Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Philippe Hayez, président de section à la troisième chambre de la Cour des comptes, sur l’enquête demandée en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, relatives à la mobilisation des fonds européens en matière de recherche 2
– Information relative à la Commission................20
– Présences en réunion...........................21
Mercredi
22 janvier 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 073
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. François Jolivet,
Vice-Président
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La Commission auditionne M. Philippe Hayez, président de section à la troisième chambre de la Cour des comptes, sur l’enquête demandée en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, relatives à la mobilisation des fonds européens en matière de recherche
M. François Jolivet, président. Nous sommes conduits à examiner une enquête de la Cour des comptes, transmise en décembre, portant sur la mobilisation des fonds européens en matière de recherche, réalisée à la demande de notre commission lors d’une précédente législature, sur proposition du groupe Renaissance.
Je cède la parole à M. Philippe Hayez, président de la section à la troisième chambre de la Cour des comptes, qui vient nous présenter les résultats de cette enquête.
M. Philippe Hayez, président de section à la troisième chambre de la Cour des comptes. La Cour des comptes a réalisé, à la demande de la commission des finances, au titre du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), une enquête sur le financement européen de la recherche française. C’est une question au cœur de l’actualité, puisqu’au cours de ce semestre, les négociations du futur programme pluriannuel de recherche de l’Union européenne vont s’engager. Les enjeux sont particulièrement importants pour la compétitivité de l’économie européenne, comme le montre le rapport remis par Mario Draghi en septembre dernier, qui constatait le décrochage de l’Europe par rapport aux principales économies de la planète, notamment dans le domaine de la recherche.
J’ai aujourd’hui le plaisir de vous présenter, en l’absence du président de la troisième chambre, Monsieur Nacer Meddah, qui est empêché, les grandes lignes de ce travail, qui résulte d’une enquête que notre chambre a réalisée au cours de l’année 2024.
Ce rapport, intitulé La mobilisation des fonds européens en matière de recherche : un effort à accentuer, couvre la décennie 2014-2024 et est centré sur la manière dont notre pays tire parti des deux programmes pluriannuels de recherche de l’Union européenne, à savoir Horizon 2020, pour la période 2014-2020, et Horizon Europe, pour la période en cours 2021-2027.
Je suis, pour cette présentation, accompagné de mes collègues Olivier Mousson, conseiller maître et rapporteur général de cette enquête, Stéphane Jourdan, conseiller référendaire, Lisa Menez, data scientist ayant travaillé sur cette enquête, et Henri Guaino, conseiller maître et contre-rapporteur de cette enquête.
Ce travail est le fruit d’une approche qui repose sur des analyses de données de masse effectuées par nos data scientists à partir des bases de données de la Commission européenne et sur une enquête conduite auprès des administrations françaises concernées et des acteurs nationaux de la recherche. Ce sont ainsi une vingtaine d’universités et d’établissements d’enseignement supérieur, une vingtaine d’organismes nationaux de recherche et plusieurs acteurs en lien avec le monde de l’entreprise qui ont été interrogés par l’équipe chargée de l’enquête, qui a en outre bénéficié d’un déplacement à Bruxelles auprès des services de la Commission et de notre représentation permanente.
Les résultats sont plutôt décevants quant à la capacité à mobiliser les fonds européens de recherche. En effet, les résultats obtenus par la France en termes de mobilisation de ces fonds européens au profit de la recherche nationale sont décevants, notamment en regard des espérances conçues en 2018 lors du lancement par le gouvernement d’un plan d’amélioration de la participation française aux dispositifs européens de financement de la recherche et de l’innovation (PAPFE).
Comme l’a montré le rapport Draghi, cette situation prend place dans un contexte de décrochage européen en matière de recherche, avec des dépenses en Europe qui progressent moins vite qu’ailleurs et qui ne figurent plus désormais qu’au troisième rang mondial, derrière les États-Unis — vous avez évidemment vu les déclarations du nouveau président américain de ces derniers jours — et la Chine. En Europe, la France tient une position médiane, avec seulement 2,2 % de son PIB consacré à la recherche, soit moins que la moyenne européenne de 2,27 %. Elle ne figure qu’au huitième rang des États en pourcentage du PIB.
À l’aube des années 2000, l’Union européenne avait pourtant adopté la stratégie de Lisbonne, qui visait à faire de l’économie européenne l’économie de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde. Depuis lors, le soutien à la recherche occupe une place importante dans la stratégie de l’Union européenne, mais sans que cela permette d’atteindre à ce stade l’objectif cible de consacrer 3 % du PIB à la recherche et au développement.
Le principal dispositif mis en place par l’Union européenne pour soutenir cet effort de recherche est donc le programme Horizon Europe, qui a prévu de distribuer 95,5 milliards d’euros de crédits européens sur la période 2021-2027, c’est-à-dire à peu près 13,6 milliards d’euros par an en moyenne. Ce programme prend donc la suite du programme Horizon 2020, qui comprenait, quant à lui, 76,4 milliards d’euros de crédits sur la période 2014-2020, soit environ 10,9 milliards d’euros par an en moyenne.
Pour ces deux programmes analysés dans le cadre de notre enquête, la France figurait au troisième rang en volume derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni, avec 11 % de fonds mobilisés pour le seul programme Horizon 2020. Un léger progrès relatif, lié au Brexit, lui a permis de capter 12 % des fonds européens et de figurer désormais au deuxième rang pour Horizon Europe, toujours derrière l’Allemagne, mais à égalité avec l’Espagne.
Nous sommes encore loin du pourcentage de 17 % qui correspond de manière générale à la contribution française au budget de l’Union européenne. Ce sont des calculs qui nous rappellent un peu la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher, mais, si nous captions 17 % des fonds européens, nous pourrions bénéficier d’environ 550 millions d’euros de crédits supplémentaires. Or, je rappelle que la somme de 550 millions d’euros représente à peu près une tranche annuelle de loi de programmation de la recherche (LPR).
Cette performance n’est pas non plus, de manière relative, au niveau du potentiel de la recherche française, car la France ne figure qu’au septième rang en termes de financement européen obtenu par chercheur.
Nous observons également que la performance française est inégale selon les trois piliers d’Horizon Europe et selon les acteurs concernés.
Si les grandes entreprises françaises, les grands organismes nationaux de recherche, comme le centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les grandes universités de recherche parviennent à tirer leur épingle du jeu, les acteurs de taille plus modestes ont des difficultés pour mobiliser les fonds européens, certains renonçant même à candidater.
Si les résultats obtenus sur le troisième pilier, consacré à l’innovation, sont bons et si ceux du premier pilier, consacré à la recherche fondamentale, sont corrects, ce sont ceux du deuxième pilier, relatif à la recherche appliquée, qui sont les moins satisfaisants, y compris dans des domaines cruciaux, comme ceux du climat, de l’énergie, de la mobilité, du numérique, de l’industrie et de l’espace. Ce deuxième pilier nécessite en effet de nouer des partenariats internationaux entre la recherche publique et le monde de l’entreprise, qui n’ont pas suffisamment l’habitude de se côtoyer et de travailler ensemble en France.
Cette contre-performance française est d’autant plus pénalisante que la majorité des crédits du programme Horizon Europe, c’est-à-dire 53,5 milliards d’euros sur les 95,5 milliards d’euros que j’évoquais, sont consacrés au deuxième pilier.
Il ne faut pas désespérer. Il existe, selon nous, des pistes d’amélioration. Le message de la Cour, à la lumière de l’analyse des multiples raisons de ces performances décevantes, est qu’il est possible d’accentuer l’effort et que ces pistes d’amélioration existent dans quatre domaines.
