Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

  Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches (n° 930) (Mme Eva Sas, rapporteure)              2

  Audition de Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 581100 du 17 novembre 1958)               3

  Information relative à la commission................36

  Présence en réunion...........................37


Jeudi
20 février 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 087

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La Commission procède à l’examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches (n° 930) (Mme Eva Sas, rapporteure)

Le tableau ci-après récapitule ses décisions

 

N° Amdt

 

Place

 

Auteur

 

Groupe

 

Position de la commission

 

CF00001

unique

M. TANGUY Jean-Philippe

RN

Repoussé

45

unique

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

1

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

2

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

3

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

4

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

5

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

6

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

7

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

8

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

9

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

10

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

11

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

13

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

14

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

15

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

16

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

17

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

18

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

19

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

20

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

21

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

22

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

23

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

24

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

25

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

26

unique

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

27

Titre

M. DI FILIPPO Fabien

DR

Repoussé

28

unique

M. LE COQ Aurélien

LFI-NFP

Repoussé

55

unique

M. CAZENEUVE Jean-René

EPR

Repoussé

36

unique

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

37

unique

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

38

unique

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

39

unique

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

40

unique

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

41

unique

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

42

unique

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

44

unique

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

46

Titre

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

49

Titre

M. SITZENSTUHL Charles

EPR

Repoussé

56

Titre

M. BOUCARD Ian

DR

Repoussé

53

unique

M. LEFÈVRE Mathieu

EPR

Repoussé

54

unique

M. SITZENSTUHL Charles

EPR

Repoussé

 

La Commission procède ensuite à l’audition de Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 581100 du 17 novembre 1958)

M. le président Éric Coquerel. La présente audition se tient dans le cadre de nos travaux pour « étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 », pour lesquels notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête. Cette audition obéit ainsi au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

De façon générale, le bureau de la commission a décidé que ces auditions seraient publiques. Les deux rapporteurs de l’enquête, MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, ont élaboré un questionnaire écrit, qui a été communiqué à la personne auditionnée et qui vous a également été transmis. Dans un premier temps, après avoir fait prêter serment à la personne auditionnée puis avoir écouté son propos liminaire, moi-même ainsi que les rapporteurs poserons des questions. Les commissaires appartenant aux différents groupes pourront également poser des questions ensuite, pour une durée ne devant pas excéder deux minutes. Le président et les rapporteurs pourront, s’ils l’estiment nécessaire, procéder à des relances.

Notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement audiovisuel sera ensuite disponible à la demande.

Madame Élisabeth Borne, vous avez été première ministre du 16 mai 2022 au 9 janvier 2024. Je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Élisabeth Borne prête serment.)

 

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Vous avez souhaité m'auditionner dans le cadre de cette commission d'enquête, afin d'analyser les écarts de prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024. Comme dans le cadre de la mission flash du Sénat, je m'exprimerai uniquement sur les actions que j'ai menées pendant les vingt mois que j'ai passés à Matignon, de mai 2022 à début janvier 2024, dans un contexte inédit de majorité relative. Je ne reviendrai pas sur les éléments et méthodes de construction des hypothèses de recettes détaillées dans le rapport de l'Inspection générale des finances de juillet 2024. Vous avez également déjà auditionné les services ainsi que les ministres de l'économie et des comptes publics concernés par cette période.

Pendant ces vingt mois, le Parlement a adopté près d'une centaine de textes, dont deux budgets, ceux de 2023 et 2024, ainsi que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, que mes gouvernements ont préparés.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, de la crise énergétique et du retour de l’inflation à un niveau inédit depuis plusieurs décennies, mon gouvernement a présenté dès l'été 2022 deux textes d'urgence sur le pouvoir d'achat. La volonté de protéger nos concitoyens était partagée par l'ensemble du Parlement, ce qui a conduit à accroître le coût de certaines mesures – la remise sur le carburant a notamment été portée de 18 à 30 centimes par litre.

Entre 2021 et 2024, ces différentes mesures de soutien ont coûté 85 milliards d'euros. Néanmoins, les budgets préparés par mes gouvernements traduisaient la volonté de ramener le déficit sous la barre des 3 % en 2027 et de réduire la dette dès 2026. Ces budgets intégraient également les engagements du président de la République, notamment le renforcement des moyens des armées, des forces de sécurité intérieure et de la justice, inscrit dans trois lois de programmation dédiées.

Dans un contexte de majorité relative, j'ai dû m'impliquer personnellement pour contenir la surenchère des dépenses proposées par certains groupes parlementaires dans ces domaines. Dans le même temps, j'ai œuvré à la maîtrise des finances publiques au travers de réformes structurelles, telles que la réforme de l'assurance chômage, dans le prolongement de celle que j'ai conduite comme ministre du travail ; l'accompagnement renforcé des bénéficiaires du RSA, avec la création de France Travail et la réforme des retraites, nécessaire malgré son impopularité. Ces réformes généreront une économie de 30 milliards d'euros d'ici à 2030. Elles étaient indispensables mais, faute de majorité, j'ai dû engager la responsabilité du gouvernement pour faire adopter la réforme des retraites.

Dès le début de 2023 j'ai demandé à chaque ministre de proposer des économies de 5 % sur les dépenses de son ministère, hors masse salariale, pour préparer le budget pour 2024. J’ai également défendu la nécessité d'une maîtrise des dépenses publiques lors des assises des finances publiques en juin 2023, en mettant en avant les leviers nécessaires pour réduire les déficits et contenir la dette : le renforcement de notre potentiel de croissance ; les réformes structurelles ; la lutte contre les fraudes sociales et fiscales – grâce au plan présenté par Gabriel Attal, alors ministre des comptes publics – et l'évaluation de l'efficacité des politiques publiques.

Dès le printemps 2023, j'ai lancé des revues de dépenses pour identifier des marges de manœuvre supplémentaires. Cet exercice s'inscrit désormais dans la loi de programmation des finances publiques, qui prévoit une évaluation annuelle des politiques publiques. C’est un levier clé pour améliorer leur efficacité tout en générant des économies structurelles. De façon inédite, j'ai réuni personnellement tous les ministres pour leur fixer des objectifs clairs en matière de finances publiques. J’ai également adressé un courrier au premier président de la Cour des comptes ainsi qu'aux présidents et rapporteurs généraux de l'Assemblée nationale et du Sénat pour recueillir leurs recommandations en matière de revue de dépenses. Ces missions ont prouvé leur utilité et ont été reprises par mes successeurs pour préparer le budget pour 2025, notamment les revues sur les indemnités journalières, les emplois francs ou encore la trésorerie des opérateurs de l'État.

Ces travaux ont permis de construire des budgets avec une hypothèse de déficit de 5 % pour 2023 et de 4,4 % pour 2024, fondées sur les prévisions du ministère de l'économie et des finances. Dans un contexte de majorité relative, j'ai dû engager dix fois la responsabilité de mon gouvernement sur ces budgets, en résistant aux pressions pour augmenter certaines dépenses et en écartant de nombreuses propositions coûteuses.

Malheureusement, comme vous, je constate que les prévisions de recettes ont été largement erronées en 2023 comme en 2024. Pour sécuriser l'exécution des dépenses de l'État en 2023, j'ai signé le décret du 18 septembre 2023, annulant 5 milliards d'euros de crédits de paiement et 4,8 milliards d'euros d’engagement. Les dépenses ont ainsi été maîtrisées cette année-là.

À la mi-décembre 2023, le ministre de l'économie m'a alerté sur les interrogations des services concernant les recettes de 2023 sans que nous disposions encore d'une évaluation précise de l'ampleur du risque. Cette alerte est intervenue après la promulgation de la loi de finances de fin de gestion, le 30 novembre 2023, après le 49.3 pour la lecture définitive du PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) pour 2024 et quelques heures avant le déclenchement de l'article 49.3 sur la nouvelle lecture du projet de loi de finances. Elle a néanmoins conduit à préparer l’arrêté augmentant la TICFE (taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité) au 1er février 2024, générant une recette nouvelle de près de 5 milliards d'euros, en complément de la hausse de TICGN (taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel). Elle a également conduit à préparer l'annulation de 10 milliards d'euros de crédit au début de 2024 décidée par mon successeur.

Durant ces vingt mois à Matignon, j'ai veillé à anticiper et à instaurer toutes les mesures nécessaires, en conciliant responsabilité budgétaire et nécessité d'adaptation aux incertitudes économiques. À partir du 9 janvier, je n'étais plus en fonction et je ne peux donc pas vous apporter davantage d'éclairage sur la suite. Je me tiens naturellement à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le président Éric Coquerel. Ma première question porte sur la chronologie des alertes qui vous ont été transmises lorsque vous étiez première ministre. Le 11 juillet 2023, dans le cadre d’une communication sur le budget économique d’été aux ministres chargés de l’économie et du budget, le Trésor émet une première alerte sur la baisse de recettes en 2023. Après une actualisation de la prévision de déficit à 4,9 % dans le programme de stabilité 2023-2027, cette note évoque une dégradation de 0,3 point de PIB, soit déjà la moitié du chemin jusqu’au taux de 5,5 % de déficit finalement constaté en 2023. Puis viennent à partir du 30 octobre 2023 des notes sur un fort risque de dégradation des recettes. Enfin, le 7 décembre, une note du Trésor fournit une première estimation du déficit pour 2023 à 5,2 % du PIB. Je comprends de vos réponses données au Sénat que vous n’aviez pas eu connaissance de cette dernière note. Est-ce exact ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Vous mentionnez des notes du Trésor et d’autres administrations du ministère de l’économie, dont certaines émettent des alertes dès le mois de juillet. Puisqu’il s’agit de notes internes au ministère, naturellement, elles ne m’ont pas été communiquées.

En revanche, j’ai reçu l’avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) du 27 octobre 2023, qui estimait que la prévision du gouvernement d’un solde public pour 2023 de 4,9 points de PIB, « inchangée par rapport à l’estimation associée au PLF (projet de loi de finances) pour 2024, [était] plausible. » et que « les risques qui subsist[ai]ent pour la fin de l’année, tant sur la prévision des dépenses que sur celle des recettes, sembl[ai]ent relativement équilibrés »

M. le président Éric Coquerel. Je vous fais grâce d’autres extraits de cet avis, qui sont moins optimistes, et témoignent d’incertitudes et de doutes.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je cite la synthèse du document. Les incertitudes sont inévitables.

M. le président Éric Coquerel. Si je comprends bien, vous avez dû attendre de lire le 15 décembre la note que vous ont adressé les ministres de Bercy le 13 décembre pour avoir connaissance de la situation des finances publiques. N’avez-vous été informée à aucun moment du risque d’une perte de recettes, pourtant identifié dès juillet ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. En tant que première ministre, je n’avais pas vocation à prendre connaissance des notes internes au ministère de l’économie et des finances. En revanche, les avis du HCFP ont donné lieu, comme c’est normal, à des échanges avec le ministre de l’économie et des finances et le ministre des comptes publics. Je viens de vous donner la teneur du dernier avis du HCFP pour 2023.

M. le président Éric Coquerel. Le risque d’une perte de recettes, identifié de manière si évidente, constituait tout de même une information suffisamment importante pour qu’elle vous soit transmise. Je note que selon vous, cela n’a pas été le cas.

Toujours dans le courrier du 13 décembre 2023, les ministres chargés de l’économie et du budget proposent de « partager largement le caractère critique de notre situation budgétaire » dans l’opinion publique. On le sait, l’information n’a finalement été rendue publique que le 26 mars 2024. Pourquoi pas plus tôt ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. La note qui m’a été adressée le 13 décembre et dont j’ai pris connaissance le 15 décembre suggère de partager l'information sur le risque de dégradation des finances publiques. Tant les représentants des services que vous avez auditionnés, notamment la directrice du budget, que les ministres ont dû vous indiquer qu’à ce moment-là, si les services du ministère de l’économie et des finances identifiaient un risque, ils n’étaient pas en mesure de le quantifier. On voit mal comment il aurait été possible de communiquer auprès du grand public concernant un risque sur les recettes sans pouvoir l’évaluer.

Alors que je n’étais plus aux responsabilités, le ministre de l’économie a communiqué sur la situation des finances publiques dès que ces éléments ont été clarifiés et il a pris les mesures sur lesquelles nous avions travaillé en amont.

M. le président Éric Coquerel. La note adressée par Bruno Le Maire au président de la République le 6 avril 2024 nous donne des indices sur les raisons pour lesquelles la perspective de moindres recettes n’a pas été rendue publique.

Dans cette note, le ministre déclare vouloir « éviter de présenter une cible trop peu ambitieuse », soit un déficit supérieur à 5 % en 2024, de crainte d’être « immédiatement sanctionné par une dégradation de notre notation par les principales agences de notation ». C’est ainsi qu’il justifie de « ne pas avoir partagé largement le caractère critique de notre situation budgétaire ».

La question du maintien d’un objectif de déficit ambitieux – autrement dit irréaliste – pour 2024 s’est-elle posée entre le 15 décembre 2023 et votre départ de Matignon ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Le 15 décembre, la loi de finances de fin de gestion avait déjà été promulguée – elle l’a été le 30 novembre 2023 –, le PLFSS était déjà adopté et nous étions à quelques heures du dernier 49.3 sur le projet de loi de finances pour 2024. Comme les services, les ministres auditionnés et moi-même l’avons indiqué, à ce moment, nous ne disposions d’aucune évaluation de la révision des recettes.

