Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Pierre Pribile, directeur général de la sécurité sociale, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) 2
– Présences en réunion...........................30
Mercredi
11 décembre 2024
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 060
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La Commission auditionne M. Pierre Pribile, directeur général de la sécurité sociale, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958)
M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous sommes réunis pour « étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 » et que notre commission s’est vue octroyer à ce titre les prérogatives d’une commission d’enquête. Cette audition obéit donc au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
De façon générale, le bureau de la commission a décidé que ces auditions seraient publiques. Les deux rapporteurs de l’enquête, MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, ont élaboré un questionnaire écrit qui a été communiqué à la personne auditionnée et qui vous a également été transmis. Dans un premier temps, après avoir fait prêter serment à la personne auditionnée puis avoir écouté son propos liminaire, moi-même ainsi que les rapporteurs poserons des questions. Les commissaires appartenant aux différents groupes pourront ensuite également le faire. Le président et les rapporteurs procéderont, s’ils l’estiment nécessaire, à des relances si des réponses semblent insatisfaisantes.
Je le rappelle, cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement audiovisuel sera ensuite disponible à la demande.
Monsieur Pierre Pribile, vous êtes directeur général de la sécurité sociale depuis fin avril 2024, où vous avez succédé à M. Frank Von Lennep, que nous avons auditionné jeudi dernier. Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu’en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête doivent prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(M. Pierre Pribile prête serment.)
M. Pierre Pribile, directeur général de la sécurité sociale. La direction de la sécurité sociale, que j’ai l’honneur de diriger depuis le mois d’avril dernier, a une double responsabilité : prendre en charge les politiques publiques de sécurité sociale ; proposer les modalités de financement et d’équilibre des comptes. Nous sommes donc placés sous la double tutelle du ou des ministres chargés des affaires sociales, d’une part, et du ministre chargé des comptes publics, d’autre part. En matière de dépenses publiques, nous couvrons grosso modo le champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), non pas la totalité des administrations de sécurité sociale (Asso) mais l’essentiel les régimes de base de la sécurité sociale. Ainsi, nous ne couvrons pas le champ de l’assurance chômage, ni celui des retraites complémentaires.
Notre responsabilité est de produire et d’actualiser régulièrement les trajectoires financières sur ce périmètre, dans le cadre de cycles annuels, marqués par la préparation, l’élaboration et la discussion du PLFSS. Il ne s’agit pas simplement d’un travail en chambre de l’administration auprès du gouvernement, puisque les différentes étapes sont publiques. Il y a ainsi la phase de discussion du projet de financement de la sécurité sociale, chaque année, aux mois d’octobre et novembre. Mais il y a aussi deux commissions des comptes de la sécurité sociale qui rassemblent des parlementaires, des organisations syndicales et professionnelles, et différents acteurs du monde de la sécurité sociale et des branches la constituant qui se réunissent au mois de mai et juste avant la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou juste après, généralement fin septembre ou début octobre.
Notre rythme de production des trajectoires et des prévisions est assez cadencé et jalonné, même si, au-delà des productions récurrentes, d’autres liées à l’actualité peuvent s’intercaler. Nous produisons, en avril, une note de précadrage du PLFSS de l’année suivante, et, en mai, les éléments nécessaires à la commission des comptes de la sécurité sociale qui se réunit à la fin de ce mois. En juin, une autre note vise à cadrer la préparation du PLFSS de l’année suivante. En septembre, nous produisons à nouveau des éléments destinés à alimenter la commission des comptes de la sécurité sociale. Au fur et à mesure de la discussion du PLFSS, nous fournissons également tous les éléments qui permettent d’ajuster les chiffres. Fin décembre, une note procède à l’ultime actualisation des comptes de l’année en cours. Au-delà de ces productions récurrentes, nous élaborons, en cas de besoin ou si un événement le justifie, une note d’alerte ou une note intermédiaire.
J’insiste sur le fait que nous menons un travail très collaboratif, avec les autres directions de Bercy, mais aussi avec les organismes de sécurité sociale : chacun a son rôle dans cette coproduction. Ainsi, la direction générale du Trésor, dont vous avez auditionné le directeur, produit des hypothèses macroéconomiques pour l’année future, ce que nous ne sommes pas en mesure de faire. Nous les traduisons en trajectoire des comptes de la sécurité sociale sur le périmètre que j’ai indiqué. Mais des erreurs sont possibles à cette étape.
Ainsi, une hypothèse d’évolution de la masse salariale ne débouche pas automatiquement sur des recettes pour la sécurité sociale : du fait des allégements généraux de cotisations, si la dynamique de la masse salariale est portée par des niveaux de rémunération très exonérés, les recettes supplémentaires pour la sécurité sociale seront faibles ; si, au contraire, la dynamique de la masse salariale est mieux répartie sur l’échelle des salaires ou est tirée par des salaires contribuant davantage, les recettes seront plus élevées.
La direction de la sécurité sociale a également pour responsabilité de collecter toutes les informations émanant des caisses nationales de sécurité sociale en dépenses et en recettes s’agissant de la caisse nationale des Urssaf. Sur la base de ces informations, une réunion interdirectionnelle, à laquelle nous participons, rassemble l’ensemble des directions de Bercy : l’objectif est de converger sur nos prévisions – sur les recettes du champ des Asso, en particulier de la sécurité sociale.
M. le président Éric Coquerel. J’aurai quatre questions. Tout d’abord, lors de l’audition de M. Franck Von Lennep, notre collègue Jérôme Guedj a en quelque sorte levé un lièvre en s’interrogeant sur le financement du Ségur de la santé, dont votre prédécesseur a confirmé qu’il n’avait pas été étudié. Les mesures d’investissement destinées au système hospitalier sont bien évidemment nécessaires – et celles-ci restent bien en deçà des besoins réels. En l’absence de recettes supplémentaires, elles ont cependant non seulement contribué à réduire les marges financières de la sécurité sociale – l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) augmente mécaniquement sans qu’aucune nouvelle recette ne vienne compenser cette nouvelle dépense –, mais aussi à accroître un déficit qui n’a pas été anticipé, estimé à au moins 10 milliards d’euros. Quelle est votre analyse sur ce point ? La seule option viable n’est-elle pas de prévoir des recettes conséquentes et d’en finir avec les mesures non financées ? Comment vous positionnez-vous à cet égard pour le prochain PLFSS ?
M. Pierre Pribile. Pour comprendre le déficit de la sécurité sociale, il faut regarder chacune de ses branches : on constate qu’il est actuellement porté par les branches maladie et vieillesse. La première raison réside dans l’écart de dynamique entre les dépenses de ces branches et les recettes qu’elles perçoivent. Celui-ci est lié au vieillissement de la population, à l’augmentation de l’espérance de vie et à l’accès à des technologies plus coûteuses dont nous devons garantir l'accès à nos concitoyens. Dans ce cadre, les nouvelles dépenses, unanimement saluées, décidées dans le cadre du Ségur de la santé, supposent une dynamique de recettes permettant d’y faire face, faute de quoi elles se traduiront par une aggravation du déficit.
Il existe deux leviers pour parvenir à rétablir les comptes de l’assurance maladie : faire plus d’économies ou augmenter les recettes. Il est difficile d’envisager un rétablissement des comptes de l’assurance maladie en faisant uniquement porter l’effort sur les dépenses, car celles-ci progressent spontanément à un rythme plus élevé que celui de l’évolution de la richesse nationale. Pour que des recettes viennent abonder les caisses de l’assurance maladie, il faudrait donc trouver un moyen d’améliorer l’évolution de la richesse nationale. Sinon, il faut essayer de freiner la dépense par des gains d’efficience : ces dernières années, ils ont à peine contribué à ralentir le dynamisme des dépenses, pour le rapprocher de celui des recettes. Il serait donc compliqué de faire reposer le rattrapage du déficit sur une réduction supplémentaire des dépenses. En effet, la décision d’agir uniquement sur les dépenses conduirait à réduire le périmètre couvert par l’assurance maladie : un tel choix est techniquement possible mais politiquement très douloureux.
M. le président Éric Coquerel. Je complète ma question : l’absence de recettes a-t-elle contribué à la mauvaise appréciation du déficit ?
M. Pierre Pribile. Non, absolument pas, même s’il s’agit d’un élément du déficit. Le coût du Ségur de la santé était prévisible et figurait dans la trajectoire des comptes : aucun imprévu ou dérapage n’a été constaté.
M. le président Éric Coquerel. J’en viens à ma deuxième question, sur le même thème. Un redressement n’est pas envisageable sans penser réellement au financement de notre modèle social, comme le montre la réforme des retraites. Malgré la montée en charge de cette réforme, j’observe en effet que le solde de la branche vieillesse continue de se dégrader : entre 2023 et 2025, le déficit se creuse de 10 milliards d’euros et devrait s’élever à 15,4 milliards d’euros en 2028.
Je compléterai cette analyse par deux éléments de réflexion tirés d’un colloque organisé avec le rapporteur général sur les possibilités de financement du système des retraites, le 21 octobre dernier, dont les actes sont disponibles. Selon l’ancien président du Conseil d’orientation des retraites (COR), la question des retraites relève d’un problème de recettes et non pas de dépenses, dont le pourcentage dans le PIB demeure sensiblement identique. Selon l’actuel président du COR, la réforme des retraites suppose de travailler davantage le déficit de l’État que sur celui de la sécurité sociale. Selon vos services, un retour à l’équilibre est-il possible uniquement à partir de réformes paramétriques ? Avez-vous des propositions concernant de nouvelles recettes ?
M. Pierre Pribile. Malgré la réforme, notre système de retraite est effectivement encore en déficit. Toutefois, en l’absence de réforme, celui-ci serait pire. Si elle ne résout pas tout, la réforme a un impact favorable sur les comptes de la branche vieillesse. Il n’existe pas de réponse technique au fait de savoir si le déficit est principalement dû à un problème de dépenses ou de recettes. Il s’agit d’un choix politique : souhaite-t-on garantir le même niveau de dépenses – dès lors, il faut augmenter les recettes pour résorber le déficit – ou préfère-t-on ne pas accroître le poids des cotisations et des différentes contributions qui alimentent le système de retraites – dans ce cas, il faut baisser les dépenses pour résorber le déficit ? Techniquement, nous sommes capables de tout documenter et de proposer au gouvernement des mesures en dépenses comme en recettes. La question est de savoir quel est l’objectif politique.
M. le président Éric Coquerel. Avez-vous mis des propositions sur la table ?
M. Pierre Pribile. Depuis ma prise de fonctions, l’occasion ne s’est pas présentée, mais nous sommes en mesure de le faire. Vous l’avez constaté dans les notes que le ministre vous a transmises, nous avons une vision globale de la sécurité sociale : nous nous efforçons de proposer des mesures en dépenses et en recettes, correspondant aux orientations voulues par le gouvernement. S’agissant des recettes, au-delà de la modulation des taux de cotisation, nous sommes en mesure de proposer des dispositions visant à réinterroger des exonérations ou des allégements de cotisations, comme en témoigne le projet de financement qui vous a été soumis dernièrement.
M. le président Éric Coquerel. Je passe à ma troisième question. Mi-novembre, vos services ont identifié un écart prévisionnel de 1,2 milliard d’euros concernant les dépenses de médicaments prévues en 2024. En d’autres termes, le marché des médicaments croît plus vite que prévu : les dépenses sociales augmentent donc au même rythme. Une partie de ces dépenses peut être compensée par le mécanisme de la clause de sauvegarde, qui permet à la sécurité sociale de récupérer auprès des industriels une partie du montant du dépassement des remboursements de médicaments. Pourtant, lors de l’examen du PLFSS, un amendement du gouvernement a plafonné cette contribution. Comment expliquez-vous cette décision ?
