Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Commission d’évaluation des politiques publiques relatives à l’exécution budgétaire des missions Enseignement scolaire ; Recherche et enseignement supérieur : audition de Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et de M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la Recherche 2
– Présence en réunion...........................28
Mardi
20 mai 2025
Séance de 21 heures
Compte rendu n° 112
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Emmanuel Mandon,
Secrétaire
puis de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède à l’audition de Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et de M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la Recherche
M. Emmanuel Mandon, président. Madame la ministre d’État, nous vous écoutons présenter l’exécution budgétaire des missions Enseignement scolaire et Recherche et enseignement supérieur.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Depuis mon arrivée à la tête du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, j’ai insisté à plusieurs reprises sur l’importance à accorder à l’évaluation des politiques que nous menons. C’est un exercice précieux de transparence qui doit nous permettre de justifier devant nos concitoyens du bon usage des budgets, à plus forte raison lorsqu’il s’agit du premier d’entre eux. Je brosserai le tableau de l’exécution budgétaire 2024 de l’éducation nationale et laisserai le soin au ministre Philippe Baptiste de faire de même pour ce qui concerne l’enseignement supérieur et la recherche.
En 2024, le budget de l’éducation nationale a représenté 62,7 milliards d’euros, hors contribution au régime de retraite des fonctionnaires, soit 230 millions en-dessous des crédits ouverts en loi de finances. Ce niveau d’exécution témoigne de la qualité de la gestion budgétaire ministérielle, mais ne doit pas dissimuler les tensions auxquelles nous faisons face.
Marquant un nouvel effort historique en faveur de l’éducation, le budget de l’école en 2024 s’est caractérisé par une hausse de 4 milliards par rapport à 2023. Celle-ci a principalement permis de recruter 2 000 enseignants de plus que ne le prévoyait la loi de finances, de financer en année pleine les revalorisations majeures intervenues en 2023, pour 2,3 milliards, en particulier au bénéfice des enseignants et des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), de proposer des missions complémentaires aux enseignants par l’intermédiaire du Pacte enseignant afin d’accompagner davantage les élèves, ainsi que de verser une gratification aux élèves de la voie professionnelle durant leur période de formation en milieu professionnel.
Le recrutement des personnels du ministère fait l’objet d’une attention prioritaire du gouvernement. J’en veux pour preuve les autorisations de recrutement complémentaires de près de 4 900 emplois, hors AESH, que le ministère a réalisées en 2023 et 2024. Tout comme le rétablissement de 4 000 emplois d’enseignants pour 2025, elles attestent que l’exceptionnelle diminution du nombre d’élèves est mise à profit par le gouvernement pour mener une politique ambitieuse d’amélioration des conditions d’enseignement : de la rentrée 2022 à la rentrée 2025, l’école aura perdu 280 000 élèves et globalement maintenu le nombre de ses enseignants.
J’insiste, dans l’urgence budgétaire actuelle, sur la nécessité de préserver le maillage territorial, d’améliorer les taux d’encadrement sur tout le territoire et de permettre l’instauration de dispositifs assurant la réussite de tous les élèves, notamment des élèves à besoins particuliers. Cet investissement témoigne de l’absolue priorité que le gouvernement a donnée au premier des services publics.
L’année précédente a néanmoins été marquée par d’importantes annulations de crédits, contribution nécessaire de chaque ministère à l’effort collectif de maîtrise des finances publiques. Ainsi, 470 millions d’euros de crédits de masse salariale et 300 millions d’autres crédits ont été annulés. Ces économies n’ont pas affecté la bonne application des politiques publiques. Comme l’avaient garanti mes prédécesseurs, les moyens dévolus aux établissements ont été maintenus, en particulier les emplois destinés aux mesures de rentrée scolaire.
L’école tient son rôle essentiel et a continué en 2024 de promouvoir l’égalité des chances et de lutter contre la baisse du niveau des élèves. Il n’y a pas de fatalité, mais les chiffres doivent nous alerter. Les évaluations nationales ou internationales attestent d’une baisse globale du niveau des élèves dans les savoirs fondamentaux. Ils font face à d’importantes difficultés contre lesquelles il nous faut agir sans relâche. À la rentrée dernière, nous avons achevé le déploiement de l’ambitieuse politique de dédoublement des classes en éducation prioritaire : 832 emplois supplémentaires ont complété les plus de 15 000 postes que le ministère mobilisait déjà depuis 2017.
Globalement, je souhaite que nous continuions la dynamique d’amélioration de l’encadrement des élèves en nous rapprochant des standards de l’OCDE. Aujourd’hui, dans le premier degré, le nombre d’élèves par classe est en moyenne de 21, contre 24 en 2017. La mise en place des groupes de besoins en sixième et en cinquième à l’automne dernier a nécessité 2 300 emplois de professeurs de français et de mathématiques. L’évaluation du dispositif dans ses formes actuelles, que nous savons hétérogènes, est en cours. Je veux cependant être claire : nous continuerons de mobiliser des moyens sur des dispositifs destinés à la remédiation rapide des difficultés des élèves tout au long du collège. Les dispositifs Devoirs faits, École ouverte et les stages de réussite sont à ce titre d’excellents exemples que nous renforcerons.
Par l’intermédiaire du Pacte enseignant, qui a représenté sur l’année 2023-2024 un peu plus de 700 millions d’euros, près de 43 % des élèves de collège ont bénéficié d’un accompagnement aux devoirs. C’est près de 50 % en zone rurale, grâce à des organisations tout à fait ingénieuses pour pallier la contrainte liée aux transports scolaires. En complément du renforcement de 540 emplois prévus à la rentrée 2025 au collège pour la réussite en quatrième et en troisième, mon objectif est qu’au moins 50 % des élèves de ces classes disposent d’un accompagnement aux devoirs à l’avenir.
Donner à chacun sa chance, c’est répondre à la promesse d’une meilleure inclusion scolaire. Là encore, en 2024, mon ministère a prolongé ses efforts et déployé un budget de 4,5 milliards, soit une augmentation de près de 300 millions par rapport à 2023. Cette hausse est le résultat d’une revalorisation moyenne de 13 % de la rémunération des AESH, du recrutement de près de 1 300 personnes supplémentaires et de l’extension, grâce à 240 emplois de plus, du maillage territorial des dispositifs Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire), qui accueillent aujourd’hui plus de 120 000 élèves.
Il faut le dire, l’augmentation de 60 % des élèves en situation de handicap depuis 2017 est un véritable défi. Pour y répondre, nous avons recruté 50 000 AESH supplémentaires, mais ce modèle touche à ses limites. Il faut une meilleure coordination entre l’éducation nationale et le secteur médico-social et une réponse plus rapide et adaptée aux besoins des élèves, des familles et des enseignants afin d’atteindre, entre autres, un taux satisfaisant de mise à disposition de matériel pédagogique adapté. En 2024, malgré une augmentation de 11 % des prescriptions de matériel, nous sommes parvenus à améliorer notre taux de réponse, qui a atteint 63 %. Cela n’est pas encore satisfaisant et nous devons encore progresser. C’est l’ambition des pôles d’appui à la scolarité, préfigurés depuis septembre 2024, dont la proposition de loi de la députée Julie Delpech permettra la généralisation d’ici à 2027.
Plus largement, c’est le système de santé scolaire qui ne répond plus aux besoins des élèves. En 2024, moins de 20 % des élèves de CP ont bénéficié d’une visite médicale. Nous perdons chaque année des dizaines de médecins scolaires, dont près de 50 % des postes sont vacants. Il est impératif que nous entreprenions des transformations d’ampleur pour renforcer la santé scolaire, en particulier pour répondre à la dégradation de la santé mentale des jeunes. La revalorisation, de l’ordre de 20 %, de la rémunération du personnel infirmier et des assistants sociaux depuis 2020 est une première réponse.
Enfin, je souhaite évoquer la question de l’attractivité du métier d’enseignant. En 2024, à l’issue de l’ensemble des concours enseignants, 3 000 postes sont restés vacants. Pour répondre aux besoins, les rectorats ont anticipé les recrutements de contractuels et mobilisé leurs effectifs de remplaçants. Si, à la rentrée scolaire 2024, plus de 99 % des besoins d’enseignants étaient couverts, les viviers s’épuisent, en particulier dans les matières fondamentales, et les absences ne sont parfois que tardivement comblées.
S’agissant du remplacement de courte durée, le Pacte enseignant a permis des avancées significatives. Nous avons mobilisé 2 millions d’heures de remplacement et triplé son efficacité. Mais ces moyens n’apportent pas de solution aux 8 % d’établissements qui déclarent manquer d’un enseignant en mathématiques ou en français. Nous touchons là à la question centrale de l’attractivité du métier de professeur.
En 2024, 1,2 milliard d’euros a été consacré à la revalorisation des enseignants sous l’effet des mesures dites « socle » de la rentrée 2023. Les engagements du Président de la République ont été tenus : entre 2022 et 2024, la rémunération des enseignants a été revalorisée de 11 %. Mais il nous reste à faire, en particulier pour tenir compte du tassement de leur milieu de carrière. Tout le monde ici est conscient de l’importance que revêt notre capacité à attirer des talents et à les fidéliser. C’est pourquoi je suis fière de l’annonce de la réforme du recrutement et de la formation initiale des enseignants, que nous aurons à cœur de finaliser, avec Philippe Baptiste, avant la rentrée 2026.
M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il y a quelques mois, j’ai présenté ma feuille de route devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Toutefois, en bon scientifique, il me semble de bonne politique d’évaluer pour mieux comprendre le passé et mieux préparer l’avenir. Le passé, en l’occurrence, c’est l’exécution budgétaire 2024.
En loi de finances initiale 2024, la quasi-totalité des programmes de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur, la Mires, étaient en hausse par rapport à la loi de finances initiale 2023. Une partie des programmes financés dans le cadre de cette mission budgétaire ne dépendent pas du ministère dont j’ai la charge. Cela peut être une source de confusion ou de présentations trompeuses, voire, occasionnellement, de mauvaise foi.
La hausse de la Mires en 2024 représentait 1 milliard d’euros, dont 86 % portaient sur des programmes dans le périmètre du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Près de la moitié de cette hausse, soit 468 millions, résultait de la déclinaison de la loi de programmation de la recherche (LPR). Une part de 196,4 millions portait sur le programme 231, Vie étudiante : elle était destinée à couvrir l’effet en année pleine de la revalorisation des bourses sur critères sociaux, applicable depuis la rentrée 2023. Cette hausse des crédits devait aussi compenser le coût pour les Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) des repas à 1 euro ainsi qu’un certain nombre d’autres mesures sociales pour des boursiers en situation de précarité. Enfin, le solde de la hausse, soit à peu près 195 millions, correspondait à la compensation partielle en année pleine de la hausse du point d’indice et des revalorisations associées.
