Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

  Commission d’évaluation des politiques publiques relatives à l’exécution budgétaire de la mission Écologie, développement et mobilité durables : Infrastructures et services de transports et du budget annexe Contrôle et exploitation aériens : audition de M. Philippe Tabarot, ministre des transports              2

  Présence en réunion...........................21


Mardi
13 mai 2025

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 107

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède à l’audition de M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports

M. le président Éric Coquerel. Nous abordons l’examen des politiques publiques relatives à la mission Écologie, développement et mobilité durables : infrastructures et services de transport, ainsi qu’au budget annexe Contrôle et exploitation aériens. Monsieur Philippe Tabarot, vous avez la parole concernant l’exécution budgétaire de ces missions.

M. Philippe Tabarot, ministre des transports. Je salue l’organisation de cet échange dans le cadre du Printemps de l’évaluation, qui permet d’analyser l’exercice budgétaire écoulé avant d’entamer la préparation du projet de loi de finances pour (PLF) 2026.

Ayant pris mes responsabilités ministérielles le 24 décembre 2024, je rendrai donc compte aujourd’hui de l’exécution des crédits de mon ministère sans en avoir été acteur. J’ai cependant été un témoin actif du PLF 2024. Comme sénateur, j’ai été rapporteur sur les transports ferroviaires, fluviaux et maritimes au sein de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et j’avais alors déposé un certain nombre d’amendements.

J’évoquerai l’exécution des crédits du programme 203 Infrastructures et services de transport et de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), ainsi que celle du budget annexe Contrôle et exploitation aériens. J’évoquerai aussi l’avenir que nous construisons, car l’exécution budgétaire 2024 constitue le point de départ des travaux de la conférence Ambition France Transports.

Pour le programme 203 et l’AFITF, l’année 2024 se caractérise par une hausse globale des engagements de plus de 7 %. Avec l’AFITF, les collectivités territoriales et la mobilisation du résultat du groupe SNCF, les consommations atteignent 8,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE), soit 600 millions d’euros de plus qu’en 2023, et 8,6 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une stabilité par rapport à l’année précédente. Le taux d’exécution du programme 203 atteint ainsi, respectivement, 94 % des moyens disponibles en AE et 93 % en CP.

Conformément aux orientations du Gouvernement, près de 92 % des CP ont été consacrés à l’entretien des réseaux existants et aux modes alternatifs à la route. Le programme 203 et l’AFITF ont contribué significativement à la maîtrise de nos finances publiques, avec des économies en gestion représentant près de 500 millions d’euros, soit 5,4 % des moyens cumulés du programme 203 et de l’AFITF.

Ces économies concernent surtout le développement de nouvelles infrastructures. Les dépenses correspondantes, qui incluent les moyens des opérateurs du programme, sont ainsi inférieures de près de 5 % aux prévisions de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 (LFI 2024).. Les moyens d’entretien et de régénération des réseaux ont cependant été préservés, avec une baisse limitée à 1 %. L’État a notamment décidé d’augmenter la contribution du groupe SNCF au fonds de concours destiné à SNCF Réseau, ce qui a renforcé les moyens alloués à la régénération et à la modernisation du réseau ferroviaire. Les moyens totaux consacrés à l’entretien et à la régénération des réseaux ont ainsi progressé de près de 8 % par rapport aux prévisions initiales.

Concernant les routes, plusieurs projets importants ont été réalisés en 2024, notamment la mise en service de la portion de la route nationale 102 (RN 102) permettant le contournement du Teil et la liaison avec l’autoroute 75 (A75) à Brioude, ainsi que l’achèvement de la mise à deux fois deux voies de la RN 57 aux abords de Besançon.

Dans le cadre de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (« loi 3DS »), les directions interdépartementales des routes (DIR) ont procédé au 1er janvier 2024 au transfert de 920 kilomètres de routes nationales à quatorze départements et deux métropoles. Elles ont également préparé l’expérimentation, prévue pour une durée de cinq ans à partir du 1er janvier 2025, de la gestion de 1 277 kilomètres de routes nationales par les régions Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes, à hauteur, respectivement, de 523 et 754 kilomètres.

Les DIR ont aussi constaté, sur leurs réseaux comme sur ceux des collectivités territoriales, une nette augmentation des événements climatiques majeurs qui ont parfois affecté de manière spectaculaire des infrastructures routières et leur capacité à rendre le service dû à nos concitoyens et à notre économie. Dans ce contexte, une étude de vulnérabilité du réseau routier national sera réalisée en 2025, conformément au troisième plan national d’adaptation au changement climatique. Elle constitue une première réponse à la nécessité d’augmenter la résilience des réseaux routiers.

Quant au mode ferroviaire, il constitue une priorité du Gouvernement dans le cadre de la décarbonation des transports. Il a donc bénéficié de dépenses importantes du programme 203 et de l’AFITF, afin d’améliorer la capacité et les performances du réseau, au bénéfice de la régulation des circulations et du développement de l’offre. Il importe d’augmenter l’attractivité du mode ferroviaire et de contribuer à l’augmentation de son usage, conformément à la politique de transition énergétique et environnementale de la France. En 2024, près de 5,2 milliards d’euros d’AE et 5 milliards de CP ont ainsi été exécutés, l’essentiel de ces crédits étant versé par le groupe SNCF, qui a ainsi abondé le fonds de concours du programme 203 à hauteur de 1,7 milliard d’euros afin de subventionner SNCF Réseau pour ses travaux de régénération et de modernisation du réseau.

Par ailleurs, des opérations de régénération de lignes ferroviaires ont été cofinancées par l’État dans le cadre des contrats de plan État-régions (CPER), à l’instar de la ligne de l’Aubrac, pour 35 millions d’euros, de la ligne Niort-Saintes, pour 13,5 millions d’euros, et de la ligne Douai-Cambrai, pour 12 millions d’euros.

Le transport fluvial participe également à la transition écologique du secteur du transport de marchandises, en constituant une alternative massifiée au fret routier. Moins consommateur d’énergie et plus faible émetteur en gaz à effet de serre à la tonne transportée, il contribue aussi à décongestionner les routes et les abords des métropoles, tout en améliorant la sécurité du transport de marchandises dangereuses.

L’année 2024 est la troisième année de mise en œuvre complète du contrat d’objectifs et de performance (COP) signé entre l’État et Voies navigables de France (VNF) le 30 avril 2021. Ce COP s’inscrit dans la dynamique de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (« LOM ») pour accélérer la régénération et la modernisation des infrastructures fluviales. À ce titre, l’AFITF a apporté à VNF un financement de 166 millions d’euros en AE en 2024, contre 70 millions d’euros en 2017, en complément de la subvention pour charges de service public de 252 millions d’euros apportée par le programme 203.

Concernant les ports, les crédits du ministère ont financé plusieurs opérations en 2024, notamment le projet Cap 2020 d’extension du terminal de conteneurs du grand port maritime de Dunkerque, l’extension du terminal de la pointe des grives du grand port maritime de la Martinique, et l’extension du grand port maritime de la Guadeloupe, dans le cadre du hub Antilles. Nous avons également poursuivi le programme d’électrification des quais du grand port maritime de Marseille et du port du Havre, ce qui contribue à la décarbonation des transports maritimes et à la réduction de la pollution de l’air dans les villes.

Les transports collectifs, qui constituent des piliers de la stratégie gouvernementale de décarbonation des mobilités quotidiennes, ont bénéficié d’engagements significatifs dans le cadre du CPER d’Île-de-France, avec notamment le prolongement vers l’ouest du RER E, pour 44 millions d’euros, et l’extension du tram T13 de Saint-Germain-en-Laye à Achères, pour 34 millions d’euros. En province, le quatrième appel à projets pour les transports collectifs en sites propres a conduit l’État à cofinancer plusieurs opérations, notamment le tramway est-ouest de Caen, celui du Havre et la deuxième ligne de tramway de Tours, dans les trois cas à hauteur de 40 millions d’euros d’AE.

L’année 2024 a également été marquée par la contribution décisive des mobilités à la réussite des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. L’empreinte carbone a en effet diminué de plus de la moitié par rapport à la moyenne des deux dernières éditions comparables, celles de Londres, en 2012, et de Rio de Janeiro, en 2016. 87 % des spectateurs ont utilisé les transports en commun et les mobilités actives pour se rendre aux épreuves, grâce à la préparation et à la mobilisation des agents de l’État, des autorités organisatrices et des opérateurs de transports. Ces jeux ont ainsi permis de montrer la pertinence d’un modèle d’organisation de grands événements responsables sur le plan environnemental.