Le ministre de l’économie et moi-même avons pris des mesures pour nous assurer de recettes supplémentaires – notamment un arrêté augmentant le produit de la TICFE de 5 milliards d’euros, en complément de la hausse de la TICGN déjà prévue dans le projet de loi de finances pour 2024. Par ailleurs, nous avons documenté 10 milliards d’euros d’économies, qui ont donné lieu à un décret d’annulation de crédits au début du mois de janvier, alors que je n’étais plus aux responsabilités.

M. le président Éric Coquerel. Ce n’était pas ma question. M. Le Maire indique qu’il n’a pas révisé à la hausse l’objectif public de déficit en 2024 pour éviter une dégradation de la note de la dette française. Cette préoccupation de M. Le Maire n’est-elle pas remontée à Matignon ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Entre le moment où le ministre de l’économie m’a alertée sur le risque de moindres recettes et mon départ de Matignon, le 9 janvier, les services n’étaient pas en mesure d’évaluer l’ampleur de la révision nécessaire. Comme ils vous l’ont indiqué, ils ont dû réévaluer les recettes à plusieurs reprises.

Nous nous sommes attachés à utiliser les leviers d’action immédiatement à notre disposition, en contenant les dépenses dans un décret d’annulation de crédits et en permettant des recettes supplémentaires – l’arrêté du 25 janvier 2024 du ministère de l’économie, entré en application le 1er février de la même année, a ainsi permis 5 millions de recettes supplémentaires.

M. le président Éric Coquerel. Des informations indiquaient que le déficit serait plus élevé que prévu. Bruno Le Maire ne vous a-t-il pas fait part des préoccupations évoquées dans sa note ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je n’ai pas à me prononcer sur des notes rédigées après mon départ de Matignon, et fondées sur des réflexions postérieures à celui-ci.

M. le président Éric Coquerel. Je note en tout cas qu’alors que vous étiez à Matignon, vous n’avez pas décidé de réviser les objectifs de croissance et les prévisions de déficit.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. À la mi-décembre, à quelques heures du dernier 49.3 sur le projet de loi de finances pour 2024, alors que le PLFSS était déjà adopté et la loi de finances de fin de gestion déjà promulguée, j’ai été alertée des interrogations des services du ministère de l’économie sur les recettes. Personne n’était alors en mesure de quantifier la diminution des recettes pour 2024, comme les services et les ministres que vous avez auditionnés vous l’ont indiqué. Il n’était donc pas possible de discuter de nouvelles hypothèses de déficit, faute d’éléments suffisants.

M. le président Éric Coquerel. Dans ce courrier du 13 décembre, les ministres vous proposent de « vous préparer à annuler, début 2024, tout ou partie des 10 milliards de crédits mis en réserve dans la loi de finances 2024, possiblement en parallèle de [leur] communication sur le déficit de l’État pour 2023 ». Ainsi, pendant le débat budgétaire, à la veille d’un 49.3, il était déjà prévu d’annuler 10 milliards de crédits mis en réserve, c’est-à-dire de modifier la teneur du PLF, mais les députés n’ont pas été prévenus. Trouvez-vous cela normal ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Vingt-quatre heures après avoir reçu la note des ministres, il n’était évidemment pas question de déterminer le contenu d’un décret d’annulation qui ne serait potentiellement pris qu’en janvier.

La note indique seulement qu’au vu de l’incertitude des services sur le montant des recettes, il faut se préparer à annuler 10 milliards d’euros de crédits. À ce moment-là, nous ne disposions pas des éléments nécessaires pour communiquer sur l’ampleur du risque et donc avoir un échange éclairé avec les députés, comme vous l’ont indiqué les services et les ministres auditionnés. Nous disposions seulement d’hypothèses de recettes. Nous n’avions pas d’éléments solides et nous ne pouvions donc pas planifier de mesures pour respecter l’objectif de déficit inscrit dans le projet de loi de finances pour 2024.

M. le président Éric Coquerel. Une note indique qu’il faut se préparer à annuler au début de 2024 tout ou partie des 10 milliards de crédits mis en réserve dans le projet de loi de finances pour 2024, en pleine discussion budgétaire, alors que vous vous apprêtez à recourir au 49.3. Du point de vue du Parlement, il ne semble pas normal qu’une information aussi importante ne soit pas transmise aux députés à ce moment-là, car elle aurait pu influer sur leur décision, et qu’elle ne soit transmise à la commission des finances que deux mois plus tard.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je ne sais pas si le fait que le gouvernement puisse se préparer à annuler 10 milliards de crédits mis en réserve, c’est-à-dire non affectés à des dépenses, est une information que les députés auraient pu entendre au moment où, en tant que première ministre, j’engage la responsabilité du gouvernement, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Vous savez que ce ne sont pas des moments de débat entre le gouvernement et le Parlement.

M. le président Éric Coquerel. Nous sommes en désaccord total. Vous saviez déjà avant le 49.3 que 10 milliards de crédits du projet de loi de finances allaient être annulés et vous jugez normal de ne pas avoir communiqué cette information aux députés.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Cette note ne contenait pas d’information certaine. Elle indiquait simplement la nécessité de se préparer à piloter l’exécution du budget pour 2024 en tenant compte du montant des recettes effectives, quand il sera connu.

M. le président Éric Coquerel. Les mots exacts de la note sont : « vous préparer à annuler, début 2024, tout ou partie des 10 milliards de crédits mis en réserve dans la loi de finances ».

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. La note demande également de « piloter l’exécution budgétaire 2024 ». Elle ne délivre pas d’information, mais invite à la précaution.

M. le président Éric Coquerel. Les députés auraient dû disposer de cette information dans le cadre de la discussion budgétaire. Mais peut-être que j’accorde trop d’importance au contrôle budgétaire.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Nous pourrions revenir sur la manière d’améliorer l’information des ministres, du premier ou de la première ministre et du Parlement. Mais est-ce un 16 décembre, alors que le premier ministre engage la responsabilité du gouvernement, qu’il faut revenir avec les parlementaires sur les risques et les interrogations soulevées par les services ? Ce n’est pas la façon dont j’ai vécu l’engagement de la responsabilité du gouvernement.

M. le président Éric Coquerel. Selon Gabriel Attal, l’aggravation du déficit était liée non pas à un dérapage des dépenses de l’État, mais à de moindres recettes. Vous avez défendu la même position. Pourquoi alors n’avoir proposé aucune réelle mesure pour accroître les recettes, à l’exception de l’augmentation de la fiscalité énergétique ?

L’augmentation de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel était déjà prévue dans le projet de budget pour 2024, avant que le problème de recettes ne soit constaté, et les recettes attendues de l’augmentation de la TICFE, au début de 2024, n’étaient pas de nature à combler la perte de recettes. Si j’ai bien compris, à aucun moment, les ministres ne vous ont proposé d’augmenter les recettes à la hauteur de leur baisse.

La fin de l’année 2023, qui montrait selon moi l’échec des baisses d’impôts n’aurait-elle pas dû provoquer un revirement de votre politique ? Vous avez fortement diminué les recettes cette année-là, puis avez constaté un problème de recettes ; cela peut interroger. Avez-vous mené une réflexion sur ce point ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. La période entre le 15 décembre et la fin de l’année laisse assez peu de temps pour une telle réflexion.

M. le président Éric Coquerel. Je souhaite savoir si vous vous interrogez sur le plan politique.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Un passage du rapport de l’IGF est intéressant. Il y est écrit que « les écarts signalés par les administrations en novembre puis en décembre 2023 ne justifiaient pas le dépôt d’un amendement et la révision du scénario de finances publiques pour 2023 et 2024, l’ampleur de ces écarts était toutefois sous-estimée ».

Vous avez eu de longs échanges assez techniques avec les services sur le fait que le lien entre la croissance et les recettes s’était éloigné considérablement des normes habituellement retenues. Le fameux coefficient d’élasticité se situe généralement à 1. En l’occurrence, il a été de 1,6 en 2022 et de 0,4 en 2023.

Vous avez estimé qu’une autre politique fiscale serait souhaitable pour le pays. Je considère pour ma part que les services devraient manifestement conduire des travaux afin de savoir pourquoi les coefficients d’élasticité peuvent varier dans de telles proportions d’une année sur l’autre, alors qu’ils sont traditionnellement stables. Il s’agit de pouvoir mieux anticiper ces situations et mieux en informer le Parlement.

M. le président Éric Coquerel. Lorsque vous étiez première ministre, l’élasticité a aussi conduit à des recettes supérieures aux prévisions. Quelle était votre analyse sur ce phénomène ? Estimiez-vous qu’il s’agissait d’un résultat de votre politique ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Matignon n’est pas un organisme d’expertise.

M. le président Éric Coquerel. Mais vous prenez des décisions politiques.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Lorsque les recettes ont été plus importantes que ce qui était attendu en 2022, nous nous sommes dit que c’était grâce à la baisse des taux d’imposition. Nous avions pris cette décision politique car nous considérions que trop taxer finirait par faire perdre des recettes et que baisser les taux permettrait au contraire d’en avoir davantage.

M. le président Éric Coquerel. Vous ne vous dites à aucun moment que c’est plutôt le rebond de l’activité après le covid qui a conduit à davantage de recettes fiscales et qu’avec le retour « à la normale » en 2023 et en 2024, l’effet des baisses d’impôts se fait sentir ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je rappelle que le budget 2023 a été construit sur l’hypothèse d’un coefficient d’élasticité de 0,6. Les services avaient donc déjà estimé qu’il fallait être prudent après avoir enregistré des rendements des recettes plus importants que d’habitude pour une croissance donnée. Le risque d’un effet de balancier l’année suivante était pris en compte. Malheureusement, il ne l’a pas été à la hauteur de ce qui s’avérera être la réalité.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Notre commission d’enquête est destinée à faire la lumière sur la situation inédite observée en 2023 et en 2024, avec des écarts extrêmement conséquents entre les prévisions et les réalisations budgétaires.

Le cœur de nos travaux concerne le fonctionnement même des institutions, afin de connaître les causes de ce fiasco budgétaire majeur. Un écart de 50 milliards en matière de déficits publics, ce n’est pas rien – et cela a des conséquences pour nos concitoyens.

Rétrospectivement, quel regard portez-vous sur cette situation ? Traduit-elle un dysfonctionnement de l’État ? Est-ce un dysfonctionnement politique lié à l’articulation entre le ministère de l’économie, Matignon et l’Élysée ? Ou bien s’agit-il seulement d’erreurs techniques dues à des mauvaises prévisions ? Vous avez en effet beaucoup mentionné l’évolution de l’élasticité des recettes.

Je me souviens d’une conversation que nous avions eue quelques jours après votre retour à l’Assemblée nationale, alors que vous aviez quitté Matignon. Vous m’aviez fait part de votre surprise par rapport à l’ampleur des écarts qui étaient publiés par la presse.

Estimez-vous qu’il y a un problème ? Si oui, quelles en sont les causes selon vous ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Quand on assiste à une telle dégradation du déficit, il y a naturellement un problème.

Comme vous, j’ai lu le rapport de l’IGF – qui a été publié alors que je n’étais plus au gouvernement. Pour avoir été première ministre en 2023, je continue à estimer qu’il y a un dysfonctionnement quand on prend conscience aussi tardivement des écarts par rapport aux prévisions en matière de recettes.

Il est nécessaire de mettre en place un suivi de ces dernières. Je ne doute pas que c’est quelque chose de compliqué, notamment s’agissant de l’IS. Le calendrier de ses acomptes peut rendre difficile le suivi de l’exécution par rapport aux prévisions qui figurent dans la loi de finances. Mais j’ai un peu plus de mal à comprendre quelles sont les difficultés lorsqu’il s’agit de la TVA.

Être alerté mi-décembre d’un manque de recettes de plus de 20 milliards est un problème – sachant que cette somme résulte de l’accumulation d’écarts tout au long de l’année pour certains impôts.

Le rapport de l’IGF pointe notamment le fait qu’avant le covid, des réunions régulières avaient lieu entre les services pour suivre l’évolution des encaissements. Ces réunions ont été suspendues pendant la pandémie et n’ont pas été organisées de nouveau depuis lors. Il serait sans aucun doute nécessaire de mettre en place un meilleur suivi des rentrées fiscales, chaque mois ou chaque trimestre, afin de pouvoir prendre les décisions nécessaires s’il s’avère que celles-ci ne correspondent pas à ce qui était anticipé.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Est-il possible d’améliorer la manière dont est prise la décision politique ?

Il y a eu des alertes et des notes – nous y reviendrons. La réaction politique a-t-elle été à la hauteur ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je ne peux pas me prononcer sur la base de notes dont je n’ai pas eu connaissance.

Dans son rapport de juillet 2024, l’IGF a estimé que, compte tenu des incertitudes entourant l’évaluation des recettes, les écarts signalés par les administrations en novembre et en décembre 2023 ne justifiaient pas le dépôt d’un amendement et la révision du scénario de finances publiques pour 2023 et 2024. Ce rapport indique aussi que l’ampleur des écarts était sous-estimée.

