Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Gabriel Attal, ancien premier ministre, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) 2
– Présences en réunion...........................37
Mardi
4 février 2025
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 078
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La Commission procède à l’audition de M. Gabriel Attal, ancien premier ministre dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958).
M. le président Éric Coquerel. Nous poursuivons, avec la présente audition, nos travaux visant à « étudier et [à] rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 », pour lesquels notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête. Ces auditions obéissent au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
De façon générale, le bureau de la commission a décidé que ces auditions seraient publiques. Les deux rapporteurs de l’enquête, MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, ont élaboré un questionnaire écrit qui vous a été transmis.
Dans un premier temps, après avoir fait prêter serment à la personne auditionnée puis avoir écouté son propos liminaire, moi-même, ainsi que les rapporteurs, poserons des questions. Les commissaires appartenant aux différents groupes pourront également poser des questions ensuite, si possible courtes, l’idée étant de laisser le plus possible la parole aux personnes auditionnées. Le temps imparti à chaque groupe pour l’ensemble de ses orateurs ne devant pas excéder deux minutes. Le président et les rapporteurs pourront, s’ils l’estiment nécessaire, procéder à des relances si des réponses semblent insatisfaisantes.
M. Gabriel Attal a été, entre mai 2022 et juillet 2023, ministre délégué chargé des comptes publics, puis, à compter de janvier et jusqu’en septembre 2024, premier ministre.
L’article 6 de l’ordonnance de 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Gabriel Attal prête serment.)
M. Gabriel Attal, député, ancien premier ministre. Je suis heureux d’avoir l’occasion de m’exprimer devant vous sur cette question capitale de nos finances publiques et de répondre à toutes vos questions, comme j’ai eu l’occasion de le faire il y a quelques semaines au Sénat devant la mission d’information sénatoriale. Cet exercice me semble essentiel. Depuis 2022 nous avons eu, monsieur le président, l’occasion de travailler ensemble sur bien des thèmes. Malgré nos différences politiques, nous l’avons toujours fait dans un esprit républicain et vous savez l’importance que j’accorde au travail parlementaire.
Je veux revenir, dans ce propos liminaire, sur les grands axes de mon action et sur les décisions que j’ai prises en tant que premier ministre en ce qui concerne la gestion de nos comptes publics. Si vous en êtes d’accord, je rentrerai davantage dans les détails techniques en réponse aux questions des rapporteurs et des députés.
J’ai été nommé premier ministre le 9 janvier 2024. Il a été tout de suite très clair que la question de la maîtrise des finances publiques serait au cœur de mon action à Matignon. Dès le 11 janvier, au cours de ma première intervention médiatique au journal télévisé de 20 heures, j’ai dit aux Français que la situation de nos finances publiques était difficile et qu’il n’existait pas d’argent magique. Quelques jours plus tard, le 18 janvier, alors que mes équipes s’étaient déjà mises au travail pour identifier les premières pistes d’économie, j’ai réuni l’ensemble des ministres, puis, au mois de février, les ministres délégués et les secrétaires d’État de mon gouvernement. Lors de ces rencontres, j’ai annoncé très clairement la couleur. J’ai insisté pour que toute annonce ayant un impact budgétaire fasse l’objet d’une évaluation et d’une validation en amont par Matignon, compte tenu de l’état déjà très fragilisé de nos comptes. La presse avait d’ailleurs relayé une des phrases que j’avais prononcée : « Toute annonce avec des conséquences budgétaires qui sera faite sans avoir été validée par Matignon sera immédiatement contredite. » Cette formule ne souffrait d’aucune ambiguïté, et chacun de mes ministres était très au clair sur la situation des finances publiques. Je tiens à souligner notamment l’engagement constant du ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et de son ministre délégué chargé des comptes publics, Thomas Cazenave.
Le 30 janvier, j’ai évoqué le sujet des finances publiques très explicitement dans ma déclaration de politique générale ici à l’Assemblée, en déclarant que « le préalable du réarmement de la France, c’est la responsabilité budgétaire. Nous devons faire preuve d’une responsabilité exemplaire dans nos finances publiques », avant d’ajouter : « Nous allons poursuivre et renforcer les revues de dépenses auxquelles tous les ministères et tous les secteurs de l’action publique seront associés. »
En mars, en réponse à une question à l’Assemblée, je suis allé plus loin encore et j’ai brisé une forme de tabou en évoquant explicitement la « rigueur » face à la nécessité d’agir, ce qui a suscité de nombreux commentaires.
J’ai donc affirmé d’emblée, et très clairement, l’importance d’une ligne de conduite rigoureuse en matière budgétaire. Des déclarations, nous sommes passés aux actes.
Je veux profiter de la retransmission de cette audition en direct sur LCP pour annoncer une bonne nouvelle, les informations positives étant à mes yeux insuffisamment relayées dans le débat public. L’Insee vient de communiquer sur l’exécution des comptes 2024 : grâce aux efforts engagés à partir de janvier 2024 et poursuivis tout au long de l’année 2024, le déficit budgétaire de l’État en 2024 s’est réduit de 17 milliards d’euros. Pour le dire autrement, le déficit de l’État, qui est passé de 173 milliards d’euros en 2023 à 156 milliards en 2024, a baissé de 10 % au cours de l’année où le gouvernement que je dirigeais était aux affaires. À un tel rythme annuel, le déficit des comptes de l’État serait résorbé en dix ans.
Au cours de l’année 2024, les dépenses de l’État ont diminué de 11 milliards par rapport à 2023. La dernière diminution des dépenses de l’État d’une année sur l’autre remonte à 2015 et s’explique par la baisse drastique des dotations aux collectivités locales décidée par le gouvernement de François Hollande. Il me semble important de le rappeler car, dans le débat public, on a pu avoir ces derniers mois le sentiment, alimenté par certains, que les dépenses de l’État ont dérapé en 2024 par rapport à 2023.
Durant toute la durée de mon passage à Matignon, j’ai eu à prendre, en matière de finances publiques, des décisions difficiles, souvent impopulaires, et qui ont été contestées fortement au sein des groupes de l’opposition à l’Assemblée nationale.
Je souhaite maintenant détailler les choix décidés au cours des six mois précédant les élections européennes et la dissolution, avant que le Président de la République n’entérine ma démission.
Le 9 janvier, jour de mon arrivée à Matignon, mon directeur de cabinet, ancien directeur général du Trésor, m’a fait un rapport précis sur l’état critique de nos finances publiques et sur l’ampleur du travail à fournir pour les stabiliser. En tant qu’ancien ministre délégué chargé des comptes publics, je n’ignorais évidemment rien de cette situation, mais j’étais ministre de l’éducation nationale au cours des six mois précédant ma nomination à Matignon. J’ai donc été moins directement impliqué dans la préparation du projet de loi de finances pour 2024. Je n’ai notamment pas eu connaissance des alertes formulées à l’automne et à l’hiver 2023 par le ministre de l’économie et des finances à travers différentes notes adressées à ma prédécesseure, dont votre commission d’enquête s’est fait l’écho
Compte tenu de la situation, nous avons décidé, avec mon gouvernement, dès janvier, de mesures importantes.
La première d’entre elles a été prise en janvier sous l’impulsion courageuse de Bruno Le Maire et concernait le relèvement de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) à 21 euros. Je rappelle qu’elle avait été réduite à 1 euro par mégawatt pendant la crise énergétique. Cette décision a permis de dégager un surplus de recettes de près de 6 milliards d’euros par an. Elle a pourtant soulevé beaucoup de débats et une opposition quasi unanime des oppositions à l’Assemblée nationale.
En février 2024, une alerte sur le risque de dépassement de la prévision du déficit pour 2023 en raison d’une chute soudaine des rentrées fiscales nous est parvenue. Dans le même temps, la croissance attendue pour 2024 s’annonçait inférieure aux prévisions initiales. Compte tenu de l’arrêt de la croissance au quatrième trimestre 2023, l’Insee avait revu sa prévision de croissance pour 2024. Dès lors, l’objectif de croissance pour 2024 de 1,4 %, retenu dans le projet de loi de finances présenté à l’automne 2023, devenait très difficile à atteindre, voire hasardeux.
Devant ces signaux nous avons décidé, avec Bruno Le Maire, de ne rien cacher de la situation et d’agir avec force. Après concertation avec le ministre de l’économie et des finances, nous avons modifié notre hypothèse de croissance à 1 % pour 2024, un choix de prudence qui a finalement été validé par les faits, puisque l’Insee vient de publier la semaine dernière son estimation de croissance à 1,1 % pour 2024.
Nous avons ensuite enclenché un frein d’urgence sur nos dépenses publiques.
Dans le cadre du programme de stabilité, nous avons publié une cible de déficit revue à 5,1 % pour 2024, au lieu des 4,4 % initiaux. Cet ajustement conséquent prouve à la fois la totale conscience de mon gouvernement de la gravité de la situation et de l’ampleur des décisions à prendre, mais aussi une forme de lucidité sur les efforts nécessaires pour atteindre notre cible. Le 13 février, un mois à peine après ma nomination à Matignon, j’ai donc pris la décision d’annuler par décret 10,2 milliards d’euros de crédits budgétaires. Ma volonté était claire : il revenait à l’État et aux ministères, et non aux Français, de se serrer la ceinture. Cette décision, par son ampleur, était inédite. Je ne connais pas d’exemple dans notre histoire récente d’un gouvernement ayant assumé et réalisé autant d’économies par décret seulement un mois après sa nomination.
Cette décision lourde, que j’assume, a fait couler beaucoup d’encre. Elle a même fait l’objet d’un recours par des membres de la majorité sénatoriale. Celui-ci a été définitivement rejeté par le Conseil d’État la semaine dernière. Elle n’a pas été populaire dans les différents secteurs concernés, mais j’ai estimé, et j’estime encore aujourd’hui, qu’elle était nécessaire.
Nous ne voulions pas nous arrêter là. Nous avons dans un second temps, en milieu d’année, identifié 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires dans les sphères sociales, de l’État et des collectivités territoriales. La dissolution de l’Assemblée nationale ne nous a cependant pas permis d’aller jusqu’au bout de cette démarche.
En mars, nous avons poursuivi les efforts en doublant les franchises médicales, ce qui a permis à la Sécurité sociale d’économiser 800 millions d’euros par an. Cette décision impopulaire était elle aussi nécessaire, notamment parce que ces franchises n’avaient pas évolué depuis vingt ans, malgré l’inflation. Elle a suscité une opposition unanime. Je tiens d’ailleurs à votre disposition l’ensemble des communiqués de presse des différents groupes d’opposition.
Toujours en mars, à l’occasion du premier anniversaire du plan de lutte contre les fraudes que j’avais lancé à Bercy, j’ai présenté le bilan de l’action de mon gouvernement contre la fraude, ainsi que de nouvelles mesures. Nous avons obtenu l’an passé des résultats historiques contre les fraudes, avec notamment plus de 15 milliards d’eurls mis en recouvrement en matière de fraude fiscale. Du côté de la fraude sociale, les redressements Urssaf et la détection de fraudes aux prestations sociales et à l’assurance maladie ont atteint un niveau historique grâce au plan que j’ai lancé en 2023. Ces premiers résultats, obtenus grâce à des mesures courageuses, vont continuer à s’améliorer, notamment grâce aux progrès technologiques et aux investissements engagés.
En avril, j’ai lancé une mission composée de parlementaires pour trouver plus de 3 milliards d’euros de recettes nouvelles, en ciblant notamment la taxation des superprofits des énergéticiens et les rachats d’actions.
En mai, j’ai engagé une réforme de l’assurance chômage qui aurait permis d’inciter davantage à l’emploi en créant 100 000 emplois, tout en dégageant 5 milliards d’euros d’économies supplémentaires par an. Cette réforme a été empêchée par la dissolution de l’Assemblée nationale, mais nous continuons à la défendre, car elle nous semble toujours nécessaire pour le pays.
En juin, nous avons lancé des travaux de revue de dépenses pour dégager d’autres mesures d’économie, principalement dans le domaine social.
En juillet, nous avons décidé du surgel de 16 milliards d’euros avec l’intention d’en annuler une part significative d’ici à la fin de l’année 2024.
En août, alors même que mon gouvernement était démissionnaire, mais constatant qu’un nouveau gouvernement ne serait pas nommé immédiatement et qu’il disposerait de délais restreints pour agir, j’ai organisé, avec les ministres démissionnaires, la rédaction des lettres plafonds. Nous avons ainsi posé les bases d’un budget que nous avons qualifié alors de réversible. Ce budget identifiait 15 milliards d’euros d’économie pour 2025. La quasi-intégralité des économies des budgets présentés par Michel Barnier et François Bayrou sont issues de ce budget réversible.
Nous avions engagé une rationalisation des dépenses de la politique de l’emploi, notamment celles relatives à apprentissage et au budget de France Compétences pour que cet établissement public retrouve enfin une trajectoire d’équilibre budgétaire. Je me réjouis que ces orientations aient été maintenues par Michel Barnier puis François Bayrou dans le budget 2025. Nous avions annoncé une rationalisation des opérateurs de l’État et une débureaucratisation à tous les étages. Je me réjouis que le budget 2025 assume des réductions de dépenses pour les agences de l’État.
Je me réjouis également que, lors des débats sur le budget 2025, quasiment tous les groupes aient soutenu des mesures ambitieuses pour rendre au budget des Français l’argent retiré par les fraudeurs.
Les revues de dépenses ont débouché sur plusieurs mesures reprises dans leurs grandes lignes par le gouvernement actuel dans son projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Je pense notamment aux restrictions concernant les indemnités journalières et les arrêts maladie. Sur les finances des collectivités locales, nous avions aussi formulé différentes pistes, qui n’ont pas toutes été retenues.
Je souhaite résumer la chronologie des économies décidées lors de mon passage à Matignon, car elles ont été un marqueur de mon action. J’ai eu le sentiment de consacrer l’essentiel de mon temps et de mon énergie à faire des économies : janvier, fin du bouclier tarifaire sur l’électricité, 6 milliards d’euros de recettes supplémentaires ; février, annulation de 10 milliards d’euros de crédits budgétaires ; mars, doublement des franchises médicales ; avril, lancement d’une mission pour identifier plus de 3 milliards d’euros de recettes nouvelles ; mai, annonce de la réforme de l’assurance chômage, 5 milliards d’euros ; juin, préparation de 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires, principalement dans la sphère sociale ; juillet, surgel de 16 milliards d’euros de crédits avant leur annulation en fin d’année ; août, préparation du budget réversible avec 15 milliards d’euros d’économies nouvelles pour 2025. C’est grâce à ces actions menées avec Bruno Le Maire et Thomas Cazenave que l’État a dépensé en 2024 11 milliards d’euros de moins qu’en 2023.
Nous avons donc pris des décisions, souvent impopulaires, mais impératives, pour baisser nos dépenses et tenir nos déficits. Chacune de ces décisions, et les débats à l’Assemblée nationale le montrent, a été contestée, attaquée et critiquée par les oppositions d’alors dans une très forte unité, mais nous avons tenu le cap.