La première piste est que l’organisation des dispositifs français de pilotage doit être améliorée. Force est de constater, notamment à la lumière de la mise en œuvre tardive et timide des actions prévues par le PAPFE de 2018, que la direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche peine à piloter efficacement le dispositif. Il est vrai que cette direction n’a plus de directeur général depuis juillet dernier. L’approche est trop centralisée, trop centrée sur le monde académique, insuffisamment attentive aux résultats, comme en témoigne le suivi du PAPFE, et sa dimension interministérielle est insuffisante. C’est un mal français de « lâcher la proie » et, une fois qu’un plan est conçu, de ne pas être attentif à sa mise en œuvre.
Pour y remédier, la Cour propose de renforcer le rôle du secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), pour la coordination interministérielle, de donner davantage de responsabilités, sur le deuxième pilier, à l’opérateur Bpifrance, l’un des quatre opérateurs de la mission France 2030, car c’est un interlocuteur naturel des entreprises. Nous proposons également de s’appuyer davantage sur les dispositifs mis en place par les régions, notamment à travers les pôles de compétitivité créés en 2004. Pour confirmer l’ambition de redressement, il paraît en outre nécessaire de mettre en place sans tarder un nouveau plan d’action nationale, succédant au PAPFE, comme le souhaitait d’ailleurs en novembre l’ancien ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. J’ignore ce que l’actuel gouvernement envisage dans ce domaine. Enfin, nous proposons de faire évaluer annuellement les résultats de ce plan par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcères).
La deuxième piste est que des efforts pourraient être accentués pour améliorer l’influence française à Bruxelles dans le domaine de la recherche. Il s’agit d’un sujet qui dépasse donc de loin la seule mobilisation des fonds européens de recherche, mais qui revêt une importance particulière au moment des négociations du futur programme pluriannuel de recherche. De ce point de vue, le levier des experts nationaux détachés (END) pourrait être mieux exploité et une plus grande attention pourrait être portée à la participation française au comité des programmes, qui joue un rôle essentiel en amont pour la définition des thématiques du deuxième pilier finançables par le programme Horizon Europe.
La troisième piste est que les candidatures françaises au projet européen doivent être mieux accompagnées. Cet effort doit concerner la recherche publique en donnant aux chercheurs les moyens d’appui administratif nécessaires pour construire leurs candidatures et gérer l’exécution des contrats de recherche obtenus. Nos travaux en cours sur le CNRS, pour publier en principe un rapport au mois d’avril prochain, montrent les marges existantes pour l’allègement des charges administratives pesant sur les chercheurs et sur leurs besoins d’accompagnement, notamment au sein du millier d’unités mixtes de recherche (UMR). Des tentatives de mutualisation des moyens d’appui, comme celle présentée dans le rapport autour de l’université d’Aix-Marseille, produisent des résultats positifs. L’effort doit aussi concerner le monde de l’entreprise, qui doit être mieux accompagné et informé au plus près du terrain des opportunités existantes.
Enfin, la quatrième piste est que les chercheurs doivent être davantage incités à aller vers l’Europe. Les travaux de la Cour des comptes montrent que les fonds disponibles en France pour la recherche fondamentale — à travers les appels à projets de l’agence nationale de la recherche, (ANR), qui ont une nature proche des projets financés par le conseil européen de la recherche au titre du premier pilier d’Horizon Europe — et pour la recherche appliquée — à travers les programmes de recherche de France 2030, dont certains ont une nature proche des domaines couverts par le deuxième pilier d’Horizon Europe — ont pu avoir un effet dissuasif pour des chercheurs qui préfèrent candidater aux dispositifs nationaux jugés plus faciles d’accès qu’aux dispositifs européens. Nous avons mis en évidence un effet d’éviction des financements nationaux, relativement abondants pendant une période, par rapport aux financements européens, mais l’avenir sera probablement différent.
Pour corriger cela dans un contexte où, malgré l’existence d’une LPR, la pérennité des financements nationaux de celle-ci ne peut être assurée, la Cour propose de mettre en place, lorsque cela est pertinent, une obligation préalable de candidature à des projets européens, avant de solliciter les guichets nationaux. Elle propose aussi de renforcer les dispositifs d’incitation et de soutien des jeunes chercheurs, dont la notoriété est nécessairement moindre que des seniors, pour candidater à de tels projets.
En conclusion, la Cour a formulé, au terme de la présente enquête, six recommandations principales.
La première recommandation porte sur la mise en place, dès ce semestre, d’un nouveau plan d’action national pour l’amélioration de la passation française au dispositif européen de la recherche et l’organisation d’un suivi de ce plan.
La deuxième recommandation vise à confier, dès ce semestre, au SGAE la responsabilité de présenter au premier ministre un bilan annuel des actions engagées par les ministères en matière de mobilisation des fonds européens de recherche. J’ai cité à plusieurs reprises le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche mais d’autres ministères sont évidemment compétents, même en matière de recherche civile. Par exemple, le ministère de l’agriculture est également impliqué dans des programmes bénéficiant des fonds européens.
La troisième recommandation est de faire réaliser, dès cette année, par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et l’enseignement supérieur, une évaluation annuelle et publique de la mobilisation des fonds européens en matière de recherche et d’innovation.
La quatrième recommandation est de confier à Bpifrance, à compter de cette année, la responsabilité du pilotage des points de contact nationaux (PCN) du deuxième pilier d’Horizon Europe relatif aux entreprises et du troisième pilier.
La cinquième recommandation est de mettre en place, à compter de cette année, un dispositif imposant, dans les secteurs pertinents, une obligation préalable de candidature aux financements européens avant de pouvoir solliciter les financements nationaux de recherche.
Enfin, la dernière recommandation est d’encourager, dès cette année, les jeunes chercheurs à candidater aux fonds européens par des incitations multiples, telles notamment que des primes ou des avancements de carrière.
Parmi les divers sujets requérant une attention prioritaire des autorités publiques et de votre commission, nous nous permettons de souligner l’urgence du sujet qui vous est présenté aujourd’hui, car le prochain programme-cadre 2028-2034, appelé à ce stade FP10, doit en principe faire l’objet d’une proposition de la Commission au plus tard le 1er juillet prochain, avant d’être soumis au Parlement européen l’année prochaine.
Dans une perspective souhaitée de réarmement global de notre pays, la France doit et peut améliorer sa panoplie en matière de financement de la recherche et nous espérons que notre diagnostic et ses recommandations vous permettront de contribuer utilement à cette mobilisation.
M. François Jolivet, président. Je vous remercie, monsieur le président. Je cède la parole à nos deux co-rapporteurs chargés du budget de la recherche.
M. Philippe Henriet, rapporteur. Il est important de pouvoir évoquer ce sujet, notamment en prévision des débats budgétaires que nous aurons sur le financement de la recherche.
Le rapport de la Cour des comptes relatif aux fonds européens en matière de recherche met en lumière une situation préoccupante. Si la France se distingue positivement sur certains aspects du programme Horizon Europe, notamment l’innovation, ses performances demeurent insuffisantes pour le deuxième pilier consacré à la recherche appliquée et à la compétitivité industrielle. Cette situation est d’autant plus alarmante que ce pilier représente une part importante des financements disponibles et répond à des enjeux stratégiques pour notre économie.
Le principal obstacle réside dans l’insuffisance de structures d’accompagnement pour aider nos entreprises à accéder à ces financements européens. Contrairement à nos voisins, la France ne dispose pas d’un interlocuteur unique et clairement identifié capable de mettre en relation les entreprises innovantes et les acteurs de la recherche publique.
La constitution d’un consortium international, qui est une condition essentielle pour répondre aux appels à projets, demeure un frein majeur pour nos petites et moyennes entreprises (PME) et nos entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui manquent de ressources et de réseaux nécessaires.
Face à cette situation, la quatrième recommandation du rapport préconise de confier à Bpifrance le pilotage des points de contact nationaux pour les deuxième et troisième piliers. Cette suggestion est très pertinente et j’insiste sur l’importance de maintenir une échelle régionale dans la gouvernance pour favoriser les interactions entre les industriels et Bpifrance.