Le nœud du problème réside dans le fait que les recettes ont été mal évaluées jusqu’en décembre 2023. Pour bien exécuter les lois de finances votées, il faut fiabiliser les évaluations des recettes perçues en cours d’exercice afin de ne pas constater à la fin de l’année qu’en réalité les écarts sont très importants. C’est un sujet dont il faut absolument se saisir.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Une note de la direction générale du Trésor du 11 juillet 2023 alerte sur une augmentation des déficits publics et indique qu’ils pourraient atteindre 5,2 % en 2023.

Vous n’en avez-vous pas eu connaissance ? J’ai du mal à croire qu’elle n’ait pas au moins été adressée à votre cabinet. De fait, elle n’a pas conduit à des corrections dans le cadre de la préparation du PLF et du PLFSS pour 2024.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. En tant que première ministre, je ne me plonge pas dans la production des notes de la direction générale du Trésor. J’ai des ministres chargés de l’économie, des finances et des comptes publics.

Le 27 octobre 2023, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) – dont le rôle est d’éclairer le gouvernement sur le réalisme des prévisions de finances publiques – estime que « la prévision du gouvernement d’un solde public pour 2023 de 4,9 points de PIB, elle aussi inchangée par rapport à l’estimation associée au PLF pour 2024, est plausible. »

Au-delà de toutes les notes qui peuvent être produites par les uns et les autres, les avis du HCFP font forcément l’objet d’un échange entre les ministres de l’économie, des comptes publics et le premier ministre. L’avis rendu à la fin d’octobre 2023 était rassurant sur le fait que le déficit prévu pour 2023 était plausible.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous l’avez répété et j’entends bien.

Le HCFP n’est cependant pas placé sous votre autorité C’est une instance indépendante et des propositions ont été faites pour lui conférer plus de pouvoirs dans la définition des prévisions macroéconomiques – mais c’est un autre sujet.

En revanche, vous avez autorité sur les ministres, lesquels sont les supérieurs hiérarchiques de leurs directions générales. J’ose imaginer qu’il y a une réaction lorsque la direction générale du Trésor, chargée des prévisions macroéconomiques, émet une alerte aussi grave.

Je veux bien entendre que vous n’avez pas eu cette note de la direction générale du Trésor, mais le ministre de l’économie en a forcément été destinataire, de même que votre conseiller budgétaire. Cela a dû susciter une réaction qui est remontée à votre directeur de cabinet et à vous-même.

On s’étonne que cette note n’ait pas de répercussion et ne se traduise pas par une modification du PLF pour 2024.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Vous aurez relevé que cette note du ministre de l’économie date de la mi-décembre. Je n’ai pas été alertée auparavant.

J’imagine que Bruno Le Maire vous a expliqué comment il avait tenu compte des notes antérieures de ses services et pourquoi il m’a remonté l’alerte qu’il avait lui-même reçue le 7 décembre.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous avons naturellement interrogé le ministre sur sa note du 13 décembre, qui nous paraît très tardive.

Vous avez employé le terme de dysfonctionnement – et nous pouvons tous partager votre sentiment. La remise tardive de cette note traduit-elle un dysfonctionnement dans la relation entre la première ministre et le ministre de l’économie ?

Ce dernier disposait d’une information durant l’été et il vous saisit en décembre alors que, comme vous le soulignez légitimement, le budget est sur le point d’être définitivement adopté. Est-ce une erreur politique ou technique de la part du ministre de l’économie ? Ou bien cela traduit-il la manière dont fonctionnait la relation entre Matignon et Bercy ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Vous citez une note de la direction générale du Trésor dont je n’ai pas été destinataire et au sujet de laquelle je n’ai pas eu l’occasion de discuter avec le ministre de l’économie.

Quand je lis l’avis du HCFP, j’imagine qu’il y avait d’autres notes que celle de juillet et qu’elles devaient aller dans un sens contraire. Je pense que Bruno Le Maire vous a expliqué qu’il a été alerté le 7 décembre, qu’il a réuni ses services et que, dans la foulée, il a jugé nécessaire d’informer la première ministre que j’étais alors.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Il n’y a pas eu d’alerte oralement ou de réunion sur la dégradation de la situation avant décembre ? Je suppose que vous vous réunissiez de manière hebdomadaire avec le ministre de l’économie.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Le rapport de l’IGF montre bien comment le ministère de l’économie s’appuie sur l’expertise des services pour élaborer les hypothèses de recettes. Cela me paraît plutôt raisonnable. Le ministère leur confie également le soin d’examiner le rendement des modifications fiscales envisagées.

Lorsque j’étais première ministre, au moment de la préparation des projets de lois de finances, j’ai consacré l’essentiel de mon énergie à tenir les dépenses – et je peux vous assurer que cela m’a largement occupée.

Quand vous préparez un budget, les services du ministère de l’économie vous transmettent des hypothèses de recette et vous avez un objectif d’équilibre. La somme des demandes de crédits faites par chaque département ministériel excède largement le montant des dépenses auquel l’on souhaite parvenir. La tâche du premier ministre consiste donc à faire accepter des économies aux ministères pour tenir les objectifs de dépenses.

Nous avons assisté à des années atypiques au cours desquelles les recettes n’ont pas correspondu aux prévisions initiales. Mais je peux vous assurer que le premier ministre doit mettre toute son énergie dans la maîtrise des dépenses. Je me suis personnellement impliquée dans les arbitrages sur les crédits lors de la préparation du PLF pour 2023, j’ai lancé des revues de dépenses dès le début de cette même année, j’ai participé aux assises des finances publiques et j’ai engagé des réformes structurelles.

Je reste convaincue que ces dernières sont nécessaires si l’on veut éviter de procéder à des coups de rabots, ceux-ci n’étant généralement pas la manière la plus judicieuse de tenir les dépenses. Tel était le sens des revues de dépenses que j’ai lancées et qui figurent dans la loi de programmation des finances publiques. Le rôle du premier ministre est d’abord d’anticiper des réformes structurelles et de prévoir des dispositifs qui permettront de tenir la dépense publique. Il consiste ensuite à demander aux ministères de revoir leur copie et de faire des économies pour respecter les plafonds de dépenses.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je voudrais revenir sur l’enchaînement des décisions prises à partir du 13 décembre 2023. Nous sommes à quelques jours de l’adoption définitive du PLF pour 2024. Vous recevez cette note d’alerte qui prévoit un fort dérapage des déficits publics tant pour l’exercice 2023 que s’agissant de la prévision pour 2024 – à hauteur respectivement de 12 et 18 milliards d’euros.

Le président de notre commission a soulevé il y a quelques instants la question de l’information du Parlement. Je crois qu’elle est parfaitement légitime au vu du caractère extrêmement préoccupant de ces informations.

Qu’avez-vous fait à partir de cette note du 13 décembre ? N’y a-t-il pas eu une volonté politique de dissimuler la réalité de l’aggravation de la situation à quelques mois des élections européennes ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je ne peux me prononcer que sur ce qui s’est passé entre le moment où je prends connaissance de la note, le 15 décembre, et celui où je quitte Matignon, le 9 janvier.

Il se trouve que le Parlement interrompt ses travaux en fin d’année, ce qui ne facilite pas la tâche.

Je ne peux que répéter que les services ne savent pas à ce moment-là quelles seront finalement les recettes en 2024. Cela a été dit par les ministres et par les services. J’ai sous les yeux le compte rendu de l’audition de la directrice du budget, laquelle a déclaré qu’« il était assez évident qu’il y aurait un impact sur 2024 mais, en vue de pouvoir déposer des amendements au PLF pour 2024, il aurait fallu être en mesure de quantifier précisément l’effet. On ne peut pas simplement dire à l’Assemblée ou au Sénat qu’il existe un risque et que l’environnement va évoluer ; encore faut-il être capable de l’évaluer, recette fiscale par recette fiscale. »

Tel n’était n’est pas le cas à ce moment de l’année. Je quitte Matignon alors que les services nous informent qu’il existe un risque sur les recettes. Mais ils ne savent pas les évaluer et renvoient à la prochaine prévision, qui doit intervenir au mois de février.

Je prends les mesures proposées par le ministre de l’économie dans sa note, c’est-à-dire à la fois préparer un décret pour augmenter les recettes – en l’occurrence la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) à partir du 1er février – et documenter le contenu d’un décret d’annulation – qui sera pris par mon successeur à hauteur de 10 milliards.

Ce sont à peu près les seules choses que l’on peut faire à ce moment-là. On ne dispose pas d’une évaluation précise par les services de ce que pourront être les recettes en 2024. Par précaution, nous prenons des mesures destinées à avoir davantage de recettes et à pouvoir publier un décret annulant des dépenses.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous dites que la note n’évalue alors pas les écarts de manière précise. Mais il existe pourtant une évaluation chiffrée s’agissant du déficit public, lequel passerait de 4,4 à 5 % du PIB, ce qui représente 18 milliards en 2024. Le projet de loi de fin de gestion l’évalue désormais à 6,1 %.

Je m’étonne que cet écart ne soit pas immédiatement porté à la connaissance du Parlement et je pose de nouveau la question : tout cela ne révèle-t-il pas une volonté politique de ne pas dire les choses, alors que s’annonce une période électorale intense ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je ne vais pas me prononcer sur les mois qui ont suivi mon départ de Matignon.

Mais l’IGF, la direction du budget et les services ont eu l’occasion de dire ou d’écrire qu’à la fin de 2023, on était incapable d’évaluer l’ampleur de la perte de recettes pour l’année 2024. Tel est le sens des propos de la directrice du budget que je vous ai cités : il est impossible de communiquer vis-à-vis des parlementaires en indiquant qu’il y a un risque sur les encaissements d’un certain nombre d’impôts – et donc sur l’ensemble des recettes fiscales –tout en étant incapable d’évaluer de manière plus précise la perte éventuelle de recettes.

Telle est la réalité au moment où je quitte mes fonctions

M. Éric Ciotti, rapporteur. Pourriez-vous décrire de manière générale comment sont effectués les arbitrages budgétaires par Matignon et par l’Élysée ?

Plus précisément, comment ont été prises les décisions lors de la préparation des PLF et des PLFSS pour 2023 et 2024 ? Qui a rendu les derniers arbitrages ? Vous-même, le président de la République, ou bien tous deux ? Dans quelle configuration ces décisions ont-elles été prises ? Votre ancien directeur de cabinet a évoqué des réunions avec le secrétaire général de l’Élysée.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je ne peux pas détailler comment les réunions se sont déroulées pour chaque poste de dépense.

J’avais un agenda bien chargé au moment de la préparation du PLF pour 2023, puisque j’avais été nommée en mai 2022, que nous avions mené une campagne législative et préparé deux textes d’urgence sur le pouvoir d’achat, qui ont ensuite été débattus au Parlement lors d’une session extraordinaire. Dans le même temps, je devais mener l’ensemble des cycles de discussions avec chacun des ministères pour tenir l’objectif de dépenses devant nous permettre d’atteindre la cible de déficit fixée pour 2023. Cet exercice s’est reproduit à peu près dans les mêmes conditions pour le PLF 2024.

Je le redis : pour construire des textes financiers, on s’appuie sur des hypothèses de recettes et on fixe des objectifs de dépenses. Les premières sont préparées par les administrations, sur la base des orientations fiscales déterminées par le gouvernement. L’essentiel de l’énergie n’est pas consacré à remettre en question les modèles de prévisions des services du ministère de l’économie, mais bien à essayer de faire rentrer l’édredon dans la valise. Des ministères vous expliquent qu’il faudrait un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) plus important et chaque département ministériel a vingt-cinq bonnes raisons pour contester le plafond de dépenses qu’on veut lui imposer. Vous passez donc l’essentiel de votre temps à essayer de contenir les dépenses.

Ma conviction profonde est que, pour maîtriser nos dépenses, et a fortiori dans l’état actuel de nos finances publiques, nous avons besoin de réformes structurelles. C’est la raison pour laquelle j’ai mené des réformes qui – pour dire le moins – n’étaient pas populaires. Je suis aujourd’hui à la tête d’un ministère dont 90 % à 95 % des dépenses sont des dépenses de T2, c’est-à-dire des dépenses de personnel, sur lesquelles on voit bien qu’on ne peut pas rogner. Il est donc essentiel de consacrer de l’énergie, en amont, à la préparation des textes financiers pour identifier les réformes structurelles susceptibles de dégager des économies. Un gouvernement dépense beaucoup de son énergie à chercher des pistes de réformes structurelles pour contenir les dépenses.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous le savons bien, madame la première ministre, mais ma question portait sur l’articulation des lieux de décision et d’arbitrage, notamment avec l’Élysée. À quel rythme et selon quel calendrier se tiennent les réunions d’arbitrage et, au bout du compte, qui a le dernier mot ? Le secrétaire général de l’Élysée ? Le président de la République ? Y a-t-il eu des réunions d’arbitrage à l’Élysée, notamment après la note du 13 décembre 2023 ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Il n’y a eu aucune réunion à l’Élysée pour évoquer la situation budgétaire entre la note qui m’a été adressée le 13 décembre, dont j’ai pris connaissance le 15 décembre, et mon départ de Matignon le 9 janvier.