Pour le programme 203, la majorité des indicateurs atteignent leurs cibles ou sont en progression, notamment sur la part modale des transports non routiers. La part de marché des grands ports maritimes atteint ses objectifs, y compris pour le trafic de conteneurs, qui leur apporte une valeur ajoutée significative.

Les indicateurs de régularité des services nationaux de transports conventionnés de voyageurs – financés par le programme – s’améliorent également, notamment sur la régularité à cinq minutes et le pourcentage de retards dépassant trente minutes, tandis que l’indicateur de trains supprimés atteint largement sa cible, avec un taux inférieur à 1 %. Ces résultats positifs doivent néanmoins être nuancés par la persistance de très grands retards, notamment sur la ligne Paris-Clermont-Ferrand, malgré les plans de fiabilisation. Ces retards demeurent inacceptables et font l’objet de mesures spécifiques.

De plus, la qualité et la disponibilité des infrastructures de transport s’améliorent, malgré la persistance en 2024 d’une forte inflation, qui a exercé une pression considérable sur les budgets d’entretien et d’exploitation.

Depuis sa création, l’AFITF a permis d’engager près de 63 milliards d’euros dans des investissements concernant les infrastructures et d’apporter 48 milliards d’euros de paiements aux projets. Cette action offre une visibilité précieuse à de nombreux maîtres d’ouvrage tels que la SNCF, VNF et certains ports, ainsi qu’aux collectivités territoriales, notamment dans le cadre des CPER.

En 2024, le budget exécuté par l’AFITF dépasse 4,3 milliards d’euros, dont 1,4 milliard d’euros pour les CPER, et, par ailleurs, 1,4 milliard d’euros pour le ferroviaire, 0,9 pour les routes, 0,3 pour les transports du quotidien et 0,3 pour le secteur portuaire et fluvial. Parmi les engagements notables de l’année, 326 millions d’euros ont concerné la modernisation des lignes Paris-Clermont-Ferrand et Paris-Limoges-Toulouse, 539 millions d’euros le renouvellement du matériel roulant de la transversale Bordeaux-Marseille, et 316 millions d’euros pour la liaison Roissy-Picardie. D’autres projets significatifs concernent l’interconnexion au sud de Paris des lignes à grande vitesse, avec la ligne Massy-Valenton, la poursuite des travaux de sécurisation de la route centre-Europe-Atlantique, et la ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur.

L’AFITF a bénéficié de près de 4,2 milliards d’euros de ressources, dont 550 millions d’euros provenant de la nouvelle taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance, mise en œuvre pour la première fois en 2024. Compte tenu de la contribution de l’AFITF aux annulations budgétaires, sa trésorerie a aussi nettement contribué à couvrir ses dépenses.

Concernant le budget annexe Contrôle et exploitation aériens (BACEA), l’exercice 2024 a permis de poursuivre son désendettement dans un contexte de reprise du trafic aérien, particulièrement marquée pour le trafic de survol. Le trafic de passagers au départ de la France a presque retrouvé son niveau de 2019, malgré un contraste persistant entre le dynamisme international et un marché intérieur plus atone, à l’exception des liaisons avec l’outre-mer, qui ont retrouvé leur niveau antérieur à la crise.

L’exécution 2024 des crédits du BACEA a suivi les trois priorités définies par la LFI 2024, afin de poursuivre la transition écologique de l’aviation civile. Premièrement, le maintien d’une trajectoire de désendettement dynamique a permis de réduire l’encours de dette de la direction générale de l’aviation civile (DGAC) de 372 millions d’euros entre 2023 et 2024, en le ramenant à 2 milliards d’euros fin 2024, contre 2,7 milliards à la fin de la crise sanitaire.

Deuxièmement, l’accélération des investissements pour moderniser, rationaliser et standardiser les infrastructures, particulièrement celles de la navigation aérienne, contribue à combler le retard technologique de la France. Il faut citer le déploiement du nouveau système de contrôle 4-Flight au centre en route de la navigation aérienne (CRNA) du Nord, la mise en service du système électrique IATS en tant que système de contrôle principal de la tour d’Orly, et le premier centre de contrôle entièrement numérique de France, en Martinique.

Troisièmement, les négociations collectives avec les représentants du personnel ont abouti à la signature d’un protocole social le 7 mai 2024, dans le cadre d’un plan de transformation globale de la DGAC, avec des mesures ambitieuses d’amélioration de la productivité des contrôleurs et de la filière technique, ainsi qu’une réforme de l’implantation territoriale de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA).

L’année 2024 a aussi été marquée par le dépôt du plan de performance auprès de la Commission européenne pour la prochaine période quinquennale. Aligné sur la copie budgétaire, ce plan permet de financer les investissements et l’accord social.

La DGAC a par ailleurs relevé avec succès le défi des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, en maintenant une activité intense malgré des contraintes exceptionnelles, notamment la fermeture historique de l’espace aérien parisien le 26 juillet, pour la cérémonie d’ouverture. En fin d’année, la DGAC, avec la direction interrégionale de l’océan indien, se trouvait en outre en première ligne pour la gestion des conséquences du cyclone Chido sur l’exploitation de l’aéroport à Mayotte.

Enfin, si l’augmentation significative de la fiscalité sur l’aérien prévue par la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 (LFI 2025) contribuera au redressement des finances publiques, il importera aussi d’en mesurer les effets sur l’offre de sièges et donc sur l’attractivité touristique de notre pays. Ce bilan sera effectué à la fin de l’exercice 2025.

Au-delà de ce bilan de l’exécution, je souhaite partager avec vous une vision plus prospective. L’exécution de 2024 est en effet le point de départ des réflexions sur nos futures infrastructures. La LFI 2025 a cependant entériné des mesures d’économie exceptionnelles sur la sphère des transports, avec des baisses de budget de 716 millions d’euros pour l’AFITF et de 54 millions d’euros pour le programme 203. Ces économies étaient justifiées afin de redresser et stabiliser nos finances publiques. Il s’agit cependant d’une autre période, tandis que vous m’avez invité à m’exprimer sur l’année 2024.

Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale. Je regrette d’abord que le secteur aérien ne soit pas intégré aux réflexions de la conférence Ambition France Transports, en considérant l’articulation entre le ferroviaire et l’aérien. Je constate, comme chaque année, une sous-estimation modérée des recettes du secteur aérien. De plus, la DGAC n’a pas eu recours à l’endettement. Comme vous l’avez souligné, l’encours de dette du BACEA s’établit fin 2024 à 2 021 millions d’euros, soit 372 millions d’euros de moins qu’en 2023.

Concernant le programme 203, les crédits consommés ont largement dépassé ceux votés par l’Assemblée nationale, en raison de l’importance des fonds de concours. La Cour des comptes regrette d’ailleurs que les prévisions budgétaires des dernières années soient éloignées de l’exécution réelle, ce qui nuit à une vision globale de la politique des transports. Cette situation contribue à la complexité spectaculaire et regrettable des crédits alloués aux transports. Il est impératif d’agir sur ce point pour améliorer la visibilité concernant les fonds de concours, les crédits budgétaires et les fonds alloués par les collectivités locales aux transports, qu’ils soient ferroviaires ou aériens.

Monsieur le ministre, vous savez que l’Assemblée nationale a adopté un amendement supprimant l’AFITF dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique, dit « cabinet des horreurs ». Mon groupe s’est opposé à cet amendement. Nous estimons qu’il serait préférable de renforcer la démocratie au sein de l’Agence et à l’égard du Parlement pour mieux définir les priorités en matière de transition des mobilités. L’AFITF ne peut pas être supprimée sans prévoir autre chose, sans avoir analysé les avantages et les inconvénients de cette décision, et surtout sans avoir proposé des pistes d’amélioration.

Si la suppression de l’Agence est rejetée, quelles mesures proposerez-vous pour simplifier le cadre budgétaire relatif aux transports, conformément à la volonté exprimée par la représentation nationale ? Dans le cas contraire, comment envisagerez-vous la gestion du budget des transports pour l’année 2026 ?

