Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Olivier Redoulès, directeur des études de Rexecode, et M. Anthony Morlet-Lavidalie, économiste France, sur la conjoncture économique 2
– Information relative à la commission................25
– Présence en réunion...........................26
Mercredi
9 avril 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 099
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
puis
M. Jean-Didier Berger,
Vice-président
— 1 —
M. le président Éric Coquerel. Nous poursuivons notre cycle d’auditions consacrées à la conjoncture économique en recevant ce matin deux représentants de Rexecode, M. Olivier Redoules, directeur des études, et M. Anthony Morlet-Lavidalie, économiste qui assure le suivi conjoncturel et les prévisions pour la France.
La politique de Donald Trump, à commencer par la hausse des droits de douane, déstabilise l’économie mondiale et complique la prévision de croissance à moyen terme. Alors que le premier ministre vient de déclarer que « la politique de Trump peut nous coûter plus de 0,5 % de PIB », Rexecode considère que l’assise de la croissance française est friable. Elle repose en effet sur la hausse de la dépense publique, les exportations, et sur un recul des importations lié à la baisse de la demande privée. Or la tendance n’est pas à la réanimation de la demande des ménages, et encore moins des entreprises. Rexecode note par ailleurs que la France a perdu plus de 90 000 emplois en fin d’année 2024, un recul d’une ampleur inédite sur un trimestre (- 0,3 %), hors périodes de crise.
La parenthèse post-covid-19 est close et l’évolution de l’emploi est de nouveau alignée sur l’activité, ce qui n’augure rien de bon à court terme. Dans ce contexte, une note de la direction générale du Trésor datée de la fin du mois de février suggère déjà qu’il faudrait trouver 100 milliards d’euros d’économies d’ici à 2029, dont 35 milliards d’euros dès 2026. Qu’en pensez-vous ? De telles coupes dans la dépense publique ne risquent-elles pas, dans un contexte de croissance déjà faible, de plonger le pays dans la récession ?
M. Anthony Morlet-Lavidalie, économiste France à Rexecode. Nos prévisions, établies à la mi-mars, intégraient dans leur scénario une augmentation des droits de douane qui s’est avérée finalement moindre que celle annoncée par le Donald Trump le 2 avril. Nous avons néanmoins quelques éléments à partager sur les impacts potentiels de cette décision.
Nous observons depuis deux ans une croissance du PIB de la France supérieure aux attentes des prévisionnistes, avec une progression en volume de 1,1 % en 2023 et 2024. Cependant, cette croissance repose principalement sur la dépense publique, comme le montre la dynamique importante de la consommation et de l’investissement publics. En revanche, la dépense privée stagne depuis fin 2022, révélant un déséquilibre préoccupant dans un contexte de finances publiques dégradées.
La reprise tant attendue de la consommation des ménages se heurte à un désir d’épargne toujours élevé. Une enquête de l’Insee montre que le jugement sur l’opportunité d’épargner reste historiquement haut, tandis que le jugement sur l’opportunité de faire des achats importants ne se redresse que légèrement. Cette situation ne laisse pas anticiper un fort rebond de la consommation des ménages, d’autant plus que le contexte renforce probablement le désir d’épargne de précaution.
Une spécificité notable de la consommation des ménages, qui distingue la France de ses voisins européens, est la dynamique exceptionnelle de la consommation de services, qui a retrouvé son niveau pré-covid. En revanche, la consommation de biens reste faible, ce qui explique le manque de croissance global.
L’investissement des entreprises a quant à lui bien résisté jusqu’à mi-2023, suivant une trajectoire proche de celle des entreprises américaines. Depuis cette date, l’investissement se contracte, ce qui reflète la dégradation du bilan des entreprises et se traduit par des arbitrages en faveur de moins d’investissements, moins de recrutements et par conséquent moins d’emplois.
Cette contraction s’explique principalement par la diminution des investissements dans la construction à partir de 2022, conséquence directe de la crise immobilière et de la hausse des taux d’intérêt. Parallèlement, nous observons une baisse significative des investissements en biens manufacturés, notamment dans l’achat de machines-outils et de matériels de transport, reflétant les difficultés actuelles du secteur industriel. Ces investissements se situent actuellement 10 % en dessous de leur niveau de fin 2019.
En revanche, l’investissement dans les services, particulièrement dans la digitalisation, l’achat de logiciels et de services numériques, démontre une remarquable résilience. Cette catégorie d’investissement s’avère quasi acyclique, continuant de progresser malgré la dégradation de la conjoncture économique et la compression des marges des entreprises, ce qui s’explique par la nécessité pour les entreprises de maintenir ces investissements afin de rester compétitives.
Afin d’appréhender la situation bilancielle des entreprises, nous utilisons comme indicateurs les actifs financiers liquides détenus par les entreprises non financières, exprimés en termes réels et comparés à la tendance. Après une période de sur-liquidité post-covid, favorisée par les plans de soutien de l’État, nous constatons une dégradation sensible depuis 2022. Actuellement, ces actifs sont largement inférieurs à la tendance, ce qui contraint les entreprises à des arbitrages plus stricts en matière d’investissement et d’emploi.
Cette situation est corroborée par notre enquête menée en collaboration avec Bpifrance auprès d’un large panel de très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME). Les résultats indiquent une détérioration du jugement des entreprises sur l’état de leur trésorerie, avec des niveaux désormais nettement inférieurs à la moyenne habituelle.
Les défaillances d’entreprises atteignent des niveaux historiquement élevés, surpassant même ceux observés lors de la grande crise financière, et se produisent à un rythme mensuel très soutenu et qui ne faiblit pas. Ce phénomène touche particulièrement les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), avec des conséquences économiques significatives.
Néanmoins, une analyse plus approfondie, basée sur les calculs de la direction générale des entreprises (DGE), révèle que la productivité des entreprises faisant défaut est généralement inférieure à la moyenne. Cela suggère un processus schumpétérien de destruction créatrice, où les entreprises les moins productives disparaissent, permettant une réallocation des ressources vers des secteurs plus productifs.
Sur le marché du travail, le climat est nettement moins favorable depuis quelques temps. Nous n’anticipons pas de destructions massives d’emplois, mais nous prévoyons une stagnation, voire un léger recul de l’emploi pour le début de l’année 2025. Cette situation marque un changement significatif par rapport à la robustesse du marché du travail post-covid.
Paradoxalement, malgré un taux de chômage historiquement bas, les ménages expriment une inquiétude particulièrement forte relative à l’évolution du chômage à horizon d’un an, comme le montre l’enquête de l’Insee. Cette perception négative, si elle semble excessive, pourrait influer défavorablement sur le comportement économique des ménages dans les mois à venir.
Notre scénario prévoit une augmentation progressive du taux de chômage, qui pourrait atteindre 8 % d’ici la fin de l’année. Cette hausse, sans être dramatique, indique néanmoins une détérioration du marché du travail, ou du moins des conditions moins favorables que celles observées ces derniers trimestres.
En tenant compte de l’ensemble de ces facteurs, y compris la situation géopolitique actuelle, nos estimations de croissance du PIB pour le premier trimestre de l’année sont quasi nulles ou très légèrement positives, entre 0 et 0,1 %, avec une tendance similaire au deuxième trimestre. Cette analyse nous amène à considérer que le scénario macroéconomique du gouvernement est probablement trop optimiste à ce stade, puisque notre prévision de croissance du PIB pour l’année 2025 s’établit à 0,6 %. Le début de l’année montre une légère résilience, sans contraction de l’activité pour le moment. Cependant, si les événements extérieurs s’intensifient, nous pourrions faire face à une situation nettement plus dégradée.
Nous avons mené une analyse structurelle afin de déterminer la position de l’économie française dans le cycle et anticiper d’éventuels effets de rattrapage ou de ralentissement. À cette fin, nous avons développé deux indicateurs de tension, l’un pour le capital et l’autre pour le travail. L’indicateur de tension sur le travail reste globalement supérieur à la moyenne historique, quand celui sur l’utilisation du capital est passé sous la moyenne historique. En combinant ces deux informations, nous pouvons estimer la différence entre le PIB observé et le PIB potentiel. Actuellement, cet écart de production est proche de zéro. Cela signifie qu’il n’y a ni surchauffe dans l’économie française, ni rattrapage à attendre, et que la croissance dans les années à venir ne saurait être très dynamique. Ce diagnostic est désormais partagé par l’ensemble des organisations internationales, alors que certaines anticipaient encore récemment un potentiel de rattrapage.
La situation des finances publiques françaises est très préoccupante. À cet égard, les comparaisons internationales ne sont plus rassurantes. La France se distingue par une détérioration marquée de son solde budgétaire entre 2019 et 2024, qui s’éloigne sensiblement de la moyenne de la zone euro. Cette situation se reflète mécaniquement dans l’évolution de la dette publique française, qui a crû nettement plus que celle de ses partenaires européens.
La dérive de nos finances publiques n’est pas récente et ne date pas de la crise du covid. Pour stabiliser la dette publique française, il faudrait retrouver un solde primaire, hors charges d’intérêts, nul ou légèrement excédentaire. Or la France n’a plus connu d’excédent primaire depuis 2001. En comparant la structure des dépenses et des recettes publiques entre 2001 et 2024, on constate que les premières sont passées de 52,8 % à 57,1 % du PIB, tandis que les secondes sont restées quasi stables, autour de 51,3 % du PIB. C’est donc l’augmentation du ratio des dépenses publiques qui a conduit à la détérioration du solde, malgré des charges d’intérêts plutôt favorables jusqu’à récemment.