Le renforcement du rôle des universités locales sera également essentiel pour assurer une collaboration plus étroite avec le milieu académique. Une telle approche pourrait permettre d’atteindre des objectifs de performance plus ambitieux, à l’instar des modèles réussis, comme l’Inserm Transfert ou l’INRAE Transfert, qui concentrent à eux seuls plus de 20 % des retours français sur ces fonds européens.
Cependant, je souhaite exprimer des réserves concernant la cinquième recommandation, qui propose d’imposer une obligation de candidature aux financements européens avant de pouvoir solliciter des financements nationaux de recherche. Cette mesure ne risque-t-elle pas de décourager certains acteurs, en particulier les PME et les structures moins équipées, et de réduire ainsi notre impact global sur ces programmes stratégiques ?
L’objectif partagé par tous est de véritablement pouvoir faire en sorte d’atteindre 17,5 %, ce qui est le retour normal des finances et de la contribution de la France sur ces fonds européens.
M. Philippe Hayez. Je vous remercie de votre soutien à notre quatrième recommandation.
Avec la cinquième recommandation, nous ne voulons pas punir les chercheurs, mais permettre qu’ils aient une connaissance pédagogique des possibilités, ce qui suppose une simplification des conditions d’appel à projets. Ainsi, il faudrait une convergence des dispositifs nationaux de type ANR et des dispositifs européens, ce qui présuppose évidemment une simplification des conditions d’appel. En outre, cette recommandation ne concerne que certaines matières : des secteurs ne sont en effet pas couverts par les fonds européens. Cette action peut paraître négative et a comme contrepartie des actions positives, qui font l’objet d’une autre recommandation, avec une sorte de bonus à cette démarche. Le principe que nous posons est de créer une forme de subsidiarité. Vous rappeliez d’ailleurs l’intérêt des consortiums internationaux et ce n’est donc pas seulement une question financière. Il est utile qu’il y ait une sorte d’incitation sous cette forme pour que s’esquissent ces consortiums et ces projets communs, afin que nous puissions répondre à l’environnement international.
M. Henri Guaino, conseiller maître à la Cour des comptes. Concernant la cinquième recommandation, formulée à partir d’une réflexion du SGAE, changer les comportements nécessite de trouver une règle simple pour peser sur ces comportements. La règle simple est d’imposer d’aller d’abord demander à l’Europe des fonds avant de demander des fonds nationaux. Il s’agit d’une condition nécessaire, et non de sanctionner ceux qui auront reçu une réponse négative de la part de la Commission européenne. Cette recommandation vise à faire en sorte qu’avant de puiser dans les fonds nationaux disponibles pour le financement de la recherche, on s’oblige à aller chercher des fonds disponibles ailleurs. Si on ne les trouve pas, les guichets seront alors ouverts.
Par ailleurs, vous parliez du découragement des PME, mais un autre volet est celui des chercheurs eux-mêmes et de leur capacité à soumissionner à des appels à projets européens. Nos chercheurs sont aujourd’hui financés presque exclusivement par des appels à projets nationaux ou européens. Si, dans certains domaines, il faut supprimer des fonctionnaires et des agents administratifs, il existe des domaines, comme celui-ci, où il faut au contraire en créer pour permettre aux chercheurs de chercher et de ne pas reculer devant la masse de travail administratif que représentent la réponse à des appels à projets et leur gestion au fil du temps.
Cette remarque et la cinquième recommandation se placent plus du point de vue des chercheurs que du point de vue des entreprises. Toutefois, si on ne résout pas le problème des chercheurs, relatif à l’incitation à aller chercher de l’argent auprès de la Commission européenne et à répondre, de façon plus générale, à des appels à projets, nous ne débloquerons pas fondamentalement le système. Il faut les accompagner, les aider et les inciter par un principe, qui n’est qu’un principe général et qui souffre toutes les exceptions qui sont nécessaires. Néanmoins, poser ce principe comme un principe général nous a paru nécessaire pour ouvrir le débat de façon sérieuse.
M. Mickaël Bouloux, rapporteur. Vous avez bien présenté cette proposition relative à la candidature aux programmes européens en disant qu’elle ne serait pas une punition. Pour améliorer cela et le rendre effectif dans les faits, pourriez-vous présenter des exemples de bonnes pratiques mises en place par des organismes de recherche afin d’inciter leurs chercheurs à candidater aux programmes européens ? Quelles sont les bonnes pratiques qui pourraient être généralisées ?
Vous évoquez dans le rapport un plan de simplification des procédures de l’ANR annoncé par la ministre chargée de l’enseignement supérieur le 14 mars 2024. Il est vrai que la charge administrative que représentent les candidatures est en effet une grande source de préoccupation pour les chercheuses et les chercheurs que nous avons auditionnés avec mon collègue. Quels seraient selon vous les principaux axes de simplification nécessaires ? Estimez-vous que les appels à projets occupent une place trop importante dans le paysage actuel de la recherche ?
Enfin, vous rappelez dans le rapport l’importance que revêt la recherche fondamentale, soutenue via le premier pilier d’Horizon Europe. Alors que le programme-cadre s’oriente de plus en plus vers un soutien à la recherche appliquée et à l’innovation, comment garantir l’équilibre actuel ? Ne craignez-vous pas que les négociations du prochain programme aboutissent à la remise en cause de cet équilibre ?
M. Philippe Hayez. Plusieurs exemples de bonnes pratiques sont cités dans le rapport. L’un de ces exemples est la mutualisation que l’université d’Aix-Marseille a assurée en créant une unité particulière qui vient au soutien d’autres entités. On pourrait citer d’autres organismes, tels que l’Inserm, l’INRAE et, évidemment, le CNRS. La possibilité de mutualiser demeure. En effet, la compétence dans ce domaine est administrative : il faut connaître les processus et pouvoir les traiter. L’expérience rend plus à l’aise. L’idée est donc de mutualiser.
M. Olivier Mousson, conseiller maître à la Cour des comptes. Nous sommes d’accord quant au fait que le problème de l’accompagnement et des simplifications liées à l’accompagnement est essentiel. Nous ne pouvons pas faire de recommandation à l’Union européenne disant qu’il faudrait simplifier davantage les procédures européennes, qui sont encore plus complexes que les procédures françaises, ce qui explique que les chercheurs se tournent plutôt vers les dispositifs français. Toutefois, cette pratique d’appel à projets ne va pas changer. Rappelons que le budget français ne concerne pas seulement des appels à projets, mais avant tout des salaires et des frais de fonctionnement.
Il faut donc incontestablement développer les mesures d’accompagnement, ce qui a été un peu le cas avec l’université d’Aix-Marseille. L’ANR a financé des structures d’accompagnement des pôles régionaux ou locaux avec succès. L’idée est vraiment d’avoir, au plus près des chercheurs et des écosystèmes régionaux ou locaux, des personnels spécifiques et formés pour accompagner, mais également de créer des consortiums regroupant des chercheurs publics et privés. En effet, le problème le plus important est le lien entre la recherche publique et l’innovation dans les entreprises. Hormis quelques grandes entreprises privées, il est clair que ce n’est pas une PME qui va monter un consortium avec plusieurs pays et laboratoires. Il faut donc continuer à accompagner les chercheurs, puis inciter davantage les jeunes chercheurs à penser à l’Europe.
M. Philippe Hayez. Concernant le fardeau administratif, il y a en effet des pistes concrètes pour favoriser la simplification. Je pense à un travail en voie d’achèvement sur le CNRS, assez représentatif de l’ensemble des charges administratives qui pèsent sur nos chercheurs publics.
Il existe des possibilités du point de vue de la forfaitisation d’un certain nombre de dépenses. Nous pouvons aller dans cette direction.
Notons également la possibilité d’utilisation du code de la commande publique – que nous ne proposons pas de changer à ce stade – de manière beaucoup plus astucieuse. Il y a de nombreuses dispositions que le CNRS ignore apparemment, spécifiques à la recherche du point de vue des appels d’offres nationaux.