M. Éric Ciotti, rapporteur. D’une façon générale, qu’en était-il des modalités d’arbitrage et des autres réunions ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Plus généralement, les discussions que j’ai eues avec le président de la République portaient sur la trajectoire macro. Il s’agissait de savoir ce que nous présenterions dans notre programme de stabilité, à quelle échéance nous nous fixions l’objectif de ramener le déficit en dessous de 3 % du PIB et quelle trajectoire nous nous donnerions. Ces réunions portaient donc sur les cibles macroéconomiques, et non pas sur des points particuliers du projet de loi de finances.

Nous avons eu, évidemment, de nombreuses séances de travail à l’Élysée sur certaines dépenses, par exemple pour la préparation du projet de loi de programmation militaire, car il relève des prérogatives du chef de l’État, en tant que chef des armées, de savoir ce qu’il souhaite consacrer aux dépenses militaires dans les années qui viennent.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Pour les autres questions, les réunions se tenaient entre votre directeur de cabinet et le secrétaire général de l’Élysée ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je ne doute pas que des échanges aient eu lieu entre mon directeur de cabinet et le secrétaire général de l’Élysée sur certains points d’arbitrage, mais les échanges avec le président de la République portent sur les hypothèses macro relatives à la trajectoire générale des finances publiques ou sur le programme de stabilité que nous devons présenter au niveau européen, ainsi que sur différents sujets sensibles, comme les dépenses militaires.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Pensez-vous que les notes que nous évoquions tout à l’heure, notamment celle de la direction générale du Trésor, dont vous dites que vous n’avez pas eu personnellement connaissance, aient été communiquées à l’Élysée ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. J’espère qu’il n’y a pas de notes qui passent du ministère de l’économie à l’Élysée sans passer par Matignon. Je suppose que ce n’est pas le cas, car c’est le rôle du chef du gouvernement.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Une dernière question sur la Crim, la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité, qui accuse l’un des plus gros écarts entre les prévisions et l’exécution pour l’exercice budgétaire 2023. Alors que cette contribution que vous avez créée devait rapporter 12 milliards d’euros, ses recettes n’ont été que de l’ordre de 400 millions, et légèrement réévaluées dans le projet de loi de fin de gestion. Comment justifier une telle erreur ? Le prix du mégawattheure, fixé à 500 euros, n’était-il pas totalement irréaliste et n’enlevait-il pas toute consistance à cette contribution ? N’était-ce pas là une annonce politiquement fictive ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Malheureusement, au moment où cette contribution sur les rentes inframarginales a été instaurée, de nombreuses entreprises étaient démarchées par des fournisseurs d’énergie qui proposaient des contrats pluriannuels à cette hauteur. Peut-être les services vous ont-ils communiqué des données consolidées dont, pour ma part, je ne dispose pas. En tout état de cause, une surestimation de l’hypothèse de prix de l’énergie – qui est plutôt une bonne nouvelle pour notre économie, puisque l’objectif est d’avoir le prix le plus abordable possible pour les ménages comme pour les entreprises – se traduit par une moindre recette de contribution sur la rente inframarginale, mais aussi par une moindre dépense au titre des boucliers tarifaires créés pour protéger nos concitoyens. Elle se traduit aussi par une moindre dépense au titre des différents filets de sécurité adoptés pour protéger les collectivités locales. Elle se traduit encore, en revanche, par une plus forte dépense au titre de la compensation aux producteurs d’énergies renouvelables, auxquels un certain prix a été garanti.

Il serait intéressant que les services vous fournissent le bouclage global auquel aboutit le prix de l’électricité compte tenu à la fois de la contribution sur la rente inframarginale, de la compensation aux producteurs d’énergies renouvelables, du coût des boucliers tarifaires et des différents dispositifs instaurés pour protéger les Français, les collectivités et les entreprises. Ce sont en effet des jeux de vases communicants dont le résultat global n’est pas facile à estimer.

M. le président Éric Coquerel. Je rappelle, à l’intention des personnes qui nous écoutent et qui n’auraient pas entendu les auditions précédentes, trois phrases tirées de l’avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Ce dernier considère d’abord, comme vous le rappelez, madame la ministre, que « le scénario macroéconomique du gouvernement pour 2023 est plausible », puis ajoute que « la prévision de déficit public pour 2023 (…) est vraisemblable au vu notamment des informations disponibles sur les sept premiers mois de l'année, même si le rendement de certains impôts et le montant de certaines dépenses, notamment l'investissement des collectivités territoriales, restent incertains. » Je ne suis pas sûr, et Pierre Moscovici nous l’a d’ailleurs confirmé, qu’en écrivant cela, le HCFP disposait de la note du Trésor du 11 juillet. Le Haut Conseil observe également, dans une phrase moins souvent citée par les personnes auditionnées, que « la prévision de déficit public pour 2024 conjugue principalement des hypothèses favorables et paraît optimiste », et explique pourquoi il en est ainsi.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Madame la première ministre, vous avez rappelé que le sujet qui nous occupe n’est pas tant un écart de dépenses qu’un écart de recettes, sauf pour les collectivités locales et, de façon marginale, les administrations de sécurité sociale. Vous avez également rappelé les efforts réalisés par votre gouvernement dans les délais que nous connaissons. Il s’en dégage le sentiment que ces efforts allaient de soi et n’ont suscité aucune réticence. J’ai cependant le souvenir que les décrets d’annulation de crédits ont été vivement critiqués au sein de notre commission des finances et que les mesures en recettes que vous avez évoquées, monsieur le président, à propos du gaz et de l’électricité, étaient difficiles à mettre en œuvre, a fortiori dans un calendrier politique difficile. Quelles réticences avez-vous rencontrées dans la mise en œuvre de ces économies et de ces augmentations de recettes, qui étaient indispensables ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Nous avons encore eu dans la discussion du budget pour 2025 un exemple des réticences face à la remise à niveau de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). De fait, remettre au niveau d’avant-crise les taxes sur le gaz et l’électricité était une mesure très sensible, en particulier dans un contexte où les budgets étaient adoptés par 49.3, ce qui donnait systématiquement lieu à une motion de censure, comme cela semble désormais inscrit dans les traditions. Ainsi, le fait de prendre de telles mesures expose à une censure de la part du Parlement. Nous avons néanmoins jugé, avec le ministre de l’énergie, que le retour au niveau d’avant-crise pour la fiscalité de l’énergie était indispensable pour redonner des marges de manœuvre à l’État.

Les lois de programmation, qu’il s’agisse de la loi de programmation militaire ou de celles des ministères de la justice et de l’intérieur, sont un bon exemple : tout le monde nous reproche de dépenser trop, mais lorsque nous abordons les différents sujets séparément, chacun fait preuve de beaucoup d’imagination et d’ambition pour ajouter de nouvelles dépenses. Comme je l’ai dit en introduction, j’ai dû m’impliquer personnellement pour éviter que les marches de la loi de programmation militaire ne se situent 500 millions au-dessus de ce que le gouvernement avait prévu – même si la situation internationale nous laisse penser que nous avons raison de dépenser de l’argent pour renforcer nos capacités de défense. Toujours est-il que, chaque fois que nous présentons une mesure de dépense, les oppositions sont quasi-unanimes ou, du moins, largement d’accord pour ajouter des dépenses, tandis que chaque fois que nous présentons des économies, a fortiori des économies structurelles, elles suscitent une forte réticence. Ce n’est pas pour rien que j’ai dû faire passer par 49.3 la réforme des retraites, comme M. le président Ciotti s’en souvient sans doute.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, on observe qu’une partie de la dégradation de la prévision est liée à une augmentation de la dépense, tant en investissement qu’en fonctionnement. Le gouvernement a maintenu des hypothèses de dépenses de fonctionnement et d’investissement qui prévalaient au moment où le mécanisme de contractualisation avec les collectivités était encore en vigueur, alors que celui-ci a disparu depuis le débat sur la loi de programmation des finances publiques. Le gouvernement a-t-il péché par optimisme en considérant que, sans ce mécanisme, les collectivités allaient naturellement ralentir leurs dépenses d’investissement et de fonctionnement, ou était-ce possible dans un contexte de cycle électoral un peu décalé en raison de la crise sanitaire ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Les scénarios relatifs aux investissements ont été bâtis à partir des scénarios classiques liés au cycle électoral, et les scénarios relatifs aux dépenses de fonctionnement l’ont été en considérant que les collectivités feraient un effort équivalent de maîtrise de la dépense – non pas une baisse, mais une hausse contenue. Dans les échanges que nous avons eus avec elles, les collectivités, qui étaient très réticentes et trouvaient de nombreux relais au Parlement pour éviter d’appliquer à leurs dépenses des mécanismes de contraintes du type du contrat de Cahors, nous avaient fait part de leur sens des responsabilités et de la nécessité de leur faire confiance pour tenir leurs dépenses publiques. Je le rappelle, les mécanismes du type Cahors ne permettent pas à proprement parler de tenir la dépense, car ils ne permettent, la première année, que de constater un éventuel non-respect des contrats puis, l’année suivante, d’envoyer une alerte, pour ne commencer que l’année n + 2 à prendre, le cas échéant, des mesures en réaction aux dépenses. L’enjeu est évidemment de parvenir à partager avec les collectivités la tenue des dépenses publiques de notre pays et de croire à la responsabilité de chacun pour maîtriser la trajectoire des finances publiques.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. C’est donc cet accord des associations d’élus qui vous a conduite à maintenir les prévisions, même sans mécanismes de correction ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Les associations de collectivités ne contestaient pas les trajectoires prévues et la nécessité de participer, au même titre que l’État, à l’effort de maîtrise des dépenses publiques. Elles ont, en revanche, contesté très fortement l’idée de mécanismes contraignants, mobilisant de nombreux relais au Parlement, de telle sorte que nous aurions même pu craindre une censure si nous n’avions pas écouté les protestations des groupes d’opposition et avions voulu maintenir ces contraintes.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Pour ce qui est des recettes, vous avez évoqué la volatilité de l’impôt sur les sociétés et sa mécanique particulière. Considérez-vous qu’il existe des voies d’amélioration dans sa prévision, par exemple en substituant à la prise en compte de l’excédent brut d’exploitation une forme d’échantillonnage entre les diverses sociétés au cours de l’année ? Par ailleurs, pensez-vous qu’on puisse améliorer le suivi infra-annuel de la masse salariale, qui souffre jusqu’à présent d’un manque de contemporanéité, sensible notamment dans les données remontées à la fin de 2023 ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Nous approchons des limites de ma capacité d’expertise en matière de modèles de prévisions de recettes ! Il me semble qu’il est effectivement important de mieux analyser la situation de certains secteurs. Les prévisions en matière d’impôt sur les sociétés devraient sans doute être éclairées par des analyses des évolutions macroéconomiques ou des politiques de provisions que certains secteurs jugent nécessaires et qui peuvent manifestement affecter les recettes anticipées dans les projets de loi de finances.

D’une façon générale, nous devons nous doter d’outils permettant des remontées plus rapides quant aux dépenses des collectivités locales et être capables de mieux anticiper les points d’atterrissage. À l’heure de l’intelligence artificielle, nous devons aussi être capables de mieux exploiter et de mieux croiser les données, en particulier pour ce qui concerne la masse salariale, afin de mieux anticiper les hypothèses de rendement des différentes cotisations sociales. Je n’ai aucun doute quant au fait qu’il est à la fois nécessaire et possible de nous doter de meilleurs outils pour éviter de ne constater les écarts que deux à trois mois après la clôture d’un exercice. Pour avoir dirigé une entreprise, je sais qu’aucun chef d’entreprise n’imaginerait qu’il pourrait ne pas suivre ses recettes et son chiffre d’affaires et se contenter de les constater a posteriori, trois mois après la clôture de l’exercice.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Est-ce à dire que vous considérez qu’il pourrait être utile, sinon d’externaliser totalement la prévision, comme, comme c’est le cas dans d’autres pays européens, du moins de laisser une plus grande marge d’appréciation au Haut Conseil des finances publiques ? Le président Moscovici demandait pourquoi nous n’appliquerions pas une politique du type comply or explain, aux termes de laquelle le gouvernement, en cas de désaccord avec le Haut Conseil, devrait à tout le moins en expliquer les motifs. Considérez-vous plutôt que le comité scientifique créé par le gouvernement précédent, en élargissant l’expertise à des tiers, notamment à des économistes, offre une voie d’amélioration des prévisions en recettes et en dépenses ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Peut-être peut-on combiner les deux. Lorsqu’on reçoit un avis du Haut Conseil – qui ne dit jamais que tout est nominal et bravo ! – on y est forcément attentif et il y a forcément des précautions à prendre, mais il est certainement utile que cette instance challenge davantage les hypothèses. J’ai compris que les actuels ministres de l’économie et des comptes publics sont déterminés à disposer d’une plus grande quantité de données. Ce qui pèche aujourd’hui, au-delà des contre-expertises que pourraient apporter les uns ou les autres, c’est le manque de fluidité des remontées d’informations. Quelqu’un, quelque part, doit bien avoir ces informations, mais elles ne sont pas consolidées et les ministres de l’économie et des comptes publics n’en ont pas assez à leur disposition pour pouvoir être alertés et alerter le premier ministre à propos de trajectoires de recettes non conformes aux prévisions.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous avez évoqué les années 2021 et 2022, où l’élasticité était largement supérieure à l’unité. C’était une bonne nouvelle. Considérez-vous qu’il pourrait être utile d’instaurer une forme de mécanisme de précaution visant à geler les recettes exceptionnelles pour nous prémunir en vue d’années où les recettes seraient moindres ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Nous avons eu une bonne surprise sur ces deux années et sans doute serait-il judicieux, au vu du retournement qui s’est produit ensuite, de mettre en réserve les excédents de recettes constatés certaines années par rapport aux prévisions, sans nous exposer pour autant à des polémiques telles que celle qui a naguère entouré les « cagnottes ».

