Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques              2

  Présence en réunion................................30


Mercredi
2 juillet 2025

Séance de 17 heures 

Compte rendu n° 136

session extraordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La Commission entend M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

M. le président Éric Coquerel. Nous entendons M. Pierre Moscovici sur le rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques, que vient de publier la Cour des comptes.

Ce rapport permet d’enrichir notre réflexion dans la perspective des débats de cet automne relatifs aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je suis très heureux de vous présenter notre rapport annuel relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques (RSPFP). Je remercie pour leur travail remarquable Carine Camby, présidente de la première chambre, Emmanuel Giannesini, président de section et contre-rapporteur, Emmanuel Jessua, rapporteur général, ainsi qu’Axelle Lacan, Amélie Morzadec, Jérôme Brouillet et Claire Falzone, rapporteurs.

Ce rapport approfondit le premier rapport de l’année sur les finances publiques, que je vous ai présenté le 13 février dernier, sur la base des premiers résultats de l’exercice 2024. Il prolonge et complète d’autres travaux annuels de la Cour, que nous publions en application de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) et du code des juridictions financières, et qui traitent des différents sous-ensembles des finances publiques : les rapports sur l’exécution du budget de l’État, sur la certification des comptes de l’État et des comptes de la sécurité sociale publiés en avril ; le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale publié en mai ; le premier tome de notre rapport sur les finances locales publié la semaine dernière.

Le RSPFP traite de l’ensemble des administrations publiques : État, collectivités locales, administrations de sécurité sociale et autres organismes publics. Chaque année, il examine, dans une perspective synthétique, à la fois les résultats de l’année écoulée et les perspectives pour les années suivantes. Le RSPFP est donc notre rapport annuel le plus complet sur les finances publiques.

Cette année, sa publication s’inscrit dans un contexte très préoccupant. La France vient de traverser deux années noires en matière de finances publiques. C’est d’autant plus problématique que nous n’avons connu aucun choc économique majeur durant cette période. Pourtant, les premières marches des trois trajectoires pluriannuelles présentées par les gouvernements successifs depuis l’automne 2023 ont été largement ratées, les unes après les autres. En effet, la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, adoptée à la fin de l’année 2023, tablait sur un déficit public de 4,9 points de PIB en 2023, mais celui-ci s’est in fine établi à 5,4 points ; le programme de stabilité, publié en avril 2024, prévoyait un déficit de 5,1 points en 2024, lequel a en réalité atteint 5,8 points ; le plan budgétaire et structurel à moyen terme, publié en octobre 2024, prévoyait un déficit de 5 points en 2025, mais celui-ci a été revu à 5,4 points par la loi de finances adoptée en février 2025.

Soyons clairs : le pilotage des finances publiques aurait dû s’ajuster pour respecter les objectifs nationaux de recettes, de dépenses et de déficit. À la place, ce sont les objectifs qui ont été constamment modifiés, revus, repoussés, au vu des mauvais résultats observés – c’est l’inverse de ce qu’il faut faire dans une démarche de programmation.

Il n’est plus possible de procéder de la sorte ; cela mine la confiance dans nos engagements et notre crédibilité, et affaiblira notre capacité à agir. En effet, les institutions européennes, les marchés et les agences de notation ne détestent rien de plus que l’insécurité et l’instabilité.

Le rapport est divisé en trois chapitres. Le premier analyse la situation des finances publiques au terme de l’exercice 2024. Le deuxième porte sur l’exercice 2025 et la trajectoire pluriannuelle 2026-2029. Enfin, le troisième est, comme chaque année, thématique. Nous avons précisément choisi de le consacrer à l’enjeu incontournable qui doit sous-tendre notre stratégie de finances publiques : la soutenabilité de la dette publique. Avec, à la clef, une condition claire pour la garantir : il nous faut revenir durablement à un solde primaire positif – alors que celui-ci s’élevait à – 3,7 points de PIB en 2024.

