pas faire de prévisions pour l’IS ; mais avec quelles directions ? Celles du Trésor et des finances publiques ? Qui donc a fait cette note consolidée d’alerte que vous ne pouviez pas faire en décembre et que vous avez faite en janvier pour le mois de février ?

Mme Mélanie Joder. Différentes notes remontent au ministre en début d’année. Nous avons produit, au mois de janvier avec nos collègues de la DGFIP, une évaluation du solde budgétaire 2023. Par ailleurs, la DGFIP, indépendamment de la direction du budget, remonte des estimations mensuelles sur les encaissements de recettes. Il y avait donc bien des informations supplémentaires en début d’année 2024, mais elles n’étaient pas produites directement par la direction du budget.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Si j’ai bien compris, il n’y a pas eu de note consolidée, mais une note de la direction du budget, une autre de la DGFIP et, probablement, une de la direction du Trésor. Il serait intéressant que ces notes nous soient communiquées.

Mme Mélanie Joder. La note de nos collègues de la direction générale du Trésor sur le budget économique d’hiver est remontée au ministre le 16 février. Ils l’ont transmise dans le cadre de la commission d’enquête. Il s’agit bien d’une note consolidée sur l’ensemble des administrations publiques avec une prévision de déficit. Elle est la référence pour cette période car elle donne les informations les plus complètes.

M. le président Éric Coquerel. La communication en a en effet été faite aux rapporteurs et au président.

Mme Christine Arrighi (EcoS). C’est donc à partir de cette note que la décision d’annulation des crédits a été prise. Selon quels critères et quelles modalités la direction du budget a-t-elle pris part aux arbitrages du décret d’annulation de février puis du surgel de l’autonome ?

Mme Mélanie Joder. Il faut distinguer la décision de prendre le décret d’annulation et les modalités de sa mise en œuvre. La direction du budget a participé à ces deux étapes.

Lors de la première étape, plusieurs réunions avec les ministres et leur cabinet ont été tenues pour décider du volume des annulations et du vecteur. Les ministres ont ensuite demandé à la direction du budget de préparer un décret d’annulation.

L’annulation de 10 milliards d’euros de crédits, deuxième étape, s’est faite sur la base des propositions de la direction du budget, mais aussi sur la base d’arbitrages interministériels, puisque le décret concernait les crédits de différents ministères. Certaines annulations étaient ciblées sur des volumes de dépenses – aide publique au développement ou MaPrimeRénov’, par exemple. Elles ont été complétées par des annulations transversales proportionnelles aux crédits des ministères, ce qu’on appelle un « rabot » : une proportion équivalente de crédits des ministères est annulée, sauf ceux qui concernent les dépenses obligatoires et les dépenses de personnel.

Lors d’une troisième étape, la direction du budget a fait un travail très fin avec les bureaux sectoriels et le réseau de contrôle rattaché à la direction pour identifier précisément, avec chaque ministère, les dépenses à annuler. Le décret doit en effet être mise en œuvre tout en s’assurant de la soutenabilité de la dépense. Notre rôle est alors très important pour éviter qu’un besoin en fin d’année oblige à rouvrir les crédits annulés dans la même quantité. L’annulation doit être efficace : elle doit être réalisable et soutenable pour les ministères.

Mme Christine Arrighi (EcoS). J’imagine que vous avez fait une note de préconisation pour ces annulations de crédit.

Comment expliquez-vous le surgel à l’automne ?

Mme Mélanie Joder. Nous avons effectivement transmis au ministre une note sur le projet de décret d’annulation. Nous avons ensuite travaillé sur la mise en œuvre sous la forme de travaux au cas par cas avec chaque ministère.

Pourquoi le décret a-t-il été insuffisant ? Le volume des reports entrants sur la gestion de 2024 était assez important, puisqu’il était d’environ 19 milliards d’euros avec une prévision de consommation d’une dizaine de milliards.

De manière globale et en pied de colonne, le décret d’annulation de février a compensé l’effet des reports entrants. Pour freiner encore davantage la dépense, comme cela s’est avéré nécessaire à partir du printemps, il a fallu prendre des mesures complémentaires, avec notamment le surgel et les plafonds de dépenses qui ont été notifiés au mois de juillet.

M. Gérault Verny (UDR). Le produit de l’IS est assez prévisible en raison de son mode de collecte qui impose le dépôt des liasses fiscales début mai pour les versions papier et le 18 mai pour les versions numériques. Dans ces conditions, l’écart colossal de 14 milliards d’euros observé par M. de Courson n’aurait-il pas dû être anticipé dès le mois de mai ?