En tenant compte de cette hausse, les crédits prévus en loi de finances initiale 2024 pour les programmes du ministère s’élevaient à 26,7 milliards en crédits de paiement. Les crédits exécutés sur le périmètre ministériel s’élèvent à 26,1 milliards, soit un taux d’exécution de 99,9 % par rapport aux crédits disponibles. Ces niveaux d’exécution témoignent de la rigueur dans la gestion du ministère et d’une prévision qui s’affine d’année en année, malgré des aléas de gestion particulièrement forts en 2024.
Dans un contexte de tension budgétaire, plusieurs annulations ont été prononcées dès février 2024, à hauteur de 588 millions. Elles ont été combinées au maintien d’une mise en réserve résiduelle et à un second surgel, de 140,4 millions, intervenu en juillet. Ces mesures ont été absorbées en grande partie par les réserves de précaution, par un étalement des versements prévus à l’Agence nationale de la recherche – sans impact sur le taux de sélection, lequel s’est maintenu à un niveau historiquement élevé de 24,4 % en 2024 – et par un rééchelonnement des crédits, en particulier ceux destinés au projet de réacteur thermonucléaire expérimental international Iter.
Malgré ces annulations de crédits, la gestion 2024 a permis de poursuivre la déclinaison de la loi de programmation de la recherche, que vous avez votée, qui sera la boussole du ministère jusqu’en 2030. La LPR est la garantie d’une projection dans l’avenir du ministère et de l’ensemble de la communauté de la recherche. Elle permettra de mener à bien un certain nombre de projets. Entre 2021 et 2024, elle a permis d’injecter 4 milliards dans l’enseignement supérieur et la recherche en France ; au total, 6 milliards lui seront consacrés sur la période 2021-2025. En 2024, malgré les difficultés, la quatrième marche a été exécutée à hauteur de 175 millions supplémentaires sur les programmes budgétaires 150 et 172.
Les mesures en faveur des étudiants ont été assurées, avec 2,4 milliards pour les bourses sur critères sociaux. Depuis la rentrée scolaire 2023-2024, de nouvelles mesures ont permis d’octroyer 30 euros supplémentaires par mois aux étudiants boursiers réalisant leurs études dans les territoires ultramarins et 4 points de charge supplémentaires aux étudiants en situation de handicap – ce qui a rendu 1 000 étudiants supplémentaires éligibles à une bourse.
Le ministère a consolidé son approche de pilotage par la performance des opérateurs qui lui sont rattachés. Une deuxième vague de contrats d’objectifs, de moyens et de performance a été signée avec les établissements d’enseignement supérieur. Ils serviront de modèle pour les contrats d’objectifs et de performance qui seront signés pour l’ensemble des ressources des établissements dès cette année.
Cette transformation du pilotage est une mesure nécessaire que nous poursuivrons. Dans les projets du ministère figure la mise en œuvre de la clause de revoyure de la loi de programmation de la recherche. Elle se concentre sur trois chantiers prioritaires déterminés avec l’ensemble des parties prenantes : l’attractivité des métiers de la recherche, le financement de la recherche, et le développement de la recherche partenariale public-privé. Dans chacun de ces chantiers, la simplification et l’amélioration du pilotage occupent une place centrale, de même que la prise en compte de la dimension stratégique de la recherche. C’est particulièrement important dans un contexte international marqué par l’affaiblissement des structures de la recherche mondiale et la bascule des équilibres dans le secteur.
Je veux également avancer dans le déploiement de nouveaux contrats d’objectifs et de performance avec les établissements, lesquels porteront sur 100 % des activités de l’établissement, y compris ses ressources propres. Ces nouveaux contrats permettront un véritable dialogue de gestion entre l’État et les établissements ; ils mettront aussi autour de la table les collectivités territoriales et l’ensemble des acteurs locaux pour discuter des priorités stratégiques.
Dans la perspective des discussions budgétaires pour 2026, la réforme des bourses sur critères sociaux est au cœur de mes priorités. C’est une demande forte, dans un contexte de précarité marqué pour certains étudiants. Le système est encore trop complexe à comprendre et à piloter. Il y a trop d’effets de seuil et un certain nombre de situations ne sont pas prises en compte correctement. Il faut avancer vers un fonctionnement plus clair.
Lors de l’événement Choose Europe for Science le 5 mai dernier, le président de la République a réaffirmé l’ambition de la France pour la recherche, et celle de la loi de programmation de la recherche. La ministre d’État et moi-même avons également entendu sa résolution de créer les conditions pour consolider la trajectoire de la LPR et de suivre les marches telles qu’elles sont programmées pour l’année prochaine et l’année suivante. C’est l’horizon que je veux garder pour le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
M. Anthony Boulogne, rapporteur spécial (Enseignement scolaire). La mission Enseignement scolaire se décline en six programmes, dont cinq relèvent du ministère de l’éducation nationale et le sixième du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
En loi de finances initiale pour 2024, la mission était dotée de 87 milliards en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP). Cela en fait le premier poste budgétaire de l’État, avec environ 15 % du total des crédits du budget général. Le taux de consommation des crédits pour l’année 2024 dépasse les 99 %.
La mission a pour spécificité qu’une très grande majorité des crédits est affectée à des dépenses de personnel : le titre 2 représente, en 2024, 93 % des crédits de l’enseignement scolaire, avec des dépenses de plus de 80 milliards. L’importance des moyens alloués à l’enseignement scolaire dans notre pays est réelle, mais trois points méritent d’être soulignés.
En premier lieu, le plafond d’emplois de la mission en 2024 soulève quelques questions, avec 5 690 emplois sous-exécutés. Pour le programme 140, Enseignement scolaire public du premier degré, il y a eu 10 960 départs définitifs, dont 943 démissions et 477 ruptures conventionnelles. Pour le programme 141, Enseignement scolaire public du second degré, on constate 8 741 départs définitifs, dont 509 démissions et 280 ruptures conventionnelles.
Dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire pour l’enseignement scolaire, la Cour des comptes mettait aussi en lumière la dégradation continue du « rendement » des concours enseignants, c’est-à-dire du nombre de postes pourvus par rapport à ceux qui sont ouverts. 3 076 postes sont restés vacants à l’issue des concours enseignants du secteur public en 2024, dont 1 350 dans le premier degré et 1 726 dans le second degré. Il y a un vrai problème d’attractivité du métier d’enseignant dans notre pays.
La question de la rémunération est centrale : selon un rapport de l’OCDE paru en septembre 2024, les salaires réels des enseignants en France ont stagné ces huit dernières années, tandis qu’on observe une augmentation de 4 % dans les autres pays de l’OCDE. En début de carrière, le salaire d’un enseignant du secondaire en France est deux fois moins élevé qu’en Allemagne. Il existe un lien de causalité fort entre le niveau de rémunération et l’attractivité d’un emploi, même si cela n’explique pas tout : la restauration de l’ordre et de l’autorité de l’enseignant face à ses élèves participe au rétablissement d’un climat scolaire propice à l’enseignement – c’est aussi une clé pour rendre le métier plus attractif.
Madame la ministre d’État, comment comptez-vous faire du métier d’enseignant une profession à nouveau attractive dans notre pays ?
Par ailleurs, le décret du 21 février 2024 a emporté l’annulation de 691,6 millions sur le périmètre de la mission Enseignement scolaire, dont 470 millions pour les seules dépenses de personnel. Le ministère a fait le choix de ne pas répercuter l’effort financier exigé sur les emplois et de concentrer les économies sur les moyens pédagogiques. Toutefois, une économie de 111 millions a été réalisée sur le Pacte enseignant, dispositif qui permet d’accroître la rémunération des professeurs en échange de la réalisation de missions supplémentaires en faveur des élèves. Alors que le renforcement de l’attractivité du métier d’enseignant doit constituer une priorité publique, ne trouvez-vous pas illogique de geler les crédits destinés à mieux les rémunérer ?
Sur ce point, je m’autorise à dériver vers l’année 2025, en raison de l’actualité. Le 25 avril dernier, un décret a procédé à l’annulation de 3,1 milliards de crédits budgétaires, dont 95 millions pour la mission Enseignement scolaire. Pouvez-vous nous fournir le détail des économies que le ministère va réaliser au sein de chaque programme concerné ?
Enfin, je souhaite aborder les moyens alloués à l’éducation prioritaire. Un rapport récent de la Cour des comptes met en lumière leur importance. Cette politique publique était estimée à 2,6 milliards en 2023, dont 800 millions pour le dédoublement des classes en REP (réseau d’éducation prioritaire) et REP+. En une décennie, le coût de la politique de l’éducation prioritaire a été multiplié par 2,5. Disposez-vous du montant qui lui était alloué en 2024 ?
Selon la Cour des comptes, la politique d’éducation prioritaire favorise en premier lieu les territoires urbains. Ainsi, 99 % des collèges classés REP+ se trouvent à proximité d’un quartier prioritaire de la politique de la ville, tandis qu’on ne compte plus que 9 REP ruraux et aucun REP+ rural. Sans vouloir aucunement opposer la ville à la ruralité, il y a un vrai sujet sur l’élaboration de la carte de l’éducation prioritaire – qui n’a pas été révisée depuis 2015 – et les moyens d’y inclure les territoires ruraux pour leur assurer davantage de moyens, tant matériels qu’humains. Dans la ruralité, c’est souvent la double peine : les fermetures de classes se multiplient alors que les communes rurales se retrouvent délaissées par les politiques publiques de l’éducation. Ce sera d’ailleurs le thème de mon rapport d’évaluation. J’aimerais connaître votre opinion sur ce sujet, madame la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. Je partage votre constat concernant le problème d’attractivité du métier d’enseignant, même si les rémunérations ont été revalorisées en début de carrière – où elles sont désormais au-dessus de la moyenne de l’OCDE – et en fin de carrière. Reste un plateau qui peut être déprimant pour les enseignants en milieu de carrière. Sur ce point, la discussion est engagée avec les organisations syndicales.
Plus structurellement, on constate des conditions d’exercice qui peuvent être difficiles, d’une part car les enseignants accueillent des élèves d’un niveau de plus en plus hétérogène, d’autre part car ils sont très mobilisés par l’école inclusive. Les pôles d’appui à la scolarité que je souhaite instituer permettront des évolutions dans ce domaine. Il y a par ailleurs des problèmes de violence, de sorte que, peu après mon arrivée, j’ai souhaité renforcer la sécurité dans les établissements. Nous avons notamment adressé une instruction conjointe, avec le ministre de l’intérieur, pour organiser des fouilles de sac aléatoires à l’entrée des établissements. Tous ces éléments, ainsi que les problèmes de santé mentale auxquels est confrontée notre jeunesse, rendent l’exercice du métier d’enseignant difficile.
Il est donc essentiel de bien former les enseignants pour les préparer à leur futur métier. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Lorsque nous sommes passés au niveau master 2, nous avons perdu 45 % de candidats dans le premier degré et 20 % dans le second degré.