En outre, nous avons travaillé sur les liens avec ce qui existe pour la recherche militaire. En adaptant éventuellement le code, il existe des possibilités d’alléger les formalités qui pèsent sur les chercheurs pour inviter d’autres partenaires. Pour cela, nous avons interrogé les chercheurs. Nous présenterons le résultat de ce travail dans quelques mois.
Enfin, concernant les appels à projets, ce que disait mon collègue est vrai : un débat a lieu sur la part qu’ils représentent. Tant qu’ils sont lourds, que c’est un fardeau administratif, on peut évidemment s’épuiser en répondant à des appels à projets. Ce que nous observons pour les programmes Horizon n’est pas tant que nous manquons de réussite, mais que nous manquons de projets présentés, d’incitation à déposer. Un indicateur aussi important que le taux de réussite et le taux d’obtention de financements est le taux de dépôts des projets.
Dans le financement de la recherche publique en France, les appels à projets représentent 25 % des financements ; plus de 60 % de la recherche publique restent financés par la subvention pour charges de service public. Nous pouvons décider des changements, mais le mode principal de financement de la recherche publique française n’est pas l’appel à projets.
Je redis également, que, sur la comparaison entre le volume national de l’effort de recherche et le volume européen, l’Europe finance des projets et nous finançons des charges de personnels. Notons que 71 % de la dépense intérieure de recherche et de développement administratif (DIRDA) concernent des dépenses de personnels (effectifs des chercheurs et des personnels associés de nos organismes).
Concernant le premier pilier, je sens bien une difficulté. Nous ne sommes pas des arbitres des élégances. Toutefois, il existe une force presque inexorable, issue notamment du rapport Draghi, pour renforcer encore le deuxième pilier, relatif à la recherche appliquée, parce que cela débouche plus directement sur des résultats et sur des emplois dans les entreprises. Pour autant, sans recherche fondamentale, il n’y a pas de recherche appliquée. Nos grands organismes – le CNRS en premier lieu – sont mobilisés pour veiller à ce que le premier pilier ne soit pas réduit. Nous sommes dans une stratégie nationale et il faudra vraiment se mobiliser. Le consensus européen me semble être plus en faveur d’un renforcement du deuxième pilier que d’un renforcement de la part relative du premier pilier.
Pour autant, ce qui nous manque encore est une approche plus combinée et combinatoire. Il existe des pans de recherche qu’on veut garder en propre, sur lesquels vous êtes sans doute prêts, si vous êtes convaincus, à faire un investissement national. D’autres pans sont plus partagés et nécessitent d’essayer de chercher le maximum de financements européens. Nous n’avons pas trouvé dans le plan de 2018 cette approche secteur par secteur, domaine par domaine, au sein du premier pilier ou du deuxième pilier, et je pense qu’elle manque encore.
M. François Jolivet, président. Vous proposez que Bpifrance soit l’accompagnateur dans les territoires, ce qui était une orientation que s’était fixée le directeur de Bpifrance. Savez-vous pourquoi il n’y est pas parvenu ?
M. Philippe Hayez. C’est un jeu bureaucratique assez classique. Nous avons retrouvé ces positions et, à l’époque, le ministère de l’enseignement supérieur de la recherche a arbitré en faveur du maintien de la compétence de la DGRI. Nous pensons qu’il faut réviser cette décision parce que nous connaissons bien la DGRI – que nous contrôlons d’ailleurs en ce moment – et constatons que, si elle est parfaitement à l’aise pour passer des contrats avec les investissements publics de recherche et travailler dans le milieu public de recherche, la recherche privée et les entreprises ne sont pas son terrain de jeu habituel. Nous pensons que Bpifrance, reconnu comme un opérateur de France 2030 du programme d’investissement d’avenir (PIA) et donc familière de cette recherche appliquée, pourrait être un meilleur acteur pour mobiliser les partenariats entre les entreprises et la recherche publique.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Tout d’abord, pourquoi certains pays sont-ils plus efficaces que la France dans la recherche des fonds européens et quelle leçon peut-on en tirer pour la France ? Comment font les autres ?
Ensuite, vous évoquiez l’effet d’éviction sur les candidatures européennes qu’exerce le financement national de la recherche. Néanmoins, n’y a-t-il pas, notamment au niveau de la direction du budget, cette tentation de la substitution des crédits que l’on retrouve dans d’autres domaines des fonds européens ?
Enfin, vous évoquiez la dispersion de l’accompagnement à l’élaboration des candidatures qui mobilisent les chambres de commerce et d’industrie (CCI), les pôles de compétitivité et les agences régionales d’innovation. Quelle pourrait être une répartition efficace des rôles dans cette organisation ? Les conseils régionaux pourraient-ils être, à travers leurs agences, un pôle de coordination local ?
M. Philippe Hayez. Tout d’abord, nous n’avons pas conduit une grande étude comparative, dans cette enquête, compte tenu de sa morphologie. Néanmoins, il y a, à l’évidence, des pays plus efficaces, puisque certains ont un meilleur taux de retour par rapport à leur contribution au financement européen de la recherche, comme l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas. Nous sommes un peu encombrés par notre financement national. Il faut avoir peut-être une approche plus modeste. Ces pays ont bien compris tout l’intérêt de ces financements abondants.
Ensuite, nous avons une sorte de préférence pour le financement national et une tradition de financement public de la recherche qui remonte à l’avant-guerre. Or, avoir l’assurance qu’un financement national viendra financer la recherche fondamentale et une partie de la recherche appliquée nous prive de cet appétit qu’ont les autres pays pour obtenir ces financements européens.
M. Olivier Mousson. D’autres pays, tels que l’Espagne et l’Italie, réussissent mieux que nous parce qu’ils ont moins de financements nationaux et n’ont donc pas d’autre choix que de se tourner vers les financements européens. Cela explique notre proposition d’obliger les acteurs français à demander des financements européens avant de pouvoir bénéficier de financements nationaux.
Je souligne également que l’objectif de 3 % du PIB consacré au financement de la recherche se décompose en 1 % pour le financement public et 2 % pour le financement privé, au niveau européen, mais aussi français. Le pourcentage public est à peu près atteint, contrairement au pourcentage privé, qui reste très insatisfaisant, en particulier en France, par rapport à d’autres pays, comme l’Allemagne, qui ont gardé une industrie plus importante.
L’Europe a compris qu’il faut faire le lien entre les chercheurs publics, les innovateurs et les chercheurs privés, ce qui est un peu l’objet du deuxième pilier. Nous pensons qu’il faut davantage disposer de structures de valorisation de la recherche, notamment partenariale, ce qui sera l’objet d’une enquête de politiques publiques, car c’est là où le bât blesse.
Nous remplissons à peu près nos objectifs sur le premier pilier.
Les résultats sont satisfaisants sur le troisième pilier, justement, surtout pour les start-ups, ce qui explique que nous voulons que Bpifrance s’implique davantage. En effet, il n’y a pas que des start-ups, mais également les ETI et les PME. Ce n’est pas tant un problème d’accompagnement que de motivation, de mobilisation et de connaissance des bonnes entreprises, pour pouvoir les accompagner sur les deuxième et troisième piliers. En termes de détection et de mobilisation, nous pensons que Bpifrance est mieux à même de connaître cet écosystème.
Nous pensons également que les régions, qui ont une connaissance du tissu local et entrepreneurial – comme la région Île-de-France, active et présente à Bruxelles – peuvent faire connaître les dispositifs aux entreprises, tandis que les universités sont très peu en contact avec les entreprises. Ce point est moins vrai pour les grandes écoles, comme l’École des Mines ou CentraleSupélec, où le lien est facile. Il est donc nécessaire que les agences régionales d’innovation se développent.