Une gestion responsable des finances publiques s’intègre dans une politique économique cohérente. Si nos dépenses publiques sont considérablement plus élevées que celles de nos voisins de la zone euro, c’est parce que nos dépenses sociales sont bien plus élevées. Est-ce un mal absolu ? Pas nécessairement : je suis fier de notre modèle social, qui est le plus protecteur d’Europe et sans doute l’un des plus protecteurs au monde. Nous devons protéger cet atout inestimable. À cette fin, nous devons sans cesse l’adapter et veiller à son équilibre financier. Ma prédécesseure à Matignon a courageusement mené l’indispensable réforme de retraites. Sans cette réforme, l’avenir de notre système de retraite serait encore plus gravement compromis et sa situation serait encore plus dramatique. Nous avons également réajusté notre régime d’assurance chômage pour réduire l’écart qui nous sépare de nos voisins européens qui ont moins de chômeurs et plus de travailleurs en emploi. J’ai également agi en décidant de généraliser la réforme du RSA sous condition d’activité ou de formation partout sur le territoire. C’est un remarquable succès. Garantir l’équilibre de nos comptes impose donc tout à la fois des rationalisations budgétaires dans chaque secteur d’intervention publique, des réactions rapides à toute dégradation de la conjoncture et, plus fondamentalement, des réformes pour accroître le taux d’activité, le taux d’emploi et la productivité dans notre pays à travers des politiques industrielles de formation et d’éducation.
Le bilan de l’action qui a été menée en matière budgétaire durant mon passage à Matignon montre que nous avons tenu compte des alertes, pris des décisions fortes malgré des critiques nombreuses, ajusté notre prévision de croissance et notre objectif de déficit, lancé des économies budgétaires de 20 milliards d’euros en cours d’année et, enfin, préparé un budget avec 15 milliards d’euros d’économies supplémentaires pour 2025.
Je pense que nous reviendrons au cours de nos échanges sur la différence entre la prévision de recettes et les recettes réalisées, notamment en 2023, mais je voudrais pour finir insister sur la baisse des dépenses de l’État en 2024 par rapport à 2023.
M. le président Éric Coquerel. Cette audition est importante car vous avez occupé, en tant que ministre du budget puis en tant que premier ministre, des fonctions essentielles au cours de la période sur laquelle nous enquêtons.
Vos propos comme ceux tenus lors des auditions précédentes renforcent ma conviction de départ selon laquelle votre difficulté à prévoir les résultats de votre politique économique, notamment en matière de recettes, s’explique par une surestimation de ses effets.
Pierre Moscovici a tenu des propos sévères sur l’optimisme des prévisions de croissance des derniers gouvernements, qui ont retenu des prévisions supérieures à celles fournies par les organismes consultés. Selon lui, cet optimisme trahit l’hubris du politique et son influence sur les administrations, notamment celles chargées de définir les niveaux de croissance. Il semblerait que vous n’avez pas été épargné puisque le projet de loi de finances pour 2023, que vous présentiez avec Bruno Le Maire, était construit sur – je cite les propos de Pierre Moscovici – une prévision de croissance « un peu élevée, et fondée sur plusieurs hypothèses fragiles ». La prévision était de 1 % de croissance en 2023. Elle s’est finalement révélée proche de 0,9 %, mais les moteurs de cette croissance n’ont absolument pas été ceux qui avaient été anticipés, ce qui explique, en partie, l’écart sur les recettes. Dans ces conditions, la prévision de croissance, bien que proche du taux réalisé, était fausse.
Quelle a été, lors de la rédaction du projet de loi de finances, votre appréciation de la prévision retenue ? L’avez-vous considérée comme étant trop élevée ou comme étant conforme aux données macroéconomiques dont vous disposiez ? Le ministre de l’économie vous a-t-il consulté sur cette prévision ?
M. Gabriel Attal. Nous reviendrons peut-être sur la question des effets budgétaires de notre politique économique mais je note que vous considérez que l’écart de déficit n’est pas lié à un dérapage des dépenses de l’État, mais à un écart sur les recettes. C’est important de le dire, car le débat public de ces derniers mois laisse les Français penser que l’écart de déficit est dû au dérapage des dépenses de l’État, qui a pourtant à la fois moins dépensé que prévu et que l’année précédente. Il est bien dû à un écart de recettes sur les raisons duquel nous reviendrons dans nos échanges. L’Inspection générale des finances (IGF) et l’Institut des politiques publiques (IPP), dans une récente étude, ont détaillé ces raisons.
Lors de la présentation du budget 2023 à l’automne 2022, je me souviens – j’étais alors ministre délégué chargé des comptes publics – que la prévision que nous avions retenue était conforme au consensus des économistes. Elle s’est révélée supérieure de 0,1 point au taux réalisé. J’observe que nous avons connu des écarts plus importants.
Quant aux propos du premier président de la Cour des comptes, il me semble que dans son audition, il faisait référence à l’écart entre la prévision de croissance du projet de loi de finances pour 2024 et la croissance réalisée en 2024. Je n’ai pas présenté ce projet de loi de finances puisque, à l’époque, j’étais ministre de l’éducation nationale. Je n’étais plus à Bercy et je n’étais pas encore premier ministre. Je ne peux donc pas vous renseigner sur la manière dont la prévision de croissance a alors été construite.
J’ai été alerté assez tôt – dans les premiers mois suivant ma nomination à Matignon – de la chute brutale de l’activité au cours du dernier trimestre de 2023. J’en ai tiré toutes les conclusions, comme je viens de l’indiquer. Une de mes premières décisions a été, avec Bruno Le Maire, de revoir à la baisse la prévision de croissance pour 2024.
M. le président Éric Coquerel. Certains ont pu parler d’explosion des dépenses publiques, mais certainement pas moi. Je relève que, depuis 2017, les dépenses publiques ont baissé par rapport au PIB. Le problème est bien celui de la prévision des recettes pour 2024. François Ecalle l’a confirmé et vous venez de le redire.
Vous avez dit avoir eu l’impression en tant que premier ministre de passer votre temps à faire des économies. Pourquoi ne l’avez-vous pas plutôt passé à chercher des recettes ?
M. Gabriel Attal. Il y a une différence politique entre nous. Quand je cherche à réduire le déficit, la première question que je me pose est : quelles dépenses peut-on réduire ? Votre réflexe est plutôt de vous demander quelles taxes augmenter.
M. le président Éric Coquerel. C’est paradoxal puisque vous reconnaissez que le problème tient aux recettes.
M. Gabriel Attal. Je considère que, pour faire face à une baisse de recettes, il faut s’adapter en baissant les dépenses. Les Français appliquent cette logique à la gestion de leur vie courante. Lorsqu’ils ont un trou dans leurs recettes, sur un mois ou sur une année, ils vont d’abord se demander quelles dépenses réduire avant d’aller chercher des recettes ailleurs, par un emprunt par exemple. Ce sont deux philosophies différentes.
J’ajoute que nous n’avons pas écarté la question des recettes. Je rappelle que nous avons lancé au printemps une mission pour identifier des recettes supplémentaires par la taxation des superprofits des énergéticiens et par celle des rachats d’action. Le gouvernement qui m’a succédé, celui de Michel Barnier, a d’ailleurs repris le dispositif sur les rachats d’action à la suite du travail de Jean-René Cazeneuve et des autres membres de la mission, mais pas celui sur les superprofits des énergéticiens. Nous avons aussi cherché des recettes supplémentaires, de l’ordre de 3 milliards d’euros.
M. le président Éric Coquerel. Vous assumez votre politique. Je n’en attendais pas moins de vous. Cette politique de l’offre et de la compétitivité s’est traduite par une baisse des dépenses mais aussi par une baisse volontariste des recettes, et pas seulement par un écart des prévisions de recette. En 2023, les impôts ont ainsi connu des baisses massives, à hauteur de 62 milliards d’euros, dont 10 % au profit des plus riches.
Dans les années post-covid, notamment en 2022, le montant des impôts collectés ne pouvait qu’augmenter puisqu’après avoir été plongés au fond de la piscine par le covid, nous sommes remontés à la surface en un an grâce au rebond de l’économie. Vous pouviez alors vous dire que votre politique de baisse de certains impôts fonctionnait. Ne croyez-vous pas que vous avez été alors illusionnés sur les vertus de votre politique, ce qui expliquerait pourquoi vous vous attendiez à des recettes supérieures à celles effectivement rentrées dans les années redevenues normales ?
M. Gabriel Attal. J’entends la critique des oppositions sur les baisses d’impôts réalisées depuis 2017, mais n’oubliez pas de rappeler que la plus importante d’entre elles concerne la taxe d’habitation, à hauteur de 20 milliards d’euros. Elle ne bénéficie donc pas aux plus fortunés. Si vous proposez de rétablir la taxe d’habitation, donc que les ménages de la classe moyenne payent de nouveau une taxe de 1 000 euros par an en moyenne, dites-le de façon claire ! Ce n’est pas ma position.
Nous avons assumé la baisse de certains impôts, car elle a eu pour résultat d’augmenter leur assiette Nous avons ainsi baissé le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) de 33 % à 25 %. Je ne pense pas que les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) aient considéré qu’il s’agissait alors d’un gain indu. Cette baisse leur a permis de développer leur activité, d’investir et d’embaucher et nous a permis ainsi de collecter davantage qu’avec un taux à 33 %. Une petite part d’un gros gâteau est plus importante qu’une plus grosse part d’un petit gâteau. Le bénéfice fiscal de l’impôt sur les sociétés a augmenté de 2 points depuis 2017, passant de 7 % à 9 %, mais cette augmentation du rendement de l’impôt malgré la baisse de son taux nous place à peine dans la moyenne de l’Union européenne.
Accabler nos entreprises d’impôts supplémentaires signifie moins d’investissement et moins d’embauche pour les Français. Il faut arrêter. C’est mon point de vue et celui de mon groupe.
M. le président Éric Coquerel. Je ne vous ai pas demandé de défendre votre politique économique. Je le répète : sur les 60 milliards d’euros de baisse, 10 % ont bénéficié aux plus riches.
Je précise donc ma question. L’écart de déficit est dû à une moindre entrée des recettes de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur le revenu et de la TVA. C’est documenté et vous l’avez dit vous-même. Le montant des impôts collectés a certes augmenté malgré la baisse des taux d’imposition, mais cette augmentation a été constatée au cours des deux années exceptionnelles qui ont suivi le covid. Ce n’est plus vrai en 2023 et 2024. Ma question ne porte pas sur la justification politique, mais sur le point de savoir si le contexte post-covid ne vous a pas conduit à mal anticiper la baisse de rendement de ces impôts après le retour à la normale.
M. Gabriel Attal. Le taux d’impôt sur les sociétés n’a pas baissé au cours des années 2023 et 2024. La baisse est intervenue entre 2017 et 2022. La baisse des recettes de l’impôt sur les sociétés en 2023 et 2024 n’est donc pas liée à une baisse du taux d’imposition.
M. le président Éric Coquerel. Je crois avoir mal été compris. La baisse du taux de l’IS n’est devenue pleinement opérante qu’après l’arrêt de l’économie pendant un plus d’un an à cause du covid. Les années post-covid ont connu une rentabilité exceptionnelle de l’IS, qui avait d’ailleurs été sous-estimée par Bercy. Cela ne vous a-t-il pas conduit à un excès d’optimisme dans vos prévisions concernant une année normale, au cours de laquelle la rentabilité de l’impôt baisse nécessairement ?
M. Gabriel Attal. La réponse est très clairement négative. Vous avez été destinataire du rapport de l’Inspection générale des finances et vous avez probablement pris connaissance de l’étude réalisée très récemment par l’Institut des politiques publiques sur les raisons de l’écart entre les prévisions de recettes et les recettes effectivement perçues sur les années 2023 et 2024. Cette étude constate un dérèglement dans l’élasticité de nos recettes, c’est-à-dire dans la relation entre la variation du taux d’imposition d’un impôt et celle du montant collecté. Au cours des années précédentes, il était possible de prévoir le montant des recettes pour un point de croissance. Les différents rapports réalisés sur le sujet en fournissent plusieurs explications, notamment liées au changement de la structure de notre croissance, pas tant en raison du covid que de la guerre en Ukraine et de l’inflation. Notre croissance est désormais davantage tirée par les exportations que par la consommation, ce qui explique pourquoi la baisse assez massive des recettes de la TVA n’a pas été anticipée.
J’ajoute – on ne l’entend pas assez dans le débat public, mais l’Institut des politiques publiques le met en lumière dans sa dernière étude – que ce problème d’élasticité des recettes n’est pas propre à la France : il s’est également posé en Allemagne et au Royaume-Uni. L’IPP, qui est indépendant, constate que ces deux pays, et sans doute d’autres, ont également vu la nature de leur croissance être déréglée après la guerre en Ukraine et l’inflation. On entend trop souvent dans le débat public qu’il y a eu un dérapage des dépenses en 2024 par rapport à 2023 alors que c’est l’inverse qui s’est produit – et je vous remercie, monsieur le président, de l’avoir reconnu – tout comme on n’entend pas assez souvent que l’Allemagne et le Royaume-Uni ont connu un problème de recettes similaire au nôtre en 2024.
L’élasticité des recettes de l’IS, au regard du taux de croissance, a été décevante par rapport aux prévisions. L’IS est un impôt très volatil, extrêmement sensible aux retournements économiques. Certaines entreprises ont probablement anticipé un déficit en 2024 et l’ont imputé sur leurs bénéfices de 2023, ce qui expliquerait les moindres rentrées d’IS. Nous n’aurons la confirmation de cette hypothèse que lors des prochains mois, une fois connue l’exécution complète de 2024.
Lorsque j’ai reçu, en février 2024, quelques semaines après ma nomination à Matignon, l’alerte sur la chute brutale des recettes intervenue fin 2023, j’ai changé, avec Bruno Le Maire, la prévision d’élasticité de nos recettes dans le programme de stabilité 2024. Nous l’avons fait passer de 1,1 – ce qui correspondait à la prévision du PLF pour 2024 – à 0,8. Le Haut conseil aux finances publiques (HCFP) avait alors estimé, dans son avis sur le programme de stabilité, que ce choix était « raisonnable ».
J’ai fait avec les informations que j’ai reçues, au moment où j’en ai eu connaissance, et j’ai pris les décisions en conséquence.
M. le président Éric Coquerel. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont subi des effets similaires – liés à la même politique – mais à un degré très différent.
Je reviens sur le suivi de l’exécution du budget. Plusieurs alertes ont été lancées en 2023. Quand avez-vous été alerté pour la première fois d’un risque de dégradation du déficit ? Si cette alerte a eu lieu lorsque vous étiez encore ministre chargé du budget, quelle a été votre réaction et comment en avez-vous informé votre successeur, Thomas Cazenave ?