Le secteur fluvial, qui ne reçoit que 3 % des crédits du programme 203, a bénéficié d’une mesure pour laquelle je m’étais battue, à savoir la stabilisation des effectifs de VNF, dont les emplois rémunérés sous plafond passent de 4 022 en 2023 à 4 019 en 2024. Pour autant, des investissements bien plus élevés devraient être consacrés au secteur fluvial, particulièrement au fret.

S’agissant du plan vélo et mobilités actives 20232027, il a été supprimé en juillet 2024. Les 250 millions d’euros alloués à ce plan ont été annulés, bien que 400 collectivités locales aient répondu à l’appel lancé, et bien que, quelques semaines avant cette suppression, monsieur Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, se fût félicité du déploiement de la seconde phase de ce plan. Les mobilités actives sont pourtant, comme tous les transports collectifs, des leviers essentiels de la mobilité durable dans les zones urbaines et périurbaines ; elles répondent à des objectifs à la fois environnementaux, sociaux et sanitaires. L’attrition des moyens qui leur sont alloués fragilise les dynamiques territoriales en faveur de projets ambitieux et nécessaires. Des centaines de kilomètres de pistes cyclables ne sont ainsi pas construites, des projets municipaux sont stoppés net et la cohérence territoriale est fragilisée. Or ce même budget du plan vélo et mobilités actives 20232027 a aussi été supprimé pour 2025.

De plus, le sous-investissement chronique de l’État dans le transport ferroviaire s’est encore aggravé en 2024. Mon rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2024 alertait déjà sur l’insuffisance des investissements au regard de l’urgence climatique. Le Gouvernement a malheureusement confirmé cette analyse en diminuant en cours d’année les montants déjà trop faibles adoptés dans la loi de finances, à hauteur de 402 millions d’euros en AE et de 505 millions en CP sur le programme 203. Ces annulations ont particulièrement affecté le financement des trains d’équilibre du territoire et le fret ferroviaire.

Ces coupes auraient d’ailleurs été encore plus fortes si le budget n’avait pas été abondé par le fonds de concours du groupe SCNF, plus élevé que prévu. Ce fonds n’est toutefois pas une manne providentielle, car il provient en partie des bénéfices réalisés par SNCF Voyageurs, l’entreprise exploitante des TGV, grâce aux tarifs prohibitifs qu’elle pratique et qui constituent un frein déplorable à une mobilité socialement accessible et écologiquement responsable, en lieu et place de l’aviation.

Ces tarifs de la SNCF masquent en outre le sous-investissement de l’État. Monsieur le ministre, êtes-vous satisfait de cette situation qui se fait au détriment des usagers les plus modestes ? Quand le prix des billets devient prohibitif, ce n’est pas la rentabilité qui progresse, mais la fracture sociale qui s’aggrave.

Alors que le secteur des transports est responsable d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre, nous attendons de l’État qu’il en fasse une priorité budgétaire. Or l’exécution 2024 montre l’inverse. L’insuffisance des investissements est clairement démontrée par les chiffres issus de la documentation budgétaire.

En conclusion, Monsieur le Ministre, le secteur ferroviaire a un besoin urgent de financement, comme le démontre l’exécution du budget 2024. Parallèlement, les services express régionaux métropolitains (SERM) doivent absolument être développés afin de décongestionner les transports du quotidien. Où sont donc les 100 milliards d’euros promis par Madame Borne ?

M. Philippe Tabarot, ministre. Je me réjouis d’abord, madame la rapporteure spéciale, que la présidente de l’Assemblée nationale vous ait choisie pour représenter vos collègues au sein d’Ambition France Transports. Votre intervention démontre votre expertise sur ces sujets, tout comme votre commentaire sur l’exécution des crédits. Je suis aussi convaincu que vous formulerez des propositions pertinentes lors de la grande conférence de financement. Cependant, celle-ci traitera surtout des infrastructures et des réseaux, donc des mobilités quotidiennes. Les secteurs aérien et maritime n’en seront donc pas l’objet et les représentants de ces secteurs ne figureront pas parmi les membres des commissions et ateliers.

Quant au budget de la DGAC, les objectifs fixés pour 2024 ont été atteints. Il s’agissait de maintenir la trajectoire de désendettement, d’accélérer les investissements et de finaliser les négociations collectives.

Par ailleurs, votre commentaire sur l’exécution des crédits souligne à juste titre la complexité du budget des transports. Contrairement à des secteurs comme la police ou l’armée, les transports se caractérisent par une diversité de flux financiers – tarifs, redevances, taxes, fonds de concours – et par des acteurs aux statuts variés.

Concernant l’AFITF, créée il y a vingt ans, elle remplit ses objectifs initiaux. Elle assure la visibilité des investissements, permet l’affectation de recettes provenant notamment du secteur routier, et garantit la transparence du financement, malgré la complexité induite par l’utilisation des fonds de concours transitant par le programme 203. De plus, l’existence de l’AFITF assure une implication significative du Parlement dans les décisions d’investissement, puisque son conseil d’administration comprend 50 % de parlementaires, qui votent les conventions de financement. Cette agence constitue ainsi un lieu de rencontre entre parlementaires et élus locaux pour débattre de ces enjeux.

S’agissant du plan vélo et mobilités actives 20232027, annoncé par la Première ministre Élisabeth Borne, il capitalisait sur le succès du plan précédent. Malgré un contexte budgétaire contraint, le Premier ministre a alloué 50 millions d’euros au vélo dans le cadre du fonds vert, ce qui témoigne de l’engagement continu de l’État dans ce domaine. Les collectivités locales jouent un rôle prépondérant dans le financement des projets liés au vélo, tandis que le rôle de l’État consiste à apporter des compléments d’investissement à un certain nombre de projets. Le financement par l’État du vélo ne s’est donc pas complètement arrêté. Sur les 50 millions d’euros alloués, 48 millions de demandes sont d’ailleurs déjà enregistrées. De plus, les engagements déjà pris seront bien sûr honorés. 100 millions d’euros sont ainsi prévus à cette fin au budget 2025 de l’AFITF.

M. le président Éric Coquerel. Je souhaitais aussi vous interroger sur l’amendement adopté au projet de loi de simplification de la vie économique visant à supprimer l’AFITF. Vous y avez cependant répondu.

Concernant le transport terrestre et l’écologie, nous observons la réduction de 106 millions d’euros des CP du programme 203 et de l’AFITF en cours d’exécution de 2024. Cette décision semble incompatible avec le scénario de planification écologique recommandé par le Conseil d’orientation des infrastructures et repris par la Première ministre Élisabeth Borne. Ce scénario préconise en effet un effort supplémentaire de l’ordre de 2,3 milliards d’euros constants par an durant toute la décennie 2030. Pouvez-vous expliquer ce choix contradictoire avec les objectifs de planification écologique antérieurement fixés ?

La Cour des comptes a souligné que le trafic aérien a dépassé en 2024 les prévisions inscrites dans la loi de finances initiale. De plus, selon le Gouvernement, l’immense majorité des crédits du BACEA ont un effet neutre sur l’environnement, quoique les données fournies par d’autres institutions publiques et des organisations de la société civile permettent d’en douter. Ma question est donc double : le Gouvernement compte-t-il améliorer les prévisions de trafic aérien et intégrer un objectif de réduction du transport aérien de passagers, ce qui représenterait un scénario crédible de planification écologique ? À ce jour, un tel objectif est absent des documents budgétaires sur le sujet.

M. Philippe Tabarot, ministre. Je rappelle d’abord que l’AFITF ne compte que cinq équivalents temps plein (ETP), ses autres agents étant détachés de la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) ; ils y seraient réintégrés en cas de suppression de l’AFITF. Le budget de l’Agence couvre essentiellement des frais d’avocat, engagés au sujet des mauvais payeurs que sont les sociétés autoroutières. Ces dépenses ont d’ailleurs permis de récupérer environ huit fois le montant initialement dû. Les efforts budgétaires prévus et souhaités par de nombreux parlementaires ne concernent donc pas l’AFITF.

Concernant l’exécution budgétaire complexe de 2024, il faut rappeler le contexte de restrictions budgétaires visant à maîtriser le déficit public. Le Gouvernement a dû procéder à des annulations de crédits significatives, dont 341 millions d’euros sur le programme 203. Le ministre en charge de l’économie a aussi gelé 100 millions d’euros de crédits supplémentaires sur ce programme, ce qui a aggravé sa situation financière, déjà tendue, sachant que 75 % du programme est constitué de dépenses obligatoires.