Nos prévisions divergent significativement de celles du gouvernement. Nous anticipons un déficit public de 4,3 % à l’horizon 2029, bien loin de l’objectif gouvernemental de le ramener sous les 3 %. Bien que nous prévoyions une amélioration du solde structurel hors charges d’intérêts, l’augmentation de celles-ci, qui devraient atteindre 3,2 points de PIB en 2029, soit environ 110 milliards d’euros, contrebalance ces efforts. Dans un contexte où le consensus politique autour de mesures de réduction significative du déficit semble faire défaut, il nous paraît très difficile de faire repasser le déficit public sous la barre des 3 %.
L’analyse de notre taux d’endettement public révèle une tendance préoccupante. En effet, ce taux n’est pas stabilisé et continuera de croître jusqu’à l’horizon 2029. Cette situation soulève deux problèmes majeurs. Premièrement, nous nous exposons à un risque de sanction des marchés financiers. Dans le contexte actuel de fortes tensions sur les taux américains, liées à la politique de Donald Trump, nous pourrions également subir des pressions sur notre dette publique. Deuxièmement, cette situation pourrait engendrer des tensions intra-européennes, car nous ne respecterons pas nos engagements, ce qui risque de fragiliser la cohésion avec nos partenaires européens.
Notre tableau de prévisions, à date, fait état comme je l’ai indiqué d’une croissance du PIB de 0,6 % en 2025, légèrement inférieure au consensus des prévisionnistes, qui tend d’ailleurs à converger vers notre estimation. Nous prévoyons ensuite une reprise progressive, avec une croissance de 1 % en 2026, de 1,4 % en 2027. À l’horizon 2029, nous devrions converger à nouveau vers une croissance potentielle estimée à environ 1 %.
Nous anticipons une légère augmentation de la consommation des ménages, mais l’investissement continuera de peser cette année. L’emploi devrait se dégrader légèrement, entraînant une hausse du taux de chômage. En revanche, nous prévoyons un retour des gains de productivité, résultant d’une activité plus soutenue que les créations d’emplois. L’inflation devrait rester contenue sous les 2 %, en raison de la faiblesse de l’activité. Les marges des entreprises devraient rester relativement stables, à des niveaux relativement peu favorables.
M. Olivier Redoules. Trois facteurs structurels méritent une attention particulière : la productivité, la compétitivité et la situation internationale.
En matière de productivité, nous avons observé une forte remontée début 2023, tant de la productivité horaire du travail que de la productivité par tête. Cependant, nous n’avons pas encore retrouvé les niveaux de 2019. L’écart est plus marqué pour la productivité par tête, en raison d’une légère baisse du nombre d’heures travaillées. Par rapport à la tendance observée antérieurement à la crise, nous accusons un retard de quatre à cinq points. Environ un tiers de cet écart, soit deux points, s’explique par l’apprentissage. Le reste est attribuable à divers facteurs tels que la rétention de main-d’œuvre, les effets de composition et la hausse du taux d’emploi.
Cette remontée de la productivité est largement due au secteur dit énergie-eau-déchets, notamment à EDF. Les autres branches industrielles ont plutôt connu des baisses de productivité depuis début 2023. Dans les services, les secteurs de l’information, des télécommunications et des services aux entreprises ont tiré la croissance vers le haut, reflétant les investissements structurels des entreprises dans le numérique et la transformation. Les autres secteurs ont connu des évolutions plus modestes.
Dans l’industrie, la plupart des grands secteurs affichent une productivité inférieure à celle de 2019. Cette perte de productivité industrielle, sur une période de cinq ans, semble difficilement attribuable à des facteurs purement conjoncturels. Plusieurs éléments peuvent l’expliquer, notamment le changement des conditions de financement depuis 2022, la crise géopolitique, la hausse des coûts de l’énergie et les tensions sur les chaînes d’approvisionnement.
Les échanges extérieurs sont revenus à un léger déséquilibre comparable à celui de 2019 pour la balance des biens et services. Cependant, si le déficit en biens s’est accru, pas uniquement sur l’énergie, les services ont enregistré un excédent record, de l’ordre de 50 milliards d’euros en 2024. Nous constatons également un glissement de la demande externe vers la demande interne.
Nous avons continué à perdre des parts de marché à l’international, environ un point sur les biens et les services entre 2019 et aujourd’hui. En revanche, nous en avons regagné sur le marché domestique, avec une pénétration accrue de l’offre nationale et un moindre recours aux importations. Cela s’explique en partie par une consommation de biens qui s’est tassée au profit des services, généralement produits localement.
Depuis 2019, nos exportations ont globalement suivi l’évolution du PIB. En d’autres termes, elles n’ont ni soutenu ni freiné l’activité économique. Notre perte de parts de marché a été compensée par une croissance du commerce mondial dynamique jusqu’à récemment. Depuis 2022, nous observons une baisse des importations, ce qui contribue positivement au PIB à court terme. Cependant, cette baisse se produit en partie pour de mauvaises raisons, puisqu’elle est aussi liée au ralentissement de l’investissement, et soulève des inquiétudes à moyen terme.
Enfin, les récentes annonces de Donald Trump sur les droits de douane sont porteuses d’interrogations sur l’avenir du commerce international. Les performances positives de notre commerce extérieur ont été réalisées dans un contexte de croissance continue du commerce mondial. Une remise en question de cette dynamique pourrait affecter notre économie de manière significative. Les prévisions à moyen terme indiquent que, quel que soit le scénario final, l’impact sera globalement négatif. Même avec des barrières commerciales d’intensité variable, la rupture des relations de confiance entraînera une diminution du PIB mondial, du commerce international et du PIB de la zone euro, accompagnée d’une légère hausse de l’inflation.
À court terme, les effets pourraient diverger légèrement, avec des pressions désinflationnistes dues à l’offre excédentaire de produits ne pouvant accéder au marché américain. Parallèlement, nous prévoyons des répercussions plus négatives liées aux tensions financières, à l’incertitude pesant sur nos entreprises, ainsi qu’aux effets directs et indirects des barrières tarifaires américaines sur notre industrie.
Cette situation comporte toutefois un élément porteur d’espoir si elle devait conduire à un approfondissement de l’intégration européenne, dont le récent rapport rédigé par Mario Draghi souligne qu’elle permettrait d’exploiter le potentiel de croissance à l’échelle continentale. En effet, l’Union européenne dispose en quelque sorte de ses propres barrières tarifaires sur ses marchés de biens et de services, et un approfondissement du marché européen pourrait donc soutenir la croissance économique.
M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie pour cette présentation. Concernant la dette, je pense qu’il serait pertinent d’ajouter à votre tableau sur la dette publique un tableau intégrant la dette privée. Cette approche offrirait une vision plus complète de la situation d’endettement, et montrerait que les chiffres de la dette globale sont moins défavorables que ce que suggère le seul tableau de la dette publique. Celle-ci, selon moi, peut être considérée comme une forme de prise en charge partielle de la dette privée.
Je comprends l’intérêt de la perspective historique remontant à 2001 pour analyser la structure des dépenses et des recettes publiques. Néanmoins, une comparaison avec 2017 serait également instructive, particulièrement au vu des données récentes indiquant une stabilité de la part des dépenses publiques d’État dans le PIB, contrastant avec une baisse de la part des recettes.
D’après votre étude, vous n’anticipez pas de destruction massive d’emplois. Mais lors de l’audition devant notre commission le 2 avril, M. Éric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a mis en évidence un problème croissant de compétitivité et suggéré que l’amortissement observé entre la situation économique et l’emploi pourrait rapidement prendre fin, entraînant potentiellement un décrochage rapide, d’ailleurs déjà perceptible à travers les plans de licenciement actuels. De plus, l’augmentation significative des préoccupations des entreprises concernant la demande mérite une attention particulière. J’aimerais connaître votre avis sur ces deux points.
La hausse des droits de douane, dont l’impact sur la croissance reste à quantifier précisément, conjuguée à l’effet récessif potentiel d’une baisse des dépenses publiques dans ce contexte, me pousse à vous demander si, compte tenu des écarts entre les prévisions de croissance initiales et la réalité actuelle, il sera nécessaire de procéder à une rectification significative du budget en cours.
Enfin, il serait intéressant d’approfondir votre analyse sur les scénarios de dégradation de la conjoncture aux États-Unis, en Europe et en Chine, en lien direct avec l’augmentation des droits de douane, au-delà des indices déjà fournis.
M. Olivier Redoules. Il convient de distinguer la dette privée de la dette publique, parce que, en cas de difficulté, la dette privée reste à la charge des agents privés qui l’ont contractée. En outre, une part significative de cette dette a généralement pour contrepartie des actifs privés, notamment dans le secteur immobilier.
La comparaison internationale de la dette privée révèle surtout des différences dans le degré de financiarisation des économies. Par exemple, le recours au crédit hypothécaire est plus répandu dans certains pays qu’en France. Cette différence peut être perçue de deux manières : d’une part, comme une limitation prudente de la prise de risque des ménages et des banques, d’autre part comme une restriction des opportunités offertes aux ménages pour mobiliser leur patrimoine à des fins personnelles ou entrepreneuriales.
Il importe également de prendre en compte les différences dans les systèmes de retraite. Dans les pays où les systèmes par capitalisation sont plus développés, les Pays-Bas par exemple, les pensions sont parfois susceptibles de servir de garantie pour des emprunts, ce qui n’est pas le cas en France.
Ces différences reflètent des choix de société distincts. Le Danemark, par exemple, qui recourt largement aux crédits hypothécaires, n’a pas nécessairement connu de crises financières ou de difficultés plus importantes que la France. Notre modèle de financement étant bien plus contraignant pour les agents privés, nos bilans sont structurellement réduits parce qu’une partie du bilan circule dans notre système de sécurité sociale.