M. Pierre Pribile. Nous avons constaté un dépassement des dépenses de médicaments alors que la discussion sur le texte était déjà très avancée, puisque c'était après l’examen par votre assemblée. Cet écart s’explique par un montant moindre qu’attendu des remises versées par les laboratoires pharmaceutiques en application des accords passés, produit par produit, avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). Cela se traduit par une dynamique plus élevée du chiffre d’affaires net des industriels.
La clause de sauvegarde sert à amortir ce type d’écart, lié à des remises ou au chiffre d’affaires brut des laboratoires pharmaceutiques, mais ne permet d’en rattraper qu’une partie. Dans le cadre du dialogue avec l’industrie pharmaceutique, il avait été initialement prévu de calibrer cette clause pour qu’elle produise un rendement de 1,6 milliard d’euros. Le gouvernement a toutefois fait le choix – annoncé dans le cadre de la navette parlementaire lors de l’examen du PLFSS – de laisser jouer la clause de sauvegarde de façon à ce que, en 2024, elle amortisse une partie de l’écart de 1,2 milliard d’euros : au final, environ 300 millions d’euros devraient être rattrapés.
M. le président Éric Coquerel. Pourquoi cette contribution a-t-elle été plafonnée ?
M. Pierre Pribile. Elle n’est pas plafonnée mais est calibrée pour produire un certain rendement en l’absence de problème. Dès lors qu’il y a un dépassement de 1,2 milliard d’euros, elle jouera et rapportera sans doute de l’ordre de 1,9 milliard d’euros.
M. le président Éric Coquerel. J’en viens à ma dernière question. S’agissant de la montée en puissance des primes dans les revenus des salariés, la Cour des comptes a souligné que celle-ci avait un impact sur le déséquilibre des comptes sociaux, puisqu’elles ne sont pas assujetties à des cotisations. Avez-vous des analyses et des propositions sur ce thème ?
M. Pierre Pribile. Bien sûr. Je l’ai dit, nous essayons de trouver des gisements de recettes acceptables dans le débat public. Nous tenons évidemment compte des travaux de la Cour des comptes, à qui nous fournissons également des éléments d’analyse. Son rapport annuel comporte un chapitre extrêmement précis sur le sujet que vous évoquez. Nous avons à cet égard proposé, dans le cadre du PLFSS pour 2025, d’inclure la prime de partage de la valeur dans le salaire pris en compte pour la détermination du taux d’allégement général, ce qui était une façon de mieux faire contribuer cette partie du salaire au financement de notre sécurité sociale.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Au regard des presque 740 milliards d’euros de dépenses relevant des administrations de sécurité sociale, les déséquilibres sont finalement assez modérés, notamment en comparaison du budget l’État. Les enjeux qui sous-tendent ces chiffres colossaux, en matière de santé publique et de solidarité, permettent de relativiser le débat.
Mes questions portent sur la dégradation de près d’1,5 milliard d’euros du solde des Asso par rapport à ce qui était prévu dans le programme de stabilité pour 2023 et dans la loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale. Comment l’expliquez-vous ? Par ailleurs, l’Ondam prévisionnel a été nettement dépassé, d’un peu plus d’1 milliard d’euros, en 2024. Enfin, comment va, selon vous, se solder l’année 2024 ?
M. Pierre Pribile. Je vous remercie d’avoir qualifié de modéré le déséquilibre relevant du périmètre de la sécurité sociale, rendant ainsi hommage à nos efforts. Pour autant, il faut examiner ces chiffres avec un regard quelque peu différent de celui que l’on porterait sur l’État. Notre objectif n’est pas seulement comptable : la pérennité même de notre système de sécurité sociale repose sur notre capacité à financer les soins et les pensions.
Prenons l’exemple des retraites. Dans un système de retraite par répartition, les personnes qui travaillent payent les retraites de leurs parents retraités et espèrent que leurs enfants feront de même quand elles partiront à la retraite. Or, si les enfants doivent non seulement payer les retraites de leurs parents, mais aussi ce que nous n’avons pas financé alors que nous travaillions, le système finira par diverger. Nous œuvrons donc à ce que les comptes de la sécurité sociale soient équilibrés : c’est un objectif de politique sociale, et non pas seulement comptable.
Votre question sur l’écart avec les prévisions pour 2023 aurait pu être posée au directeur général du Trésor, puisque le Trésor actualise l’atterrissage en fonction des remontées venant de l’Insee. Quant au champ des Asso, il va au-delà du nôtre : les remontées sont tardives, notamment s’agissant des comptes des hôpitaux, si bien que les écarts sont consolidés assez tard. Il ne s’agit pas d’un dérapage mais de l’actualisation des données dont dispose l’État.
J’en viens aux causes des écarts pour l’Ondam en 2024. Nous avons procédé, en deux temps, à une actualisation de l’objectif de dépenses d'assurance maladie pour 2024. Dans le cadre du PLFSS initial, le niveau de l’Ondam a été rehaussé de 1,2 milliard d’euros, essentiellement pour des dépenses de soins de ville ou liées au covid – tests, médicaments –, pour 300 millions d’euros. Le reste s’explique par une dynamique plus élevée que celle envisagée concernant les arrêts de travail – les indemnités journalières –, les dispositifs médicaux ou encore les consultations de spécialistes en ville.
Nous connaissions pour partie ces éléments dès le mois de juillet. Ceux-ci sont d’ailleurs publics et figurent dans l’avis rendu – très régulièrement au mois d’avril, puis en juin, au mois de juillet cette année et en octobre – par le comité d’alerte sur les dépenses d’assurance maladie. Dès le mois de juillet, le dépassement concernant les soins de ville était donc connu. Pendant l’été, la dynamique des dépenses hospitalières s’est avérée être plus importante qu’escompté. Si l’on peut se réjouir de l’efficacité de la production de soins de l’hôpital public, cela a contribué à aggraver le décalage, d’où la rectification d’1,2 milliard d’euros dès le dépôt du PLFSS pour 2025. Au cours de l’examen du texte, le poste des médicaments, que nous avons déjà évoqué, a également alourdi la facture. Au final, l’Ondam a dû être rectifié de 2 milliards d’euros – 800 millions après application de la clause de sauvegarde, plus 1,2 milliard.
Je ne dispose actuellement pas de nouvelles informations sur les dépenses au regard de l’Ondam. Le dynamisme de la masse salariale est conforme à la prévision figurant dans le PLFSS ; il n’y a pas lieu de penser que nous aurons des mauvaises nouvelles concernant les recettes. Figuraient en revanche dans le PLFSS pour 2025 des mesures impactant l’année 2024 : n’ayant pas été votées, elles ne produiront pas leurs effets et devraient aggraver le déficit de la sécurité sociale de l’ordre de 600 ou 700 millions d’euros en 2024.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Une dernière question. J'évoquais l’écart relativement faible entre les recettes et les dépenses mais sans doute serait-il différent si on prenait en compte les contributions de l'État au financement des régimes de retraite de la fonction publique qui avoisinent les 100 milliards d’euros. Bien sûr, ces sommes ne sont pas inscrites dans la branche retraite mais comment les comptabilisez-vous ?
M. Pierre Pribile. Je n’ai pas le chiffre précis en tête mais le PLFSS retrace les recettes et les dépenses liées aux retraites des fonctionnaires de l’État, les recettes étant égales aux dépenses. Les difficultés de l'État à financer ces retraites n’affectent donc pas le déficit de la sécurité sociale. Toutefois, elles ont un impact sur les déficits du budget de l’État et donc des comptes publics, vous avez raison de le souligner.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Pourrez-vous nous communiquer ces chiffres ?
M. Pierre Pribile. Oui, peut-être même au cours de cette réunion.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Ma première question portera sur l’évolution de la masse salariale en 2023 et 2024. Vous avez indiqué qu’elle était difficilement prévisible, compte tenu des exonérations de charges. Votre direction a-t-elle pu mener des travaux pour améliorer la prévisibilité en prenant en compte ces allégements ?
Des auditions de la direction du Trésor et de la direction générale des finances publiques (DGFIP), nous retirons l’impression qu’il existe une certaine décorrélation entre les grands agrégats macroéconomiques et l’évolution des recettes en général ? Est-ce le cas aussi pour les recettes liées à la masse salariale ?
M. Pierre Pribile. Nous travaillons tous les jours à améliorer nos prévisions mais la période récente marquée par plusieurs retournements – un choc inflationniste comme on n’en avait pas connu depuis longtemps ; des salaires portés par des dynamiques très soutenues, notamment du fait de l’indexation du Smic sur l’inflation – nous a donné l’occasion de parfaire notre compréhension de la façon dont nos hypothèses sur l’évolution de la masse salariale peuvent être traduites en trajectoires de recettes pour la sécurité sociale. Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) rend compte de ces efforts. Sa dernière édition comporte une analyse précise de la manière dont a été interprété l'impact de l'inflation en général sur les comptes de la sécurité sociale, pour les recettes comme pour les dépenses. Une autre partie est consacrée à l’amélioration des modèles de prévision du coût des allégements généraux lié à cette dynamique salariale. L’histoire ne se répète jamais mais j’espère que ces travaux et les ajustements auxquels nous procédons chaque jour nous permettront de mieux prévoir si nous sommes confrontés à des épisodes analogues.
Je ne sais pas exactement quoi répondre à votre question sur la décorrélation. Il existe tout de même une corrélation entre le scénario macroéconomique et l'hypothèse de masse salariale produite par la direction du Trésor pour l'année qui suit. Le travail que nous faisons tous les jours avec nos équipes et très régulièrement avec les autres directions consiste justement à confronter cette hypothèse avec les remontées mensuelles de l’Urssaf. Il s’agit de voir s’il y a un écart avec les montants inscrits dans les comptes. Ce n'est pas un exercice facile parce que la lecture de ces chiffres n'est pas univoque. Nous partageons nos interprétations avec les caisses de sécurité sociale et les services l'Urssaf qui, eux-mêmes, nous livrent des prévisions. Nous en discutons aussi avec la direction du Trésor et les autres directions de Bercy.
L’hypothèse finale que nous formulons, je tiens à le souligner, n’est pas le fruit d'un arbitrage politique. Pardon si je vous choque mais nous ne demandons pas au ministre son avis sur les prévisions de recettes. Nous nous efforçons de converger techniquement vers une forme de consensus avec les autres administrations en espérant que le rapprochement des informations partielles dont chacune dispose nous permette de nous approcher le plus possible de la réalité. Nous livrons ce résultat au ministre et, à chaque étape que j’ai indiquée, à la représentation nationale et à la CCSS, donc au public.
Il s’agit d’un processus très itératif. À mesure que l’année s’écoule, les chiffres que nous présentons résultent de moins en moins des hypothèses macroéconomiques et de plus en plus des constats établis à partir des remontées effectives de recettes des Urssaf. Dans des périodes de choc comme celle que nous avons connue, il y a certainement des phénomènes bizarres qui rendent très compliqué le travail d’interprétation du Trésor, mais la corrélation entre nos chiffres et les scénarios macroéconomiques s’établit parce que le constat l'emporte sur l'hypothèse.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. J’aurai une autre question sur les dépenses liées aux prestations sous Ondam dont vous avez évoqué l’augmentation en 2024. Lorsqu’une alerte a été lancée au mois d’octobre, des propositions ont-elles été présentées au nouveau gouvernement pour les réduire, y compris par voie réglementaire ? N’aurait-il pas été possible pour l’exercice 2024 de prendre des mesures limitant les indemnités journalières et les dépenses liées au covid, je pense notamment au non-remboursement des tests sans ordonnance ?