Quant au scénario de planification écologique que vous évoquez, nous tenons à maintenir nos objectifs ambitieux dans ce domaine en travaillant à des solutions innovantes, afin de concilier nos engagements environnementaux et les réalités économiques auxquelles nous sommes confrontés. Il semble notamment essentiel de disposer de 1,5 milliard d’euros supplémentaires pour le secteur ferroviaire, dont deux tiers pour la régénération et un tiers pour la modernisation. Ces prochains jours, je m’efforcerai de trouver ces financements, avec la SNCF, Bercy et Matignon. Tout retard dans le financement des infrastructures génère d’ailleurs une dette grise croissante et nous éloigne des objectifs de décarbonation. Certaines pistes sont ainsi esquissées pour 2025, notamment en vue du PLF 2026.

S’agissant du trafic aérien, nous observons depuis 2019 une augmentation du tarif de solidarité de la taxe sur le transport aérien de passagers et une modération du trafic aérien domestique. La politique gouvernementale consiste à modifier le trafic aérien intérieur et à développer les carburants durables d’aviation (CAD) pour décarboner l’aviation. Je suis convaincu que le trafic aérien ne doit pas être sacrifié au profit du développement d’autres modes de transport. Nous devons privilégier la complémentarité et adapter les modes de transports aux besoins spécifiques.

Madame la rapporteure spéciale, vous avez soulevé la question de la tarification des billets de train. Il semble en effet problématique que certains billets de train soient plus onéreux que des billets d’avion. Cela n’implique toutefois pas d’augmenter forcément la fiscalité sur les billets d’avion. Mieux vaut trouver des solutions pour rendre le train moins coûteux, par exemple avec certains opérateurs. En revanche, le trafic aérien répond à des besoins de nos concitoyens ; il s’autofinance et a permis à de nombreux Français de découvrir des destinations mondiales auparavant inaccessibles. De nombreux collègues ici présents apprécient d’ailleurs les lignes qui désenclavent leurs circonscriptions et sont parfois leur seul moyen d’exercer leurs fonctions parlementaires.

M. le président Éric Coquerel. Je n’évoquais pas l’arrêt du trafic aérien, mais sa réduction.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Premièrement, la Cour des comptes demande depuis plusieurs années la dissolution de l’AFITF, non pour des raisons économiques, mais pour des questions de transparence budgétaire. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Deuxièmement, quel bilan dressez-vous de la nouvelle taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance (TEITLD), instaurée par la LFI 2024 ?

Troisièmement, comment évaluez-vous a posteriori l’impact du tarif de solidarité de la taxe sur le transport aérien de passagers sur la filière aéronautique, et quelle est votre position sur les outre-mer et la continuité territoriale, notamment vis-à-vis de la Corse ?

Quatrièmement, les concessions autoroutières arriveront à échéance entre 2031 et 2036. Quel modèle jugez-vous pertinent pour leur succéder ? Pouvez-vous d’ailleurs évoquer vos récents échanges avec les concessionnaires sur le bon état des infrastructures, qui relève de leur responsabilité ?

Enfin, la Cour des comptes a relevé d’importantes difficultés financières dans le maillage aéroportuaire du Grand Est. Quelle politique envisagez-vous pour ces plateformes, particulièrement en matière de fret ?

M. Philippe Tabarot, ministre. Malgré les remarques de la Cour des comptes, que je suis bien sûr avec attention, je considère toujours que l’AFITF est un outil précieux, ainsi que l’ont souligné les cinq derniers ministres en charge des transports dans une tribune commune. L’AFITF nous permet d’assurer une planification efficace des investissements de disposer d’une meilleure lisibilité sur de nombreux sujets, tout en garantissant le fléchage de certains financements.

Concernant la TEITLD, elle représente près de 575 millions d’euros, répartis sur une dizaine de contributeurs. Il s’agit évidemment de la seconde taxe qui, en deux ans, concerne le secteur aéroportuaire.

L’augmentation du tarif de solidarité de la taxe sur le transport aérien de passagers engendre bien sûr quelques conséquences ; je rendrai publics les chiffres précis dans les prochaines semaines. Nous constatons cependant une stabilité du nombre de sièges disponibles en France, alors qu’il augmente de 6 % chez nos principaux concurrents touristiques comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce. Les recettes n’atteindront donc pas le niveau escompté. De plus, certaines compagnies se désengagent de France et des infrastructures aéroportuaires sont ainsi mises en difficulté.

Quant au Grand Est, le rapport de la chambre régionale des comptes s’interroge plus largement sur l’avenir des aéroports régionaux, notamment ceux d’Épinal, de Moselle et de Strasbourg. Chacun possède cependant ses spécificités. Je pense ainsi que ces aéroports peuvent continuer à fonctionner de manière complémentaire. Ils accueillent notamment des missions régaliennes, tout en créant une dynamique économique locale. Leur avenir me semble assuré s’ils adoptent une approche complémentaire plutôt que concurrentielle. Les prochaines avancées technologiques en matière d’aviation hybride, électrique et légère offriront un cadre idéal pour leur pérennité, tout en garantissant une exemplarité environnementale.

Concernant les concessions routières, il s’agit d’un sujet central de la conférence Ambition France Transports. Il s’agit d’abord de terminer au mieux les concessions en cours. L’État assure en outre son rôle central en rappelant aux concessionnaires leurs obligations en matière de travaux pour les sept dernières années. Je souhaite que les concessionnaires poursuivent leurs investissements jusqu’au dernier jour et honorent ainsi leurs engagements envers l’État. Quant à l’avenir de ces concessions, j’espère que le débat sera rapidement tranché, afin d’envisager un nouveau modèle, l’actuel risquant de devenir obsolète si nous ne trouvons pas de nouvelles sources de financement. Il me semblerait pertinent que les autoroutes poursuivent leur décarbonation et participent, de manière solidaire, au financement des routes nationales voire départementales, ainsi que des 120 000 ponts du pays et des infrastructures ferroviaires. Une complémentarité et une solidarité existeraient ainsi entre ces différents modes de transport.

M. Emmanuel Fouquart (RN). Le commentaire sur l’exécution des crédits dans le domaine des transports soulève de sérieuses interrogations quant au financement des infrastructures et services de transport. Il omet aussi de traiter des infrastructures routières, notamment du projet de l’A69.

La fiabilité des prévisions budgétaires diminue chaque année, tandis que l’État recourt de plus en plus aux fonds de concours, une pratique qui fragilise le principe d’annualité budgétaire, comme l’estime la Cour des comptes. Le commentaire montre qu’une grande part de ces fonds, soit 613 millions d’euros, provient de la SNCF. Il s’agit clairement des bénéfices réalisés par SNCF Voyageurs, grâce aux tarifs exorbitants pratiqués, qui constituent en réalité des impôts déguisés.

L’émission Complément d’enquête du 13 février dernier a montré que 106 rames de TGV auraient été délibérément immobilisées entre 2012 et 2023, ce qui a provoqué une perte de 30 000 sièges et une explosion des prix des billets, alors que ces rames étaient encore parfaitement exploitables pour plusieurs années.

Enfin, le commentaire omet de traiter du projet de l’A69, sans doute en raison du tropisme idéologique de la rapporteure spéciale. Ce projet a été annulé par le tribunal administratif de Toulouse le 27 février dernier, après une intense campagne de pression des écologistes. Notre infrastructure routière, d’une vétusté croissante, nécessite cependant des investissements massifs pour garantir la sécurité des usagers, en particulier les motocyclistes, davantage exposés aux accidents de la route.

Monsieur le Ministre, envisagez-vous d’encourager la mise en place d’une politique tarifaire reflétant la réalité du marché, qui semble faussée par les pratiques de la SNCF ? Prévoyez-vous de réduire la part du financement des transports par le fonds de concours issu du groupe SNCF afin de garantir une stratégie budgétaire pérenne qui ne pèse pas davantage sur les usagers ? Enfin, quel est le coût de l’annulation du projet de l’A69 ?

M. le président Éric Coquerel. Je vous propose, chers collègues, de ne pas critiquer les rapporteurs spéciaux durant vos interventions en fonction de leur appartenance politique, ce que nous n’avons jamais fait. En effet, nous le regretterions tous.