M. Matthias Renault (RN). Entre l’élaboration des budgets économiques d’été, mi-juillet, et l’envoi du projet de loi de finances, mi-septembre, il existe une marge en matière de prévisions de croissance. Au mois de juillet, la direction du Trésor fait des prévisions macroéconomiques et, au mois de septembre, le gouvernement en pose éventuellement d’autres. Entre les deux peut s’écouler un laps de temps de négociation politique. Y avez-vous participé ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je n’ai pas bien compris votre question. Pouvez-vous la reformuler ?

M. Matthias Renault (RN). Au mois de juillet, au moment des budgets économiques, la direction du Trésor fait des prévisions, notamment de croissance et de déficit, pour le budget suivant. Au mois de septembre, au moment de l’envoi du projet de loi de finances, le gouvernement fait éventuellement d’autres prévisions, en fonction de discussions entre les services administratifs et le ministre de l’économie, le premier ministre ou d’autres personnalités politiques. C’est là un exercice classique depuis des décennies, comme cela nous a été dit durant les auditions par des anciens de la direction du budget. Avez-vous participé à de telles discussions pour modifier les prévisions des services administratifs ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Dans quel domaine ?

M. Matthias Renault (RN). Des prévisions budgétaires, de croissance ou de déficit – les prévisions macroéconomiques qui ressortent des budgets économiques d’été, mi-juillet.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Matignon n’a pas de contre-expertises à opposer aux scénarios de croissance décidés par le ministère de l’économie et ne va évidemment pas challenger son ministre de l’économie dans ce domaine. De nombreux instituts produisent quantité d’hypothèses et il est au cœur de la mission du ministre de l’économie de retenir la bonne prévision de croissance, y compris en fonction de l’efficacité attendue de la politique économique qu’il conduit.

Pour ce qui concerne les recettes, j’ai déjà expliqué – mais le rapport de l’Inspection générale des finances de l’été 2024 le fait largement mieux que moi – que le gouvernement ne fait que recevoir les hypothèses de recettes produites par les services pour des hypothèses de fiscalité données. Il peut intervenir en baissant des taux d’imposition ou en créant de nouveaux impôts. En revanche, je le redis, le cœur du travail du premier ministre dans l’élaboration d’un budget consiste à convaincre l’ensemble des départements ministériels de rester dans les cadrages qui leur sont donnés.

M. Matthias Renault (RN). Dont acte.

Fin 2023, vous avez signé une lettre de mission demandant à l’Inspection générale des finances et à l’Inspection générale des affaires sociales les conséquences budgétaires qu’auraient une série de désindexations des retraites et de toute une série de prestations sociales en vue du budget 2025. Pourquoi cette initiative ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. J’ai déjà eu l’occasion de dire que, de façon générale, ce n’est pas au mois de juillet que l’on réfléchit aux mesures qui permettront de construire le budget de l’année suivante. C’est toute la philosophie des revues de dépenses que j’ai lancées en cherchant à trouver des alternatives aux coups de rabot auxquels on est contraint si on n’anticipe pas des mesures pouvant avoir un rendement important. En l’occurrence, il y avait notamment, parmi tous les champs de réflexion ouverts pour trouver des marges d’économies possibles, cette mission sur l’impact des indexations ou désindexations de certaines prestations sociales.

M. Matthias Renault (RN). Je suis à moitié convaincu par votre réponse, car ce mécanisme est indépendant des revues de dépenses. Il s’agit là d’un gros rabot, et il est politiquement explosif de dire que l’on peut réfléchir à la désindexation, dans un an, des retraites et de toute une série de prestations sociales. Mieux vaut qu’il n’y ait pas de fuites à propos de cette demande faite aux inspections ! Formulée le 9 novembre, celle-ci était-elle une façon de répondre à une alerte concernant les finances publiques, en considérant qu’il était trop tard pour 2024, mais qu’il faudrait envisager d’autres mesures en 2025 ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je ne reviendrai pas sur les alertes que nous avions ou que nous n’avions pas à ce moment-là. En 2024, l’indexation des pensions devait être de 5,3 %, avec un effet retard d’une inflation antérieure. Cela représentait évidemment une augmentation considérable des dépenses sociales. Il n’y a pas de raison que la question ne soit pas portée dans le débat public. On peut poser devant les Français, sans le faire en catimini, le débat sur la participation collective à l’effort de redressement des finances publiques. On a vu à l’occasion des discussions sur le projet de loi de finances pour 2025 que certains groupes parlementaires, notamment celui auquel vous appartenez, monsieur le député, n’étaient pas d’accord, mais le modèle social auquel nous sommes, je le crois, tous attachés, connaît un véritable problème de soutenabilité. Documenter des hypothèses de ce type me paraît nécessaire pour mettre sur la table certaines questions.

M. Matthias Renault (RN). J’ai écouté vos réponses à propos de la fameuse note du 13 décembre 2023, mais je n’ai pas très bien compris comment vous avez réagi intérieurement : à quel point la situation vous a-t-elle paru grave ? Bruno Le Maire a-t-il demandé à vous voir pour discuter du problème ? Lui avez-vous demandé des explications sur le dérapage, ou avez-vous considéré qu’il ne s’agissait finalement que d’une note parmi d’autres ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Le fait que le ministre de l’économie fasse remonter des alertes à Matignon, par exemple si un collègue lui a fait part d’une idée de dépense qui lui semble percuter notre trajectoire de finances publiques ou s’il veut exprimer une préoccupation concernant la trajectoire prévue dans une loi de programmation, n’est pas quelque chose d’exceptionnel.

Bruno Le Maire n’a d’ailleurs pas sollicité de rendez-vous pour évoquer le contenu de la note et je n’ai pas perçu d’alerte imminente quand je l’ai reçue. J’ai pris connaissance de ce qu’il me proposait et, comme il l’a lui-même indiqué, nous avons mis en œuvre les propositions qui pouvaient l’être, en tout cas le temps de mon passage à Matignon, c'est-à-dire jusqu’à début janvier 2024.

M. David Amiel (EPR). Vous avez rappelé à juste titre que Matignon n’a pas de capacité de contre-expertise des prévisions macroéconomiques établies par le ministère de l’économie et des finances. Par ailleurs, le HCFP se prononce souvent en fin de processus budgétaire, sur la base d’un projet de loi de finances quasiment arrêté, quelques jours avant le début de son examen à l’Assemblée nationale.

Sans forcément aller jusqu’à des prévisions totalement indépendantes, la procédure budgétaire ne mériterait-elle pas d’être révisée, pour donner au HCFP un rôle de vigie tout au long de l’année, afin notamment de s’assurer que les modèles retenus par le ministère sont bien en ligne avec les progrès de la recherche académique ainsi qu’avec les modèles utilisés par les organisations internationales ou la Banque de France ? Le gouvernement a nommé à l’automne un comité scientifique chargé de faire un retour sur les deux dernières années. Quelle procédure vous semblerait-il pertinent d’institutionnaliser ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Comme, j’en suis sûre, les ministres que vous avez auditionnés et les nouveaux ministres en exercice, je suis convaincue qu’il existe des marges d’amélioration dans le suivi de l’encaissement des recettes et de l’exécution des dépenses. On assure parfaitement ce suivi s’agissant des dépenses de l’État, mais on constate un décalage très important pour celles des collectivités. On peut donc progresser dans ce domaine.

Par ailleurs, nous travaillons manifestement sur la base de modèles insuffisamment fins. Charger le Haut Conseil d’assurer un suivi plus continu de la réalisation et de l’exécution des textes financiers irait dans le bon sens. Cela vaut d’ailleurs aussi pour le Parlement, qui, bien qu’il ait une mission de contrôle, n’est saisi que très tardivement des textes financiers, à tel point que la commission doit examiner le projet de budget l’après-midi même de sa présentation en Conseil des ministres. Je crois beaucoup à la nécessité de renforcer la capacité d’évaluation et de contrôle du Parlement.

M. David Amiel (EPR). Vous êtes revenue sur les prévisions établies en matière de dépenses des collectivités territoriales, sur le rôle des associations d’élus et sur la pression politique qui s’est exercée au Parlement sur cette question. À la lumière des années précédentes, devrait-on instaurer des dispositifs plus contraignants en matière d’encadrement de la dépense des collectivités locales, que ce soit par des outils comme les contrats de Cahors ou par les mécanismes qui avaient été évoqués un temps pour le PLF pour 2025 ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Il faut privilégier des mécanismes de responsabilisation des collectivités locales. Le retour d’expérience sur les contrats de Cahors montre que, finalement, ils ne permettaient pas réellement de piloter la dépense des collectivités, pour les raisons que j’évoquais avec M. le rapporteur Lefèvre – c’est peut-être ce qui a conduit mon prédécesseur, Jean Castex, à les abandonner.

Les dispositifs contractuels qu’on peut être tenté d’inventer pour maîtriser les dépenses des collectivités se heurtent forcément au principe d’autonomie de ces dernières. Au-delà de ces mécanismes, quelles relations, quelle responsabilisation peut-on imaginer pour que les collectivités soient tenues de participer à l’effort général de redressement des finances publiques ? Cette réflexion mérite d’être menée, mais il s’agit moins de créer des outils contraignants à l’encontre de collectivités par nature autonomes que de réfléchir à ce qui peut les rendre davantage responsables.

Les dispositifs de mise en réserve prévus dans le budget pour 2025 sont sans doute des mécanismes intéressants, qui méritent d’être creusés. Sans doute peut-on aussi réfléchir au panier de recettes de certaines collectivités, qui sont totalement contracycliques par rapport à leur panier de dépenses.

M. Sébastien Delogu (LFI-NFP). Il est désormais établi que plusieurs réunions ont été organisées à l’Élysée afin de ne pas communiquer le déficit pour 2024 à l’opinion publique. Dans le contexte du passage en force de votre réforme des retraites, de l’adoption de la motion de rejet de la loi « immigration » et dans la perspective des élections européennes, quelles ont été les consignes et, plus généralement, le rôle du chef de l’État dans la rétention d’information quant au dérapage du déficit en 2023 ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Pardonnez-moi, mais je ne comprends pas votre question. Vous évoquez des choses qui seraient « établies ». De quoi parlez-vous ?

M. Sébastien Delogu (LFI-NFP). Du fait que plusieurs réunions se sont tenues à l’Élysée en vue d’éviter de communiquer le déficit pour 2024 à l’opinion publique.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. C’est votre opinion. Pour ma part, je ne m’adonne pas au commentaire. Si vous avez des questions factuelles, je peux essayer d’y répondre.

M. le président Éric Coquerel. Il n’y a donc pas eu de réunion ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je n’en sais strictement rien, monsieur le président. Quand ces réunions se seraient-elles tenues ?

M. Sébastien Delogu (LFI-NFP). Je vous pose la question.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je rappelle que j’ai quitté mes fonctions le 9 janvier 2024. Je ne sais pas de quelle réunion vous parlez.

M. Sébastien Delogu (LFI-NFP). J’en viens donc à une question plus factuelle.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. J’essaie de me souvenir des moments où je tiens des réunions. Je voyais le président de la République régulièrement à cette époque, mais je ne vois pas de réunion qui corresponde au contenu que vous décrivez.

M. Sébastien Delogu (LFI-NFP). Dès le 7 décembre 2023, vos ministres de l’économie et du budget, MM. Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, sont alertés par la note de la direction générale du Trésor, dont vous avez indiqué ne pas avoir pris connaissance, tablant sur un déficit de 5,2 % et prévoyant une dégradation des recettes de 6 milliards d’euros, ce dont vous avez été informée. Le 13 décembre, ces deux ministres vous adressent officiellement une note annonçant que la prévision de déficit pour 2023 ne sera pas tenue et vous recommandent de « partager largement le caractère critique de notre situation budgétaire », avec le gouvernement mais aussi avec nos concitoyens, notamment à travers le Parlement.

Pourtant, six jours après, le 19 décembre, vous utilisez l’article 49.3 sans modifier le déficit prévu à l’article liminaire. Vous n’avez averti ni la représentation nationale, ni l’opinion publique mais avez choisi, semble-t-il en conscience, de passer brutalement par le 49.3, alors que vous saviez que la prévision du déficit figurant dans le texte était mensongère.