Le Premier ministre doit rendre des arbitrages et présenter des données en matière de finances publiques, selon un calendrier établi. Ce rapport, présenté chaque année autour du 30 juin, ne vise pas à préparer ce calendrier gouvernemental. S’il peut éclairer le débat public, il ne constitue pas un outil de décision politique.

J’en viens au détail de ces trois parties, en commençant par notre premier message : la France n’a pas su contenir la dépense publique en 2024, ce qui la conduit à avoir le déficit le plus élevé de la zone euro.

Nous avons déjà abondamment analysé et commenté l’exécution de l’année 2024 et ses écarts par rapport à la programmation initiale, je n’y reviendrai donc pas en détail. Certains éléments méritent toutefois d’être soulignés.

En 2024, le déficit public s’est établi à 5,8 points de PIB, soit une hausse de 0,4 point par rapport à 2023, et surtout un dépassement de 1,4 point par rapport à la programmation initiale de l’automne 2023.

Après une très mauvaise année 2023, cette dérive est encore plus sérieuse. Le dérapage budgétaire de l’année 2024 ne doit rien à des circonstances extérieures. Il est la conséquence d’une incapacité à maîtriser la dynamique de la dépense et à engager des efforts d’économies pérennes. Il est aussi la conséquence, je l’ai dit à de nombreuses reprises, d’hypothèses trop favorables concernant la croissance et les recettes.

La différence entre les années 2023 et 2024 doit être relevée : en 2023, le creusement de 0,6 point du déficit tenait en très grande partie à la faiblesse des prélèvements obligatoires. En 2024, à l’inverse, c’est la dynamique de la dépense primaire, hors mesures exceptionnelles, qui constitue la principale cause du creusement du déficit.

En 2024, la dépense publique totale s’est établie à 1 650 milliards d’euros, en augmentation de 61 milliards par rapport à 2023. En conséquence, le ratio de dépenses publiques a augmenté par rapport à 2023, pour la première fois depuis 2020, l’année de la crise du covid ; il s’établit à 56,5 points de PIB. Contrairement aux précédentes crises, où le niveau de dépenses publiques diminuait progressivement après avoir fortement augmenté, ce schéma ne se vérifie pas dans la situation actuelle : il repart à la hausse en dehors de toute crise. C’est la leçon de 2024.

L’analyse de l’année 2024 révèle surtout que le cœur de la dépense publique, c’est-à-dire la dépense publique hors charge de la dette et hors mesures exceptionnelles, a progressé beaucoup plus vite que la croissance : il a augmenté de 2,7 %. C’est la progression la plus importante des quinze dernières années alors que nous sommes supposés être engagés dans une trajectoire de réduction du déficit. C’est aussi plus de deux fois plus que la croissance du PIB. Cette progression a été le principal facteur de creusement du déficit en 2024, à hauteur de 0,8 point de PIB.

En entrant dans le détail, on constate que l’évolution des dépenses a été particulièrement hétérogène selon les administrations publiques et que la perte de contrôle du cœur de la dépense est essentiellement imputable aux sphères locale et sociale. Les dépenses des administrations locales ont progressé de 2,7 % en volume, tirées vers le haut par les investissements en lien avec le cycle communal. Il n’est pas surprenant qu’à deux ans des élections municipales, les investissements sortent de terre.

Quant aux dépenses des administrations de sécurité sociale, elles ont augmenté encore davantage, avec une croissance de 3,3 % en volume. Cette augmentation est due en particulier à la hausse des dépenses de prestations sociales, du fait de la revalorisation décalée des pensions, indexée sur l’inflation très élevée de 2023.