Mme Mélanie Joder. Les prévisions du produit de l’IS se heurtent à une difficulté : le cinquième acompte net de l’autolimitation est estimé par les entreprises en fin d’année mais les encaissements sont constatés au printemps de l’année suivante. L’effet joue donc à n-1. Il y a une assez forte variabilité puisque les prévisions dépendent des comportements d’anticipation des entreprises, qui peuvent être beaucoup plus volatils que la situation réelle de l’économie nationale.

M. Gérault Verny (UDR). Permettez-moi d’insister, car les recettes constatées dans les liasses et qui seront versées en 2024 concernent l’activité de 2023.

Mme Mélanie Joder. Je ne peux malheureusement pas vous répondre en détail sur l’IS. Je vous invite à poser vos questions à ma collègue de la direction générale des finances publiques.

M. Gérault Verny (UDR). Je vais reformuler. Les entreprises déposent leurs liasses au mois de mai pour l’exercice de l’année antérieure, en tout cas celles dont l’exercice est clôturé le 31 décembre, soit la grande majorité. Vous disposiez donc dès le mois de mai 2024 d’une photographie très claire des recettes.

Mme Mélanie Joder. Certes, mais pour l’année 2023. Il y a donc un décalage d’un an, ce qui complique les choses.

M. Gérault Verny (UDR). La prévision de recettes de 72 milliards d’euros concerne l’activité de 2023.

Mme Mélanie Joder. La prévision du projet de loi de finances initiale pour 2024 était de 72 milliards d’euros. Elle a été révisée par le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 à 57,7 milliards d’euros et par le projet de loi de finances pour 2025 à 56,2 milliards d’euros.

M. Gérault Verny (UDR). Au mois de mai – donc juste avant la dissolution et en pleine campagne pour les élections européennes –, Bercy savait de manière très précise qu’il y avait un écart de perception de l’IS de 14 milliards d’euros, ce qui aurait dû, au moins, générer une information sur l’état réel des finances publiques.

Mme Mélanie Joder. L’information sur la détérioration des recettes de l’année 2024 a été donnée bien avant au ministre. Des estimations ont été faites dès le mois de février. Elles ont été reportées dans le programme de stabilité. La révision a bien été prise en compte au regard de l’analyse des liasses fiscales du printemps.

M. Gérault Verny (UDR). En juin, le Rassemblement national a demandé un audit des comptes pour évaluer la sincérité des chiffres de Bercy. Estimez-vous que toutes les informations avaient alors été données en amont ?

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Le programme de stabilité intègre, sauf erreur, une dégradation des recettes à hauteur de 30 milliards d’euros. Sa présentation a eu lieu en avril et les informations ont été transmises au Parlement.

Mme Mélanie Joder. Je le confirme. La révision à la baisse très substantielle faite au moment du programme de stabilité a bien pris en compte l’ensemble des informations disponibles à cette date.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux questions des autres députés.

Cet été, le gouvernement avait estimé que les finances des collectivités territoriales aggraveraient le déficit public à hauteur de 16 milliards d’euros. D’après les chiffres qui nous ont été donnés, ce serait 10 milliards au plus, vraisemblablement moins. Qu’est-ce qui, selon vous, a conduit à une telle annonce sur un chiffre bien commode pour expliquer le décrochage ?

Mme Mélanie Joder. Nos analyses sur les collectivités territoriales portent sur des chiffres issus d’une remontée mensuelle de la direction générale des finances publiques. Ces chiffres, qui donnent l’état des comptes au mois le mois, sont fournis par les comptables publics qui enregistrent les comptes des collectivités locales. Les variations peuvent être assez fortes d’un mois à l’autre. La dégradation était effectivement de 16 milliards d’euros au mois de juillet. Elle a été ramenée à 13 milliards d’euros. L’écart est donc plutôt à la baisse, mais je suis incapable de vous dire sur quels chiffres nous allons atterrir à la toute fin de l’année. Cela fait partie des postes sur lesquels l’incertitude demeure jusqu’à la clôture des comptes.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je m’intéresse aux dépenses structurelles. Entre 2010 et 2020, la charge de la dette a été divisée par deux, avec une baisse de 20 milliards d’euros, malgré une hausse du stock d’endettement, de près de 800 milliards d’euros. C’est l’inverse qui se passe à partir de 2020, avec un stock de dette qui augmente de près de 400 milliards d’euros et une charge de la dette qui augmente de 20 milliards d’euros. La charge de la dette passe structurellement d’environ 30 milliards d’euros à environ 60 milliards d’euros et ce changement est uniquement lié aux politiques de la Banque centrale européenne (BCE).