M. Gabriel Attal. Aucune alerte n’a été remontée sur la chute brutale des recettes en 2023 avant que je quitte mes fonctions de ministre des comptes publics, en juillet 2023. L’alerte détaillée dont je dispose sur la chute des recettes est faite début 2024, après ma nomination à Matignon. Les notes de Bruno Le Maire de la fin 2023, dont vous vous êtes fait l’écho, ne m’ont pas été adressées : j’étais alors ministre de l’éducation nationale. Je suis nommé à Matignon en janvier 2024 ; je recrute comme directeur de cabinet l’ancien directeur général du Trésor, Emmanuel Moulin. Lors de notre première discussion, nous examinons évidemment la question des finances publiques et les décisions à prendre. La première alerte détaillée sur la baisse des recettes nous parvient par une note de février 2024, laquelle provoque une réunion avec les ministres concernés mais aussi avec le Président de la République, à l’Élysée.
M. le président Éric Coquerel. Il a été fait le choix, début 2024, de ne pas présenter de projet de loi de finances rectificative (PLFR), alors que Bruno Le Maire y était favorable, comme il l’a répété ici. Il a été finalement décidé de prendre un décret d’annulation de crédits de 10 milliards d’euros et, pour le reste, d’attendre. Pourriez-vous nous indiquer qui a pris la décision de ne pas présenter de PLFR : est-ce vous – en désaccord avec le ministre de l’économie et des finances – ou est-ce le Président de la République, lors d’une réunion du 13 février 2024 que plusieurs personnes auditionnées ont évoquée ?
M. Gabriel Attal. Cette question a été posée ; nous en avons parlé avec les ministres concernés. Une réunion s’est effectivement tenue à l’Élysée le 13 février 2024, au cours de laquelle ce sujet a été abordé. Le Président de la République et moi-même avons pris la décision ensemble. J’assume cette décision car, en vertu de la Constitution, il appartient au seul premier ministre de présenter un projet de loi devant le Parlement. Nous avons revu notre objectif de croissance pour 2024 et notre cible de déficit – à 5,1 % – pour cette même année. Pour atteindre ce niveau de déficit, nous devions réaliser 20 milliards d’euros d’économies. Deux choix s’offraient à nous : passer par un PLFR ou emprunter la voie du décret d’annulation et du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG). Nous avons retenu cette seconde option, qui nous permettait d’atteindre le même volume d’économies.
Bruno Le Maire a d’ailleurs affirmé, lors de son audition au Sénat, que, lorsqu’il plaidait en faveur d’un PLFR, c’était exclusivement pour des raisons politiques. La présentation de ce texte n’aurait pas permis, comme il le reconnaît lui-même, de réaliser plus d’économies, puisque nous avions prévu d’atteindre un certain quantum ; elle aurait eu pour objet de « mettre dans le débat public la question des finances publiques ». Nous avons considéré que cette question était présente dans le débat public, notamment en raison des déclarations que j’ai faites en ma qualité de premier ministre : j’ai parlé, à ce moment-là, de rigueur et des décisions difficiles que nous avons eu à prendre.
M. le président Éric Coquerel. J’entends qu’au minimum, vous étiez d’accord avec le Président de la République. Au Sénat, devant la commission des finances, vous avez justifié cette décision par l’encombrement du calendrier législatif, du fait du projet de loi d’orientation agricole (PLOA) et du projet de loi sur la fin de vie. Confirmez-vous ces propos ?
M. Gabriel Attal. Oui. Outre qu’il n’était pas nécessaire de présenter un PLFR pour atteindre le montant d’économies requis, cela nous aurait obligés à consacrer à ce projet de loi une grande partie du calendrier parlementaire alors que d’autres textes importants devaient être examinés : le PLOA, le projet de loi sur la fin de vie et d’autres projets et propositions de loi. Beaucoup de responsables politiques affirment qu’il aurait fallu un PLFR mais, compte tenu de leurs déclarations d’alors, tout porte à croire qu’ils auraient saisi l’occasion pour voter, non des économies, mais de nombreuses dépenses supplémentaires. On pouvait emprunter une voie autre que le PLFR, comme nous y autorisaient la Constitution et la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), à savoir un décret d’annulation – dans la limite d’un plafond de 10 milliards d’euros – et un PLFG pour annuler des crédits en fin d’année.
M. le président Éric Coquerel. Je faisais partie des responsables qui demandaient, à l’époque, un PLFR, car cela permettait aussi d’aborder la question des recettes, ce qui n’aurait pas été possible dans le cadre de l’examen d’un PLFG. C’était, à mes yeux, à l’Assemblée de déterminer de quelle manière on devait traiter de la question.
M. Gabriel Attal. Nous avons réalisé un volume important d’économies pendant un laps de temps très court. Nous avons aussi cherché des recettes, notamment par le biais de la mission composée de parlementaires. Nous avons conclu que l’absence de PLFR permettait d’adopter des recettes supplémentaires pour 2024 grâce au PLF 2025. En effet, dans un projet de loi de finances pour l’année n + 1, on peut adopter des recettes pour l’année n. Nous avions prévu d’insérer des recettes supplémentaires dans le PLF 2025 mais, ayant remis ma démission au Président de la République à la suite de la dissolution, je n’ai pas présenté ce texte. J’ai toutefois fait preuve de cohérence et de constance : avec les députés du groupe Ensemble pour la République, nous avons déposé des amendements au PLF 2025 visant à prévoir des recettes supplémentaires pour 2024, notamment concernant le rachat d’actions et les énergéticiens.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous examinons, entre autres questions, l’influence du calendrier électoral sur les dérapages en matière de prévisions et de résultats budgétaires. Les élections européennes ont-elles retardé les décisions de correction qui devaient être prises, notamment la modification des prévisions qui, aux dires du premier président de la Cour des comptes, étaient très optimistes ?
Quel degré de connaissance le Président de la République avait-il de la dégradation des finances publiques au moment où il a procédé à la dissolution ? Cette situation a-t-elle été une des raisons de la dissolution ?
M. Gabriel Attal. Je crois vous avoir fait la démonstration que les élections européennes n’ont en rien retardé les décisions qui devaient être prises en matière de gestion des finances publiques. Si nous avions eu pour objectif d’éviter les mesures impopulaires avant ce scrutin, je n’aurais pas augmenté la taxe sur l’électricité en janvier – qui a été qualifiée par certains d’« impôt Attal ». De même, je n’aurais pas annulé 10 milliards d’euros de crédits budgétaires en février. Tout le monde a l’air de considérer que c’était une chose assez facile à faire mais il faut se souvenir des réactions que cela a suscitées dans tous ministères concernés – une de mes ministres avait même proféré des menaces contre mon chien. En outre, si telle avait été notre préoccupation, nous n’aurions pas doublé, en mars, le montant des franchises médicales dans l’objectif de réaliser 800 millions d’euros d’économies. Enfin, je rappelle que, dans un entretien à La Tribune Dimanche, fin mai – soit à quelques jours des élections européennes – j’ai annoncé une réforme de l’assurance chômage visant à dégager 4 à 5 milliards d’euros d’économies par la réduction de la durée de l’indemnisation du chômage.
Nous avons eu plusieurs réunions à l’Élysée avec le Président de la République, notamment une réunion à la mi-février. Des points réguliers ont également été faits, soit en Conseil des ministres, soit dans le cadre de réunions que nous avions ensemble. Le Président était donc évidemment informé. N’en ayant pas été informé en amont, je ne peux pas vous dire grand-chose sur les raisons qui ont conduit à la dissolution. Le Président de la République s’est exprimé à plusieurs reprises à ce sujet ; il a expliqué aux Français pourquoi il avait pris cette décision. En tout état de cause, je ne crois pas une seconde que le choix de la dissolution ait été lié à la situation budgétaire. D’ailleurs, l’instabilité qui en a résulté et le choix irresponsable de censurer le budget l’année dernière ont eu évidemment un impact négatif sur nos comptes publics.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Pourquoi avoir annulé, entre les deux tours des élections législatives, la réforme de l’assurance chômage, dont vous aviez évalué le gain budgétaire à 5 milliards d’euros ? N’était-ce pas pour une raison électorale ?
M. Gabriel Attal. Je ne l’ai pas annulée, je l’ai suspendue – c’est le terme que j’ai employé. En effet, le décret d’application de la réforme devait entrer en vigueur entre les deux tours de l’élection ; à ce moment-là, l’Assemblée ne pouvait pas exercer de contrôle sur l’activité gouvernementale ni évaluer les politiques publiques, puisqu’elle était dissoute. Les mêmes qui, aujourd’hui, disent que nous aurions dû prendre le décret m’auraient reproché d’avoir assumé par un texte réglementaire une réforme d’une telle ampleur sans que le Parlement ne soit en mesure d’exercer son activité de contrôle – à l’époque, rappelons-le, il n’y avait ni questions au gouvernement, ni questions orales sans débat, ni questions écrites, ni aucune autre activité parlementaire. J’ai considéré que, d’un point de vue démocratique, cette réforme devait s’appliquer alors que l’Assemblée était en activité. J’ajoute que j’ai remis ma démission quelques jours après. Après mon remplacement à Matignon, j’ai assumé la présidence du groupe Ensemble pour la République, lequel a défendu l’entrée en vigueur de la réforme. Je continue à la défendre. Pour ce faire, il suffit d’un décret signé par le premier ministre.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Une nouvelle assemblée a été élue quatre jours après l’annulation du décret et pouvait assumer pleinement sa mission de contrôle. L’annulation de la réforme a réduit les recettes de quelque 5 milliards d’euros.
M. Gabriel Attal. Nous n’avons pas annulé la réforme, nous l’avons suspendue. Si nous l’avions annulée, nous aurions pris un nouveau décret pour maintenir les mêmes règles en matière d’assurance chômage. Ce n’est pas ce que nous avons fait : de mémoire, nous avons pris un décret de jointure pour prolonger d’un mois le régime existant et donner la possibilité de prendre un nouveau décret très vite. Ensuite, le choix de suspendre la réforme n’a pas eu d’impact sur les économies ni sur les recettes puisque la réforme devait s’appliquer en décembre 2024 ou au début de 2025. Si la réforme avait été décidée par mon successeur, elle aurait pu s’appliquer, comme prévu, en 2025.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Il y aurait donc eu un gain, potentiellement, de 5 milliards d’euros en 2025.
Qui était décisionnaire en matière budgétaire ? Était-ce vous ou le Président de la République ? Quel était son degré d’implication ? Avez-vous formulé des propositions visant à réduire les dépenses ou à faire évoluer les recettes que le Président aurait refusées ?
M. Gabriel Attal. Le Président était évidemment très impliqué sur ces sujets lorsque j’étais premier ministre. En vertu de la Constitution, le premier ministre prend les décisions et rend les arbitrages. Naturellement, lorsque j’ai pris des décisions, je l’ai fait après avoir échangé avec le Président de la République. Nous avons tenu des réunions au sujet des finances publiques. En outre, au cours du point hebdomadaire que j’avais avec le Président, il nous est évidemment arrivé d’aborder cette question.
Je n’ai pas d’exemple de mesures d’économies ou de recettes supplémentaires que j’aurais proposées, en tant que premier ministre, et que le Président de la République aurait refusées. Ce dernier a accepté les nombreuses mesures d’économies additionnelles que je souhaitais appliquer. En revanche, lorsque j’étais ministre délégué aux comptes publics auprès de Bruno Le Maire, il nous est arrivé de faire des propositions d’économies qui n’ont pas été retenues, mais cela fait partie du fonctionnement normal d’un gouvernement : Matignon arbitre. Il nous est également arrivé de regretter des dépenses supplémentaires décidées en cours d’année sans que nous en soyons informés.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Pouvez-vous nous donner des exemples de ces dépenses supplémentaires ?
M. Gabriel Attal. Il s’agit, par exemple, de la revalorisation du point d’indice, au sujet de laquelle nous nous étions exprimés, à l’époque, avec Bruno Le Maire. Cette mesure a eu des effets en cascade sur les budgets de nos collectivités locales. Je peux également évoquer les dépenses engagées dans le cadre du plan de relance, qui ont été « soclées », ou les crédits de 500 millions d’euros affectés au plan Vélo, que nous aurions souhaité réduire. Tout cela est normal : le ministre du budget propose des économies et des mesures rigoureuses pour assurer l’équilibre des comptes, puis le premier ministre rend des arbitrages qui sont, par définition, légitimes, puisqu’ils relèvent de sa fonction.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, a tenu des propos très sévères sur les dérapages budgétaires. Il a affirmé, à propos de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) : « Il n’est pas sérieux de transmettre à la Commission européenne des trajectoires pluriannuelles aux sous-jacents optimistes et déjà caducs avant même le début de leur mise en œuvre. Il n’est pas sérieux de prendre des engagements sur la maîtrise des dépenses sans se donner les moyens de les tenir. La crédibilité de notre pays exige […] une approche plus vertueuse. » Je le cite encore : « J’ai alerté à de nombreuses reprises sur le risque de déraillement du train budgétaire. » Et enfin : « La France est le seul grand pays de l’Union européenne à avoir été incapable d’engager sérieusement la résorption de son déficit. » Cette analyse ne vous paraît-elle pas pertinente ?
M. Gabriel Attal. La France a engagé une résorption importante de son déficit dans les années 2017 à 2019. Il est repassé, à cette époque, sous les 3 %, ce qui nous a permis de sortir de la procédure européenne pour déficit excessif. Par la suite, un certain nombre de mesures ont été prises : je ne rappellerai pas la crise des gilets jaunes, le « quoi qu’il en coûte » pendant la crise sanitaire et le plan de relance. Je suis convaincu que ces dépenses étaient nécessaires mais aussi que certaines – je pense notamment au plan de relance – ont été « soclées » alors qu’elles auraient dû être retirées plus rapidement. On aurait pu faire les choses différemment, même s’il est toujours facile de le dire a posteriori. Depuis 2022, du fait de la majorité relative, il a été plus difficile encore de mener des réformes structurelles et de réaliser des économies additionnelles. Le groupe Les Républicains avait soutenu des réformes que j’avais proposées dans le cadre de mes fonctions successives, notamment celle de l’assurance chômage. Toutefois, certaines dépenses importantes intervenues en 2022 et en 2023 – je pense à la ristourne carburant, qui a coûté plus de 10 milliards d’euros – étaient le fruit d’exigences auxquelles nous avons dû nous plier pour que le gouvernement tienne. Monsieur le rapporteur, vous aviez soutenu, avec M. Marleix, la courageuse réforme des retraites, qui était nécessaire à la maîtrise de nos dépenses sociales, mais cette position n’a pas été partagée par l’ensemble du groupe LR, ce qui nous a contraints à engager le 49.3. Il ne s’agit pas de se défausser de ses responsabilités : je reconnais que tout n’a pas été réussi, que des erreurs ont été commises, mais il faut toujours se rappeler le contexte et les positions qu’ont adoptées, à l’époque, les uns et les autres.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Il est important de rappeler, comme vous l’avez fait, la chronologie, sous peine de céder à une forme d’illusion rétrospective susceptible de nourrir un procès de la politique économique ou, tout simplement, un procès politique.
La dépense de l’État a été singulièrement réduite. Il n’en a pas été de même de la dépense locale, notamment en 2024. Cela vous a-t-il surpris ? Considérez-vous que, si cette dernière a été plus élevée que prévu, cela s’explique aussi par l’absence de mécanisme de contrainte ? La question se pose aussi, dans une moindre mesure, pour les administrations de sécurité sociale.