La réforme de la formation initiale des professeurs des écoles que j’ai annoncée prévoit un recrutement à l’issue d’une licence pluridisciplinaire dans laquelle les étudiants pourront découvrir le métier de professeur et recevoir un enseignement sur la didactique et la pédagogie. Tout comme les enseignants du second degré, ils suivront ensuite pendant deux ans une formation rémunérée – 1 400 euros en master 1 et 1 800 euros en master 2 – en tant qu’élève fonctionnaire, puis en tant que fonctionnaire-stagiaire, car ils seront en responsabilité à 50 % lors du master 2. Cette réforme redessine un parcours lisible pour ceux qui, après le baccalauréat, souhaitent s’engager dans le beau métier d’enseignant. Elle donnera des enseignants mieux formés et mieux préparés, ce qui contribuera à mieux répondre aux besoins des élèves et donc à élever leur niveau.
Les annulations de crédits que vous avez mentionnées portent sur des crédits qui avaient été mis en réserve : ils ont été annulés sans préjudice pour les établissements scolaires ni pour le fonctionnement du ministère.
Vous m’interrogez sur l’éducation prioritaire et la ruralité. La ruralité représente 45 % de la baisse démographique du premier degré depuis dix ans, alors qu’elle compte à peine un quart des élèves. Ce sont donc des territoires où la baisse du nombre d’élèves est particulièrement marquée. Pour autant, il ne faut pas raisonner uniquement en taux d’encadrement. Étant moi-même élue d’une circonscription rurale, je mesure l’importance du maillage territorial. Je sais à quel point il peut être pénalisant, pour un collégien ou un lycéen, de faire trois quarts d’heure de transport scolaire chaque matin et chaque soir, avec des horaires qui ne correspondent pas exactement aux heures d’ouverture des établissements. Il faut absolument éviter aux élèves du premier degré des temps de déplacement aussi importants. C’est l’objet de la réflexion que nous menons en lien avec les collectivités territoriales.
Quand j’ai annoncé, en tant que première ministre, le plan France ruralités, j’ai souhaité que la discussion de la carte scolaire se fasse avec une visibilité à trois ans, indispensable pour organiser correctement les regroupements pédagogiques et les territoires éducatifs ruraux. C’est ce que nous sommes en train de faire, avec les observatoires de la ruralité, dans le cadre des échanges avec l’association des maires de France et des présidents d’intercommunalité. Soyez assuré que le sujet retient toute mon attention.
Présidence de M. Éric Coquerel.
M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur spécial (Recherche et enseignement supérieur : Enseignement supérieur et vie étudiante). Le budget alloué à l’enseignement supérieur et à la vie étudiante s’élevait, en loi de finances initiale pour 2024, à 18,63 milliards en autorisations d’engagement et à 18,51 milliards en crédits de paiement. L’exécution budgétaire a finalement atteint 18,72 milliards en AE et 18,36 milliards en CP, soit un taux d’exécution remarquable, à près de 100 %.
Le programme 150, Formations supérieures et recherche universitaire, finance la formation initiale et continue en licence, master et doctorat, les établissements d’enseignement supérieur privé, la recherche universitaire, ainsi que les fonctions supports en faveur de l’enseignement supérieur au sein du ministère. Les crédits de paiement exécutés en 2024 progressent de 90 millions par rapport à l’exécution 2023. C’est principalement dû à la mise en œuvre de la loi de programmation de la recherche 2021-2030, dont la trajectoire est respectée. Nous nous félicitons de la montée en puissance du volet ressources humaines de la LPR : 340 nouveaux contrats doctoraux ont été signés en 2024, ce qui porte à 1 118 le nombre de contrats supplémentaires signés depuis 2020.
Le programme 150 a subi une coupe budgétaire de 130 millions au cours de l’année au titre de l’effort commun de maîtrise budgétaire. Si les annulations décidées en gestion n’ont pas perturbé l’exécution budgétaire du programme, celui-ci a subi des tensions inflationnistes liées à la masse salariale des opérateurs.
Les mesures de revalorisation du point d’indice ont entraîné une augmentation du niveau des dépenses de titre 2 et de titre 3 estimée à 592,8 millions en exécution sur les programmes concernés. Or l’augmentation de 1,5 % du point d’indice, effective dès le 1er juillet 2023, n’a fait l’objet que d’une compensation partielle aux opérateurs.
Enfin, l’année dernière, dans le cadre du Printemps de l’évaluation, j’avais proposé une estimation basse du coût de l’échec en licence, autour de 350 millions d’euros. La Cour des comptes a récemment publié une estimation plus haute, à 534 millions par an. Quelles solutions comptez-vous apporter pour améliorer le taux de réussite en licence ?
M. Thomas Cazenave, rapporteur spécial (Recherche et enseignement supérieur : Enseignement supérieur et vie étudiante). Le programme 231, Vie étudiante, finance à titre principal les bourses sur critères sociaux et la subvention allouée au réseau des Crous. Les crédits de paiement sont exécutés à hauteur de 3,25 milliards en 2024, en progression de 172 millions, soit + 5,6 % par rapport à 2023.
La principale difficulté d’exécution du programme réside dans la dégradation de la situation budgétaire du réseau des œuvres. La prolongation des mesures de lutte contre la précarité étudiante fige les ressources propres des Crous issues des activités d’hébergement et de restauration, reportant les coûts sur la trésorerie du réseau et sur la subvention pour charges de service public attribuée par l’État. L’impact financier de la pérennisation du repas à 1 euro pour les étudiants boursiers n’a été que partiellement compensé. Le gel du tarif social de restauration – maintenu à 3,30 euros depuis 2019 – a limité la capacité du réseau à ajuster ses recettes au dynamisme de ses dépenses d’exploitation. Les loyers des Crous ont pu augmenter de 3,5 % à la rentrée 2024, ce qui a redonné des marges de manœuvre sans pour autant rattraper l’effet cumulé de la non-application de l’indice de référence des loyers pendant cinq années consécutives. Par conséquent, les taux de couverture des dépenses d’hébergement et de restauration sont en contraction.
Dans le cadre du Printemps de l’évaluation, nous avons examiné particulièrement la réforme des bourses.
La première phase paramétrique de la réforme, intervenue à la rentrée 2023, constituait la plus forte revalorisation de cette aide depuis dix ans : toutes les bourses ont augmenté de 37 à 127 euros par mois en métropole, soit entre 6 et 34 % selon les échelons. Des mesures complémentaires ont été prises pour les étudiants en situation de handicap et les étudiants ultramarins. Le coût de cette réforme s’est élevé à 400 millions. Elle a eu des effets bénéfiques sur la précarité étudiante : 140 000 étudiants boursiers ont pu accéder à un échelon supérieur et près de 30 000 nouveaux étudiants sont entrés dans le système des bourses, sous l’effet de la revalorisation des plafonds de ressources.
Néanmoins, ces effets ont été absorbés par les tensions inflationnistes en lien avec la non-revalorisation automatique de cette aide sociale : le nombre de boursiers est d’ores et déjà revenu à son niveau antérieur à la réforme de 2023. Il apparaît donc nécessaire d’enclencher la phase structurelle de cette réforme, qui vise à supprimer le système d’échelons au profit d’une « linéarisation » des bourses pour lutter contre les effets de seuil.
Quand allez-vous mettre en œuvre l’acte II de la réforme des bourses sur critères sociaux, et avec quel financement ? Allez-vous engager une réflexion sur le déverrouillage des ressources propres des Crous ? Pourriez-vous faire le point sur la santé financière des établissements d’enseignement supérieur les plus fragiles, notamment quant à leurs fonds de roulement, à l’issue de l’exécution 2024 ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Commençons par la question de la réussite en licence. Tout d’abord, il faut savoir ce qu’on entend par là : s’il s’agit d’obtenir sa licence en trois ans après le bac, les chiffres sont effectivement assez médiocres. Mais après un parcours de quatre ans, incluant éventuellement une phase de réorientation, ils n’ont plus rien à voir. Nous devons accepter le fait que le parcours des étudiants est moins linéaire que par le passé : beaucoup changent d’orientation, et cette possibilité participe à la flexibilité du système. Cette année, 200 000 étudiants inscrits sur Parcoursup, la plateforme d’accès à l’enseignement supérieur, sont en réorientation – un phénomène qui croît d’année en année. Je ne crois pas que l’on puisse considérer cela comme un échec du système : les étudiants aujourd’hui ont besoin de temps pour trouver l’orientation qui leur convient. C’est un moment de respiration qu’il faut préserver, même s’il a un coût.
Ensuite, certains étudiants qui arrivent dans les formations du supérieur ne sont pas suffisamment armés pour réussir. Mécaniquement aujourd’hui, les bacheliers professionnels qui ont les dossiers les moins brillants, faute d’être pris dans les BTS (brevet de technicien supérieur) qui devraient naturellement les accueillir, s’inscrivent en licence. Ils y ont un taux de succès extraordinairement faible, pour ne pas dire catastrophique : de l’ordre de 5 %. Ils ne sont pas au niveau – selon des évaluations connues, 20 % d’entre eux ont des difficultés de compréhension ou de rédaction de textes simples – pour suivre un parcours exigeant de premier cycle universitaire. Cela ne signifie pas que l’université est exempte de toute critique, mais que ce serait de toute façon compliqué pour eux. Il faut donc créer des dispositifs tampon, comme une année propédeutique, rattachée au lycée ou à l’enseignement supérieur, pour remettre à niveau ces étudiants et leur permettre de poursuivre un parcours efficace vers la vie professionnelle.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. L’un des intérêts de ce grand ministère, c’est d’éviter que l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur se renvoient la balle. Avec Philippe Baptiste, nous travaillons pour surmonter ces difficultés et permettre à chaque jeune de réussir son parcours et son entrée dans la vie professionnelle dans les meilleures conditions.
Aujourd’hui, les jeunes bacheliers, professionnels en particulier, peuvent être orientés vers des filières inadaptées. Mais le taux de réussite des étudiants qui se réinscrivent en licence après avoir quitté l’université au bout de quelques semaines est nettement supérieur, pas tant parce qu’ils ont acquis beaucoup de connaissances supplémentaires, mais parce qu’ils ont gagné en maturité. Peut-être faudrait-il faciliter une année de césure, comme cela existe dans nombre d’autres pays.
C’est un sujet de réflexion fondamental, et nous devrions présenter prochainement des décisions sur l’orientation.
M. Philippe Baptiste, ministre. S’agissant du déverrouillage des recettes du Crous, je vous rappelle que l’Assemblée a adopté il y a quelque temps le principe du repas à 1 euro pour tous, ce qui ne va pas vraiment dans le même sens. C’est une question à travailler.
Quant à la revalorisation des bourses, un effort considérable a été fait mais, faute d’indexation, il faudrait recommencer chaque année. Le système présente aussi des effets de seuil et les étudiants les plus précaires, ceux que l’on retrouve dans les épiceries solidaires, sont parfois ceux qui ne peuvent prétendre à une bourse car ils excèdent de peu les plafonds. Les critères d’attribution des bourses sont trop complexes et ne prennent pas suffisamment en compte les situations personnelles particulières ou l’éloignement du foyer familial. De toute évidence, il faut réformer le système. Mais cela a un coût significatif, qui se chiffre en centaines de millions d’euros. Nous devons commencer par identifier des sources de financement, probablement lors du débat budgétaire de l’année prochaine.