Concernant l’évolution des finances publiques entre 2017 et 2023, l’analyse des dernières données des comptes nationaux révèle une légère augmentation des dépenses publiques, accompagnée d’une diminution des recettes et des prélèvements obligatoires. Il importe toutefois de préciser le périmètre considéré pour les dépenses publiques, selon qu’on y inclut ou non les crédits d’impôt. En intégrant ces derniers, c’est-à-dire en tenant compte essentiellement de la réduction de 20 milliards d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), alors nous constatons une baisse des dépenses publiques et la variation du déficit entre 2017 et 2023 peut être entièrement attribuée à l’évolution des prélèvements obligatoires. Cependant, j’estime plus pertinent d’examiner les dépenses publiques hors crédits d’impôt. Selon cette approche, nous observons une légère hausse des dépenses publiques conjuguée à une baisse des prélèvements obligatoires.
Concernant la croissance et les effets récessifs, je considère que les estimations des impacts des tensions commerciales sur la croissance demeurent extrêmement incertaines. Néanmoins, nous avons intégré ces éléments dans nos prévisions. Il est évident que d’éventuelles mesures de rétorsion pourraient amplifier les répercussions à court terme sur l’activité française. Bien que nous envisagions nous-mêmes certaines ripostes, l’ensemble de ces scénarios reste hautement hypothétique.
M. Anthony Morlet-Lavidalie. Je souhaite apporter quelques précisions concernant l’évolution des dépenses et des recettes publiques depuis 2017. Il est impératif de distinguer l’analyse des erreurs de prévision à très court terme des tendances structurelles affectant les finances publiques. Si, à court terme, la question des recettes est effectivement prégnante, il serait réducteur de se focaliser sur une seule année. Cette approche serait comparable à une analyse de la croissance basée uniquement sur l’année 2023, où nous avons bénéficié d’une croissance remarquable et d’une contribution exceptionnelle du commerce extérieur. Or, sur les deux dernières décennies, force est de constater que le commerce extérieur français n’a pas été un moteur majeur de la croissance.
Il en va de même pour les dépenses publiques. Une analyse pertinente requiert une perspective historique approfondie afin d’identifier les causes du déséquilibre structurel affectant l’État depuis vingt-cinq ans. En examinant des périodes d’au moins une décennie, il apparaît clairement que c’est principalement l’augmentation des dépenses publiques, plutôt qu’une diminution des recettes, qui explique la détérioration du solde primaire.
J’aimerais revenir sur le diagnostic relatif à la rétention de main-d’œuvre évoqué par M. Redoules. Nous avons traversé une période où certains secteurs ont recruté en raison d’une activité soutenue, tandis que d’autres ont évité les licenciements parce qu’ils anticipaient une reprise. Cependant, face à une reprise moins vigoureuse qu’escomptée, notamment dans l’aéronautique, nous pourrions assister à une vague de licenciements plus importante et à un ajustement des effectifs actuellement surdimensionnés par rapport au niveau d’activité. Il convient toutefois de noter que le secteur aéronautique, particulièrement concerné par ce phénomène de rétention, pourrait bénéficier d’un effet d’amortissement grâce à l’augmentation probable des dépenses de défense, susceptible d’avoir des retombées positives sur ces filières.
Si l’on appréhende les facteurs limitant la croissance économique française du point de vue de l’offre et de la demande, il est important de souligner avant tout que les contraintes de demande, bien qu’approchant leur moyenne historique, restent inférieures aux niveaux observés par le passé. À l’inverse, les contraintes d’offre s’avèrent nettement supérieures à leur moyenne historique. Ces données, toutefois, doivent être interprétées avec prudence, parce qu’une faible demande peut révéler des problèmes de compétitivité de l’offre. La comparaison à long terme entre la France et l’Allemagne, particulièrement dans le secteur industriel, illustre ce point : l’industrie allemande a été confrontée à des problèmes de demande bien moins importants que l’industrie française, précisément en raison de sa plus grande compétitivité au cours des deux dernières décennies.
L’impact récessif des mesures protectionnistes américaines est difficile à évaluer, mais les estimations actuelles suggèrent un effet négatif d’environ 0,2 % sur la croissance, un chiffre qui pourrait doubler en cas de mesures de rétorsion réciproques. À l’échelle mondiale, les projections indiquent une réduction de la croissance d’environ 1 % à l’horizon 2025-2026, mais sans tenir compte des effets par nature incertains d’une éventuelle crise financière mondiale qui amplifierait considérablement la récession.
Mesurer l’impact des réductions de dépenses publiques sur le PIB réclame une approche nuancée. Les multiplicateurs budgétaires ne sont pas uniformes et varient selon la nature des dépenses concernées. Par exemple, une réduction des dépenses de retraite aurait probablement un effet moins négatif sur la consommation qu’une augmentation de la fiscalité sur le travail, les ménages retraités ayant généralement une propension à consommer plus faible que les actifs. Il est donc essentiel d’adopter une approche différenciée dans la gestion des dépenses publiques, en tenant compte des spécificités de chaque poste budgétaire.
L’objectif gouvernemental de réduction du déficit à 5,4 % du PIB d’ici fin 2025 semble atteignable puisque la situation est légèrement moins défavorable que prévu, avec un déficit à 5,8 % au lieu des 6,1 % attendus. Cependant, dans un contexte économique plus délicat, réaliser un effort de réduction de 0,4 point est conditionné par une croissance positive, même modeste. Dans tous les cas, il serait très risqué de laisser la dette s’accroître davantage, car il en va du respect des engagements de la France et de la préservation de sa crédibilité sur la scène européenne.
M. Olivier Redoules. Pour répondre à votre question relative à l’emploi, monsieur le président, il est certain que la perte de productivité est potentiellement susceptible de provoquer des rétentions de main-d’œuvre, qui sont sans doute dépendantes, dans une certaine mesure, des financements publics, comme l’illustre en creux l’effort consenti lors de la mise en place du prêt garanti par l’État (PGE).
La question de l’absorption de cette rétention d’emploi n’en reste pas moins complexe à appréhender. Notre scénario prévoit une hausse du chômage et un rattrapage partiel de la productivité, mais il est probable qu’une partie de la perte de productivité soit structurelle. Plusieurs facteurs entrent en jeu : le maintien des dispositifs de financement de l’apprentissage, l’évolution de la structure de la main-d’œuvre, ainsi que les mutations de l’appareil productif. Dans certains secteurs, nous constatons des délocalisations de sites de production, sans perspective immédiate de retour.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ma première question porte sur les conséquences potentielles d’une augmentation drastique des droits de douane, en termes de croissance et de prix. D’aucuns supposent que, face à une telle situation, les pays européens pourraient être incités à se replier sur le marché intérieur de l’Union européenne, et que la Chine, confrontée à des droits de douane prohibitifs aux États-Unis, pourrait chercher à réorienter ses exportations vers l’Europe. Que pensez-vous d’un tel scénario ? Avez-vous réalisé des simulations ?
M. Anthony Morlet-Lavidalie. Les États-Unis ne peuvent pas, à court terme, se passer de la Chine, qui représente un tiers de la production manufacturière mondiale et détient une position monopolistique sur de nombreux intrants essentiels. Dès lors, un découplage immédiat étant matériellement impossible, les États-Unis devront continuer à s’approvisionner en Chine, soit directement en subissant les droits de douane de 104 %, soit indirectement via des pays tiers, comme le Vietnam ou le Mexique, où les droits seraient moins élevés. Cette situation engendrera inévitablement de l’inflation, les chaînes de valeur étant trop mondialisées pour permettre un retour rapide à une production locale.
Par ailleurs, les effets de second tour sur l’Europe pourraient s’avérer considérables. Au-delà de la perte de débouchés aux États-Unis, l’Europe risque en effet d’être confrontée à un afflux massif de produits asiatiques, particulièrement chinois, à des prix extrêmement compétitifs. La Chine, cherchant à écouler sa surproduction, pourrait réduire drastiquement ses marges et ses prix, ce qui aurait des conséquences potentiellement dévastatrices pour l’industrie européenne.
M. Olivier Redoules. Nous réalisons des simulations des effets potentiels d’une hausse des droits de douane, mais il convient de souligner que les indicateurs dont il est question, à savoir des taux de droits de douane de 50 % ou de 100 %, excèdent largement les hypothèses de linéarité sur lesquelles reposent nos modèles économiques.
Néanmoins, nous pouvons distinguer trois horizons temporels dans notre analyse. À long terme, quel que soit le point d’atterrissage, l’impact sera probablement négatif. Les États-Unis, en adoptant une posture de rupture, fragilisent leur statut historique d’îlot de stabilité et de confiance sur la scène économique mondiale. Bien que cette situation puisse évoluer à la faveur d’une alternance politique ou d’un revirement de Donald Trump, elle crée un précédent qui ébranle les fondements de l’économie mondialisée. Cette dernière, fruit de décennies d’efforts de coopération internationale, a généré des gains substantiels en termes de PIB mondial et de pouvoir d’achat, malgré ses imperfections. La remise en cause de ce système pourrait entraîner une hausse des prix, voire la disparition de certains produits sur nos marchés, rappelant que le principal bénéfice du commerce réside dans les importations, c’est-à-dire l’accès à des biens et technologies que nous ne pouvons pas produire nous-mêmes.
À moyen terme, les entreprises seront contraintes d’adapter leurs chaînes de valeur, un processus déjà amorcé à la suite des crises récentes. Cela impliquera des coûts supplémentaires liés à la mise en place de redondances dans les capacités de production, à l’augmentation des stocks, et à l’optimisation des flux de marchandises pour minimiser l’impact des droits de douane.
À court terme, les effets pourraient être contradictoires. L’afflux de produits chinois détournés du marché américain pourrait certes pénaliser certains secteurs de notre production, mais l’impact pourrait être atténué par notre niveau de désindustrialisation. Paradoxalement, cela pourrait aussi générer du pouvoir d’achat pour les consommateurs, comme on l’observe déjà avec la baisse des prix pétroliers.