M. Philippe Hayez. Concernant votre deuxième question, l’effet de substitution est une évidence. Nous ne l’avons pas vu au cours des dernières années, car nous connaissions une augmentation des financements de recherche. Les tranches de la LPR ont été jusqu’ici à peu près tenues, en tout cas jusqu’au budget 2024.
Pour lutter contre cet effet de substitution, il me semble que, si nous disposons d’une LPR avec des tranches débattues et approuvées par vous et d’objectifs plus précis d’augmentation de la part des financements européens, nous avons un cadre général qui évite ces pratiques. Cela suppose que nous ayons un éclairage par la programmation de la recherche et, par ailleurs, des objectifs tangibles. L’un ne remplacera pas l’autre.
Concernant les acteurs et la dispersion des modalités d’accompagnement, il faut être assez pragmatiques. Par exemple, il existe des agences régionales d’innovation, mais il n’y en a pas dans toutes les régions. Il faut donc tirer parti de l’écosystème tel qu’il est. Dans certaines régions, des acteurs sont plus légitimes. Il faut peut-être tirer parti de ceux qui sont les plus avancés. Dans une région, cela pourrait être un organisme qui dépend du conseil régional et, dans une autre, une université. C’est l’idée de chef de filât qui me semble devoir être privilégiée, plutôt qu’une vision imposant une grille identique pour toutes nos régions et départements.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Le groupe Rassemblement national n’est d’accord ni avec les tenants ni avec les aboutissants de ce rapport.
Je constate un syndrome de Stockholm : on nous explique que ça fait trente ans que l’Union européenne agite les moulins à prières pour arriver à 3 % de recherche et développement (R&D) dans le produit intérieur brut (PIB) européen sans y parvenir. Les chiffres stagnent et des pays régressent même. Les paradis fiscaux au sein de l’Union européenne, qui nous volent notre argent, ne sont même pas capables de l’utiliser pour financer leur propre recherche, puisque l’Irlande est en régression de 0,6 point sur dix ans.
La France est contributrice nette à l’Union européenne. Plutôt que se demander comment nous pourrions récupérer l’argent que nous versons à l’Union européenne, nous proposons que la France gère elle-même son argent, ce qui est une proposition simple ne demandant pas de rapports, de nouvelles agences et ne sollicitant pas les conseils régionaux.
Vous disiez que les conseils régionaux connaissent l’écosystème, mais ce n’est pas le cas. Ils connaissent peut-être l’emplacement de la machine à café au sein de l’établissement régional, mais je peux vous dire qu’ils ne connaissent pas l’écosystème. Je n’ai jamais entendu, dans nos circonscriptions, un dirigeant de PME ou d’ETI parler d’un conseil régional qui pourrait l’aider. Les conseils régionaux ne servent surtout pas à financer la recherche.
J’ai une proposition très simple : laissons les chercheurs en paix. Assurons-leur de bons salaires, finançons l’université française, valorisons les savoirs scientifiques, donnons le rêve à nos enfants d’être Marie Curie plutôt que tiktokeuse à Dubaï et je vous jure que nous arriverons à quelque chose.
Il faut cesser de réinventer en permanence des agences, des systèmes et des moyens de soulager des chercheurs. Cela fait trente ans que l’on entend cela. Je lisais à peu près le même rapport et entendais les mêmes conclusions et analyses quand j’étais à Sciences Po. Or cela n’a pas changé depuis, de même que la part de l’effort national en faveur de la R&D française.
Les hommes et femmes politiques, de même que les bureaucrates, n’inventent rien, ce sont les chercheurs qui cherchent et les entrepreneurs qui inventent. Certains vivent peut-être mal leur statut d’homme politique ou de fonctionnaire alors que ce sont deux fonctions pourtant très intéressantes. Arrêtez de vous inventer des vies et de vouloir faire ce que les autres font très bien. Ce n’est pas en multipliant les agences que vous deviendrez des quotients intellectuels positifs.
M. David Amiel (EPR). J’essayerais quand même de réfléchir au fonctionnement des institutions, parce que, quel que soit le système dans lequel on se place, européen ou national, nous avons tout de même besoin d’institutions pour la recherche, d’universités, de centres de recherche et de méthodes pour délivrer les fonds. Il nous revient donc de nous interroger sur la meilleure manière de les faire fonctionner. Traiter ce sujet est une urgence absolue en raison de l’élection de Donald Trump et de l’écart d’investissement très important qui se creuse entre les États-Unis et l’Europe. Tout est à craindre sur les années et les mois qui viennent.
J’aimerais savoir quels sont les enseignements à tirer des méthodes qui avaient d’ores et déjà été utilisées aux États-Unis, en particulier au moment de la recherche sur le vaccin en 2020-2021, en termes d’accélération des procédures et de partenariats entre le public et le privé. Je voudrais savoir s’il existe des méthodes dont nous pourrions utilement nous inspirer pour accélérer considérablement un certain nombre de nos programmes, puisqu’il est quand même à craindre que la nouvelle administration américaine s’inspire des méthodes qu’elle avait déjà mises en place à l’époque de la crise sanitaire.
Par ailleurs, concernant le rapport Draghi, je souhaite savoir s’il y a une accélération des financements européens en matière de recherche. Quel est le meilleur mécanisme ? Faut-il continuer à passer par les dispositifs Horizon, avec les difficultés, notamment pour les mobiliser en France, ou faut-il passer par d’autres mécanismes en cas d’apports de fonds supplémentaires ?
M. Philippe Hayez. Pour cette enquête, nous n’avons pas franchi l’Atlantique et n’avons donc pas étudié des dispositifs particuliers. Mon expérience personnelle me laisse penser qu’il existe quand même un particularisme de la recherche aux États-Unis, qui est structurellement différente. Nous pouvons tenter de nous inspirer des nombreuses missions ayant étudié comment se développait la Silicon Valley. Il n’y a pas de mécanisme miracle qui nous aiderait à avancer.
En revanche, nous avons décidé la semaine dernière de lancer une évaluation de politiques publiques portant sur la recherche partenariale. En France, il existe une multitude de dispositifs, tels que les instituts Carnot et les chaires industrielles, dont nous ferons l’inventaire et l’analyse. Peut-être qu’à la fin de l’année, nous pourrons publier nos constats, car beaucoup de choses ont été inventées et de nombreux dispositifs, dont nous ferons l’inventaire, se sont empilés. Cela n’exclut pas de regarder ce qui se passe dans d’autres pays, comme aux États-Unis.
Concernant le rapport Draghi, il est trop tôt, dans le cycle de négociation du dixième programme-cadre, pour en tirer des leçons, hormis penser qu’il y aura peut-être une accentuation du deuxième pilier. En tout cas, il n’y a pas d’enveloppe, car cette dernière, pour le dixième programme-cadre, dépendra du cadre financier pluriannuel de l’Union européenne. Tout dépend donc naturellement de l’accord des États, d’où l’importance de bien tenir notre rang à Bruxelles et dans les divers conseils européens. La question du financement commun qui sera décidé par les États et de la part consacrée au dixième programme-cadre est un raison de plus pour nous mobiliser.
M. Jérôme Legavre (LFI-NFP). Votre rapport et vos recommandations ont une histoire, puisque les fonds Horizon 2020 puis Horizon Europe sont issus de la stratégie de Lisbonne. Dans un rapport de la Commission européenne de 2005, cette dernière est résumée ainsi : « Il nous faut plus de concurrence pour être sûrs que notre recherche débouche sur des innovations véritables ». Cette stratégie est d’ailleurs reprise dans le rapport Draghi. Au bout de vingt ans, nous pouvons faire un bilan et constater l’appauvrissement considérable de l’école, de l’université et de la recherche publique. Or, à aucun moment, le rapport ne questionne cette prétendue nécessité de la mise en concurrence des organismes et des laboratoires de recherche publique entre eux, ainsi que de la recherche publique avec la recherche privée, traitée comme une évidence.
