Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Thomas Cazenave, ancien ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) 2
– Présences en réunion...........................44
Mercredi
18 décembre 2024
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 068
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La Commission auditionne M. Thomas Cazenave, ancien ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958).
M. le président Éric Coquerel. Notre audition de ce jour se tient dans le cadre de nos travaux destinés à « étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 », pour lesquels notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête. Cette audition obéit donc au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
De façon générale, le bureau de la commission a décidé que ces auditions seraient publiques. Les deux rapporteurs de l’enquête, MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, ont élaboré un questionnaire écrit qui a été communiqué à la personne auditionnée et qui vous a également été transmis. Dans un premier temps, après avoir fait prêter serment à la personne auditionnée puis avoir écouté son propos liminaire, moi-même ainsi que les rapporteurs poserons des questions. Les commissaires appartenant aux différents groupes pourront également le faire. Le président et les rapporteurs procéderont, s’ils l’estiment nécessaire, à des relances si des réponses leur semblent insatisfaisantes.
Je rappelle que notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement audiovisuel sera ensuite disponible à la demande.
Nous recevons ce matin M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics jusqu’en septembre 2024.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Thomas Cazenave prête serment.)
M. Thomas Cazenave, ancien ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. Je tiens d'abord à vous remercier pour votre invitation à m’exprimer devant cette commission d'enquête qui me paraît bienvenue. J'ai lu et entendu beaucoup de commentaires inexacts, voire mensongers et l’ensemble des auditions auxquelles vous procédez vous donneront l’occasion de rétablir certains faits indispensables pour comprendre les écarts dans les prévisions et donc éviter que nous y soyons à nouveau confrontés. Avant de revenir plus en détail sur le déroulé des événements, je souhaite partager avec vous quelques éléments de fond.
Les premiers concernent les écarts de prévisions budgétaires, sur lesquels porte votre commission d’enquête comme le montre son intitulé même. Je souhaite rappeler ici qu'il n'y a pas eu de dérapages des dépenses de l'État. C'est un point fondamental sur lequel j'insiste : les dépenses de l'État ont été tenues. En 2023, elles ont été inférieures de 7 milliards d'euros au budget prévu. À la fin de l'année 2024, elles seront de 6 milliards inférieures au niveau fixé dans le projet de loi de finances, si l’on se réfère aux données inscrites par le gouvernement dans le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG). Il n'y a donc eu durant cette période ni laxisme, ni fuite en avant. Nous avons maintenu un pilotage exigeant de la dépense de l'État dont l'exécution est inférieure aux prévisions. Ce que nous maîtrisions, à savoir les dépenses de l’État, nous l’avons maîtrisé.
Deuxièmement, les écarts constatés pour le déficit public en 2023 et en 2024 concernent principalement les pertes de recettes et les dépenses des collectivités. Pour l'année 2024, le montant global de ces écarts s'élève à une cinquantaine de milliards d'euros : 80 % sont imputables aux pertes de recettes, le solde au dynamisme des dépenses des collectivités territoriales. Parmi ces recettes, il faut distinguer l'impôt sur les sociétés (IS), qui pèse pour plus d'un tiers dans l'écart des prévisions, soit un peu plus de 14 milliards d'euros selon les données inscrites au PLFG. Un problème très sérieux d’évaluation des recettes se pose. Or la robustesse des estimations est centrale pour assurer un pilotage efficace de nos finances publiques.
C'est du reste un problème que nous avons déjà rencontré, hélas, dans le passé, avec des écarts négatifs, comme en 2023 et en 2008 lors de la crise financière, mais aussi des écarts positifs du même ordre de grandeur pour les années 2009, 2017, 2020 et 2021. Ces écarts, d'autres pays y ont également été confrontés : en Allemagne, une perte de recettes de plus de 50 milliards d'euros est attendue pour les prochaines années ; aux États-Unis, les services fiscaux ont constaté un écart de 625 milliards de dollars entre leurs prévisions de recettes et les impôts effectivement collectés sur l'année 2023.
Troisièmement, les travaux de la commission permettent, de mon point de vue, de tordre le cou à l'idée qu'il y aurait eu dissimulation, manipulation, procrastination. Les auditions des services confirment que nous avons agi en toute transparence, à partir du moment où nous avons pu disposer de faits correctement établis, après des premières orientations entourées d'aléas ou d'incertitudes. Dès le début de l'année 2024, sur la base d'informations solides, nous avons pris des mesures fortes parmi lesquelles le décret d'annulation de 10 milliards d'euros au mois de février et le lancement d’une mission de l'inspection générale des finances (IGF) sur les écarts de recettes. D'autres mesures ont été annoncées, notamment un plan d'ajustement pour poursuivre les efforts. Le contexte politique est cependant venu percuter la bonne mise en œuvre de l'ensemble de ces mesures.
Permettez-moi une dernière remarque. Vous êtes bien placés ici à la commission des finances pour savoir combien il est difficile de réaliser des économies. C'est d'ailleurs sur ce sujet que le gouvernement de Michel Barnier a été censuré. J'ai toujours soutenu que la situation était difficile et que les efforts devaient être partagés entre l’État, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. J'ai tenu un discours de vérité sur la situation des finances publiques et proposé en conséquence des économies et des recettes nouvelles, avant même le début de l'année 2024. Dès août 2023, en effet, j'ai publiquement annoncé ma volonté de travailler sur le doublement des franchises médicales, en assumant les économies que cela impliquait. J'ai défendu devant vous, avec Bruno Le Maire, les fameuses coupes budgétaires du mois de février, qui ont été assimilées par certains à une politique dite d'austérité. Enfin, j'ai mis en avant la nécessité avec d'autres, dont certains parlementaires, de réaliser des recettes supplémentaires à travers, entre autres, la taxe sur les rachats d'actions et la taxe sur la rente des énergéticiens.
Après ces remarques préliminaires, je souhaiterais revenir plus en détail sur la fin de l'exercice 2023 et l'exercice 2024, ce qui me permettra d'éclairer les travaux des rapporteurs et de répondre aux questions qui ont été soulevées ou qui m'ont été adressées.
À l'automne 2023, nous sommes destinataires de notes, classiques à cette époque de l'année, sur les remontées des différents impôts. Le 9 octobre, une note plutôt rassurante du directeur général des finances publiques nous informe qu’il y aurait une plus-value de 600 millions sur la TVA. Le 16 octobre, les remontées de la direction générale des finances publiques (DGFIP) sur les principaux impôts montrent que les recettes vont être conformes, voire légèrement supérieures aux prévisions. Les prévisions de recettes pour le PLFG pour 2023 sont d'ailleurs jugées plausibles par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), le 27 octobre 2023. Le 30 octobre, une note sur les encaissements des principaux impôts à la fin du mois de septembre met en lumière quelques écarts négatifs, non consolidés et très provisoires, sans commune mesure avec les écarts qui seront constatés à la fin de l'année. Le 27 novembre, une note de la DGFIP sur les encaissements de TVA au 31 octobre fait état d’une dégradation de 1,2 milliard en comptabilité nationale. C’est la première fois qu’est établi un ralentissement de l'activité.
La première alerte est donnée dans la note du 7 décembre 2023. Je vais m'y arrêter un instant car elle constitue une étape clé, notamment pour comprendre ce qu’il était en notre pouvoir de faire à cette date. Elle pointe le risque de ne pas pouvoir atteindre l’objectif de déficit. Toutefois, les services recommandent expressément de ne pas communiquer au sujet des chiffres transmis car ils sont entourés de très nombreux aléas : ils ne sont pas suffisamment consolidés et fiabilisés. En tout état de cause, nous ne pouvons plus intervenir pour l'année en cours car le PLFG a été promulgué une semaine avant, le 30 novembre. Nous ne pouvons pas agir non plus sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, cette note ne comportant aucun élément chiffré pour l'année à venir.
Le rapport interadministrations remis au début du mois de juillet précise que « compte tenu des incertitudes pesant sur les évaluations à ce moment de l'année, du calendrier d'adoption du PLF 2024 ainsi que de l'ampleur des travaux nécessaires pour en tirer les conséquences sur 2024, une analyse chiffrée, robuste et étayée de leurs éventuels effets sur les prévisions 2024 inscrites au PLF n'a pu être menée ». Ces conclusions rejoignent le rapport de l'inspection générale des finances (IGF) qui ne dit pas autre chose. Deux sources différentes s’accordent donc sur les raisons pour lesquelles il était impossible de prendre en compte la note du 7 décembre pour 2024. Par ailleurs, comme l'a indiqué lors de son audition devant votre commission la directrice du budget, modifier un article d'équilibre à partir de prévisions nouvelles implique non seulement de rentrer un nouveau chiffre mais aussi de revoir toute la copie budgétaire. Le 7 décembre, ce n'était plus possible, l'IGF insistant même sur l'aléa élevé existant à cette date.
Cette note fait état d’un risque et Bruno Le Maire et moi-même en informons la Première ministre en soulignant la nécessité d'en faire un sujet prioritaire et de prendre des mesures fortes. Je n'ai pour ma part pas compris l'émoi suscité chez certains par l'envoi de ce courrier qui relève du fonctionnement classique du travail gouvernemental. Nous devons nous préparer à prendre de nouvelles décisions et ce sera chose faite dès le début de l'année 2024.
Le 16 février, les services de Bercy établissent les budgets économiques divers, comme chaque année à cette période. Nous prenons alors connaissance de l'ampleur exacte de la dégradation de la fin de l'année 2023 ainsi que des premières conséquences pour l'année 2024 et même des suivantes. Notre réaction est immédiate, avec la publication d'un décret d'annulation de 10 milliards d'euros, le 21 février. Cette décision était, à mon avis, la plus appropriée, car c'est celle qui permettait d'agir le plus vite. Au-delà même des 5 milliards d'euros liés à la taxe sur l'électricité actés par Bruno Le Maire dès le mois de janvier et des 10 milliards du décret d'annulation, nous travaillons à un plan de plus de 10 milliards d'efforts supplémentaires destiné à contenir les effets sur 2024 de la perte de recettes enregistrée en 2023, estimée à cette date à un peu plus d'une vingtaine de milliards. Il repose sur des efforts supplémentaires demandés à l'État, sur des recettes nouvelles mais aussi sur des mesures de nature réglementaire concernant notamment les indemnités journalières, le champ de la santé et la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). Cette réaction immédiate est cohérente avec l'impact estimé de la chute des recettes sur notre trajectoire.
Au moment de la présentation du programme de stabilité (PSTAB), en avril, nous intégrons la nouvelle hypothèse de croissance ramenée en février de 1,4 % à 1 % par Bruno Le Maire ainsi que les conséquences des écarts de recettes. Un nouvel objectif de déficit public est fixé à 5,1 %. Il nous paraît alors possible de l’atteindre grâce à la mise en œuvre de l'intégralité du plan de redressement que nous avons bâti.
Au mois de juillet, pour les budgets économiques d'été – là encore selon un calendrier tout à fait classique –, les services procèdent à deux nouvelles actualisations, l’une touchant aux recettes, avec une nouvelle perte estimée à 5,6 milliards, l’autre liée à la dynamique des dépenses des collectivités territoriales. Pour la première fois, au regard notamment des remontées issues des votes des budgets primitifs, le Trésor ajuste à la hausse ces dépenses : elles dépassent de 4 milliards l'objectif fixé dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP).
Nous continuons à agir, mais dans les limites de nos prérogatives de ministres démissionnaires. Nous procédons alors à un gel important des crédits en portant la réserve de précaution à 16,5 milliards pour permettre au prochain gouvernement d'annuler des crédits en fin d'année, lors du projet de loi de fin de gestion, et tenir ainsi nos objectifs. Nous poursuivons la préparation de mesures de recettes à intégrer au PLF 2025, notamment la taxe sur les rachats d'actions et la taxe sur les énergéticiens. Nous préparons également un budget comportant 15 milliards d'économies sur les dépenses relevant du champ de l'État, dans le cadre des lettres plafonds envoyées par le Premier ministre de l'époque, Gabriel Attal.
Le 11 septembre 2024, quelques jours avant de quitter nos fonctions, alors que Michel Barnier est déjà Premier ministre, Bruno Le Maire et moi-même recevons une note d'actualisation qui fait état de nouveaux écarts très importants. À peine un mois après la dernière prévision de recettes élaborée lors des budgets économiques d'été, sont établies de nouvelles pertes de recettes, de l'ordre de 9 milliards, qui portent à plus de 40 milliards leur montant total, qui aura été révisé à trois reprises. En outre, les premières remontées comptables de la DGFIP mettent en évidence une dynamique très soutenue des dépenses des collectivités territoriales : selon l'estimation des services, la hausse serait de 16 milliards, soit environ 0,5 point de déficit public supplémentaire.
Je m'arrête un instant sur les hypothèses retenues pour les collectivités territoriales lors de la présentation du programme de stabilité, point qui fait l’objet de questions qui m'ont été adressées par les rapporteurs : il était prévu une progression de 1,8 % pour les dépenses de fonctionnement, soit 0,5 point de moins que l’inflation, et de 7,8 % pour les dépenses d'investissement afin de tenir compte du cycle électoral. Concernant les dépenses de fonctionnement, nous avons repris strictement l'objectif fixé dans la loi de programmation des finances publiques. Il s’agissait d’un objectif partagé non contraignant, assumé publiquement vis-à-vis des élus et discuté au sein du Haut Conseil des finances publiques locales. Ce choix étant inscrit dans la loi, il ne me semblait pas possible de retenir une hypothèse différente. Par ailleurs, nous n'avions pas de raison de penser a priori qu'en misant sur la confiance et non sur la coercition, conformément à une demande répétée des associations d'élus, nous n'atteindrions pas cet objectif qui traduisait la nécessité de partager les efforts après le « quoi qu'il en coûte ».
À compter du 11 septembre, alors même que les dépenses de l'État étaient, je le rappelle, tenues, ces deux nouveaux dérapages nous laissaient penser qu’il n’était plus possible d’atteindre l’objectif de 5,1 %, même en prenant toutes les mesures législatives et réglementaires sur lesquelles nous avions travaillé. C’était désormais un objectif de 5,5 % qu’il fallait envisager.
Je suis conscient d’avoir été un peu long mais il me paraissait utile, pour vos travaux, de revenir avec précision sur cet enchaînement.
Pour conclure, j’insisterai sur trois points. Premièrement, dès que nous avons disposé d’informations solides, Bruno Le Maire et moi-même avons tenu à les partager, en particulier avec le Parlement. C’est ainsi que j’ai été auditionné, comme le ministre de l’économie, pendant plus de vingt heures par l’Assemblée nationale et le Sénat, devant leurs commissions des finances respectives et devant la mission d’information du Sénat sur la dégradation des finances publiques.
Deuxièmement, dès que les constats sur les recettes puis les dépenses des collectivités ont été dressés, nous avons agi à chaque étape, en actionnant les leviers à notre disposition et en tenant compte du contexte politique.
Troisièmement, je considère que nous avons rencontré un problème très sérieux d'estimation des recettes, dont nous devons tirer toutes les conséquences pour nous prémunir contre de tels écarts dans les années qui viennent. Ils proviennent en toute hypothèse de difficultés à correctement estimer les recettes en sortie de crise. Le rapport de l'IGF de juillet esquissait quelques pistes opérationnelles, tout comme le Sénat dans le cadre de sa mission d'information. De mon point de vue, il faut aller plus loin dans l'instruction et examiner de plus près les modèles sous-jacents aux prévisions de recettes et la manière dont sont pris en compte les contextes de sortie de crise.
M. le président Éric Coquerel. Selon moi, ces écarts tiennent avant tout à une surestimation des résultats des politiques menées depuis 2017, particulièrement en 2023 et 2024. Cela explique les points de départ retenus, à partir des analyses des services, dans la LPFP ou le PSTAB et les anticipations qui ont été faites des comportements des différents agents économiques. Comme je l’ai indiqué lors de l’audition de Bruno Le Maire, le débat porte donc aussi sur la politique économique.
Il suffit de regarder le bilan depuis 2017. La croissance n’a pas été aussi forte que prévu, le nombre de travailleurs pauvres a explosé, le chômage n'a pas baissé dans des proportions telles que l’on puisse dire que le chômage de masse a disparu – on observe même une remontée –, la réindustrialisation est fragile, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, et plus largement, un problème de pouvoir d’achat se pose, particulièrement pour les sept premiers déciles de la population.
Pour 2024, les écarts constatés s'expliquent moins par un dérapage imprévu que par des hypothèses de départ irréalistes. Dans son avis de septembre 2023, le HCFP a effectivement indiqué que la prévision de croissance de 1,4 % était plausible, comme certains se plaisent à le rappeler, mais n’oublions pas qu’il a souligné aussi qu’elle reposait sur une vision optimiste de tous les postes de la demande – consommation, investissement, exportations. Il a rappelé notamment les « incertitudes importantes qui entourent l'analyse de la situation économique, du fait en particulier des difficultés actuelles à comprendre de nombreux comportements ». On ne peut donc pas dire que cet avis a validé, sans la moindre réserve, les estimations du gouvernement.