M. Gabriel Attal. Il me semble que la direction générale du Trésor a donné de premières indications sur la structure de l’écart entre le déficit de 2024 et les prévisions. Nous n’avons pas encore le déficit réalisé mais, au vu du solde budgétaire qui a été communiqué, on peut d’ores et déjà constater que l’État a moins dépensé en 2024 qu’en 2023, ce qui se traduit par une réduction du déficit et du solde. On peut estimer, au vu des prévisions de l’Insee sur l’exécution 2024, que le déficit avoisinera les 6 %, ce qui correspond à la prévision figurant dans le PLF 2025. D’où provient l’écart entre la prévision de 5,1 % et le chiffre de 6 % ? La direction générale du Trésor l’explique par plusieurs facteurs. D’abord, la dégradation du solde des collectivités locales a entraîné une divergence de 0,4 % : en effet, les dépenses de fonctionnement et d’investissement des collectivités ont augmenté, respectivement, de 6 à 7 % et de 12 à 13 % par rapport aux prévisions. Ensuite, le niveau plus faible qu’attendu des recettes est à l’origine d’un écart de 0,4 %. Enfin, les dépenses de la sécurité sociale expliquent une différence de 0,1 %.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous avez évoqué un ensemble de mesures législatives et réglementaires que vous aviez préparées pour contenir le déficit de 2024. Avez-vous une estimation de ce qu’auraient pu rapporter ces mesures – en mettant à part la réforme de l’assurance chômage – en 2024 ? Pourriez-vous nous préciser ce qu’il était encore possible de faire, au niveau réglementaire, à la mi-2024 ? Quelles annulations de crédits pouvait-on décider dans le cadre du PLFG, étant rappelé que vous aviez gelé 16 milliards d’euros de crédits ?
M. Gabriel Attal. Nous avions en effet prévu d’appliquer un ensemble de mesures dans la suite de l’année 2024 ; un certain nombre d’entre elles avaient déjà été annoncées. Avec les députés du groupe Ensemble pour la République, nous avons ensuite beaucoup plaidé pour que ces mesures soient reprises par le gouvernement qui a succédé au mien et avons déposé des amendements visant à les mettre en œuvre. Leur application aurait permis de réaliser des économies supplémentaires d’au moins 10 milliards d’euros – et probablement un peu plus – en 2024. J’ai fait le choix, en juillet, de geler 16 ou 17 milliards d’euros de crédits budgétaires. On comptait, in fine, en annuler près de 9 milliards, ce qui aurait supposé qu’on adresse une notification dès septembre aux ministères. Ces notifications étant arrivées plus tard, à l’automne, seuls 6 milliards – sur les 16 – ont été annulés.
Nous avions prévu des économies supplémentaires, de l’ordre de 3 milliards d’euros, dans la sphère sociale, notamment grâce au paquet réglementaire sur lequel nous avions travaillé. J’avais fait part de nos propositions, notamment lors du débat budgétaire, à l’automne. Il s’agissait de réduire le plafond des indemnités journalières en cas d’arrêt maladie – ces dépenses ayant explosé –, de diminuer un certain nombre d’autres remboursements – voire, pour les tests covid hors prescription médicale, d’y mettre fin –, de réformer l’assurance chômage – même si les bénéfices de cette mesure étaient surtout attendus à partir de 2025 – et d’obtenir quelque 3 milliards d’euros de recettes supplémentaires sur les rachats d’actions et les superprofits des énergéticiens, somme qui aurait pu être perçue en 2024 si on les avait inscrites dans le PLF 2025 – notre groupe a déposé des amendements en ce sens. Nous avions également déposé des amendements dans le PLF 2025 pour ramener le déficit de 2024 à 5,5 %, au lieu de 6 %. Je continue à penser que le déficit aurait pu être inférieur en 2024 si ces mesures avaient été prises, mais je ne jette la pierre à personne.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Du côté de l’État, tout ce qui pouvait être fait l’a été. Considérez-vous que l’absence de mécanisme de correction infra-annuelle des dépenses des collectivités locales et des administrations de sécurité sociale a été préjudiciable au cours d’une année où l’on a connu des baisses de recettes à répétition ?
M. Gabriel Attal. Lorsque j’étais ministre des comptes publics auprès de Bruno Le Maire, j’avais proposé aux collectivités locales de conclure des pactes de confiance, qui conservaient un peu l’esprit des contrats de Cahors mais privilégiaient une autre méthode. Le mécanisme que nous avions présenté conduisait à définir une trajectoire prévisionnelle de l’augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités locales, ce qui aurait permis de prendre des mesures d’ajustement en cas de dérapage important. Matignon n’a finalement pas retenu ce dispositif, au sujet duquel nous avions engagé, en particulier avec Christophe Béchu, une longue concertation avec les associations d’élus. Je persiste à penser qu’un dispositif comme celui-là pourrait avoir du sens, mais je ne veux pas accabler qui que ce soit, et certainement pas les collectivités locales, qui se sont vues contraintes d’intégrer, en cours d’année, l’augmentation du point d’indice, ce qui a augmenté mécaniquement leurs dépenses de fonctionnement. Même si d’autres mesures sont envisageables, un outil tel que celui que j’ai évoqué permettrait de mieux piloter nos finances publiques sur le long terme.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Les chiffres de la croissance ne sont pas si éloignés de la prévision macroéconomique : pour 2023, l’écart – 0,1 point – est assez marginal ; pour 2024, la croissance s’est établie à 1,1 %, à rapporter à une prévision de 1,4 % : la divergence demeure limitée, d’autant que le chiffre a été revu à la baisse assez rapidement. Malgré tout, les économistes ont souligné l’existence d’une difficulté dans la transmission du scénario macroéconomique à la réalité des agents, en raison de biais de comportements et de modèles. Considérez-vous que nos modèles de prévision ont été durablement perturbés par les chocs exogènes qu’a connus notre économie ? Cela expliquerait que d’autres pays aient subi des difficultés en matière de prévision, y compris le Royaume-Uni, où l’exercice est pourtant externalisé.
M. Gabriel Attal. Le même problème s’est manifesté en Allemagne et au Royaume-Uni – merci, monsieur le président, de l’avoir souligné car peu le disent publiquement –, mais dans de moindres proportions. L’Institut des politiques publiques montre que l’écart de prévisions sur les recettes pour 2024 était de 5,5 % en France, de 4 % en Allemagne – ils sont toujours en train de réajuster et leur taux pourrait se rapprocher du nôtre –, et de 2,5 % au Royaume-Uni. C’est normal, dites-vous, puisque ces pays ont tous fait les mêmes choix macroéconomiques. L’Allemagne étant alors gouvernée par les sociaux-démocrates, cela veut dire que nous menons une politique proche de celle des sociaux-démocrates européens. Merci de dire à nos collègues sociaux-démocrates qu’il faut donc la soutenir et l’accompagner.
Ainsi que documenté par l’IGF et l’IPP, la structure de la croissance s’est modifiée dans les pays européens après la crise sanitaire et la poussée de l’inflation liée à la guerre en Ukraine : la croissance est désormais tirée davantage par les exportations que par la consommation. Nous devons adapter nos modèles de prévision à cette nouvelle donne qui, du reste, est plutôt une bonne nouvelle pour notre pays sur le plan macroéconomique.
M. le président Éric Coquerel. Notez que l’Espagne n’a pas eu les mêmes problèmes de prévisibilité.
Vous nous avez invités à nous reporter au contexte et aux dires des uns et des autres à l’époque. Fin 2023, plusieurs députés ici présents et issus de divers groupes, y compris appartenant à l’actuel socle gouvernemental, estimaient que les chiffres retenus pour le PLF et la loi de programmation n’étaient pas très crédibles. Votre jugement n’était donc pas partagé par de nombre de députés de cette commission.
Si j’ai bien compris votre réponse à l’une de mes précédentes questions, vous n’auriez pas été alerté sur un risque de dégradation en juillet 2023, alors que la prévision de déficit passait déjà de 4,9 % à 5,2 % dans les budgets économiques d’été ?
M. Gabriel Attal. Si. Je vous ai donné l’état des informations dont je disposais. Lors de mon arrivée à Matignon, on m’a remis la fameuse note du Trésor du 7 décembre 2023, dont je n’avais pas à disposer en tant que ministre de l’éducation nationale. En février 2024, le Trésor nous a adressé la première alerte véritable et plus documentée sur la diminution des recettes à la fin de l’année 2023. Le 13 juillet 2024, j’ai reçu les prévisions des budgets économiques d’été, c’est-à-dire la dernière note formelle indiquant une dégradation des recettes. Le 30 août 2024, le directeur de cabinet du ministre de l’économie et des finances a envoyé un SMS à mon directeur de cabinet, lui indiquant qu’il y aurait probablement une nouvelle baisse de recettes par rapport à ce qui était prévu, mais qu’il ne pouvait pas encore en donner l’ampleur. Les détails de cette diminution arrivent le 11 septembre 2024, alors que Michel Barnier m’avait succédé à Matignon depuis près d’une semaine.
M. le président Éric Coquerel. Pour ma part, je parlais de juillet 2023.
Nous en venons aux questions des orateurs de groupe.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Comme il est difficile de contester autant de mensonges en deux minutes, je vais me concentrer sur une seule question. Vous prétendez qu’il n’y a pas de problème concernant les dépenses. Dans la loi de finances de fin de gestion pour 2023, les dépenses publiques s’élevaient à 1 700 milliards d’euros, un montant qui est passé à 1 767 milliards d’euros dans la loi de finances de fin de gestion pour 2024. Michel Barnier aurait donc dépensé 67 milliards d’euros ?
M. Gabriel Attal. Monsieur Tanguy, vous n’avez pas dû écouter l’intégralité de mon intervention ; aussi je vous redonne les chiffres que j’ai cités : le déficit de l’État est passé de 173 milliards d’euros en 2023 à 156 milliards d’euros en 2024, c’est-à-dire qu’il a diminué de 17 milliards d’euros, soit de quelque 10 %. Voilà ce que j’ai dit.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je ne vous ai pas interrogé sur vos propos, mais sur la réalité des dépenses publiques. Vous étiez premier ministre de la France, pas d’un secteur qui vous intéresse, à moins que vous ayez été partiellement premier ministre. Entre deux lois de fin de gestion, les dépenses publiques, toutes confondues, déraillent de 67 milliards d’euros. Si ce n’est pas vous, qui en est responsable ?
M. Gabriel Attal. Votre propos est très intéressant puisque vous reconnaissez que les dépenses de l’État ont baissé alors que les dépenses publiques augmentaient. Quelles sont ces dépenses publiques qui ne sont pas des dépenses de l’État ? Les dépenses sociales et celles des collectivités locales. Vous pensez donc que le dérapage est dû aux retraites, tout en défendant le retour de l’âge légal de départ à 62 ans, qui entraînerait davantage de dépenses. Ou alors, vous estimez que ce dérapage est imputable aux collectivités locales. Avec votre groupe, vous passez pourtant votre temps à expliquer aux collectivités locales que vous les défendez, que les autres sont les grands méchants. En effet, la dépense publique globale a augmenté. La dépense de l’État s’est réduite en 2024 par rapport à 2023, ce qui n’était pas arrivé depuis dix ans. En revanche, les dépenses sociales et celles des collectivités locales ont augmenté. En volume, le facteur le plus important de cette augmentation a été la revalorisation des retraites – près de 15 milliards d’euros. Étiez-vous contre cette revalorisation ? Au contraire, vous l’avez défendue.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Si vous voulez un débat politique, je suis disponible pour que nous l’ayons à l’extérieur, avec une égalité de temps de parole et non pas une heure et demie pour vous et deux minutes pour moi. En tant que premier ministre de la France, vous n’aviez donc pas autorité sur toutes les dépenses ? Vous pouvez bien sûr accuser l’opposition au cours de débats sur les chaînes de télé ou les antennes de radio, où je suis tout disposé à vous répondre. Ici, je vous pose la question : étiez-vous premier ministre de l’hôtel Matignon et du chenil, d’une toute petite partie des dépenses ? Il était important, en effet, de nous dire sous serment que votre pauvre chien avait failli être transformé en ragoût par Mme Dati !
M. Gabriel Attal. Vous êtes un peu chafouin, monsieur Tanguy, parce que vous êtes incapable de me répondre sur le fond. Vous déplorez une augmentation de la dépense publique, mais vous êtes incapable de dire si c’est la hausse des dépenses sociales que vous regrettez ou celle des dépenses des collectivités locales. Car les dépenses de l’État, elles, ont baissé dans l’intervalle, ce qui n’était pas arrivé depuis dix ans.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Puisque vous n’acceptez pas l’exercice, je vais vous laisser mon numéro de téléphone pour que nous débattions dans les médias. Vous ne tenez pas compte du fait que les dépenses globales ont complètement dérapé. Dont acte.
Venons-en aux comparaisons avec l’étranger dont vous nous reprochez de ne pas tenir compte. Quand je vous entends citer les chiffres, j’ai des doutes sur votre capacité à compter. En France, les prévisions ont dérapé de 5,5 % contre 4 % en Allemagne et 2 % au Royaume-Uni. La différence représente quand même quelque 25 % dans un cas et 50 % dans l’autre, ce qui veut dire que nous ne sommes pas du tout dans les mêmes ordres de grandeur. Puisque vous voulez jouer au professeur et à l’élève – comme Marine Le Pen, ce n’est pas trop mon truc – quelles ont été les conséquences de ces dérapages de prévisions sur les déficits de l’Allemagne et de la France ?
M. Gabriel Attal. C’est moi-même qui ai donné ces chiffres et insisté sur les différences entre pays. Pour l’Allemagne, je le répète, le taux de 4 %, estimé par l’IPP, est en cours d’actualisation et le taux définitif pourrait se rapprocher de celui de la France. En tout cas, le phénomène a été constaté à des ampleurs différentes chez nos voisins. L’implication budgétaire n’est pas identique en France et en Allemagne, de même que la situation budgétaire des deux pays diffère. Quoi qu’il en soit, vous déplorez une hausse des dépenses sociales de 60 milliards d’euros, mais vous n’avez pas répondu à la question que je vous ai posée à trois reprises : qu’est-ce qui, selon vous, a trop augmenté dans ces dépenses sociales ? Sans la revalorisation de leur pension, nos retraités auraient perçu en moyenne 3 500 euros en moins par an. J’aimerais bien savoir quelles sont les dépenses que vous visez.
M. David Amiel (EPR). Cet intéressant débat confirme enfin le diagnostic. Monsieur Coquerel, vous avez explicitement reconnu que le problème tient à la prévision des recettes et non au dérapage des dépenses. Monsieur Tanguy, vous avez implicitement reconnu que la hausse des dépenses publiques était imputable aux collectivités locales et aux dépenses sociales. Vous avez d’ailleurs donné le solde de toutes les administrations publiques et non pas celui de l’État qui, au cours de la période, a produit un effort historique de maîtrise de ses dépenses, comme montré par l’Insee et souligné par vous, monsieur Attal.