La dynamique des dépenses de l’État a été beaucoup plus modérée, elles ont même reculé de 0,5 %. L’État a bénéficié du repli des dépenses exceptionnelles, mais il a aussi réalisé de véritables efforts d’économies en gestion, malgré des dépenses conjoncturelles liées à la situation en Nouvelle-Calédonie et à l’organisation des Jeux olympiques. Je ne veux toutefois pas exagérer ce satisfecit car plusieurs de ces mesures de gestion, qui étaient indispensables, constituaient des « one shot » ou des « one off », repoussant la question des économies structurelles à 2025 et surtout à 2026.

Ainsi, alors même que la quasi-extinction des mesures de soutien aurait dû conduire à une réduction du déficit, l’absence de maîtrise du cœur de la dépense a au contraire conduit à creuser le déficit – et ce, dans des proportions deux fois supérieures à la faible dynamique spontanée des prélèvements obligatoires. Si les dépenses exceptionnelles sont quasiment éteintes, la charge de la dette continue, elle, d’augmenter, d’une part, sous l’effet du déficit pour 2023 et, d’autre part, en raison de l’émission de nouveaux titres de dette publique à des taux nettement supérieurs à ceux arrivés à échéance, qu’ils remplacent. Cette tendance peut très bien se poursuivre.

Sur ce point en particulier, la situation est préoccupante : si rien n’est fait pour la contrecarrer, nous risquons de nous retrouver confrontés à un véritable effet boule de neige. Rien qu’en 2024, la charge de la dette publique a augmenté de 7,3 milliards, soit une hausse de 14 %. Elle est passée de 52,9 à 60,2 milliards. Soyons concrets : le coût du service de la dette a plus que doublé depuis 2020. Cette augmentation a un effet direct sur notre déficit, qu’elle a creusé de 0,2 point en 2024. Or ce n’est que le début de cet emballement. Le refinancement progressif du stock de dette à des taux plus élevés montera en puissance au cours des prochaines années. Et plus notre ratio de dette publique augmentera, plus nous allouerons d’argent à cette dépense stérile, inutile et qui paralyse le reste de l’action publique. Chaque euro consacré au service de la dette est un euro en moins pour l’action publique.

En parallèle de ces dépenses en forte hausse, les prélèvements obligatoires n’ont progressé que modestement. D’abord, en 2024 comme en 2023 – quoique dans une moindre mesure –, leur évolution est en deçà de celle du PIB, ce qui dégrade le déficit de 0,4 point. Cette atonie s’explique notamment par une diminution des recettes de TVA, de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu, ainsi que par la poursuite de la chute des DMTO (droits de mutation à titre onéreux) qui affecte essentiellement les départements.

Par ailleurs, pour la deuxième année consécutive, les prélèvements obligatoires sont nettement inférieurs aux prévisions de la loi de finances initiale (LFI), de plus de 40 milliards d’euros. Nous avons déjà analysé en détail cet écart très important, dans notre rapport de février. Nous en avions alors tiré une conclusion nette : ce dérapage est en partie imputable à des hypothèses de départ trop optimistes. Je ne dis pas que tout était prévisible, loin de là. Néanmoins, les prévisions se sont caractérisées par un volontarisme excessif, alors que nous avions lancé des alertes. À partir de l’automne 2023, la Cour et le HCFP (Haut Conseil des finances publiques) ont systématiquement appelé à la prudence à propos de nombreuses hypothèses relatives aux exercices 2023 et 2024. Rétrospectivement, tous ces avertissements se sont révélés justes. Pourtant, ils n’ont donné lieu à aucune action.

Cette faiblesse des recettes a été partiellement atténuée en 2024 par des hausses d’impôts, notamment le retour de la TICFE (taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité) à son niveau d’avant crise. Ces hausses d’impôts, en rupture avec les baisses mises en œuvre depuis 2018, ont freiné la dégradation du solde public, mais seulement de 6,5 milliards d’euros. Je rappelle ici notre message : le débat public sur d’éventuelles hausses d’impôts ciblées est légitime – le droit de lever l’impôt est au fondement de notre démocratie. Néanmoins, des hausses massives en lieu et place d’économies en matière de dépenses ne peuvent pas être une solution miracle. Notre ratio de prélèvements obligatoires est encore parmi les plus élevés de l’Union européenne : 43,9 points de PIB en 2023, contre 39,2 en Allemagne, 36,6 en Espagne, 41,5 en Italie – cela étant, les systèmes de protection sociale sont différents.