M. Philippe Tabarot, ministre. Vous avez évoqué les dividendes versés par le groupe SNCF à l’État par le biais de fonds de concours. Ils ne me choquent pas. Préféreriez-vous que l’État comble les 35 milliards d’euros de déficit de SNCF Réseau avec l’argent du contribuable ? Il paraît logique que les bénéfices de SNCF Voyageurs servent à financer une partie du réseau, sachant qu’ils ne pourraient servir, sinon, qu’à répondre aux demandes sociales de ses employés. Il vaut mieux que les usagers des TGV participent, à travers le prix de leurs billets, au financement des infrastructures, plutôt que de faire porter cette charge sur les contribuables, qui n’utilisent pas tous le train.

Ces subventions sont d’ailleurs inscrites dans le contrat de performance signé entre l’État et SNCF Réseau. En 2023, la SNCF a apporté une aide exceptionnelle supplémentaire de 604 millions d’euros pour lutter contre les conséquences de l’inflation. Pour 2024, une nouvelle aide exceptionnelle de 290 millions d’euros a été convenue. La contribution de la SNCF à la régénération et à la modernisation du réseau me semble totalement normale.

Un encadrement de la politique tarifaire pourrait évidemment s’avérer nécessaire afin d’éviter les excès. Cependant, il est déjà possible de voyager en train à des tarifs raisonnables. Les contribuables et les collectivités concernées prennent ainsi en charge 70 % des prix des billets des trains d’équilibre du territoire et des trains express régionaux. Bien sûr, les tarifs des trains à grande vitesse exploités par le groupe SNCF peuvent sembler élevés, notamment en comparaison avec certains billets d’avion, qui semblent parfois trop bon marché. Parallèlement, les trains Ouigo proposent des tarifs accessibles à tous les Français souhaitant prendre le train.

Quant au projet de l’A69, il ne concerne pas l’exécution du budget 2024. Une proposition de loi sur ce sujet vous sera cependant prochainement soumise, sachant qu’une décision de justice est attendue le 21 mai et que nous en tirerons toutes les conséquences. J’ai aussi reçu un courrier très précis du président de votre commission, auquel je répondrai prochainement. Vous savez également que si le jugement du tribunal administratif de Toulouse m’avait convaincu, nous n’aurions pas fait appel.

M. David Amiel (EPR). Concernant la régénération du réseau ferroviaire existant, pourriez-vous préciser les nouvelles pistes de financement que vous avez évoquées ? Si je comprends le recours à un financement par SNCF Voyageurs, il faut néanmoins rappeler que la Cour des comptes a émis un rapport très critique sur les fonds de concours et la sous-exécution des crédits qui en découle. Pourriez-vous préciser votre doctrine en la matière ?

Par ailleurs, l’annulation récente du passe rail a déçu de nombreuses personnes, notamment les jeunes, car ce dispositif leur offrait une possibilité d’émancipation et de voyages. La brutalité de cette décision, qui s’appliquera dès l’été prochain, a surpris ceux qui avaient déjà planifié leurs projets. Quelles alternatives de tarification adaptées aux jeunes envisagez-vous pour pallier cette suppression ?

Ma troisième question concerne un enjeu local, l’accessibilité des transports en commun en Île-de-France pour les personnes en situation de handicap. Nous accusons un retard considérable dans ce domaine par rapport à d’autres grandes métropoles. Or le chantier de mise en conformité totale est estimé entre 15 et 20 milliards d’euros, sur plusieurs années. Un débat actuel concerne notamment l’accessibilité de la ligne 6 du métro parisien, en grande partie aérienne, ce qui faciliterait les travaux. Quelle est la position de l’État sur le calendrier de ces travaux et la répartition de leur financement entre les différents niveaux de collectivités impliqués ?

Enfin, six ans après l’adoption de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire ayant ouvert à la concurrence l’exploitation du transport ferroviaire, sa mise en œuvre semble encore lente pour certaines lignes. Qu’en est-il ?

M. Philippe Tabarot, ministre. Je reste favorable à l’utilisation de fonds de concours, quoique je sois conscient de la problématique de soutenabilité financière concernant la SNCF si elle doit supporter complètement les investissements. À terme, en effet, elle ne pourra pas financer toute seule le réseau et d’autres solutions devront donc être trouvées. Le contexte actuel de restrictions budgétaires s’impose toutefois. Néanmoins, j’estime nécessaire d’investir 1,5 milliard d’euros en plus des 3 milliards déjà alloués au réseau. Nous explorerons toutes les pistes, par exemple sur la modernisation du système européen de gestion du trafic ferroviaire (European Rail Traffic Management System, ERTMS), pour lequel d’autres possibilités peuvent exister. Un effort significatif continuera néanmoins d’être demandé à la SNCF par le biais du fonds de concours.

Par ailleurs, l’expérimentation du passe rail n’a pas été reconduite en raison de résultats mitigés. Alors que 700 000 jeunes voyageurs étaient espérés, le dispositif n’a été utilisé que par un peu plus de 200 000 personnes, tout en coûtant 10 millions d’euros. De plus, des régions ayant participé l’an dernier s’y montraient réticentes, outre l’Île-de-France qui n’avait pas été concernée. Elles n’ont pas souhaité la reconduction de ce dispositif, qui n’a d’ailleurs pas engendré le report modal escompté, car les utilisateurs dudit passe étaient déjà des usagers du train, et non des personnes ayant renoncé à d’autres modes de transport, notamment la voiture.

La question de l’accessibilité, très complexe en Île-de-France, fait l’objet d’une attention soutenue. Depuis les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, la présidente du conseil régional, Madame Valérie Pécresse, a formulé plusieurs propositions ; elle échange régulièrement avec la RATP et l’État. Ce dernier est prêt à l’accompagner. Il semble toutefois utopique d’arriver à une accessibilité complète du réseau existant. L’option la plus réaliste consiste à cibler certaines lignes et stations prioritaires, bien que cela puisse semble discriminatoire.

Quant à l’ouverture à la concurrence, je considère qu’elle a insufflé un dynamisme bénéfique au secteur ferroviaire français, en élargissant l’offre et en proposant des tarifs plus compétitifs. Dans les régions, notamment la mienne, elle a permis le doublement de l’offre ferroviaire sans augmenter les coûts pour la collectivité.

M. le président Éric Coquerel. Pour le fret, la situation est différente.

M. Philippe Tabarot, ministre. En effet, l’ouverture à la concurrence fonctionne mieux pour le transport de voyageurs que pour le fret.

M. le président Éric Coquerel. C’est le moins que l’on puisse dire.

M. Bérenger Cernon (LFI-NFP). La SNCF vient de tirer la sonnette d’alarme : sans investissements supplémentaires, un tiers du réseau ferroviaire français sera dégradé d’ici dix ans, ce qui affectera 10 000 kilomètres de lignes et diminuera le nombre de trains, augmentera celui des retards, supprimera des lignes et accentuera ainsi la fracture territoriale.

Cette perspective n’est pas étonnante, puisqu’en dix ans, près de 10 % du réseau a déjà été abandonné. Les promesses antérieures d’un investissement de 100 milliards d’euros sur quinze ans n’ont pas été tenues. Loin de rompre avec cette tendance, votre gouvernement l’aggrave, vu ce qu’il advient du budget de l’État et de celui des collectivités territoriales, dont les dotations sont amputées de 7,4 milliards d’euros pour 2025, avec des conséquences désastreuses. Pour vous, la bifurcation écologique peut manifestement attendre, quitte à ce que des petites lignes ferment, faute de moyens pour leur rénovation.

Le 26 avril, 263 millions d’euros ont été annulés sans le moindre débat démocratique. Ce désinvestissement écologique et social renforce pourtant les inégalités en matière de mobilité, alors que 15 millions de personnes souffrent déjà de précarité. La fracture territoriale s’aggrave de manière alarmante.

Nous déplorons également la réduction de 51 millions d’euros des crédits alloués aux transports collectifs, avec notamment une baisse drastique des moyens alloués au plan vélo et mobilités actives 2023-2027 (qui prévoyait aussi un programme national de soutien à la marche), alors que la marche et le vélo sont pourtant essentiels pour favoriser le passage des mobilités carbonées aux mobilités douces.