Pour ma part, j’aimerais vous interroger sur les modalités de cet ajustement budgétaire, sachant qu’une diminution des dépenses de l’État, telle que celle que vous avez réalisée en 2024, peut avoir des répercussions sur la croissance. Il faut éviter qu’une dynamique d’ajustement budgétaire en vienne à casser l’activité, à dégrader les recettes, donc le déficit public, en une sorte de course-poursuite à la baisse. Entre 2011 et 2013, nous avions observé ce type de spirale, la politique de rigueur ayant plombé la croissance et le déficit public. À l’époque, quelles étaient vos estimations des effets sur la croissance des mesures que vous vous apprêtiez à prendre ?
M. Gabriel Attal. L’une de nos boussoles était de réaliser des économies ayant le moins possible de répercussions négatives sur l’activité économique et l’emploi. L’amélioration des taux d’emploi et de croissance est en effet le meilleur levier pour équilibrer nos comptes : avec le taux d’emploi de nos voisins allemands, nous aurions beaucoup moins de difficultés à équilibrer nos comptes et notre déficit serait beaucoup plus proche des 3 %.
Lorsque j’ai pris ce fameux décret de 10,2 milliards d’euros d’annulations de crédit en cours d’année, j’avais cette préoccupation en tête. À cet égard, je peux vous citer des données indépendantes, transparentes et consultables par chacun, celles de l’Insee et de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).
En 2024, la croissance a tourné autour de 1,1 %, et elle a été positive tout au long des trois trimestres que j’ai passés à Matignon, ce qui n’était pas le cas dans les pays voisins, notamment en Allemagne. Au cours de ces mêmes trois trimestres, le chômage a baissé de 0,1 point. Entre janvier et septembre 2024, le taux d’emploi des seniors a augmenté de 1,6 point – il n’a jamais été aussi élevé –, la part des jeunes sans emploi ni formation a baissé de 0,5 point, le taux d’emploi en CDI a progressé de 0,6 point, le taux d’emploi à temps complet était au plus haut depuis qu’on le mesure, le taux de chômage de longue durée a baissé – 40 000 demandeurs d’emploi en moins. Pour citer un indicateur auquel vous êtes sensible, monsieur le président, j’indique que le halo du chômage a baissé de 64 000. Je pourrais aussi vous citer le nombre d’emplois créés.
Je constate que les mesures d’économie d’ampleur que j’ai eu à prendre en tant que premier ministre – notamment les 10 milliards d’euros d’annulation de crédits, les près de 17 milliards d’euros de surgel de crédits – n’ont pas eu d’impact négatif sur l’activité économique et sur l’emploi. Tant mieux ! C’est aussi pour cela que je me suis mobilisé avec vous et notre groupe pour limiter au maximum les mesures de fiscalité supplémentaires dans le budget pour 2025, le risque étant qu’elles aient un effet récessif sur l’activité économique et donc sur les rentrées fiscales.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je voudrais rappeler à mes collègues le principe de libre administration des collectivités territoriales Si le gouvernement constate en cours d’année que le déficit dérape, il n’a pas les moyens d’intervenir à moins que le Parlement ne vote un système de contrat ou équivalent dans le cadre du PLF. Vous confirmez que la task force parlementaire, que vous aviez impulsée, avait identifié environ 3 milliards d’euros de recettes supplémentaires qui auraient pu être intégrées dans la loi de finances pour 2025. Avez-vous une estimation de ce qu’aurait été le déficit si vous n’aviez pas pris les décisions dont vous nous avez dressé la liste ?
M. Gabriel Attal. Ces 20 milliards d’euros d’économies en moins correspondent à entre 0,7 et 1 point de déficit supplémentaire.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Vous avez donc été destinataire de la note du Trésor du 16 février annonçant que le déficit allait passer de 4,4 % à environ 5,7 %. Vous avez participé avec les ministres concernés à une réunion qui s’est tenue en présence du Président de la République. Que vous êtes-vous dit au cours de cette réunion ? Avez-vous validé l’intervention de Bruno Le Maire au journal télévisé de TF1 deux jours plus tard, où il a maintenu publiquement un objectif de déficit à 4,4 % ? Rappelons que vous avez dit au Sénat que vous aviez demandé que soit validée toute annonce budgétaire.
M. Gabriel Attal. Cette réunion ayant duré plus de deux heures, je pourrais vous en parler assez longtemps. Nous y avons partagé les informations dont nous disposions sur la diminution plus importante que prévu des recettes. Nous avons regardé quels étaient les leviers possibles pour nous y adapter et limiter au maximum notre déficit.
S’agissant de l’actualisation, je signale que le taux de 5,7 % est une estimation à politique inchangée, c’est-à-dire sans le décret d’annulation de crédits. D’où la révision à 5,1 % du déficit cible pour 2024 dans le programme de stabilité. Pourquoi Bruno Le Maire ne l’a-t-il pas annoncé immédiatement dans les deux jours qui ont suivi ? Parce que nous attendions l’exécution définitive du budget de 2023 qui intervient lors des publications de mars de l’Insee. Une révision des prévisions est un acte lourd dans la mesure où elle a des répercussions sur les marchés, la dette, l’économie. Avant d’ajuster, il fallait tenir compte de l’exécution définitive du budget de l’année précédente, qui est intervenue quelques semaines plus tard. Il faut aussi revoir tout le cadrage macroéconomique, ce que nous avons fait dans le programme de stabilité. La direction générale du Trésor a été mobilisée pendant des semaines pour faire tourner tous les modèles, afin que nous puissions adapter nos prévisions Ce n’est pas quelque chose que l’on fait tous les quatre matins.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Tout en la justifiant, vous reconnaissez donc que la prise de parole de Bruno Le Maire n’est pas transparente : il maintient publiquement un objectif de déficit qui ne peut être atteint avec les 10 milliards d’euros de coupes annoncées – il aurait fallu une mesure à 36 milliards d’euros pour passer de 5,7 % et 4,4 %.
M. Gabriel Attal. Non. Bruno Le Maire a redonné l’objectif du PLF pour 2024 en matière de déficit à un moment où nous n’avions pas de prévisions actualisées parce que les administrations étaient en train de refaire les comptes. C’est quelques semaines plus tard, dans le programme de stabilité, que la prévision a été actualisée. Bruno Le Maire a donné le dernier chiffre arrêté avec les services de Bercy concernant le déficit.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Ce que vous appelez quelques semaines plus tard, monsieur Attal, c’est deux mois : l’interview a eu lieu le 18 février, alors que le chiffre a été actualisé à 5,1 % le 17 avril. Pendant deux mois vous avez continué à affirmer aux Français, au gré des interventions télévisées, que le déficit demeurait inchangé. Or vous étiez conscient, à ce moment-là, d’avoir annoncé une mesure qui ne suffisait pas pour maintenir le déficit à ce niveau. Pourquoi, au cours de cette période, la Cour des comptes et la représentation nationale n’ont-elles pas été officiellement informées de la note du 16 février ?
M. Gabriel Attal. Dans l’intervalle, avant la présentation du programme de stabilité, j’ai eu l’occasion d’annoncer le décret d’annulation, le doublement des franchises médicales en mars, le lancement de la mission sur les nouvelles recettes et de la réforme de l’assurance chômage. On ne peut pas dire qu’il y a eu une forme d’inertie en matière budgétaire à ce moment-là.
Quitte à me répéter, je vous rappelle que le programme de stabilité est présenté tous les ans au mois d’avril. Pourquoi n’est-il pas possible d’annoncer officiellement une nouvelle cible ou prévision de déficit pour l’année en cours à la fin du mois de février 2024 ? Parce qu’il manque deux éléments : l’exécution définitive du budget 2023 qui intervient lors des publications de l’Insee à la fin du mois de mars ; le nouveau cadrage macroéconomique de la direction générale du Trésor, qui est arrivé au cours de ces semaines-là. Voici la manière dont choses se sont déroulées, en transparence.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Pendant toute cette période, alors que le déficit a fini par atteindre 6 % ou 6,1 %, vous n’avez pas jugé bon que la Cour du compte soit informée ou qu’il puisse y avoir un quelconque débat devant l’Assemblée nationale puisque vous aviez choisi de ne pas recourir à un PLFR – je n’ai d’ailleurs pas compris votre argument sur ce point. Vous avez pourtant reconnu un problème de recettes que la baisse de près de 11 milliards d’euros des dépenses de l’État ne suffirait pas à compenser.
M. Gabriel Attal. En tant que membre de la commission des finances, vous devez savoir que la Cour des comptes produit tous les ans un rapport sur l’exécution budgétaire de l’année précédente. En 2024 comme chaque année, elle l’a fait en s’appuyant sur les informations qui lui ont été communiquées par les ministères et notamment par Bercy. Des échanges et des communications d’informations ont évidemment eu lieu avec la Cour des comptes. S’agissant du Parlement, conformément à la Lolf, les présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat ont été informés du décret d’annulation par le gouvernement. En outre, j’ai répondu à toutes les questions que vous m’avez posées au cours de cette période dans le cadre de débats, des questions au gouvernement, des questions au premier ministre qui avaient alors lieu le mercredi.
M. le président Éric Coquerel. Bruno Le Maire ne nous a pas fait la même réponse que vous : il n’a pas nié qu’une alerte lui indiquait un déficit plus important que celui qu’il a annoncé à la télévision. Valider ce nouveau déficit aurait signifié qu’il renonçait en quelque sorte à atteindre le taux prévu, a-t-il expliqué. Or, de manière volontariste, il comptait sur les mesures rectificatives pour en rester au déficit de 4,4 %. Les notes du Trésor, même lorsqu’elles font état de craintes, ne devraient-elles pas être transmises au Haut Conseil des finances publiques (HCFP), à la Cour des comptes, voire au Parlement pour que nous soyons un peu à armes égales ? Lorsque le ministre dispose d’informations qu’il décide de ne pas communiquer, nous en sommes privés pour juger de la politique à mener.
M. Gabriel Attal. Je m’excuse si je n’ai pas été assez clair, mais je dis la même chose que Bruno Le Maire. S’il n’y avait pas eu d’alertes, je n’aurais pas pris le décret d’annulation à 10 milliards d’euros, augmenté les franchises médicales et annoncé des économies supplémentaires. Quand un ministre reçoit une alerte concernant un risque d’aggravation du déficit, il ne prend pas le taux redouté comme nouvelle cible à atteindre car il peut prendre des mesures tendant à redresser la situation. À la suite de ces alertes, nous avons travaillé pendant plusieurs semaines pour définir une nouvelle cible de déficit qui tiennent compte des mesures correctives et d’économies adoptées. Dans toutes les notes et alertes qui remontent, il est d’ailleurs précisé que les estimations sont faites « à politique inchangée ». Si elles devenaient la ligne des gouvernements, il n’y aurait plus de politique – je ne pense pas que c’est ce que vous souhaitez. La responsabilité des gouvernements et des politiques est précisément de prendre des mesures pour répondre aux alertes qu’ils reçoivent.
M. le président Éric Coquerel. Notre responsabilité est de contrôler la politique suivie. Or, je le répète, nous ne sommes pas à armes égales.
M. Nicolas Ray (DR). Pour justifier l’absence de PLFR, vous expliquez qu’un décret et un projet de loi de finances de fin de gestion étaient suffisants pour redresser la trajectoire et maintenir le déficit à 5,1 %. Or le déficit a finalement atteint 6,1 %. N’avez-vous pas sous-estimé en début d’année l’ampleur des mesures à prendre pour corriger le déficit, ce qui aurait nécessité le recours à un PLFR ?
M. Gabriel Attal. Le volume d’économies annoncées au printemps 2024 correspondait aux alertes reçues à ce moment-là sur la baisse des recettes : il fallait faire 20 milliards d’euros d’économies pour contenir le déficit à 5,1 %. Le 13 juillet, nous avons reçu de nouvelles alertes faisant état d’un écart de prévisions plus important. À ce moment-là, j’avais déjà présenté ma démission au Président de la République. Lorsque la note du 11 septembre est arrivée, je n’étais plus en fonction à Matignon. À ce stade, il paraissait difficile de tenir le taux de 5,1 %. En appliquant les mesures prévues, nous aurions pu contenir le déficit à environ 5,5 %.
M. Nicolas Ray (DR). Nous ne serons pas d’accord sur la suppression de la taxe d’habitation, réforme qui n’était pas souhaitable et qui a coûté 23 milliards d’euros par an. Selon nous, cette taxe n’était pas plus injuste que la taxe foncière, calculée sur la même assiette. N’avez-vous pas sous-estimé le financement de cette réforme d’ampleur ?
M. Gabriel Attal. Cette réforme a été lancée au début du premier quinquennat, à une époque où je siégeais parmi les députés. Elle a été assumée dans une politique globale incluant des mesures d’économies, telles que la suppression des contrats aidés en 2018, qui avaient suscité de virulents débats avec les collectivités locales et les associations. Entre 2017 et 2019, la taxe d’habitation a été supprimée pour 80 % des foyers. Au cours de la même période, le déficit a été réduit de quasiment 1 point. Le déficit a diminué alors que les Français gagnaient 1 200 euros par an en moyenne grâce à la suppression de cette taxe.
M. Nicolas Ray (DR). Êtes-vous favorable à l’idée soumettre les prévisions de croissance et les PLF à l’avis conforme du HCFP ?
M. Gabriel Attal. Les prévisions de croissance sont soumises à l’avis du HCFP. S’il me semble important que cet avis soit relayé et fasse l’objet de débats, je pense qu’un avis conforme serait une forme de désarmement du Parlement puisque ce sont les parlementaires qui adoptent le PLF. En tout cas, je constate que le HCFP a jugé « plausibles » la plupart des prévisions de croissance qui lui ont été soumises ces dernières années.
M. Jean-Didier Berger (DR). Vous avez parlé des questions de pilotage concernant le budget des collectivités. Dans le contrat qui pourrait lier l’État aux collectivités, ne pensez-vous pas qu’il faudrait améliorer la prévisibilité des mesures qui vont leur être imposées par l’État, d’une part, et des dépenses qu’elles vont effectuer selon le principe de libre administration, d’autre part ? Peut-être faudrait-il aussi les inciter à construire leur budget plutôt en décembre qu’en mars si nous voulons avoir des prévisions de dépenses réalistes ? Ne faudrait-il pas envisager un mécanisme identique pour le pilotage des dépenses de sécurité sociale ? Si c’était à refaire, feriez-vous différemment en matière de choix ou de communication ?
M. Gabriel Attal. Pour insister sur l’importance de la prévisibilité, j’ai donné l’exemple de la hausse du point d’indice, qui tombe d’en haut en cours d’année. Pour les collectivités locales en général et votre ville de Clamart en particulier, c’est le genre de mesures difficiles à assumer en cours d’année. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation pourrait s’emparer de l’idée d’avancer la date de publication des budgets et faire des propositions en ce sens, car c’est une piste de réflexion intéressante.