Pour 2023, l'inspection générale des finances estime dans son rapport que 20 % de l'écart s'explique par des facteurs internes – modèles utilisés, hypothèses plus ou moins favorables – correspondant à la part évitable. En réalité, c’est même plus que 20 % puisque dans les 80 % restants, l'IGF intègre les mauvaises anticipations du comportement des acteurs, notamment en matière de consommation et d’épargne. Or estimer que les ménages vont réduire leur épargne relève d’une hypothèse qui n’a rien de technique : c’est considérer qu’ils n’ont pas à se prémunir contre les aléas de l’avenir car leurs conditions de vie sont satisfaisantes et que les plus riches, dont l’épargne n’a fait que croître, vont faire ruisseler les richesses qu'ils ont pu accumuler, notamment grâce à la politique fiscale menée depuis 2017. Autrement dit, c’est partir du postulat que vos politiques économiques fonctionnent, or ces études montrent exactement l’inverse.
En 2023, avez-vous jugé plausible l'hypothèse d'une réduction de l'épargne des ménages et d'une augmentation de leur consommation ? Les conséquences des tours de vis sur leur niveau de vie ne vous ont-elles pas alertés ?
M. Thomas Cazenave. Au risque de vous décevoir, je considère que le problème auquel nous sommes confrontés renvoie non aux choix de politique économique mais à l’estimation des recettes en sortie de crise.
De tels écarts ne sont pas sans précédent, qu’ils soient positifs ou négatifs comme en 2008. Les montants de recettes par impôt procèdent non pas d’arbitrages politiques mais de travaux techniques menés par les services de différentes directions. Tout l'objet de la commission d’enquête est de comprendre les mécanismes qui expliquent ces écarts pour éviter que nous y soyons à nouveau confrontés. Pour assurer un bon pilotage de nos finances publiques, il nous faut des modèles et des prévisions les plus justes possible.
On va bien au-delà du champ de cette commission d'enquête avec ces faux procès lancés contre nos politiques qui ont eu de bons résultats. Vous citez vous-même, monsieur le président, le rapport de l'IGF. Or il souligne que 80 % des écarts sont dus à des facteurs externes, ce qui veut dire qu’ils n’étaient pas anticipables. Ils ne dépendent pas de choix, ou selon vous de partis pris, dans les hypothèses retenues. Quels sont les bons taux d’ajustement en matière d’épargne ? Je n’en sais rien. La responsabilité d’un ministre de l’économie ou d’un ministre des comptes publics n’est pas d'arbitrer finement les sous-hypothèses de rendements des impôts.
Je le redis ici, avec une clarté quasi notariale, l'enchaînement des événements montre que c'est un problème d'évaluation de recettes qui est en cause, comme d’autres l’ont dit de manière convergente au cours des auditions précédentes.
M. le président Éric Coquerel. Vous pouvez bien sûr considérer que la commission doit se consacrer aux problèmes techniques qui expliqueraient ces écarts. Il n’en demeure pas moins que nous posons les questions que nous souhaitons et je vous demanderai de bien y vouloir répondre. L'hypothèse d'une réduction de l'épargne des ménages était-elle plausible, selon vous ?
M. Thomas Cazenave. L’objet de la commission d’enquête, monsieur le président…
M. le président Éric Coquerel. Vous pouvez avoir un avis sur son objet mais je ne vous demande pas de décider des limites des questions posées.
M. Thomas Cazenave. Je vous répondrai en rappelant que, selon son intitulé même, la commission d’enquête vise à « rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 ». Pardon de vous rappeler certains faits, mais c’est l’IGF elle-même qui a souligné que 80 % sont dus à des facteurs externes.
M. le président Éric Coquerel. Excusez-moi mais les travaux de la commission d’enquête ne se limitent pas à rechercher et étudier les causes techniques de ces variations. C’est à nous de comprendre la nature de ces causes. Nous sommes plusieurs à considérer que lors de l’élaboration de la LPFP et du PSTAB, vous avez surestimé les résultats de vos politiques économiques. Prendre en compte le poids de ces choix politiques est, à mes yeux, plus important que de rechercher s’il y a eu ou pas dissimulation. Je vous remercie de bien vouloir répondre aux questions que l’on vous pose.
Selon vous, ce ne sont pas les dérapages dans les dépenses de l’État qui sont en cause – je suis content de vous l’entendre dire, d’autant que leur part dans le PIB baisse depuis 2017 – mais des écarts dans les recettes. Lors des rectifications que vous avez été amenés à faire en 2024, notamment avec l’annulation des crédits proposée en janvier et la décision de gel, avez-vous considéré qu’il fallait agir de manière plus marquée sur les recettes ou bien n’envisagiez-vous que des baisses de dépenses ?
M. Thomas Cazenave. Nous avons procédé en deux temps. Dans l’immédiat, nous avons agi sur les dépenses de l'État à travers le fameux décret d'annulation de 10 milliards d'euros. Puis, lorsque nous avons vu la situation se dégrader, nous avons mis sur la table des pistes de recettes supplémentaires avec deux mesures lancées par Gabriel Attal, alors Premier ministre, qui ont d’ailleurs fait l'objet de travaux de parlementaires : la taxe sur les énergéticiens et la taxe sur les rachats d'actions. Il n’y avait pas de tabou en ce domaine. Nous entendions construire un plan d’ajustement tenant compte des pertes de recettes.
M. le président Éric Coquerel. Il y a eu tout un débat, que le ministre de l’économie a porté sur la place publique, sur la nécessité de présenter un projet de loi de finances rectificative (PLFR). Bruno Le Maire comptait surtout y inscrire des baisses de dépenses mais cela ouvrait aussi la voie à des modifications concernant les recettes. Quelle était votre position dans les discussions qui ont eu lieu entre Bruno Le Maire, Gabriel Attal et d’autres ?
M. Thomas Cazenave. J’ai dit publiquement que j'étais favorable à un PLFR. Toutefois, selon moi, ce n’était pas la question première. Lorsque vous devez corriger votre trajectoire du fait d’une perte très importante de recettes, ce qu’il faut d’abord avoir en vue, c’est l’objectif que vous vous fixez, en l’occurrence nous voulions ramener le déficit public à 5,1 % du produit intérieur brut. C’est ensuite les leviers que vous pouvez actionner pour l’atteindre. Nous avions deux chemins possibles : le PLFR ou une palette de mesures. Nous avons d’abord utilisé le volet réglementaire, avec le décret d’annulation. Nous avons ensuite piloté la sous-exécution des dépenses de l'État en fin d’année afin d’en annuler davantage dans le cadre du PLFG. Enfin, nous avons eu recours à des mesures fiscales rétroactives pour 2024 à inscrire dans le PLF 2025, que nous avons complétées par des mesures réglementaires. C'était un chemin crédible pour atteindre l'objectif que nous nous étions fixé.
M. le président Éric Coquerel. Je reviens à ma question. Au moment où la discussion sur le PLFR a eu lieu, quelle était votre position ? Étiez-vous plutôt du côté de Bruno Le Maire qui souhaitait en présenter un ?
M. Thomas Cazenave. Je me suis exprimé à un moment sur la nécessité de présenter un PLFR mais je le redis, l’enjeu premier était pour moi de savoir quel objectif fixer en matière de déficit public. Le recours à des mesures réglementaires permettait d’agir rapidement et de manière sécurisée alors que nous n’étions pas certains de pouvoir mener à son terme le PLFR, ceux-là mêmes qui le réclamaient n’étant pas forcément prêts à l’adopter. Nous avons donc choisi la solution qui nous permettait d'atteindre exactement le même objectif mais en prenant moins de risques.
M. le président Éric Coquerel. Lors de votre audition au Sénat, vous avez indiqué que la dégradation des finances publiques en 2024 s'expliquait à 75 % par de mauvaises prévisions et 25 % par l’augmentation des dépenses des collectivités. Lors de votre dernière audition devant cette commission en tant que ministre, vous aviez affirmé que les dépenses des collectivités avaient dérapé de 16 milliards d'euros. Pourtant, devant cette commission d'enquête, hier, Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, a souligné qu'il ne s'agissait que d'une extrapolation des données disponibles en juillet 2024. Elle a présenté les réserves méthodologiques sur cette prévision qu'elle a développées de manière beaucoup plus précise dans sa lettre du 24 septembre, en indiquant notamment qu'on ne pouvait tenir les collectivités pour responsables de l'augmentation de ces déficits. Elle estime que le déficit des collectivités s’approcherait plutôt des 7 milliards. La prévision manquant de robustesse, ne peut-on conclure que l’appréciation de la dégradation du déficit a pu être exagérée ? Cette estimation présente un degré d'imprécision élevé qui a conduit à surévaluer les dépenses.
M. Thomas Cazenave. Le 11 septembre 2024, la direction générale du Trésor (DGT) a adressé une note, désormais connue de tous, aux ministres portant sur une actualisation de la prévision des soldes publics à la fin août 2024 effectuées à partir des remontées comptables recueillies fin juillet par la DGFIP. Elle faisait état d’un certain dérapage des dépenses réelles des collectivités territoriales par rapport aux hypothèses sous-jacentes que nous avions retenues : « Au total, les dépenses locales seraient supérieures de 16 milliards d'euros aux cibles retenues dans le programme de stabilité en l'absence de mécanismes de contrôle. La prévision annuelle reste toutefois incertaine, les données étant arrêtées fin juillet. » lit-on à la page 2. Quand j’ai été auditionné par votre commission en septembre dernier, le seul élément dont je disposais provenait de ces extrapolations élaborées à partir des données de fin juillet. Toutefois nous savons qu’en se fondant sur celles-ci, le Trésor parvient année après année à estimer le point d'atterrissage.
Par rapport à la quarantaine de milliards de moindres recettes, ces 16 milliards de dépenses supplémentaires des collectivités locales pesaient bien pour un quart dans le dérapage du déficit public.
M. le président Éric Coquerel. Compte tenu du fait que les dépenses des collectivités seront moitié moindres que le chiffre alors annoncé, pensez-vous qu’une telle appréciation était exagérée ?
M. Thomas Cazenave. Les dernières informations dont je dispose en tant que membre de cette commission figurent dans le projet de loi de finances de fin de gestion qui a retenu, me semble-t-il, un montant d’une grosse dizaine de milliards d’euros. Ces dépenses des collectivités locales pèsent donc in fine sur notre capacité à atteindre notre objectif de déficit public.
M. le président Éric Coquerel. Cécile Raquin a indiqué hier, lors de son audition, que le montant de ces dépenses serait plutôt de 7 milliards à la fin de l’année. Nous pourrons lui demander des précisions par écrit.
Ne pensez-vous pas, au regard des informations dont vous disposiez, notamment ce qui remontait des collectivités sur les effets de la non-indexation de la DGF, que le niveau de contribution des collectivités aux économies était trop optimiste ?
M. Thomas Cazenave. Cette hypothèse traduisait un choix politique d'effort partagé de redressement entre l’État, la sécurité sociale et les collectivités après le « quoi qu’il en coûte ». Cela étant, il était demandé aux collectivités non pas de baisser la dépense mais de la contenir à la valeur de l’inflation moins 0,5 %. Ce mécanisme avait été préféré à celui, plus coercitif, des contrats de Cahors. Il s’agissait d’une forme de contrat de confiance car nous avons les finances publiques en partage. Cet effort a été annoncé publiquement très tôt et a été débattu au sein du Haut conseil des finances locales. C’est une bonne méthode, qui repose sur la confiance, et je n’avais pas de raison de penser que les collectivités refuseraient de participer à cet effort collectif. Manifestement, sans mécanisme coercitif, nous nous sommes très largement éloignés de l’objectif puisque les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 7 % et les dépenses d’investissement de 15 %.
En tout cas, une fois que cette hypothèse d’effort demandé aux collectivités était inscrite dans la loi de programmation des finances publiques, il me semble qu’il était très difficile de s’en éloigner.
M. le président Éric Coquerel. L’estimation de la loi de programmation n’était pas simplement technique : elle résultait d’un choix politique – ce qui est normal, puisque vous étiez ministre – de retenir des chiffres qui étaient cependant contestés. Peut-être ce point de départ était-il trop optimiste, ce qui expliquerait l’importance de l’écart.
Malgré la transmission par votre administration de prévisions de dégradation des recettes le 30 octobre, le 27 novembre, le 1er décembre et le 7 décembre 2023 puis le 24 janvier et le 16 février 2024, vous jugez qu’il ne faut pas communiquer sur ces variations et qu’il n’est pas nécessaire de prendre des mesures pour redresser le niveau des prélèvements obligatoires. En revanche, vous faites une publicité directe des prévisions d’un déficit de près de 16 milliards établies par le courrier du 24 septembre alors qu’il contenait de fortes réserves méthodologiques. Qu’est-ce qui l’explique ?
M. Thomas Cazenave. De quel courrier parlez-vous ?
M. le président Éric Coquerel. Il s’agit du courrier adressé au ministre par Mme Raquin le 26 septembre, et non le 24 comme je l’ai mentionné. À un moment donné, vous avez produit ce chiffre de 16 milliards, qui était une extrapolation incertaine.
M. Thomas Cazenave. Il faudrait que je vérifie si j’étais toujours ministre le 26 septembre.
M. le président Éric Coquerel. Il y a bien eu une communication sur ces 16 milliards par vous-même. Je souhaite comprendre pourquoi ce chiffre très précis, qui permet de placer la responsabilité sur les collectivités plutôt que sur votre politique, a été très rapidement divulgué alors que d’autres chiffres qui contrevenaient à vos estimations ne l’ont pas été, ce que Bruno Le Maire a assumé l’autre jour.
M. Thomas Cazenave. Ne me demandez pas de commenter une note que je n’ai pas reçue puisque je n’étais plus ministre depuis le 21 septembre. J’essaie de faire les choses de manière exhaustive et rigoureuse et cette note n’est pas dans mon dossier.
Ma note du 11 septembre alertait effectivement sur l’impact des dépenses des collectivités à hauteur de 16 milliards. J’ai donné toutes les informations qui étaient en ma possession au cours de mon audition devant votre commission. Si je ne l’avais pas fait, on m’aurait reproché de ne pas informer l’Assemblée nationale. J’essaie d’être précis dans mes réponses et lorsqu’on me demande d’expliquer l’écart du déficit public par rapport aux prévisions, je mentionne les écarts de recettes et le montant des dépenses des collectivités territoriales, qui s’est révélé supérieur à celui qui était attendu. Au moment où j’étais auditionné, les informations dont je disposais faisaient état de ce chiffre de 16 milliards.
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai jamais dit que les élus locaux étaient de mauvais gestionnaires. Je constatais simplement que la forte progression du besoin de financement des collectivités territoriales – j’ai compris qu’on préférait cette expression à celle de « déficit » – pesait sur le déficit public. Le débat sur les raisons de cette progression – transfert excessif de charges aux collectivités, revalorisation du point d’indice … – est légitime, encore faut-il s’entendre sur la réalité des chiffres. Celle-ci montre que l’écart s’explique à 75 %, voire 80 %, par des problèmes de recettes et par des augmentations de dépenses des collectivités territoriales.
J’ai mentionné ce chiffre de 16 milliards devant vous dans ma responsabilité de ministre, comptable devant le Parlement, et dans une exigence de transparence. Si je ne l'avais pas fait, on m’aurait reproché de ne pas avoir partagé la teneur de cette note avec le Parlement.
M. le président Éric Coquerel. Je n’ai pas dit que les élus étaient de mauvais gestionnaires. C’est la trajectoire que vous avez construite qui m’intéresse.
Je précise que le courrier exprimant les réserves méthodologiques que j’ai mentionnées a été envoyé à Mme Vautrin, et pas à vous. Vous avez cependant utilisé le chiffre de 16 milliards. Personne ne vous a dit qu’il devait être manié avec plus que des précautions ?
M. Thomas Cazenave. L’exercice des services de Bercy, notamment pour les prévisions de déficit, consiste à s’appuyer sur les informations, par exemple sur les remontées d’impôt, dont on dispose à une date donnée pour essayer de trouver le point d’atterrissage. J’ai par exemple devant moi les données fournies par la direction du Trésor en appui de la note. Elle regarde d’année en année si les dépenses à fin juillet permettent de bien modéliser la fin de l’année et elles y arrivent relativement bien. Ce n’est pas moi qui aie construit ce chiffre. Nous verrons en fin d’année si nous sommes très éloignés, ou pas, de l’exercice.