M. Pierre Pribile. À la demande du gouvernement, nous avons instruit, dès avant l'été 2024, un grand nombre de mesures portant sur les dépenses que vous venez d'évoquer. Précisons qu’elles n’auraient eu qu’un effet limité sur l'exercice 2024. L’une d’elles consistait à diminuer le plafond de prise en charge des indemnités journalières pour une économie de 600 millions en année pleine. Compte tenu des trois mois nécessaires avant son entrée en vigueur, elle n’aurait eu qu’un impact résiduel pour 2024. Ces mesures ayant été instruites, elles figurent dans leur quasi-totalité parmi les sous-jacents du PLFSS pour 2025.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Une partie de la dégradation des comptes de la branche vieillesse est liée aux mesures favorables aux personnes ayant liquidé leurs pensions après la réforme de mars 2023. Comment ont-elles pesé sur les comptes de la sécurité sociale entre 2023 et 2024 ?
M. Pierre Pribile. La réforme des retraites, aussi paradoxal que cela puisse paraître, a en effet engendré à ses débuts une augmentation des dépenses de la branche vieillesse, en raison des mesures que vous avez rappelées. Toutefois, comme pour le Ségur de la santé, cela n’a pas contribué à creuser l’écart avec nos prévisions car celles-ci intégraient ces coûts, que nous avons pu chiffrer. Il n’y a donc pas eu de mauvaises nouvelles en ce domaine.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Oui, mais vous n’avez pu le faire qu’à partir de la mise en œuvre de la réforme. Cela ne vaut pas pour le début de l’année 2023.
M. Pierre Pribile. Tout à fait.
Pour revenir à la question sur le financement par l’État des retraites de ses agents, je peux vous préciser, monsieur Ciotti, que sa contribution a été intégrée dans nos comptes à hauteur de 46,3 milliards en 2023 et 49,7 milliards pour 2024.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. J’ai une dernière question sur le chiffrage des recettes nouvelles. Est-il produit par la DSS ou bien par la direction de la législation fiscale (DLF) à laquelle incombe l’estimation de la majorité des mesures fiscales ?
M. Pierre Pribile. Nous effectuons les chiffrages des recettes figurant dans le PLFSS. Je n’ai pas d'exemples précis en tête mais quand nos collègues de la DLF disposent de davantage de technologie pour certaines recettes, il nous arrive de réaliser un travail conjoint avec eux. Reste que c’est nous qui produisons les fiches d’impact et les études d’impact destinées au gouvernement.
M. le président Éric Coquerel. J’ai bien noté que vous ne demandiez pas au ministre son autorisation pour vos hypothèses mais les reprend-il toujours ou lui arrive-t-il de s’en écarter, notamment pour communiquer ?
M. Pierre Pribile. Depuis que j'exerce ses responsabilités – il est vrai que c’est seulement depuis le mois d’avril –, je n'ai pas d'exemple d’un ministre qui aurait communiqué sur un chiffre différent que celui que nous lui avons fourni. Ces chiffres sont rendus publics très régulièrement, c’est l’une des spécificités du secteur de la sécurité sociale. Ainsi, entre le moment où j’ai pris mes fonctions et aujourd’hui, deux rapports de la commission des comptes de la sécurité sociale ont été publiés, l’un au mois de mai, l’autre en octobre, deux avis du comité d'alerte sur l’évolution des dépenses de l’assurance maladie ont été rendus, deux textes législatifs ont été déposés, le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale pour l’année 2023 et le PLFSS. Ce sont autant de moments où le fruit de notre travail fait l’objet d’un débat public. J'ai envie de dire qu’il serait tout de même assez périlleux de la part d’un ministre de communiquer sur des bases différentes puisqu’il y a 90 % de chances que nos chiffres apparaissent soit le lendemain soit le mois suivant.
M. le président Éric Coquerel. Votre prédécesseur nous avait indiqué que les remontées relatives aux rentrées de cotisations de l’Urssaf vous permettaient régulièrement de connaître les grandes tendances du niveau de l’emploi. Du coup, vous pouvez savoir précisément si vos prévisions sont adéquates. Vos services ont-ils eu l’occasion de lancer des alertes afin d’appeler l’attention sur un écart entre ce qui est constaté et les prévisions, un peu comme l’a fait la direction générale du Trésor dans sa note de fin 2023 ?
M. Pierre Pribile. Oui, nous pouvons le faire. La mauvaise nouvelle concernant les remises sur les médicaments en est un exemple. Nous avons arrêté notre nouvelle prévision le 8 novembre, donc à un moment très délicat, en plein milieu de la navette du PLFSS entre l’Assemblée et le Sénat. Nous avons remonté l’information au cabinet et avons produit dans les jours suivants une note. Juste avant l’examen du texte au Sénat, le ministre nous a demandé d'ajuster les chiffres et de préparer des amendements intégrant cette nouvelle donnée que le gouvernement a pu présenter. Donc, vous le voyez, même en cours de navette, dans un délai très bref, de telles modifications sont possibles. Évidemment, une fois que le PLFSS est voté, il est trop tard.
Sur les questions liées à la masse salariale, en tout cas depuis avril dernier, nous n’avons pas eu à le faire car la situation ne s’est pas présentée.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Monsieur le directeur, je n’ai pas compris votre réponse à la question du président Coquerel au sujet de la prévision du coût du Ségur et son impact sur le déficit structurel. La conclusion à laquelle arrive Le Monde dans l’analyse de cette situation me paraît un peu différente de la vôtre. J’estime que vous n’avez pas apporté de réponse sincère et je vais me permettre d’y revenir.
Que votre administration ait mesuré le coût du Ségur, encore heureux, mais le problème, c’est que les prévisions n’étaient pas réalistes puisqu’on ne pouvait pas voir quelles étaient les économies et les nouvelles recettes correspondantes. Les comptes soumis au Parlement étaient faux.
M. Pierre Pribile. Ce coût a été inscrit dans les comptes. Les comptes tels qu'ils ont été votés par le Parlement depuis le Ségur de la santé intègrent la totalité des dépenses liées au Ségur. Le déficit de la branche maladie intègre donc le fait que ces dépenses ne sont compensées ni par des mesures d’économies particulières ni par des recettes particulières.
Aurait-il fallu augmenter les impôts ou faire d'autres économies sur la branche maladie ? C’est à trancher cette question que sert la discussion du PLFSS chaque année. La représentation nationale en a donc débattu. Il n’y a pas d'informations manquantes : tout cela est transparent. Par ailleurs, cela n'a occasionné aucun dérapage par rapport à quelque prévision que ce soit, puisque tout cela était prévu, prévisible et inscrit dans les comptes non seulement de l'année N mais aussi des années futures.
Faut-il faire des économies supplémentaires pour financer des dépenses supplémentaires ? Faut-il créer les conditions pour des recettes nouvelles ou augmenter les recettes existantes ? Ce sont des choix politiques et ce sont précisément ces choix qui sont débattus tous les ans par le Parlement lors de l'examen du PLFSS.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je suis désolé mais une fois de plus, je ne me satisfais pas de votre réponse. Je reprends l’article du Monde, qui n’est pourtant pas ma lecture de chevet. La journaliste parle d'« un éléphant au milieu de la pièce » et indique qu’au plus haut niveau de l'État, le dérapage de la sécurité sociale est attribué à un problème du financement du Ségur. C’est une réalité que je tiens à mettre en rapport avec ce que vous avez expliqué depuis le début de votre audition. Sur l'ensemble des dépenses, le seul paramètre qui change fondamentalement dans les prévisions depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, hors risques liés à la crise sanitaire, c'est le Ségur. Aucune autre raison ne peut expliquer le dérapage des comptes de la sécurité sociale.
La question qui se pose n’est pas de savoir s’il y avait des bouts de papier où était écrit que les comptes étaient à l'équilibre et qu’il n’y avait pas de dérapage. Ces bouts de papier, on les connaît, on les a lus. Certaines personnes ici disaient que ce n’était pas parce qu’il est écrit que le Ségur est financé qu’il est réellement financé. Ma question est la suivante : quand votre administration a pris la mesure du coût du Ségur, a-t-elle prévenu le ministre pour lui indiquer que, compte tenu des différents paramètres et engagements, de l’évolution naturelle des dépenses en lien avec le vieillissement de la population, la dynamique des soins à l'hôpital et la hausse globale du coût des soins, le Ségur ne pouvait pas passer ? D’après les informations que votre administration a communiquées au Parlement et ce que nous savons de celles qu’elle a transmises aux ministres, je ne vois à quel moment elle a pu dire que le Ségur était finançable. Et ce ne sont pas les réponses que vous avez apportées aujourd'hui qui montrent qu’il l’était dans toute son ampleur.
M. Pierre Pribile. Mon prédécesseur a, me semble-t-il, répondu à cette question. Quand une dépense de cette nature est prévue, elle est intégrée dans nos comptes et c’est bien le cas. La question est de savoir de quel dérapage vous parlez. L’objet de votre commission est-il de comprendre le déficit de la sécurité sociale ou bien, s’agissant de l’exercice 2024, l'écart entre les prévisions contenues dans le projet de loi de financement initial et les prévisions actuelles ? Ce sont deux choses différentes. Oui, le coût du Ségur de la santé pèse sur le déficit de la sécurité sociale mais ce n’est pas une cause de l’écart que vous cherchez à comprendre. Il n’y a pas d’informations manquantes dans le PLFSS initial de 2024, fondé sur une prévision de déficit de la sécurité sociale de l'ordre de 10 milliards d'euros : le coût du Ségur est intégré.
Toutefois, il me semble que le cœur de votre interrogation, c’est l’écart entre les 10 milliards prévus initialement et les 18 milliards prévus dans le PLFSS pour 2025. Et là, le Ségur ne joue aucun rôle puisqu’il a été intégré dès le début. L’écart de 8 milliards d'euros est dû essentiellement à des pertes de recettes intervenues depuis le texte initial. Sur ces 8 milliards, en effet, 6 milliards renvoient aux recettes : une moitié provient de l'impact en 2024 des mauvaises nouvelles de 2023 et l’autre, de la révision des hypothèses macroéconomiques sur l'exercice 2024. C’est la conjoncture qui explique qu’il y a moins de recettes, cela n’a rien à voir avec le Ségur. Enfin, les 2 derniers milliards sont attribuables aux révisions de l’Ondam dont je vous ai parlé, qui là encore n’ont rien à voir avec le Ségur puisqu’elles sont liées à la dynamique des soins en ville comme à l'hôpital.
M. le président Éric Coquerel. Pour arriver à comprendre pourquoi les déficits sont plus importants que prévu, je suis désolé, mais il faut bien aussi prendre en compte le fait qu’il y a une dépense qui, depuis qu’elle a été créée, n’a pas été compensée par des recettes. Cela signifie en effet qu’on accepte que ce soit le déficit qui la finance. Or la dette sociale se distingue de la dette de l’État, ne serait-ce que parce que son remboursement doit porter sur le stock. Cela a des conséquences sur la capacité à prévoir. Je comprends donc M. Tanguy quand il vous dit que la réponse n'est pas satisfaisante.
Il est bon que la commission des finances enregistre le fait que depuis sa création, chose que personnellement je n’avais pas vue, une dépense attribuée à la sécurité sociale, liée à la rémunération des personnels de santé, est financée par le déficit et donc par la dette de la sécurité sociale. C'est une information utile pour notre compréhension.
M. Pierre Pribile. Tout à fait, mais pour le coup, tout a été intégré et prévu dans les comptes. Il n’y a pas eu d’aléas. Le Ségur n’explique en rien l’écart de 8 milliards constaté sur l’exercice 2024.