Enfin, le niveau des fonds de roulement des établissements est très élevé, à un peu plus de 5 milliards d’euros pour l’ensemble des universités. La majorité de ces ressources sont fléchées vers des programmes ou des projets définis, notamment des programmes européens pluriannuels, dont les subventions sont intégrées au fonds de roulement au fur et à mesure de leur décaissement.
Ce niveau de fonds de roulement est aussi le reflet des politiques que nous avons menées, en particulier de la multiplication des contrats dans le cadre du plan France 2030 et du programme d’investissements d’avenir. Si cette démarche pluriannuelle a permis de doter les universités de nouvelles ressources, peut-être avons-nous surestimé leur capacité d’ingénierie, c’est-à-dire leur capacité à les mobiliser pour déployer les programmes. Nous devrons en tenir compte dans les prochains programmes en proposant des moyens plus facilement et immédiatement mobilisables.
M. Pierre Henriet, rapporteur spécial (Recherche et enseignement supérieur : Recherche). J’associe mon collègue Mickaël Bouloux, corapporteur de la Mires, à mon intervention.
En ce qui concerne la recherche publique, l’exercice 2024 a été contraint par un effort important de réduction du déficit public. L’augmentation de 1 milliard en crédits de paiement de la dotation prévue initialement par la loi de finances devait permettre de financer la quatrième annuité de la loi de programmation de la recherche (499 millions) et de compenser une partie de la hausse du point d’indice et des revalorisations salariales pour les organismes de recherche (195 millions). Il faut y ajouter 138 millions dans le cadre du programme 190 afin de renforcer la recherche nucléaire dans le cadre de la relance de la filière.
Cependant, l’exécution 2024 de la Mires a été marquée par d’importantes annulations de crédits, qui se sont élevées à 904 millions en AE et en CP, soit 3 % des crédits de la mission. En conséquence, la trajectoire prévue par la LPR n’a été respectée pour aucun des programmes 150, 172 et 193, non plus que pour la hausse des autorisations d’engagement de l’Agence nationale de la recherche (ANR), ce que nous regrettons.
Plus de la moitié des annulations de crédits – 501 millions – ont porté sur le programme 172. Après un premier surgel de 85 millions de la dotation de l’ANR et le blocage de 72,5 millions de la contribution de la France au programme Iter, en février, un second surgel, en juillet, a encore réduit la subvention pour charges de service public de 50 millions pour le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), de 16 millions pour l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et de 8 millions pour l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Même si ces organismes disposent d’une trésorerie leur permettant d’amortir ces baisses de subvention, ces dernières sont regrettables et doivent rester exceptionnelles. Nous appelons donc le gouvernement à respecter la dotation prévue en loi de finances, afin que les établissements puissent se projeter avec confiance dans les contrats d’objectifs et de moyens signés avec le ministère.
Ces annulations nous préoccupent particulièrement concernant l’ANR. Alors que la loi de finances pour 2024 prévoyait une nette augmentation de sa dotation à travers l’action 02 du programme 172, les annulations successives ont limité cette hausse à seulement 72 millions en AE et 55 millions en CP. Ces annulations, ajoutées à la diminution des AE du programme 172 dans le budget 2025, remettent en cause la capacité de l’ANR à suivre la trajectoire prévue par la LPR.
Mais c’est le programme 193 qui, proportionnellement, a subi la plus forte annulation de crédits par rapport au budget initial – 292 millions en AE et CP sur 1,6 milliard de dotation initiale. Cette réduction a porté essentiellement sur la contribution de la France à l’Agence spatiale européenne (ESA, European spatial agency), qui s’est trouvée réduite à 823 millions, contre plus de 1 milliard initialement prévu.
Cette réduction a été opérée en accord avec les autres contributeurs : elle est la conséquence des retards pris par les programmes spatiaux européens, au premier rang desquels Ariane 6. Mais elle interroge sur la place de la France dans le domaine spatial. Alors que le futur programme spatial européen sera discuté lors de la vingt-cinquième conférence ministérielle de l’ESA, nous appelons à ce que la dotation budgétaire de la recherche spatiale reste à la hauteur des ambitions de la France. Comme la Cour des comptes, puis le sénateur Rapin dans un rapport de juin 2024, nous demandons que l’ensemble des financements consacrés à la politique spatiale soient mieux retracés dans la documentation budgétaire et qu’une trajectoire claire à moyen terme soit définie et respectée.
Enfin, nous relevons une bonne exécution générale des programmes 190, 191, 192 et 142.
Le programme 190 a connu une forte augmentation de ses autorisations d’engagement pour financer le réacteur de recherche Jules Horowitz et le plan de soutien à la recherche et développement aéronautique. Nous nous en réjouissons et appelons à poursuivre cette dynamique avec des efforts d’investissements soutenus dans les domaines de recherche qui contribuent à la décarbonation de l’économie.
Toutefois, nous notons que le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives présente un compte financier 2024 déficitaire et une diminution de 15 millions sur un an de sa trésorerie. Il nous avait alertés sur cette situation à l’automne, et nous espérons qu’elle ne se reproduira pas. Il y a notamment des enjeux de fiscalité locale.
Pour conclure, nous relevons le dynamisme des dépenses fiscales rattachées à la Mires, portées par une hausse de 607 millions du crédit d’impôt recherche (CIR). Ce dernier, qui totalise 7,8 milliards d’euros, constitue la première dépense fiscale de l’État. Pour mémoire, la Mires compte treize dépenses fiscales à titre principal, pour un montant total de 8,8 milliards. Comme le demande régulièrement la Cour des comptes, nous appelons à évaluer les dépenses fiscales et à en maîtriser les coûts. Pour l’année à venir, il est nécessaire de mieux évaluer en particulier le crédit d’impôt innovation et les deux réductions d’impôt sur le revenu, adoptés en loi de finances initiale 2024, destinés à soutenir l’investissement dans les jeunes entreprises innovantes. Enfin, nous pensons nécessaire de poursuivre la réflexion sur le CIR, qui représente à lui seul un montant presque identique à l’ensemble des crédits budgétaires du programme 172. C’était le sens d’un amendement adopté en première lecture à l’Assemblée à notre initiative lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, mais qui n’a malheureusement pas été retenu dans la version du texte adoptée par 49.3.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous rattraper le retard pris dans l’exécution de la LPR ? Où en sommes-nous du travail engagé sur la revoyure ?
L’augmentation du budget de l’ANR se poursuivra-t-elle ? Comment envisagez-vous le financement de l’Agence à l’expiration du plan France 2030 ?
Quels sont les engagements du ministère à l’égard de la recherche spatiale et du programme spatial européen ? Allons-nous rattraper les retards pris concernant l’Agence spatiale européenne ?
Le président de la République a annoncé le lancement du dispositif Choose France for Science, qui sera supporté à hauteur de 100 millions par le budget de la recherche – un montant discutable au regard de la révision à la baisse de la trajectoire de la LPR pour 2025 et de l’effet concret pour la communauté scientifique. Quels choix budgétaires entendez-vous faire suite à cette annonce ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Les choix budgétaires, pour 2024 comme pour 2025, visaient à préserver autant que possible les objets principaux de la LPR, même si les contraintes budgétaires en ont nécessairement réduit un peu les ambitions. En particulier, nous avons maintenu tout ce qui concerne l’attractivité de la recherche, à commencer par la revalorisation des salaires des chercheurs et enseignants-chercheurs, qui était fondamentale pour prévenir la paupérisation du système.
Parallèlement, nous avons compensé et amorti autant que possible les à-coups budgétaires en mobilisant en particulier les trésoreries des établissements – organismes internationaux comme l’ESA, organismes de recherche et, dans une moindre mesure, universités. Disposer de hauts niveaux de trésorerie n’est d’ailleurs pas synonyme de bonne gestion : il peut être sain de taper dans la trésorerie face au déficit d’un établissement.
Pour renforcer l’attractivité des métiers de la recherche, nous poursuivrons les revalorisations, et travaillerons aussi sur le financement de la recherche à travers des dispositifs spécifiques à une thématique, comme les agences de programmes. La recherche partenariale est également un enjeu fondamental. Il y a trois semaines, le président de la République a réaffirmé sa volonté de maintenir l’effort budgétaire autour de la loi de programmation pour la recherche et nous sommes pleinement mobilisés pour sanctuariser les crédits. À cet égard, la discussion budgétaire sera cruciale.
S’agissant de l’ANR, je rappelle que le taux de succès de l’appel à projets était inférieur, de mémoire, à 15 % en 2017, et qu’il a été porté à près de 25 %. Les petits aléas budgétaires de 2024, avec les 85 millions que vous mentionniez, devraient pouvoir être absorbés sans conséquence sur ce taux. La question, désormais, est de savoir comment le faire progresser encore : financer un projet sur quatre me semble raisonnable – mais pas moins – et monter jusqu’à un tiers serait encore mieux.
Le spatial est un sujet complexe et très divers, et l’effort de la France dans ce domaine ne saurait être mesuré uniquement à l’aune de sa contribution à l’Agence spatiale européenne. En effet, elle a choisi de financer également un programme national, assuré conjointement par le ministère des Armées et le Centre national d’études spatiales. La France est l’État européen qui investit le plus dans le spatial, et de loin : depuis 2022, pas moins de 3 milliards d’euros y sont consacrés par an, soit une augmentation d’environ 20 % par rapport à ce qui était prévu. C’est un gros effort, même si cela reste peu au regard des 75 milliards de dollars déployés par les États-Unis – ce qui plaide pour une action à l’échelle européenne. Mais encore faut-il déterminer ce que doit être la politique spatiale communautaire.
Enfin, 100 millions d’euros seront effectivement débloqués pour accompagner les établissements d’enseignement supérieur ou organismes de recherche qui accueillent des chercheurs étrangers travaillant sur des thématiques prioritaires dans le cadre du dispositif Choose France for Science. Cette somme financée par le plan France 2030 n’est pas prélevée sur le budget du ministère, elle s’y ajoute. En outre, la Commission européenne a alloué 500 millions à des programmes similaires : il va désormais falloir s’organiser avec la Commission pour assurer une mobilisation intelligente de l’ensemble de ces fonds.
M. le président Éric Coquerel. Alors que vos deux ministères sont parmi ceux qui ont déjà le plus souffert d’annulations de crédits dans l’exécution 2024 et dans la loi de finances pour 2025 – je m’appuie sur les chiffres corrigés de l’inflation et, pour ce qui est de l’éducation nationale, je ne tiens pas compte des pensions –, le ministère de l’éducation nationale subit une nouvelle annulation de crédits relativement importante.
Lors de l’exercice 2024, 3 786 équivalents temps plein (ETP) ont été supprimés dans l’enseignement public primaire et secondaire. Selon le rapport de l’OCDE intitulé Regards sur l’éducation, la France figure parmi les trois pays européens qui comptent le plus d’élèves par enseignant : seuls la Roumanie et le Royaume-Uni font pire. La Cour des comptes a indiqué aujourd’hui que nous étions loin d’être le pays finançant le plus son enseignement en maternelle et en élémentaire.