La conséquence d’une dépense publique hors de contrôle et de l’atonie des prélèvements obligatoires est bien connue : en 2024, le déficit s’est encore creusé pour atteindre près de 170 milliards. Certes, le déficit de l’État est stable en euros courants, et il a diminué une fois rapporté au PIB, grâce notamment aux efforts d’économies en gestion. Mais les administrations publiques locales ont vu leur déficit se creuser pour atteindre près de 17 milliards, soit 0,6 point de PIB en 2024. Les administrations de sécurité sociale ont enregistré une dégradation encore plus importante de leur situation financière. Leur excédent, qui atteignait 11,5 milliards en 2023, s’est presque entièrement évaporé en 2024.

Nous sommes désormais le pays dont le déficit public est le plus élevé de la zone euro. Alors que tous les autres pays européens très endettés, comme la Grèce, d’où j’arrive, le Portugal, l’Espagne ou l’Italie, ont tiré parti des années d’inflation pour réduire leur ratio de dette publique, la France diverge de plus en plus.

En effet, notre ratio de dette publique augmente lui aussi, pour la première fois depuis 2020. Il atteint 113,2 points de PIB, en hausse de plus de 3 points, ce qui nous éloigne progressivement d’un groupe de pays parvenus à maintenir ou à ramener leur endettement nettement en dessous de 110 points de PIB – par exemple, l’Espagne, le Portugal, la Belgique. Lorsque j’étais commissaire européen chargé des finances entre 2014 et 2019, cette situation était inenvisageable.

Plus nous attendons avant d’agir, plus il sera difficile de stabiliser puis de diminuer notre endettement. Ces deux années ont conduit à doubler les efforts d’ajustement nécessaires pour ramener le déficit sous les 3 % d’ici à 2029, conformément à nos obligations européennes. Ils représentent désormais un montant de près de 105 milliards d’euros à l’horizon 2029, alors qu’ils étaient d’environ 50 milliards d’euros il y a moins de deux ans. Après ces années difficiles, il est impératif, voire vital, de redresser la barre dès cette année, en respectant notre trajectoire pour 2025 et les années suivantes.

J’en viens au deuxième message de notre rapport : il est impératif de rendre crédible, dès 2025, l’objectif de retour du déficit sous 3 % du PIB. La trajectoire de finances publiques que le Gouvernement s’est engagé à tenir auprès de la Commission et de nos partenaires européens a besoin d’être crédibilisée. Les objectifs pour 2025 sont atteignables ; ils ne sont pas hors d’atteinte mais les risques sont à la baisse, pour reprendre la terminologie de Bruxelles.

D’abord, le scénario macroéconomique pour 2025 est légèrement optimiste, dans un contexte de fortes incertitudes sur le plan commercial et géopolitique. La dernière prévision de croissance du Gouvernement pour 2025, établie à 0,7 après avoir été révisée à la baisse à deux reprises – 1,1 %, et 0,9 % –, est loin d’être acquise. Du reste, elle est supérieure à celle du consensus des prévisionnistes. Par ailleurs, le Haut Conseil des finances publiques a souligné, dans son avis sur le rapport d’avancement annuel, l’accumulation de risques à la baisse qui pèsent sur cette prévision pour 2025.

Au-delà de 2025, le Gouvernement anticipe une croissance de 1,2 % en 2026, 1,4 % en 2027 et 2028, et 1,2 % en 2029. Ce scénario, inscrit dans le rapport d’avancement annuel, est lui aussi optimiste. Personne ne formule de telles prévisions ; il est peu probable d’avoir raison contre tout le monde.