Je m’efforce de parler au conditionnel parce que, dans un environnement soumis à un tel degré d’incertitude, il est impératif de redoubler de prudence dans nos analyses et nos prévisions.
M. Charles de Courson, rapporteur général. La plupart des prévisionnistes tablaient sur une baisse continue des taux d’intérêt. Les taux d’intérêt sont-ils appelés à fortement remonter du fait de la politique commerciale américaine et de ses effets potentiellement inflationnistes ? Peut-on s’attendre à une remontée des taux de la Banque centrale européenne (BCE) qui, traditionnellement, se calque sur l’évolution des taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine (FED) avec un décalage d’environ six mois ? Quelles seraient les répercussions d’un tel scénario sur les marchés financiers ? Faut-il redouter un risque de rupture ?
M. Anthony Morlet-Lavidalie. Il est impératif de distinguer les taux à court terme des taux à long terme. Aux États-Unis, la baisse des marchés d’actions conjuguée à la hausse des taux d’intérêt alimente les craintes d’une crise de confiance généralisée dans laquelle les investisseurs se détournent à la fois des actions et de la dette.
La Réserve fédérale américaine se trouve face à un dilemme. D’une part, elle pourrait subir des pressions de l’administration Trump pour maintenir des taux favorables. D’autre part, son double mandat de croissance économique et de contrôle de l’inflation la place dans une position délicate. Les États-Unis s’orientent vers un environnement plus inflationniste avec une croissance fortement ralentie, voire une récession. La FED devra donc arbitrer entre ces deux objectifs.
Étant donné que l’inflation américaine est largement importée, une hausse des taux d’intérêt de la FED risquerait principalement d’aggraver la récession en réduisant davantage la consommation et l’investissement, sans pour autant résoudre le problème inflationniste. Il est donc probable que l’équilibre des taux à long terme sera nettement supérieur aux prévisions antérieures. Cette situation soulève également des inquiétudes quant à la soutenabilité des dettes publiques, non seulement aux États-Unis mais aussi en Europe par effet de contagion.
Bien qu’il soit difficile de quantifier précisément l’impact de ces évolutions à ce stade, car cela dépend largement des équilibres et des niveaux de rétorsion atteints, nous pouvons anticiper une tendance mécanique à la hausse des taux d’intérêt, à court terme et surtout à long terme.
M. Olivier Redoules. Il est toujours délicat de se prononcer à l’égard d’un risque de rupture, de même qu’il est difficile de prévoir l’éclatement d’une bulle. Néanmoins, il est évident que la remise en cause par l’administration Trump de l’actif sûr par excellence qu’est le titre à dix ans, qui est une valeur refuge quasiment au même titre que l’or, ébranle les paradigmes du système financier international.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Je m’interroge sur le déclin des parts de marché de la France dans le commerce international, et des moyens de redresser la situation. Certains affirment que le déficit de la balance commerciale n’est pas préoccupant, étant donné l’excédent de la balance des services. Dans ce nouveau contexte, pensez-vous que les parts de marché françaises puissent au moins se stabiliser ? Quelles mesures préconisez-vous pour améliorer la compétitivité de l’industrie française ?
M. Olivier Redoules. La question de la compétitivité française est effectivement complexe et multidimensionnelle. D’un point de vue économique, il n’y a pas de préférence intrinsèque entre la production de biens ou de services. L’essentiel réside dans la productivité à long terme, qui détermine le niveau de vie.
L’industrie, tout comme certains secteurs numériques, présente l’avantage de permettre une accumulation de capital, des économies d’échelle et, par conséquent, une compétitivité structurelle. Mais au-delà des courbes de marché, le véritable enjeu porte sur la masse critique à atteindre, c’est-à-dire la taille minimale requise pour peser dans ces domaines de l’industrie ou du numérique. Cela implique d’encourager l’accumulation de capital et de patrimoine industriel. Si la base industrielle est stable ou décroît, alors le risque est celui d’une attrition relative face aux concurrents qui se développent, et à terme d’une disparition.
Le secteur pharmaceutique illustre bien cette problématique. Bien que la France maintienne un excédent commercial d’environ 5 milliards d’euros dans ce domaine, notre base industrielle s’est réduite par rapport à celle d’autres pays européens. En d’autres termes, la situation est satisfaisante du point de vue de la balance commerciale, mais préoccupante sur le plan industriel. Les décisions d’investissement dépendent de nombreux facteurs, mais dans un contexte de tensions commerciales accrues, il convient de garder à l’esprit les défis auxquels la France devra faire face, et se souvenir que les précédents épisodes de tensions commerciales ne lui ont pas toujours été favorables.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Le partage entre épargne et consommation est un sujet qui suscite un vif intérêt parmi les parlementaires, et qui sera d’ailleurs discuté cet après-midi lors de la présentation des conclusions de la commission d’enquête. Durant quelques années, de nombreux prévisionnistes ont considéré les taux d’épargne comme anormalement élevés par rapport à la décennie précédente. Ils anticipaient donc mécaniquement une baisse du taux d’épargne et une transformation de l’épargne accumulée en consommation. Or, ce scénario ne s’est pas concrétisé. Quelle est votre analyse de ce phénomène ? S’agit-il d’une tendance durable ? Que pouvez-vous nous dire sur l’évolution de la consommation et de l’épargne des ménages en France ?
M. Anthony Morlet-Lavidalie. La question de l’évolution du pouvoir d’achat et de l’épargne en France suscite de nombreux débats parmi les économistes. Aujourd’hui, nous disposons d’éléments d’analyse plus précis pour expliquer cette situation. Globalement, l’économie française a connu des gains de pouvoir d’achat, bien que les salaires aient eu tendance à reculer ou, du moins, augmenté moins rapidement que l’inflation. Le pouvoir d’achat a été principalement distribué par une hausse de l’emploi, avec un nombre plus important de personnes en activité.
Par ailleurs, nous avons également distribué du pouvoir d’achat via l’augmentation de la rémunération des livrets d’épargne. Cependant, ces intérêts sont généralement capitalisés plutôt que consommés par les ménages. La consommation est davantage liée à l’augmentation du salaire réel, lequel a été en retrait ces dernières années par rapport au pouvoir d’achat global.
Un autre facteur explicatif réside dans le transfert de revenus des catégories de population ayant une propension marginale à consommer élevée, notamment les actifs jeunes et modestes, vers des catégories, notamment les retraités, dont les taux d’épargne sont beaucoup plus élevés. Par exemple, chez les plus de 70 ans, le taux d’épargne atteint 25 %. Cette redistribution entraîne mécaniquement une augmentation du taux d’épargne moyen en France.
Nous anticipons une évolution de cette situation. Les salaires réels devraient progresser modérément cette année et dans les années à venir, ce qui devrait contribuer à une légère baisse du taux d’épargne. Néanmoins, il existe probablement une dimension plus structurelle, renforcée par le contexte géopolitique actuel, qui maintient une forme d’épargne de précaution.
Un dernier élément à prendre en compte est l’effet Pigou. Lorsque le patrimoine des ménages s’érode, notamment en raison de l’inflation, ceux-ci ont tendance à maintenir un taux d’épargne plus élevé pour compenser cette perte de valeur. Ce phénomène a également pu contribuer au maintien de taux d’épargne élevés.
En conclusion, certains effets conjoncturels devraient s’atténuer, permettant au taux d’épargne de redescendre des niveaux exceptionnellement élevés observés récemment. Cependant, une partie de cette évolution est probablement structurelle. La question centrale est de déterminer quel sera le nouvel équilibre dans les années à venir.
M. le président Éric Coquerel quitte la séance, remplacé à la présidence par M. Jean-Didier Berger, vice-président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous travaillez, messieurs, pour un organisme privé, Rexecode, mais auparavant vous avez exercé votre métier d’économiste dans la sphère publique et vous êtes tous deux passés par la direction générale du Trésor. À l’aune de votre expérience, quel regard portez-vous sur la pratique de la prévision macroéconomique telle qu’elle est exercée au sein de cette direction ?
M. Olivier Redoules. Je peux répondre d’autant plus aisément à cette question que j’ai effectué des prévisions à l’Insee, mais pas à la direction générale du Trésor, ce qui me confère un regard extérieur. La direction générale du Trésor a considérablement investi dans différents modèles et dispose d’un personnel hautement qualifié à la faveur d’une politique de recrutement d’une extrême exigence. Ses moyens lui confèrent une sorte de monopole légitime dans le domaine de la prévision.
Le risque inhérent à une prévision d’une telle qualité est qu’elle est parfois susceptible de faire l’objet d’une confiance excessive. Or il est nécessaire de savoir interpréter ces prévisions et de conserver un recul critique quant à leur utilisation dans la décision publique. Même réalisée par les meilleures équipes, avec les meilleurs outils, toute prévision, aussi rigoureuse soit-elle, comporte des marges d’incertitude considérables et des limites. Pour le dire très simplement, la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a.
M. Anthony Morlet-Lavidalie. Pour avoir travaillé au suivi conjoncturel de la France et réalisé des prévisions à court terme à la direction générale du Trésor, je peux témoigner de l’excellence de cette institution. La qualité des équipes et leur connaissance approfondie de l’économie française sont remarquables, et leurs modèles particulièrement bien conçus.
Néanmoins, la question qui se pose n’est pas tant celle de la qualité de la prévision que celle du manque de prudence quant à l’usage qu’on en fait. S’agit-il d’élaborer un scénario macroéconomique pour atteindre une cible de déficit ? Ou bien d’ajuster des politiques relatives aux finances publiques sur la base d’un scénario jugé fiable ? Il existe un potentiel conflit entre ces deux approches.