Pourtant, le président de la République a récemment rappelé à la télévision que la réduction des inégalités passait par une diminution du nombre d’élèves par classe. Dès lors, comment expliquer ces suppressions de poste ? Que comptez-vous faire pour améliorer la situation ? En outre, pour éviter la censure, le gouvernement s’était engagé à annuler la suppression de 4 000 postes à la rentrée 2025. Les annulations de crédits qui viennent d’être décidées remettent-elles en cause cette partie du compromis ? Les sommes en jeu sont assez comparables.
Deuxième question : selon la Cour des comptes, certains indicateurs restent incomplets. En particulier, les chiffres sur l’issue de la scolarité et l’insertion dans le monde professionnel mériteraient de distinguer enseignement public et enseignement privé sous contrat. Madame la ministre d’État, disposez-vous d’éléments sur ce sujet, ou s’agit-il d’un angle mort qui devra être éclairé ?
S’agissant de l’enseignement supérieur et la recherche maintenant, selon la Cour des comptes, l’évaluation environnementale des dépenses de recherche en France doit être largement améliorée. En particulier, seule la recherche spatiale, notamment celle portant sur les lanceurs spatiaux, est considérée comme une dépense défavorable à l’environnement. Or le budget de ce programme ne s’élève qu’à 0,61 milliard d’euros. La place de secteurs comme la défense et l’intelligence artificielle dans les priorités de recherche financées par le gouvernement me laisse penser que ce chiffrage est incomplet. Monsieur le ministre, pouvez-vous m’apporter davantage d’éléments sur les conséquences environnementales des priorités de recherche gouvernementales ?
Enfin, la Cour des comptes chiffre le reste à payer de l’hôpital Grand Paris Nord – qui a un rayonnement presque régional – après l’exercice 2024 à 378,5 millions. Ce sera un enjeu pluriannuel important pour le programme 150. La poursuite des restrictions budgétaires annoncées par le gouvernement doit-elle laisser craindre que ces restes à payer, auxquels s’ajouteront ceux du prochain exercice, aggravent les retards de paiement et les impayés, entraînant une dégradation des soins, alors même que l’hôpital souffre déjà d’un sous-dimensionnement critique et de fermetures de lits ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. Je vous remercie de l’attention que vous portez au budget de mon ministère, et regrette qu’un empêchement ne vous ait pas permis d’écouter mon propos liminaire.
Je vous confirme que l’éducation est une priorité du président de la République et de ses gouvernements successifs depuis 2017. Si la loi de finances initiale pour 2024 prévoyait effectivement la suppression de 2 440 ETP, il avait été annoncé, le 10 décembre 2023, que 2 500 ETP supplémentaires seraient finalement créés, l’avance prise dès la rentrée 2023 ayant permis d’éviter toute suppression nette d’emploi ces deux dernières années. Le budget finalement adopté pour 2025 ne prévoit aucune suppression de poste, malgré une diminution des effectifs de 100 000 élèves par rapport à l’année dernière. Il y aura eu 300 000 élèves de moins entre 2022 et 2025 – une tendance appelée à se poursuivre dans les prochaines années. Les marges de manœuvre dégagées par cette baisse démographique sont mobilisées pour améliorer l’accompagnement des élèves : le ratio est ainsi passé de vingt-quatre élèves par classe en 2017 à seulement vingt-et-un aujourd’hui. Il est effectivement important que les classes ne soient pas trop chargées, et c’est tout le sens de la politique que nous menons.
Je n’ai pas en tête les éléments concernant la réussite dans l’enseignement supérieur des élèves issus de l’enseignement public et de l’enseignement privé ; je vous les ferai parvenir. Reste qu’il existe un écart d’une vingtaine de points entre l’indice de positionnement social des premiers et des seconds. Pour assurer la réussite de tous nos élèves et leur permettre de vivre dans un environnement diversifié qui les prépare mieux à leur vie de citoyen, il est donc nécessaire d’améliorer encore la mixité dans l’enseignement privé – c’était le sens de la démarche engagée par le ministre Pap Ndiaye avec le secrétariat général de l’enseignement catholique. Sur ce sujet, les discussions avec l’enseignement privé doivent se poursuivre.
M. Philippe Baptiste, ministre. Je ne partage pas votre vision pessimiste des crédits budgétaires, monsieur le président.
Je rappelle que, dans le cadre de la loi de programmation de la recherche, pas moins de 6 milliards supplémentaires ont d’ores et déjà été alloués aux différents établissements de recherche et à leurs personnels. Loin d’être négligeable, cette somme a notamment permis la revalorisation des salaires : l’indemnitaire des chercheurs et enseignants-chercheurs a ainsi plus que doublé. Je ne nie pas des difficultés, et même parfois des manques criants dans certains établissements, mais ils ne justifient pas une vision aussi uniformément pessimiste ou décliniste du budget de la recherche et de l’enseignement supérieur en France. Je rappelle qu’aucun grand programme n’a été annulé, et que les tensions budgétaires ont pu être absorbées grâce à la trésorerie et à des décalages. À ma connaissance, il n’y a pas de difficulté pour l’hôpital de Grand Paris Nord, mais je vérifierai.
S’agissant de l’impact des activités de recherche sur le climat, je rappelle que chaque établissement est tenu de présenter son bilan carbone, ses actions en faveur de l’environnement et sa trajectoire de progression dans son rapport d’activité annuel. Au reste, c’est un sujet sur lequel l’ensemble des chercheurs et collègues de l’enseignement supérieur sont spontanément et naturellement mobilisés : il n’est pas nécessaire de les y sensibiliser spécifiquement. Quant à savoir s’il faut interdire des pans entiers de recherche ou des activités au motif qu’ils sont source d’émissions de gaz à effet de serre, je serai très prudent et réservé. Il faut évidemment tenir compte du bilan carbone, mais n’oublions pas que la recherche peut aussi permettre des avancées significatives dans des domaines variés.
M. le président Éric Coquerel. Je n’ai jamais parlé d’interdire des activités de recherche. Seulement, il me semble normal d’en évaluer l’impact environnemental.
M. Philippe Baptiste, ministre. Je tirais simplement le fil du raisonnement. Il se trouve que ce facteur est systématiquement évalué, dans tous les établissements.
M. le président Éric Coquerel. Mais la Cour des comptes n’appelle l’attention que sur ce domaine, d’où mon étonnement.
M. Philippe Baptiste, ministre. Je regarderai attentivement, mais je suis étonné par cette analyse de la Cour.
M. le président Éric Coquerel. Enfin, je ne suis pas décliniste, mais le budget de la recherche a tout de même diminué de 1,9 milliard, corrigé de l’inflation, soit 5,8 %.
M. Philippe Baptiste, ministre. Absolument pas !
M. le président Éric Coquerel. Nous comparerons nos chiffres en fin d’audition.
M. Alexandre Sabatou (RN). En tant que rapporteur spécial de la mission Enseignement scolaire, j’avais déjà noté, l’année dernière, le fonctionnement étrange de votre ministère en matière de formation continue. Je ne vous ferai pas l’affront de vous recommander de lire la note d’analyse de l’exécution budgétaire rédigée par la Cour des comptes – votre cabinet l’a déjà épluchée –, mais quand les sages de la rue de Cambon parlent de « pratique insincère » dans les vingt premières lignes du document, il y a matière à se poser des questions.
Inutile d’entrer dans les détails : ces crédits qui augmentent chaque année depuis plus de dix ans sont très mal utilisés. Au lieu de financer réellement la formation des enseignants, ils restent souvent en réserve et servent à équilibrer les comptes du ministère. Je ne mentionnerai qu’un seul chiffre : 36 %. C’est la part des crédits programmés qui ont été effectivement consommés. Pour qui sait que cette enveloppe englobe la formation initiale et la formation continue, un tel ratio interroge. Il serait d’ailleurs temps de distinguer enfin les deux composantes de ce budget : la Cour des comptes le recommande et les parlementaires le demandent depuis des années, notamment à l’occasion des discussions budgétaires. Le projet de loi de finances y gagnerait, je crois, en clarté et en sincérité.
Vous héritez, à la tête de ce ministère, d’un fonctionnement que vous n’avez pas instauré. Soit. Mes questions porteront donc sur le futur. Que pensez-vous d’un système dédié à l’enseignement dont les professeurs ne se forment pas ? Comment concevoir que la passion d’enseigner soit si déconnectée de la passion d’apprendre ? Que vous inspirerait un médecin, un conducteur de train ou un agriculteur qui ne se formerait pas ? Le ministère ne prend même pas en compte les formations suivies par les professeurs dans son système d’inspection et de notation.
Cette sous-consommation des crédits de formation est un véritable scandale, d’un point de vue comptable évidemment, mais surtout d’un point de vue philosophique, éthique, et professionnel. Les professeurs doivent être formés : nous le devons à nos enfants. L’intelligence artificielle en est un exemple très concret : alors qu’il ne s’agit plus d’un sujet d’avenir mais bien du présent, notre système éducatif n’y prépare toujours pas assez les enseignants. Il est pourtant d’autant plus urgent de les former à ces outils, leurs usages et leurs limites que, dans bien des classes, les élèves en savent déjà beaucoup plus qu’eux sur le sujet.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. Je vous confirme que la formation continue des enseignants est une question tout à fait essentielle. Je constate comme vous que 90 % des lycéens ont déjà utilisé une intelligence artificielle générative, contre 20 % des enseignants. Former les enseignants à ces évolutions technologiques, et, plus généralement, leur permettre d’apprendre tout au long de leur vie professionnelle, comme chaque agent de la fonction publique et chaque salarié doit pouvoir le faire, est donc très important.
Il est vrai qu’on se heurte, en la matière, à une difficulté, à savoir leur nécessaire présence devant les élèves. Ce constat rejoint celui que je faisais sur l’importance de remplir les concours de recrutement : le fait que 3 000 des 16 000 places mises au concours en 2024 n’aient pas été pourvues a créé des tensions sur la présence des professeurs devant les élèves, ce qui, évidemment, ne facilite pas les départs en formation.
Pour autant, je regrette que nous n’ayons pas pu convaincre la Cour des comptes du fait que son calcul ne rend pas compte de la réalité. Affirmer que la majorité des crédits de formation ne sont pas consommés est inexact. La difficulté vient de ce qu’une partie de ces crédits, notamment la masse salariale des stagiaires placés devant les élèves, n’est pas imputée sur la ligne budgétaire correspondante. Nous devons réfléchir à une présentation budgétaire qui rende mieux compte de la réalité, par exemple du fait que le nombre de journées de formation continue est en constante augmentation – il est passé de 1,4 million en 2019-2020 à 2,2 millions en 2023-2024. Nous échangerions ainsi sur des bases plus claires.