M. Éric Woerth (EPR). Je n’ai pas de questions à poser, monsieur le président, juste une remarque à formuler sur les travaux de notre commission d'enquête. Le directeur a été extrêmement clair dans les réponses qu'il apportait. Nous ne sommes pas là pour établir un diagnostic du déficit global des finances de notre pays. C’est le rôle de la commission des finances de s’y consacrer et non pas de la commission d’enquête. J’entends le Rassemblement national et d’autres souligner que le Ségur de la santé est à la source d’un déficit considérable mais je n’ai entendu personne s’opposer à l'augmentation de la rémunération des personnels de santé. On peut toujours s’en préoccuper post-mortem mais cela ne me semble pas très intéressant.
Ce qui, en revanche, est tout à fait intéressant, ce sont les causes de l’augmentation massive du déficit de la sécurité sociale. M. Pribile a donné les chiffres et a expliqué de quoi elle provenait. Ne confondons pas cette commission d'enquête avec la commission des finances elle-même.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur Woerth, si vous voulez être auditionné, il n’y a pas de problème, mais chacun voit bien que, dans cette commission d'enquête, nous faisons des analyses différentes de l'explication des problèmes de prévisibilité. Pour aller vite, pour certains, le problème est de nature technique, pour d’autres, il est lié à une dissimulation, pour d’autres encore, dont je suis, il renvoie à une erreur de politique économique. Dans ces conditions, le fait qu’une dépense ait été créée sans jamais avoir été compensée par des recettes rentre dans le champ de notre commission d’enquête, même si cela ne correspond pas aux conclusions que vous souhaitez.
Je n’ai rien à redire sur le fait que vous donniez votre avis ou que vous jugiez non pertinentes certaines questions, en revanche, cela me pose un problème qu’un collègue prenne la parole pour indiquer la réponse qui devrait être faite par la personne auditionnée, spécialement quand celle-ci joue un rôle particulier auprès de tel ou tel ministère. C’est à la personne auditionnée de répondre et non pas à un membre de cette commission, qui, en outre, soutient le gouvernement que sert le fonctionnaire que nous recevons. Cela sort du champ de notre commission d’enquête. Je l’ai dit une première fois, je le redis une deuxième fois et je le redirai une troisième fois, si nécessaire.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Monsieur le président, je vais vous relire l’intitulé de cette commission d’enquête : « étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 ». Nous ne sommes pas là pour étudier les raisons pour lesquelles le déficit public a augmenté ces trente dernières années.
M. le président Éric Coquerel. Bien sûr que si, ça en fait partie.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Pardon mais nous avons le droit de nous exprimer sur ce qui relève du champ de cette commission d’enquête. On peut avoir un débat sur les modalités de financement de cette dépense, qui était prévue et dont on connaît le coût, mais on ne peut pas considérer qu’elle est à l’origine des écarts auxquels nous nous intéressons.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur Lefèvre, vous n’avez pas à être l'arbitre des questions susceptibles d’être posées. Que les causes de cette imprévisibilité soient liées à une certaine politique économique peut relever du champ de cette commission d’enquête. Pour être encore plus clair, ce que je conteste, ce n’est pas le fait qu’un membre de la commission intervienne pour rectifier telle question ou tel positionnement mais qu’il prenne la parole pour induire la réponse que devrait apporter la personne auditionnée. Je ne suis pas d'accord du tout.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Je n’induis rien et vous-même prenez la parole, monsieur le président, ce qui est bien légitime.
M. Éric Woerth (EPR). C’est votre opinion sur la commission d’enquête, monsieur le président. Je pense que notre collègue Lefèvre a tout à fait raison de rappeler certaines choses. En tant que rapporteur, il peut poser les questions qu’il souhaite. Votre commentaire laisse penser que nous pourrions orienter les réponses des personnes auditionnées. Ce serait mépriser quelque peu la responsabilité qui est la leur.
Le déficit public de la France est simplement dû à l’incurie de la classe politique dans son ensemble.
M. le président Éric Coquerel. C’est votre analyse.
M. Éric Woerth (EPR). L'idée que la dépense publique est toujours une solution aux problèmes de la vie politique est répandue. Nous sommes quelques-uns à penser le contraire et il faut avoir le courage d’en tirer les conséquences. Nous avons bien vu que lors de la discussion du PLF, il n’y a pas eu beaucoup de courageux, c’est le moins que l’on puisse dire.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur Woerth, vous êtes en train de donner votre version, et c’est votre droit. Ce que je conteste, je le répète, c'est qu’un collègue ouvre son micro pour répondre à la place de la personne auditionnée, a fortiori quand il s’agit d’un fonctionnaire qui travaille pour le gouvernement. Inévitablement, cela influe sur la réponse qui pourra être faite. Je ne suis pas d'accord.
M. Jérôme Legavre (LFI-NFP). La part représentée par l’impôt dans le financement de la sécurité sociale a augmenté parallèlement à la diminution, sciemment organisée, des cotisations patronales. Je voudrais vous interroger au sujet des conséquences de ces orientations sur l’exactitude des prévisions ainsi que sur les dispositions prises.
Les dispositifs d’allégements généraux de cotisations et d’exemptions d’assiette privent la sécurité sociale de cotisations à hauteur de 86 milliards d’euros. Cette perte est partiellement compensée par des recettes issues d’impôts que ces allégements et exemptions affectent aussi à la baisse ce qui contraint à des emprunts de plus en plus massifs. Dans ce contexte, dans quelle mesure la baisse de rendement de l’impôt sur les sociétés (IS) peut-elle être considérée comme une surprise ?
Selon la mission de l’inspection générale des finances de 2024, les recettes de TVA, soit 205 milliards d’euros pour 2023, enregistrent une moins-value de 7,3 milliards par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023. Cet écart inexpliqué fait peser un aléa sur les prévisions de recettes 2024 et, toujours selon l’inspection des finances, nécessite une analyse qui devra en particulier porter sur le niveau des demandes de remboursements des crédits de TVA.
Eu égard au rôle désormais joué par la TVA dans le financement de la sécurité sociale, j’ai deux questions : l’écart constaté entre prévisions et recettes est-il désormais expliqué ? Au regard de cet écart, quelle est la validité des prévisions de recettes de la sécurité sociale ?
M. Pierre Pribile. Compte tenu des allégements de cotisations, des éventuelles exemptions d'assiettes et des substitutions possibles entre salaires et primes – partiellement exonérées de cotisations –, une évolution de la masse salariale peut avoir des conséquences variées sur le budget de la sécurité sociale ce qui rend la prévisibilité des recettes très délicate. Pour autant, les mesures d’allégement ou d’exemption poursuivent des objectifs importants de politique publique, par exemple en matière d’emploi, qui priment sur la capacité de l’administration à assurer la prévisibilité des recettes et des comptes.
Je ne peux répondre à votre question sur l’IS car cet impôt est hors du champ de compétence de la direction de la sécurité sociale (DSS).
Sur la TVA, vous avez raison de souligner qu’eu égard à la part qu’elle représente dans les recettes de la sécurité sociale puisqu’elle compense notamment les allégements généraux de cotisations, – le moindre écart de recettes, et, a fortiori, s’il est important, comme celui enregistré en 2023, a un impact très fort sur l’équilibre des comptes de la sécurité sociale. À titre d’exemple, le projet de loi de finances rectificative (PLFG) comporte une rectification sur la prévision de recettes de TVA de 1,4 milliard d’euros. Pour une raison de calendrier, nous n’avons cependant pas pu prendre en compte son incidence dans le PLFSS. Or elle impactera défavorablement les comptes sociaux 2024 à hauteur de quelque 300 millions d'euros.
La DSS n’a pas de capacité de contre-expertise sur les prévisions de recettes de TVA, qui relèvent des autres directions du ministère des finances. La DSS intègre néanmoins l’évolution des prévisions au fur et à mesure qu’elles lui parviennent, sauf lorsqu’elles lui parviennent trop tard, ce qui fut le cas dans l’exemple que je viens de donner.
M. Jérôme Guedj (SOC). Après le président Éric Coquerel, je voudrais revenir sur le non-financement du Ségur de la santé et l’origine d’une partie du déficit de la sécurité sociale, sujet déjà abordé avec Franck Von Lennep lors de son audition la semaine dernière. Il ressort d’ailleurs d’une note de bas de page de l’annexe 5 du PLFSS, c’est-à-dire d’un document que vos services ont élaboré, que le montant du déficit de la branche maladie correspond quasiment au non-financement du Ségur de la santé. Le déficit de 15 ou 16 milliards traduit ainsi le choix qui a été opéré de ne pas financer le Ségur de la santé dont le coût, après une montée en puissance progressive, est aujourd’hui d'environ 13,6 milliards. Certes, vous n’êtes pas à l’origine de la décision du Ségur, qu’au demeurant nous approuvons car la revalorisation du salaire des soignants constitue une dépense justifiée, mais comment décider une dépense aussi massive – estimée à l’époque à 8,6 milliards d’euros – sans prévoir de recettes ? Dans le circuit de préparation des PLFSS y a-t-il eu un questionnement politique et administratif sur le moyen de financer cette mesure, en revenant sur des exonérations ou en votant des recettes nouvelles ? Comment décider une dépense si importante sans la financer ?
M. Pierre Pribile. J’ai déjà répondu à M. le président Coquerel. Cette dépense est désormais incluse dans les comptes. Toutes les mesures que le gouvernement proposera à votre assemblée de prendre auront vocation à combler le déficit. Au stade où nous en sommes, à l’aube de l’année 2025, nous mentionnons ce point lors de nos échanges avec les ministres – il figure d’ailleurs en annexe du PLFSS – mais, sans perdre la mémoire du passé, nous ne raisonnons plus pour savoir comment financer aujourd’hui une dépense décidée il y a cinq ans. Nous formulons des propositions en dépenses ou en recettes pour répondre à la situation telle qu’elle est à présent et parvenir à l’équilibre des comptes sociaux. Ainsi, dans nos notes de précadrage ou de cadrage du PLFSS, le sujet du Ségur de la santé constitue un sous-jacent, il ne donne pas lieu à un exposé explicite de financement a posteriori d’une dépense non financée.
Au demeurant, le Ségur n’est pas un cas isolé : il existe de nombreux exemples de dépenses décidées sans qu’en face soit prévue une recette, par économie ou gage. Nous devons donc résoudre une équation qui intègre une série de décisions de ce type et nous ne revenons pas, dépense par dépense, à la racine de chacune.
Mme Véronique Louwagie (DR). Ma question ne portera pas sur l’écart de prévision proprement dit. Vos propos et nos débats mettent en lumière un problème de financement de dépenses évolutives par des recettes assises sur les revenus du travail. Selon vous, notre système de financement de la protection sociale est-il toujours d’actualité ? Alors que les dépenses de soins continuent à augmenter tandis que les recettes n'évoluent pas de la même manière, ne conviendrait-il pas de revoir le financement de la protection maladie ? Celle-ci bénéficie à tous les Français, qu’ils travaillent ou non, tout en étant exclusivement financée par les revenus du travail ; s’il est juste que 65 millions de Français soient couverts, ne faut-il pas réfléchir à un autre système ? Avez-vous conduit des travaux pour proposer un autre dispositif de financement ?
M. Pierre Pribile. C’est un vaste sujet ! La question du financement de notre protection sociale est posée de manière permanente et le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS) formule régulièrement des propositions.
Nous ne sommes plus tout à fait dans la situation que vous décrivez où seuls les revenus du travail financeraient l’assurance maladie. Ainsi, la contribution sociale généralisée (CSG), qui constitue une recette importante pour la sécurité sociale, est assise sur les revenus du travail mais aussi sur les revenus du capital et sur les revenus de remplacement. Historiquement, nous avons considérablement élargi le financement de la protection sociale : il ne repose plus uniquement sur les revenus du travail même si, in fine, seul le travail génère de la richesse et des recettes. Autre exemple, la TVA, qui compense les allégements de cotisations décidés pour des raisons économiques, est devenue un mode de financement majeur de notre sécurité sociale. Or elle n’est pas exclusivement assise sur le travail, loin s’en faut.