S’agissant de la sécurité sociale, je signale qu’il existe un comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie. Pendant la période de gestion des affaires courantes, quand mon gouvernement avait démissionné, il m’était interdit de prendre des mesures nouvelles. Deux de nos collègues ont d’ailleurs mené une mission flash pour contrôler les décisions prises et vérifier qu’elles respectaient les règles. Ils ont conclu que tel était le cas, ce qui est plutôt positif. J’avais demandé au secrétaire général du gouvernement (SGG) si je pouvais prendre des mesures de réduction du remboursement des indemnités journalières, afin de lutter contre la hausse des dépenses d’arrêt maladie. Il m’a répondu qu’étant démissionnaire, je ne le pouvais pas.
Que ferais-je différemment ? Nous pourrions en discuter longtemps. Je vous ai rappelé la chronologie des alertes et des décisions que j’ai prises en tant que premier ministre, avec Bruno Le Maire à mes côtés. J’ai l’impression d’avoir réagi au moment où je disposais des informations. Au cours de ces huit mois à Matignon, en tout cas des six mois hors de la phase de gestion des affaires courantes, nous avons consacré l’essentiel de nos efforts à la recherche d’économies supplémentaires. Peut-être n’ai-je pas encore le recul suffisant pour dire ce qu’il aurait fallu améliorer.
Mme Estelle Mercier (SOC). Le 9 juillet 2022, vous avez déclaré au journal Le Parisien : « Si on est capables depuis 2020 de réduire chaque année nos déficits, c’est grâce à l’activité économique très forte, liée à nos réformes, qui permet davantage de rentrées fiscales. » Votre incapacité à réduire le déficit depuis 2022, lequel a même dérapé, prouve-t-elle, a contrario, que vos réformes ont dégradé l’activité économique – le PIB français a crû de 0,9 % en 2023 et de 1,1 % en 2024 quand le PIB espagnol croissait de 3,2 % l’année dernière –, donc les rentrées fiscales ?
M. Gabriel Attal. J’ai déjà répondu à cette question tout à l’heure : le rapport de l’IGF et l’étude de l’IPP ont montré que le covid avait déréglé la structure de la croissance et que cette dernière était moins riche en recettes. En 2024, année où j’étais à Matignon, l’État a dépensé moins que l’année précédente, fait inédit depuis dix ans. Pour parvenir à ce résultat, j’ai notamment annulé 10 milliards d’euros de crédits en cours d’année. Voilà des faits.
Le poids des composantes de la croissance a également changé, celui de la consommation ayant diminué au profit de celui des exportations. Le produit de la TVA a ainsi chuté par rapport aux anticipations : ce phénomène s’est produit en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Quant à l’activité, la croissance de 1,1 % du PIB français en 2024 est nettement supérieure à celle du PIB allemand.
Mme Estelle Mercier (SOC). Ma question portait plutôt sur le manque à gagner en recettes, compris entre 60 milliards d’euros et 80 milliards d’euros par an, produit des réformes fiscales menées depuis 2017. Vous ne parlez que des dépenses mais, dans le solde budgétaire, les recettes comptent également. Avec le recul, ne pensez-vous pas que l’on puisse comprendre le dérapage du déficit et la situation budgétaire actuelle en se donnant la peine de réfléchir à la politique économique et fiscale conduite ces dernières années ? N’y a-t-il pas de droit d’inventaire ?
M. Gabriel Attal. On peut toujours procéder à un inventaire et regretter certaines décisions, mais souhaitez-vous rétablir la taxe d’habitation pour les Français ?
Mme Estelle Mercier (SOC). Le sujet n’est pas d’être pour ou contre la taxe d’habitation. En revanche, la suppression de ce prélèvement a fragilisé les territoires, les communes, l’investissement public et le lien démocratique entre les collectivités territoriales et leurs contribuables car seule la taxe foncière subsiste. La question ne se limite pas à la taxe d’habitation, elle porte sur la réforme du financement des collectivités locales.
M. Gabriel Attal. La relation entre les collectivités locales et leurs administrés ne se résume fort heureusement pas à la taxation ; les liens entre eux sont nombreux et vont bien au-delà de l’imposition. Je note que les socialistes ne se prononcent pas sur le rétablissement de la taxe d’habitation. Vous regrettez certaines baisses d’impôt décidées ces dernières années, alors que je les défends : j’assume que l’on ait rendu 1 200 euros par an aux classes moyennes en supprimant la taxe d’habitation. Ce manque à gagner pour les collectivités locales a d’ailleurs été compensé – s’il ne l’avait pas été, le coût aurait été nul pour les finances publiques. J’assume que l’on ait réduit le taux de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % et que l’on ait ainsi redonné de l’oxygène aux PME et aux ETI. Si vous n’êtes pas d’accord, allez voir les entreprises de votre circonscription et dites-leur que vous souhaitez augmenter leur IS. Ce débat est sain et démocratique, encore faut-il accepter que je ne défende pas la même ligne que la vôtre.
M. le président Éric Coquerel. Vous considérez que la politique menée n’a eu aucune incidence sur le montant des recettes de l’État ?
Mme Estelle Mercier (SOC). Quand vous ne savez pas quoi répondre, monsieur Attal, vous posez une autre question à votre interlocuteur pour changer de sujet.
M. Gabriel Attal. À quoi n’ai-je pas répondu ?
Mme Estelle Mercier (SOC). À tout !
Mme Christine Arrighi (EcoS). Comme les personnes précédemment auditionnées, rien ne semble vous faire changer d’avis. Vous conservez certaines obstinations : sur la dette, qui a crû de 1 300 milliards d’euros en sept ans, sur la baisse des cotisations sociales et des impôts, et sur l’augmentation des dividendes, dont le montant a établi de nouveaux records en 2023 et en 2024. Vous avez montré une grande constance dans la politique que vous avez menée contre les catégories de la population que je représente.
Comment avez-vous réagi à la déconvenue majeure qu’a évoquée Jérôme Fournel sur la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crim), dont le rendement a atteint 600 millions d’euros et non 12 milliards d’euros ? Vous étiez ministre des comptes publics puis premier ministre, qu’avez-vous fait ?
M. Gabriel Attal. Je suis député et, contrairement à vous, je représente toutes les catégories de Français et tous les électeurs de ma circonscription.
Vous me reprochez de ne pas avoir beaucoup changé d’avis : nous nous côtoyons depuis quelques années et vos positions sur la politique du gouvernement ne m’ont pas semblé beaucoup évoluer non plus.
Plusieurs rapports ont expliqué le moindre rendement de la Crim par la baisse de l’inflation, laquelle a diminué le montant des superprofits prévu par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) sur lequel les services de Bercy s’étaient fondés pour élaborer le dispositif.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Vous n’avez pas répondu à la question : qu’avez-vous fait pour réformer ce prélèvement ?
M. Gabriel Attal. Nous avons élaboré une nouvelle Crim, dont nous avons changé le nom. Nous avons confié une mission à plusieurs parlementaires, dont Jean-René Cazeneuve, pour définir une nouvelle assiette. Nous avons réajusté les prévisions de rendement à la baisse et conçu un nouveau dispositif technique, que nous n’avons malheureusement pas pu faire adopter même si l’amendement a été présenté – on peut le consulter sur le site de l’Assemblée nationale.
Mme Christine Arrighi (EcoS). J’ai pris connaissance de l’amendement, qui prévoit un rendement à peine supérieur à celui du précédent mécanisme. Vous n’aviez manifestement pas envie de déployer un dispositif capable de générer le produit initialement prévu.
Qu’avez-vous fait lorsque vous avez constaté que les sociétés d’autoroute n’acquittaient pas la taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance (TEITLD) et ne payaient pas, depuis 2020, la taxe d’aménagement du territoire (TAT) ?
M. Gabriel Attal. L’amendement n’a en effet pas eu le même rendement que la Crim, tout simplement parce qu’il n’a pas été adopté. Il me semble que le rendement du dispositif qu’il promouvait aurait été supérieur à celui de la Crim.
Je peux vous assurer que les services de Bercy mettent tout en œuvre pour recouvrer l’intégralité des sommes dues par l’ensemble des contribuables, personnes physiques comme morales. Des procédures judiciaires sont en cours avec les sociétés d’autoroute, dans lesquelles l’État leur demande d’acquitter certaines taxes. Nous devons attendre l’issue de ces contentieux.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Lesquels ne sont pas suspensifs.
Au fil des auditions, nous touchons du doigt les causes de l’écart entre les prévisions très optimistes et la réalité constatée les années précédentes. Après la commission mixte paritaire sur le PLF 2025, un amendement a été déposé sur l’article 41 : « Dès que le gouvernement a eu connaissance des nouvelles prévisions macroéconomiques, il a souhaité réviser les hypothèses sous-jacentes de ce texte. […] En conséquence, les recettes totales nettes de l’État sont en diminution de 3,6 milliards d’euros par rapport au texte issu de la CMP. » Par rapport au PLF pour 2025 présenté en octobre, la baisse dépasse 8 milliards d’euros. Que pensez-vous de cet amendement déposé par le gouvernement que vous soutenez ? Après les écarts de 2023 et 2024, vous n’avez rien fait pour améliorer les prévisions, comme le montrent les nouvelles erreurs que met en lumière cet amendement.
M. Gabriel Attal. Je vais sans doute vous décevoir, mais je ne suis plus membre du gouvernement. C’est ce dernier qu’il faut interroger sur un amendement qu’il aurait déposé postérieurement à la CMP. J’ai les mêmes informations que vous : le gouvernement a annoncé qu’il revoyait ses prévisions, parce que des événements géopolitiques et économiques se sont produits entre le renversement, délétère pour l’économie française, du gouvernement de Michel Barnier auquel vous avez procédé et la discussion du PLF 2025 au début de cette année. Il me semble de bonne politique que le gouvernement adapte ses prévisions, notamment pour intégrer la facture de la censure que vous avez soutenue au détriment de nos concitoyens.
Mme Sophie Mette (Dem). Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a évoqué en décembre dernier l’écart entre les prévisions fiscales et budgétaires et la réalité en France l’année dernière. Il en appelle à un contrôle accru du HCFP sur les prévisions : cet organisme devrait, selon lui, jouer le rôle de tiers de confiance entre les hauts fonctionnaires qui analysent la situation et le ministre, selon la logique anglo-saxonne de comply or explain – appliquer ou expliquer – qui oblige à faire état de son désaccord avec les chiffres de l’administration, cette dernière devant alors retenir les chiffres du HCFP ou expliquer son refus de les prendre en compte.
Pensez-vous, comme M. Moscovici, que cette méthode aurait permis de mieux prendre en compte les alertes lancées en 2023 et en 2024 ? Plus généralement, estimez-vous que cette façon de faire soit la bonne ? Dans une démocratie représentative, la marge de manœuvre des élus est clairement identifiée, mais ce principe la limiterait : approuvez-vous une telle perspective au nom de l’efficacité ou la rejetez-vous ?
M. Gabriel Attal. Je souhaite accroître la transparence et le contrôle de l’action de l’exécutif dans le domaine budgétaire. En revanche, il ne me semble pas que cette évolution passe par un rôle accru du HCFP. C’est le poids du Parlement qu’il convient de renforcer. Sauf erreur de ma part, les membres du HCFP ne sont pas élus, contrairement aux parlementaires. Le Parlement devrait bénéficier de davantage de moyens d’évaluation et de contrôle de l’exécutif, dans la sphère budgétaire comme dans d’autres domaines de l’action publique. Au-delà des moyens, il serait opportun d’accroître le nombre d’informations transmises au Parlement, notamment sur les prévisions budgétaires.
L’actualisation à la baisse d’une prévision de croissance a un impact immédiat sur les marchés et sur l’activité économique et un impact potentiel sur les entreprises et l’emploi. Il ne faut pas actualiser les prévisions à la moindre alerte, afin de protéger l’économie et les entreprises. On regretterait d’avoir modifié une prévision à la suite d’une alerte qui ne s’est finalement pas concrétisée, car une telle décision peut faire des dégâts.
M. le président Éric Coquerel. Je suis au moins d’accord avec votre souhait d’accroître les moyens de l’Assemblée.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Vous nous avez très bien éclairés sur votre action de ministre des comptes publics puis à la tête du gouvernement, marquée par le souci de préserver l’équilibre des finances publiques dans un contexte contraint. Votre expérience est assez exceptionnelle, car vous avez exercé vos fonctions pendant une période courte mais inédite.
Le Parlement n’a pas la capacité d’analyser les évolutions de la conjoncture et des finances publiques en temps réel. Quelles leçons tirez-vous de la période très particulière allant de juin 2022 à 2024 ? Quelle autonomie aviez-vous par rapport au Président de la République ?
M. Gabriel Attal. S’agissant du fonctionnement de l’exécutif, la Constitution dispose que c’est le premier ministre qui prend les décisions. Ce n’est pas le Président de la République qui peut décider de présenter un projet de loi de finances rectificative (PLFR) ou qui arbitre les mesures contenues dans un PLF. Bien entendu, le premier ministre échange régulièrement avec le Président de la République, surtout lorsqu’ils appartiennent à la même famille politique. Je ne préconise aucun changement institutionnel dans ce domaine.
Il conviendrait en revanche d’assurer un échange d’informations plus fréquent entre le gouvernement et le Parlement, mais dans des conditions de confidentialité à même de protéger l’économie et les entreprises. Le président de la commission des finances et le rapporteur général du budget peuvent toujours effectuer un contrôle sur pièces à Bercy, mais il est préférable de ne pas en arriver à une telle procédure en prévoyant des échanges d’informations plus réguliers.
M. François Jolivet (HOR). Avez-vous trouvé au ministère des comptes publics des outils modernes d’information sur le recouvrement mensuel des impôts ?
M. Gabriel Attal. Oui. Les services de Bercy continuent de moderniser leurs outils. Ainsi, les données des cartes bancaires sont désormais disponibles presque en temps réel, ce qui permet d’affiner les prévisions de recettes. Des progrès ont été effectués pendant le covid : la direction générale du Trésor est parvenue à mobiliser des données dites de haute fréquence sur la consommation d’électricité, les données, anonymes bien entendu, de cartes bancaires, et les indicateurs de mobilité, pour évaluer rapidement l’impact de la crise sanitaire sur l’activité. Nous pouvons nous appuyer sur ces outils pour affiner les prévisions.
M. François Jolivet (HOR). Vous avez décidé de ne pas présenter de PLFR au Parlement, mais jugeriez-vous opportun que la Lolf contraigne le gouvernement à en présenter un en cas de dérapage constaté avec les présidents des commissions des finances et les rapporteurs généraux de l’Assemblée et du Sénat ? Si oui, à partir de quel écart entre la prévision et la réalité ?
M. Gabriel Attal. La question tient moins au dérapage qu’au volume d’économies que l’on souhaite réaliser. La Lolf autorise le gouvernement à annuler environ 12 milliards d’euros de crédits par décret ; au-delà de ce montant, un PLFR est nécessaire. Avec 10 milliards d’euros de crédits annulés, j’ai presque atteint le plafond autorisé, lequel me semble bien calibré. Il est important que le gouvernement puisse prendre rapidement des décisions, notamment pour envoyer des signaux à ceux qui financent la dette ; or prendre un décret est bien plus rapide que faire adopter un PLFR.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Dans le projet de loi de finances pour 2024, l’estimation du produit de l’IS était de 72 milliards d’euros, alors que le rendement n’avait atteint que 57 milliards d’euros en 2023 et que le taux de l’impôt était stable. Son produit ne progressera d’ailleurs que de 1 milliard d’euros en 2024. Comment expliquez-vous cet écart de 14 milliards d’euros entre la prévision et la réalité ? Pourquoi avoir retenu le chiffre de 72 milliards d’euros dans le PLF ?