Comment justifiez-vous la décision de ne pas communiquer aux représentants du peuple et à l’opinion publique une information majeure, de nature à altérer drastiquement la sincérité de nos débats ? Vous n’hésitiez pourtant pas, il y a quelques semaines, à vous montrer très alarmiste et même à mentir à nos concitoyens en leur expliquant que l’adoption d’une motion de censure sur le budget empêcherait les cartes vitales de fonctionner, les fonctionnaires d’être payés et les retraites d’être versées, ce dont je déduis que faire peur à l’opinion publique ne vous pose pas de problème. Le mystère reste donc entier et je suis impatient d’entendre vos explications.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. J’entends votre réquisitoire, mais quelle est votre question ?

M. Sébastien Delogu (LFI-NFP). Pourquoi n’avez-vous pas averti la représentation nationale, au moment d’utiliser le 49.3, du dérapage du déficit pour 2023, dont nous aurions dû être informés ? Vous assurez ne pas avoir été informée de la note de la direction générale du Trésor, mais les services des ministères concernés vous ont avertie dès le 13 décembre et recommandé de communiquer sur le caractère critique de notre situation budgétaire, auprès du gouvernement mais également de l’Assemblée nationale.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Si vous avez lu la note du 7 décembre – dont je n’avais pas été destinataire, car le fonctionnement de l’État veut que les services remontent des notes à leur ministre, qui peut ensuite adresser des notes au premier ministre –, vous aurez noté que les services y indiquent qu’il était trop tôt pour communiquer, compte tenu des incertitudes attachées aux hypothèses présentées.

Les ministres m’ont en effet écrit le 13 décembre, dans une note dont j’ai pris connaissance le 15, m’invitant à partager les risques pour nos finances publiques. Les ministres eux-mêmes, comme l’Inspection générale des finances et la direction du budget, ont expliqué que nous étions alors incapables d’évaluer l’impact sur les recettes pour 2024. La directrice du budget, auditionnée par votre commission, a ainsi déclaré : « il était assez évident qu’il y aurait un impact sur 2024 mais, en vue de pouvoir déposer des amendements au PLF pour 2024, il aurait fallu être en mesure de quantifier précisément l’effet. On ne peut pas simplement dire à l’Assemblée ou au Sénat qu’il existe un risque et que l’environnement va évoluer ; encore faut-il être capable de l’évaluer, recette fiscale par recette fiscale », ce qui n’était pas le cas. Je peux également vous citer une nouvelle fois le rapport de l’Inspection générale des finances, aux termes duquel « les écarts signalés par les administrations en novembre puis en décembre 2023 ne justifiaient pas le dépôt d’un amendement et la révision du scénario de finances publiques pour 2023 et 2024 ».

Dans ce contexte, j’ai pris en compte la note que les ministres m’avaient transmise et qui listait plusieurs pistes susceptibles d’être explorées, recommandant notamment d’augmenter la fiscalité de l’énergie – ce que nous avons fait – et de se préparer à annuler en début d’année 2024 tout ou partie des 10 milliards de crédits mis en réserve – ce que nous avons fait également.

M. Sébastien Delogu (LFI-NFP). Au moment d’utiliser le 49.3, vous décidez donc de ne pas modifier le déficit prévu à l’article liminaire ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. L’Inspection générale des finances et tous les services de Bercy s’accordent sur le fait qu’on était alors incapable de formuler une autre prévision sur les recettes pour 2024 que celle qui était prévue. Pour sécuriser l’exécution du budget et le respect de la prévision de déficit, nous avons dégagé des recettes supplémentaires – grâce à la hausse de 5 milliards de la TICFE intervenue le 1er février – et nous nous sommes préparés à contenir les dépenses à hauteur de 10 milliards d’euros par le biais du décret d’annulation de crédits pris par mon successeur.

M. le président Éric Coquerel. Je persiste à penser que cette lettre qu’on vous a remise la veille du 49.3 et la préparation à laquelle elle a donné lieu aurait dû être portée à la connaissance de l’Assemblée.

Mme Estelle Mercier (SOC). J’avoue avoir un peu de mal à appréhender le processus de décision et de pilotage qui s’appliquait au sein de votre gouvernement. Pour toute personne ayant piloté un exécutif, que ce soit dans une petite commune, une grande collectivité ou un ministère, il est difficile de comprendre que M. Bruno Le Maire n’ait jamais, avant décembre 2023, évoqué avec vous la note du 11 juillet 2023 anticipant une dégradation du déficit à 5,2 %, enjeu majeur du pilotage budgétaire de l’année 2023 et qui a eu des conséquences sur 2024.

Comment, de manière très concrète et factuelle, avez-vous travaillé avec vos ministres en 2023 et préparé le budget pour 2024 ? Comment animiez-vous l’exécutif ? Quelles rencontres avez-vous eues avec le ministre de l’économie et des finances ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Vous mentionnez une note du mois de juillet évoquant un risque de dérapage budgétaire. D’autres notes ont été produites. Le Haut Conseil des finances publiques estimait en outre, dans son avis rédigé fin octobre 2023, que « la prévision du gouvernement d’un solde public pour 2023 de - 4,9 points de PIB, elle aussi inchangée par rapport à l’estimation associée au PLF pour 2024, est plausible ».

M. le président Éric Coquerel. Son avis ne se résumait pas à cette phrase.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Non, mais, en synthèse, à la question de savoir si une hypothèse de déficit à - 4,9 % pouvait ou non être maintenue, la réponse du HCFP était que cette prévision était plausible.

Mme Estelle Mercier (SOC). Ce n’était pas ma question.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Vous évoquez une note et me demandez pourquoi nous n’avons pas modifié nos hypothèses. Je vous réponds qu’à la fin du mois d’octobre 2023, le HCFP jugeait notre hypothèse de déficit plausible.

Je rencontrais le ministre de l’économie et des finances et celui chargé des comptes publics environ une fois par semaine. Je l’ai dit, un premier ministre engagé dans la préparation d’un projet de loi de finances consacre l’essentiel de son énergie, non pas à contre-expertiser les hypothèses de recettes produites par les services – et c’est bien là la difficulté que nous avons rencontrée en 2023 et en 2024 : un écart très significatif en 2023, et encore plus en 2024 –mais à tenir les dépenses, c'est-à-dire à faire en sorte que chaque ministre ne demande pas 120 % de l’enveloppe qui lui est allouée. Il lui revient aussi de réfléchir à des pistes d’économies structurelles, pour ne pas avoir à procéder à des coups de rabots et à sabrer dans ce qui peut être réduit, c'est-à-dire dans les dépenses d’investissement.

En tant que responsable d’un exécutif, vous le savez sûrement très bien : certaines dépenses, notamment celles liées à la masse salariale, sont très rigides. Si on ne prévoit pas de réformes structurelles, alors la seule marge de manœuvre consiste à réduire les dépenses d’investissement, qui sont généralement celles qui permettent de préparer l’avenir. C’est pourquoi, dans mes échanges avec les ministres, j’ai systématiquement voulu mettre l’accent sur la nécessité de préparer des réformes structurelles qui permettent de contenir la dépense publique sans obérer l’avenir. J’ai ainsi – et je crois qu’aucun premier ministre ne l’avait fait avant moi – présidé personnellement une réunion regroupant tous les ministres pour leur demander de participer à des exercices de revue de dépenses, c'est-à-dire de travailler en amont à des pistes d’économies susceptibles de nourrir le projet de loi de finances pour l’année n+2. Je note d’ailleurs que certaines de ces revues ont alimenté des pistes d’économies présentées dans le cadre du budget pour 2025.

Mme Estelle Mercier (SOC). Lorsque Pierre Moscovici a été auditionné par cette commission, il a souligné que le rapport du HCFP du 27 octobre 2023 alertait déjà sur la situation. Sa synthèse indiquait certes que l’hypothèse de déficit était « plausible », mais Pierre Moscovici nous a assuré que « le HCFP a été le premier à donner l’alerte sur le scénario de solde public pour l’année 2023, en particulier sur la mauvaise surprise s’agissant des recettes. La première alarme date de son avis du 27 octobre 2023 sur le projet de loi de finances de fin de gestion. Le HCFP a considéré que les cotisations sociales et les prélèvements sociaux prévus apparaissaient un peu trop élevés, en raison de la prévision de masse salariale élevée. L’écart entre les prévisions et la réalisation de cotisations sociales pour 2023 a finalement atteint près de 5 milliards d’euros ».

Le rapport pointait donc déjà un fort écart de recettes, lié à une mauvaise prévision : il n’a pas fallu attendre le mois de décembre pour que l’information vous soit communiquée.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Chacun peut alerter sur des risques. Au-delà du manque à gagner lié aux prévisions de masse salariale, que vous avez mentionné, l’écart de prévision a finalement atteint 21 milliards d’euros, en incluant la TVA, l’IS et l’IR. On peut regarder ligne à ligne l’avis du HCFP, mais il y est bien indiqué, dans la synthèse, que l’hypothèse de déficit était « plausible ». Si le HCFP considérait que tel n’était pas le cas, il ne devait pas l’écrire.

Mme Estelle Mercier (SOC). Vous avez indiqué ne pas être opposée à un système de type comply or explain. Or, lors de son audition, M. Moscovici a regretté à plusieurs reprises que certaines prévisions budgétaires, notamment en recettes, soient mal documentées. Il a déclaré : « J’ai écrit à plusieurs reprises à la première ministre Élisabeth Borne ainsi qu’à Bruno Le Maire et à Antoine Armand, lorsqu’ils étaient ministres de l’économie, afin de leur demander la transmission de documents supplémentaires dont le HCFP a besoin pour mener ses analyses. Je tiens à vous le dire : il est impératif à mes yeux que nous ayons notamment accès à certaines notes d’alerte, aux résultats des exercices de prévision menés en cours d’année », etc. Il a ajouté que le HCFP n’avait pas obtenu ces documents.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Cela ne me rappelle rien. Si M. Moscovici veut bien nous transmettre les courriers auxquels il fait référence, je chercherai des explications au fait qu’il n’ait pas reçu de réponse favorable. Par principe, si le HCFP nous demande des documents ou des notes, nous les lui fournissons.

Mme Estelle Mercier (SOC). Je n’imagine pas qu’il ait pu mentir à la commission sur ce point.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je ne prétends nullement qu’il l’a fait : je dis que je n’ai pas connaissance du courrier auquel il fait référence. Je ne sais pas quels documents il aurait souhaité avoir et n’aurait pas reçu.

Mme Estelle Mercier (SOC). Le 9 juillet 2022, votre ministre des comptes publics, Gabriel Attal, déclarait au journal Le Parisien : « Si on est capables depuis 2020 de réduire chaque année nos déficits, c’est grâce à l’activité économique très forte, liée à nos réformes, qui permet davantage de rentrées fiscales. » Force est de constater qu’en 2023 et 2024, ces rentrées fiscales et cette activité économique n’ont pas été à la hauteur des attentes. Pensez-vous que la faible croissance et la régression des recettes soient, de la même façon, liées aux réformes de votre gouvernement ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. En 2023, les recettes ont été conformes aux prévisions. La prévision de croissance figurant dans le PLF pour 2023 était de 1 % et l’exécution a été à 1,1 %.

Pour le reste, nous vivons dans un monde de crises. Quand je suis arrivée à Matignon, nous n’étions pas sortis de la crise de la covid et la Russie venait d’envahir l’Ukraine, ce qui a eu des répercussions en chaîne, dont une crise énergétique – j’ai passé une bonne partie de l’automne 2022 à gérer la crise des dépôts de carburant, interne à la France, mais également celle liée aux risques d’approvisionnement en énergie. Sont ensuite survenus les événements du 7 octobre 2023 qui, outre les drames que nous avons tous en tête, ont créé une instabilité géopolitique très forte. L’élection du nouveau président des États-Unis ne contribue pas non plus à créer de la stabilité dans le monde.

Sans doute devons-nous réfléchir à la part de cet enchaînement de crises multiples et à la façon dont notre pays peut tenir son cap. La question n’est plus tant celle des réformes économiques : nous vivons dans un monde d’instabilité très forte, avec des menaces d’extension des conflits aux portes de l’Europe.

Mme Estelle Mercier (SOC). Pour résumer, quand ça va bien, c’est grâce à vos réformes, et quand ça va mal, c’est à cause du contexte et des crises économiques.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je ne suis pas certaine que la gravité de la situation mérite qu’on défende des visions aussi caricaturales. Si vous voulez savoir si je crois à la politique de l’offre, la réponse est oui. Je suis convaincue que, pendant des années, nous avons trop taxé les entreprises et que ce n’est pas pour rien que la France souffre énormément des délocalisations et de la désindustrialisation qui a ravagé des pans entiers de notre territoire. J’estime que nous avons raison de donner de l'oxygène à nos entreprises et d’envoyer des signaux qui incitent les groupes étrangers à venir investir dans notre pays, car cela redonne de l’espoir à des territoires qui voient des industries se réimplanter après des décennies de fermetures d’usines.

Je suis donc convaincue que cette politique est bonne. Naturellement, on ne fait jamais tout bien. Plutôt que de nous envoyer des messages à la figure, peut-être pourrions-nous tous nous demander comment mieux agir dans l’intérêt de notre pays.