Cette évolution, normale, puisque, comme vous l'avez dit, l’assurance maladie est désormais universelle et n’est pas réservée aux seuls travailleurs de sorte que chacun doit y contribuer, est déjà bien engagée, et il n’y aura pas de retour en arrière. L’élargissement des modes de financement est nécessaire pour réduire l’écart entre les recettes et la dynamique propre des dépenses.
Pour autant, si l’on prend du recul, au-delà des prérogatives qui sont les nôtres, l’évolution des richesses constitue finalement le déterminant majeur des facultés de financement. Nous ne pourrons faire face à l’évolution des dépenses si nous ne produisons pas davantage de richesses.
La question du dynamisme des dépenses est également posée. Les dépenses d’assurance maladie, qui permettent un système de solidarité formidable au bénéfice de nos concitoyens, représentent 250 milliards d’euros, ce qui est considérable. Une partie de cette dynamique peut être freinée par un travail sur l’efficience de ces dépenses. Il est évident que sur un montant global de 250 milliards toutes ne sont pas toutes efficaces : il y a un travail quotidien à mener sur ce point. Ma conviction est que si cet effort indispensable sur l’efficience des dépenses permettra de rapprocher dépenses et recettes, il ne comblera pas le déficit actuel de 15 milliards d’euros.
Mme Véronique Louwagie (DR). Avez-vous mené des travaux en vue d’abandonner complètement les recettes assises sur les revenus du travail pour financer les dépenses maladie ?
M. Pierre Pribile. Non, pas depuis ma nomination en avril dernier.
Le sens de l’histoire n’est pas tant d’abandonner les recettes assises sur les revenus du travail que d’essayer d’élargir les sources de financement de façon à ce que le travail ne représente pas le seul contributeur pour la sécurité sociale. Nous cherchons moins à supprimer un mode de financement qu’à en organiser un dont le dynamisme soit le plus proche possible de celui des dépenses et qui soit le plus juste possible car tous nos concitoyens bénéficient de l’assurance maladie et tous doivent donc contribuer à mesure de leurs moyens.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Les dépenses non compensées par des recettes constituent des choix politiques auxquels, n’en déplaise à M. Woerth, toute cette assemblée n’a pas participé.
Ma question porte sur les faillites. En 2023, avez-vous anticipé le nombre de faillites d'entreprises et les baisses de cotisations afférentes ? En fonction de votre réponse, compte tenu de l’accélération actuelle d’ouverture de procédures collectives, quelle est l'anticipation des baisses de cotisations pour 2025 ?
M. Pierre Pribile. Les faillites ne constituent pas une source explicative majeure des écarts entre recettes et dépenses de sécurité sociale. Nous suivons davantage l’évolution du reste à recouvrer des Urssaf ; or, cet indicateur n’est pas actuellement préoccupant. Nous ne sommes pas indifférents à ce qui se passe dans l’économie mais, actuellement, cela n’a pas un impact majeur sur la dynamique des recettes.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Si, malgré son ampleur, le nombre de faillites n'est pas préoccupant au regard des recettes de la sécurité sociale, qu’en est-il de son impact sur les dépenses sociales ?
M. Pierre Pribile. Si je comprends bien, vous posez la question de l’évolution potentielle de l’emploi. Le texte qui vous avait été soumis est bâti sur une hypothèse d’augmentation de la masse salariale en repli par rapport à celle de 2024, qui reste plausible à l’heure actuelle.
De mémoire, l’hypothèse de hausse de la masse salariale pour 2024 était de 3,2 % ; elle sera réalisée. La prévision est de 2,8 % en 2025, soit un léger repli, intégrant une forme de ralentissement de l’économie prévue par la direction du Trésor.
Mme Christine Arrighi (EcoS). À hauteur de combien de points de PIB, cette forme de ralentissement de l’économie est-elle intégrée dans vos prévisions ?
M. Pierre Pribile. Nous ne l’intégrons pas en point de PIB ; nous traduisons ces prévisions en recettes pour la sécurité sociale. Chaque indicateur économique ne donne pas lieu à une traduction particulière dans le budget de la sécurité sociale, c’est la résultante de nombreux indicateurs qui produit un objectif de recettes. Ainsi, je ne peux pas vous dire exactement le lien entre un indicateur donné et la recette figurant dans le document qui vous a été fourni. Je n’ai donc pas de réponse univoque à votre question.
Ce ralentissement est intégré. La question est de savoir s’il se produira ou non. Si ce n’est pas le cas, nous constaterons un écart à la prévision tel que celui à l’origine de votre commission d’enquête pour les années passées.
Au surplus, nous évoquons des prévisions sur une année qui n’a pas encore commencé ! À l’aube de 2025, notre travail est de traduire une hypothèse macroéconomique mais non de comparer une hypothèse à un début de réalisation, ce qui sera fait à la fin du premier trimestre 2025.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Les futurs défauts de prévision donneront lieu à une autre commission d’enquête !
Ma deuxième question porte sur la fraude. Selon le rapport du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et France Stratégie de septembre 2024, la fraude se situe du côté des entreprises et non des assurés. Dans le contexte de faillites massives que je viens d’évoquer, comment intégrez-vous le niveau de la fraude et comment vous semble-t-elle en mesure de prospérer ? Disposez-vous d’indicateurs spécifiques intégrés à vos modèles macroéconomiques ?
M. Pierre Pribile. Vous faites sans doute allusion au rapport du HCFIPS qui évalue la fraude sociale à 13 milliards d’euros dont la moitié provient d’une fraude à la contribution des entreprises ou des travailleurs indépendants.
La lutte contre la fraude constitue un enjeu majeur car, outre son impact financier, la fraude altère le consentement à notre système, son équité et l’égalité devant les charges publiques. Pour la combattre, nous fixons des objectifs aux caisses de sécurité sociale et nous leur accordons des moyens. Ainsi des postes supplémentaires d’inspecteurs et de contrôleurs ont-ils été alloués aux Urssaf. Cela produit des effets. Les indicateurs de fraudes identifiées et de recouvrements enregistrent une évolution positive, même s’il existe toujours un écart entre les deux du fait, par exemple, de la capacité d’une entreprise éphémère à disparaître opportunément avant de verser les redressements.
Le rapport du HCFIPS rappelle d’ailleurs que ce type de fraude ne peut donner lieu à un recouvrement intégral puisque de nombreux fraudeurs ont la capacité d'organiser leur insolvabilité ou de s’évanouir avant que les fraudes ne soient identifiées. Pour autant, nous ne relâchons pas nos efforts car il en va d’une question d’équité, au-delà même du rendement.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Une étude de l’Insee a démontré que le jour de carence n’avait pas fonctionné dans l’éducation nationale : une explosion des arrêts de longue durée est venue écraser les effets prétendument favorables de ce jour de carence.
Cependant, l’instauration de trois jours de carence dans la fonction publique a été annoncée par le gouvernement démissionnaire. Avez-vous évalué l'efficacité escomptée de cette réforme ? À quelle hauteur pour 2024 et 2025 ?
M. Pierre Pribile. Nous n'avons pas mené de travail de ce type car cette mesure concerne le budget de l’État. Aucune disposition n’est prévue en la matière pour le secteur privé dans lequel les jours de carence existent déjà avec des modalités différentes.
Nous ne sommes pas à l’origine de cette proposition et nous ne sommes pas en situation de chiffrer son impact car elle ne relève pas de la sphère de la sécurité sociale. La sécurité sociale ne rembourse pas les arrêts de travail des fonctionnaires ; ils sont compensés par l’État qui assure lui-même le remplacement du salaire.
Mme Perrine Goulet (Dem). En 2023, il avait été prévu que le rendement de la TVA serait peu dynamique en raison de l’affaiblissement de la consommation intérieure. Or le PLFSS 2024 est bâti sur une hausse de recettes de 3,2 milliards, que le HCFP trouvait optimiste. Pourquoi n’avoir pas suivi les mises en garde du HCFP ?
Dès mai 2024, la commission des comptes de la sécurité sociale a constaté une insuffisance de recettes de 5,4 milliards d’euros ; en juillet, le comité d’alerte a prévenu que la progression spontanée des dépenses de soins dépasserait la prévision à hauteur de 1 milliard d’euros. Dans de nombreux territoires, nos concitoyens peinent pourtant à se soigner ce qui amène à s’interroger sur la dynamique de ces soins de ville. Comment vos services ont-ils réagi face aux alertes ? Pourquoi les honoraires des médecins spécialistes, des masseurs-kinésithérapeutes et les indemnités journalières (IJ) ont-ils été mal calibrés pour 2024 ?
M. Pierre Pribile. En matière de TVA, nous sommes consommateurs de données. Nous ne savons pas prévoir l’évolution de ses recettes ; nous intégrons au fur et à mesure de leur communication les données fournies par nos collègues de Bercy sans être en mesure de les contre-expertiser.
Nous sommes en revanche contributeurs s’agissant des prévisions de dépenses d’assurance maladies. Il est exact que, par rapport aux difficultés d’accès aux soins dans certains territoires, la dynamique des dépenses peut surprendre. Cela démontre que le système de santé répond à la demande de soins. Contrairement au budget de l’État, le budget de la sécurité sociale n’est pas limitatif. Le PLFSS crée des règles de prise en charge puis les patients génèrent des dépenses en consultant et en se rendant à l’hôpital. L’évolution des dépenses suit donc les besoins de soins de nos concitoyens, ce qui est une bonne chose. Nous n’arrêtons pas de soigner au prétexte que l’Ondam est dépassé et cela est heureux ! Lorsque nous entrevoyons un dépassement de l’Ondam, nous disposons de leviers tels que des mesures réglementaires infra-annuelles. Il demeure qu’elles ont un impact résiduel. Nous essayons plutôt d’intégrer au mieux les dépenses de l’année écoulée pour bâtir le PLFSS de l’année suivante.
Dès lors que l’aléa est inévitable en matière de dépenses de soins, nous prévoyons aussi des mises en réserve sur l’Ondam. En 2024, elles se sont élevées à 700 millions d’euros. Cette année la dynamique étant supérieure aux mises en réserves, elles ne suffiront pas à combler l’écart entre les dépenses constatées et celles qui avaient été prévues. Chaque année, nous apprenons et nous intégrons les leçons des exercices passés.
En ce qui concerne les indemnités journalières, je n’ai pas de réponse à votre question. Nous sommes surpris du dynamisme de ces dépenses. Une partie de l’augmentation de leur montant s'explique par un « effet prix » : les IJ étant exprimées en taux de remplacement du salaire, la hausse des salaires liée à l’inflation se reflète dans les IJ. Il existe également un effet démographique : lorsque les seniors restent plus longtemps dans l’emploi, la probabilité d’arrêts de travail augmente. Toutefois, cet effet est partiellement compensé par la hausse du nombre de jeunes apprentis.
Nous constatons donc, sans pouvoir l’expliquer, une hausse généralisée des arrêts de travail quel que soit l’âge. La question qui se pose pour nous est de déterminer si ce comportement est durable et doit être intégré dans nos prévisions ou s’il est conjoncturel. Il est très difficile d’y répondre de manière univoque. Nous ne pouvons que nous tromper même si nous essayons de nous tromper le moins possible !
Mme Perrine Goulet (Dem). Afin de bien comprendre, je reviens sur la première partie de ma question relative à la TVA. Même si le HCFP estime qu’une prévision est incorrecte, si Bercy vous demande de l’intégrer, vous le faites ?