Dans le contexte actuel de nos finances publiques, il serait probablement judicieux d’adopter une approche plus prudente dans nos prévisions. Cela permettrait d’éviter les surprises très négatives et les aléas défavorables. Je crois qu’une forme de sagesse collective est à développer, et naturellement je nous inclus dans cette réflexion.
M. Jean-Didier Berger, président. Avant d’en venir aux interventions des orateurs des groupes, Mme Mercier souhaite prendre la parole.
Mme Estelle Mercier (SOC). Permettez-moi, monsieur le président, d’exprimer mon indignation : je suis profondément choquée par la métaphore de « la plus belle fille du monde » utilisée par M. Redoules. On peut en effet se demander ce qu’est cette « jolie fille »… Nous sommes en 2025, et cette expression manifestement sexiste est inappropriée dans le cadre d’une commission parlementaire.
Protestations dans la salle.
M. Jean-Didier Berger, président. Je vais demander à M. Redoules d’apporter immédiatement des éclaircissements afin que nous puissions revenir à notre débat.
M. Olivier Redoules. Je vous prie de m’excuser. J’ai employé cette expression dans un sens purement figuré.
M. Jean-Didier Berger, vice-président. Chers collègues, M. Redoules vient de faire amende honorable, l’incident est clos, et nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Eva Sas (EcoS). Je tiens au préalable à m’associer aux observations de ma collègue sur la métaphore de « la plus belle fille du monde », que je juge particulièrement malheureuse.
Ma question porte sur l’articulation entre économie et écologie. Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, a récemment écrit dans une chronique parue dans Les Échos : « Pour contre-intuitive qu’elle apparaisse de prime abord, notre capacité à contribuer à la décarbonation du monde est un véritable levier de croissance ». Les écologistes se réjouissent que soit enfin reconnue la nécessité d’engager la transition écologique pour assurer un cadre économique stable et solide.
Cependant, force est de constater que la décarbonation est au point mort. Des analyses récentes de Rexecode soulignent que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, que ce soit en France, en Europe ou aux États-Unis, est largement insuffisante pour respecter l’accord de Paris. Sans rupture majeure, les émissions mondiales pourraient encore augmenter de 11 % d’ici 2050, alors que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) préconise une baisse d’au moins 60 %.
Non seulement la transition écologique est en panne, mais les perspectives en la matière sont préoccupantes. Nous assistons à une forte instabilité réglementaire dans le domaine écologique, que ce soit au niveau international avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, au niveau européen où plusieurs piliers du pacte vert pour l’Europe sont remis en cause, notamment le reporting extra-financier avec la procédure « stop the clock », ou au niveau national, puisque l’examen du projet de loi de simplification fait craindre une déstabilisation du cadre réglementaire de la transition.
Dans ce contexte, quelles perspectives pouvez-vous tracer en matière de transition écologique ? Comment évaluez-vous l’impact des reculs en matière écologique sur l’activité économique nationale et internationale ?
M. Olivier Redoules. Il convient de réexaminer la stratégie globale de transition écologique, particulièrement celle de l’Europe et de la France. Nous sommes partis d’objectifs ambitieux, fixant une cible de 1,5 degré Celsius pour le réchauffement climatique, que nous avons ensuite déclinés par pays, grandes zones, et au niveau français, par secteur, catégorie de population et usage. Cette approche descendante a intégré d’autres objectifs tels que la biodiversité, ainsi que des considérations sociales et sociétales.
Cette stratégie, à l’échelle mondiale et européenne, a multiplié les contraintes au point de rendre le problème quasi insoluble. Certains acteurs ont rapidement compris que ce système ne fonctionnerait pas, du moins pas pour eux. En outre, les approches de la transition écologique ont varié selon les visions stratégiques de chaque pays ou zone.
La Chine, par exemple, a fait de la transition écologique une véritable politique mercantiliste, visant à remettre en question des technologies où elle n’était pas présente pour les remplacer par celles où elle a tout à gagner, comme dans le cas des véhicules électriques.
Les États-Unis ont adopté une approche différente, cherchant à rendre rentables les investissements écologiques qui ne l’étaient pas nécessairement, sans pour autant remettre en cause la rentabilité des investissements dans d’autres domaines, comme l’extraction de gaz de schiste.
L’Union européenne a privilégié une vision plus réglementaire, probablement en raison de la nature de ses outils de politique économique. La France a combiné une approche réglementaire et fiscale, cherchant à faire de la transition écologique une source de recettes fiscales, notamment à travers l’idée du double dividende de la composante carbone. Cette approche a conduit à mettre en balance la transition écologique et la croissance.
Actuellement, les objectifs écologiques sont relégués au second plan par des enjeux géopolitiques et des guerres commerciales, et le désengagement américain soulève des questions quant à la capacité d’entraînement au niveau mondial. Dans ce contexte, notre opportunité réside dans l’utilisation de nos exportations pour décarboner le monde. Nous pourrions nous inspirer de l’approche chinoise en proposant à des pays où le coût de la décarbonation est moins élevé qu’en France des investissements qui pourraient être bénéfiques à la fois pour la croissance et la décarbonation. Je pense que des solutions existent si nous appréhendons le problème sous cet angle.
Mme Claire Marais-Beuil (RN). La situation budgétaire de notre pays est alarmante, avec un déficit des comptes publics s’élevant à 5,8 % en 2024, et une hausse de 15 points de pourcentage de la dette publique, qui atteint 113 % du PIB. Le bilan de la Macronie en matière de gestion budgétaire est catastrophique. Le résultat de cette gestion hasardeuse, calamiteuse, est sans appel : notre pays, au sein de la zone euro, est celui qui a subi la plus forte dégradation de ses comptes publics depuis la crise et du covid-19. Emmanuel Macron avait encouragé ses partisans à se montrer « fiers d’être des amateurs ». Les Français paient et paieront pendant de très nombreuses années les conséquences de leur amateurisme.
À cette situation interne dégradée s’ajoute l’incertitude majeure liée à l’impact des décisions tarifaires prises par les géants mondiaux, qui auront nécessairement des conséquences directes sur notre économie. De plus, depuis 2019, la France a connu une croissance de l’emploi supérieur à celle de l’activité économique, entraînant une baisse de la productivité et par conséquent une hausse du nombre d’emplois fantômes.
Dans ce contexte particulièrement tendu, pourriez-vous nous faire part de vos réflexions sur les pistes susceptibles de permettre de juguler la dette et les déficits budgétaires, sans impacter le pouvoir d’achat de nos compatriotes, ni la productivité ? Par ailleurs, quel regard portez-vous sur le projet de loi de simplification de la vie économique en cours de discussion à l’Assemblée nationale ? Estimez-vous que la prévision du gouvernement de 0,9 % de croissance pour 2025 reste réaliste, sachant que vous l’avez vous-même évaluée à 0,6 % ? Quel serait l’impact sur notre économie d’une diminution de 0,2 % à 0,3 % de la croissance ?
M. Anthony Morlet-Lavidalie. En tant qu’économiste, j’aborde le sujet des finances publiques sous un angle purement analytique, sans considération politique. La France fait face à un problème structurel de finances publiques qui transcende les mandatures. Cette dérive s’inscrit dans une trajectoire de près de trente ans, voire davantage.
L’analyse des trajectoires d’endettement depuis l’intégration de la France dans la zone euro révèle une divergence significative. Alors que l’Italie, entrée avec un taux d’endettement élevé, a su le maintenir relativement stable, l’endettement de la France, comparable à celui de l’Allemagne au début des années 2000, affiche aujourd’hui un écart de 50 à 60 points. Ce chiffre à lui seul illustre la profondeur du problème.
Aucune réduction du déficit public n’est possible sans impact. Que ce soit sur les entreprises ou les ménages, toute mesure aura des conséquences, précisément parce que la France vit au-dessus de ses moyens. Néanmoins, l’ampleur de cet impact varie selon le calibrage des mesures.
Dans le contexte actuel de concurrence internationale exacerbée, pénaliser davantage les entreprises semble contre-productif. Notre balance commerciale et notre balance courante sont déficitaires, ce qui dégrade notre position extérieure nette. En d’autres termes, la France est de plus en plus « détenue » par le reste du monde, avec des engagements croissants envers les autres pays.
Il est donc nécessaire de reconsidérer notre approche du pouvoir d’achat, souvent considéré comme un totem intouchable. Depuis 2000, la France a connu la plus forte dynamique de pouvoir d’achat des ménages par habitant parmi les pays développés, et ce malgré une croissance du PIB moins dynamique. Cela suggère un décalage entre le pouvoir d’achat des ménages et la réalité économique. Bien qu’il soit essentiel de protéger les plus modestes, c’est du côté des ménages qu’il faut chercher des ajustements, tout en préservant les entreprises, notamment en évitant les taxes sur le made in France.
M. Olivier Redoules. Affirmer que la baisse de la productivité génère des emplois fantômes me semble erroné. Prenons l’exemple de l’apprentissage : bien que notre système soit généreux, il ne conduit pas nécessairement à un nombre d’apprentis supérieur à celui de nos voisins, et ces apprentis sont bel et bien en emploi.
Les mesures d’allégement de cotisations ont effectivement entraîné une baisse de productivité, mais cela s’explique par une règle économique : une hausse d’un point du taux d’emploi entraîne généralement une baisse de productivité de 0,5 point. Ce phénomène est logique, car l’intégration au marché du travail concerne souvent des personnes moins expérimentées, moins qualifiées ou éloignées de l’emploi depuis longtemps.