Ce changement, qui n’est pas exceptionnel, ne semble pas avoir été anticipé. Un dispositif de sortie des taux favorables de la BCE existait-il à Bercy ?

Mme Mélanie Joder. Nous avons connu dans les années 2010 un phénomène de croisement entre le volume de la dette et la charge de la dette, qui était en baisse. La charge de la dette a très sensiblement augmenté à partir de 2020 en raison de l’impact de l’inflation sur les obligations assimilables du Trésor indexées sur l’inflation (OATI) et, de façon plus générale et plus durable, de la hausse des taux. Ces éléments ont bien été pris en compte dans les prévisions du gouvernement.

Nous nous efforçons, à la direction du budget, de piloter les dépenses indépendamment de la charge de la dette. Nous fixons un périmètre des dépenses de l’État, tel qu’il est défini dans la loi de programmation des finances publiques. Il laisse la charge de la dette à l’écart, mais elle fait l’objet d’évaluations pour les dépenses en comptabilité nationale. Il nous semble important de pouvoir piloter la dépense, pour la stabiliser ou la baisser, sans tenir compte de la charge de la dette afin d’éviter tant des effets d’aubaine qui pourraient être recyclés en cas de baisse des taux qu’une pression à la baisse des dépenses de l’État, qui serait insoutenable en période de hausse des taux.

Nous conservons donc cet instrument de pilotage indépendamment de la charge de la dette, mais nous sommes évidemment aussi préoccupés par la hausse des volumes de charge de la dette, qui pèsent sur la dépense publique en général.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Excusez-moi, mais tout cela, c’est du blabla. Ma question était de savoir si un dispositif de sortie des taux bas de la BCE existait.

Vous dites que ces éléments ont été « pris en compte » par le gouvernement. Que voulez-vous dire par « prendre en compte », quand les rapports de la Cour des comptes indiquent systématiquement que, sur les trois années au cours desquelles les taux ont remonté et la charge de la dette a augmenté, il n’y a pas eu d’économies structurelles ?

Mme Mélanie Joder. À aucun moment l’hypothèse d’une sortie des taux de la BCE, donc de la zone euro, n’a été émise.

Dans chaque projet de loi de finances, une projection pluriannuelle sur l’évolution de la charge de la dette est faite par l’Agence France Trésor. Ces éléments sont notamment présentés dans le rapport économique, social et financier. La prévisibilité est donc très forte. Les projections peuvent évidemment varier en fonction de l’évolution des taux, mais des simulations de hausse des taux avec des scénarios chocs où la hausse est plus importante que celle anticipée par le gouvernement sont réalisées. C’est un des rares domaines dans lequel le gouvernement réalise des sortes de stress tests pour évaluer l’évolution de la charge de la dette. Nous avons donc bien pris en compte ces éléments, qui font partie du processus de prévision.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je ne vois pas en quoi il y a des économies structurelles à mesure de la hausse de la charge de la dette. L’augmentation exceptionnelle des taux indexés sur l’inflation ne pouvait être anticipée puisqu’aucun de vos modèles n’avait prévu l’hyperinflation que nous avons connue.

Comment expliquez-vous la hausse considérable, à peu près du même montant, de l’endettement à court terme ?

Mme Mélanie Joder. La politique d’émission de la France est fixée par l’Agence France Trésor, qui effectue des projections pour les émissions à court, moyen et long terme. Je vous invite à poser votre question au directeur de l’Agence France Trésor, car elle n’entre pas dans mon périmètre de compétence.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Avez-vous considéré que la baisse des charges de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) due à la crise de l’énergie était exceptionnelle ? Avez-vous prévu le rétablissement très rapide, en seulement deux ans, de cette charge à hauteur de 6 milliards d’euros après qu’elle soit passée à quasiment zéro ?

Mme Mélanie Joder. C’est un élément important dans les prévisions de dépense. En effet, il peut beaucoup peser, lors d’une crise inflationniste, sur la hausse de la dépense mais il peut aussi conduire à des atténuations. Parallèlement, en retour, il peut provoquer une hausse du soutien de l’État aux énergies photovoltaïques, qui fonctionne en sens inverse.