M. Pierre Pribile. Par principe, nous disposons tous des mêmes chiffres sinon les textes seraient incohérents. Il arrive que nous nous comprenions mal, mais cela reste tout de même assez rare car nous échangeons énormément.
L’hypothèse sous-jacente à nos textes est la même que celle sur laquelle le projet de loi de finances (PLF) est construit. Si Bercy ajuste sa prévision, nous ajustons la nôtre de la même manière. Lorsque le HCFP fait des remarques ou des observations, nous n’en tirons pas des conclusions différentes de celles d’autres administrations.
Mme Perrine Goulet (Dem). Nous devrions peut-être mieux regarder ce que nous dit le HCFP !
Pour revenir aux IJ, avez-vous lancé une campagne de sensibilisation des soignants au sujet des arrêts de travail ? Que mettez-vous en place pour lutter contre la fraude de certains soignants, mise en lumière par certains faits divers récents ?
M. Pierre Pribile. L’assurance maladie suit quotidiennement les dépenses relatives aux arrêts de travail et identifie, le cas échéant, les prescripteurs les plus prodigues. Cependant, chaque patientèle étant différente, il est difficile de repérer dans des chiffres la réalité d’une fraude ou d’une prescription excessive. La surveillance des arrêts de travail a néanmoins été renforcée au cours des derniers mois, compte tenu de l’évolution constatée des dépenses.
Comme pour les fraudes aux cotisations, l’assurance maladie a des objectifs en matière d’identification des fraudeurs et de perceptions d’indus. La moitié des fraudes évaluées par le HCFIPS sont le fait d’employeurs, alors que 10 % des 13 milliards d’euros de fraude sont commis par des professionnels de santé. Les actions de l’assurance maladie sont particulièrement importantes pour prévenir les fraudes, identifier les responsables et récupérer les sommes indues.
M. le président Éric Coquerel. Si je comprends bien, s’agissant de la TVA, il vous arrive donc de constater un écart entre les chiffres que vous observez et ceux communiqués par Bercy. Avez-vous le souvenir d’écarts suffisamment significatifs pour que vous décidiez de les signaler ? Cette question prend tout son sens puisque le manque de prévisibilité résulte notamment du rendement de la TVA.
M. Pierre Pribile. Nous n’avons aucune visibilité sur le rendement de la TVA : nous ne voyons que ce que voit l’Urssaf. Nous disposons de si peu d’éléments que nous ne contribuons même pas à la réflexion sur la prévision de l’atterrissage de la TVA. En d’autres termes, nous sommes de simples clients de cette prévision et de son actualisation.
M. le président Éric Coquerel. Je n’avais pas compris ça.
M. Christophe Plassard (HOR). Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de votre présence et du travail essentiel que vous accomplissez au service de la sécurité sociale, qui est un pilier de notre modèle social. Alors que nous traversons une période marquée par des défis économiques et sociaux majeurs, la pérennité du système de protection sociale est au cœur des préoccupations des citoyens et des responsables politiques. Ces derniers s’inquiètent de la retraite et du vieillissement de la population, qui sont intrinsèquement liés.
Les retraites constituent d’ailleurs le poste essentiel des dépenses sociales, avant même les dépenses en matière de santé, d’éducation nationale ou de défense. Le vieillissement inexorable de la population fragilise le système de retraite par répartition.
Les mesures visant à conditionner les allocations familiales aux revenus des parents ont-elles contribué à la baisse du taux de natalité et, ce faisant, au vieillissement de la population ? Quelles mesures seraient souhaitables pour enrayer la baisse de la natalité ?
Par ailleurs, pensez-vous que la transition vers un système de retraite par capitalisation – même partiel comme dans la sphère publique – est inévitable ? Pensez-vous qu’il soit souhaitable, quand bien même nous serions parvenus, à terme, à rajeunir notre population ?
M. Pierre Pribile. Le vieillissement de la population est avant tout une bonne nouvelle. Il a cependant un fort impact sur les comptes sociaux, tant sur la branche vieillesse que sur la branche maladie ; les Français vivant plus longtemps, non seulement ils ont statistiquement besoin de plus de soins, mais ils en ont besoin plus longtemps. Il se traduit également par l’essor des maladies chroniques, qui représentent un coût considérable pour l’assurance maladie : grâce aux progrès de la médecine, un patient qui serait décédé prématurément d’une maladie aiguë est désormais un malade chronique.
La question à laquelle nous devons répondre est celle de son financement ; la réponse relève d’un choix éminemment politique, qui vous incombe chaque année lors de l’examen du PLFSS. L’existence même de la sécurité sociale permet à tous nos concitoyens de bénéficier du progrès médical, quels que soient leurs moyens et quel que soit le coût de leurs soins.
Par ailleurs, je ne dispose d’aucune donnée accréditant un lien de causalité entre l’évolution du mode de calcul des allocations familiales et celle de la natalité. Par-delà le versement de prestations financières, la branche famille a récemment concentré ses efforts sur les services rendus aux familles – garde d’enfant, accompagnement du congé parental et du congé de naissance – visant à rendre l’accueil d’un enfant aussi simple que possible.
Quant à la transition vers un système de retraites par capitalisation, il s’agit d’un choix entièrement politique. Elle n’a pour moi rien d’inéluctable du point de vue technique. Dans un système de retraites par répartition, les actifs financent les pensions de retraite de leurs parents ; la transition ne sera pas simple pour leurs enfants s’ils doivent financer celle de leurs parents ainsi que la leur dans le cadre d’un système de retraite par capitalisation.
M. Christophe Plassard (HOR). Dans le secteur public, une partie de la retraite repose sur un système de capitalisation. Ne faudrait-il pas l’introduire également dans le secteur privé, non pas pour se substituer au système actuel, mais pour le renforcer ?
M. Pierre Pribile. Ce choix est éminemment politique. Vous faites référence au régime complémentaire des fonctionnaires, dont les primes ne sont pas prises en compte dans les cotisations pour la retraite ; il a été instauré afin de compléter leurs pensions de base. Il existe déjà des systèmes de retraites complémentaires dans le secteur privé, fondés sur des cotisations plutôt que sur la capitalisation ; ils sont gérés par les partenaires sociaux et fonctionnent bien.
Faudrait-il cotiser davantage dans un système par répartition amélioré ou instaurer un système par capitalisation ? Les deux sont techniquement envisageables, mais le choix est parfaitement politique.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Je m’exprime au nom du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires. Monsieur le directeur, vous êtes mis à disposition du ministre de l’économie en matière d’évaluation des éléments relatifs à votre mission. Je suis frappé par les pertes de recettes au regard des prévisions des deux dernières années ; elles s’élèvent à 4,8 milliards en 2023 et à 4,9 milliards en 2024. On nous explique que la croissance de la masse salariale a été surestimée, mais cet écart considérable est constant sur la période. Avez-vous influencé la direction du Trésor, qui synthétise les chiffres, ou vous êtes-vous mis d’accord sur cette estimation ?
La contribution sociale généralisée (CSG) et les prélèvements sociaux sur le capital présentent également des écarts, d’un montant de 1,8 milliard en 2023 et 2,7 milliards en 2024. Quant aux recettes de la TVA, dont un peu plus d’un quart contribue au financement de la sécurité sociale, elles accusent un recul de 12 milliards par rapport aux prévisions.
Les évaluations de recettes liées à la vente de tabac sont bien de votre ressort. Vous attendiez une hausse, à la suite d’une augmentation des prix, et nous constatons finalement une baisse des recettes. Je suis frappé, là encore, par le montant du manque à gagner, de 800 millions, par rapport à une recette de 12,9 milliards ; il fait suite à une perte plus modeste de 100 millions l’année précédente. Il me semble qu’il n’a pas été tenu compte du marché parallèle.
Enfin, les dépenses sont évaluatives et non limitatives. Or le déficit croissant des hôpitaux ne figure pas dans vos prévisions ; il est estimé, pour les seuls hôpitaux publics, à 2 milliards en 2025. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet, ainsi que sur le déficit des cliniques privées ?
M. Pierre Pribile. Nous ne prétendons aucunement influencer la direction du Trésor. Nous n’avons pas les compétences pour influer sur l’ensemble des hypothèses macroéconomiques pour l’année à venir ; la technologie nécessaire appartient à la direction du Trésor. Nous n’avons d’ailleurs pas un rôle d’influence, mais de collaboration entre directions, afin de conduire au mieux les politiques publiques. Il nous incombe d’ajuster les prévisions des recettes qui nous sont destinées à ce que nous constatons – à l’exception de la TVA, comme je l’ai expliqué. Notre apport est de plus en plus intéressant au fil de l’année, mais inexistant avant qu’elle commence : nous ne pouvons rien constater avant que les cotisations aient commencé à être versées. Nous n’avons donc pas d’influence sur l’hypothèse de départ, mais nous l’intégrons à nos prévisions. Par la suite, nous coopérons à rectifier l’hypothèse en fonction des encaissements constatés par l’Urssaf.
Vous avez raison, un écart de 800 millions a été constaté entre les recettes escomptées sur le tabac et ce que nous envisageons de collecter en fin d’année ; deux principaux éléments expliquent cette situation. Jusqu’à présent, lorsque l’on augmentait la fiscalité sur le tabac, le prix du tabac augmentait d’autant, mais pas davantage. Or en 2023 et en 2024, nous avons constaté l’augmentation du prix hors taxes du tabac ; peut-être les fabricants ont-ils anticipé sur le prix cible annoncé par les pouvoirs publics, préférant récupérer de la marge plutôt que de verser davantage de taxes ? C’est une hypothèse parmi d’autres. En tout cas, la hausse des prix a été bien supérieure à celle qu’aurait dû induire la seule augmentation de la fiscalité sur le tabac.
Le deuxième élément est sans doute lié au premier : la diminution des volumes de ventes a été supérieure à l’augmentation de la fiscalité, bien plus que lors des précédentes opérations de ce type, si bien que les recettes ont rapporté 800 millions de moins que prévu. Nous nous sommes posé la question du marché parallèle ; nous ne sommes pas naïfs au point de penser qu’elle est inexistante, en particulier quand les écarts de prix sont importants – c’est le cas avec certains pays limitrophes. En tout état de cause, une partie de cette moindre recette constitue une bonne nouvelle, puisqu’elle résulte d’une moindre consommation de tabac, dont on connaît les effets délétères sur la santé de nos concitoyens et donc, sur les dépenses de l’assurance maladie.
Des données, issues des études menées par Santé publique France (SPF) sur la consommation de tabac, permettent d’accréditer cette thèse puisqu’elles confirment une inflexion à la baisse en 2023. Une partie de ces 800 millions d’euros manquants correspond donc à une mauvaise nouvelle – une augmentation du trafic et des fraudes –, mais l’autre partie est une bonne nouvelle pour la santé publique et les comptes sociaux puisque la diminution de la consommation de tabac est aussi un effet recherché de la hausse de la fiscalité.
M. Gérault Verny (UDR). Vous avez expliqué qu’une transition vers un système de retraite par capitalisation soumettrait les enfants des actifs d’aujourd’hui à un double prélèvement, mais ce sont bien ces derniers qui devront supporter la dette de 3 300 milliards produite par le régime déficitaire des retraites !
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 prévoyait 631 milliards de produits, soit une augmentation de 5 % par rapport aux 600 milliards constatés en 2023. Comment avez-vous pu considérer une prévision aussi optimiste alors qu’aucune prévision macroéconomique n’allait dans ce sens ?
M. Pierre Pribile. L’augmentation des recettes figurant dans les PLFSS résulte toujours de deux éléments : les mesures nouvelles qui y sont présentées et l’évolution naturelle des recettes liées au dynamisme de l’économie. Même lorsque le climat économique n’est pas au beau fixe, la masse salariale augmente – une baisse des recettes ne pourrait résulter que d’un énorme choc économique. La dynamique de cette augmentation naturelle n’est généralement pas suffisante pour compenser la dynamique spontanée de l’évolution des dépenses, mais ce n’est pas parce que l’évolution des recettes est insuffisante qu’elle est négative.