Le bénéfice d’une consolidation des comptes publics réside dans la soutenabilité budgétaire et potentiellement dans la réduction des taux d’intérêt. Mais une telle consolidation suscite nécessairement un effet négatif à court terme sur l’activité économique et impose des arbitrages entre le court et le moyen terme. Ainsi, la taxation, notamment celle des facteurs de production et du capital, a un impact moins négatif dans l’immédiat, mais avec le temps elle peut s’avérer coûteuse en érodant la base industrielle et en décourageant le travail. Les mesures les plus négatives à court terme, telles que les hausses de TVA ou les baisses de dépenses publiques, sont généralement moins préjudiciables à moyen terme, car elles permettent des adaptations.
Compte tenu de ces éléments, nous préconisons de réduire significativement la consommation publique, notamment la masse salariale, ainsi que les transferts aux ménages, en commençant par les retraites. Sur le plan fiscal, nous recommandons d’agir sur la TVA et les taxes sur l’énergie, ces dernières ayant également une dimension écologique.
En matière de redistribution, la France a tendance à accumuler des couches de mesures redistributives, rendant le système peu lisible. Il serait judicieux de distinguer plus clairement les objectifs et les outils, sans chercher systématiquement à intégrer des mesures redistributives dans chaque dispositif.
Enfin, sur la question de la simplification administrative, une récente enquête auprès des TPE-PME a mis en lumière plusieurs points de complexité, notamment dans les domaines de l’environnement et de la gestion du personnel. La simplification représente une opportunité de croissance à moindre coût budgétaire, mais elle implique d’accepter une part de risque en remettant en question certaines protections établies. Malgré les discours récurrents sur la simplification, les entreprises perçoivent peu d’avancées concrètes dans ce domaine.
M. Daniel Labaronne (EPR). Quelle est votre analyse de l’évolution des taux d’intérêt et de la croissance dans l’économie française ? Nous savons qu’une progression plus rapide des taux d’intérêt par rapport à la croissance entraînera inévitablement une détérioration du ratio dette sur PIB. Quelles sont vos prévisions concernant le différentiel r-g, c’est-à-dire l’écart entre le taux d’intérêt et le taux de croissance de l’activité ?
Par ailleurs, nous savons que notre niveau d’épargne brute est inférieur à la formation brute de capital fixe. De plus, nous devons financer notre dette publique et privée, ainsi que notre position extérieure, compte tenu de notre balance des paiements déficitaire. Dès lors, à quel niveau, selon vous, l’épargne doit-elle se situer pour répondre aux besoins de financement de notre économie ? Que pouvez-vous nous dire à propos de l’effet Ricardo-Barro, qui établit un lien entre le déficit public et un surcroît d’épargne ?
Enfin, j’ai interrogé ici-même, le 2 avril, le directeur général de l’Insee, Jean-Luc Tavernier, sur la méthode de calcul de la croissance potentielle. Ce calcul repose sur une fonction de production de type Cobb-Douglas, intégrant deux facteurs de production : le travail et le capital. Paradoxalement, il omet un troisième facteur essentiel, l’énergie, alors que depuis vingt ans, les modèles d’évaluation ou de perspective macroéconomique intègrent ce facteur dans leurs estimations économétriques. Quelle est votre position sur ce point ?
M. Olivier Redoules. Le modèle de croissance potentielle canonique utilisé par la direction générale du Trésor, la Commission européenne, le Fonds monétaire international ou l’OCDE repose soit sur la productivité du travail et le travail, soit sur la productivité globale des facteurs, le travail et le capital. Vous avez raison de souligner que l’énergie pourrait être prise en compte. Si ce facteur est souvent négligé, c’est avant tout par habitude ou par une forme de conformisme professionnel.
Au-delà des réflexions sur la décomposition des facteurs, ce sont les écarts de production qui jouent un rôle crucial, surtout à court terme. Dans le passé, les erreurs de prévision de croissance étaient probablement davantage liées à une sous-estimation des écarts de production qu’à une mauvaise évaluation de la croissance potentielle elle-même.
L’estimation de la croissance potentielle est assez complexe et comporte une dimension hystérétique. En pratique, une approche simplifiée mais efficace consiste à utiliser une fonction en escalier, chaque marche correspondant à une crise. Bien que cette méthode puisse sembler rudimentaire, elle s’avère souvent pertinente en termes de prévision. Certes, des modélisations plus sophistiquées intégrant d’autres facteurs comme l’innovation sont possibles, mais les hypothèses simplificatrices restent souvent opérationnelles.
M. Anthony Morlet-Lavidalie. Nos projections jusqu’en 2029 font état d’une remontée lente du taux d’intérêt sur la dette publique. Actuellement autour de 2 %, il devrait rester sous les 2,5 % à l’horizon 2029. Parallèlement, nous prévoyons une croissance nominale du PIB légèrement supérieure, avec une croissance réelle d’environ 1,1 % et une inflation proche de 2 %, soit une croissance nominale d’environ 3 %.
Nous sortons ainsi d’une période favorable où un effet boule de neige contribuait à réduire la dette publique, pour entrer dans un scénario où cet effet est quasiment nul. Cela signifie que nous n’anticipons ni une aggravation automatique, ni une amélioration de la situation liée à cet effet. Cependant, un scénario plus récessif, accompagné d’une inflation plus faible, pourrait entraîner un effet boule de neige défavorable, aggravant nos difficultés en matière de finances publiques.
Par ailleurs, notre analyse révèle un manque d’épargne par rapport à nos niveaux d’investissement et de consommation. Cela reflète un niveau de vie supérieur à notre niveau de production, nous obligeant à recourir à l’endettement extérieur. Pour rétablir l’équilibre, nous devons soit augmenter notre production, soit ajuster notre niveau de vie, puisque notre position extérieure nette s’est considérablement détériorée depuis le début des années 2000, passant de près de 0 à - 30 % du PIB, tandis que l’Allemagne est passée à + 70 %.
Enfin, bien que les enquêtes auprès des ménages indiquent une inquiétude face à la dette publique et une tendance à l’épargne de précaution, les études empiriques peinent à quantifier clairement l’effet Ricardo-Barro. À la direction générale du Trésor, nous considérions qu’il s’agissait d’un effet mineur, mais la littérature reste peu concluante et il convient de rester prudent sur ce point. Un tel effet est possible, mais il serait hasardeux de le tenir pour mécanique ou systématique.
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Nous connaissons une conjoncture économique défavorable, avec des prévisions de croissance revues à la baisse par rapport aux estimations précédentes. Le spectre d’une récession plane, notamment en raison des tensions commerciales avec les États-Unis. Il est dès lors indispensable de s’interroger sur les causes profondes de cette situation économique délicate. Vous démontrez clairement que les droits de douane imposés par Donald Trump ne sont pas l’unique facteur, contrairement à ce que le gouvernement tend à suggérer.
Je me demande si cette conjoncture ne reflète pas également le bilan d’une politique menée depuis huit ans et qui se poursuit en dépit de la crise actuelle. L’OFCE nous a récemment alertés sur le problème majeur auquel nous serons confrontés dans les prochains mois, à savoir l’insuffisance de la demande pour les entreprises. Parallèlement, l’Insee souligne les dommages causés par les réductions des dépenses publiques. Pourtant, les différents projets de finances, qu’il s’agisse de la sécurité sociale, du projet de loi de finances ou des mesures affectant les collectivités, prévoient 31 milliards d’euros d’économies.
De nombreuses entreprises dépendent de la dépense publique. Par exemple, dans ma circonscription en Haute-Vienne, la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) dépend à 70 % de la commande publique. Ne pas augmenter cette dépense publique risque par conséquent de les plonger dans la récession.
Vous avez évoqué la consommation des ménages. Il est évident que sans augmentation de leurs moyens, les ménages ne consommeront pas davantage. L’OFCE lui-même estime que l’austérité proposée par le gouvernement entraînera une baisse de l’activité d’un point de pourcentage.
La France, selon vous, vit au-dessus de ses moyens. Pour ma part, je ne le crois pas du tout. À moins qu’il s’agisse de certaines entreprises. Lorsqu’on apprend que 100 milliards d’euros de dividendes ont été distribués par les entreprises du CAC 40, on peut en effet se demander si certains ne vivent pas au-dessus de leurs moyens.
Concernant les pistes d’augmentation de la fiscalité pour combler le déficit, vous préconisez de ne pas toucher à la fiscalité sur le capital mais plutôt à la TVA, qui affecte tous les ménages. Vous suggérez de solliciter chaque Français individuellement, arguant que les gens s’adaptent. Ce n’est pas vrai, les réalités économiques et politiques dans nos circonscriptions démontrent le contraire. Les gens ne s’adaptent pas, à moins de considérer que renoncer à prendre trois repas par jour ou renoncer à se soigner correctement, comme c’est le cas aujourd’hui pour un Français sur trois, ce Français sur trois qui ne dispose que de 100 euros le 10 du mois, constitue une forme d’adaptation.
Dans ces conditions, l’effort en termes de fiscalité ne devrait-il pas reposer, non pas sur toutes les entreprises, mais sur celles qui sont les plus prospères ? Ne devrions-nous pas préserver la dépense publique, qui constitue un débouché essentiel pour de nombreuses entreprises, notamment les entreprises locales ?
M. Olivier Redoules. Les efforts de consolidation, bien que modestes, peuvent être considérés comme une contrepartie de l’effort massif consenti pendant la crise de 2020 et 2021, où le gouvernement français a creusé le déficit pour protéger l’économie. Nous pouvons certes nous interroger sur l’ampleur des mesures prises et leurs modalités, mais force est de constater que les ménages comme les entreprises ont bénéficié d’une protection substantielle. On peut légitimement se demander s’il n’aurait pas été préférable d’offrir une protection moindre pour éviter un freinage ultérieur aussi important. Certains pays ont opté pour cette approche : ils ont moins protégé leur population, mais ils ont à présent des déficits moins élevés à combler.