Mme Véronique Louwagie (DR). L’écart de 1,4 milliard d’eureos des recettes de TVA pour 2024 par rapport aux prévisions nous a été communiqué il y a quelques jours. S’agit-il d’un écart que vous avez constaté à la fin du mois d’octobre ou d’une simulation jusqu’à la fin de l’année ? J’espère qu’il s’agit de la seconde hypothèse.

Mme Mélanie Joder. Cet écart de 1,4 milliard d’euros en comptabilité budgétaire – il est de 1 milliard en comptabilité nationale – concerne uniquement la TVA. Grâce à la plus-value des DMTG de 0,4 milliard d’eyris et à celle de l’impôt sur le revenu de 0,1 milliard d’euros, cette moins-value constatée représente une perte nette de l’ordre de 500 millions d’euros en comptabilité nationale.

Il s’agit bien d’une perte constatée à fin du mois d’octobre et pas d’une projection d’ici la fin de l’année. Nous avons donc souhaité être parfaitement transparents avec la représentation nationale, notamment au regard de ce qu’il s’est passé l’année dernière, et vous donner cette information dans le contexte de l’examen du projet de loi de finances de fin de gestion. Nous ne pouvons être certains que cette moins-value s’améliore ou se détériore d’ici à la fin de l’année. Nos meilleures projections pour la fin de l’année restent celles du projet de loi de finances de fin de gestion.

M. Matthias Renault (RN). Le 9 novembre 2023, Élisabeth Borne, alors première ministre, signait une lettre demandant aux inspections générales des affaires sociales et des finances d’évaluer la pertinence des différentes règles d’indexation des prestations afin de permettre de mettre en avant des économies chiffrées mobilisables pour les textes financiers pour 2025. Elle visait dans cette lettre l’impact budgétaire d’une désindexation des pensions de retraite et d’un certain nombre de prestations sociales dans la perspective de l’élaboration du budget pour 2025. Avez-vous eu connaissance de cette demande de mission ? Y avez-vous participé, directement ou indirectement ?

Mme Mélanie Joder. La direction du budget avait connaissance de cette demande de mission d’inspection. Nous avons été auditionnés et nous avons travaillé avec les inspecteurs missionnés par l’IGF et par l’Igas. Ces travaux ont été utilisés pour nos propositions d’économies pour le projet de loi de finances pour 2025.

M. Matthias Renault (RN). Avez-vous eu l’impression que ces travaux étaient menés dans la perspective d’une dégradation prévisible du déficit en 2023 ou de difficultés pour 2024, voire 2025 puisque cette année était citée dans le document ?

Mme Mélanie Joder. Les travaux de revue de dépenses et d’économies que nous faisons instruire par les inspections ne sont pas directement liés à la dégradation des revenus. Ce sont des travaux de fond que nous menons essentiellement sur le premier semestre de l’année. Ils visent à constituer une sorte de réserve de mesures économiques, que nous pouvons ensuite réutiliser dans les textes financiers, PLF et PLFSS. Il ne faut donc pas voir de corrélation entre ces travaux et toute autre revue de dépense et ce qu’il s’est passé sur les recettes. Nous pouvons utiliser, ou pas, les propositions formulées par les missions d’inspection.

M. Matthias Renault (RN). À votre connaissance, en novembre 2023, ni Bercy, ni la première ministre, ni le ministre de l’économie n’ont diligenté cette mission en vue d’une dégradation du déficit par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale pour 2023 ?

Mme Mélanie Joder. Je ne sais pas vous dire précisément si, dans l’esprit de la première ministre, il y avait un lien direct ou indirect avec les prévisions de recettes. En revanche, à ce moment, il n’y avait pas de chiffrage précis sur la détérioration des recettes, simplement des signaux.

Les travaux sur la désindexation de certaines prestations sociales sont des travaux récurrents de la direction du budget et nous les menons depuis au moins une dizaine d’années. Ce n’est pas quelque chose de très original. De nombreux voisins européens, notamment le Portugal, ont redressé leurs finances publiques en utilisant très massivement ce levier. Ces travaux sont, à mon sens, assez indépendants de l’évolution des recettes.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Monsieur Verny, les acomptes de l’impôt sur les sociétés sont payés sur une année, mais le solde, établi par les liasses, n’est payé qu’en avril et mai de l’année suivante. Le problème est que le quatrième acompte, payé au mois de décembre, est une anticipation, optimiste ou pessimiste, faite par les entreprises elles-mêmes de leur profit, qui ne sera connu qu’à la fin de l’année. Le mois d’avril permet donc de connaître l’atterrissage du cinquième acompte, mais pas celui du quatrième, qui est une anticipation.