M. Gabriel Attal. Je ne peux pas vous répondre, car j’étais ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse au moment de l’élaboration et de la présentation du PLF pour 2024 : je n’ai donc pas participé aux arbitrages ayant présidé à sa conception.
L’IS est un impôt très volatil. J’ai dit tout à l’heure que le résultat avait pu être inférieur à la prévision à cause du choix d’imputer sur le résultat de 2023 certains déficits attendus l’année suivante par les entreprises.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Un premier ministre peut tout de même demander des explications. Pourquoi avoir estimé le rendement de l’IS à 72 milliards d’euros ? Rien n’indiquait que le bénéfice des entreprises allait exploser de la sorte en 2024 !
M. Gabriel Attal. Je ne suis responsable que des décisions que j’ai prises. Le ministre de l’économie et des finances, le ministre chargé du budget et le premier ministre sont responsables du PLF : je n’occupais aucune de ces positions lorsque le PLF pour 2024 a été présenté. J’apprécierais peu que des premiers ministres qui m’ont précédé ou succédé commentent les choix que j’ai effectués lorsque j’étais à Matignon : chacun est comptable de ses décisions.
En février 2024, j’ai reçu une note alertant sur la distorsion entre la prévision des recettes et celles effectivement perçues et sur le niveau trop élevé de l’élasticité retenu dans le PLF pour 2024. J’ai décidé, choix salué à l’époque, de réduire l’estimation de l’élasticité de 1,1 à 0,8.
M. Charles de Courson, rapporteur général. On peut se poser des questions sur les décisions de votre prédécesseur, même si vous en êtes solidaire.
M. Gabriel Attal. Je le suis en effet.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Dans le PLF pour 2024, le produit de la TVA est estimé à 220 milliards d’euros contre 208 milliards d’euros en 2023 – l’exécution a fait apparaître un rendement légèrement inférieur à 212 milliards d’euros, soit un écart par rapport à la prévision comprise entre 8 milliards et 10 milliards d’euros. Ne pensez-vous pas que l’hypothèse d’une reprise de la consommation par une ponction de l’épargne était erronée ?
M. Gabriel Attal. Je fais pleinement confiance aux services de Bercy qui soumettent au gouvernement leurs prévisions de croissance et de recettes fiscales. Je ne remettrai pas en cause leurs estimations. Je vous ferai la même réponse que pour l’IS : je ne peux que défendre les choix que j’ai effectués en tant que premier ministre, par exemple la révision à la baisse, opérée dans le programme de stabilité, de certaines prévisions de recettes pour 2024. J’ai pris cette décision parce que j’ai reçu, après mon arrivée à Matignon, une note des services de Bercy m’alertant de la chute des recettes à la fin de l’année 2023 et de la poursuite de cette trajectoire en 2024. Le HCFP a qualifié cette décision, au moment de la présentation du programme de stabilité, de « raisonnable ».
M. Charles de Courson, rapporteur général. Les membres du gouvernement sont responsables de leur administration et non l’inverse. Les ministres et le premier ministre ne sont pas obligés de retenir les chiffres de leurs services.
Dans le PLF pour 2024, le produit de l’impôt sur le revenu (IR) était estimé à 93,4 milliards d’euros contre 88,6 milliards d’euros en exécution en 2023 et 88 milliards d’euros l’année suivante. Là encore, la surestimation de la croissance implicite des revenus ne vous a-t-elle pas inquiété ?
M. Gabriel Attal. Vous m’interrogez une nouvelle fois sur un PLF qui a été présenté à un moment où j’étais ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Il serait inquiétant que je donne des leçons sur un projet de budget que je n’ai pas arbitré.
Il y a bien eu un écart entre les prévisions et la réalisation sur le montant des recettes perçues en 2024. C’est l’un des mérites de cette audition : tout le monde a reconnu que les dépenses de l’État avaient baissé en 2024 par rapport à 2023. Il n’y a pas eu de dérapage des dépenses en 2024 ; en revanche, les recettes ont été moins élevées que prévu. L’IGF et l’IPP, à qui nous pouvons faire confiance, ont remis des rapports apportant des réponses sur les causes de ces résultats.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Trouvez-vous normal que le ministre chargé de l’économie communique directement avec le Président de la République et se contente de faire, quand il a le temps, une copie des échanges au premier ministre ?
M. Gabriel Attal. Ce constat ne concerne pas que le ministre chargé de l’économie. L’important est que la communication soit conjointement adressée au Président de la République et au premier ministre. Néanmoins, il est vrai que de tels circuits peuvent poser question. Je n’ai pas beaucoup d’exemples en tête, car si des notes n’ont été envoyées qu’au Président de la République, je n’en ai pas eu connaissance. J’ai parfois reçu des notes à destination du Président de la République sur lesquelles était inscrite la mention « Copie au premier ministre » : de tels documents ne me semblent pas respecter nos institutions, notamment la qualité de chef du gouvernement du premier ministre. Certaines déclarations reflètent la même attitude : on s’y habitue !
M. Charles de Courson, rapporteur général. Après avoir reçu une copie d’une note adressée au Président de la République, vous n’avez jamais rappelé au ministre concerné le circuit normal de communication, lequel repose sur le fait que le premier ministre est responsable de l’ensemble du gouvernement ?
M. Gabriel Attal. Si, parce que je voyais les principaux ministres en tête-à-tête presque toutes les semaines, au pire tous les quinze jours, pour faire un point sur l’ensemble des dossiers. Je recevais directement les informations à l’occasion de ces échanges très réguliers. Qu’un ministre décide de transmettre également ces éléments au Président de la République par écrit car il le voit moins souvent, en mettant le premier ministre en copie, n’est pas totalement conforme aux usages des institutions mais n’est pas si choquant, à condition que le travail s’effectue directement entre le ministre et le premier ministre.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vos réponses sur le PLF pour 2024 sont étonnantes, car les décrochages entre les prévisions et la réalité ont commencé dès 2023. Certes, contrairement à 2024, l’écart n’avait pas atteint 41 milliards d’euros, mais il était loin d’être négligeable et il reflétait un début de dérapage. Pourquoi n’avez-vous pas interrogé les ministres chargés de l’économie et du budget sur la crédibilité de leurs hypothèses ? L’écart s’est produit deux années de suite et il a augmenté entre 2023 et 2024 : M. Le Maire et son homologue chargé du budget se sont défaussés sur les services, mais le premier ministre est responsable donc il doit intervenir, n’est-ce pas ?
M. Gabriel Attal. C’est exactement ce que j’ai fait au moment de ma nomination à Matignon. Lorsque je suis devenu premier ministre, j’ai été alerté sur la baisse des recettes en 2023, principalement à la fin de l’année : j’en ai immédiatement fait part aux ministres concernés, avec lesquels j’ai confié une mission à l’IGF pour identifier les causes de l’écart entre les prévisions et la réalité constatée.
Je ne me défausse jamais sur qui que ce soit et certainement pas sur l’administration. J’ai agi à chaque alerte reçue sur la baisse des recettes en essayant de diminuer les dépenses pour réduire au maximum le déficit.
M. le président Éric Coquerel. Je suis assez d’accord avec les propos de Pierre Moscovici sur l’influence de l’hubris des responsables politiques sur les administrations qui travaillent pour eux. Cela fait deux fois que vous nous renvoyez au rapport de l’IGF sur les causes de l’écart entre les prévisions de recettes et les résultats effectifs, mais, quel que soit le respect dû à ce corps, c’est à la commission d’enquête de préciser l’enchaînement des faits.
M. Gérault Verny (UDR). J’ai l’impression de perdre mon temps. Chacune des personnes auditionnées nous explique qu’elle n’y est pour rien, que tout va bien. Je vais vous poser des questions très simples, et j’en attends autant de vos réponses.
Entre avril 2022 et septembre 2024, quelle a été l’évolution de la dette publique en France ?
M. Gabriel Attal. Vous pouvez me soumettre à un quiz, mais même les grands spécialistes des finances publiques qui m’accompagnent, membres de l’administration, ne connaissent pas tous les chiffres par cœur !
M. Gérault Verny (UDR). Moi, je le connais.
M. Gabriel Attal. Évidemment, puisque vous avez préparé votre question ! Il y a derrière moi l’ancien directeur général du Trésor et l’ancien conseiller chargé des finances publiques, chef de pôle à Matignon, et eux-mêmes ne connaissent pas tous les chiffres par cœur, mois par mois. Ils m’indiquent qu’entre début 2023 et mi-2024, la dette est restée stable à 112 % du PIB.
M. Gérault Verny (UDR). C’est un pourcentage. Pouvez-vous m’indiquer l’évolution de la dette publique entre avril 2022 et septembre 2024 en valeur ? Ce n’est pas une question rhétorique : quand on a été ministre chargé des comptes publics puis premier ministre, la moindre des choses est de savoir de combien la France s’est appauvrie pendant cette période ! En l’occurrence, de 326 milliards d’euros.
Y a-t-il eu une autre période que ces sept ans de socialisme macroniste pendant laquelle la dette s’est autant aggravée ?
M. Gabriel Attal. Il peut arriver que les esprits s’échauffent mais, jusqu’à présent, nous avons tous fait montre de respect les uns envers les autres. Si cela vous fait plaisir de m’entendre vous répondre que je ne sais pas, de tête, l’augmentation en valeur de la dette entre mai 2023 et décembre 2024, pour vous exclamer ensuite que c’est un scandale, continuez ; mais je ne rentrerai pas dans votre jeu.
Quant à votre deuxième question, il y a bien eu des périodes où la dette a augmenté de manière plus importante, comme sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy – + 24 points de PIB de dette en cinq ans.
M. Gérault Verny (UDR). Contrairement à ce que vous laissez entendre, ce n’était pas une question rhétorique. Et en guise de respect, vous avez systématiquement contourné les questions qui vous ont été posées, quand vous n’avez pas tout simplement refusé de répondre, comme à Charles de Courson ! Et quand vous vous y êtes finalement appliqué, votre réponse était erronée : si les recettes liées à l’IS ont été moins importantes que prévu, c’est que vous aviez tablé sur une hausse de 30 % de l’IS, donc de la richesse produite en France – une hypothèse complètement farfelue !
Monsieur Attal, pourriez-vous au moins m’écouter quand je vous parle, plutôt que de parler à vos conseillers ?
M. Gabriel Attal. Bien sûr ; je sais faire deux choses en même temps.
M. Gérault Verny (UDR). J’en veux pour preuve votre bilan : 326 milliards d’euros de dette supplémentaires ! Félicitations.
Je ne poserai pas d’autre question puisque, de toute façon, vous n’y répondez pas.
M. le président Éric Coquerel. Comme Bruno Le Maire vous estimez, monsieur Attal, que la mère des batailles était de réduire le déficit. Pourtant, alors que, fin 2023, vous prévoyiez un déficit de 4,4 % pour 2024, ce dernier a finalement atteint 6,1 %. Considérez-vous que votre politique économique a été une réussite ?
M. Gabriel Attal. L’aggravation du déficit n’est pas liée à un dérapage des dépenses de l’État, mais à de moindres recettes – vous l’avez d’ailleurs vous-même reconnu. Celles-ci sont-elles la conséquence de notre politique fiscale en faveur de l’économie, de la croissance et de l’emploi, qui nous a conduits à baisser certains impôts ? Non – mais vous avez le droit de ne pas être d’accord.
M. le président Éric Coquerel. Je reformule ma question – car je ne pense pas qu’il y ait eu dissimulation, je pense simplement que votre politique économique s’est plantée. L’objectif de la loi de programmation était de ramener le déficit sous les 3 % en 2027. À deux ans de cette échéance, et alors que vos prévisions tablaient sur 4,4 % de déficit pour 2024, il atteint désormais 6,1 %. C’est donc bel et bien un échec, y compris au regard de vos propres objectifs : pensez-vous que ce soit le résultat de votre politique économique ?
M. Gabriel Attal. La France n’est pas coupée du monde : les crises que nous avons traversées ont évidemment eu des conséquences sur nos budgets.
Entre mi-2017 et mi-2024, le taux d’activité a augmenté de 8,5 points en France, contre 3,8 en Allemagne et 6,8 en Italie ; 2,5 millions d’emplois ont été créés, dont 130 000 dans l’industrie : tout cela est très positif pour notre économie et pour les Français. Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais je suis convaincu que la politique de l’offre que nous avons menée n’explique pas la chute brutale des recettes en 2024.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Matthias Renault (RN). Vous avez été ministre chargé des comptes publics jusqu’au 20 juillet 2023 : de fait, le seul budget dont vous ayez suivi l’ensemble de la préparation est le PLF pour 2023.
Mi-juillet 2022, les premières prévisions de croissance et d’inflation sont transmises par le Trésor dans le cadre du budget économique d’été ; au moment du dépôt du projet de loi de finances pour 2023, de nouvelles projections sont transmises. Y avait-il une différence entre les prévisions techniques et les hypothèses retenues dans le PLF – cela arrive couramment, car les hypothèses retenues par le gouvernement traduisent aussi des choix politiques ?
M. Gabriel Attal. C’est effectivement courant, mais je n’ai pas souvenir d’écart substantiel, et les équipes qui m’accompagnaient alors non plus.
Il s’écoule environ deux mois entre le budget économique d’été et la présentation du PLF : de mémoire, nous avons retenu, dans le PLF pour 2023, les hypothèses les plus proches du consensus des prévisionnistes, s’agissant notamment de la croissance. Au reste, nous étions finalement assez proches de la réalité, puisque le taux de croissance a atteint 0,9 %, et nous avions tablé sur 1 %.
M. Matthias Renault (RN). Vous avez quitté vos fonctions le 20 juillet 2023. Avez-vous tout de même eu connaissance du budget économique d’été ?
M. Gabriel Attal. Une note de Bruno Le Maire du 11 juillet 2023 a bien été remontée à mon cabinet, mais je n’en ai pas eu connaissance personnellement.
M. Matthias Renault (RN). Contenait-elle une alerte sur le niveau de déficit pour 2023 ?
M. Gabriel Attal. Oui : le déficit était estimé à 5,2 % au lieu de 4,9 % initialement prévus – mais rien qui ne pouvait être corrigé en cours d’année.
M. Matthias Renault (RN). La première alerte date donc de juillet 2023, et non d’octobre.
M. Gabriel Attal. On me confirme que l’administration a fait parvenir tous ces documents aux rapporteurs.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Après deux années de dérapage entre les prévisions et les recettes réelles, ce qui a déjà de quoi interroger, voilà que les prévisions pour cette année se sont, une fois encore, révélées inexactes, comme le prouve l’amendement déposé par le gouvernement entre la CMP et le 49.3, et que vous semblez découvrir.