Nous réfléchissons par ailleurs à la façon de concilier la légitime attente des enseignants, qui souhaitent se former, et les besoins des élèves, qui ne doivent pas être pénalisés par des absences de professeurs. Ce travail est en cours. N’ayez aucun doute : je suis parfaitement convaincue de la nécessité d’assurer la formation continue des professeurs tout au long de leur parcours professionnel et d’en tenir compte dans la reconnaissance qu’on peut leur apporter.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Je suis heureuse de votre présence, madame la ministre d’État, car voilà maintenant six mois que j’attends la réponse à la question écrite que je vous ai posée à propos des fermetures de classes.
Après un énième 49.3, le budget de la mission Enseignement scolaire a d’abord été amputé de 175 millions. Avec le décret d’avril 2025, ce sont 95 millions supplémentaires qui ont été annulés, soit les deux tiers des crédits nécessaires pour financer les 4 000 postes d’enseignants que M. Bayrou avait pourtant juré de préserver en début d’année.
Parallèlement, partout en France, des parents d’élèves, enseignants et personnels de l’éducation se mobilisent contre les fermetures de classes. Dans mon département de la Gironde, ce sont cent classes, dont onze dans ma circonscription, qui sont menacées. Le constat de la baisse démographique est indiscutable, mais il n’est pas un argument recevable au vu des conditions d’enseignement, particulièrement en milieu rural. Les citoyens qui se mobilisent veulent un service public de l’éducation de qualité, qui prenne le temps de s’adapter à tous les élèves et qui réponde enfin à la promesse républicaine de l’égalité des chances. C’est d’autant plus vrai à l’heure où la Cour des comptes déplore l’aggravation continue des inégalités sociales en matière de réussite scolaire et où le Conseil d’analyse économique préconise le dédoublement des classes pour tout le premier degré – dédoublement dont le coût serait absorbé par l’augmentation des recettes fiscales générée par les meilleurs salaires obtenus par des salariés plus diplômés.
Comment expliquez-vous à Coralie, maman d’élève à Coimères, qu’au terme de vos jeux de vases communicants, la classe de ses enfants passe à vingt-neuf élèves l’an prochain, dans un espace devenu trop petit ? Croyez-vous que les écoles soient modulables à l’envi ? Que dites-vous à Marie, maman d’élève à Bagas, quand, pour toute réponse au dépôt d’un dossier de passage en REP, c’est une fermeture de classe qui est proposée ? Que répondez-vous à Christophe Miqueu, maire de Sauveterre-de-Guyenne, dont les efforts sont récompensés par l’obtention du label Villages d’avenir, au moment même où il est sanctionné d’une fermeture de classe de maternelle ?
Quand il n’y a plus de services publics dans les villages, l’école est la dernière présence de République. Votre politique à l’égard des zones rurales doit tenir compte de cette réalité. Si vous estimez que nos enfants ne se résument pas à des chiffres, confirmez-nous que vous renoncez à ces fermetures de classes.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. Je regrette que vous n’ayez entendu ni mon propos liminaire ni ma réponse à votre collègue. Ayant moi-même été élue dans une circonscription rurale, je suis parfaitement consciente de l’importance du maillage de l’école dans ces territoires. Les 4 000 postes que nous avons préservés – aucune annulation de crédits n’a entamé la masse salariale – nous offrent une carte scolaire plus souple. Mais, dans le même temps, nous ne pouvons pas ignorer la réalité démographique que vous avez vous-même soulignée. Chacun comprend bien que lorsqu’une école n’accueille plus que quinze enfants et qu’il faut constituer une classe unique sur de multiples niveaux, les conditions d’enseignement ne sont pas favorables à la réussite des élèves. C’est tout l’équilibre qu’il faut trouver : nous devons à la fois être très attentifs au maillage territorial et à la prise en compte des situations particulières, notamment géographiques – dans les zones de montagne, par exemple –, et nous assurer que tous les élèves bénéficient de bonnes conditions de réussite.
Le nombre d’élèves par classe dans le premier degré a baissé continûment depuis 2017. Cette tendance se poursuivra à la prochaine rentrée. J’avais annoncé, lorsque j’étais première ministre, la création d’observatoires des dynamiques rurales ; je peux vous assurer que je veille désormais à ce qu’ils se déploient dans tous les départements, afin que nous puissions travailler avec les élus dans une perspective pluriannuelle pour définir les bonnes organisations, y compris dans les territoires où le nombre d’élèves baisse très fortement.
Ce travail est engagé. J’ai demandé aux Dasen (directeurs académiques des services de l’éducation nationale) de ne pas poser le crayon une fois la carte scolaire pour la rentrée 2025 terminée mais de poursuivre les échanges avec les élus, afin que nous puissions, y compris en vue de l’élaboration du budget pour 2026, nous appuyer sur les réalités territoriales pour définir avec eux les organisations répondant au mieux aux besoins des élèves et donner toutes les chances de réussite à nos enfants, dans les zones rurales comme ailleurs.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Permettez-moi de faire un pas de côté pour évoquer les résultats du Capes (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré), qui viennent de tomber. Une nouvelle fois, ils sont mauvais, puisqu’on compte presque un admissible pour un poste ouvert : 702 admissibles pour 669 postes en lettres modernes ; 1 152 admissibles pour 990 postes ouverts en mathématiques, et déjà 11 postes non pourvus dès l’admissibilité, dont 7 en lettres classiques. Ces chiffres, qui ne sont pas nouveaux, montrent clairement que le vivier s’assèche.
C’est une réalité : l’éducation nationale ne parvient plus à recruter. Vous avez reconnu cette crise d’attractivité et annoncé un effort en matière de revalorisation salariale, mais il faut absolument que cette volonté soit suivie d’effets et que vous obteniez des arbitrages en ce sens. Je m’étonne qu’on n’ait pas cet indicateur en tête au plus haut niveau, car un pays qui ne parvient plus à recruter des enseignants et un pays qui ne se donne tout simplement plus les moyens d’avoir un avenir. Nous sommes tous d’accord ici pour dire que l’école est le moteur de la République ; or ce moteur est en panne.
Nous devrions d’ailleurs suivre également un autre indicateur, que j’ai déjà évoqué : le nombre d’heures perdues faute de professeurs pour remplacer les enseignants absents. Je tiens ici à dire que les professeurs sont en moyenne beaucoup moins absents que d’autres fonctionnaires ou salariés du privé. Seulement, comme ce sont des travailleurs essentiels, leur absence se remarque très directement. J’ai même connaissance, dans ma circonscription, de professeures parties en congé maternité qui n’ont pas été remplacées.
Le nombre d’heures ainsi perdues se comptait en millions du temps de votre prédécesseur, Pap Ndiaye. Avez-vous ce chiffre en tête ? Peut-il être communiqué de manière régulière ? Voilà un indicateur que nous pourrions suivre, qui pourrait mobiliser l’ensemble des forces politiques, et sur lequel nous pourrions vraiment avoir prise : en la matière, ce ne sont pas l’Europe ni la situation internationale qui nous empêchent de redresser la barre. Nous pourrions montrer à nos citoyens que le politique peut agir pour eux. Je ne vois pas d’autre urgence à l’heure actuelle, et c’est clairement une discussion budgétaire.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. Je ne peux évidemment pas me satisfaire de concours au cours desquels le nombre de candidats admissibles est à peine supérieur, voire inférieur, au nombre de places offertes.
À l’évidence, il y a effectivement là un enjeu de rémunération. J’ai mentionné la revalorisation de 11 % intervenue conformément à l’engagement du président de la République. Elle nous a permis d’augmenter les salaires en début et en fin de carrière, mais il nous reste à travailler sur le milieu de carrière, pour lequel nous avons encore un vrai problème.
Je pense par ailleurs que les enseignants exercent un métier difficile et qu’assurer un climat scolaire apaisé est essentiel pour eux autant que pour les élèves. D’où le travail de lutte contre les violences et – au risque de donner le sentiment de m’éloigner du sujet – d’éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité que nous avons lancé. Apprendre le respect de soi et de l’autre, savoir établir des relations apaisées avec ceux qui nous entourent me paraît très important. Nous devons aussi pouvoir accompagner correctement les élèves face aux problèmes de santé mentale. J’ai fait des annonces en ce sens la semaine dernière et un travail a été engagé.
La réforme du mode de recrutement et de la formation initiale des professeurs, annoncée récemment, s’inscrit également dans cette perspective. On sait que le recrutement en master 2 a entraîné une baisse du nombre de candidats, de 45 % dans le premier degré et de 20 % dans le second degré. Aujourd’hui, quelqu’un qui souhaite devenir professeur des écoles ne sait plus quelle voie suivre. Je crois donc beaucoup à la licence « professorat des écoles » qui sera créée à compter de la rentrée 2026, ainsi qu’à la possibilité, dès 2025, de recruter à partir de la troisième année de licence : cela permettra de renouer avec l’esprit des écoles normales, dans lesquelles les jeunes bénéficient d’une formation rémunérée pendant leur master, ce qui est aussi un élément d’attractivité.
Il était urgent de mener cette réforme. Pour avoir visité certaines des classes de licence préparatoire au professorat des écoles qui existent à titre expérimental, je peux affirmer que de nombreux jeunes rêvent de devenir professeur au sortir du lycée, mais qu’on les perd car il n’existe pas de voie clairement tracée dans l’enseignement supérieur. Je suis convaincue que cette réforme va recréer de l’attractivité et permettre à tous les jeunes qui ont envie d’enseigner de trouver le bon chemin pour y parvenir.
M. Antoine Vermorel-Marques (DR). Les familles des enfants en situation de handicap sont à bout : à l’école de la République, c’est le parcours du combattant, non seulement pour faire reconnaître un handicap mais aussi pour obtenir une aide humaine. Il ne se passe pas une semaine, dans ma circonscription de la Loire mais aussi, j’en suis sûr, dans la vôtre, sans que nous soyons interpellés par des familles confrontées au manque d’AESH. Elles sont souvent dans un grand désarroi : comment 134 000 AESH pourraient-ils accompagner 520 000 élèves en situation de handicap ?
Vous évoquiez un taux d’accompagnement de 64 %. Cela signifie-t-il qu’un tiers des enfants concernés seraient laissés sans accompagnement à l’école ?
Si nous voulons ne laisser aucun enfant de la République de côté, il nous faut des actes forts. Vingt ans après la grande loi « handicap » de Jacques Chirac, cette cause ne doit pas être le combat des enfants en situation de handicap contre tous, mais le combat de tous pour ces enfants.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. Quand la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) nous notifie la nécessité d’organiser un accompagnement individuel, nous le faisons au mieux, même s’il est vrai que l’on peut parfois mutualiser des AESH, ce qui n’est pas forcément une solution idéale. Le chiffre auquel je faisais référence concernait l’exécution des prescriptions de matériel : malgré une augmentation de 11 %, le taux de réponse reste insatisfaisant, puisqu’il s’élève à 63 %.
Plus globalement, l’école accueille désormais environ 520 000 élèves en situation de handicap, contre 320 000 en 2017. Même si le nombre d’AESH a dans le même temps augmenté de 70 %, la situation n’est pas satisfaisante. Je suis convaincue que le système actuel, dans lequel les MDPH notifient des situations tout au long de l’année, ce qui impose à l’éducation nationale de recruter en urgence un accompagnant – ou, le plus souvent, une accompagnante – sans avoir nécessairement le temps de le former, doit être amélioré.