M. le président Éric Coquerel. Je suis tout de même surpris, en tant que parlementaire, que, la veille du 14 décembre, vous receviez une note de Bruno Le Maire signalant très clairement un écart de recettes significatif par rapport au budget que vous vous apprêtez à faire passer par 49.3 le lendemain. L’annulation de 10 milliards de crédits n’y est pas présentée comme une suggestion : on vous indique qu’elle devra avoir lieu. Trouvez-vous normal, dans une démocratie, d’avoir recours au 49.3 sur un texte qui, de fait, à la lecture de la lettre que vous aviez reçue la veille, se révélait totalement erroné ? Plus rien ne tenait debout et nous, parlementaires, n’en savions rien.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Tel que vous le présentez, je me permets de le dire, cela me semble un peu caricatural.

J’ai pris connaissance le 15 décembre – la veille d’un 49.3 – de l’alerte du ministre de l’économie datée du 13 décembre

M. le président Éric Coquerel. Le 49.3 était le 14 décembre et vous recevez la lettre le 13 décembre.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je prends connaissance de la lettre le 15 décembre, avant le 49.3 du 16 décembre – il y en aura un dernier le 19 décembre. À ce moment-là, tous les services, dont l'Inspection générale des finances, nous disent qu’ils ne sont pas capables de corriger le budget.

M. le président Éric Coquerel. Les informations reçues vous indiquaient que, en raison d'une masse salariale plus faible que prévu, les recettes d'impôt sur le revenu seraient inférieures de 1 milliard aux anticipations, les cotisations sociales de 2 milliards et que les moindres recettes de TVA pourraient atteindre plusieurs milliards d'ici à la fin de l'année, dont une moins-value de 1 milliard, déjà constatée fin octobre. Ce ne sont pas des hypothèses, ce sont des chiffres qui font en sorte que le budget qui va nous être proposé par 49.3, sur lequel il y aura ensuite une motion de censure, devient complètement erroné. Vous me dites que vous n’aviez plus le temps d’en proposer un autre. Il reste que la représentation nationale n’a pas disposé de ces informations qui transformaient considérablement le contexte. Même l’article liminaire n’a pas été modifié. Cela ne vous pose pas un problème ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Cette note m’a été transmise par Bruno Le Maire à la suite d’une note qu’il a reçue le 7 décembre de ses services qui disent qu’il y a beaucoup trop d'incertitudes à ce stade pour pouvoir communiquer sur le sujet. Le ministre dit alors qu’il faudra communiquer, il ne dit pas qu’il faudra communiquer le lendemain. La directrice du budget, que vous avez auditionnée, dit d’ailleurs très clairement que ses services sont incapables à ce moment-là d’indiquer quelles seront les recettes pour 2024. Quant à l'Inspection générale des finances, elle écrit que les écarts signalés par les administrations ne justifient pas le dépôt d'un amendement et la révision du scénario des finances publiques. Oui, à ce moment-là, il y a des alertes.

M. le président Éric Coquerel. Ce ne sont plus des alertes ce sont des informations.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Non, ce ne sont pas des informations, ce sont des alertes dont la directrice du budget vous a expliqué qu'elles étaient insuffisamment étayées et précises pour pouvoir changer en quoi que ce soit le projet de loi de finances.

M. le président Éric Coquerel. Elle ne l’a pas dit comme cela.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Excusez-moi, mais j’ai la phrase sous les yeux : « Il était assez évident qu'il y aurait un impact en 2024, mais en vue de pouvoir déposer des amendements au PLF pour 2024, il aurait fallu être en mesure de quantifier précisément l’effet. On ne peut pas simplement dire à l’Assemblée ou au Sénat qu’il existe un risque et que l’environnement va évoluer ; encore faut-il être capable de l’évaluer, recette fiscale par recette fiscale. » Or ce n’était pas le cas à ce moment-là.

M. le président Éric Coquerel. J'ai ici la lettre de Bruno Le Maire qui vous a été envoyée. Elle n’évoque pas des risques : elle donne des détails très précis sur les milliards de recettes à attendre en moins et sur les actions à prendre. C’est d’ailleurs exactement ce qui sera fait puisque 10 milliards de crédits seront annulés. Les parlementaires ont donc voté sur une motion de censure à la suite d’un 49.3 alors que des informations dont ils n’avaient pas connaissance auraient pu changer leur vote car le budget présenté n’avait plus aucune réalité dès le 13 décembre, et vous le saviez.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Les mesures qui ont été prises correspondent à des mesures de précaution normales. Votre interprétation de la lettre est un peu étrange, puisque vous laissez penser que le ministre de l'économie savait alors que ses services ne savaient pas.

M. le président Éric Coquerel. J’ai repris les termes d’une lettre qui vous ai adressé.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. On peut tous s'amuser à extraire des paragraphes. La note du 7 décembre, dont je n’étais pas destinataire, dit très précisément que les incertitudes sont trop fortes pour communiquer sur le sujet. La directrice du budget et l’Inspection générale des finances vous ont dit la même chose.

M. le président Éric Coquerel. Je n’ai pas une lecture particulière de la note : je donne des chiffres précis. Le ministre de l'économie donne des informations essentielles. Et nous avons voté sans les connaître. Vous auriez pu considérer qu’il y avait des choses à corriger à cet égard. Vous ne le faites. Vous l’assumez

M. Nicolas Ray (DR). La principale alerte concernant le dérapage des comptes publics date de cette note de mi-décembre 2023. Comme vous avez quitté vos fonctions quelques semaines après, je considère que votre responsabilité est assez limitée au titre de 2024. Pour autant, le dérapage a quand même commencé en 2023, le déficit passant de 4,9 % à 5,5 % du PIB. N’avez-vous pas sous-estimé la note du Trésor du 11 juillet 2023 qui lance des alertes sur le dérapage du déficit ? N’aurait-il pas fallu procéder à des annulations de crédits dès 2023 ? Avez-vous suffisamment pris en compte cette note dans la préparation du budget 2024 ?

J'entends votre remarque sur le Haut Conseil des finances publiques selon lequel la prévision était plausible, mais alors pourquoi la direction générale du Trésor dit autre chose ? Comment sortir de ce dilemme ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Il ne fait aucun doute qu’il n'est pas satisfaisant de déraper de 0,5 point de PIB. Je le regrette. Il faut prendre des dispositions en conséquence pour que des alertes comme celle que j’ai reçue à la mi-décembre sur les recettes fiscales remontent tout au long de l’année au ministre de l’économie. On n'imagine pas une entreprise qui prendrait connaissance de son chiffre d'affaires le 15 décembre ou qui ne disposerait d’informations consolidées sur son chiffre d'affaires qu’au mois de février de l'année suivante.

Je pense que le ministre de l'économie et la ministre chargée des comptes publics sont déterminés à mettre en place des systèmes d'information permettant d’éviter la situation que nous avons connue. Il n'est pas normal que les recettes fiscales soient moins élevées que prévu et que nous ne recevions d’alerte à ce sujet qu’à la mi-décembre, et les chiffres consolidés au mois de février de l’année suivante.

Si les alertes avaient été reçues au bon moment, nous aurions pu rectifier les trajectoires et éviter un dérapage de 0,5 point. Nous aurions tous été satisfaits, je pense, d’avoir tenu le déficit pour 2023. Il y a donc certainement des progrès à faire dans les constatations de recettes, qui devraient remonter régulièrement, mensuellement ou trimestriellement.

M. Nicolas Ray (DR). La prévisibilité et la perception des recettes fiscales, particulièrement de l’impôt sur les sociétés, posent problème à cet égard. Ne faudrait-il pas revoir le calcul et le calendrier d'acompte de cet impôt volatil ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Un conseil scientifique a été mis en place. Je ne vais pas me prononcer à sa place. Des réflexions sont en cours sur la nécessité d’analyser plus finement, secteur par secteur, quelques grands secteurs contribuant de façon importante aux moindres rentrées d'impôt sur les sociétés. Rendre les prévisions d'impôt sur les sociétés plus fiables n’est pas facile en raison des politiques de provision des entreprises. En outre, il peut y avoir des secteurs qui n'évoluent pas conformément à l'ensemble de l'économie alors qu’ils sont des sources de rentrées fiscales importantes.

En revanche, on devrait pouvoir sécuriser et suivre de façon beaucoup plus précise les rentrées de TVA. Je ne m’explique pas les écarts constatés. Cela reste un mystère pour moi.

M. Nicolas Ray (DR). Je suis élu local depuis dix ans et je voudrais faire un parallèle avec la construction des budgets locaux. En général, nous sommes plutôt pessimistes pour les recettes, notamment pour les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), les taxes foncières et les recettes de location, et nous exagérons les dépenses pour ne pas avoir de mauvaises surprises.

Ces pratiques de bon sens ne devraient-elles pas être mises en œuvre au niveau de l'État ? Cela pourrait passer par des réserves de précaution qu’on pourrait modifier en cas de bonnes nouvelles. Il me semble préférable de gérer les bonnes surprises que de subir les mauvaises.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. La construction du budget, je n’en doute pas, doit se faire sur la base d'hypothèses prudentes. La réputation du ministère de l'économie est d’ailleurs plutôt de faire des prévisions prudentes. L'exécution du budget 2022, qui a dégagé un solde moins déficitaire que prévu, le prouve.

La défaillance des hypothèses de recettes est peut-être liée aux boosts inhabituels de la relance après la crise de la covid et à des niveaux d’inflation que nous n'avions pas connus depuis des décennies. Nos voisins ont également connu de mauvaises surprises en matière de recettes pour les années 2023 et 2024. Mais les conséquences ne sont pas les mêmes pour un pays dont le déficit est très maîtrisé que pour un pays qui doit suivre une trajectoire de redressement de ses finances publiques.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Les nombreuses auditions que nous avons menées laissent entrevoir plusieurs hypothèses : erreurs de prévision ou d'appréciation, excès d’optimisme ou amateurisme légistique. Cette dernière hypothèse est particulièrement frappante s’agissant de la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crim) dont les prévisions de recettes tournaient autour de 12 milliards alors que nous nous sommes retrouvés avec 600 millions d’euros. Globalement, le sentiment qui prédomine est celui d’une irresponsabilité généralisée, mais lorsqu’elle est à hauteur de 50 milliards, cela fait beaucoup.

Vous soutenez la politique de l’offre, au titre de laquelle vous avez baissé les impôts des entreprises pour les rendre plus compétitives. Mme Claire Thirriot-Kwant, ministre-conseillère pour les affaires économiques et cheffe du service économique régional de Berlin, nous a pourtant fait savoir, lors de son audition devant notre commission, que les entreprises en Allemagne sont taxées en moyenne à 30 % alors que leur compétitivité ne fait pas de doute. Votre argument est donc contredit.

À l'aune de votre expérience de première ministre, considérez-vous que les liens qui existent entre Bercy et Matignon sont suffisamment fluides, étroits et bien organisés ? En tant que première ministre, considérez-vous avoir disposé de tous les éléments nécessaires à la veille d’un 49.3 sur le vote du budget ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Les liens étaient très étroits puisque les réunions avec le ministre de l’économie et le ministre chargé des comptes publics se tenaient à un rythme hebdomadaire. Il s’agissait des seuls ministres que je voyais avec une telle fréquence.

Nous devons tous nous redire que le dérapage des déficits publics en 2023 et en 2024 est lié à une erreur sur les prévisions de recettes. Le ministre de l'économie a lui-même été informé tardivement de la réalité des recettes par rapport à leurs prévisions. La question est donc moins celle du lien entre Matignon et le ministère de l’économie que celle de notre capacité à améliorer tant l’estimation que la constatation des recettes.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Je m’adresse maintenant à la ministre que vous êtes. À partir de ce diagnostic, qu’est-ce qui a été mis en place et comment pouvez-vous vous engager sur la pertinence des prévisions pour 2025 ? Je rappelle que le gouvernement a déjà corrigé les prévisions sur lesquelles il a construit son budget, qui a été adopté par 49.3, sans corriger toutefois le détail des déficits. D’ailleurs, la niche écologiste qui a lieu aujourd’hui vous donne l'occasion d’adopter des recettes supplémentaires. Pouvez-vous vous engager à nous dire que les calculs sur lesquels repose le budget ne seront pas remis en cause demain ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je suis désormais ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il ne m’appartient donc pas de répondre à ces questions. Je ne doute pas que mes collègues Éric Lombard et ma collègue Amélie de Montchalin auront à cœur de vous expliquer les dispositions prises pour assurer un meilleur suivi. Pour avoir échangé avec eux, je peux en tout cas vous assurer que c'est une préoccupation qu'ils partagent largement.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Vous n'êtes donc pas assurée que les plafonds de dépenses qui vous ont été signifiés en tant que ministre de l'éducation nationale seront garantis pour 2025 et donc que les engagements pris, notamment par rapport aux postes d’accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH) et d'enseignant, seront respectés.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Ne mélangeons pas tout ! Je crois qu’il n’y a pas eu une seule fois où un gouvernement a été amené à annuler des recrutements de fonctionnaires pour tenir ses objectifs de dépenses. Je rappelle que quelque 95 % des dépenses de mon ministère, s’agissant de l’éducation nationale, concernent la masse salariale. Et l’État paye ses fonctionnaires.