Vous appelez à amplifier cette logique. Vos cinquième et sixième recommandations, en particulier, visent à imposer une obligation de candidature aux financements européens et vous mettez en cause les financements nationaux de la recherche publique, accusés de dissuader les candidatures européennes. Or vous escamotez le fait que la mise en concurrence entre des organismes, des universités et des laboratoires publics est une réalité qui a fait d’énormes dégâts en France, avec des dotations toujours plus insuffisantes. En 2024, c’est 900 millions d’euros annulés sur cette mission et une baisse de 630 millions prévus dans le projet de budget 2025 Barnier-Bayrou. Le privé va vers ce qui est rentable. Nous pourrons rappeler ce qu’a montré la crise du Covid-19, si vous le souhaitez.
Du point de vue de la recherche scientifique fondamentale et de l’amélioration des conditions de vie de la population, j’aimerais savoir quels sont les critères qui étayent la nécessité de poursuivre dans la voie que vous encouragez et de constituer des consortiums avec les entreprises privées pour candidater ensemble sur des appels à projets.
Par ailleurs, je souhaiterais également un éclaircissement sur la mise en œuvre de politiques sur fonds publics à destination et aux bénéfices des entreprises. Pour la Commission européenne, il faut consacrer plus de la moitié des fonds d’Horizon Europe à la mise en place de partenariats entre public et privé, ainsi que favoriser les projets possiblement rentables à très court terme. Cette logique est suicidaire. En France, de surcroît, le crédit d’impôt recherche (CIR) couvre 20 % des dépenses déclarées par les entreprises pour la R&D. Les méandres bureaucratiques exigés pour les dossiers de candidature impliquent des cabinets de conseil spécialisés auprès des entreprises, ce que vous encouragez. Est-il possible d’établir précisément les montants ainsi soustraits du budget de l’État qui auraient dû être affectés aux universités et aux organismes publics de recherche ?
M. Philippe Hayez. La dernière partie de votre intervention prolonge l’intervention de votre rapporteur général. Vous ne trouverez pas de traces, dans ce rapport, d’une incitation à la substitution de crédits nationaux, budgétaires, par des crédits européens. C’est à vous qu’il incombe de dire quel est le montant que la collectivité nationale peut consacrer aux financements publics de la recherche, ce qui est le sujet de la LPR. Ce secteur a la chance d’avoir une loi de programmation, ce qui n’est pas le cas de tous les secteurs.
Nous ne proposons pas une évaluation de la politique nationale de recherche dans cette enquête. Nous avons d’autres travaux que nous pourrions mobiliser pour cela, si vous le souhaitez. Toutefois, ce travail est plus modeste que vous ne l’indiquiez : nous regardons la capacité à tirer parti d’un instrument qui a été créé et qui existe. On peut avoir un point de vue plus radical sur l’esprit d’Horizon Europe. Le sujet ramène au prochain programme-cadre et à la position du gouvernement français vis-à-vis de ce principe même du financement européen de la recherche, de l’esprit qui l’anime et de la répartition de l’effort entre les piliers, ce qui constitue tout le sujet de la négociation des mois à venir. Il ne faut donc pas tarder, mais la Cour des comptes n’a aucun avis sur cela.
M. Henri Guaino. Quand on a un sujet, on traite celui-ci. La Cour avait donc un sujet, que vous avez d’ailleurs défini, à savoir la mobilisation des crédits européens de la recherche. Si vous le souhaitez, nous pourrons, dans un autre cadre, discuter de la manière dont fonctionne l’Europe ainsi que de la pertinence de ses politiques et de notre attitude vis-à-vis de ses politiques, mais ce pas n’était pas le sujet de cette enquête. Ce rapport n’encourage que le fait de récupérer le maximum de crédits auprès de l’Union européenne, ce qui me semble être un objectif qui devrait être partagé par tous ceux qui sont soucieux de nos finances publiques et de l’avenir de notre recherche.
Concernant la concurrence entre les établissements, je suis, à titre personnel, prêt à partager une bonne partie de votre point de vue. La concurrence ne résout pas tous les problèmes, et en particulier dans le domaine de la recherche, où la coopération et la coordination sont beaucoup plus fécondes que la mise en concurrence. Notre sujet n’était pas de porter un jugement sur cette question, mais la Cour des comptes reviendra peut-être un jour sur ces questions dans un travail plus approfondi sur la politique générale de recherche. Vous admettrez tout de même qu’en France, la concurrence entre les établissements est encore très limitée, pour ne pas dire le contraire. Qu’il y ait des velléités d’aller plus loin est tout à fait exact et cela mérite un débat politique. Toutefois, ce n’est ni le moment, ni le lieu, ni l’objet de ce rapport, mais je suis à votre disposition pour en parler ailleurs.
Quant au rapport entre le public et le privé, toute position idéologique ne me paraît pas forcément la meilleure façon de progresser. L’articulation entre le public et le privé est une nécessité absolue, quels que soient le régime et le système, sauf si le régime livre totalement au marché toutes les activités, y compris la recherche et l’enseignement, ou si le système livre tout à l’État sans aucun marché ni concurrence. La réflexion est entre les deux. Quelle part réserve-t-on à la concurrence, à la coordination et à la planification ? En outre, comment fait-on pour articuler ces deux secteurs qui nous sont absolument indispensables ? Après, le choix politique est de déterminer la part de privé, de public, de concurrence, de coordination et de politiques publiques.
M. Jean-Didier Berger (DR). Ce rapport est à noter, à l’heure où certains mettent en avant davantage la complexité de l’Europe plutôt que ses bénéfices et les coûts plutôt que les bénéfices de la coordination à l’échelle européenne.
Je trouve notre collègue Jean-Philippe Tanguy très dur avec lui-même. Il critique les hommes politiques, et en particulier les conseillers régionaux. Je voudrais lui dire que tous les conseillers régionaux ne sont pas automatiquement logés à la même enseigne. Pour avoir été moi-même conseiller régional, au sein de l’exécutif de la première région d’Europe, chargée des fonds européens, j’ai vu effectivement la difficulté d’aller chercher les financements européens et de faire en sorte que les acteurs locaux privés ou publics puissent les utiliser, mais avec un peu de détermination, on arrive à utiliser la totalité de ces fonds.
J’ai un doute sur votre proposition concernant l’obligation d’aller concourir sur les fonds européens avant de pouvoir prétendre aux fonds nationaux, dont je crains qu’elle n’entraîne des candidatures de moindre qualité qui, finalement, nuiront peut-être à la réputation des candidatures françaises au sein des instances européennes. On aurait presque envie de retourner la proposition et de suggérer que le succès d’une candidature aux fonds européens puisse entraîner automatiquement les aides des fonds nationaux, plutôt que de mettre une haie de plus à ceux qui ne sont absolument pas intéressés par les critères des fonds européens et qui voient bien que leur recherche ne va pas satisfaire les critères de l’Europe. Ne sommes-nous pas en train de complexifier le travail de nos chercheurs ?
Par ailleurs, vous suggérez l’octroi de bonus. Ne risque-t-on pas de voir des candidatures réalisées uniquement dans ce but ?
Enfin, il y a un niveau de contrôle différent entre les fonds nationaux et européens. Notre niveau de contrôle n’est-il pas insuffisant au niveau national ? Ne devrions-nous pas habituer nos chercheurs à davantage de sérieux dans le contrôle, notamment post-attribution, pour qu’ils soient davantage préparés à concourir au niveau européen ?
M. Philippe Hayez. Concernant notre recommandation relative à une obligation de candidature aux fonds européens avant de bénéficier des financements nationaux, il s’agit d’un signal pour montrer la priorité et il me semble important que ce signal existe. Pour avancer sur cette recommandation, il faut d’abord définir les domaines dans lesquels elle est pertinente et nous sommes très conscients que tous les domaines ne se prêtent pas à cette obligation. Il s’agit donc d’une obligation relative et non absolue. Je ne parle ici évidemment que de la recherche civile.