J’ai toujours été dans la transparence la plus totale avec le Parlement, tout en prenant les réserves qu'il fallait. On ne peut pas cacher la réalité telle qu’elle se présente devant nous, en l’occurrence que les dépenses des collectivités territoriales pèsent sur le déficit public, ce qui ne signifie pas que les élus locaux sont de mauvais gestionnaires. Il ne faut pas oublier que nous avons les finances publiques en partage.
M. le président Éric Coquerel. Le gouvernement qui vous a succédé a estimé, dans le cadre de ses travaux sur les économies à faire pour 2025, le déficit potentiel, à politique inchangée et en croissance naturelle, à 7,1 %. Comment évaluez-vous cette estimation ?
M. Thomas Cazenave. J’ai été très surpris qu’on utilise ce type de chiffres. Je ne comprends pas. Les services de Bercy réalisent des exercices très classiques où ils simulent une évolution si rien n’est fait, mais je ne connais pas un gouvernement qui ne prendrait aucune mesure, en dépenses ou en recettes. Nous avions préparé un projet de budget prévoyant 15 milliards d’économies dans le cadre des lettres plafonds transmises à chacun des ministres.
Cette estimation n’existe donc que dans un monde où chacun lèverait le crayon et laisserait tout dériver. Tel n’a jamais été notre état d’esprit. Je pense que nous avons démontré, avec Bruno Le Maire, notre volonté de nous attaquer à ce sujet au risque de l’impopularité, avec l’augmentation de la taxe sur l’électricité et avec les coupes budgétaires. On nous a d’ailleurs reproché de couper dans les services publics dans les lettres plafonds.
Je conteste ce chiffre dans la mesure où il n'existe pas. Il n’est qu’un chiffre théorique, classiquement utilisé dans les exercices de construction budgétaire.
M. le président Éric Coquerel. Pourquoi, à votre avis, a-t-il donc été utilisé ?
M. Thomas Cazenave. Je ne peux répondre que de mes décisions. Il faut poser cette question à celles et ceux qui ont utilisé ce chiffre.
M. le président Éric Coquerel. Je comprends que vous n’auriez pas utilisé ce chiffre et que d’habitude vous n’utilisez pas de tels chiffres. Manifestement, vous le jugez surestimé.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Lors de son audition, Bruno Le Maire a adopté une stratégie très caricaturale qui consistait à dire : « Tout va bien, circulez, il n’y a rien à voir. La faute revient aux parlementaires. Qui êtes-vous pour nous juger ? Nous avons tout fait parfaitement ».
Votre posture est différente. Je la décris sans doute à gros traits, et vous m’en excuserez, mais je comprends que, selon vous, 80 % de l’écart provient de mauvaises prévisions – dont la responsabilité incombe aux services qui étaient placés sous votre autorité – et 20 % provient de la gestion – vous ne parlez pas de « mauvaise » gestion, mais c’est subliminal – des collectivités territoriales. Votre action ne soulèverait donc aucune interrogation et ne susciterait aucune critique. L’humilité constitue-t-elle pour vous une vertu en politique ?
M. Thomas Cazenave. Peut-être mes réponses ne vous satisfont-elles pas car vous en cherchez d’autres, mais j’essaie d’être précis et argumenté. La réalité est que l’écart repose à 80 % sur un problème d’estimation de recettes. Les recettes ont été réévaluées à trois reprises. Je ne l’ai pas caché, je vous l’ai au contraire expliqué. J’assume ma responsabilité : nous avons défendu devant vous un projet de loi de finances avec les chiffres qui nous ont été fournis. Je n’ai pas d’autres éléments à apporter que la réalité telle que nous l’avons vécue et c’est comme cela qu’on fait avancer le débat.
Je récuse votre insinuation : je ne dis pas que les élus locaux sont de mauvais gestionnaires mais que, comptablement, 20 % de l’écart s’explique par une dynamique des dépenses des collectivités très supérieures aux prévisions. C’est la stricte réalité.
En revanche, vous avez omis de mentionner dans votre propos introductif que les dépenses de l’État, et il faut s’en féliciter, ont baissé en 2023 et en 2024. Pour les dépenses dont nous avions la parfaite maîtrise, les objectifs ont été tenus.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Avant de vous interroger sur le cadrage que vous avez opéré avec le ministre de l’économie, je voudrais vous interroger sur une note.
Vous avez fait la chronologie des notes en indiquant que la première des notes alertant sur une dégradation des recettes est datée du 30 octobre 2023. Toutefois, une note du 11 juillet adressée au ministre et signée par le directeur général du Trésor, Emmanuel Moulin, dont Bruno Le Maire nous a dit ne pas avoir eu connaissance, évoque la dégradation du solde public de 5,2 % du PIB en 2023 au lieu de 4,9 %.
Nous avons cette première note d’alerte en notre possession. Elle change la chronologie que vous avez évoquée. Elle intervient quelques jours après le deuxième tour des élections législatives et vous avez d’ailleurs dit que le calendrier électoral avait percuté le calendrier budgétaire, ce qui est peut-être une des raisons de l’existence de cette commission. Pourquoi ne pas avoir évoqué cette note ? Elle avance des explications à la dégradation du solde public : dégradation de l’environnement macroéconomique et recettes moins élevées que prévu, à hauteur de 8 milliards pour l’impôt sur les sociétés.
Je m'étonne que ni Bruno Le Maire ni vous-même n'évoquiez cette note devant notre commission. La chronologie est pourtant très importante puisque vous auriez pu sur ces bases modifier le projet de loi de finances pour 2024. Vous évoquez dans la chronologie des notes l'impossibilité, du fait des alertes tardives et du fait de la promulgation de la loi de fin de gestion, de modifier le projet de loi de finances pour 2024.
M. Thomas Cazenave. Je ne l’ai pas évoquée pour la simple raison que je n’en étais pas le destinataire puisqu’à cette date je n’étais pas ministre. Je ne peux commenter ce dont je n’avais pas connaissance.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Trouvez-vous normal que le ministre de l’économie ne l’évoque pas ?
M. Thomas Cazenave. Je n’ai aucun commentaire à faire sur une période pendant laquelle je n’étais pas ministre des comptes publics.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous devenez ministre quelques jours après, le 22 juillet. J’imagine que les services ont pu vous transmettre cette note, qui n’a rien d’anodin puisqu’elle alerte sur un premier dérapage des comptes publics. J’imagine aussi que vous avez eu des discussions quasi quotidiennes avec le directeur du Trésor sur un point aussi stratégique. N’a‑t‑il alors jamais évoqué cette note ? Si tel n’est pas le cas, je m’en trouverais encore davantage préoccupé par la capacité de pilotage politique du ministre que vous étiez.
M. Thomas Cazenave. Je ne commenterai pas une note dont je n’ai pas connaissance, que je n’ai pas lue. Je ne sais pas à quoi vous faites référence. Je ne sais même pas de quoi on parle.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Votre réponse me paraît extrêmement grave et préoccupante. Elle est révélatrice de la situation que cette commission doit traiter. Le fait que vous n'ayez pas eu connaissance d'une alerte de la direction générale du Trésor émise dix jours avant votre nomination au poste de ministre délégué aux comptes publics traduit un très grave dysfonctionnement du pilotage de l'État et de votre ministère.
Nous porterons le contenu de cette note à la connaissance de tous les membres de la commission. Elle présente trois facteurs agissant sur le solde public : recettes moins élevées que prévu de l’IS ; coût net des mesures de lutte contre les conséquences de la hausse du prix de l’énergie plus faible que prévu, avec un effet positif de 0,1 point de PIB sur le solde public ; risque de reclassement par le comptable national des obligations Océanes d’EDF en actions qui conduirait à une dépense supplémentaire de 2,4 milliards – ce dernier point n’a encore jamais été évoqué devant notre commission. La note évoque encore l’hypothèse d’un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) en hausse de 0,8 milliard en 2023 et 1,4 milliard en 2024, alors que vous nous dites que les dépenses ont été parfaitement maîtrisées. Je constate donc que ma première question percute l’explication technique.
Je vous communiquerai cette note si le président en est d’accord.
M. le président Éric Coquerel. Bien sûr.
M. Thomas Cazenave. Je ne commente pas les notes dont je n’ai pas connaissance. C’est une règle absolue.
Je conteste néanmoins votre dernier point : la loi de finances de fin de gestion fait apparaître que nous avons moins dépensé que prévu en 2023 et en 2024 dans le périmètre des dépenses de l’État. Et c’est une bonne nouvelle.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Chacun en jugera.
Comment fonctionnait l’articulation du pilotage de Bercy avec le ministre de l’économie ? Le ministre de l'économie avait-il un regard permanent sur la situation des comptes publics ? Vous déléguait-il totalement cette responsabilité ? Une rumeur laisse entendre que le ministre de l’économie regardait tout cela de très loin pour vous laisser la responsabilité quasi exclusive de la situation des comptes publics, qui relève, il est vrai, du périmètre de votre délégation ministérielle.
M. Thomas Cazenave. J’étais ministre délégué auprès du ministre de l’économie Bruno Le Maire. Nous avons toujours travaillé très étroitement ensemble compte tenu de l’enjeu sur les finances publiques. Ces échanges très réguliers entre nous et nos équipes se faisaient dans le cadre de la relation classique d’un ministre de plein exercice et un ministre délégué.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Parmi les écarts très importants sur les recettes, il faut souligner que la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crim) a fait l’objet d’une très mauvaise estimation. Le niveau tarifaire mis en œuvre – 500 euros le mégawattheure – apparaît comme étant totalement irréel. Ce prix sur le marché de l’électricité n’a été en vigueur que pendant quelques jours au cours de l’été 2022.
Qui a choisi ce niveau de prix ? A-t-il fait l’objet d’un arbitrage politique ? Si oui, à quel niveau – le vôtre, celui du ministre de l’économie ou celui du Premier ministre ? Nous parlons d’un écart de plus de 10 milliards, avec 12 milliards d’inscriptions et 1,2 milliard de recettes réévaluées après une estimation de 600 millions. Vous évoquiez tout à l’heure le dérapage des dépenses des collectivités locales, comment expliquez-vous celui-ci ? Une erreur d’un à dix n’est pas anodine.
M. Thomas Cazenave. Le montant du rendement de la Crim a fait l’objet de révisions successives. Il me semble que, lors de son audition, le directeur général du Trésor a expliqué comment celui-ci avait été bâti par la direction de la législation fiscale et la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui ont essayé d'apprécier, en fonction des anticipations des prix de l'énergie, les montants attendus. Compte tenu des éléments techniques transmis par les services, la recette avait été réévaluée à 3,7 milliards pour le PLF 2024 et à 2,8 milliards pour le PLFG. Si j'en crois l'audition de Jérôme Fournel, le montant de la collecte s’est finalement élevé à 1,7 milliard, donc toujours en écart par rapport au PLFG, mais dans des proportions beaucoup moindres. Pour ma part, je n'ai pris aucun arbitrage politique sur le montant de la Crim.
M. Éric Ciotti, rapporteur. À votre connaissance, cet arbitrage a été fait à quel niveau et par qui ?
M. Thomas Cazenave. Il s’agit pour moi d'une donnée d'entrée, préparée notamment par les services. Je n’ai participé à aucune réunion ni pris aucun arbitrage sur le montant in fine retenu, compte tenu des hypothèses sous-jacentes au calcul de cet impôt – un impôt nouveau, dont il était difficile d’estimer le rendement.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Selon vous, seul un arbitrage purement administratif a été rendu, sans qu’aucun ministre n’ait eu à jouer un rôle ?
M. Thomas Cazenave. Ce n’est pas ce que je dis. Je dis que, pour ma part, je n'ai participé à aucune réunion ni aucun arbitrage permettant d'arrêter le montant de la Crim en fonction des hypothèses sous-jacentes.
M. Éric Ciotti, rapporteur. J’imagine que vous avez participé à de nombreuses réunions d'arbitrage budgétaire, notamment pour bâtir le PLF 2024. Est-ce que vous les avez faites fréquemment à l'Élysée, avec le président de la République ou avec le secrétaire général ? À quel niveau et à quelle fréquence ?
M. Thomas Cazenave. Quelques réunions d’arbitrage ont naturellement été menées au niveau du président de la République avec le Premier ministre, le ministre de l’économie et leurs équipes, comme cela se passe pour les grands équilibres de textes importants.
M. le président Éric Coquerel. La note de l'Inspection générale des finances (IGF) que l'on évoque depuis tout à l'heure sur la répartition 20-80 concerne l'année 2023 exclusivement, et pas du tout l'année 2024. Je le précise car les commentaires pourraient laisser supposer qu’elle concerne également l’année 2024.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Je précise que le point 6 de la note évoquée par le rapporteur Ciotti indique que les prévisions présentées sont soumises à des aléas importants détaillés dans la présentation jointe à la note.
Pouvez-vous confirmer que, pour l’année 2024, les grands agrégats de décalage entre la prévision et l’exécution sont les suivants : pour les collectivités territoriales, une vingtaine de milliards répartis entre dépenses et recettes ; pour la sécurité sociale, environ 8 milliards répartis entre 2 milliards de dépenses et 6 milliards de recettes ; 0,1 point de PIB pour la requalification par le comptable national évoquée par le rapporteur Ciotti. Pouvez-vous également confirmer que le solde est lié à des baisses de recettes de l’État ?
M. Thomas Cazenave. Je confirme. D’ailleurs, la comparaison entre le PLFG 2024 et le PLF 2024 permet de voir que les écarts que vous évoquez sont dus aux effets des nouvelles pertes de recettes, de la révision de la prévision de croissance, de la dynamique des dépenses des collectivités territoriales et de celles de la sphère sociale.
Cela n’a pas encore été évoqué, mais, pour l'année 2023, le changement de méthodologie retenue par l’Insee pour apprécier le montant du déficit public compte pour, de mémoire, 0,13 point de PIB. Des facteurs méthodologiques doivent donc également être pris en compte.
On retrouve donc bien le grand équilibre que j’évoquais lors d’auditions précédentes et dans d’autres formats : l’écart de solde s’explique à 75 % à 80 % par des écarts de recettes, le reste étant des écarts de dépenses par rapport aux prévisions dans le champ des collectivités territoriales.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Nous avons vu lors de précédentes auditions que les impôts relevant de l’État étaient entourés de nombreux aléas liés au comportement des ménages et des entreprises. Je pense notamment à la TVA, avec une augmentation des demandes de remboursement. Pouvez-vous nous donner des indications supplémentaires sur cette évolution de la TVA et sur l'impôt sur le revenu avec une augmentation des demandes de remboursement, notamment des crédits d’impôt services à la personne (Cisap) ? Concernant l’impôt sur les sociétés, partagez-vous le constat de la DGFIP d'une décorrélation entre l'excédent brut d'exploitation et le bénéfice fiscal ?
M. Thomas Cazenave. Les points que vous mentionnez doivent être, selon moi, au cœur des travaux à mener.
Faut-il revoir les modèles d’estimation de l’IS et du taux de corrélation avec l’excédent brut d’exploitation ? L’Institut des politiques publiques (IPP) a publié récemment une note montrant qu’un tiers de cet écart de recettes pèse sur l’impôt sur les sociétés, qui est très difficile à estimer, notamment en raison du cinquième acompte de l’impôt, qui peut avoir un énorme impact.
Il faut regarder, impôt par impôt, si les hypothèses sous-jacentes arrivent à capturer le comportement des acteurs économiques, notamment sur le taux d’épargne, l’excédent brut d’exploitation, les demandes de remboursement de la TVA, qui peuvent être par exemple liées au coût de la trésorerie en fonction du niveau des taux d’intérêt.
Mon expertise s’arrête là. Après avoir quitté mes fonctions, je ne dispose plus en effet de l’ensemble des éléments permettant d’expliquer finement l’écart entre les prévisions et la réalisation. Nous avions commandé un premier rapport à l'Inspection générale des finances pour y voir clair. Mais cet exercice n’était pas achevé lorsque j’ai quitté mes fonctions. Il fallait, selon moi, aller plus loin, notamment en regardant les modèles fins afin de les améliorer pour mieux capturer, particulièrement en sortie de crise, les prévisions d’impôts et ainsi mieux piloter nos finances publiques.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Peut-on dire que le modèle de prévision de recettes a été perturbé, qu’il est obsolète, inadapté à un monde où l’inflation a atteint 5 %, où les taux d’intérêt ont subi une décélération rapide et où près de 250 milliards d’argent public ont été injectés pour faire face aux multiples crises ? En d’autres termes, ce modèle d’avant-crise peut-il encore tenir après la crise ?
M. Thomas Cazenave. Je partage ce point de vue. La dernière fois que l’on a constaté des écarts négatifs aussi importants, c’était en 2008. On voit bien que ces modèles, bâtis sur le temps long, sur une forme de régularité, qui intègrent d’ailleurs l'élasticité, ne sont pas toujours adéquats en période de crise ou de sortie de crise. Tout le travail consiste à les rendre plus robustes, à les adapter à un environnement où l’inflation est plus élevée et où les incertitudes peuvent peser, notamment sur la croissance.