Or ces prévisions relèvent soit de la compétence des administrations – et nos auditions me donnent à penser qu’elle n’est pas à remettre en question –, soit de la responsabilité du gouvernement. En tant que premier ministre, à partir de quelles prévisions avez-vous construit les lettres de cadrage envoyées à l’ensemble des ministres en juillet 2024 ? Quel correctif y avez-vous apporté pour éviter qu’elles pèchent par optimisme, comme les années précédentes ? Cette année encore, les recettes seront inférieures de 8 milliards d’euros à ce qui était prévu.
M. Gabriel Attal. Les lettres plafonds ne fixent que des cibles en dépenses, pas de prévisions de recettes ou d’hypothèses de croissance.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Mais vous fixez bien le plafond de dépenses en fonction de l’objectif de déficit et des recettes que vous espérez obtenir, ou je n’y comprends vraiment plus rien !
M. Gabriel Attal. J’ai préparé ces lettres en tant que premier ministre démissionnaire d’un gouvernement réduit à la gestion des affaires courantes. Malgré cette situation, nous avons choisi de lancer la procédure budgétaire en envoyant les lettres plafonds, afin que mon successeur n’ait pas à partir de zéro – et cela nous a d’ailleurs été reproché à l’époque, y compris par votre groupe. Maintenant, vous m’accusez de ne pas avoir été suffisamment précis : dont acte.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Je regrette surtout que nous n’ayons jamais pu obtenir ces fameuses lettres plafonds ! Nous avons fini par les découvrir par la presse.
M. Gabriel Attal. Quoi qu’il en soit, pour ne pas préempter les choix politiques du futur gouvernement, j’ai voulu un budget dit réversible. Nous avons donc construit ce que l’on appelle un budget à base zéro, qui reconduisait les plafonds de dépenses de l’année précédente. Cela n’avait donc, je le répète, rien à voir avec des prévisions de recettes, l’objectif en matière de déficit ou des hypothèses de croissance.
M. le président Éric Coquerel. Comme quoi : il suffirait d’inscrire les cibles des lettres plafonds dans la loi spéciale et nous aurions un budget, au fond !
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Vous avez assuré que le choix de ne pas déposer de PLFR n’était pas lié aux élections européennes, et que vous vous étiez simplement appuyés sur les dispositions de la Lolf – qui prévoyait, heureux hasard, des plafonds d’annulation de crédits parfaitement adaptés à la situation malgré un déficit historique – pour rétablir les finances publiques sans effort supplémentaire.
À quel moment estimez-vous que les marges de manœuvre offertes par la Lolf seront suffisantes – ce qui n’a finalement pas été le cas – et qu’il n’est pas utile de déposer un PLFR ?
M. Gabriel Attal. La Lolf ne fixe que le volume maximal d’économies pouvant être décidées par décret ; il ne s’exprime pas en valeur mais en pourcentage – en l’espèce, 1,5 % des crédits.
Au regard des informations dont on disposait alors sur le niveau de recettes, il fallait réaliser 20 milliards d’euros d’économies pour maintenir le déficit sous la barre des 5,1 %. En vertu de la Lolf, nous avons donc annulé immédiatement 10 milliards d’euros de crédits par décret. Pour les 10 milliards d’euros restants, nous pouvions soit recourir à un PLFR soit nous appuyer sur le projet de loi de finances de fin de gestion et dégager des recettes supplémentaires en prévoyant des mesures rétroactives dans le PLF pour 2025 – c’est cette dernière option que nous avons choisie. Comme l’a expliqué Bruno Le Maire, déposer un PLFR aurait eu le mérite d’ouvrir le débat sur les finances publiques : c’était un argument politique, et le choix n’avait aucune incidence sur le volume d’économies à réaliser : il s’agissait simplement de savoir par quel vecteur passer.
M. Philippe Brun (SOC). Il est clair, depuis le début des auditions, que l’essentiel du problème réside dans les moindres recettes, donc dans le taux d’élasticité. Or, contrairement au taux de croissance, on n’en parle jamais alors qu’il a un impact considérable sur la sincérité des comptes, car il peut expliquer les décalages d’exécution que nous avons connus. Au demeurant je n’ai toujours pas compris comment ce taux était choisi, ni s’il faisait l’objet d’un arbitrage politique et, le cas échéant, à quel niveau – ministre du budget ? Premier ministre ? En outre, l’élasticité des recettes au PIB peut-elle être remise en cause par certaines institutions ? Au fond, voilà ce que la commission d’enquête cherche à établir.
M. Gabriel Attal. D’une certaine façon, le ministre des finances rend un arbitrage en fixant le cadre macroéconomique qui guide la construction du projet de loi de finances. Pour ce faire, il s’appuie sur les prévisions de croissance et d’élasticité fournies par la direction générale du Trésor.
Par définition, le ministre chargé des comptes publics en a connaissance, puisqu’il présente le PLF, mais il n’intervient pas : c’est une compétence technique, qui relève du Trésor. Ces dernières années, une tendance de long terme s’est dessinée, avec une élasticité établie autour de 1 : c’est un écart drastique de la tendance qui alerte le ministre.
M. Philippe Brun (SOC). Même dans cette commission, à la sortie du rapport du HCFP, on peut passer des heures à débattre de la justesse des prévisions en matière de croissance ou d’inflation, sans jamais aborder celle du taux d’élasticité, qui a pourtant des conséquences budgétaires tout aussi importantes. C’est d’ailleurs un instrument dont l’administration use si elle veut gonfler un peu le budget, sans prévoir de recettes ou d’économies supplémentaires, car personne ne s’y intéresse, contrairement au taux de croissance et au taux d’inflation, qu’elle a plutôt tendance à sous-estimer pour rassurer.
Me confirmez-vous que le cabinet du ministre des comptes publics ne remet pas en cause les hypothèses proposées par l’administration ?
M. Gabriel Attal. Je vous le confirme. En revanche, dans le cadre de son avis, le HCFP évalue bien les arbitrages du gouvernement en matière d’élasticité. En tant que premier ministre j’ai décidé, avec Bruno Le Maire, d’abaisser de 1,1 à 0,8 le niveau d’élasticité dans le programme de stabilité, conformément aux recommandations formulées par la direction générale du Trésor. Le HCFP a indiqué qu’il s’agissait d’une hypothèse raisonnable de retour progressif à une élasticité unitaire des recettes – 0,4 en 2023, 0,8 en 2024, 0,9 en 2025 et 1 à partir de 2026.
Je vous remercie d’avoir souligné que c’est bien la faible élasticité des recettes à la croissance anticipée qui explique la baisse des recettes constatée en 2023 et 2024, donc le dérapage du déficit.
M. le président Éric Coquerel. Le secrétaire général de la présidence de la République était-il présent lors de la réunion qui s’est tenue à l’Élysée le 13 février 2024 ? Je rappelle que vous répondez sous serment.
M. Gabriel Attal. Je n’ai plus en tête la liste des participants, mais je serais étonné qu’il ne l’ait pas été.
M. le président Éric Coquerel. Sachant que la DGF n’est pas indexée sur l’inflation et connaissant la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), ne pensez-vous pas que vous avez surestimé la capacité des collectivités locales à diminuer leurs dépenses de fonctionnement de 0,5 % ? Était-ce une cible raisonnable ?
M. Gabriel Attal. Elle avait été fixée dans le programme de stabilité, avant d’être inscrite dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. À l’époque, les associations d’élus nous avaient indiqué que les collectivités locales étaient capables d’atteindre cette cible en maîtrisant leurs dépenses de fonctionnement, sans avoir à recourir à un cadre contraignant.
M. le président Éric Coquerel. Pensez-vous que la dissolution a un rapport avec les résultats économiques qui venaient de tomber ?
M. Gabriel Attal. Comme je l’ai dit tout à l’heure au rapporteur Ciotti, je ne sais pas quelles motivations ont conduit à la dissolution, mais je ne pense pas que les résultats économiques en faisaient partie. D’ailleurs, comme l’a montré la censure, cette dissolution a elle-même généré une instabilité politique à l’origine de plusieurs des difficultés économiques et budgétaires actuelles.
M. le président Éric Coquerel. C’est un fait : le chômage remonte, le nombre de défaillances d’entreprise augmente, le PIB a reculé au quatrième trimestre 2024 et le pouvoir d’achat des salariés a baissé. Pensez-vous que ce soit la conséquence de votre politique économique ?
M. Gabriel Attal. Je pense que c’est la conséquence des hausses de fiscalité décidées ces derniers mois : avec l’annonce de l’augmentation des charges et de l’instauration de surtaxes – notamment sur l’impôt sur les sociétés –, certaines entreprises anticipent l’augmentation du coût du travail, ce qui a malheureusement un impact sur l’activité économique, donc sur l’emploi.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous avez justifié vos politiques et défendu vos résultats – et c’est bien normal, même si chacun est libre de les contester. Mais il est des faits tout à fait objectifs : les comparaisons internationales.
En dehors de la crise des gilets jaunes, apparue en réaction à la hausse massive du coût des carburants – une crise qui doit largement aux politiques menées par les précédents gouvernements, sur des bases erronées –, tous les pays ont vécu la crise sanitaire. Pourtant, il existe un écart très important entre les résultats économiques de la France et ceux de ses partenaires européens. Nous avons le niveau de prélèvements obligatoires et de dépense publique le plus élevé de l’Union européenne, et pourtant nous avons un taux de chômage, un coût du travail et des impôts de production beaucoup plus élevés que la moyenne européenne. Entre 2017 et aujourd’hui, notre PIB par habitant s’est effondré et la place économique de la France a été reléguée à la vingt-septième position mondiale. À contexte international certes perturbé, mais égal pour tous les pays européens, nous avons les plus mauvais résultats. Comment expliquez-vous cet écart ?
M. Gabriel Attal. Toute ma jeunesse, j’ai entendu que le chômage de masse et la désindustrialisation étaient des fatalités. Pourtant, aujourd’hui, nous avons le taux de chômage le plus bas depuis quarante ans – en particulier chez les jeunes –, et le taux d’emploi le plus haut jamais mesuré. Depuis cinq ans, on compte plus d’ouvertures d’usines que de fermetures et davantage d’emplois industriels créés que détruits : certes, nous n’avons pas effacé en quelques mois trente ans de désindustrialisation, mais nous avons amorcé un changement. D’ailleurs, pour la cinquième année consécutive, la France est considérée comme le pays le plus attractif d’Europe pour les investissements étrangers par les baromètres internationaux indépendants : ce n’est pas un hasard !
Tout n’est pas parfait, et il y a encore du chemin à parcourir. Je suis de ceux qui considèrent qu’il n’est pas acceptable de s’abstenir de toute réforme supplémentaire d’ici à 2027 : les États-Unis de Donald Trump et la Chine ne nous attendront pas, et même nos partenaires allemands, une fois les élections passées, investiront massivement dans le soutien à l’innovation, l’intelligence artificielle, et tous les secteurs susceptibles d’améliorer la croissance. Plutôt que d’ajouter encore des impôts et des taxes, je forme le vœu qu’au cours des deux prochaines années, on travaille à des réformes courageuses et des mesures de soutien à l’activité économique. Cela passe par la formation et des investissements dans les services publics.
M. Éric Ciotti, rapporteur. La baisse du chômage est incontestable – et je m’en réjouis –, mais elle est aussi incontestablement beaucoup moins importante que dans la plupart des pays européens. Quant à la part des emplois industriels dans l’emploi, elle a reculé de 1 point en trois ans, pour tomber à 10 % – et cet effondrement ne ralentit pas, hélas. En Allemagne ou en Italie, cette part est presque deux fois plus élevée. Comment expliquer cette différence ?
M. Gabriel Attal. Pas moins de 2,5 millions d’emplois ont été créés depuis 2017 : cette augmentation concerne peut-être davantage d’autres secteurs que l’industrie, mais je répète que depuis cinq ans, il y a davantage d’emplois industriels créés que détruits.
Comme vous le savez, monsieur le rapporteur, la plupart de nos voisins européens ont engagé depuis parfois plus de vingt ans des réformes que nous n’avons amorcées qu’à partir de 2017 : cela explique que leur économie soit plus rapide et que le chômage y baisse plus vite.
M. le président Éric Coquerel. Je confirme les chiffres d’Éric Ciotti : la part de l’emploi industriel dans l’emploi n’a augmenté que de 0,1 % depuis 2017 – en somme, elle a stagné.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). J’essaie simplement de comprendre les chaînes de commandement et de décisions, et la psychologie qui les sous-tend. Vous avez exercé les plus hautes responsabilités de l’État – j’insiste sur cette notion de responsabilité : à partir de quel niveau de déficit et de dérapage estimez-vous qu’un responsable politique doit quitter ses fonctions de son propre chef ? C’est une question sincère. Les comptes publics ne se portent pas bien, le budget ne tient pas la route, ce qu’on propose à Bruxelles, c’est du pipeau – personnellement, je m’en fiche, mais je sais que vous y tenez, vous qui êtes pro-Europe –, et pourtant, vous ne pensez pas à partir de vous-même.
M. Gabriel Attal. Tant que vous pensez avoir les moyens d’agir, vous restez. Dès mon arrivée à Matignon, de premières alertes m’ont été remontées sur la chute brutale de nos recettes et, dès février 2024, avec mon gouvernement, nous avons pris des décisions difficiles, courageuses aussi, pour ajuster nos dépenses en conséquence. Toutes ces décisions d’économie, votre groupe les a combattues : c’est votre droit le plus entier. À aucun moment je n’ai eu le sentiment de ne plus pouvoir prendre les décisions que je jugeais nécessaires pour faire face à la chute brutale des recettes. En quittant Matignon, j’avais d’ailleurs réduit de 17 milliards d’euros le déficit de l’État par rapport à l’année précédente.
Plutôt que de me demander si je dois partir, je cherche toujours comment agir ; j’ai agi jusqu’à ce qu’on décide de me faire partir, et j’assume les décisions que j’ai prises.
M. le président Éric Coquerel. En somme, vous considérez que tout le problème réside dans la baisse des recettes, et non pas dans la hausse des dépenses publiques. Pourtant, le budget se concentre uniquement sur la diminution des dépenses publiques, sans chercher de recettes supplémentaires : cela me laisse rêveur sur les résultats à en attendre ! Pour ma part je ne vois toujours pas comment on réglera les choses en jouant sur le niveau des dépenses puisque le problème, ce sont les recettes.
M. Gabriel Attal. Nous avons évidemment cherché de nouvelles recettes aussi : nous espérions tirer 3 milliards d’euros de la taxe sur les superprofits des énergéticiens et de la taxe sur les rachats d’action. Cette dernière mesure a été reprise par le gouvernement suivant.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur Attal, je vous remercie.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 4 février 2025 à 16 heures 30
Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Philippe Brun, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Benjamin Dirx, M. Emmanuel Fouquart, M. Christian Girard, M. Pierre Henriet, M. François Jolivet, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Jérôme Legavre, M. Thierry Liger, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Denis Masséglia, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Nicolas Metzdorf, M. Jacques Oberti, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Emeric Salmon, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, M. Mickaël Bouloux, M. Thomas Cazenave, M. Jean-Paul Mattei, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou
Assistait également à la réunion. - M. Fabien Di Filippo