Pourquoi prenez-vous de telles décisions, alors que les investissements réalisés en 2024 ont démontré leur pertinence ? Vous appliquez une politique d’austérité aveugle. Comment espérer maintenir les petites lignes ferroviaires quand les collectivités, déjà exsangues, voient leurs dotations amputées ? Vous continuez à prêcher la transition écologique et le doublement de la part modale du fret ferroviaire, mais avec quels moyens ? Le plan vélo et mobilités actives 2023-2027 a disparu et le fret ferroviaire est éclaté à la manière d’un puzzle. Vos choix politiques ne font que renforcer la dépendance à la voiture, avec toutes ses externalités négatives en matière de pollution, d’inégalités et d’isolement, comme l’a confirmé la suppression du passe rail.

Monsieur le Ministre, allez-vous persister dans cette voie de l’austérité qui détruit notre réseau ferroviaire, affaiblit nos territoires et revient à renoncer à la bifurcation écologique, ou allez-vous enfin chercher de nouveaux financements pour faire payer à la route ce qu’elle coûte réellement ?

M. Philippe Tabarot, ministre. Je répondrai à ces questions, quoiqu’elles s’éloignent de l’exécution du budget 2024. Quand madame Borne a annoncé le plan d’avenir pour les transports à hauteur de 100 milliards d’euros, j’y étais très attentif, en qualité de parlementaire et de rapporteur du domaine des transports. J’ai personnellement porté plusieurs amendements sur les petites lignes ferroviaires, adoptés au Sénat sans être repris à l’Assemblée. Je sollicitais chaque année 300 millions d’euros supplémentaires pour la préservation de ces lignes, sachant que j’ai aussi veillé à sauver les petites lignes de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur quand j’étais vice-président en charge des transports. Désormais, des travaux concernent ces petites lignes ; ils sont parfois entièrement financés par la région et parfois cofinancés dans le cadre des CPER. Mes actes montrent donc mon attachement à ces lignes et je suis conscient que pour certaines, tout ralentissement peut annoncer une fermeture, qui peut toujours être très mal vécue. Je partage entièrement votre point de vue sur ce sujet.

Concernant le fret ferroviaire, j’en ai longuement discuté avec vos collègues du Sénat. La décision prise ne procédait pas d’un choix, mais d’une obligation imposée par l’Europe. Elle permettait de préserver 5 000 emplois, dont 4 500 spécifiques au fret et 500 dans le groupe SNCF. Désormais, Hexafret, qui remplace Fret SNCF, a retrouvé sa place. La part modale du fret ferroviaire dans le transport intérieur de marchandises reste toutefois insuffisante, avec 10,8 %, alors que j’espérais atteindre 18 %.

Quant à la taxation de la route, je rappelle qu’un projet d’éco-taxe avait été lancé par le ministre Dominique Bussereau. Madame Ségolène Royal l’avait arrêté, après avoir laissé financer les portiques. Elle a opéré un revirement, puisqu’elle se déclare désormais partisane du fret et s’est récemment étonnée sur BFMTV que la route ne soit pas taxée. Les pays performants en matière de fret ferroviaire, comme l’Autriche ou la Suisse, taxent d’ailleurs fortement la route. La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a ainsi ouvert cette possibilité aux régions transfrontalières. La Communauté européenne d’Alsace et la région Grand Est ont donc lancé une expérimentation et d’autres régions frontalières pourront y venir. Nous verrons si de telles taxes peuvent constituer une source de financement et donner un nouvel élan au fret ferroviaire, dont je pense qu’il a encore de l’avenir en France.

M. Peio Dufau (SOC). Nous pouvons différer les dépenses, mais nous ne différerons pas les conséquences déjà visibles du dérèglement climatique. Le rapport annuel de performance montre que le ministère est conscient de la nécessité d’un report modal massif pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, qui représentent un tiers de nos émissions totales. Or nous constatons paradoxalement un manque de moyens pour répondre à cette urgence. Nous avons besoin d’une transformation profonde du modèle des transports, et j’espère que la conférence Ambition France Transports marquera un tournant dans l’approche du Gouvernement.

Pour le transport de marchandises, le constat s’avère accablant, puisque la part modale du fret ferroviaire reste inférieure à 11 %. Le Gouvernement n’atteint pas ses objectifs. Vous engagez-vous à faire en sorte que le transport routier assume enfin le coût réel des externalités qu’il engendre en matière de santé, de climat et d’usure des infrastructures ? Êtes-vous prêt à conditionner les implantations économiques à un raccordement au rail et à mettre en place des incitations fiscales et financières pour que le fret ferroviaire devienne enfin une solution économiquement avantageuse pour les chargeurs ?

Quant au transport de personnes, l’abandon du plan vélo et mobilités actives 2023-2027 et l’absence de soutien à la transition des flottes pour les particuliers envoient des signaux inquiétants pour les mobilités quotidiennes. La mission d’information sur le rôle du transport ferroviaire dans le désenclavement des territoires, que je préside, a cependant formulé des propositions concrètes dont je voudrais discuter avec vous. Êtes-vous prêt à prioriser des dynamiques locales de transports du quotidien, comme le sont les SERM, et à mobiliser les moyens nécessaires ?

Enfin, tous les acteurs nous alertent sur la nécessité de rénover notre réseau ferré, ce qui exige 1,5 milliard d’euros supplémentaires par an. Êtes-vous prêt à taxer les transports routier et aérien pour financer directement la rénovation du réseau ferroviaire afin d’en garantir la fiabilité à court et moyen termes ?

Les mobilités de demain doivent répondre aux besoins concrets des territoires et aux enjeux climatiques. La conférence Ambition France Transports doit être à la hauteur de ses ambitions. Nous sommes prêts à participer à l’élaboration de ces solutions.

M. Philippe Tabarot, ministre. Comme je vous l’ai déjà indiqué, je suis prêt à un échange approfondi avec vous sur ces questions, afin que vous puissiez contribuer à la conférence Ambition France Transports. J’ai souhaité cette conférence, que le Premier ministre soutient. Comme rapporteur au Sénat de la loi du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains, j’avais souligné que ces projets, nécessaires afin d’améliorer la mobilité quotidienne, resteraient lettre morte sans financement adéquat. J’avais donc déposé un amendement pour obtenir la création d’une conférence nationale de financement des SERM, initialement prévue en juin 2024. Si les événements politiques ont empêché sa tenue, nous avons repris l’idée en élargissant l’objet de cette conférence à l’ensemble des mobilités.

Par ailleurs, l’État soutient massivement l’exploitation du fret ferroviaire, avec une enveloppe passant de 340 à 370 millions d’euros de 2024 à 2025. Un effort spécifique concerne cette année les wagons isolés, avec un budget de 100 millions d’euros, contre 70 millions l’an dernier. Dans le cadre des arbitrages budgétaires, j’ai obtenu cette augmentation, quoique je n’aie pas gagné tous les combats que j’ai menés.

Concernant les péages ferroviaires, ils s’avèrent inférieurs à la moyenne européenne pour le fret, ce qui devrait favoriser son développement. De plus, le rapport sur le programme d’investissements pour le fret ferroviaire 2023-2032 récemment publié, qui associe notre ministère, l’Alliance 4F et SNCF Réseau, permettra d’identifier les financements prioritaires, notamment pour la question centrale des raccordements et des installations terminales embranchées (ITE).

M. Nicolas Ray (DR). En 2023, quand vous étiez sénateur et présentiez les crédits du domaine des transports, vous aviez indiqué que l’année 2024 serait décisive pour le réseau ferroviaire, en marquant soit un virage salutaire, soit la poursuite de sa paupérisation. Quel regard portez-vous donc sur l’année 2024 par rapport à cette ambition que vous continuez de porter et que nous partageons ?

Ce sujet est majeur pour mon territoire, avec la situation de la ligne Paris-Clermont-Ferrand et nos très fortes attentes qui concernent, à court terme, l’amélioration de la maintenance, l’engrillagement, le gel des tarifs et la recherche de nouvelles locomotives, et, à long terme, la réduction du temps de parcours. Nous vous remercions d’ailleurs, monsieur le ministre, d’être venu présider le comité de ligne. Estimez-vous cependant que le niveau d’engagement de l’État a été, en 2024, suffisant eu égard à la situation de cette ligne ?