Ensuite, le pilotage par unité et laboratoire se fait par deux indicateurs, à savoir le taux de dépôt de candidatures et le taux de réussite de ces dernières. Un laboratoire qui ne dépose pas de candidatures constitue un sujet. Il faut donc être dans une zone raisonnable. De même, en l’absence de réussite, il y a un sujet. Je crois que nous pouvons résoudre la question de principe par ces dispositions.
Par ailleurs, concernant le bonus pour les chercheurs, ce dispositif, qui existe dans d’autres domaines, ne vise pas à stimuler les chasseurs de primes. Un bonus peut être individuel, mais aussi collectif et bénéficier à l’unité de recherche, comme certains appels à candidatures internationaux le permettent. Nous pouvons donc régler ce point pour éviter le travers que vous évoquez.
Ensuite, les fonds européens sont très contrôlés par les organes communautaires et, dans ce domaine, nous n’avons pas eu de restitution opérée. L’usage des fonds européens est donc plutôt conforme aux règles. Pour autant, nous avons le sentiment – je le dis avec prudence compte tenu de notre mandat – que les fonds nationaux sont raisonnablement contrôlés. En effet, le Hcéres évalue sur le plan scientifique et formule des remarques sur la gestion. Il existe des dispositifs de contrôle. Le contrôle interne du CNRS nous paraît de bon niveau. Des dispositifs d’inspection, comme l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), existent. De plus, la Cour des comptes intervient. Le principe même, que nous évoquions pour les appels à projets et qui peut aussi être évoqué en aval pour les justifications, est de rendre de plus en plus homogènes les exigences qui relèvent des contrôles communautaires et celles des contrôles nationaux.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Ce rapport trouve un écho très particulier, quelques mois après la publication du rapport Draghi qui a souligné le risque de décrochage de l’Union européenne par rapport aux principales économies du monde. Il s’agit d’une approche objective qui nous motive ce matin, conscient que nous sommes d’une situation difficile, pointant ce déficit d’innovation dont notre continent souffre et dont nous savons qu’il a et qu’il aura des effets délétères sur notre niveau d’activité économique futur, qui ne saurait être stimulé sans des gains durables de productivité.
Concernant les programmes de recherche à l’échelle européenne, au-delà des sommes investies, qui semblent à l’heure actuelle insuffisantes, estimez-vous que les programmes pluriannuels favorisent les innovations de rupture qui sont essentielles pour améliorer significativement la productivité, notamment en matière industrielle ? Nous savons que c’est une clé importante. Dans cet esprit, la proposition, rappelée par Mario Draghi, de créer une agence européenne pour soutenir les projets technologiques de rupture retient tout à fait notre attention.
D’autre part, vous affirmez que la France pourrait largement optimiser sa mobilisation des fonds européens en matière de recherche et indiquez que, si les équipes de recherche françaises obtiennent ces très bons résultats quand elles participent aux appels à projets d’Horizon Europe, elles ne candidatent pas suffisamment aux appels à projets européens. Parmi bien des raisons évoquées, vous indiquez un manque d’acculturation des jeunes chercheurs à cette dimension européenne. Si des dispositifs incitatifs sont mis en place pour pallier ce manque, quels en sont les facteurs explicatifs ? Est-ce lié à la culture scientifique propre à notre pays ?
M. Philippe Hayez. Concernant l’innovation de rupture, nous n’avons pas étudié le programme Horizon Europe en tant que tel. Nous ne sommes pas la Cour des comptes européenne et des travaux relèvent d’ailleurs de nos collègues de Luxembourg. Je prends acte du fait que, comme le souligne le rapport de Draghi, le programme Horizon Europe est peut-être un programme qui vise à faire de la recherche plutôt linéaire et ne favorise pas l’innovation de rupture que nous cherchons. Nous pouvons sans doute faciliter les conditions d’innovation de rupture par une démarche administrative, mais, aux États-Unis, c’est l’esprit d’entreprise qui me semble être la base de leurs résultats, ce qui ne relève pas forcément des administrations ou des ministères. Il existe d’autres domaines, notamment la défense, pour lesquels nous avons créé ces mécanismes – relatifs à la direction générale de l’armement (DGA) et aux agences d’innovation – et il faudra donc voir ce que donnent ces laboratoires français.
Nous ne sommes pas des sociologues et ne pouvons donc pas expliquer sociologiquement pourquoi les jeunes chercheurs français ne vont pas naturellement à l’Europe. Paradoxalement, la raison est peut-être qu’ils sont très exposés au monde et qu’au nom d’une science globale, ils sont en communauté de chercheurs à l’échelle mondiale. Les publications se font souvent à plusieurs laboratoires dans une discipline particulière, mais l’entité européenne et ses financements ne sont pas suffisamment visualisés.
Ce n’est pas à nous de demander un plan et un engagement politique et, comme vous étiez les commanditaires de ce rapport, nous n’avons pas eu de position ministérielle et gouvernementale sur nos constats et nos recommandations. Si vous avez la possibilité de poursuivre ces travaux, il sera très heureux que vous cherchiez cette position et déterminiez si un plan, une communication ou une mobilisation s’imposent. C’est peut-être avec ces moyens, ainsi qu’avec les différents dispositifs d’incitation positifs et un peu plus coercitifs, que nos jeunes chercheurs seront plus engagés sur ces possibilités de financement.
M. Pierre Henriet, rapporteur spécial. Tout d’abord, l’Europe n’investit pas suffisamment dans la recherche, en particulier en comparaison de la planification américaine ou chinoise. Nous avons donc un vrai problème structurel sur l’enveloppe globale, mais aussi au niveau national. La France contribue à hauteur de 17,5 % du programme Horizon Europe sur les années 2021-2027, soit 95 milliards d’euros. Or, la France récupère, dans ces programmes, entre 11 et 12 %, ce qui représente un manque à gagner de 800 millions d’euros par an pour la recherche française, à l’heure où nous allons à nouveau débattre du projet de loi de finances pour 2025, avec une moindre marche par rapport à la LPR d’environ 300 millions d’euros.
Nous voyons donc bien que ces fonds européens sont importants. Une mobilisation générale de toute la recherche et de toute l’administration française sur ces appels à projets est nécessaire, car nous pourrions largement atteindre l’objectif de la loi de programmation en mobilisant davantage ces fonds européens, ce que vous relevez d’ailleurs. Pour cela, il existe quand même un problème structurel au niveau national, parce que nous ne sommes pas en mesure d’aller chercher suffisamment de fonds. Un objectif de 17,5 % est peut-être un peu trop élevé, mais nous pourrions viser à récupérer ces 300 millions d’euros.
Je voudrais connaître votre vision sur le rôle du SGAE et de la DGRI qui, à mon sens, ne remplissent absolument pas leur mission. Bpifrance est, à mon avis, un très bon point d’appui, notamment pour le deuxième pilier ainsi que pour toute la recherche appliquée et industrielle, car c’est là que réside le fond du sujet.
Par ailleurs, je souhaiterais connaître votre avis sur le rôle du secrétariat général pour l’investissement (SGPI) pour disposer d’une vraie planification d’ensemble et d’un objectif fort pour aller chercher ces fonds.
Enfin, concernant la cinquième recommandation, il serait peut-être préférable, dans un premier temps, de limiter l’obligation sur le volet de la recherche académique afin de ne pas freiner la recherche industrielle avec des obligations qui feraient craindre, notamment à nos PME et nos ETI, d’aller vers ces fonds européens.
M. Philippe Hayez. Les équipes de financement nous échappent. Nous voyons un peu l’actualité budgétaire, dont vous débattrez encore prochainement. J’ai pu observer hier que le programme 172 de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur a été le programme le plus écorné de cette même mission. Il y a donc des choix internes qu’il vous appartient de faire sur ces investissements et je crois vraiment que, sur ce point, on ne donnerait pas le bon signal, qui laisserait penser à une substitution des financements nationaux par les financements européens. Ce n’est pas à la Cour des comptes de dire qu’il faut privilégier l’investissement, mais nous sommes dans des temps particulièrement difficiles et durant lesquels des choix doivent être faits.