Sur la base des éléments dont je dispose, j’observe que les modèles ont manifestement du mal à bien prévoir, quand on se trouve en sortie de crise et que les grands indicateurs macroéconomiques ne sont pas dans la norme des trente dernières années.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous avez indiqué que les hypothèses d’une progression de 1,8 % en dépenses de fonctionnement et de 7,8 % en dépenses d’investissement avaient été retenues puisqu'elles étaient inscrites dans la LPFP. Mais à l’époque, le projet de loi n’avait pas encore été adopté et le Sénat avait rejeté l'article 23. Pourquoi, en l’absence d’un mécanisme de correction, avoir maintenu ces hypothèses ? Est-ce parce que vous pensiez que les collectivités maîtriseraient d'elles-mêmes leurs dépenses de fonctionnement ?
M. Thomas Cazenave. Il y avait, en effet, une incertitude. Je le redis, il était très difficile de prendre une autre hypothèse que celle qui figurait dans la loi de programmation. Est-ce que cet objectif était facilement atteignable sans mécanisme de correction ? Non, nous l’avons constaté.
J’ai cru, peut-être naïvement, que nous serions capables, avec les collectivités territoriales et les associations d'élus, de nous engager durablement dans des efforts partagés. Quand Élisabeth Borne a annoncé qu’il n’y aurait pas de mécanisme coercitif, répondant en cela aux attentes des associations d’élus, nous avons fait le pari de la confiance. C’est ce que nous avons proposé et qui a été mis à l'ordre du jour du Haut conseil des finances publiques locales (HCFPL) : bâtissons ensemble ce cadre très respectueux de votre autonomie, qui vous responsabilise, et que nous partageons – parce que les finances publiques, ce n’est pas uniquement l’affaire de l’État.
Manifestement, ce cadre n'a pas été intégré dans les décisions que les élus ont prises – j’ai pu le constater au conseil municipal de Bordeaux et à Bordeaux Métropole. Dans les débats, il n’en a pas été fait mention pour justifier de la nécessité de respecter l’évolution des dépenses de fonctionnement. Aujourd’hui, sans mécanisme coercitif, il est difficile de fixer une cible qui nous soit commune.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Ce que l'on comprend des auditions, c'est que si un PLFR pouvait servir à mettre en place une fiscalité sur les rachats d’actions et les superprofits dans l’énergie, le PLF pour 2025 pouvait tout autant le prévoir, de façon rétroactive. Par ailleurs, on sait que les annulations de crédit ont été d'une ampleur inédite. Dans ces conditions, partagez-vous l'analyse de Bruno Le Maire selon laquelle l’utilité première d’un PLFR aurait été de remettre la question des finances publiques au centre du débat ?
M. Thomas Cazenave. Après analyse des services de Bercy, il est apparu que nous pouvions prendre, hors PLFR, des mesures de recette en insérant des articles rétroactifs dans le PLF pour 2025. C’est ce que nous avons fait avec la taxe sur les rachats d’actions et la taxe sur les énergéticiens.
Je pense qu’un PLFR, par construction, permet d'avoir un débat politique, au-delà d’ailleurs de l’enceinte du Parlement. Mais je ne suis pas certain qu’il permette pour autant d’obtenir les résultats escomptés.
Pour ramener le déficit public à 5,1 %, nous avons choisi l’une des deux options : prendre des mesures réglementaires et des mesures rétroactives, sans passer par un PLFR dont nous entrevoyions les difficultés – les mêmes que celles rencontrées il y a quelques jours encore au sein de l’Assemblée. Mais on sait à quel point il est difficile de faire des économies. Il n’y a pas de majorité pour faire des économies.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Avez-vous le sentiment que la hausse, très importante depuis la crise sanitaire, des reports de crédits a perturbé la gestion infra-annuelle et pluriannuelle du budget de l'État ?
À quel moment avez-vous acquis la certitude que l'effet base des recettes en 2023 aurait un effet mécanique sur 2024 ?
M. Thomas Cazenave. C’est vers la mi-février, avec les premiers résultats des budgets économiques d’hiver – exercice classique –, que nous avons eu une estimation de l’effet sur 2024 de la perte de recettes fin 2023.
Un modèle sans reports ne serait pas nécessairement vertueux, puisqu’il inciterait l’administration à dépenser tous les crédits restants en fin d’année. En revanche, il ne faut pas que les reports soient trop importants. Après avoir pris beaucoup d’ampleur avec la crise sanitaire, ils baissent désormais chaque année.
Cela ne nous a pas empêchés, monsieur le rapporteur, de tenir la dépense de l'État : nous avons dépensé moins, en 2023, et nous aurons dépensé moins, en 2024, que ce qui était prévu dans les textes financiers initiaux. Mais je vous rejoins, il demeure nécessaire de réduire, de digérer progressivement ce qui est un effet de la crise : il en va ainsi des crédits au titre des plans de relance, qui viennent gonfler les reports d'une année sur l'autre et qu’il faut cantonner à un montant plus raisonnable.
M. le président Éric Coquerel. Pour revenir à la question de Mathieu Lefèvre sur le maintien des hypothèses de déficit des collectivités territoriales, alors que l’article 23 avait été rejeté, je me souviens très bien des débats sur le projet de LPFP : nous étions plusieurs à souligner que les chiffres ne correspondaient pas, qu’ils n’étaient pas plausibles, crédibles.
Pourrait-on supposer qu’en retenant de tels chiffres, il s’agissait pour vous de rendre présentable le budget, et les estimations budgétaires pour les années à venir, aux yeux de Bruxelles, notamment ? Autrement dit, quand vous mettez ces chiffres sur la table, avez-vous des doutes ou disposez-vous de suffisamment d’éléments pour estimer qu’ils sont exacts ? Est-ce juste de la naïveté ou une façon politique de prévoir la suite et de présenter le budget sous un jour plus favorable ?
M. Thomas Cazenave. Monsieur le président, lorsque je dispose d’éléments techniques, je le dis et j’essaie de les présenter. S’agissant des efforts partagés et de la contribution des collectivités territoriales – vous avez fait référence à l’article 23 du projet de LPFP, qui instaurait un mécanisme de « coercition » des collectivités –, vous dites qu’on est très loin de l’estimation. Mais il ne s’agit pas ici d’un sous-jacent, d’un impôt ou d’un montant de recettes qui obéirait à des logiques très techniques ; il s’agit d’un choix politique assumé.
Dire que les efforts devaient être partagés et demander aux collectivités de contribuer en ralentissant la croissance des dépenses était une décision à la dimension politique évidente. Elle venait s’inscrire dans une ligne que nous avons défendue, celle des efforts partagés, auxquels les collectivités ne pouvaient se soustraire.
M. le président Éric Coquerel. Certes, mais la programmation des finances publiques, ce n’est pas seulement une question de volontarisme et d’efforts partagés ; elle repose sur des estimations, sur l’évaluation des effets d’une politique. Or les chiffres relatifs au déficit ou à la croissance – je ne parle pas seulement des collectivités – étaient largement contestés. C’est l’une des raisons, d’ailleurs, pour lesquelles le projet de LPFP, au-delà de l’article 23, a été d’abord rejeté. À l'époque, pensiez-vous que ces hypothèses étaient tenables, imaginables ?
M. Thomas Cazenave. Le choix d’une hypothèse de croissance est une prérogative pleine et entière du ministre de l'économie, qu'il assume. Il comporte une dimension politique et est l’expression d’un volontarisme.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). À titre préliminaire, je voudrais rappeler que le Rassemblement national avait alerté sur l’intitulé de la commission d’enquête, soulignant par ma voix que « toute restriction de l'objet de la commission permettrait aux personnes auditionnées de ne pas répondre et de prétendre qu'une partie de la vérité relève d'autres sujets ». L’audition du ministre vient de le montrer, je le regrette. Cela prouve la mauvaise foi de ceux qui prétendent révéler la vérité mais ne sont là que pour saboter les conclusions de la commission. Je les comprends, c’est tout ce qui leur reste : plus la vérité se fait jour, plus le bilan est désastreux.
Monsieur le ministre, je n’ai pas saisi tout ce que vous avez dit – je m’interroge désormais sur ma capacité à comprendre le français. Il y a donc 64 milliards d’euros de dérapages sur deux ans par rapport aux prévisions budgétaires ; et pour vous, ces « écarts » sont dus, pour les trois quarts, à un problème de modèle technique – le mot précieux auquel vous vous rattachez –, pour le dernier quart à un problème de prévision concernant les collectivités territoriales. Sous serment, devant 40 millions de contribuables, vous affirmez donc que ces 64 milliards de dérapage budgétaire sont liés à un problème technique.
M. Thomas Cazenave. Personne, ici, n’entend saboter le travail de la commission d’enquête. Pour ma part, je suis venu avec les notes, je me suis efforcé d’être très précis. Vous dites ne pas avoir tout compris mais étiez-vous présent lors de mon propos introductif ?
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je l’ai entendu !
M. Thomas Cazenave. Je ne vous fais pas de procès d’intention, je vous pose la question. La réalité des chiffres, monsieur le député, c’est que l’écart de recettes représente entre 75 et 80 % de l’écart de déficit public ; le reste est dû aux dépenses des collectivités territoriales, supérieures à ce qui était estimé. En revanche, les dépenses de l’État ont été maintenues et sont même inférieures aux prévisions.
Ce sont les chiffres, c’est la réalité. J’essaie de vous décrire le plus précisément possible la réalité, du point de vue des comptes publics, et de vous exposer les raisons pour lesquelles on a assisté à ce dérapage du déficit.
M. le président Éric Coquerel. La question portait sur les causes. Sont-elles d’ordre technique, comme vous l’avez dit ?
M. Thomas Cazenave. Il faudra qu’un jour on se demande ce que recouvre le terme « technique ». J’essaie de vous expliquer comment cela fonctionne, comment on constate. À trois reprises, il a fallu réestimer les recettes. Je ne me demande pas si c’est technique ou pas, j’essaie de vous décrire la réalité, telle qu'elle est, telle que nous l'avons vécue. Mais parfois, j’ai l'impression que les éléments que j’avance ne correspondent pas à ce que vous attendiez, ce qui crée une forme de frustration.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Ah non, je ne ressens aucune frustration. Pour que ce soit très clair pour les Françaises et les Français qui assistent à nos échanges – ils sont plus nombreux que ce que certains croient –, l'ancien ministre des comptes publics que vous êtes estime que le dérapage du déficit, de 64 milliards d’euros sur deux ans, est uniquement dû à une cause technique. Vous êtes très précis dans vos réponses et j’ai bien entendu, en suivant votre intervention grâce aux nouvelles technologies et à internet, la déclaration officielle du ministre Cazenave : ces 64 milliards de dérapage de déficit, c'est uniquement technique. Cela m’intéresse beaucoup ! Je vous rassure, je ne suis pas frustré du tout.
M. Thomas Cazenave. La réalité est celle que je vous décris. On a connu, les années précédentes, des problèmes d’estimation des recettes, soit qu’elles s’avéraient à la hausse – de très bonnes nouvelles –, soit qu’elles étaient finalement plus basses, comme dans les périodes de crise, en 2008 notamment. D’autres pays – les États-Unis, l'Allemagne – ont rencontré ces problèmes de surestimation en sortie de crise.
Mais que les Françaises et les Français qui nous regardent sachent que ce que nous pouvions parfaitement maîtriser, nous l'avons maîtrisé. Les dépenses de l'État ont été pilotées et elles sont inférieures à ce que nous avions prévu.
Après les multiples crises – de l'énergie, de l'inflation, du « quoi qu'il en coûte » –, les prévisions de recettes se sont révélées fragiles et des écarts très importants sont apparus. Je le regrette et je considère que c’est un sujet. Je suis heureux que la représentation nationale s'en saisisse et que les services de Bercy travaillent à améliorer ces prévisions. Je suis d’accord, il faut mieux piloter nos finances publiques. Mais je ne vois pas d'autre explication que celle que j’ai avancée.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Si c'est un problème technique, pourquoi les techniciens n'ont-ils pas été licenciés ou du moins suspendus ? Si un modèle technique peut provoquer un dérapage de 64 milliards d’euros, pourquoi des enquêtes disciplinaires n’ont-elles pas été lancées ?
M. Thomas Cazenave. Quand c’est arrivé, monsieur Tanguy, notre première réaction a été de prendre en urgence des mesures de freinage de la dépense de l'État. Puis nous avons saisi l'Inspection générale des finances afin de disposer d’un audit indépendant. Le rapport, publié en juillet, contient des recommandations pour améliorer les prévisions. Ses auteurs soulignent le fait, et c’est important pour les services de Bercy, que ces écarts, à 80 %, n’étaient pas anticipables.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). L’IGF n’est pas indépendante !
M. Thomas Cazenave. Je comprends, monsieur Tanguy, que les explications ne vous conviennent jamais. Proposez donc la vôtre ! J’essaie de vous apporter, dans la plus grande transparence, des éléments. Je vous ai dit que l’Inspection générale des finances avait montré que ce n’était pas anticipable, à 80 %, que de tels écarts s’étaient déjà produits par le passé, que les modèles que nous utilisons sont construits sur le temps long et que certains indicateurs ont été percutés par le contexte – très forte inflation d'une part, très fort ralentissement désinflationniste d’autre part. Je ne peux pas vous donner d’autres explications, j’essaie de vous exposer les faits dont j’ai connaissance, afin d’éclairer la représentation nationale et d’alimenter, je l’espère, des propositions pour améliorer le pilotage des finances publiques.
M. le président Éric Coquerel. Excusez-moi, monsieur le ministre, mais à aucun moment le rapport indique que ces écarts de prévision n’étaient pas anticipables. Vous faites une extrapolation. Je me permets de le rappeler et de préciser que ce rapport concerne l’année 2023.
M. Thomas Cazenave. Je vous renvoie à la synthèse du rapport, où il est indiqué : « La mission a décomposé l’écart de prévision selon deux types de facteurs : les facteurs externes […] et les facteurs internes (modèles utilisés, hypothèses plus ou moins favorables […]. Ces derniers constituent la part “évitable” de l’écart de prévision. D’après les estimations […], [ces facteurs internes] représentent 20 % […] de l’écart. »
S’il faut, par esprit de responsabilité, améliorer les facteurs internes, les facteurs externes sont indépendants, extérieurs à nos modèles et à nos prévisions. Je ne pense pas dire ici autre chose que ce que j’ai dit précédemment.
M. le président Éric Coquerel. Lorsque vous dites qu’il est indiqué que ces écarts n’étaient pas anticipables, c’est une extrapolation.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Monsieur le président, vous reprochez au ministre d'avoir communiqué sur les 16 milliards de déficit des collectivités territoriales en 2024. C'est assez surprenant puisque vous passez votre temps à suspecter les ministres de ne pas avoir communiqué les informations qu'ils avaient en leur possession. Par définition, toutes les informations dont ils disposaient à partir du mois de février étaient des projections pour 2024. Je les remercie d’en avoir fait part.
Comme l'a précisé le ministre, il ne s’agissait pas d’un jugement de valeur sur le niveau de dépenses des collectivités territoriales – celui-ci pouvait peut-être s’expliquer en période de crise –, mais d’un fait : il y a bien un écart significatif entre ce qui était prévu et ce qui a été constaté.
La première de mes questions porte sur les recettes de l’impôt sur le revenu. Pouvez-vous confirmer qu’à partir de juin ou juillet, soit quelques semaines après la fin des déclarations, les projections ne devraient plus bouger ? Ce n’est pas le cas des recettes de l’impôt sur les sociétés, qui restent incertaines jusqu'à la fin de l'année.
M. Thomas Cazenave. On reçoit des estimations par impôt et certaines des notes transmises au début du mois d’octobre portaient sur les recettes de l’impôt sur le revenu. Il y a des incertitudes, en fonction de la manière dont les campagnes sont menées. Je vous renvoie à la lecture de ces notes.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). S’agissant de l’effort que les collectivités territoriales devaient consentir, je peux témoigner que les élus étaient très remontés contre les méthodes coercitives visant à encadrer leurs dépenses. Eux-mêmes prônaient un effort partagé : faites-nous confiance, disaient-ils – on trouve beaucoup de déclarations dans la presse sur ce thème.
Pour savoir si l’effort demandé aux collectivités territoriales était crédible, j’aimerais que vous puissiez donner les chiffres comparés de l'effort, en volume, de l'État et de celui des collectivités territoriales, en 2023 et en 2024.
M. Thomas Cazenave. Pour bien comprendre votre question, vous souhaitez connaître la part de l’État et celle des collectivités dans le redressement des comptes publics ?
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). En 2024, l’effort demandé aux collectivités territoriales était de 0,5 point, en volume, par rapport à l’inflation. L’effort de l’État a-t-il été supérieur ? Disposez-vous des chiffres pour 2023 ?