Nous faisons face à un déficit structurel d’environ 6 % du PIB, dont une partie est consacrée au paiement des intérêts de la dette. Cela soulève inévitablement la question de la soutenabilité du système. Les ménages et les entreprises qui bénéficient de ces dépenses publiques profitent d’une source de revenus qui n’est pas pérenne. Il est impératif de remédier à cette situation.
Nous évoluons sans aucun doute dans une économie où l’État prélève et dépense beaucoup. Peu de secteurs ou d’entreprises échappent à une dépendance directe ou indirecte vis-à-vis de la dépense publique, que ce soit par le biais de la commande publique ou, indirectement, via la consommation des ménages. Cependant, faire reposer cet édifice sur un système de financement qui n’est pas totalement soutenable et se traduit par une dette croissante, engendre des problèmes majeurs, notamment en termes de respect de nos engagements européens.
« Prendre l’argent là où il est », si je peux me permettre de reformuler ainsi ce que vous préconisez, monsieur Maudet, c’est-à-dire cibler les entreprises qui versent d’importants dividendes ou réalisent des profits élevés, et viser les personnes fortunées, constitue bien entendu un levier possible. Mais ce principe soulève plusieurs problématiques, en premier lieu une problématique de rétroactivité. En effet, les règles établies ont créé des attentes légitimes chez les investisseurs, et les remettre en cause risquerait de briser un lien de confiance essentiel, à l’instar de ce qu’a pu faire Trump pour l’économie américaine. Les mesures de surtaxe discrétionnaires ou exceptionnelles peuvent s’avérer perverses, elles créent un précédent sans pour autant résoudre structurellement les problèmes des finances publiques.
J’insiste à nouveau sur le défi de la productivité, qui est fondamental, et sur l’importance de notre base industrielle. Ce qui différencie aujourd’hui la productivité française de celle d’autres pays, ce n’est plus tant les qualités intrinsèques de notre main-d’œuvre ou de notre système éducatif, mais de plus en plus notre capacité à mobiliser et à optimiser le capital productif. Nous constatons une convergence des niveaux de développement entre pays, fruit des politiques publiques et de la coopération internationale menées depuis des décennies. Cependant, la France ne se distingue pas toujours positivement, que ce soit par sa base industrielle, ses infrastructures ou la qualité de ses services publics. Il est donc indispensable de maintenir nos facteurs différenciants et de consolider notre base industrielle et d’investissement. Cela implique une accumulation de capital.
À cet égard, il importe de nuancer la perception que l’on entretient des dividendes. Les 100 milliards d’euros de dividendes reflètent des mouvements de gestion de flux à l’échelle mondiale. Un dividende représente en réalité la liquidation partielle du patrimoine d’un actionnaire. Cette décision est prise lorsque l’entreprise manque de perspectives d’investissement suffisantes, permettant ainsi de réallouer le capital là où il sera le plus utile. Aussi, il n’est pas optimal, d’un point de vue économique, de conserver les dividendes dans des entreprises dépourvues de réelles perspectives de croissance.
Mme Marie-Christine Dalloz (DR). La progression de la dépense publique entre 2001 et 2024 explique le creusement de notre dette et de notre déficit. Le pourcentage de la dette publique atteindra près de 120 % par rapport au PIB dès 2026-2027. Je ne comprends pas que l’on ne s’alerte pas davantage de cette situation, notamment au regard d’une éventuelle remontée des taux.
J’aimerais évoquer deux secteurs économiques, l’automobile et le bâtiment, qui, à mon sens, méritent une attention particulière. Premièrement, le dogme de la transition vers la voiture électrique a généré un vent de panique dans notre filière automobile, pourtant reconnue pour son excellence. Les conséquences se feront inévitablement sentir sur les marchés, l’emploi et les perspectives d’investissement.
Deuxièmement, je regrette que dans votre présentation vous n’ayez pas abordé le coût de la motion de censure ayant entraîné la chute du gouvernement Barnier, en particulier dans le secteur du bâtiment. L’absence de budget consécutif à la chute de ce gouvernement a provoqué un recul significatif de l’investissement, tant des entreprises que des collectivités territoriales. Des entreprises m’ont confié leur désarroi : en octobre, elles avaient assuré 85 % de leur chiffre d’affaires pour l’année suivante, mais en décembre, ce chiffre était tombé à 25 %. Comment analysez-vous la situation de ces deux secteurs ?
M. Anthony Morlet-Lavidalie. L’un des problèmes majeurs de la dette publique réside dans la perception quasi-permanente d’une conjoncture défavorable. Parce que nous avons toujours l’impression que la conjoncture ne s’y prête pas, nous reportons indéfiniment toute consolidation budgétaire, dans l’attente perpétuelle de jours meilleurs. Il s’agit à mon sens d’une erreur d’appréciation significative. Avant les annonces de Donald Trump, la situation économique, bien que non florissante, n’était pas particulièrement dégradée, et pourtant nous n’avons pas saisi cette opportunité. Nous aurions dû le faire lorsque notre écart de production est redevenu positif en 2022-2023, signe d’une légère surchauffe de l’économie. Cette inaction explique en partie notre dérive par rapport à nos partenaires européens.
Concernant l’automobile, le débat sur la pertinence du passage à l’électrique et de la réglementation associée est légitime. Cependant, il faut reconnaître que notre industrie automobile était déjà fragile avant cette transition. Cela reflète plus largement les difficultés de l’industrie française, confrontée à des contraintes puissantes telles que la fiscalité, le coût du travail, le financement et désormais les coûts de l’énergie. C’est cette dégradation globale de notre compétitivité industrielle qui est particulièrement préoccupante.
En dépit du choc ressenti par les entreprises du bâtiment et des travaux publics en termes de carnets de commandes, il est important de noter que l’investissement et la consommation des administrations publiques, selon les comptes nationaux, sont restés très dynamiques et ont contribué à soutenir la croissance ces deux dernières années. Le choc de confiance lié à la situation politique a certes eu un impact négatif, difficile à quantifier précisément mais estimé à quelques dixièmes de point de croissance. Néanmoins, nous observons une dépense extrêmement dynamique du côté des collectivités, parfois justifiée, parfois moins. Il convient donc d’être prudent sur tous les postes de dépense, qu’il s’agisse de l’État central, des collectivités ou de la sécurité sociale.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Nous avons besoin de mieux comprendre les objectifs de ce que l’on appelle désormais la guerre commerciale, exacerbée et initiée aux États-Unis par Donald Trump et son administration. Le président américain a justifié l’instauration de droits de douane réciproques en soulignant que son pays subirait lui-même des droits de douane très élevés. L’administration Trump a d’ailleurs publié une formule mathématique pour expliquer les chiffres annoncés. Quelle est votre analyse de cette formule ? Au-delà de la règle de trois que certains ont cru identifier, que penser de la démarche scientifique des experts en commerce international de la Maison Blanche ?
M. Olivier Redoules. La formule proposée par l’administration Trump traduit clairement la volonté de réduire les déséquilibres commerciaux bilatéraux. Elle a le mérite de la simplicité. Bien que ses fondements économiques puissent être remis en question, elle reflète efficacement l’objectif et la préoccupation de la politique actuelle. Notons toutefois que ces déséquilibres ne sont pas devenus subitement un motif d’inquiétude pour les États-Unis, bien au contraire.
L’administration Trump aborde cette question à sa manière, bien spécifique, mais ces enjeux étaient déjà présents lors de la présidence française du G20, désignés par le terme de déséquilibres mondiaux. Trump cible principalement deux de ces déséquilibres : celui avec la Chine et celui avec l’Allemagne. Les échanges au sein du G20 et d’autres instances n’ont pas permis l’adoption de politiques adéquates par les différentes parties.
Le déséquilibre entre l’Union européenne et les États-Unis révèle en creux les faiblesses structurelles européennes. Je fais ici référence au rapport Draghi, qui met en lumière nos déficits en termes de croissance, de demande et d’investissement. Nous nous imposons, au sein même du marché européen, des barrières tarifaires et non tarifaires qui limitent notre potentiel. Aussi je pense qu’au-delà de la guerre commerciale et de la stratégie isolationniste américaine, il est impératif que nous nous interrogions avant tout sur nos propres faiblesses structurelles.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Les véritables intentions du Président Trump concernant cette augmentation des droits de douane demeurent incertaines et nous condamnent à formuler des hypothèses : certains estiment qu’il entend créer ainsi des recettes fiscales supplémentaires, d’autres qu’il cherche un levier de négociation pour stimuler les exportations américaines, d’autres encore qu’il tente de rapatrier les capacités de production industrielle aux États-Unis. Considérant l’impossibilité de réaliser simultanément ces trois objectifs, quelle hypothèse vous semble la plus plausible et la mieux étayée d’un point de vue économique ?
M. Anthony Morlet-Lavidalie. Pour le dire de manière très directe, la stratégie de Donald Trump est à mes yeux profondément incompréhensible. Considérons ce fait statistique éloquent : l’industrie américaine n’enregistre plus de gains de productivité depuis 2011. Même l’Europe a connu une meilleure performance jusqu’en 2019. Si l’Europe vient de traverser une période de stagnation, voire de léger recul de la productivité industrielle, les difficultés de l’industrie américaine sont quant à elles plus anciennes et plus profondes.
L’imposition de droits de douane, surtout sur un éventail aussi large de biens, ne résoudra en aucun cas ce problème structurel. Les entreprises exportatrices seront considérablement pénalisées par le renchérissement des intrants qu’elles utilisent dans leur production. Cela entraînera inévitablement une hausse des prix à l’exportation. Quant aux recettes fiscales espérées, leur ampleur dépendra des hypothèses d’élasticité retenues, c’est-à-dire de l’impact des tarifs douaniers sur la réduction des importations, mais quoi qu’il advienne les montants en jeu restent modestes comparés à l’ampleur du déficit public américain, qui surpasse même le nôtre.