Ma question porte sur la modélisation de l’évolution des recettes de la TVA, de l’IS et de l’IR, qui n’est bien sûr pas linéaire. Sa granularité est-elle hebdomadaire ou mensuelle ?

Concernant la TVA, un écart a été mesuré dès le mois de décembre 2023. Il peut être vu comme une dérivée première puisqu’il signale que les prévisions pour 2024 ne seront pas réalisées. Il serait intéressant de déterminer à quel moment se fait le décrochage supplémentaire constaté en 2024, qui peut être vu comme une dérivée seconde. Je comprends que pour l’IR et l’IS, le décrochage se fait en juillet, ce qui peut expliquer l’écart significatif mesuré en septembre.

Mme Mélanie Joder. Je ne suis pas en mesure de vous répondre en détail, parce que ces questions relèvent du domaine de compétences de la direction générale des finances publiques. Nos collègues établissent bien des profils d’encaissement des principales recettes fiscales de l’État. Ils ne sont effectivement pas complètement linéaires puisque les encaissements dépendent des profils connus des années antérieures en fonction des échéances fiscales.

M. Fabien Di Filippo (DR). J’entends parler de modélisation et d’impossibilité d’effectuer des prévisions, mais je me souviens très bien d’une audition de Bruno Le Maire en juin 2023 devant notre commission. Nous étions plusieurs, de tous bords, à lui faire remarquer l’écart entre ses chiffres de prévision de croissance et les nôtres, issus de la plupart des organismes économiques compétents. Il y a un lien évident entre le niveau de croissance et les recettes fiscales et nous prévoyons donc que les recettes fiscales seront moins bonnes que prévu. M. Le Maire a pourtant affirmé devant nous, avec énormément d’aplomb, que son chiffre n’était pas du tout surévalué et qu’il n’y aurait pas de problème avec les recettes fiscales.

Je suppose que vous étiez au courant des prévisions de croissance différentes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et d’autres organismes et que vous savez très bien que quelques dixièmes de point de croissance peuvent beaucoup jouer sur la dynamique des recettes fiscales. Qu’est-ce que le cabinet, l’administration et les politiques ont fait de ces écarts de prévision de croissance ?

Mme Mélanie Joder. La prévision de croissance, fixée quelques mois après cette audition pour le projet de loi de finances pour 2024, est proposée par la direction générale du Trésor en fonction du contexte macroéconomique et du contenu des mesures du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en lien avec le ministre et son cabinet. L’hypothèse retenue par le gouvernement était à ce moment-là d’une croissance de 1,4 % en 2024. Elle était effectivement un peu plus élevée que celle du consensus des économistes – 0,8 % en septembre –, mais proche de la prévision de certains organismes, dont l’OCDE et la Commission européenne, avec 1,2 % et le FMI – Fonds monétaire international –, avec 1,3 %. Le HCFP a relevé ces écarts, mais n’a pas non plus considéré que l’hypothèse était fantaisiste. Cette prévision a été révisée en début d’année 2024 au regard de l’évolution des conditions économiques.

M. Fabien Di Filippo (DR). L’hypothèse de croissance a été relevée après le vote du budget. C’était imprudent et relevait de la méthode Coué. Pourquoi rester délibérément plusieurs dixièmes de point au-dessus du consensus des économistes, en prenant le risque d’enclencher une dynamique de décalage au niveau des recettes fiscales ? Était-ce une décision absolument politique ou l’avez-vous cautionnée, en vous disant que la pièce finirait peut-être par retomber du bon côté ? Nous avons été choqués de cet aplomb qui nous était opposé, en dépit de tout bon sens, alors que cela ressemblait à un pari.

Mme Mélanie Joder. La direction du budget ne participe absolument pas à ces discussions. Nous attendons que les hypothèses de croissance et d’inflation soient choisies pour construire le budget. Bruno Le Maire a dit que c’était une décision politique du ministre, sur la base des préconisations de l’administration. Cette hypothèse était peut-être un peu volontariste, parce qu’il croyait aux mesures politiques du PLF.