M. Gérault Verny (UDR). Vous expliquez tout cela sur un ton docte, comme si les prévisions s’étaient avérées, mais ce n’est pas le cas ; surestimées, elles étaient erronées. J’aimerais que vous me répondiez plus précisément. La même question se pose pour les prévisions de recettes supplémentaires de l’impôt sur les sociétés : comment pouvez-vous prévoir une augmentation aussi importante des recettes de la sécurité sociale alors que la croissance attendue était de 1 % ?
M. Pierre Pribile. Il n’y a pas un lien univoque entre le taux de croissance et les recettes dégagées. Le principal déterminant des recettes de la sécurité sociale est l’évolution de la masse salariale, mais pour un taux de croissance donnée, la masse salariale peut évoluer de façon très différente. Une fois prise en considération la prévision du scénario macroéconomique de l’État, nous fournissons un travail non pas docte, mais acharné, pour lequel il n’existe ni solution unique ni contre-expertise.
Une fois connue l’évolution de la masse salariale, nous formulons différentes hypothèses : si elle est tirée par des revenus proches du smic, elle entraînera peu de recettes supplémentaires en raison des nombreuses exonérations de cotisations sur les bas salaires, alors que si elle est répartie de façon homogène sur l’échelle des salaires, elle sera plus profitable pour les caisses de la sécurité sociale. En tout état de cause, la prévision de recettes est le fruit d’un grand nombre d’hypothèses. L’écart est important entre les prévisions et le point d’arrivée : le déficit est de 18 milliards, contre 10 milliards prévus. Sur les 8 milliards d’écart, 6 sont dus à une surestimation des recettes. Cela étant, ces dernières augmentent par rapport à l’année précédente, certes insuffisamment, en raison de l’évolution positive de la masse salariale.
M. Gérault Verny (UDR). Selon la Cour des comptes, la fraude et les prestations indûment versées s’élèvent à 14 milliards d’euros dans la branche famille. Que mettez-vous en œuvre pour les réduire massivement, d’autant que ce montant correspond, à peu de chose près, à celui du déficit de la sécurité sociale ?
M. Pierre Pribile. Le dernier rapport particulièrement éclairant à ce sujet est celui du HCFIPS : il évalue le montant de la fraude à 13 milliards d’euros, sur un périmètre beaucoup plus large que la sécurité sociale au sens où nous l’entendons. Il s’agit d’une évaluation statistique : si nous connaissions exactement les montants, nous saurions où les récupérer.
Une partie de ce montant correspond à des prestations qui n’entrent pas dans le périmètre de la sécurité sociale et qu’on ne peut donc rapprocher des comptes sociaux : la prime d’activité, le RSA, les allocations de logement et les allocations de chômage, soit plus de 3 milliards. De manière générale, on ne peut rapprocher le montant de la fraude de celui du déficit de la sécurité sociale. Par ailleurs, ce dernier résulte davantage d’un écart de dynamiques que d’un écart de niveaux : on court après une dynamique de dépenses, que la dynamique de recettes ne suffit pas à compenser.
Nous avons amélioré nos outils d’évaluation de la fraude, dont le montant ne correspond pas à celui du déficit. Ce n’est cependant pas une raison pour ne pas agir et une grosse partie des efforts que nous menons vise à limiter la fraude. La branche famille a des objectifs à atteindre en la matière, concernant des prestations qui ne relèvent pas de la sécurité sociale, mais qui sont délivrées par des agents de la sécurité sociale.
Afin de fiabiliser le recours à certaines prestations – notamment le RSA et la prime d’activité –, nous avons lancé un chantier visant à préremplir les demandes d’allocation grâce aux données dont dispose déjà l’administration. En effet, tout ne relève pas de la fraude : les démarches sont d’une telle complexité que les allocataires ne savent pas toujours ce qu’ils doivent déclarer.
Je suppose que vous faites référence au rapport de certification de la branche famille par la Cour des comptes : il pointe une forme d’incertitude quant au bien-fondé des dépenses, liées pour partie à de la fraude, contre laquelle nous luttons, et pour partie à la complexité du système. Le chantier de préremplissage permettra de lutter contre les deux ; il est en cours d’expérimentation dans cinq caisses d’allocations familiales (CAF), avant une généralisation au cours du premier semestre 2025. Bien évidemment, les allocataires pourront corriger et compléter les formulaires préremplis, comme il est possible de le faire pour les déclarations d’impôt. Nous pourrons ainsi identifier les écarts entre les données dont nous disposons et ce que déclarent les allocataires, pour améliorer nos processus de collecte des données ou pour désamorcer d’éventuelles tentatives de fraude. Cela fait partie de nos efforts pour garantir le bien-fondé des dépenses réalisées par les CAF, qui ont un impact sur les comptes de l’État ou des collectivités locales.
M. le président Éric Coquerel. Je voudrais revenir sur la décorrélation entre la situation macroéconomique et les prévisions, évoquée par Mathieu Lefèvre. Vous avez expliqué qu’il n’y avait pas de décorrélation totale ; vous dites maintenant que l’effet de la croissance sur les prévisions n’est pas mécanique. Certes, il n’y a pas de lien direct : ainsi, si la masse salariale se maintenait alors que la croissance baissait, c’est la compétitivité globale qui diminuerait. Toutefois, une analyse du Fonds monétaire international (FMI) de 2016 estimait que si le lien n’est pas mécanique, il n’est pas non plus totalement inexistant. Dans la situation actuelle, il existe un lien entre l’augmentation des déficits et une croissance moins forte qu’estimée. C’est pourquoi je trouve votre réponse imparfaite : vous constatez qu’il n’y a pas de lien direct, mais comment envisagez-vous d’améliorer la situation ?
M. Pierre Pribile. Il y a une corrélation, mais on ignore laquelle ; elle peut fluctuer. Le taux de croissance n’induit pas, de manière univoque, un résultat attendu. Quand bien même il serait constant, la composition de la croissance et celle de la masse salariale peuvent différer d’une année à l’autre.
M. le président Éric Coquerel. Comment peut-on améliorer cela ?
M. Pierre Pribile. La prévision du coût des allégements généraux, qui s’élèvent à 80 milliards, est un sujet particulièrement complexe. Quelques pourcentages d’erreur peuvent provoquer des écarts importants – à la hausse ou à la baisse.
Nous menons le travail d’amélioration que vous appelez de vos vœux en nous basant sur notre expérience. Le choc d’inflation que nous venons de vivre, ainsi que la très forte dynamique salariale qui en a découlé, nous ont servi de simulation grandeur nature : le résultat que nous constatons aujourd’hui est le fruit de ce double choc sur le système. Dans notre modèle de prévision, nous avons pu ajuster les paramètres. Je ne peux cependant vous promettre qu’à l’avenir nos prévisions seront exactes au million d’euros près. Un exercice de prévision reste un exercice de prévision.
M. Fabien Di Filippo (DR). Le nombre d’arrêts maladie a augmenté de 30 % en onze ans, entraînant une dérive constante des indemnités journalières qui se chiffre aujourd’hui en milliards d’euros. Les conditions de travail dans les entreprises ne se sont pourtant pas dégradées dans des proportions justifiant cette hausse, et les arrêts maladies, qui cachent régulièrement bien d’autre chose qu’un problème de santé, sont souvent fort discutables.
Comment le nombre d’arrêts maladie et le coût des indemnités journalières ont-ils évolué en 2023 et 2024, non seulement par rapport à l’année précédente, mais aussi à vos prévisions ? Concrètement, comment y avez-vous pallié ?
M. Pierre Pribile. Effectivement, en 2023 et en 2024, les indemnités journalières ont largement contribué à la hausse des dépenses de l’assurance maladie. Il y a eu une rupture de tendance marquée après la crise du covid-19, que nous peinons encore à expliquer complètement.
L’indemnité journalière correspondant à une fraction du salaire de base, et les plafonds dépendant eux-mêmes du Smic, le choc d’inflation et la dynamique salariale erratique qui s’est ensuivie ont évidemment eu un effet sur l’évolution de la dépense.
Au-delà de cet effet « prix », imprévisible, et qui représente une part non négligeable de la hausse, il existe aussi un effet « volume ». Nous avons tout d’abord pensé qu’il était lié à l’âge : le taux d’emploi des seniors s’améliore, mais la probabilité d’être malade, et donc d’avoir besoin d’un arrêt de travail, augmente avec l’âge. Une fois ce paramètre isolé, la dynamique reste cependant identique ; l’effet de l’âge serait même plutôt négatif en 2024, puisque de plus en plus de jeunes arrivent sur le marché du travail – je pense notamment aux apprentis. Le taux de recours aux arrêts maladie augmente dans toutes les catégories d’âge.
Deuxième hypothèse : pendant la crise du covid-19, l’arrêt de travail relevait presque de l’autoprescription pour limiter les risques liés à l’évolution de l’épidémie, ce qui a pu créer une rupture dans le rapport de nos concitoyens au concept même d’arrêt de travail. Nous constatons néanmoins une hausse non seulement des arrêts de quelques jours, mais aussi des arrêts de longue – voire très longue – durée, qu’un changement de comportement ne saurait expliquer à lui seul : il faudrait donc creuser la piste épidémiologique. Pour l’heure, je ne peux pas vous apporter de réponse en la matière. Quoi qu’il en soit, nous travaillons sur les données dont dispose l’assurance maladie, afin de trouver des réponses plus structurelles pour limiter cette dépense.
M. Fabien Di Filippo (DR). Avez-vous un chiffrage des écarts dont les responsables politiques ont été informés ? Ces alertes formelles ont-elles été entendues ?
M. Pierre Pribile. Comme je l’ai dit, en 2024, s’agissant du dérapage de 1,2 milliard, 400 millions d’euros sont dus aux seules indemnités journalières. Face à cette situation, l’assurance maladie a renforcé ses actions de maîtrise médicalisée des dépenses en direction des patients, des prescripteurs et des entreprises et, parallèlement, l’abaissement à 1,4 Smic du plafond de la base de calcul de l’indemnité journalière, prévue dans le PLFSS pour 2025, aurait dû permettre de diminuer la dépense de l’assurance maladie de 600 millions d’euros – c’était un des paramètres de construction de l’Ondam pour 2025.
Mme Claire Marais-Beuil (RN). Puisque la clause de sauvegarde est une source de recettes, pourquoi ne pas avoir proposé son recalibrage dès que vous avez constaté le dérapage ?
Par ailleurs, quelles ont été les conséquences de l’abrogation du tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) sur tous les produits contenant de l’amoxicilline, décidée le 31 juillet 2023 ?
Enfin, quelle part des indemnités journalières est versée au titre des arrêts de travail prescrits sur des plateformes en ligne, par rapport à la médecine de ville ou hospitalière ? Depuis le covid, il suffit d'aller cinq minutes sur les réseaux pour pouvoir se faire prescrire un arrêt de travail de trois à cinq jours – c’est presque de l’autoprescription !
M. Pierre Pribile. Techniquement, il aurait été possible d’abaisser le seuil de déclenchement de la clause de sauvegarde afin que son rendement permette d’absorber intégralement le dépassement des dépenses, ou presque. D’un point de vue politique, cette solution n’a pas été jugée opportune, car c’est un bouleversement important des règles du jeu, en particulier quand il intervient en fin d’année.
En revanche, le PLFSS pour 2025 prévoyait bien, en complément d’un plan d’efforts d’économie sur les produits de santé à hauteur de 600 millions d’euros, la possibilité d’abaisser le seuil de déclenchement de la clause de sauvegarde en fin d’exercice pour absorber la part d’écart qui n’aurait pas pu l’être grâce au plan d’économies.