Mme Christine Arrighi (EcoS). En tant que ministre d’État, vous ne pouvez donc pas vous engager sur le fait que des mesures correctives permettant de réduire le plus possible l’écart entre les prévisions et les constatations de recettes ont été prises.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je suis ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je vous l’assure, ces fonctions occupent mes journées. Je fais confiance au ministre de l'économie et à la ministre chargées des comptes publics pour améliorer le suivi des recettes afin d’éviter toute annulation de crédits. Certes, le fonctionnement harmonieux du gouvernement nécessite des échanges entre nous, mais la ministre de l'éducation nationale ne doit pas faire le travail du ministre de l'économie.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Le travail du gouvernement est de construire collectivement un budget. Mais je comprends que, en tant que ministre, vous ne pouvez pas vous y engager.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je le répète, depuis le début de la Ve République, je n'ai pas souvenir que des recrutements de fonctionnaires aient été stoppés parce qu’il fallait prendre des mesures d’économie. Nous sommes en train de lancer les concours de recrutement d’enseignants pour la rentrée 2025. Je travaille actuellement sur les cartes scolaires et je ne demande pas à mon collègue ministre de l’économie de s’en charger. Les défis sur la réussite de nos jeunes ou sur la performance de notre recherche sont considérables : j'essaie de m’engager sur mes champs de responsabilité.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Dans le cadre d’une commission d’enquête, il faut éviter certains écueils et il nous faudra faire le tri entre telle ou telle considération énoncée ici ou là.

Je note que vous avez reconnu un problème sur les prévisions et que vous avez parlé de dysfonctionnement. Après vingt mois passés à Matignon, votre vision des difficultés est juste et pertinente. Je souhaiterais donc savoir qui, dans la « chaîne de commandement » qui relie l’Élysée à Matignon et aux ministères économiques et financiers, a validé le scénario macroéconomique et les différentes prévisions concernant la croissance et l’inflation avant le dépôt des PLF pour 2023 et 2024.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Il s’agit du cœur de la mission du ministre de l’économie. Il reçoit tous les avis et consulte différents organismes de prévision. Les hypothèses de croissance et d’inflation relèvent donc de sa responsabilité. Elles sont évidemment validées par le gouvernement et les trajectoires macroéconomiques sont partagées avec le président de la République.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Sous l'impulsion du premier ministre Michel Barnier et du ministre chargé des comptes publics, un comité scientifique a été nommé en novembre dernier afin d'identifier des propositions concrètes d'amélioration de prévision et de suivi des comptes publics. Que pensez-vous de cette initiative ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. L'exécution du budget 2023 et les difficultés d'exécution du budget 2024 doivent conduire à revoir le rythme des remontées d'informations et à perfectionner les modèles économiques utilisés pour traduire des hypothèses de fiscalité et de croissance en hypothèse de recettes. Je pense donc que c’est une très bonne idée.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Vous avez évoqué le rôle du Parlement. Comment le renforcer ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Le Parlement est amené à examiner les textes financiers, souvent très rapidement, après la présentation du budget en conseil des ministres. Je ne sais pas si ce sont les meilleures conditions.

Il faut aussi qu’il puisse exercer son rôle d'évaluation et de contrôle. Les revues de dépenses que j’ai demandées doivent faire partie des sujets dont le Parlement doit se saisir. La soutenabilité de nos dépenses publiques est un enjeu majeur que nous devons relever collectivement. Il est important à cet égard que le Parlement puisse être davantage force de proposition pour des mesures de rétablissement de nos finances publiques. Il doit en outre être régulièrement informé de l’exécution du budget.

M. Emmanuel Mandon (Dem). S’agissant des collectivités territoriales, à quel moment avez-vous eu conscience d'une difficulté par rapport au rythme de leurs dépenses ? Nous étions dans la dynamique de la relance, au lendemain de la crise de la covid. La priorité de l’action du gouvernement n’était-elle pas ailleurs dans ce contexte lié en outre au cycle électoral ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je rappelle que le gros écart concernant les prévisions de dépenses dans notre trajectoire de finances publiques a eu lieu en 2024. Je n’ai pas d’explication particulière sur le fait que les hypothèses retenues – 0,5 point en dessous de l’inflation – se sont à peu près confirmées au début du quinquennat avant que nous ne connaissions un écart très important.

Cela dit, des décisions globales, en particulier sur le point d’indice, ont pu avoir un impact sur les dépenses de masse salariale des collectivités territoriales. Je n’ai néanmoins pas d’éléments pour expliquer pourquoi les dépenses ont été très supérieures à ce qui avait été envisagé avec les associations de collectivités locales, notamment malgré la baisse du prix de l’énergie en 2024.

M. Jérôme Guedj (SOC). Le coût du Ségur de la santé – revalorisation parfaitement légitime des rémunérations des personnels de santé –, évalué à 9 milliards au moment où il a été mis en place en 2020, s’élève désormais à 13 ou 14 milliards. La commission des comptes de la sécurité sociale a très clairement établi que le montant du déficit de l’assurance maladie correspondait aux dépenses qu’il a engendrées, faute de financement spécifique.

En 2022, lorsque vous avez été nommée première ministre, ce dispositif était arrivé à maturité, après avoir connu des extensions progressives, notamment à travers les accords Laforcarde. Lors de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, avez-vous reçu des alertes concernant son financement ? A-t-on appelé votre attention sur le fait qu’en l’absence de recettes pour compenser son coût, le tendanciel de l’objectif national de dépenses de santé, l’Ondam, serait affecté ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. La question ne m’a pas été posée en ces termes. Je n’ai pas été spécialement alertée sur ce point. Selon moi, l’enjeu qui doit tous nous interpeller est le suivant : comment, entre 2017 et 2025, a-t-on pu consacrer 80 milliards de plus au système de santé alors que nombre de nos concitoyens ne perçoivent aucune amélioration, voire constatent une détérioration ? Cela appelle un travail d’analyse : sur quels postes portent ces dépenses supplémentaires ?

M. Jérôme Guedj (SOC). Je mets de côté le sujet de l’efficacité de la dépense publique que vous venez d’évoquer pour revenir à ma question : comment se peut-il qu’à aucun moment, les pouvoirs publics n’aient prévu de compenser par des recettes supplémentaires la montée en puissance du Ségur de la santé, alors même qu’il s’agissait de dépenses prévisibles s’élevant à plusieurs milliards ? Pourquoi a-t-on laissé le tendanciel de l’Ondam les absorber ? De manière contradictoire, les salaires des soignants ont été revalorisés au prix d’une dégradation de leurs conditions de travail.

Des recettes auraient pu être recherchées, du côté des cotisations sociales mais aussi des exonérations dont elles font l’objet. Je n’ouvrirai pas le débat sur la politique de l’offre en m’interrogeant sur l’efficacité de telles exonérations mais, d’un point de vue politique, il aurait été possible de demander un effort à tout le monde, en revenant sur une part des 65 à 70 milliards du coût qu’elles engendrent afin de financer le Ségur de la santé. Selon moi, c’est avant tout une question de gestion des finances publiques : comment a-t-on pu décider de nouvelles dépenses sans mettre en face des recettes ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. J’entends votre point de vue mais, je le répète, cette question ne m’a été posée en ces termes. L’Ondam, qu’il porte sur les soins de ville ou sur les établissements hospitaliers, renvoie à des paniers de dépenses et de recettes complexes. Le dispositif du Ségur justifie-t-il l’affectation d’une recette spécifique supplémentaire ? Cela mérite d’être expertisé. Qu’attendre de la dynamique de croissance des différentes recettes, notamment du rendement des cotisations salariales et de la contribution sociale généralisée (CSG) ? Ce sont des questions que l’on peut se poser.

M. le président Éric Coquerel. Je terminerai, madame la première ministre, en vous posant trois questions.

La première est factuelle. Pouvez-vous nous confirmer que vous n’avez pris connaissance que le 15 décembre de la note que Bruno Le Maire vous a transmise le 13 décembre ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. J’en ai pris connaissance le 15, effectivement.

M. le président Éric Coquerel. Ce n’est pas une question piège mais le calendrier a son importance puisque le 14 décembre, vous avez déclenché le 49.3 sur la partie recettes du projet de loi de finances.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Il y en a eu un aussi le 16 décembre.

M. le président Éric Coquerel. Comprenez que je puisse m’étonner que vous n’ayez pris connaissance d’une note aussi importante que deux jours après.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Peut-être que son auteur n’a pas jugé utile de me faire…

M. le président Éric Coquerel. D’accord, c’est lui qui vous ne l’aurait pas donné avant le 15 ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je ne dis pas ça. Je dis qu’elle a dû suivre un circuit de courrier normal.

M. le président Éric Coquerel. Vous auriez découvert en lisant cette note du 13 décembre le problème posé par les recettes. Or, une note du 11 juillet donnait déjà l’alerte à ce sujet. Plusieurs notes, à partir du 30 octobre, mentionnaient également cette question. Rétroactivement, ne considérez-vous pas problématique que ces alertes ne vous aient pas été communiquées ? En tant que première ministre, prête à engager la responsabilité de votre gouvernement, diriez-vous que vous avez été suffisamment informée ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. J’imagine que dans le cadre des travaux de votre commission d’enquête, vous avez identifié les différentes notes ayant donné des alertes. Je suppose que des discussions ont eu lieu, qui ont conduit à relativiser leur importance. Je fais un simple constat : j’ai été alertée par une note du 13 décembre dont j’ai pris connaissance le 15 décembre.

M. le président Éric Coquerel. Gabriel Attal, devant notre commission, a déclaré que, comme il n’y avait pas eu d’augmentation des dépenses publiques et que les recettes n’étaient pas celles attendues, il se demandait matin, midi et soir, comment baisser les dépenses. Vous nous avez dit à peu près la même chose, en soulignant que vous aviez passé l’essentiel de votre temps à faire en sorte de maintenir les dépenses. Comprenez-vous que l’on s’interroge sur une telle attitude ? Convenez-vous qu’elle puisse paraître contre-intuitive ? C’est comme si vous soigniez le ventre d’une personne se plaignant de douleurs à la jambe.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Cela aurait voulu dire qu’on aurait dû créer un impôt en cours d’année. Le pilotage de l’exécution budgétaire dans notre pays…

M. le président Éric Coquerel. Un projet de loi de finances rectificative le permet. Ma question ne porte pas sur la faisabilité. Je vous demande simplement si vous comprenez que l’on s’interroge sur vos choix. Pourquoi continuer à diminuer les dépenses, alors même qu’il est établi qu’elles ne sont pas à l’origine des déficits, au lieu de mener des réformes structurelles portant sur les recettes ?

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. La France a le niveau des prélèvements obligatoires le plus élevé de tous les pays de l’OCDE.

M. le président Éric Coquerel. Pas pour les plus hauts revenus !

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Nous pourrons toujours ouvrir un débat sur la nécessité de taxer davantage les plus hauts revenus mais je reviens à ma réponse. Dans un pays qui se singularise par le niveau de ses prélèvements obligatoires, tous les gouvernements qui pilotent un déficit savent prendre des décrets d’annulation de dépenses, mais inventer des recettes en cours d’année, c’est autre chose. Certes, un débat peut toujours être organisé mais je ne suis pas certaine que ce soit praticable, a fortiori quand le Parlement a la configuration qu’on lui connaît aujourd’hui.

M. le président Éric Coquerel. Nous savons qu’à partir du 11 juillet, des notes de Bercy ont signalé que les recettes n’étaient pas aussi élevées que prévu et que les déficits seraient plus importants que dans les hypothèses retenues dans les textes budgétaires en préparation. Le 13 décembre, Bruno Le Maire va jusqu’à vous transmettre une note à ce sujet. Le Parlement vote donc des budgets sur des bases trompeuses. Il n’est informé de cette dérive que parce que le rapporteur général du Sénat, Jean-François Husson, finira par se rendre à Bercy en mars 2024 et trouvera cette note. Auparavant, nous n’avons reçu aucune information sur le changement de contexte, qui nous aurait sans doute conduits à avoir une réflexion différente sur le budget au cours de son examen.

Après toutes ces auditions, il est clair que cette chronologie pose problème, compte tenu de ce que le Parlement aurait dû savoir. Ce n’est pas une question mais une remarque.

Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre. Je l’ai bien noté. Je crois avoir dit que le ministère de l’économie devait se doter, d’abord pour lui-même, de meilleurs outils de suivi des recettes. Pour examiner l’évolution des dépenses de l’État, il dispose déjà de très bons outils ; des progrès restent à faire s’agissant des dépenses des collectivités. Une fois ces améliorations apportées, le Parlement pourra légitimement considérer qu’il doit en être informé.

M. le président Éric Coquerel.  Merci, madame la première ministre.

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Information relative à la commission

La commission a désigné M. Jean-Paul Mattei, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires (n° 321).

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du jeudi 20 février 2025 à 9 heures

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, Mme Clémentine Autain, M. Anthony Boulogne, M. Mickaël Bouloux, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Sébastien Delogu, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, M. Christian Girard, M. David Guiraud, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, Mme Estelle Mercier, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, Mme Eva Sas, Mme Danielle Simonnet, M. Charles Sitzenstuhl

 

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Thomas Cazenave, M. Charles de Courson, M. Jean-Paul Mattei, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Emmanuel Tjibaou