M. le président Éric Coquerel. M. Di Filippo rend bien compte de notre étonnement au mois de juin. En septembre 2023, le Haut Conseil des finances publiques jugeait les hypothèses optimistes et favorables, que ce soit sur le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2023 à 2027 ou le PLF. Dans son avis sur le PLF 2024, le HCFP estime que « le rendement de certains impôts et le montant de certaines dépenses, notamment l’investissement des collectivités territoriales, restent incertains ». Nous avons été plusieurs à relever cet optimisme du gouvernement, en juin et à l’automne. Nous avons obtenu des réponses plutôt rassurantes. Madame Joder, après ces analyses extérieures, vous a-t-on incitée à revoir vos prévisions ou non ?

Mme Mélanie Joder. Monsieur le président, tout d’abord, la direction du budget n’est absolument pas outillée pour avoir un avis sur la prévision de croissance. Je n’ai pas de personnel disposant de ce type de compétences et n’ai donc pas de jugement à porter dessus. Ce qui me paraît important dans le rôle de coordination de la direction du budget, c’est que tout le budget soit construit sur la même hypothèse. Ce qui serait choquant, ce serait de construire les hypothèses de croissance des prestations sociales sur une hypothèse de 1 % et que le Trésor travaille sur 1,4 %.

Par ailleurs, le HCFP a estimé dans son avis sur le PLF 2024 que l’hypothèse de croissance était un peu optimiste, mais aussi que la prévision en matière de prélèvements obligatoires était globalement plausible. Il a confirmé la plausibilité des estimations de recettes et de dépenses des finances publiques.

Enfin, on constate que, depuis que le HCFP existe, les écarts entre le taux final et les hypothèses retenues dans les textes se sont très fortement réduits. Avant la création du HCFP, l’écart était de 0,85 point de PIB en moyenne, après sa création, de 0,45 point. En moyenne, l’hypothèse du gouvernement est toujours peut-être un peu plus haute que le consensus des économistes mais elle est désormais extrêmement proche du taux final. En ce sens, il me semble que nous avons une gouvernance saine. Les avis du HCFP sont publics, vous pouvez l’auditionner : tout cela est un gage de crédibilité. Je ne vois pas de choses aberrantes dans les prévisions de croissance ces dernières années. Elles sont très raisonnables par rapport aux écarts.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Le HCFP juge, dans son avis du mois d’avril 2023 sur le programme de stabilité, que la prévision de croissance est optimiste mais « pas hors d’atteinte ». Faisons donc preuve d’honnêteté intellectuelle et n’allons pas dire que le HCFP juge à chaque fois les prévisions du gouvernement indélicates. Par ailleurs, la croissance finale s’est parfois avérée supérieure aux prévisions du gouvernement, ce qui valide un certain volontarisme.

M. le président Éric Coquerel. Je citais pour ma part l’avis paru le 22 septembre 2023, auquel chacun pourra se référer.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Madame la directrice, au président qui vous demandait si toutes vos recommandations avaient été prises en compte, vous avez répondu qu’elles l’avaient été en partie. Pourriez-vous nous dire dans quelles proportions ? Lorsque vous avez constaté que rien n’avait été mis en place pour rectifier la trajectoire et que les économies étaient insuffisantes, avez-vous fait remonter l’information que les décisions prises ne suffisaient pas et, si vous l’avez fait, à quelle date ?

Mme Mélanie Joder. On ne peut pas dire qu’en 2024 il n’y ait pas eu de prise en compte de nos recommandations, parce que le freinage de la dépense a été historiquement élevé, avec le décret d’annulation de 10 milliards d’euros suivi des mesures de surgel d’un montant quasiment équivalent. Il est normal et logique que les ministres ne retiennent pas la totalité des propositions dont leur font part leurs directions. Nous faisons des panels de propositions très larges, sans nous censurer, pour que les ministres fassent ensuite un choix, politique. La part de nos propositions qui ont été retenues – que je ne peux pas quantifier exactement – a été beaucoup plus importante que les années antérieures, où la dépense a été moins pilotée en cours de gestion.

M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie, madame Joder.

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mardi 3 décembre 2024 à 16 heures 30

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Jean-Pierre Bataille, M. Carlos Martens Bilongo, M. Eddy Casterman, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Félicie Gérard, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Pierre Henriet, Mme Constance Le Grip, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Kévin Mauvieux, Mme Estelle Mercier, M. Jacques Oberti, M. Didier Padey, M. Christophe Plassard, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, M. Emeric Salmon, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth

 

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Mickaël Bouloux, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou

Assistait également à la réunion. - M. Fabien Di Filippo