Cette stratégie n’a suscité l’enthousiasme d’aucun prévisionniste parce qu’elle s’avère, objectivement et à ce stade, très délétère et perdante pour tout le monde, puisque nous en subirons également les conséquences négatives. Les États-Unis parviendront peut-être à relocaliser quelques segments industriels et quelques filières spécifiques, mais de manière très limitée. In fine, il est peu probable que cela réduise significativement le déficit commercial américain.
M. Emmanuel Mandon (Dem). J’aimerais connaître votre sentiment sur le recours, à l’échelle européenne, de l’instrument anti-coercition, initialement conçu pour contrer les ambitions commerciales chinoises. Cet outil permettrait notamment d’instaurer des restrictions d’accès au marché des services européens. Quels seraient, selon vous, les avantages et les inconvénients de l’usage d’un tel levier face aux Américains ?
M. Olivier Redoules. Les inconvénients de cette approche apparaissent rapidement, car nous sommes dépendants de nombreuses technologies. Vous avez évoqué le numérique : restreindre l’accès ou le rendre plus onéreux pèserait inévitablement sur les entreprises et les consommateurs européens. D’ailleurs, les estimations disponibles indiquent que le coût de cette tension commerciale serait plus élevé si nous ripostons que si nous nous abstenons.
La question fondamentale est de savoir si nous souhaitons instaurer un rapport de force. On pourrait considérer que Trump se porte suffisamment préjudice à lui-même et qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter du mal au mal. Cette stratégie consisterait à miser sur un choc d’attractivité au niveau européen, en profitant de cette situation pour remédier à nos propres faiblesses, plutôt que d’ajouter de nouvelles taxes ou normes, dont nous ne manquons déjà pas.
M. Michel Castellani (LIOT). La nouvelle conjoncture géostratégique et diplomatique résultant des initiatives de l’administration Trump a notamment conduit à un durcissement de la politique d’armement en Europe : cet effort, chiffré en milliards d’euros, constitue-t-il selon vous un facteur de croissance économique ou bien, au contraire, induit-il une réduction des moyens disponibles pour l’investissement et le financement ?
Par ailleurs, l’épargne active des ménages représente-t-elle à vos yeux un frein à la croissance ou, au contraire, un amortisseur bienvenu, qui pourrait s’avérer utile en cas de rupture brutale du cycle économique ?
M. Anthony Morlet-Lavidalie. La dynamique de réarmement européen est probablement salvatrice dans un contexte où l’Amérique, « gendarme du monde », n’est plus fiable. En France, l’industrie pourrait éventuellement en bénéficier et contribuer de manière positive à la croissance.
La littérature économique identifie trois facteurs déterminants pour que les dépenses militaires génèrent des effets d’entraînement importants sur la croissance. Premièrement, il est préférable d’être un pays développé, car les pays en développement ont d’autres priorités en termes d’éducation et de santé. La France répond à ce critère. Deuxièmement, il faut partir d’un niveau de dépenses relativement bas, ce qui est le cas de la France. Enfin, disposer d’une industrie locale développée est crucial, et là encore la France se positionne comme le pays européen le mieux doté.
Nous pourrions donc observer des effets d’entraînement significatifs, d’autant plus que cela stimulerait des filières en amont qui peinent actuellement à trouver des débouchés, telles que la plasturgie, la métallurgie et d’autres secteurs. L’assurance de commandes durables et pérennes émanant des industries de la défense pourrait avoir des répercussions positives et, dans cette perspective, nous pouvons raisonnablement anticiper des effets bénéfiques sur l’économie française à moyen terme.
M. Olivier Redoules. Notre taux d’épargne actuel dépasse probablement ce qui serait justifié par un simple lissage de la consommation. Évaluer son impact sur la croissance requiert d’opérer des distinctions. En effet, une partie de l’épargne est liée aux retraites. Concrètement, cela signifie que l’on prélève des cotisations sur les salariés, réduisant ainsi leur capacité de consommation immédiate, pour alimenter l’épargne des retraités. D’un point de vue économique, ce mécanisme n’est pas optimal et constitue un frein à la croissance.
Mais une autre partie de l’épargne est liée à des actifs financiers. Si ces revenus du capital mobilier traduisent un engagement dans des entreprises et sont réinvestis, cela s’avère positif pour la croissance en soutenant l’investissement des entreprises. En revanche, s’il s’agit simplement d’intérêts de la dette publique s’accumulant sur des comptes d’assurance-vie, l’impact sur la croissance est moins sensible. Il subsiste néanmoins une incertitude quant à la localisation précise de cet excédent d’épargne, ce qui rend difficile une évaluation précise et complète de son impact sur la croissance.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). J’ai la nette impression que le gouvernement cherche à nous berner avec ses prévisions économiques. Le budget initial reposait sur une prévision de croissance de 1,1 %, révisée ensuite à 0,9 %. Aujourd’hui, le gouvernement affirme que la crise liée aux droits de douane pourrait amputer la croissance de 0,5 %. Or, avant même cette annonce, certains observateurs avaient déjà revu leurs prévisions à 0,6 %. Vous-même estimez l’impact des droits de douane entre 0,1 % et 0,2 %. Pouvez-vous confirmer ces chiffres et expliquer cet écart significatif entre la prévision initiale de 1,1 % et les 0,6 % actuellement anticipés ? L’OFCE attribue cette baisse au coût de l’austérité, estimé à 0,8 % de croissance. Partagez-vous cette analyse ?
Par ailleurs, comment expliquez-vous l’écart entre votre estimation de l’impact des droits de douane et celle du gouvernement, qui s’en sert pour légitimer une nouvelle coupe budgétaire de 5 milliards d’euros ?
Enfin, de quelle manière se traduit l’effet récessif des mesures d’austérité ? La réduction de 3 milliards d’euros du budget de France 2030, imposée par le gouvernement, peut-elle être considérée comme un effet récessif ?
M. Anthony Morlet-Lavidalie. Il convient de reconnaître que sur les deux dernières années, les prévisions du gouvernement se sont avérées plus justes que celles du consensus des économistes, y compris les nôtres qui étaient plus pessimistes. Le taux de croissance de 1,1 % initialement prévu s’est effectivement réalisé. Cependant, une croissance plus élevée n’implique pas nécessairement une amélioration des comptes publics. Les deux dernières années l’ont clairement démontré. En effet, si la croissance est stimulée par une augmentation des dépenses publiques, cela peut paradoxalement détériorer la situation budgétaire.
Quant à l’impact de 0,5 % sur la croissance, il est essentiel de préciser l’horizon temporel considéré. Ce chiffre semble excessif pour 2025, mais devient plus plausible si on l’envisage sur une période de deux ans. À ce stade, nous n’anticipons pas de récession ou de stagnation complète de l’activité pour l’année en cours en France. Néanmoins, nous ne sommes pas à l’abri d’une telle éventualité. Il faut rester prudent dans l’analyse des facteurs qui conduisent à des révisions à la baisse des prévisions.
De manière générale, le gouvernement gagnerait à faire preuve de davantage de prudence dans l’élaboration du budget. Cela permettrait de mieux se prémunir contre les aléas négatifs de la conjoncture, particulièrement importants actuellement. Force est de constater que cette approche n’a pas été adoptée ces dernières années, ce qui explique en partie la dérive structurelle observée.
M. Olivier Redoules. Je me garderais bien de faire des prévisions précises sur l’impact de la hausse des droits de douane, a fortiori à très court terme. Il est logique et même souhaitable que le gouvernement prenne des marges de précaution dans ce contexte.
À très court terme, les effets pourraient paradoxalement être favorables à la consommation, notamment en raison de la baisse des prix du pétrole. Cependant, cela dépendra largement du climat de confiance général et du niveau d’inquiétude des consommateurs. Il ne faut donc pas précipiter les mesures de soutien à l’activité, y compris pour les entreprises. Nous avons déjà fortement soutenu le tissu productif par le passé. Aujourd’hui, les conditions de financement public sont devenues beaucoup plus incertaines. L’arbitrage, qui avait clairement penché en faveur du soutien lors de la crise du covid, doit désormais être beaucoup plus prudent et équilibré entre la soutenabilité budgétaire et le soutien à l’économie, tant pour les entreprises que pour les ménages.
M. Jean-Didier Berger, vice-président. Il me reste à vous remercier, messieurs, pour vos éclairages.
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Information relative à la commission
La commission a désigné Mme Marie-Christine Dalloz, rapporteur spécial des crédits de la mission Direction de l’action du Gouvernement et du budget annexe Publications officielles et informations administratives et Mme Marina Ferrari co-rapprteure spéciale des crédits de la mission Relations avec les collectivités territoriales et du compte spécial Avances aux collectivités territoriales.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 9 avril 2025 à 9 heures
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Jean-Didier Berger, M. Carlos Martens Bilongo, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Sébastien Delogu, M. Jocelyn Dessigny, M. Benjamin Dirx, Mme Mathilde Feld, Mme Marina Ferrari, M. Emmanuel Fouquart, Mme Félicie Gérard, M. Christian Girard, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Jérôme Legavre, M. Thierry Liger, M. Philippe Lottiaux, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Damien Maudet, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, M. Christophe Plassard, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, Mme Sophie-Laurence Roy, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth
Excusés. - Mme Anchya Bamana, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Corentin Le Fur, M. Nicolas Metzdorf, M. Alexandre Sabatou, M. Nicolas Sansu, M. Emmanuel Tjibaou
Assistait également à la réunion. - M. Jean-Luc Warsmann