Nous regrettons bien sûr les annulations de crédit, même si chaque ministère devait évidemment contribuer à l’effort budgétaire. Nous regrettons notamment qu’elles aient affecté le financement des trains d’équilibre du territoire et du fret, malgré des besoins majeurs. Comment les arbitrages ont-ils été réalisés pour le programme 203 ?

Nous regrettons aussi le manque de fiabilité s’agissant des fonds de concours. Comment pourriez-vous améliorer leurs prévisions, ce qui passerait notamment par une meilleure articulation avec les opérateurs ?

Enfin, nous nous réjouissons de l’organisation de la conférence Ambition France Transports. Nous attendons en effet depuis longtemps les 100 milliards d’euros annoncés par madame Borne en faveur du transport ferroviaire. Ce travail aboutira-t-il à une loi de programmation, et si oui, à quelle échéance ?

M. Philippe Tabarot, ministre. Les annulations nettes décidées en 2024 pour le programme 203 ont représenté près de 400 millions d’euros en AE et près de 500 millions en CP, ce qui représente respectivement 4 % et 5,5 % des niveaux initiaux. Le ministre en charge de l’économie a en outre gelé 100 millions d’euros le 11 juillet. Il a été décidé de déporter sur les taxes affectées à l’AFITFune partie de ces annulations, sans rétablir tous les crédits, si bien qu’il manque environ 50 millions d’euros en AE comme en CP. Ces annulations sont donc réparties entre le programme 203 et l’AFITF. Cette dernière a ainsi pris à sa charge une réduction des dépenses de fonds de concours abondant le programme 203, à hauteur de 95 millions d’euros d’AE et 199 millions de CP. De plus, sa trésorerie a diminué de 200 millions d’euros. Quant au gestionnaire du programme 203, il a pris à sa charge une baisse de 292 millions d’euros en AE et de 91 millions d’euros en CP.

Ces annulations ont entraîné le report à 2025 de plusieurs opérations, notamment l’engagement des contrats d’ouverture à la concurrence des lignes Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux, désormais réalisés. Le transport aérien y a aussi contribué, pour 20 millions d’euros d’AE et 5 millions d’euros de CP, ainsi que les financements de l’État en faveur des dépenses de dragage des grands ports maritimes, pour 5 millions d’euros.

Par ailleurs, je suis évidemment favorable à une loi de programmation, qui me semblait nécessaire pour que les engagements du plan d’avenir pour les transports soient tenus. À défaut, un fléchage beaucoup plus important me paraît indispensable, quoique Bercy n’aime guère procéder ainsi. Sur une soixantaine de milliards d’euros de taxes concernant les transports, seuls 10 % ou un peu plus leur reviennent ensuite. Ce secteur ne dispose donc pas du retour qu’il mériterait. Par exemple, les recettes supplémentaires issues de la dernière hausse du tarif de solidarité de la taxe sur le transport aérien de passagers ne lui reviendront pas.

Concernant la ligne Paris-Clermont-Ferrand, je me réjouis que le retard accusé pendant plusieurs années soit enfin en voie d’être rattrapé. Grâce à mes derniers prédécesseurs, le chantier de cette ligne figure parmi les deux principaux chantiers, avec la ligne Paris-Limoges-Toulouse. Le matériel ne sera toutefois livré que dans deux ans. En attendant, nous essayons de trouver des solutions pour affecter le moins possible la qualité du service. Après une situation satisfaisante l’an dernier, l’année 2025 a cependant très mal commencé. J’ai d’ailleurs parlé de ce sujet avec plusieurs d’entre vous et lors du comité de ligne que j’ai présidé. Je me suis aussi engagé à me rendre en juillet à Clermont-Ferrand et prochainement à Limoges, afin que les engagements de la SNCF et de l’État puissent être tenus pour les deux années à venir – celles-ci s’annonçant difficiles –, pour que la qualité de service soit assurée. Je répète aussi mon attachement aux trains d’équilibre du territoire, abandonnés dans notre pays pendant plusieurs années et enfin en train d’être remis à niveau.

M. Nicolas Bonnet (EcoS). Je ne reviendrai pas sur la ligne Paris-Clermont-Ferrand, déjà évoquée par M. Nicolas Ray.

Les annulations de crédits se sont élevées en 2024 à 10 milliards d’euros, dont un cinquième pour la mission Écologie, développement et mobilité durables, avec 341 millions d’euros d’annulations sur le programme 203. Ces décisions s’avèrent dérangeantes au regard des besoins concernant le développement des infrastructures. Cette année encore, 3 milliards d’euros de crédits ont été annulés, dont 263 millions d’euros pour les infrastructures et les services de transport. J’espère que cette tendance ne se poursuivra pas ces prochaines années, car il importe d’augmenter les investissements dans le réseau de transports.

Pour le secteur ferroviaire, madame Borne avait notamment annoncé en 2023 des investissements de 100 milliards d’euros d’ici 2040. Ce montant correspondait bien aux besoins de revitalisation du réseau, de rénovation, voire de réouverture de lignes essentielles à la desserte de l’ensemble du territoire. Or aucun investissement concret ne s’est réalisé dans ce cadre en 2024 et rien ne semble prévu pour 2025. Cela démontre la nécessité de trouver de nouvelles sources de financement, notamment en faisant davantage participer le secteur routier. La question de l’écotaxe me paraît en l’occurrence essentielle. Nous devons y venir, sachant qu’elle représenterait une proportion assez faible du coût final des marchandises transportées.

Certaines dépenses fiscales s’avèrent en outre défavorables à la transition. En particulier, le tarif réduit (remboursement) pour les gazoles utilisés comme carburant par les véhicules routiers de transport de marchandises d’au moins 7,5 tonnes représente une perte annuelle de 1,3 milliard d’euros, alors que cette niche fiscale affecte négativement l’environnement, comme l’a montré la cotation du budget vert. Or sa suppression représenterait seulement 43 centimes pour le transport d’une tonne de marchandises sur cent kilomètres. Son impact sur le coût final des marchandises serait donc également négligeable.

M. Philippe Tabarot, ministre. Je salue d’abord votre action efficace et constructive sur la ligne Paris-Clermont-Ferrand.

Il subsiste plusieurs éléments importants du plan d’avenir pour les transports de madame Borne, notamment les fonds de concours et les engagements pris par l’État à travers les CPER. Des projets et des programmes sont ainsi issus de ce plan.

S’agissant des annulations de crédits, le programme 203 est concerné par le décret n° 2025-374 du 25 avril 2025 portant annulation de crédits, qui prévoit l’annulation de 263 millions d’euros en AE et de 20 millions d’euros en CP. En particulier, 250 millions d’euros d’AE sont annulés pour l’action 44 Transports collectifs, en raison du report à 2026 de la contractualisation du marché pour le matériel roulant des trains de nuit. Ces AE seront donc ouvertes ultérieurement. À chaque annulation de crédits, nous avons d’ailleurs systématiquement cherché à reporter les actions plutôt qu’à les annuler. De telles situations concernent aussi VNF et l’Établissement public de sécurité ferroviaire.

Concernant la taxation de la route et du gazole, il faut rappeler que les entreprises de transport routier réalisent généralement des marges très faibles. Un juste équilibre doit donc être trouvé, afin d’éviter toute casse sociale, tout en favorisant le transport de marchandises par voie ferroviaire, fluviale, voire maritime. Nous venons d’ailleurs d’obtenir l’accord de la Commission européenne sur un projet innovant de transport de camions par bateau à Mouguerre.

Je n’oublie pas les autres projets ferroviaires, qui concernent notamment la ligne Paris-Briançon, qui a besoin de nouveaux matériels, et la ligne Bordeaux-Marseille, dont la fiabilité doit être améliorée.

M. le président Éric Coquerel. Ne pas les oublier est bien. Les financer serait mieux.

Mme Sophie Mette (Dem). Le Premier ministre a récemment ouvert la conférence Ambition France Transports, qui vise à définir des solutions de financement pérennes afin d’assurer le développement des transports pour les quinze prochaines années, dans un contexte budgétaire contraint. Il importe de se fonder sur la compréhension de l’existant pour bâtir un nouveau modèle de financement. Or l’exécution budgétaire de 2024 offre des enseignements précieux. Le financement par l’État des infrastructures de transport repose largement sur l’AFITF, dont il est cependant envisagé la suppression au 1er janvier 2026 dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique. Il faut rappeler que le modèle économique de l’AFITF s’appuie principalement sur le produit de quatre taxes, dont le rendement fut parfois inférieur aux attentes en 2024. Ainsi, la nouvelle TEITLD n’a rapporté que 550 millions d’euros, tandis que 600 millions étaient espérés. Comment expliquez-vous cet écart ?