C’est pourquoi nous expérimentons, depuis la dernière rentrée, des pôles d’appui à la scolarité, au sein desquels sont identifiés un enseignant spécialisé et des personnels médico-sociaux. Ils peuvent se rendre plus rapidement dans les établissements ou dans les écoles pour évaluer la situation de l’élève et ses besoins – qu’il s’agisse de matériel pédagogique ou d’un accompagnant – et y répondre sans attendre la notification de la MDPH. Je suis convaincue d’une part que ce fonctionnement nous permettra d’anticiper, de répondre plus rapidement aux élèves et, le cas échéant, d’aider les parents à constituer un dossier pour la MDPH, et d’autre part qu’il est préférable d’affecter les AESH à un seul établissement plutôt que de les répartir entre deux ou trois écoles, au fil des notifications, comme c’est le cas actuellement. Ce fonctionnement pénalise les AESH et les empêche de s’intégrer pleinement à l’équipe pédagogique, alors même que l’accompagnement des élèves en situation de handicap devrait être le projet collectif de la communauté éducative.
J’ai ainsi demandé aux recteurs d’accélérer le déploiement de ces pôles d’appui à la scolarité, dont une centaine sont actuellement expérimentés dans quatre départements. L’objectif est qu’environ 500 soient ouverts dès la rentrée 2025 pour offrir un meilleur accompagnement, plus rapide et qui corresponde mieux aux besoins des élèves.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Nous examinons aujourd’hui trois missions essentielles, qui fondent l’idéal républicain d’émancipation par le savoir : l’école, l’université et la recherche. Derrière les discours et les lois votées – ou plutôt imposées par 49.3 –, les chiffres montrent un écart croissant entre les promesses de l’État et la réalité. Mais à vous entendre, j’ai le sentiment d’être revenue en 2017 : tout va se faire, vous n’avez simplement pas commencé !
Je n’aborderai pas les points sur lesquels Mme la ministre d’État a déjà donné une réponse qui ne convainc ni la Cour des comptes ni moi-même, concernant les 1,2 milliard d’euros de crédits alloués à la formation des enseignants qui, année après année, ne sont pas consommés, ou le manque d’AESH, ou encore les alertes incessantes à propos d’enseignants non remplacés – ici un professeur de français absent pendant plus de soixante-dix heures, là des professeures d’école primaire parties en congé maternité, une situation qu’il semble pourtant possible d’anticiper.
Je tiens en revanche à mentionner le Pacte enseignant gelé, les heures supplémentaires réduites et l’innovation pédagogique amputée. J’en profite d’ailleurs pour vous demander quand vous comptez répondre à mon courrier du 8 avril concernant un remarquable projet de valorisation des compétences plurilingues, déployé dans un collège situé dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Les initiatives de ce type, portées à bout de bras par les enseignants, méritent votre attention.
Je voudrais interroger M. le ministre Baptiste sur le non-respect de la loi de programmation de la recherche. Le budget de l’ANR a été amputé de 105 millions et celui du CNRS de 50, quand la contribution à l’Agence spatiale européenne a été réduite de 324 millions. Je ne partage d’ailleurs pas son analyse qui fait de la France le plus gros contributeur, notamment face à l’Allemagne. Nous n’avons pas les mêmes chiffres.
Tout cela envoie un message négatif aux chercheurs. Pourquoi la trajectoire budgétaire prévue dans la LPR n’est-elle plus respectée ? L’ANR, le CNRS, l’Inserm voient leurs crédits amputés et les marges de manœuvre des chercheurs sont constamment réduites. Comptez-vous redresser cette trajectoire, ou devons-nous acter l’échec de la programmation ?
Enfin, la Cour des comptes recommande de retracer, dans la documentation budgétaire, l’ensemble des financements spatiaux, qui sont pour l’heure complètement éparpillés – comme ceux des transports d’ailleurs. Comptez-vous suivre cette recommandation afin d’assurer la lisibilité et la soutenabilité de l’effort spatial français ? À ce propos, quand disposerons-nous d’une trajectoire pluriannuelle concernant la politique spatiale française ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Depuis 2020, grâce à la LPR, 6 milliards supplémentaires ont été consacrés aux universités, aux organismes de recherche, aux laboratoires, aux salaires des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Vous pouvez considérer que c’est négligeable ; il me semble que c’est déjà un premier pas. Cela ne résout certes pas tous les problèmes – les problèmes d’attractivité demeurent –, mais la rémunération indemnitaire a plus que doublé, plus aucun recrutement n’est effectué au-dessous de 2 Smic, un nombre considérable de chaires ont été créées, et les taux de succès des appels à projets de l’ANR sont passés de 15 % à 25 %. Un réel effort a donc été consenti. Il faut le poursuivre, mais affirmer que les moyens donnés aux laboratoires et aux chercheurs sont constamment réduits est, pardonnez-moi de le dire, totalement faux : nous faisons exactement le contraire.
Cela étant dit, il faut maintenir l’effort. Il est vrai que le palier prévu pour cette année n’est pas respecté – c’est le budget qui a été adopté par le Parlement –, mais l’ambition est bien là. Ne disons pas, en tout cas, qu’aucun effort n’a été fait, c’est une contre-vérité.
Pour ce qui est de la contribution à l’Agence spatiale européenne, la France, l’Allemagne et l’Italie sont au coude-à-coude. Mais, à la différence de ses deux voisins, la France consacre environ la moitié de son budget à des programmes internationaux extérieurs à l’ESA. Au total, la contribution française à l’effort spatial est ainsi légèrement supérieure à 3 milliards d’euros, contre, de mémoire, 2,2 ou 2,3 milliards pour l’Allemagne et un peu moins pour l’Italie. Pour connaître assez bien le sujet, je vous assure que ces dépenses sont parfaitement traçables : l’essentiel figure dans le budget du Cnes (Centre national d’études spatiales), le reste étant réparti entre différents budgets de défense, bien plus modestes.
Mme Christine Arrighi (EcoS). La Cour des comptes a donc tort quand elle souligne que les dépenses ne sont pas traçables du fait de leur éparpillement.
M. Philippe Baptiste, ministre. Par définition, la Cour des comptes a toujours raison : nous devons probablement faire un effort de consolidation. Je répète toutefois que les budgets consacrés au spatial sont comptabilisés au sein du Cnes, qui gère à la fois les contributions nationales, les contributions internationales et les contributions à l’ESA.
Mme Perrine Goulet (Dem). Madame la ministre d’État, je tiens à saluer votre engagement et votre détermination à faire appliquer le programme d’éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité, qui entrera en vigueur à la rentrée 2025. Alors que la question de la sexualité reste encore largement taboue, notamment dans l’espace scolaire, œuvrer pour faire de cette éducation un pilier de la construction individuelle des élèves est un levier essentiel de prévention en matière de santé. C’est donc une nécessité évidente.
Avancer sur ce front impose toutefois une meilleure prise en compte des violences sexistes et sexuelles dans l’enceinte scolaire. Sur ce point, nous faisons encore trop peu : nous devons y consacrer autant d’énergie qu’à lutter contre le harcèlement scolaire. Plusieurs professionnels m’ont fait part de leur solitude face aux enfants agresseurs, trop jeunes pour relever du pénal, et de leur désarroi quand ils sont contraints de laisser des enfants victimes à leur contact. Envisagez-vous d’étendre le décret « harcèlement » afin de pouvoir extraire de leur établissement les enfants ayant commis des violences, notamment sexuelles, sur d’autres enfants, et de protéger ainsi les victimes ?
Pour revenir à la question du handicap, on constate, en échangeant avec les enseignants, qu’il est parfois difficile d’inclure certains enfants, même lorsqu’ils sont aidés par un AESH. L’un de vos prédécesseurs avait détecté que ce modèle atteignait ses limites. Où en sont les travaux lancés pour constituer des classes externalisées à destination des enfants relevant des établissements médico-sociaux – les unités d’enseignement autisme en élémentaire ou en maternelle, ou encore les dispositifs d’inclusion des instituts médico-éducatifs et des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques ? Il y a là, me semble-t-il, une solution à développer.
Vous vous êtes par ailleurs engagée pour répondre à la crise de Mayotte, où vous vous êtes rendue après le passage du cyclone Chido. Pouvez-vous faire un point sur la scolarité des enfants, sur l’île et en dehors – certains ont pu être accueillis à La Réunion ou ailleurs –, notamment dans la perspective des examens qui se tiendront dans les prochaines semaines ?
Enfin, lors de l’examen du budget cette année, nous avons établi le caractère relativement consensuel du Pacte enseignant, tout en notant que nous n’avions encore que peu de retours du terrain. Quel regard portez-vous sur ce dispositif et son fonctionnement ? Combien d’enseignants y ont adhéré ? Une partie des heures prévues dans ce cadre pourraient-elles être orientées vers les enfants fragilisés, c’est-à-dire ceux qui relèvent de la protection de l’enfance ?
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. Merci de souligner l’importance du programme d’éducation à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité. Depuis des années, on déplorait le faible nombre d’élèves bénéficiant de cet enseignement théoriquement obligatoire. L’absence de programme ne simplifiait pas les choses et laissait les professeurs sans soutien, alors qu’ils sont parfois confrontés à des parents qui contestent la légitimité de cet enseignement. Il est important, pour eux comme pour les élèves, de pouvoir s’appuyer sur un programme élaboré par le Conseil supérieur des programmes et validé par des spécialistes de l’enfance, de la santé et de l’éducation. Cet enseignement pourra se déployer à partir de la rentrée prochaine.
La question des violences sexistes et sexuelles au sein des établissements retient toute mon attention, qu’elles soient commises par des personnels encadrants ou par des élèves. Il est capital de mieux détecter ces violences. C’est tout le sens du plan « Brisons le silence, agissons ensemble », dont l’un des objets est aussi de savoir recueillir la parole des victimes.
Pour le second degré, il n’est pas besoin de modifier le décret, les mesures à prendre relevant du conseil de discipline. J’entends cependant votre remarque pour ce qui concerne le premier degré, où ces conseils n’existent pas : nous pourrons étudier dans quelle mesure il est possible d’étendre la disposition prise à l’été 2023 à l’encontre des élèves harceleurs. Il est en tout cas très clair que nous devons protéger les enfants de toute forme de violence, en particulier des violences sexistes et sexuelles.
L’inclusion est une politique essentielle : il faut absolument permettre aux élèves en situation de handicap d’être scolarisés autant que possible avec les autres élèves. Il est vrai, néanmoins, que, parmi les élèves que nous accueillons actuellement, plus de 20 000 devraient être suivis des établissements médico-sociaux, où ils bénéficient d’un accompagnement plus fort que celui qui peut être délivré dans le cadre scolaire. C’est le ressenti de nombreux enseignants, voire de certains parents d’élèves. Il est dans l’intérêt de tous que nous proposons à chacun le bon accompagnement.