M. Thomas Cazenave. Je n'ai pas ici les chiffres me permettant de répondre précisément à la question.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je vous remercie de nous les communiquer – je pense qu’ils montrent que l’effort de l’État a été plus important.
Ma dernière question porte sur les lois de finances rectificatives. Toutes celles qui ont été votées ces dernières années, loin de redresser les finances publiques, ont entraîné une augmentation du déficit.
Je note que le rapporteur Ciotti – qui ne vote pas en faveur des PLFR depuis 2017 – estime qu’une loi de finances rectificative aurait été la solution. Politiquement, ça ne l’était pas nécessairement. Je comprends le ministre lorsqu’il indique qu'on pouvait prendre des mesures à très court terme, avec un effet certain, et s’engager sur un chemin peut-être « plus propre », qui permettait plus de choses, mais sans davantage de certitude sur une réduction effective du déficit.
M. le président Éric Coquerel. Pour répondre à votre interpellation, monsieur Cazeneuve, je n'ai pas dit que le ministre n'aurait pas dû communiquer, j’ai demandé pourquoi il avait communiqué sur ce chiffre alors qu’il existait des réserves méthodologiques. En revanche, les notes internes qui faisaient état d’autres chiffres sur le déficit, notamment celles des 30 octobre, 27 novembre, 1er décembre, 7 décembre, 24 janvier et 16 février n'ont pas été répercutées immédiatement. Ce n’est pas un reproche mais une interrogation sur le fait que l’approche n’a pas été la même et que les ministres, c’était leur liberté, ont considéré que certaines notes devaient être prises avec prudence.
M. Thomas Cazenave. Excusez-moi d’insister, mais c’est un point de désaccord. Quand, en audition, j'esquisse ce chiffre de 16 milliards, je le fais sur la base des données disponibles. Nous sommes en cours d'année et, honnêtement, je ne cherche pas à travestir la réalité, je cherche à expliquer, compte tenu des données dont on dispose. Je le redis avec clarté.
M. le président Éric Coquerel. C'est l'information que vous avez.
M. Thomas Cazenave. Oui, et j'essaie de la communiquer.
M. le président Éric Coquerel. Dans la lettre du 26 septembre…
M. Thomas Cazenave. …dont je n’étais pas destinataire.
M. le président Éric Coquerel. Je vous en communique donc le contenu : il y est expliqué qu’il s'agissait d'une prévision de Bercy, dont la méthodologie était contestable, puisque c’était une extrapolation des données d'exécution à mi-année. Je cite : « les évolutions constatées au 31 janvier constituent une tendance qui comporte un niveau d'imprécision important, tout particulièrement s'agissant des dépenses d'investissement et du niveau des recettes projetées, comme en attestent les notes méthodologiques de la direction générale des finances publiques, qui accompagnent systématiquement des données mensuelles. » La directrice précise : « au regard de la fragilité de la prévision des recettes et des dépenses d’investissement, il est difficile de tenir responsable les collectivités d'une dégradation générale du solde public au regard de la trajectoire LPFP, qui n’intègre pas de surcroît la contrainte sur les dépenses d'investissement. » Il existait bien des réserves méthodologiques, que la directrice a tenu à souligner dans ce courrier adressé à la ministre Catherine Vautrin.
M.David Guiraud (LFI). Monsieur Cazenave, vous avez déclaré à propos du déficit public que vous n'aviez jamais été dans la dissimulation. J'aimerais vérifier ce point. Admettons que vous n’ayez pas lu cette fameuse note de juillet 2023, parue dix jours avant votre nomination. Admettons que vous ayez choisi d'ignorer les alertes d'octobre 2023. Admettons que, le 7 décembre, vous ayez considéré qu'il s'agissait d'une simple information et que vous ayez prévenu la première ministre. Quelle valeur accordez-vous à la note de la direction générale du Trésor du 16 février, qui indique que le déficit sera de 5,7 % en 2024 ? Ce n’est plus une simple alerte ou une prévision, c'est une information dont vous prenez connaissance.
M. Thomas Cazenave. J’ai cité dans le détail les notes d’octobre, je peux le refaire. Note du 9 octobre du directeur général des finances publiques : sur la TVA, les nouvelles sont plutôt rassurantes, avec 600 millions d'euros supplémentaires attendus. Note du 16 octobre – que Bruno Le Maire a évoquée –, remontées de la DGFIP : les recettes des principaux impôts seront conformes, voire légèrement supérieures aux prévisions. Je veux donc vous ôter de l’esprit qu’il y avait des alertes en octobre.
La première alerte arrive le 7 décembre. Vous restez imprécis sur ce point mais vous me demandez ce que nous faisons après avoir reçu la note du 16 février. Eh bien, nous prenons en quelques jours des décrets d'annulation. Nous réagissons immédiatement.
M.David Guiraud (LFI). Vous accordez donc une forte crédibilité à la note du 16 février, qui fait état d’un déficit de 5,7 %.
Quatre jours plus tard, vous êtes invité sur France Inter. Les journalistes vous relancent deux fois sur le déficit et sur votre objectif à 4,4 %. Vous ne dites pas que vous avez l’information d’une prévision à 5,7 % ; vous affirmez de surcroît que vous maintenez l’objectif d’un déficit à 4,4 % et annoncez dans la foulée un plan de 10 milliards.
À quel niveau la note de la direction générale du Trésor estimait-elle les économies nécessaires pour tenir l’objectif de 4,4 % de déficit ?
M. Thomas Cazenave. Vous avez raison de soulever cette question. En février, c’est la première fois que nous avons une estimation de l’impact des pertes de recettes sur l’année 2024. Il devient évident que nous devons revoir la trajectoire. Nous commençons à travailler une nouvelle trajectoire, qui sera présentée dans le cadre du programme de stabilité.
Mais alors même que nous n'avons pas rebâti collectivement une nouvelle trajectoire, je ne peux pas dire que nous abandonnons notre objectif. Nous n’avons pas, à ce stade, d’autres scénarios. Par défaut, c'est le dernier objectif que l’on s’est fixé qui demeure. Même si je commence à dire, dans cette émission, que cela dépendra de la croissance, qu’il y a des incertitudes, il n’existe pas formellement, à cette date, d’autre objectif de déficit public.
Il faudra attendre le programme de stabilité, donc les arbitrages que nous aurons faits en interministériel sur la dépense et les recettes, pour présenter un nouvel objectif de déficit public, à 5,1 %.
M. David Guiraud (LFI). Ce qui m'intéresse, c'est que vous annonciez sur France Inter un plan de 10 milliards d’économies pour tenir votre objectif d’un déficit à 4,4 %, alors même que la note de la direction générale du Trésor indique que ce sont 30 milliards d’économies qu’il faudra faire.
C’est là qu’il y a dissimulation. D’abord, vous ne dites pas publiquement que vous avez une information qui rebat les cartes : le déficit sera beaucoup plus important que prévu. Ensuite, vous ne dites pas que, pour tenir l’objectif d’un déficit à 4,4 %, il faudra faire trois fois plus d’économies qu’annoncé sur la première matinale du pays.
À la lumière des éléments dont nous disposons, comment expliquer qu’il y ait eu dissimulation ? J’ai peut-être une explication, que je verse au débat public. Les élections européennes se tiendront quelques mois plus tard et vous ne souhaitez pas annoncer aux gens que, pour tenir vos objectifs, il faudra faire 20 milliards d'euros d’économies supplémentaires. J’aimerais vous entendre sur ce décalage entre ce que vous savez et ce que vous dites.
M. Thomas Cazenave. Excusez-moi, mais ce n’est pas ainsi qu’on définit un objectif de déficit public ! On ne va pas sur France Inter expliquer qu’on a une note qui dit qu’on ne pourra pas tenir notre objectif… Non, on s’inscrit dans un travail gouvernemental, qui comporte des étapes, notamment celle du programme de stabilité. Que n’aurais-je pas entendu ici même, en commission des finances, si j’avais annoncé sur France Inter un nouvel objectif de déficit public ! Nous avons des institutions, et leur respect passe par la présentation au Parlement d’une nouvelle trajectoire – c’est le programme de stabilité. Franchement, ce n’est pas sur France Inter qu’on fait les finances publiques !
Vous parlez des élections. Si nous avions dû intégrer le fait électoral, pensez-vous que Bruno Le Maire aurait annoncé une hausse du prix de l’électricité en janvier, que nous aurions procédé à 10 milliards d'euros d'annulations de crédit – dont vous allez nous expliquer que ce n’était pas les coupes qu’il fallait faire ? Si nous avions dû nous inquiéter de notre popularité, nous n’aurions pris aucune décision !
Le 6 mars, auditionné par votre commission – je m’en souviens car c’était mon anniversaire –, j’explique qu’il faudra faire 20 milliards d’euros d’économies en 2025. En fait, je suis déjà en train de préparer la construction d’une nouvelle trajectoire. Voilà comment ça se passe.
M. David Guiraud (LFI). Toutes les lectures de textes budgétaires ont donné au Parlement l’occasion de vous alerter sur vos prévisions de déficit. Il n’a pas été entendu.
Sur France Inter, vous allez au-delà : vous annoncez que les chiffres du déficit seront révisés, mais vous ne communiquez pas ceux que vous donne la direction générale du Trésor. C'est bien là qu'il y a dissimulation.
M. Thomas Cazenave. Vous confondez deux choses : l’objectif de déficit public et l’estimation du déficit.
Quand la direction du Trésor donne le chiffre de 5,7 %, cela correspond au niveau que le déficit pourrait atteindre, à politique inchangée. La responsabilité politique du gouvernement, c'est de déterminer, compte tenu de ces nouveaux éléments, l’objectif et la trajectoire des finances publiques.
Je suis désolé, mais je ne commente pas sur France Inter le contenu de notes préparatoires à la décision de l'administration.
Pour ce qui est du programme de stabilité, nous sommes venus le défendre ici même, avant les élections européennes. Nous n’avons pas caché le sujet, nous avons eu ce débat, y compris sur les coupes et sur le fait qu'il fallait aller au-delà. C’est un mauvais argument.
M. le président Éric Coquerel. Pourquoi avez-vous expliqué qu’avec 10 milliards d’euros d’annulations de crédits, on réussirait à maintenir le déficit à 4,4 %, alors que vous saviez que 30 milliards étaient nécessaires ?
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Ce n’est pas exact !
M. le président Éric Coquerel. Ce n’est pas vous qui êtes auditionné, mais votre tour viendra peut-être, en tant qu’ancien rapporteur général. Ce pourrait être intéressant.
Pourquoi donc, monsieur Cazenave, choisir de ne pas dire qu’il faudra faire des économies, ou prélever des recettes supplémentaires, à hauteur de 30 milliards ?
M. Thomas Cazenave. D’abord, on ne va pas annoncer dans une matinale un nouvel objectif de déficit public. Que cela vous plaise ou non, ce n’est pas ainsi qu’on travaille ! Par ailleurs, ce serait manquer de respect envers la représentation nationale. Enfin, à ce moment-là, il n’y avait pas d'objectif de déficit public alternatif – c'est le fruit d’un arbitrage politique. Nous avons pris une mesure d’urgence avec les 10 milliards d’annulations de crédits, en sachant qu’il faudrait faire d’autres efforts. Nous avons commencé à travailler, à nous poser la question du PLFR. Jamais nous ne nous sommes dit que ces 10 milliards, c’était pour solde de tout compte ! D’ailleurs, nous avons dit très vite qu’il faudrait d’autres mesures, peut-être des recettes supplémentaires – un groupe de travail a été lancé.
M. le président Éric Coquerel. Que vous l’ayez dit très vite, là n’est pas la question. Le problème, c’est que quarante-huit heures après avoir reçu la note du 16 février, vous n’ayez pas déclaré dans cette émission qu’il faudrait faire des efforts supplémentaires.
M. Thomas Cazenave. Reprenez toutes mes interventions dans les médias : s’il y en a bien un qui a dit, avec Bruno Le Maire, que c'était difficile et qu’il faudrait faire des efforts, c’est bien moi !
Mme Estelle Mercier (SOC). Je vous remercie d’avoir suggéré par avance dans votre propos liminaire quelles doivent être les conclusions de cette commission d’enquête : vous dites qu’il n’y a eu ni dissimulation ni procrastination, que l’on constate certes des écarts de prévisions, mais que tout cela est déjà arrivé par le passé. C’était bien sûr conjoncturel et imprévisible. Rien de bien grave, en somme. S’il vous plaît, monsieur Cazenave, laissez-nous en juger par nous-mêmes.
Les auditions précédentes nous amènent à avoir une vision un peu différente et à penser que les hypothèses de trajectoire de dépenses étaient particulièrement optimistes. Vous accusez notamment les collectivités locales d’avoir creusé le déficit et vous venez de dire que vous aviez fait le choix politique d’une trajectoire de progression de 1,8 % de leurs dépenses – un choix de confiance qui n’a pas fonctionné.
Encore une fois, c’est assez significatif de votre vision des relations entre l’État et les collectivités locales. Bercy décide d’efforts partagés et les collectivités exécutent. Est-ce votre vision de la confiance ? Je vous rappelle que les collectivités ne sont pas des agences de l’État et qu’il existe d’autres méthodes que la coercition. Il me semble que vous n’avez à aucun moment établi un dialogue étroit avec les collectivités sur des objectifs partagés.
Vous évoquez et vous admettez une mauvaise prévision des recettes de l’État en raison d’une imprévisibilité liée à la sortie de crise. Mais, d’un autre côté, vous niez toute erreur de prévision s’agissant des collectivités locales. Comment peut-on penser que celles-ci ne subissent pas elles aussi les effets de la crise covid, de la crise énergétique et des décisions unilatérales de revalorisation salariale, qui rendaient impossible de respecter une trajectoire d’augmentation des dépenses de 1,8 % ? Cécile Raquin l’a d’ailleurs admis hier lors de son audition en déclarant que l’indice des prix à la consommation ne constituait sans doute pas une bonne référence pour prévoir les dépenses des collectivités.
Pensez-vous que l’hypothèse de trajectoire des dépenses des collectivités locales était mal calibrée, trop optimiste et déconnectée des réalités budgétaires des territoires ? Ou bien était-ce un choix politique fait sciemment pour faire ensuite porter la responsabilité du déficit sur les collectivités locales ?
M. Thomas Cazenave. Je reviens un instant sur la question de M. Guiraud pour indiquer que j’avais évoqué la possibilité d’un PLFR durant l’été lors de cette fameuse émission de France Inter.
Madame la députée, nous avons un désaccord depuis le début : je considère qu’il est légitime que tout le monde mette la main à la poche. Pourquoi les collectivités territoriales ne pourraient-elles pas participer au redressement des finances publiques ? Lorsqu’il avait fallu redresser les comptes publics, François Hollande lui-même avait prévu des prélèvements très importants sur la dotation globale de fonctionnement (DGF). Il y a donc bien eu une époque où des élus de bords différents n’ont pas cédé à la caricature et ont considéré qu’il n’était pas anormal que tous participent à l’effort de redressement des finances publiques.
Mme Estelle Mercier (SOC). Par quel moyen ?
M. Thomas Cazenave. En faisant des économies.
Le dernier rapport de la Cour des comptes sur les finances locales montre que les effectifs des collectivités territoriales ont encore augmenté. Des économies très importantes sont probablement à faire. Pourquoi n’arrive-t-on pas à en discuter ?
Nous sommes dans un État unitaire. On ne peut pas opposer les collectivités territoriales et l’État. Les finances publiques sont constituées par les comptes de toutes les administrations publiques.
L’État a dépensé pour protéger les collectivités dans le cadre du « quoi qu’il en coûte ». Pourquoi serait-il illégitime de leur demander de faire un effort ? C’est un point de désaccord entre nous. On peut bien entendu débattre du niveau d’effort qui leur était demandé, mais vous contestez le principe même de ce dernier. Nous avons fait le choix politique de faire participer tout le monde au redressement.
Quant au dialogue avec les collectivités, je rappelle que Bruno Le Maire a créé le Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL).
M. le président Éric Coquerel. Il s’est réuni une fois…
M. Thomas Cazenave. Le président Coquerel est venu lors de la première réunion.
Une deuxième réunion a ensuite eu lieu et a permis de s’orienter vers une méthode différente en conviant les présidents des principales associations représentant les collectivités, afin d’avoir un débat à trois, avec les représentants du Parlement et le gouvernement. Le mécanisme coercitif a été abandonné mais il y avait un engagement. Était-ce illégitime ? En outre, je le répète, il s’agissait, non pas de baisser les dépenses des collectivités mais de parvenir à une moindre croissance – à la différence des dépenses de l’État, qui ont subi des coupes.
Je reste convaincu que cette proposition d’accord était raisonnable et je regrette que nous n’ayons pas pu aboutir.