Par ailleurs, le SGAE fonctionne plutôt bien, mais ne dispose pas du mandat nécessaire. L’idée est donc de renforcer son mandat pour qu’il ait une meilleure vision afin d’assurer le secrétariat de ce plan au niveau de la mobilisation interministérielle et de chaque ministère. Nous avons auditionné M. Emmanuel Puisais-Jauvin. Il existe la possibilité, comme vous le dites pour Bpifrance, de tirer parti de cette structure. Nous ne proposons pas la création de structures supplémentaires, mais souhaitons tirer parti de ce que nous avons.
Nous contrôlons actuellement la DGRI, qui nous semble en mauvais état. Il faudra bien que le gouvernement tire des conséquences, au-delà de la nomination d’un directeur général. L’État doit être présent, quelle que soit l’importance des opérateurs nationaux de recherche. Il ne faut pas que la situation de la DGRI soit préjudiciable à la mobilisation que nous évoquons dans les mois qui viennent. Il y a donc une relative urgence.
M. Michel Castellani (LIOT). Je ne voudrais pas revenir ni sur l’importance de la recherche pour l’avenir ni sur des débats qui sont ici récurrents sur l’opportunité de la collaboration entre la recherche publique et les entreprises, la mise en concurrence et l’opportunité de maintenir le CIR, que certains groupes veulent complètement supprimer.
Comment mieux attirer les chercheurs ? Comment limiter l’attractivité des universités ou des entreprises américaines, qui font des dégâts considérables sur la recherche française et européenne ? Cette question est complexe, car elle concerne aussi le statut des chercheurs et leur niveau de vie.
M. Philippe Hayez. Nous n’avons pas travaillé précisément sur ce sujet, qui est repéré. Nous allons produire dans quelques mois une évaluation sur l’attractivité de la France pour les étudiants étrangers futurs doctorants et chercheurs d’origine étrangère pouvant se maintenir sur le territoire national.
Pour comprendre comment empêcher nos chercheurs nationaux de quitter le territoire, une partie de la réponse tient peut-être moins aux conditions de rémunération de ces chercheurs qu’aux conditions d’intervention, liées au back-office et à l’appui administratif, pour que les chercheurs se sentent moins isolés face à une complexité bureaucratique.
Par exemple, la création des UMR, qui permettent à des universités de s’associer à des laboratoires, part d’un bon esprit, mais la complexité bureaucratique associée est trop importante, puisque les règles de l’université et de l’organisme de recherche s’appliquent cumulativement. Nous devons pouvoir aller plus vite. Nous ferons des propositions concernant la délégation de gestion. Il faut choisir un cadre réglementaire simplifié.
Des questions de rémunération existent peut-être. Le président du CNRS aura, par exemple, pu évoquer avec vous le fait que tout chercheur doit percevoir une rémunération au moins équivalente à deux salaires minimums interprofessionnels de croissance (SMIC). Il s’agit d’un ensemble de mesures. Nous retenons votre intérêt comme une motivation pour y travailler dans les mois qui viennent.
M. Gérault Verny (UDR). Tout d’abord, il est difficile d’entendre que nous avons un problème de recherche en France, alors que nous apprenons dans le même temps que notre contribution nette sur ces budgets de recherche européens est très déficitaire. Si nous voulons arriver à 3 % du PIB consacré aux dépenses de recherche dans notre pays, il existe une solution très simple, à savoir récupérer les 7 milliards d’euros de dépenses supplémentaires infligés aux Français chaque année pour contribuer au budget de l’Union européenne. En abondant au budget recherche, nous arriverions aux 3 %.
Ensuite, je ne comprends pas comment on peut imaginer que l’ajout d’une strate ultra-technocratique supplémentaire, dans un environnement national où l’on peine à faire fonctionner une suradministration pour la recherche, pourra engendrer plus d’efficacité. Nous avons appris à l’école maternelle que le chemin le plus court entre des points A et B est de tracer une droite. Or, nous faisons absolument tout le contraire.
Il existe un double problème sur l’utilisation des fonds.
Toute une partie de ces fonds est captée par les recherches en sciences humaines, qui, jusqu’à preuve du contraire, n’ont pas rapporté un euro de croissance ni permis à une entreprise de créer le moindre euro de valeur. J’ai donc du mal à concevoir que ces sciences humaines soient incluses dans ce budget global de recherche.
Pour avoir été l’utilisateur de la recherche technique, avec le ministère de la défense et d’autres poches de financements, je note que la complexité demandée est telle qu’environ 20 % des sommes allouées sont consacrées aux démarches administratives autour des projets de R&D. Il est urgent de rediriger la recherche vers les acteurs privés, puisqu’au niveau mondial, les acteurs les plus innovants sont aussi ceux dont la dépense publique est la plus faible.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Le projet ITER, qui joue un grand rôle dans le prétendu retour des crédits européens à la France, représente vraiment la caricature des situations où le coût administratif d’un projet gâte et ralentit la recherche. Un très bon rapport du secrétaire américain à l’énergie, comportant des études très intéressantes, montre que, plus la somme d’argent investie dans la bureaucratie est importante, comme c’est le cas dans le cadre d’un projet comme ITER, plus le projet ralentit à cause du coût de la bureaucratie et de son effet d’inertie. Je voulais savoir si vous vous êtes penchés sur ce point. Avez-vous étudié cet effet ?
M. Philippe Hayez. Vous ne trouvez pas de traces d’ITER dans notre rapport, car c’est un sujet en soi, qui justifie une évaluation ou un contrôle plus exhaustifs, au-delà de la question des financements européens. Je n’ai pas de réponse et je ne m’engagerai pas sur ce terrain. Vous avez une diversité d’opinions et la moyenne est donc difficile à trouver.
J’observe que la plupart des grands projets, notamment technologiques, dont bénéficie notre pays ont reçu des financements publics, éventuellement avec une couche bureaucratique.
La mode est aujourd’hui de comparer les aventures spatiales américaines avec la NASA (National Aeronautics and Space Administration), une vieille administration qui paraît fatiguée et que nos collègues de la Cour des comptes américaine auditent régulièrement, et des initiatives privées, que vous connaissez bien. Je ne sais pas si cette comparaison serait pertinente pour de très grands projets en Europe, et spécialement en France.
En tout cas, l’héritage dont nous bénéficions est aussi le modèle français, à savoir des projets qui sont financés, tels que le commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et pour lesquels, avec une couche raisonnable de bureaucratie, l’État réussit à engager un effort significatif. Je ne sais pas si ces projets sont adaptés à l’ère contemporaine, mais la Cour des comptes ne pourra pas vous donner beaucoup d’éclairage sur ce point.
M. François Jolivet, président. Je vous remercie, monsieur le président.
La commission autorise la publication du rapport.
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Information relative à la commission
La commission a désigné M. David Amiel, co-rapporteur sur la mission sur les dysfonctionnements dans la gestion des impôts locaux.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 22 janvier 2025 à 9 heures
Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Didier Berger, M. Carlos Martens Bilongo, M. Mickaël Bouloux, M. Michel Castellani, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, M. Christian Girard, Mme Perrine Goulet, M. Pierre Henriet, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Jérôme Legavre, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Kévin Mauvieux, Mme Yaël Ménaché, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, M. Nicolas Ray, M. Charles Rodwell, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Emeric Salmon, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Laurent Baumel, M. Karim Ben Cheikh, M. Éric Coquerel, Mme Félicie Gérard, M. David Guiraud, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-Paul Mattei, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, M. Alexandre Sabatou, Mme Eva Sas, M. Emmanuel Tjibaou
Assistait également à la réunion. - M. Corentin Le Fur