Par ailleurs, je n’ai pas la réponse à votre question, très précise, sur l’amoxicilline.
Enfin, il me semble qu’il existe une disposition limitant à trois jours la durée des arrêts de travail prescrits en ligne. Or, comme vous le savez, la sécurité sociale ne verse des indemnités journalières qu’à compter du quatrième jour d’arrêt : au-delà de l’absentéisme dans les entreprises et des difficultés que cela peut créer pour l’économie, ces arrêts n’ont donc, par nature, pas de conséquences financières sur les comptes de l’assurance maladie.
Mme Claire Marais-Beuil (RN). Pour avoir testé, je vous garantis qu’il est possible d’obtenir un arrêt de plus de trois jours.
M. Pierre Pribile. En tout cas, normalement, pas de versement d’indemnités journalières.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Notre commission cherche à expliquer les écarts et à évaluer votre capacité de réaction. Au-delà des mesures que vous pouvez prendre pour l’exercice suivant, quelle est votre capacité réelle à freiner la dépense de l’exercice en cours – en valeur ou en pourcentage – lorsque vous constatez un écart entre les recettes et vos prévisions ou un dépassement de l’Ondam, comme ça a été le cas au printemps dernier ? La sécurité sociale est un gros paquebot, on imagine aisément l’ampleur de l’inertie.
M. Pierre Pribile. Au cours de l’année, elle est très faible, et globalement limitée au montant des mises en réserve, qui sont intégrées dans la construction de l’Ondam, et doivent justement permettre d’absorber un écart avec les prévisions. En 2024, elles étaient de l’ordre de 700 millions d’euros, ce qui aurait dû permettre de couvrir le dérapage, qui était évalué par le comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie à environ 500 millions d’euros en juillet. Dès lors que le dérapage a dépassé le milliard d’euros, la mobilisation des mises en réserve n’était évidemment plus suffisante.
Si c’est une mauvaise nouvelle sur le plan financier, le dynamisme des soins à l’hôpital public est plutôt positif sur le plan sanitaire, car cela prouve que, maintenant que la crise du covid est derrière nous, notre capacité de soins augmente. Reste que l’hôpital public doit inverser une tendance plus ancienne, ce qui complique l’évaluation de la dynamique de rattrapage, qui a été finalement plus rapide que celle que nous avions intégrée dans la construction de l’Ondam.
Au cours d’un exercice, nous pouvons également prendre des mesures réglementaires, comme la modification de la base de calcul de l’indemnité journalière – c’est une des pistes que nous avons instruites cet été à la demande du gouvernement – mais leur rendement reste relativement faible. Par exemple, décider en milieu d’année d’augmenter de cinq points le ticket modérateur sur les consultations médicales ne rapporterait que quelques centaines de millions d’euros. C’est bien loin d’être suffisant pour absorber l’écart constaté cette année, tout à fait inédit.
D’où la nécessité de bien calibrer les prévisions et, le cas échéant, de construire les exercices suivants de façon à absorber les écarts de l’exercice antérieur. C’est une des pistes d’amélioration sur lesquelles nous travaillons. Aujourd’hui, le comité d’alerte raisonne de manière annuelle. Il serait sans doute plus aisé de construire l’Ondam sur deux exercices, ce qui permettrait de maîtriser la dépense tout aussi efficacement – et même peut-être plus intelligemment –, sans avoir à prendre de mesures trop radicales en cas d’écart par rapport aux prévisions.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Aujourd’hui, les dépenses de l’assurance maladie liées aux médicaments s’élèvent à une trentaine de milliards d’euros. Avez-vous observé des écarts majeurs entre les prévisions et les dépenses réelles au cours des deux dernières années ?
Comme on le constate à l’étranger, certains traitements coûtent plusieurs millions d’euros ou de dollars. La montée en puissance des médicaments coûteux n’est pas sans conséquence sur les comptes de l’assurance maladie. A-t-elle déstabilisé vos prévisions de dépenses ? Êtes-vous inquiet de cette explosion des besoins en thérapies de pointe ? Destinées à un public très restreint, elles sont certes coûteuses, mais elles pourraient aussi être source d’économies à long terme.
M. Pierre Pribile. Le coût de ces traitements a effectivement un impact sur les dépenses, et nous sommes un peu inquiets même si, encore une fois, l’essor de ces solutions thérapeutiques est avant tout une bonne nouvelle sur le plan sanitaire – c’est tout le charme de nos sujets. Encore faut-il, ensuite, garantir l’accès à ces traitements, dont nos concitoyens ont rarement conscience du coût réel – et c’est tout à l’honneur de notre système de protection sociale : nos concitoyens souffrant d’un cancer, par exemple, n’ont pas à se demander s’ils auront les moyens de bénéficier d’un traitement qui coûte parfois des centaines de milliers d’euros.
Reste à savoir comment financer cet accès. Comme je l’expliquais, le dérapage des dépenses concernant les médicaments pour 2024 s’explique principalement par des remises sur les médicaments innovants inférieures de 1,2 milliard d’euros à ce qui était prévu.
Les remises relèvent de deux processus. D’un côté, les accords entre le Comité économique des produits de santé et les laboratoires, qui concernent les médicaments les plus coûteux, prévoient des clauses de volumes en vertu desquelles, au-delà d’un volume donné, le laboratoire rétrocède un pourcentage de son chiffre d’affaires, ce qui, mécaniquement, diminue ensuite le prix du médicament. De l’autre, le dispositif d’accès précoce des patients aux traitements les plus innovants – même si les laboratoires y voient probablement surtout le système le plus rapide d’accès au marché ! –, qui permet aux patients de commencer à être soignés avant la fin du processus d’évaluation et de négociation du prix du médicament. Pour faire simple : le laboratoire fixe son prix, auquel on applique une remise forfaitaire ; le prix issu des négociations est ensuite appliqué rétroactivement aux premiers mois ou aux premières années de traitement – c’est ce que l’on appelle le débouclage, qui lui-même génère des remises.
Or, cette année, le rendement des remises a été inférieur de plus de 400 millions d’euros à ce qui était prévu. Il y a donc bien un lien entre le dérapage et l’essor des médicaments innovants, et donc coûteux. Comme tous les autres pays dotés d’un système de solidarité étendu, nous devons nous interroger sur la manière d’absorber l’explosion du coût de ces traitements, qui alimente la dynamique des dépenses d’assurance maladie. À l’avenir, nous devrons sans doute mieux négocier le prix de ces produits, qui restent essentiels pour sauver des vies et améliorer la qualité de vie de nombre de patients. C’est, en tout cas, un des déterminants de l’équation, particulièrement complexe, de l’écart entre les dépenses et les recettes de notre système d’assurance maladie – pour l’année 2024, mais aussi les années à venir.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). D’un point de vue prospectif, il serait intéressant d’évaluer les économies permises à long terme par le recours à ces nouveaux médicaments, capables de guérir ou de bloquer l’évolution de certaines maladies.
M. Pierre Pribile. Les conséquences des médicaments innovants sont saisissantes et dépassent le seul secteur sanitaire : le traitement contre l’hépatite C, par exemple, a permis de guérir des patients et donc d’alléger le système de santé du coût de leur prise en charge. Votre question soulève un point important : notre capacité à produire des études médico-économiques plus complètes, afin que la négociation des prix et la trajectoire de financement de la sécurité sociale prennent en compte ces conséquences économiques à long terme.
M. le président Éric Coquerel. Je vous ai vu acquiescer à l’intervention de Jean-Pierre Bataille, qui soulignait que, ces dernières années, il y avait eu à la fois une augmentation de la consommation de médicaments et de leur prix. À quel point cette double augmentation a-t-elle joué dans la variabilité des prévisions ?
M. Pierre Pribile. Le principal dérapage est celui de 1,2 milliard que je viens de présenter. Et s’il nous inquiète autant, c’est parce qu’il est révélateur de nos difficultés à prévoir le rendement des remises : c’est normal, car il est le fruit de centaines de négociations et de débouclages dont on ne peut anticiper le résultat, mais au regard des volumes concernés – le volume des remises versées sur les médicaments les plus innovants est passé d’à peine plus de 2 milliards avant la crise du covid-19 à plus de 10 milliards aujourd’hui – ; une erreur de prévision dans la dynamique, si minime soit-elle, a tout de suite des conséquences importantes. Par prudence, nous avions tablé sur une remise d’environ 20 %, alors que la dynamique des négociations était plutôt de 30 % à 40 % ces dernières années : malheureusement, nous nous sommes encore trompés de dix points, puisqu’on estime désormais qu’elles ne seront finalement que d’environ 8 %.
M. le président Éric Coquerel. C’est intéressant.
M. Michel Castellani (LIOT). Les prévisions sont toujours incertaines, en particulier dans un domaine multifactoriel comme le vôtre. Vous aviez prévu 10 ou 11 milliards de dépenses, il y en a finalement 16 ou 17. Dans l’absolu, c’est beaucoup, mais au regard de la masse globale, ce dérapage reste relatif.
En dehors des chocs imprévisibles, comment établissez-vous les prévisions ? Disposez-vous de modèles mathématiques et, le cas échéant, l’expérience passée permettra-t-elle de les améliorer ? Quel est le profil des personnels de la commission des comptes – mathématiciens, macro-économistes ?
M. Pierre Pribile. C’est gentil de relativiser le dérapage : certes, au regard de la masse financière en jeu, la plus petite inflexion peut avoir des effets très importants, mais cet écart reste une blessure pour tous ceux chargés de réaliser les prévisions au quotidien – des personnels très compétents, avec un haut niveau de diplôme. Nous sommes mortifiés, mais déterminés à comprendre la source de cet écart et à perfectionner nos modèles statistiques afin d’améliorer tant nos prévisions de départ que leur actualisation au fil de l’année.
En réalité, on ne se réveille pas un matin avec un dérapage de 8 milliards : c’est très progressif. Les dépenses sont actualisées au fil de l’eau, c’est ce qui rend difficile pour les ministres eux-mêmes de savoir à quel moment ils doivent réagir – d’autant qu’il n’est pas forcément souhaitable de donner un coup volant à chaque actualisation.
Nous travaillons à l’amélioration de nos outils, mais aussi de nos raisonnements et réactions face aux informations nouvelles. À cet égard, l’éclairage apporté par les rapports de la commission des comptes de la sécurité sociale est très instructif, et je vous invite à les consulter : dans un souci de transparence, ces 200 pages, fruit du travail des équipes de la direction générale de la sécurité sociale, fourmillent non seulement de données, mais aussi d’autocritique sur les raisonnements menés les années antérieures. Lorsque nous nous sommes trompés, en expliquer la raison à nos concitoyens et les assurer que nous ne reproduirons pas les mêmes erreurs est bien le moins que l’on puisse faire – même si, nous le savons tous, l’histoire ne se répète jamais à l’identique. Et c’est bien ce qui fait tout l’intérêt de nos métiers.
M. le président Éric Coquerel. Merci monsieur le directeur.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 11 décembre 2024 à 9 heures
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Mickaël Bouloux, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Jocelyn Dessigny, M. Benjamin Dirx, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. Daniel Labaronne, Mme Constance Le Grip, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Jérôme Legavre, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, Mme Claire Marais-Beuil, M. Kévin Mauvieux, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, M. Didier Padey, Mme Sophie Pantel, M. Christophe Plassard, M. Nicolas Ray, M. Alexandre Sabatou, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Thomas Cazenave, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Paul Mattei, Mme Marianne Maximi, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, Mme Christine Pirès Beaune, M. Emmanuel Tjibaou
Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, M. Fabien Di Filippo, M. Jérôme Guedj