Mais au-delà du scénario macroéconomique, notre scénario de finances publiques doit être impérativement respecté. En matière de recettes d’abord, il n’existe aucune marge de prudence dans la prévision pour l’année 2025. Dans le rapport d’avancement annuel, il est prévu que le montant des prélèvements obligatoires atteigne 1 300 milliards d’euros en 2025, soit 50 milliards d’euros de plus qu’en 2024 – 26 milliards d’euros de progression spontanée et 24 milliards d’euros de mesures nouvelles.

S’agissant des 24 milliards d’euros de hausses d’impôts et de cotisations, certaines sont temporaires et ont un rendement assez incertain. Je pense notamment aux quelque 10 milliards d’euros pour la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises et la contribution différentielle sur les hauts revenus.

Concernant la progression spontanée des recettes fiscales, le Gouvernement prévoit une dynamique en ligne avec la croissance du PIB, après deux années décevantes. Si cette prévision est cohérente avec le scénario macroéconomique, celui-ci étant un peu optimiste, elle l’est aussi.

Le problème, c’est que les prévisions de recettes sont maintenues – voire en hausse – par rapport à celles de la loi de finances, alors que la prévision de croissance pour 2025 a été abaissée depuis. Elles sont donc vulnérables à d’éventuelles mauvaises surprises. Il n’y a aucune marge de prudence.

J’aimerais passer ici un message très clair : quels que soient les aléas des prochains mois ou des prochaines années, il nous faudra tenir notre cible de déficit, quitte à prendre des décisions difficiles pour ajuster notre trajectoire. Des hypothèses surestimées aujourd’hui représentent immanquablement des surcroîts d’efforts pour demain. Nous avons le choix entre consentir dès aujourd’hui, avec intelligence, des efforts indispensables et inévitables en les maîtrisant, ou subir demain l’austérité après un choc qui nous serait imposée par l’extérieur.

Cela vaut pour les recettes, mais aussi pour les dépenses. La cible de dépenses pour 2025 doit aussi être crédibilisée. Selon le rapport annuel d’avancement, les dépenses publiques hors crédits d’impôts augmenteraient de 1,1 % en volume en 2025. La dépense augmenterait donc plus rapidement que le PIB, ce qui se traduirait par une hausse du ratio de dépenses publiques pour la deuxième année consécutive, de 56,5 à 56,8 points de PIB.

En 2025, la progression de la dépense publique serait très hétérogène entre les différentes administrations publiques, avec des efforts d’économies essentiellement assumés par l’État. Les dépenses de l’État diminueraient en effet de 0,8 % en volume : c’est une cible ambitieuse, d’autant que les dépenses exceptionnelles sont presque toutes éteintes. Mais les mesures de réduction des dépenses de l’État sont pour l’essentiel des mesures de gestion des crédits, par définition non pérennes. Par ailleurs, comme l’État assume la quasi-totalité des efforts de maîtrise de dépenses, cela lui laisse peu de marges de manœuvre pour répondre aux aléas ou augmenter ses crédits d’investissement en 2025, par exemple dans la défense. Si les crédits dédiés à la défense venaient à augmenter, il faudrait réaliser des économies dans d’autres domaines, ce qui conduirait à prendre des mesures de gestion supplémentaires.

Vu l’ampleur de l’ajustement nécessaire, il est impératif que l’ensemble des administrations contribuent à l’effort, en réalisant des économies structurelles et pérennes. Pourtant, le ralentissement des dépenses locales et sociales est encore loin d’être acquis.

S’agissant de la sphère sociale, il est prévu que l’évolution des dépenses en volume soit divisée par plus de deux en 2025. Mais cette cible est elle aussi soumise à de nombreux aléas, que ce soit le risque de dépassement de l’Ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie), qualifié de « sérieux » par le comité d’alerte de l’Ondam en juin 2025, ou encore le dépassement éventuel des dépenses d’assurance chômage. Par ailleurs, cette cible de dépenses suppose des économies structurelles significatives, qui sont à ce jour non documentées – à savoir hypothétiques.