L’AFITF bénéficie aussi de recettes issues des sociétés concessionnaires d’autoroutes, dont une contribution volontaire exceptionnelle. Cependant, un nouveau contentieux entre l’État et ces sociétés a suspendu le versement de l’annuité 2024. Au regard des fréquents contentieux liés à cette contribution, que pensez-vous de la viabilité de cette source de financement ? Ne devrait-elle pas être réformée, voire remplacée par un modèle juridiquement plus sûr ?

Enfin, le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFITF est arrivé à échéance en 2023. Pouvez-vous nous informer de l’avancée des travaux concernant son renouvellement ? Quels objectifs et priorités souhaitez-vous fixer à l’AFITFpour les prochaines années ?

M. Philippe Tabarot, ministre. Je réitère mon opposition à la suppression de l’AFITF au 1er janvier 2026, sur laquelle j’espère que la commission mixte paritaire reviendra. Conserver cette agence me semble impératif afin de sécuriser les flux financiers des ressources fiscales affectées aux transports. Les incertitudes de 2024 concernant certains mauvais payeurs ont d’ailleurs été résolues par la justice. La participation d’élus des différents territoires au conseil d’administration de l’AFITFassure en outre un contrôle parlementaire efficace sur les conventions signées, et le financement des infrastructures par une agence spécifique permet une gestion optimale des projets à long terme.

Concernant la nouvelle TEITLD, son rendement s’est élevé précisément à 575 millions d’euros en 2024, un niveau proche de l’objectif visé, dont nous devrions davantage nous rapprocher en 2025, grâce à la progression du chiffre d’affaires des sociétés autoroutières.

Si l’AFITF est sauvée, nous entamerons rapidement les travaux de renouvellement du contrat d’objectifs et de moyens, qui n’a pas pu être renouvelé en raison des changements de présidence. Dans ce cadre, je demanderai à son président de travailler particulièrement à l’amélioration de la transparence et de l’efficacité de cette agence.

M. Philippe Lottiaux (RN). L’État ne peut pas tout faire. Des priorités doivent donc être définies. Vous les avez judicieusement concentrées sur l’entretien du réseau ferroviaire, qui nécessiterait encore davantage de moyens. Cependant, je voudrais savoir si vous prenez en considération deux autres priorités, quoiqu’elles ne relèvent pas directement de l’État, à savoir le réseau routier secondaire et les ponts, sachant que vous avez évoqué les difficultés rencontrées par les collectivités pour l’entretien des 120 000 ponts. L’État peut-il intervenir ou estime-t-il que, faute de moyens, cette responsabilité incombe exclusivement aux collectivités ?

Concernant les recettes, vous connaissez notre opposition à toute taxe supplémentaire sur le transport aérien ou routier. L’équilibre économique de nombreuses entreprises de transport est d’ailleurs précaire, comme vous l’avez souligné. Nous estimons en revanche que les autoroutes devraient redevenir publiques. À défaut, envisagez-vous d’instaurer un mode de gestion qui, au-delà des taxes spécifiques sur les sociétés d’autoroutes, permettrait de mettre fin aux profits excessifs et de dégager davantage de moyens, en faveur notamment du réseau routier secondaire et des ponts ?

M. Philippe Tabarot, ministre. L’atelier 2 de la conférence Ambition France Transports vise justement à réfléchir à un nouveau modèle permettant de concilier tous ces aspects. Il me semble possible de placer l’État au cœur du dispositif, tout en maintenant un système de concessions. Les 10 000 kilomètres du réseau national doivent évidemment continuer à être bien entretenus pendant les sept prochaines années, jusqu’à l’échéance des concessions. Le système de concessions peut d’ailleurs permettre la poursuite des investissements tout en rémunérant les actionnaires des sociétés concernées, mais sans générer de profits excessifs. Or un encadrement insuffisant a été initialement instauré, ce qui a causé plusieurs polémiques justifiées, car les concessionnaires disposaient de contrats leur permettant de s’enrichir plus que prévu.

Je tiens aussi à une solidarité entre les modes de transport. Les recettes des péages, qui avoisinent 13 milliards d’euros, pourraient à l’avenir être partiellement allouées au financement et à l’investissement dans le réseau ferroviaire, ainsi que dans le réseau routier national, notamment pour les ponts. À ce sujet, l’État a confié au centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) un programme national doté de 110 millions d’euros. Ce programme a permis de diagnostiquer près de 64 000 ouvrages, en révélant que 25 % des ponts et 14 % des murs présentaient des désordres structurants. Un programme de 55 millions d’euros vise en outre depuis 2023 à subventionner les travaux des communes de moins de 10 000 habitants. Cependant, un bilan publié en novembre 2024 par le CEREMA estime que la remise en état de ce patrimoine nécessiterait un rattrapage de près de 3,3 milliards d’euros, dont 740 millions pour des actions immédiates sur les ouvrages les plus urgents. Il me semble donc essentiel qu’à l’avenir les profits générés par les autoroutes puissent financer en partie des routes nationales, des ponts ou des murs de soutènement.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Je suis élu en Haute-Vienne, un territoire très défavorisé en matière de transports, puisque le trajet pour Paris dure plus longtemps que dans les années 1990 et qu’il n’existe pas de liaison ferroviaire avec Clermont-Ferrand et Angoulême. De plus, Limoges ne dispose pas de SERM. Or la ville centre devrait être connectée aux zones périurbaines. Il faudrait justement envisager un ciblage spécifique des financements en faveur des communes et des territoires rencontrant le plus de difficultés. À l’inverse, le budget d’austérité risque de pénaliser davantage ces territoires.

Par ailleurs, la ville de Limoges et sa métropole ont expérimenté la gratuité des transports pendant plusieurs week-ends. La population a plébiscité cette démarche. Des problèmes de financement et de capacité se posent toutefois. Un plan de l’État ne pourrait-il pas financer davantage les transports, afin que les communautés urbaines puissent mettre en place, sinon la gratuité, du moins une offre sociale plus accessible, ce qui supposerait bien sûr des transports supplémentaires ?

M. le président Éric Coquerel. Nous pourrions également demander où en est le service librement organisé de voyageurs par autocar.

M. Philippe Tabarot, ministre. Vous pourrez poser cette question au Président de la République, que vous avez parfois l’occasion de voir.

Monsieur le député, je me rendrai prochainement sur votre territoire, afin notamment de suivre les travaux de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) et pour m’assurer que SNCF Réseau respecte ses engagements en matière d’infrastructures et de travaux, afin que l’offre de transport et la qualité du matériel aient le niveau souhaitable durant les mois et les années à venir.

Un travail sur un projet de SERM me paraît également indispensable à Limoges. Quant à la gratuité des transports, je n’y suis pas favorable, sachant que les collectivités et l’État prennent déjà en charge 70 % des coûts en moyenne. Chaque ville présente cependant des particularités. À Dunkerque ou Montpellier, l’instauration de la gratuité a par exemple permis une augmentation du trafic. Cependant, l’offre ne suffit pas toujours. Il importe en outre que la gratuité génère du report modal ; tel n’est pas toujours le cas. De plus, la gratuité revient à faire payer les contribuables. Elle semble en outre malhonnête par rapport aux entreprises de plus de onze salariés, qui financent les transports publics à travers le versement destiné au financement des services de mobilité. La dernière loi de finances permet en outre, grâce à un amendement introduit au cours de la discussion parlementaire, d’introduire un tel versement à l’échelle régionale. En contrepartie, les entreprises attendent un service adapté pour leurs salariés. Dans l’ensemble, la gratuité engendre des effets pervers, quoiqu’ils ne soient pas quantifiés.

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mardi 13 mai 2025 à 18 heures 

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, M. Thierry Liger, M. Philippe Lottiaux, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet, Mme Sophie Mette, M. Nicolas Ray

Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou

Assistaient également à la réunion. - M. Nicolas Bonnet, M. Bérenger Cernon, M. Pierre Cordier, M. Peio Dufau