Mme Estelle Mercier (SOC). Votre réponse est significative. Elle montre combien vous êtes déconnecté de la réalité. Les collectivités locales ont fait des économies en réduisant leurs dépenses en volume, mais cela ne se voit pas forcément en valeur du fait de l’inflation qu’elles subissent. Tout le monde le sait depuis au moins trois ans.
M. Thomas Cazenave. Je ne suis pas d’accord avec votre analyse.
Nos vues divergent sur un point essentiel : il est selon moi légitime que tout le monde fasse un effort.
Mme Marie-Christine Dalloz (DR). J’ai eu l’occasion de participer à deux commissions d’enquête dans le passé. L’agressivité et le mépris qui pointent dans celle-ci me surprennent beaucoup. Je déplore l’ambiance de cette commission d’enquête. Nous pourrions travailler sereinement et sérieusement.
Comme vous l’avez dit, l’IGF a considéré que 80 % des écarts constatés par rapport aux prévisions s’expliquaient par des facteurs externes. Nous avons bien un problème d’estimation des recettes.
Vous avez esquissé deux pistes d’amélioration dans votre propos liminaire. La première vise à apprécier plus précisément l’évolution des rentrées mensuelles de TVA, la seconde concerne les liens entre l’évolution de l’excédent brut d’exploitation (EBE) et les versements d’IS. On ne peut pas continuer à ne pas savoir quel sera le montant du cinquième acompte de cet impôt.
Comment peut-on améliorer ces prévisions ?
M. Thomas Cazenave. La principale fragilité des prévisions réside dans l’évaluation de l’IS. Ce n’est pas nouveau : il a toujours été difficile d’en évaluer le produit. Le Sénat avait d’ailleurs proposé de neutraliser le cinquième acompte, mais les prévisions doivent être sincères et présenter l’intégralité des recettes.
Peut-être faut-il organiser des contacts entre l’administration et les grands contribuables, afin de mieux anticiper ce cinquième acompte ?
Bercy a commencé à se pencher sur la manière d’appréhender l’évolution de l’IS et de la TVA, mais l’essentiel du travail est encore devant nous. Il est fondamental pour mieux piloter les recettes.
Mme Marie-Christine Dalloz (DR). Les contrats dits de Cahors visaient à faire participer les collectivités territoriales à l’effort de redressement des comptes publics. Au moment où ils ont été abandonnés, plusieurs mesures ont été adoptées dont notamment celles du Ségur de la santé et la revalorisation du point d’indice.
Quelle est la part de ces mesures imposées aux collectivités dans le dérapage de leurs finances que vous dénoncez ? Sans même parler des conséquences de l’inflation, ces mesures ont eu un effet sur la progression des dépenses des collectivités locales.
M. Thomas Cazenave. Je rappelle tout d’abord que les dépenses de fonctionnement des collectivités ont progressé de 7 %. On voit que c’est bien plus que la revalorisation du point d’indice. Et le rythme de progression doit être similaire si l’on fait abstraction des allocations individuelles de solidarité (AIS) – dont le RSA – pour lesquelles les collectivités ne disposent d’aucune marge de manœuvre.
Je ne dispose pas des données consolidées permettant d’isoler la part des dépenses contraintes des collectivités – peut-être le rapporteur général en dispose-t-il. Il reste que la hausse de 7 % des dépenses de fonctionnement est quand même significative.
Mme Marie-Christine Dalloz (DR). Pourriez-vous nous faire parvenir une réponse écrite sur ce point, au moins pour 2023 ?
Les précédentes lois de finances rectificatives n’ont pas procédé aux corrections nécessaires et ont conduit à des dépenses supplémentaires. Nous avions en effet demandé qu’un PLFR soit présenté, même si cela faisait prendre un risque de dégradation supplémentaire du solde budgétaire. Mais y aurait-il eu une majorité pour le voter ou bien aurait-on dû recourir au 49.3 ? Telle est la véritable question.
M. Thomas Cazenave. C’est une vraie question. Le gouvernement Barnier a été censuré parce qu’il proposait des économies. C’est aussi ce que nous aurions fait si nous avions présenté un PLFR. On ne saura jamais comment les choses se seraient passées, mais je doute fort que nous aurions été capables d’obtenir une majorité pour faire des économies.
Compte tenu des risques de censure du gouvernement, recourir à un décret d’annulation et s’en remettre au PLFG était probablement une méthode plus sûre pour mettre en œuvre le plan de redressement.
Je le répète : il n’y a manifestement pas de majorité pour faire des économies.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Vous nous dites que le problème ne serait pas politique ; ce serait, à vous entendre, une affaire d’évaluation des conséquences de la sortie de crise. Mais, comme nous allons de crise en crise, cela ne vous a pas échappé, il y a bien un problème politique puisque le niveau d’imprévisibilité n’a pas permis à deux gouvernements successifs – et cela peut être le cas des suivants – de construire un budget correspondant aux recettes réelles. J’affirme donc qu’il s’agit d’une question éminemment politique et certainement pas technique.
Que je n’ai pas eu connaissance de la note du 11 juillet mentionnée par le rapporteur est une chose, mais que vous-même n’en ayez pas eu connaissance révèle qu’il n’y a pas de continuité de l’État – et donc pas de transmission d’informations lorsqu’un ministre succède à un autre. Êtes-vous bien en train de nous dire que Gabriel Attal n’a pas porté à votre connaissance cette note du 11 juillet ?
M. Thomas Cazenave. Je ne sais pas de quoi vous me parlez. Le cabinet du ministre a peut-être reçu quinze notes le 11 juillet… Je suis arrivé au ministère le 22 juillet.
J’essaie de répondre de la manière la plus précise possible, mais je ne peux pas commenter une note dont je ne sais même pas qui étaient l’auteur et le destinataire et dont je ne connais pas le contenu.
N’attendez pas de moi un commentaire. Je n’en sais rien.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Vous confirmez donc que la continuité de l’État n’est pas assurée et que vous n’en savez pas plus que moi ?
M. Thomas Cazenave. Quelle mauvaise foi absolue !
Vous m’interpellez sur une note sortie du chapeau. Je me serais renseigné à son sujet avant cette audition si vous m’aviez prévenu. Mais là, je ne veux même pas me prononcer. Peut-être a-t-elle été évoquée, peut-être a-t-elle été transmise.
Je dis simplement que vous ne pouvez pas me convoquer devant une commission d’enquête pour me demander de réagir à un document en votre possession. Je ne peux pas répondre à votre question s’agissant de Gabriel Attal. Cela ne serait pas sérieux de ma part.
Et ne donnez pas des leçons de continuité de l’État à propos d’une note dont je ne sais pas d’où elle sort, à qui elle a été transmise ni même son contenu !
Je rappelle qu’à Bercy, il y a beaucoup de directions et beaucoup de notes. La continuité de l’État est, bien sûr, assurée.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Permettez-moi de donner les leçons que je veux et d’être libre de mes propos.
Vous confirmez donc que cette note ne vous dit rien. Et moi, je trouve cela extrêmement préoccupant au vu des éléments qui ont été évoqués dans cette commission.
Sur le rendement de la Crim, Jérôme Fournel nous a expliqué que c’était une déconvenue majeure – ce que l’on peut comprendre avec une erreur de prévision de 10 milliards…Vous dites qu’après avoir été informé de son faible rendement, vous n’avez pris aucune décision. Je ne remets pas en question vos propos puisque vous êtes sous serment. Ne vous êtes-vous cependant pas interrogé sur les causes de ce faible rendement, et notamment sur le dispositif juridique de cette contribution ? Cela aurait pu vous orienter vers un autre mécanisme permettant de prendre en compte un fait pourtant évident : le prix du mégawatt peut fluctuer en fonction des prix de l’énergie.
M. Thomas Cazenave. Nous avons bien revu le rendement de la Crim lors du PLFG, puisque son produit a alors été ramené à 2,8 milliards.
Nous avons donc tenu compte des nouvelles informations dont disposaient la Commission de régulation de l’énergie, la direction de la législation fiscale et la direction générale du Trésor pour essayer d’estimer au mieux son montant.
J’ai appris grâce à l’audition de Jérôme Fournel par votre commission que la recette devrait finalement atteindre 1,7 milliard. Ce résultat a été connu récemment en raison des décalages de paiements.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Vous nous avez indiqué sans détour être convaincu que nous étions face à un problème non pas de politique économique mais d’évaluation des recettes fiscales en sortie de crise. La conjoncture très particulière de cette dernière semble manifestement conduire à exclure a priori les modèles existants s’agissant de l’art de la prévision de recettes.
La chronologie des faits au cours des deux exercices budgétaires est importante pour nous permettre de décrire le dérapage budgétaire. Mais il faut aussi prendre en compte la réalité d’une certaine instabilité politique et ministérielle lors de la période récente. Comme vous l’avez bien souligné, cela a interdit toute politique d’économies budgétaires.
Cette instabilité a-t-elle retardé des arbitrages politiques et, au sein des services de Bercy, altéré certaines appréciations de la situation budgétaire ?
M. Thomas Cazenave. Vous avez raison de dire qu’il y a un problème avec notre modèle d’estimation des recettes. Ainsi, en 2023, tandis que la croissance s’est maintenue, puisqu’elle a atteint 0,9 % alors que la prévision était de 1 %, la baisse des recettes s’est pourtant élevée à une vingtaine de milliards. Il y a donc manifestement un effet de sortie de crise. Cette perte de recettes très importante va ensuite peser sur 2024, et vous connaissez la suite.
La prévision est donc au cœur des investigations en cours, tant à Bercy qu’au sein de votre commission d’enquête et de la commission des finances.
L’instabilité politique a-t-elle eu un impact sur les finances publiques ? Oui.
Notre plan de redressement comportait un décret d’annulation de 10 milliards, mais prévoyait aussi d’aller plus loin s’agissant des dépenses de l’État. Nous envisagions ainsi une batterie de mesures réglementaires qui concernaient notamment les indemnités journalières, le taux de cotisation employeur des collectivités territoriales, les transports sanitaires… Elles n’ont pas pu être prises, ce qui a manifestement des conséquences sur la trajectoire des déficits.
Malgré les difficultés, nous estimions qu’il était possible d’atteindre la cible de 5,6 % de déficit public, ce qui ne sera pas le cas. C’est aussi une conséquence de l’instabilité politique.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Si l’on fait abstraction des considérations politiques que vous avez évoquées mais aussi de la dissolution intervenue entre-temps, pensez-vous a posteriori qu’un PLFR aurait pu être déposé en octobre 2024 ?
M. Thomas Cazenave. Je me demande comment il aurait pu être adopté.
Une fois encore, notre objectif était de faire des économies et une autre voie a été choisie. Un PLFR prévoyant des économies importantes avait-il une chance d’être adopté par l’Assemblée ? Je vous laisse en juger en fonction de vos appréciations politiques. En tout cas, les dernières semaines que nous avons vécues montrent que ce chemin aurait été extrêmement escarpé.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Lundi, le premier président de la Cour des comptes a proposé de renforcer le rôle de contrôle du HCFP en lui confiant le pouvoir de validation systématique des prévisions gouvernementales. On reprendrait le principe anglo-saxon « appliquer ou expliquer » : le gouvernement devrait suivre les recommandations du HCFP ou justifier publiquement son refus de le faire.
Qu’en pensez-vous ?
M. Thomas Cazenave. La commission sur l’avenir des finances publiques présidée par Jean Arthuis avait me semble-t-il également fait cette recommandation.
Il est parfaitement normal d’être très exigeant en matière de transparence et d’explication des écarts de prévision. Mais il ne faut pas se tromper : certaines décisions sont politiques et doivent être assumées comme telles. C’est le cas du choix du niveau de croissance, même si les ministres doivent ensuite pouvoir expliquer pourquoi ils ont retenu une option différente de celle recommandée par le HCFP.
M. Jean-Paul Mattei (Dem). Je reviens sur les difficultés de prévision de l’IS. Vous avez beaucoup parlé de l’EBE (excédent brut d’exploitation), mais je me demande si ce dernier constitue un critère pertinent. Certains éléments, comme les produits financiers et les produits exceptionnels, ne sont en effet pas intégrés dans le calcul de l’EBE
M. Thomas Cazenave. Nous avons en effet un problème pour estimer l’IS, mais je ne suis pas assez technicien pour savoir quelles seraient les bonnes bases pour estimer le produit de cet impôt.
Il est évident qu’il faut reconstruire et améliorer le modèle de prévision. Cela fait partie des travaux qui doivent être conduits et peut-être le recommanderez-vous. Je ne suis pas capable de me prononcer sur le bon modèle, mais il est certain qu’il convient de travailler sur le sujet, en s’appuyant notamment sur les différentes hypothèses qui ont été évoquées lors des auditions menées par cette commission.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Je n’ai pas réagi assez vite après l’intervention de Mme Arrighi. Les notes qui ont été citées ce matin ne tombent pas du ciel. Elles ont été transmises à la demande des deux rapporteurs par les services du ministère dont vous aviez la charge.
Celle du 11 juillet 2023, dont vous relativisez l’importance, n’est pas n’importe quelle note. Elle est transmise au ministre et signée par Emmanuel Moulin, directeur général du Trésor – par ailleurs ancien directeur de cabinet du précédent Premier ministre et ancien directeur de cabinet du ministre de l’économie.
Ces notes nous ont été communiquées dans le cadre de nos prérogatives de rapporteurs d’une commission d’enquête et elles ne sont pas banales.
M. Thomas Cazenave. Je ne comprends pas que l’on ne puisse pas avoir des règles du jeu entre nous.
Ne me demandez de commenter devant une commission d’enquête une note du 11 juillet. Pourquoi pas celle du 12 ou du 14 ? Je ne les connais pas. Si j’en avais pris connaissance, je vous l’aurais dit. Ne faites pas comme si une seule note majeure arrivait tous les quinze jours dans un ministère. Il y a beaucoup de notes et je ne sais pas à laquelle vous faites référence.
Vous essayez de me mettre en difficulté en vous appuyant sur un document dont je n’ai pas connaissance. Je n’étais pas ministre à l’époque, personne ne m’a prévenu et je ne connais pas son contenu : je ne peux pas vous en parler, tout simplement.
Mme Christine Arrighi (EcoS). On en prend acte.
M. Christophe Plassard (HOR). Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre présence et pour le travail accompli au ministère du budget. En préambule, je souhaite rappeler une chose qui peut sembler évidente mais qu’il est toujours bon de garder en tête : vous avez assumé vos fonctions pendant un an, un mois et deux jours – soit deux PLF. Et, bien entendu, ce n’est pas en deux PLF que l’on revient sur quarante ans de déficit budgétaire.
Une règle est simple en matière budgétaire : nous paierons demain les excès d’aujourd’hui. Et nous devons payer aujourd’hui les excès accumulés pendant des décennies. S’y ajoute la dégradation de la note de la France par l’agence Moody’s en réaction à la censure du gouvernement – votée notamment par La France insoumise en partenariat avec le RN.
La non-indexation du barème de l’impôt sur le revenu en est le premier effet visible, car elle entraîne l’augmentation automatique des sommes que doivent payer des milliers de Français – et je passe sur le report des augmentations de crédits prévues par des lois de programmation et sur l’incertitude qui entoure ces dernières. C’est notamment le cas en ce qui concerne le budget de la défense, dont je suis rapporteur. L’exécution du budget par douzième bloque en effet toute commande lorsque l’horizon de paiement dépasse un mois.
Quelle influence la note financière délivrée par les agences de notation exerce-t-elle sur la communication des estimations ? Et celles-ci ont-elles pu jouer un rôle, même en creux, s’agissant de la solidité des chiffres rendus publics ?
M. Thomas Cazenave. On ne bâtit évidemment pas une trajectoire des finances publiques pour les agences de notation. On la bâtit pour notre pays, pour garantir notre souveraineté, pour préserver notre modèle social et pour des raisons d’équité intergénérationnelle.
Les agences de notation font partie des acteurs qui examinent nos finances publiques. Certains acteurs ne s’appuient d’ailleurs pas sur les travaux de ces agences pour évaluer le risque. C’est plus compliqué que ça. Nos choix et nos propositions ont toujours été faits dans l’intérêt du pays, et jamais pour répondre à des agences de notation.
Les commentaires de ces agences font partie des débats sur les lois de finances et l’évolution des déficits publics, mais les choix que nous avons faits ne sont pas destinés à les satisfaire.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous avez expliqué que le dérapage des finances publiques était lié pour 16 milliards à celui des finances locales et pour 40 milliards à des pertes de recettes, essentiellement pour le budget de l’État et dans une moindre mesure pour la sécurité sociale.