J’échange sur ces questions avec la ministre déléguée chargée de l’Autonomie et du Handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq, qui a eu l’occasion, lors du récent examen de la proposition de loi transpartisane visant à renforcer le parcours inclusif de ces élèves, d’annoncer l’objectif de 14 000 élèves supplémentaires accueillis dans les établissements médico-sociaux à la rentrée prochaine, notamment grâce à la sortie d’un certain nombre de jeunes devenus majeurs, qui doivent trouver d’autres solutions. Toutefois, les élèves en situation de handicap, même quand leur situation justifie qu’ils soient accueillis dans un établissement médico-social, doivent pouvoir échanger avec les autres élèves. Je suis donc favorable à ce que l’on continue à développer les structures médico-sociales au sein ou à proximité des établissements scolaires, pour permettre des temps d’échange.
Pour ce qui est de Mayotte, je tiens d’abord à saluer l’engagement formidable de tous les acteurs présents sur le terrain : après le passage du cyclone, qui a véritablement dévasté l’île, et détruit les habitations de certains personnels, les équipes sont restées très mobilisées pour réparer ou reconstruire les établissements, notamment du second degré. Je vous ferai parvenir le nombre précis d’élèves pris en charge hors de l’île, mais je peux déjà indiquer que les enfants ayant sollicité le dispositif d’accueil dans une autre académie n’ont pas été aussi nombreux que nous aurions pu l’imaginer. Notre ambition est évidemment de revenir à la normale. Nous avons prévu des conditions dérogatoires pour les examens, notamment pour les élèves en lycée professionnel qui n’ont pas pu trouver d’entreprise où réaliser leur stage. Nous restons très mobilisés pour remettre en état les établissements et les écoles afin de pouvoir assurer la prochaine rentrée dans les meilleures conditions.
Enfin, je vous transmettrai également les chiffres relatifs au Pacte enseignant, mais les taux de mobilisation restent à peu près stables par rapport à l’année passée. Pour la prochaine rentrée, je souhaite que nous mobilisions encore davantage les enseignants concernés sur le dispositif Devoirs faits, qui devra bénéficier à 50 % des collégiens : c’est un enjeu d’égalité des chances.
M. Pierre Henriet (HOR). Au nom de mon groupe, je voudrais aborder le financement par les communes des frais de scolarisation des élèves dans les établissements publics ou privés sous contrat. Nous avons déjà évoqué les questions de démographie scolaire, notamment en milieu rural. Dans son récent rapport L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser, la Cour des comptes fait le constat d’une carte scolaire figée depuis dix ans et souligne la nécessité d’une réflexion tant sur l’éducation prioritaire que sur l’école en milieu rural.
Dans ce cadre, les regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) sont un outil intéressant pour concilier les enjeux d’aménagement du territoire et la baisse de la démographie scolaire. Il y a cependant, à l’article D. 442-44-1 du code de l’éducation, une incohérence au sujet de laquelle j’ai alerté les services du ministère il y a quelque temps. Si une commune est membre d’un RPI non adossé à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) – c’est-à-dire que la compétence scolaire n’a pas été transférée à l’EPCI –, sa capacité d’accueil est strictement appréciée au niveau communal et ne peut tenir compte de celle d’une commune voisine. Ce point mérite d’être examiné : il conviendrait d’inciter davantage les élus à la solidarité plutôt qu’à une concurrence néfaste pour le paysage scolaire de nos territoires ruraux.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. L’organisation de l’école de demain constitue un vrai défi pour un certain nombre de territoires, je n’ai aucun doute à ce sujet. Toute solution permettant un travail coopératif est la bienvenue, même si la commune n’a pas transféré sa compétence scolaire. Comme la Cour des comptes l’a souligné, l’extension des RPI constitue certainement une réponse intéressante. Nous allons donc nous pencher sur le frein que vous mentionnez. L’objectif est d’arriver à maintenir le plus possible de classes en proximité, tout en tenant compte de la baisse démographique.
Mme Soumya Bourouaha (GDR). Alors que la santé scolaire est essentielle au bien-être et à la réussite de nos élèves, des postes restent vacants dans ma circonscription comme partout en France : en 2024, on compte un médecin scolaire pour 13 000 élèves, un psychologue pour 1 500 et un infirmier pour 1 300. Comment s’en satisfaire ? Ces chiffres révèlent une situation alarmante, incompatible avec notre ambition commune d’une école inclusive et bienveillante.
De nombreux rapports pointent la détérioration de la santé mentale des enfants. Pourtant, les moyens de l’éducation nationale pour détecter, prévenir et accompagner restent notoirement insuffisants. Le déficit de personnel est fortement lié à la faible attractivité de ces professions et à un manque de reconnaissance. Les enseignants et les équipes éducatives se retrouvent souvent seuls, confrontés à des situations complexes qui exigeraient l’appui de professionnels formés, compétents et disponibles.
Le programme 230, Vie de l’élève, était doté pour 2024 de 8,13 milliards en autorisations d’engagement et de 8,1 milliards en crédits de paiement, mais le montant total des crédits disponibles au cours de l’année a été réduit de 2 %. Par ailleurs, la loi de finances initiale pour 2024 fixait un plafond d’emplois à 15 605 ETP mais cet objectif n’a pas été atteint. Le rapport note d’ailleurs que cette sous-réalisation s’explique notamment par la difficulté de recruter des médecins scolaires.
Quelle action concrète votre ministère prévoit-il pour valoriser pleinement les métiers essentiels de la santé scolaire ? Faute de considération et d’attrait, les postes resteront désespérément inoccupés.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. La semaine dernière, j’ai clôturé la démarche de concertation lancée il y a plusieurs mois dans le cadre des assises de la santé scolaire. Cela a été l’occasion de réaffirmer le caractère essentiel de ses missions en matière de prévention, de détection et de promotion de la santé, tout en mettant un accent particulier sur les enjeux de santé mentale. Nous devons mieux repérer et assurer la prise en charge des jeunes présentant des fragilités.
Je souhaite à cet effet que, d’ici à la fin de l’année, dans chaque établissement, à l’échelle de chaque circonscription et avec l’appui de l’inspecteur de l’éducation nationale, des protocoles de repérage et de prise en charge des jeunes puissent être déployés. La démarche devra associer l’ensemble des partenaires de l’école dans le territoire, comme les centres médico-psychologiques et les maisons des adolescents, afin que les jeunes présentant des fragilités puissent être bien orientés. Nous travaillons la main dans la main avec le ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins Yannick Neuder, afin que l’ensemble des professionnels du territoire concerné soient mobilisés.
Les postes d’infirmier, de psychologue et d’assistant de service social sont pourvus. Il est vrai en revanche que près de 50 % des postes de médecins ne le sont pas. Comme nous l’avons fait pour les infirmiers dans la continuité du Ségur, il faut que nous puissions leur proposer une revalorisation de leur rémunération. Dans un contexte général de pénurie de médecins, ceux-ci ne souhaitent pas forcément s’engager dans la fonction publique et, au sein de celle-ci, les conditions de rémunération sont moins attractives dans l’éducation nationale que dans d’autres secteurs. Compte tenu de l’enjeu que représente la santé scolaire aujourd’hui, on ne peut évidemment pas se satisfaire d’avoir près de 50 % de postes non pourvus. Ce sujet fait partie de mes priorités pour les prochaines semaines et les prochains mois.
M. le président Éric Coquerel. Je suis heureux d’entendre que ce sujet sera votre priorité et je n’en doute pas. Mais la situation est dramatique : dans l’Indre, on ne compte plus un seul médecin scolaire. En Seine-Saint-Denis, il y a le nombre de psychologues suffisant en théorie, mais cela ne fait qu’un pour 1 000 élèves. Or la détection des problèmes psychologiques est fondamentale, au regard notamment des problèmes de rixes.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État. Je suis parfaitement consciente de l’importance du sujet. Personne ne peut se satisfaire d’avoir près de 50 % de postes vacants. Cette situation révèle un réel problème d’attractivité, que nous devons prendre à bras-le-corps.
Comme je vous le disais, chaque établissement devra se doter de protocoles de repérage et de prise en charge. Nous nommerons par ailleurs deux personnes repères en santé mentale dans chaque établissement et à l’échelle de chaque circonscription. Le travail de repérage des jeunes en situation de fragilité me semble indispensable. Pour m’être rendue dans l’établissement de Nantes dans lequel s’est produit un drame épouvantable, je mesure à quel point l’absence de prise en charge peut conduire à une mise en danger du jeune lui-même ou bien des autres.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur le ministre, vous avez réfuté tout à l’heure la baisse de 1,9 milliard du budget de votre ministère en CP que j’évoquais. Voici les chiffres : 31,8 milliards de CP en 2024, puis 30,9 milliards en 2025, cela fait 929 millions en moins. En tenant compte d’une inflation de 2 %, ce montant passe à 1,5 milliard et, en y ajoutant les 386,7 millions annulés au niveau du ministère, on obtient 1,9 milliard. Et encore : d’après la Cour des comptes, les crédits pour 2024 se sont en fait établis à 32,34 milliards, ce qui augmente d’autant la différence. Même en regardant ce qui a été réalisé, et non ce qui a été voté, la baisse atteindrait 1,6 milliard.
M. Philippe Baptiste, ministre. J’appelle votre attention sur le fait que vous confondez le périmètre de la Mires et celui du ministère.
M. le président Éric Coquerel. Non, absolument pas.
M. Philippe Baptiste, ministre. Je connais bien le budget de mon ministère. Ce que vous décrivez, c’est le périmètre de la Mires. Il inclut des opérateurs qui n’entrent pas dans celui du ministère.
M. le président Éric Coquerel. Alors la présidence de la commission des finances et la Cour des comptes se trompent et vous avez raison. Nous comparerons les chiffres.
Le cadre de la loi organique relative aux lois de finances s’applique à la Mires, non au ministère.
M. Philippe Baptiste, ministre. Effectivement. Mais ce que vous avez décrit n’est pas le budget du ministère.
M. le président Éric Coquerel. Globalement, au niveau de la loi de finances, le budget annoncé pour le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche est en baisse de 1,9 milliard.
M. Philippe Baptiste, ministre. Pardon, mais non, le budget du ministère n’est pas celui de la Mires.
M. le président Éric Coquerel. Les budgets baissent, mais tout cela n’a pas d’importance…
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 20 mai 2025 à 21 heures
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Anthony Boulogne, M. Mickaël Bouloux, M. Thomas Cazenave, M. Éric Coquerel, Mme Mathilde Feld, Mme Perrine Goulet, M. Pierre Henriet, M. Emmanuel Mandon, M. Alexandre Sabatou, M. Charles Sitzenstuhl
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Charles de Courson, M. Mathieu Lefèvre, M. Corentin Le Fur, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Emmanuel Tjibaou
Assistaient également à la réunion. - Mme Soumya Bourouaha, Mme Ayda Hadizadeh, M. Antoine Vermorel-Marques