Vous aviez fourni la même estimation lorsque vous étiez encore ministre. Je vous avais alors demandé d’où sortaient ces 16 milliards. Vous m’aviez adressé sur papier blanc un document qui indiquait simplement que la croissance des dépenses de fonctionnement des collectivités locales était estimée à 1,8 % dans le programme de stabilité tandis que celle des dépenses d’investissement s’élevait à plus de 7,8 %. Nous étions à la fin juillet et vous aviez alors retenu un taux d’augmentation des dépenses de fonctionnement de 7 %, et de 14,9 % pour les dépenses d’investissement. En faisant la différence, on aboutissait à un dérapage de 11 milliards pour le fonctionnement et de 5 milliards pour l’investissement.
Mais, les données de la fin juillet ne sont pas valables. Selon les chiffres de la fin novembre, nous en sommes à des hausses de 5,9 % pour le fonctionnement et de 9,9 % pour l’investissement – et le mois de décembre se traduira probablement par un ralentissement supplémentaire de ces rythmes de progression. Même en retenant les données de la fin novembre, le dérapage n’est plus de 16 milliards mais de 10 milliards – voire plutôt de 7,5 milliards d’après les derniers chiffres.
Pourquoi avez-vous maintenu à 18 milliards les évaluations du produit des DMTO aussi bien en 2023 qu’en 2024 ? Ces recettes ont représenté 16,9 milliards en 2023 et devraient atteindre 14,8 milliards en 2024. Pourquoi n’avez-vous pas ajusté ces prévisions, sachant que la perte de recettes par rapport à l’évaluation initiale devrait atteindre 3,2 milliards ? Les projections sont pourtant assez faciles à réaliser puisque l’on dispose chaque mois de la situation des encaissements.
Ma question est très simple : pourquoi avez-vous retenu + 1,8 % en fonctionnement et + 7,8 % en investissement ? Vous nous dites que c’était ce qui figurait dans la LPFP. Mais pourquoi avait-on retenu dans cette loi de telles hypothèses totalement irréalistes ? Je rappelle les chiffres de 2023 : + 6,1 % en fonctionnement et + 7,5 % en investissement.
M. Thomas Cazenave. Lors de mon audition, vous m’aviez en effet demandé des précisions au sujet du dérapage de 16 milliards et je vous avais fourni les estimations de Bercy, élaborées de manière traditionnelle à cette période de l’année – notamment s’agissant du cadrage des finances publiques. De ce que j’en ai compris, les services utilisent les remontées comptables disponibles à la fin de juillet pour estimer les résultats de fin d’année. En général, ils ne se trompent pas beaucoup.
Vous devez intégrer un élément dans l’équation : entre le moment où je vous ai donné ces chiffres et maintenant, un projet de budget demandant des efforts aux collectivités, et très largement commenté par les associations d’élus, a été déposé. Les mesures que nous avions annoncées et la situation d’incertitude ont peut-être incité les élus locaux à la prudence en matière de dépenses d’investissement. J’en suis pour ma part convaincu.
Les services de Bercy avec lesquels j’ai pu discuter s’attendaient d’ailleurs à ce que les écarts soient finalement moins importants que prévu en matière de dépenses car ils anticipaient un changement de comportement des élus.
J’ai utilisé les données dont on disposait et l’exécution sera probablement plus favorable que ce qui avait été envisagé.
Quant aux prévisions retenues dans la LPFP, elles anticipaient les effets du cycle électoral en matière de dépenses d’investissement, d’où l’hypothèse retenue. S’agissant des dépenses de fonctionnement, je répète que nous avions fait un choix politique consistant à demander aux collectivités d’en réduire la croissance afin de contribuer à l’effort global de redressement des finances publiques.
M. Emmanuel Maurel (GDR). Je reviens sur un point qui me trouble et qui a troublé plusieurs collègues s’agissant de la chronologie des faits et de la transmission de l’information – et je pose cette question en tant que néophyte, ce que vous n’êtes pas.
Lors de son audition, l’ancien directeur de cabinet de Bruno Le Maire, qui était auparavant directeur général des finances publiques, nous a dit que dès l’été 2023, on voyait qu’il y avait un problème, l’évolution des recettes faisant anticiper des pertes.
Il y a cette note du 11 juillet. Vous dites que vous ne la connaissez pas et je veux bien vous croire. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Alors que la direction générale du Trésor et celle des finances publiques mettent en garde le ministre du budget de l’époque sur les difficultés à venir en matière de recettes, personne ne juge bon de vous en parler quelques jours plus tard lorsque vous devenez ministre – ni le cabinet de Bruno Le Maire, ni celui de Gabriel Attal, ni les ministres concernés. Cela me surprend. Même si vous ne connaissiez pas la note du 11 juillet, pourquoi n’avez-vous pas parlé de la situation entre vous ? Quel est le circuit entre Bercy, l’Élysée et Matignon ?
M. Thomas Cazenave. Je vous remercie de reconnaître que je ne peux pas commenter une note que je n’ai pas. Vous me dites que l’alerte a été donnée dès l’été sur les recettes de l’impôt sur les sociétés. La seule note dont je dispose est datée du 16 octobre 2023. Elle indique que fin septembre, le montant des recettes nettes d’IS est inférieur de 600 millions d’euros aux prévisions révisées, en raison d’une moins-value de 0,2 milliard de recettes brutes et de 0,4 milliard de remboursements supplémentaires. Elle ajoute qu’à ce stade, la recette finale reste incertaine : c’est normal puisque le cinquième acompte est déterminant. S’il y avait eu une grosse alerte à l’été, j’imagine qu’elle figurerait dans la note d’octobre. Les montants indiqués n’ont rien à voir avec la chute des recettes de la fin de l’année. Ainsi, selon les éléments dont je disposais, en octobre, les recettes étaient à peu près en ligne ; c’est après que nous avons reçu des notes qui nous mettaient en garde – ça a commencé avec la TVA.
M. Emmanuel Maurel (GDR). Je ne parlais pas seulement des notes. D’après ce que nous ont dit M. Fournel et M. Moulin, l’été 2023 aurait été un moment charnière.
J’entends cependant ce que vous dites. Pour autant, le principe de prudence budgétaire a-t-il vraiment été respecté ? La Cour des comptes elle-même dit qu’on observe un écart inhabituel entre les prévisions de recettes et le projet de loi de finances de fin de gestion, que certaines évolutions étaient difficilement prévisibles mais que d’autres événements auraient dû être mieux anticipés. Elle relève un écart « massif et probablement inédit » entre le produit attendu et les sommes recouvrées, en particulier s’agissant de l’IS et de la Crim, la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité.
À partir du 1er juillet 2022, le montant de la Crim était calculé en fonction des prix. Entre cette date et le 30 septembre, le prix du mégawattheure ne descend jamais en dessous de 200 euros sur le marché spot ; il culmine même à 750 euros le 30 août, avant de redescendre à 500 euros. Nous avons affaire à un plantage manifeste : on passe de 12 milliards à 600 millions – c’est énorme. Un tel fiasco aurait dû inciter à la prudence concernant l’IS.
M. Thomas Cazenave. La Crim a été créée par la loi de finances pour 2023. Lorsque j’étais au gouvernement, nous avons revu son rendement prévisionnel dans le PLF pour 2024 ; dans le PLFG 2023, nous l’avons ramené à 2,8 milliards. Vous me direz qu’il reste un écart, puisque le rendement s’est monté à 1,7 milliard. Mais nous parlons d’un impôt nouveau. Par ailleurs, les prix ont diminué beaucoup plus vite que ne le prévoyait la Commission de régulation de l’énergie (CRE), la direction de la législation fiscale (DLF) et la direction générale du Trésor.
M. Emmanuel Maurel (GDR). Pouvez-vous affirmer que le principe de prudence a été respecté lorsque vous étiez ministre délégué aux comptes publics ?
M. Thomas Cazenave. Je dis que je n’ai pas choisi le montant du rendement de la Crim. Nous avons plusieurs fois baissé le montant de l’évaluation. De plus, je n’ai pas arbitré les sous-jacents de son calcul.
M. le président Éric Coquerel. S’agissant des chiffres que vous avez retenus pour l’élaboration de la loi de finances et de la LPFP, pouvez-vous au moins admettre que le HCFP ne se trompait pas lorsqu’il expliquait que la prévision de croissance reposait sur des hypothèses optimistes pour tous les postes de la demande et que le déficit prévu pour 2024, à savoir 4,4 % du PIB, étant principalement issu de la conjugaison d’hypothèses favorables, paraissait donc également optimiste ? Parmi toutes les options présentes sur la table, vous avez choisi seulement les plus optimistes pour établir vos chiffres.
M. Thomas Cazenave. La révision de la croissance montre que nous avons intégré le fait que l’environnement macroéconomique international n’était pas celui que nous aurions souhaité anticiper. Je ne vais pas refaire l’histoire des événements à partir d’octobre, en particulier de la dégradation continue de la situation économique internationale qui a manifestement pesé sur la croissance, conduisant le ministre de l’économie à revoir, légitimement, sa perspective de croissance pour 2024. Il fallait émettre une autre hypothèse, ce qu’il a fait assez tôt dans l’année – de mémoire, il a pris la décision en février.
M. le président Éric Coquerel. Lorsqu’on s’interroge sur les écarts, on prend en compte non seulement le point d’arrivée, mais aussi le point de départ. En septembre 2023, le président du Haut Conseil des finances publiques a expliqué devant cette commission que les chiffres sur la table reposaient sur les hypothèses les plus optimistes. D’autres étaient donc possibles. Confirmez-vous que parmi les hypothèses possibles, vous avez choisi les plus optimistes ?
M. Thomas Cazenave. Je répète ma réponse. Le choix de l’estimation de croissance relève du ministre chargé de l’économie ; pour le ministre chargé des comptes publics, c’est une donnée d’entrée.
La révision de la croissance a bien influencé l’écart concernant le montant des recettes, mais de manière marginale : entre 6 et 7 milliards sur 40 environ. Indépendamment de la révision de la croissance, la baisse est considérable, ce que le PLFG et vos auditions ont mis en évidence.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Il s’agit d’un point essentiel. Vous dites qu’en 2023, la prévision de croissance à 1 % n’a pas empêché une dégradation des recettes de quelque 20 milliards d’euros et que la révision à la baisse de 1,4 % à 1 % est à l’origine d’une perte de recettes de 6 à 7 milliards. Cela signifie-t-il que la composition de la croissance a changé ces dernières années ?
M. Thomas Cazenave. C’est tout l’intérêt de vos travaux et de ceux de Bercy. Il faut se demander si l’intensité de cette croissance qui se maintient est constante, en matière d’emploi et de revenus. Le « quoi qu’il en coûte », les soutiens publics massifs, ont-ils transformé, même momentanément, la nature de la croissance ?
M. Gérault Verny (UDR). On ne vous reproche pas, si j’ose dire, un dérapage à la baisse des dépenses, ni un excédent budgétaire tel qu’il faille redistribuer de l’argent aux Français, mais bien un creusement massif. Il y a eu des déficits et des dérapages budgétaires majeurs.
La France compte de grandes multinationales présentes sur tous les continents. Chaque année, elles sont confrontées à de multiples crises. Je pense à Renault, qui a été obligée d’arrêter ses activités en Russie et qui a rencontré des difficultés avec Nissan en Asie. À la fin de l’année, elles doivent cependant présenter des bilans positifs, ce qui les contraint à s’adapter en permanence aux réalités économiques. Depuis le début des auditions, et cela me choque profondément, j’ai l’impression qu’on nous oppose le fatum : cela nous est tombé dessus, la conjoncture était mauvaise. Or, pour prendre le seul exemple de l’énergie, il n’était pas besoin d’être grand sage pour savoir que l’explosion du coût de l’électricité allait cesser brutalement. Je ne comprends pas pourquoi, alors que vous savez que la période est exceptionnelle – quoique, la succession des crises fait partie de la vie économique –, vous n’êtes pas capables de produire une prévision worst case, fondée sur une hypothèse basse, afin de pouvoir au minimum tenir le budget.
M. Thomas Cazenave. Une prévision basse n’est pas forcément sincère. La grande difficulté de l’exercice tient à la nécessité d’élaborer des prévisions à la fois sincères et solides. Vous me proposez de partir du pire scénario mais ce serait profondément insincère. Les textes nous imposent précisément de présenter l’hypothèse la plus juste. J’ajoute qu’on ne gère pas l’État comme une multinationale.
Je ne suis pas le seul à vous le dire, depuis maintenant des semaines : tout le monde – directeurs d’administration centrale, parlementaires, anciens membres du gouvernement – vous donne les mêmes explications. C’est peut-être parce que les choses se sont passées comme nous le disons. Pourtant on a l’impression que ces explications ne vous satisfont pas, qu’elles provoquent de la frustration chez certains. Lesquelles voulez-vous ?
M. Gérault Verny (UDR). C’est hors-sujet. Vous soulignez l’impératif de sincérité. Mais la gestion des comptes publics repose sur le suivi d’une trajectoire à peu près conforme à celle qui a été budgétée. Or nous avons discuté en octobre un PLF fondé sur des prévisions d’inflation dont on savait déjà qu’elles étaient surévaluées. On se fiche de la sincérité, il faut que le budget soit à peu près conforme.
M. Thomas Cazenave. Bien sûr, la prévision est un exercice difficile. Mais je vous ai donné l’explication : les estimations de recettes se sont révélées inexactes. Cela s’était-il déjà produit ? Oui, même dans de larges proportions, comme en 2008 ; même à la hausse, mais personne ne l’a commenté.
M. Gérault Verny (UDR). C’est profondément scandaleux, on ne peut pas se contenter de dire qu’il y a eu des erreurs !
M. Thomas Cazenave. Maintenant que vous avez dit que c’était scandaleux, que proposez-vous ?
M. Gérault Verny (UDR). Je vous l’ai dit, il faut adopter une démarche prudentielle.
M. Thomas Cazenave. Vous pensez bien que les agents publics et les ministres font de leur mieux pour donner les meilleures prévisions possibles et pour éclairer le débat public. Nous verrons quelles seront vos conclusions mais les erreurs s’expliquent sans doute par la difficulté des modèles à fonctionner en sortie de crise, face à une très forte décélération de l’inflation et à une croissance dont la composition a peut-être changé. Les aléas existent. J’ajoute que nous ne sommes pas seuls : les rapports administratifs, de l’IGF en particulier, expliquent que la survenue d’aléas explique les écarts, dont 80 % ne pouvaient être anticipés ; nous parlons de montants de prélèvements obligatoires très élevés, plus de 1 000 milliards, donc les écarts sont significatifs. Il faut probablement revoir nos modèles. C’est la seule explication que je puisse vous donner. Si nous avons tous la même, c’est peut-être parce que c’est la seule valable.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Vous avez dit sous serment que l’IGF avait remis un rapport indépendant. Or l’IGF dépend directement du ministre chargé de l’économie, en vertu du décret qui prévoit sa création. De plus, la lettre de mission, signée de deux membres du gouvernement, demande une analyse du processus et de la chronologie, ainsi que des recommandations. Il n’est nullement question d’identifier des responsabilités – ce dernier mot d’ailleurs n’apparaît jamais. J’ajoute que quelques semaines après la publication du rapport, l’un de ses deux rédacteurs est parti au cabinet de Laurent Saint-Martin. Quant au superviseur, il a pris position pendant la campagne électorale en publiant un livre intitulé Des économistes répondent aux populistes. L’IGF prétend à l’indépendance – nous en reparlerons. Dans le cas présent, le modèle du Trésor appartient à l’IGF, donc celle-ci a établi un rapport de contrôle sur elle-même. Les membres de la direction générale du Trésor sont IGF, comme vous. Les deux derniers directeurs généraux du Trésor font des allers-retours dans les cabinets ministériels macronistes. Arrêtons avec la lubie de l’indépendance !
Pourquoi, dans la lettre de mission, n’avez-vous pas demandé l’identification des responsabilités ? Si l’origine du problème est technique, pourquoi les techniciens ne sont-ils responsables de rien ? Si la technique est mauvaise, son existence est-elle justifiée ? Devons-nous verser des salaires à des gens incapables de prévoir 80 % des aléas ? Peut-être vaut-il mieux ne rien prévoir ou recruter un voyant sur internet : c’est moins cher.
M. Thomas Cazenave. Vous êtes libre de contester toutes nos réponses et les éléments qui les étaient. Vous contestez ce rapport de l’IGF. Il s’agit pourtant d’un service à part de Bercy, qui établit ses conclusions en toute liberté. Contestez-vous aussi toutes les explications, convergentes, que les directeurs d’administration centrale vous ont données sous serment ?
On y vient : vous fantasmez un grand complot, c’est là votre thèse !
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). C’est vous qui êtes auditionné ! Répondez à mes questions.
M. Thomas Cazenave. Elles sont purement rhétoriques. L’Inspection générale des finances et les directions d’administration centrale ont rendu des rapports précis.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Ce sont les mêmes gens !
M. Thomas Cazenave. Non, ce ne sont pas les mêmes gens. Tout le monde vous dit la même chose, parce qu’il n’y a qu’une réalité. Mais comme elle vous déplaît, vous y voyez un grand complot.
M. Charles de Courson, rapporteur général. S’agissant des recettes de l’IS, la réalisation de 2023 n’était pas sensiblement différente de la prévision. Comment avez-vous pu accepter que pour 2024, elles soient estimées à 72 milliards, alors qu’on va finir à 58 milliards, comme l’an dernier et comme l’année d’avant – 14 milliards d’écarts, c’est colossal ? En ma qualité de rapporteur général, je suis allé demander des explications à la direction générale du Trésor. On m’a répondu que les projections avaient été fondées sur l’excédent brut d’exploitation (EBE), mais celui-ci n’a rien à voir avec le résultat fiscal, à cause notamment du jeu des provisions et des amortissements. Vous êtes-vous intéressé à cette question ?
S’agissant de la TVA, les prévisions ont été faites deux années de suite sur l’hypothèse que le taux d’épargne étant très élevé, 17 ou 18 %, la consommation allait reprendre. C’est la direction générale du Trésor qui a fait cette hypothèse, mais c’est vous qui en êtes responsable. Deux années de suite, l’hypothèse s’est révélée fausse. Aux dernières nouvelles, nous avions prévu environ 200 milliards et les recettes seront inférieures de 11 milliards, soit 5 %, en raison de la consommation, qui connaît pourtant des variations plus faibles que d’autres facteurs.
Enfin, les recettes de l’impôt sur le revenu (IR) ont été surestimées de 5 milliards pour 2024, sur quelque 90 milliards.
Vous êtes-vous demandé, lorsque vous étiez ministre délégué, comment la direction générale du Trésor construisait ses prévisions de recettes pour ces trois impôts ? Ou avez-vous repris leurs chiffres sans discuter ?
M. Thomas Cazenave. Les révisions sur les recettes se sont faites en trois étapes. Après les prévisions initiales intervient le programme de stabilité. Devant les écarts constatés, Bruno Le Maire et moi avons réuni les directeurs d’administration centrale pour y voir clair. Nous leur avons demandé comment faire en sorte que de tels écarts ne se reproduisent pas. Ensuite, il fallait établir une nouvelle trajectoire, la plus crédible possible, en prenant en compte les impôts et la dépense. Voilà la commande que nous leur avons passée.
En tant que membre du gouvernement, nous n’entrons pas dans le détail du modèle et du rendement par impôt. Pourquoi ? Nous imaginez-vous affirmer devant toutes les équipes du Trésor, du budget et de la DLF, que sur le taux d’épargne, par exemple, il faudrait modifier telle décimale à la hausse ou à la baisse, parce que nous ne serions pas convaincus ? Mais sur quel fondement agirions-nous ainsi ?
M. Gérault Verny (UDR). C’est votre métier !
M. Thomas Cazenave. Non, vous vous trompez. Notre responsabilité consiste à arbitrer les équilibres globaux et les mesures nouvelles. Nous décidons ainsi s’il faut augmenter la TVA sur les chaudières à gaz ou la taxe sur l’électricité. En revanche, à impôt donné, évaluer une recette compte tenu des comportements attendus des ménages dépend de la responsabilité des services.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Non ! Mais à quoi servez-vous ?
M. Thomas Cazenave. Vous confondez deux responsabilités. La nôtre est politique. Quand nous décidons d’économiser 10 milliards d’euros ou d’augmenter la taxe sur l’électricité, cela ne dépend pas des services. En revanche, ajuster le rendement attendu de l’IS en fonction de la conjoncture n’est pas de notre responsabilité. Il en va ainsi à Bercy comme dans les autres ministères, et c’est tant mieux. Pourquoi ne les croirions-nous pas ? Vous pensez que nous sommes mieux qualifiés qu’eux dans ce domaine, ce n’est pas mon avis.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Quand dans la loi de finances de l’année précédente les recettes de l’IS s’élèvent à 55 milliards et qu’on les évalue à 72 milliards dans le PLF suivant, c’est vous qui devez assumer. Sinon, que dira le peuple français ? « Ils ne servent à rien ! » Le ministre doit assumer toute la responsabilité – même si ce n’est pas facile tous les jours – sans dire que ce n’est pas de sa faute, que c’est de la faute des services. Ne vous êtes-vous pas inquiété qu’on vous propose une augmentation de 17 milliards de l’IS alors que les résultats des entreprises n’explosaient pas du tout ?
M. Thomas Cazenave. J’assume ma responsabilité, je n’ai aucun problème avec ça. Quand toutes les administrations de Bercy, qui ont chacune leurs compétences, font des propositions convergentes, devrais-je prétendre tout savoir sur tout pour affirmer qu’elles se trompent ? Il faudrait être très fort. Ce serait une confusion complète des responsabilités. La nôtre consiste à rendre des arbitrages politiques.
Nous leur avons en revanche demandé de refonder complètement la trajectoire pour le programme de stabilité, en intégrant tous les aléas, parce que nous avions rencontré un problème majeur dans l’estimation des recettes – nous l’avons donc assumé. Le problème, c’est que l’erreur d’estimation s’est reproduite. Quand la note du 11 septembre explique qu’il faut encore enlever 10 milliards au montant des recettes, c’est effectivement problématique.
M. le président Éric Coquerel. Vous nous dites de prendre les chiffres proposés tels quels, sans questionnement. Or, je le répète, le HCFP estime que vous avez choisi les hypothèses les plus optimistes, y compris concernant les recettes : il y en avait donc d’autres. À partir d’octobre, des notes internes vous mettent en garde.
M. Thomas Cazenave. Non, non, non.
M. le président Éric Coquerel. Si, vous avez des notes.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Il y a une confusion sur les dates. Je pense que vous faites référence à la réévaluation de l’IS dans le programme de stabilité pour 2023, or M. Cazenave n’était pas à ce moment-là ministre délégué.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Je parle du PLF pour 2024. Comment a-t-il pu inscrire 72 milliards de recettes, contre 55 milliards l’année précédente, sans remettre en question la validité des estimations des services ? C’est lui qui assume politiquement. J’ai posé la question à la direction générale du Trésor. Ils m’ont répondu par écrit qu’ils n’avaient notamment pas prévu des reports déficitaires. Je dis qu’il n’est pas possible que des ministres se comportent ainsi, en disant que c’est de la faute des services : vous êtes en train de tuer la démocratie.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Au moins !
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ce n’est pas vous que j’interroge, monsieur le rapporteur ! C’est inacceptable !
M. le président Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur général, pouvez-vous préciser votre question s’agissant de la réponse des services ?
M. Charles de Courson, rapporteur général. Comment a-t-on pu prévoir dans la loi de finances pour 2024 que l’IS rapporterait 72 milliards, alors que les recettes de 2023 s’élevaient à 58 milliards, sans que le ministre interroge les services à ce sujet ? Ce n’était pas possible ! Toutes les entreprises n’étaient pas brutalement devenues florissantes ! Quant à la TVA, vous disposez des remontées mensuelles, comme des données issues du prélèvement à la source pour l’IR : le décrochage était visible.
M. Thomas Cazenave. Il a une confusion dans les dates. Le PLF pour 2024 a été préparé bien avant que ne se révèle le trou dans les recettes, à la fin de 2023 – c’est tout le problème. Or cette chute a une incidence sur 2024. Quand nous en avons pris connaissance, le 7 décembre, nous ne pouvions plus corriger le PLF.
Comment pouvez-vous oser me dire, monsieur le rapporteur général, que je tue la démocratie ? J’assume mes responsabilités et je donne toutes les explications. Mais j’ai compris que celles-ci ne vous conviennent pas, bien que tout le monde donne les mêmes parce qu’il n’y a qu’une réalité, et que certains en voudraient une autre. M. Tanguy a esquissé une vérité alternative, il voit maintenant un complot : je le laisse à ses errements.
Comment pouvez-vous imaginer que les ministres, dans leur bureau, pourraient tranquillement modifier les chiffres des services : « Ils m’ont mis 110 d’IS, mais pour moi ce sera 120, et tant pour l’IR… » ? Les estimations sont le fruit d’un travail de longue haleine mené par des professionnels.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Des professionnels ? Laissez-moi rire !
M. Thomas Cazenave. Vous pouvez rire, Monsieur Tanguy, ils apprécieront ! Ils mêlent les données microéconomiques de la DGFIP, les cadrages macroéconomiques de la direction générale du Trésor et les éléments de la direction du budget. Et vous voudriez que nous, du haut de notre expertise, parce que bien sûr nous connaissons tout par cœur, nous les corrigions ! Vous confondez tout : être à la tête d’une administration, ce n’est pas être à sa place ni tout faire de A à Z. En outre, si nous agissions ainsi, on pourrait nous accuser d’avoir maquillé les chiffres. Je préfère me fonder sur les propositions convergentes des services, à qui nous pouvons demander des explications. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait lorsque nous avons constaté cet écart – nous avons demandé un rapport à l’IGF. Mais lorsque vous m’accusez de mettre à mal la démocratie, vous oubliez que le PLF pour 2024 a été déposé avant la chute des recettes.
M. Gérault Verny (UDR). Cela ne nous dit pas comment vous, ministre délégué, avez pu valider un PLF qui prévoyait que les recettes de l’IS augmenteraient de 30 % sans aucune raison. Vous rétorquez que ce n’est pas à vous de corriger les décimales de l’administration, mais nous parlons de 30 % d’écart ! Vous auriez dû relever que les chiffres qu’on vous fournissait étaient bizarres.
Je ne crois pas à un complot. Vous me faites plutôt penser aux startupers qui présentent leur business plan aux fonds d’investissement en expliquant que leur projet est merveilleux et qu’ils prévoient une croissance de 150 % : deux ans après, on les retrouve au tribunal de commerce. Une augmentation de 30 % de l’IS en un an ne se justifie ni par l’élasticité des prix ni par celle de l’activité économique : c’est n’importe quoi.
M. Thomas Cazenave. Je conteste formellement ce que vous venez de dire. Le HCFP a estimé que les estimations des recettes qui figuraient dans le PLFG étaient plausibles. Arrêtez de dire qu’avec votre expertise, vous expliqueriez à toutes les administrations qu’elles se sont lamentablement trompées. Vous réécrivez l’histoire a posteriori, et vous dites que c’était facile.
M. le président Éric Coquerel. Le HCFP estimait que l’hypothèse de croissance était plausible mais optimiste. S’agissant des recettes, ils disaient que vous aviez retenu des hypothèses favorables paraissant optimistes.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je n’ai pas eu de réponse. Mes questions sont factuelles. Si vous considérez qu’elles relèvent de la théorie du complot, il faudra le justifier.
Vous avez dit que le rapport de l’IGF était indépendant. L’article 1er du décret 73-276 dispose que : « Le corps de l’inspection générale des finances est placé sous l’autorité directe du ministre chargé de l’économie et du budget. » Le rapport n’est donc pas indépendant. Il a été établi à votre demande par un corps placé sous votre autorité. Bruno Le Maire et vous avez adressé à Mme Catherine Sueur, cheffe du service de l’Inspection générale des finances, une lettre confiant à l’IGF « une mission portant sur l’établissement des prévisions de recettes publiques, en amont, durant et en aval de la procédure budgétaire ». Vous en définissez les objectifs, sans jamais demander d’identifier d’éventuelles responsabilités : vous ne faites qu’interroger le processus et la chronologie, avant de demander des recommandations. Pourquoi avez-vous choisi de ne pas demander d’identifier les responsables des erreurs commises ? J’ajoute que les conclusions de la mission étaient attendues avant la création des commissions d’enquête du Sénat et de l’Assemblée nationale : il y a un contexte. Qu’y a-t-il de faux dans mes propos ?
La première autrice du rapport est Mme Émilie Maysonnave, inspectrice des finances depuis 2022. Il est très difficile de retracer les parcours des inspecteurs, mais à ma connaissance, elle n’a pas d’engagement par ailleurs. Le second auteur est M. Paul-Armand Veillon, qui, lui, a été nommé quelques semaines plus tard au cabinet de M. Laurent Saint-Martin, qui n’est pas un ministre apolitique. Enfin, M. Hyppolite d’Albis, superviseur, n’est pas indépendant : économiste engagé, il a publié un ouvrage contre vos opposants politiques, dans le cadre d’une campagne présidentielle – c’est son droit. Vous vous prévalez des conclusions de ce rapport, dont vous prétendez qu’il est indépendant, pour ne pas établir de responsabilité. Si je pensais qu’il s’agissait d’un complot, je ne vous poserai pas la question, d’autant qu’il y a bien longtemps que j’ai adopté le point de vue de Michel Rocard : je fais toujours l’hypothèse de l’incompétence plutôt que celle du complot. Pourquoi avez-vous sciemment décidé de n’établir aucune responsabilité pour cette erreur de 64 milliards, à l’exception d’un problème de chronologie et d’un modèle défaillant ?
Enfin, le problème vient effectivement du modèle, placé sous la responsabilité du Trésor. Or, durant les sept années de macronisme, MM. Moulin et Dumont ont fait des allers-retours permanents entre la direction générale du Trésor et les cabinets macronistes.
M. Thomas Cazenave. Je ne connais aucun des rapporteurs que vous avez cités. Dans la pratique, l’Inspection générale des finances est un service parfaitement indépendant qui écrit ce qu’il veut. On leur passe des commandes, ensuite ils rendent des rapports – c’est tout. La lettre précise qu’une attention particulière sera portée aux causes des écarts de prévision : j’ai l’impression de lire l’objet même de la commission d’enquête. Que vouliez-vous ? La question essentielle concerne la cause des écarts : c’est bien celle que nous avons posée à l’IGF. Les inspecteurs y répondent ; ils expliquent où sont les écarts, s’il y en a déjà eu par le passé, comment se comporte l’élasticité. Cette analyse diffère-t-elle de celles que les administrations concernées ont menées ? Je n’en ai pas l’impression. Elle n’est pas non plus très éloignée des explications que fournissent les directeurs des administrations centrales lors de leurs auditions, ni de celles que vous ont données les directeurs de cabinet. Les analyses convergent vers un problème d’estimation de recettes, qui a été longuement détaillé.
M. le président Éric Coquerel. Vous soulignez les convergences entre les auditions et le rapport. Les directeurs d’administration nous ont aussi parlé de 2024, et le rapport ne concerne que 2023.
M. Thomas Cazenave. Le problème d’estimation que nous avons connu en 2023 a des répercussions sur 2024. Les recommandations de l’IGF, en partie convergentes avec celles du Sénat, montrent qu’il existe une voie d’amélioration.
M. le président Éric Coquerel. Les membres du gouvernement interviennent-ils en amont sur les éléments que donnent les administrations ?
M. Thomas Cazenave. Bruno Le Maire et moi voulions comprendre ce qui s’est passé. Nous avons missionné l’IGF parce que nous voulions le savoir pour corriger les erreurs et ne plus être confrontés à d’autres problèmes de même nature dans l’avenir. Je confirme que les inspecteurs ont travaillé sans aucune pression et en totale liberté. Ce que j’essaie de faire, ce matin notamment, c’est de donner tous les éléments factuels pour éclairer les travaux.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Les corrections que vous évoquez ont-elles été apportées pour 2025 ?
M. Thomas Cazenave. C’est une bonne question mais, en ma présente qualité de député commissaire aux finances, je ne peux y répondre.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Monsieur le député, que pensez-vous des corrections apportées en vue du PLF pour 2025 ?
M. Thomas Cazenave. S’agissant des estimations de recettes, il faut appliquer une grande partie des recommandations formulées, notamment par le Sénat. Par exemple, je crois beaucoup aux intervalles. C’est un exercice de prévision : il faut faire cesser le fétichisme du chiffre exact, qui n’existe pas. Nous disposons donc déjà d’éléments utiles ; je suppose que des travaux complémentaires sont en cours à Bercy pour améliorer davantage encore les résultats.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Je regrette la tonalité des échanges. Les mises en cause de personnes, notamment des hauts fonctionnaires, ne sont pas au niveau de cette commission. Nous avons tous intérêt à entrer dans le détail de ce qui s’est passé, impôt par impôt. Que les causes relèvent de la politique économique ou de la technique – comme je le crois –, nous avons intérêt à élever le débat : si nous nous transformons en foire d’empoigne, il n’en sortira pas grand-chose.
M. le président Éric Coquerel. Merci à tous.
L’audition s’achève à douze heures quinze.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 18 décembre 2024 à 9 heures
Présents. - M. Franck Allisio, Mme Christine Arrighi, M. Laurent Baumel, M. Mickaël Bouloux, M. Michel Castellani, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, Mme Mathilde Feld, M. Christian Girard, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, Mme Estelle Mercier, M. Didier Padey, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Alexandre Sabatou, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, M. Jacques Oberti, M. Emeric Salmon, M. Emmanuel Tjibaou