Pour résumer, la réduction prévue du déficit en 2025 repose quasi exclusivement sur d’importantes hausses d’impôts, dont près de la moitié sont annoncées comme temporaires. Audelà, elle repose sur des prévisions de recettes sous-tendues par des hypothèses moins prudentes que dans la LFI. Parallèlement, les objectifs d’évolution de la dépense publique, déjà insuffisants pour permettre à eux seuls une réduction du déficit, sont particulièrement incertains ; ils ne reposent sur aucune réforme structurelle et pérenne.

Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que même si les prévisions de recettes se réalisaient, même si les objectifs de réduction des dépenses étaient atteints dans toutes les administrations, cela ne suffirait pas à enrayer la dérive de la dette publique en 2025 qui continuera d’augmenter. Chacun doit en être conscient, personne ne doit se bercer d’illusions : les objectifs que nous avons tant de peine à atteindre représentent malheureusement le minimum des efforts que nous pouvons, que nous devons faire. La diminution du déficit de 0,4 point de PIB, soit près de 9 milliards d’euros, est notre objectif pour 2025. Il ramènerait le déficit à 5,4 points de PIB. En tout état de cause, cette modeste réduction ne permettrait pas, tant s’en faut, de stabiliser le ratio de dette publique. En effet, la dette publique augmenterait encore de 3 points en 2025, pour atteindre 116,4 points de PIB, soit près de 3 500 milliards d’euros. Compte tenu de la faible croissance du PIB, il aurait fallu viser un déficit public de 2,4 points de PIB – oui, 2,4 – pour espérer ne serait-ce que stabiliser le ratio d’endettement à son niveau de 2024.

Les efforts structurels d’économies ont une nouvelle fois été reportés, alors qu’il est impératif de consentir de tels efforts.

La suite de la trajectoire esquissée dans le rapport d’avancement annuel du plan structurel de moyen terme, publié en avril 2025, est tout aussi incertaine. Cette trajectoire, qui constitue un engagement pris au niveau européen, suppose un effort d’ajustement de près de 105 milliards d’euros à l’horizon 2029, pour ramener le déficit sous le seuil de 3 % du PIB. Il s’agit donc de ramener le déficit à 4,6 points de PIB en 2026 et de poursuivre cette trajectoire. Cet objectif est trapu, surtout au regard des efforts nécessaires pour passer de 5,8 à 5,4 points.

Au-delà d’hypothèses de croissance encore optimistes, des hausses de dépenses publiques sont prévues dans les prochaines années, par exemple en matière de défense. En outre, aucune précision n’est donnée sur la nature des efforts sous-jacents.

Afin d’illustrer ce qu’exige cette trajectoire, la Cour a simulé cinq scénarios modifiant certaines hypothèses de cette trajectoire, dans un sens plus conforme aux tendances passées et aux risques identifiés. Tous conduisent à une hausse continue du ratio de dette jusqu’en 2029. Dans le premier scénario, fondé sur une croissance un peu inférieure à la prévision gouvernementale, les deux objectifs pluriannuels de déficit et de dette ne seraient pas atteints, avec un déficit de 3,6 points de PIB et une dette de 121,1 points en 2029. Le deuxième scénario, appelé « choc macroéconomique », envisage une crise économique mondiale en 2025-2026. Dans ce scénario, la dette atteindrait 125,4 points de PIB en 2029, avec un déficit de 4,1 points. Dans le troisième scénario, dit absence d’effort global, les efforts budgétaires seraient contrecarrés et annulés par la hausse d’autres dépenses ; le ratio de dette publique atteindrait 123,2 points de PIB en 2029, avec un déficit à 5,3 points. C’est le scénario le plus dangereux pour les finances publiques, car il entraînerait une dérive cumulative par rapport à la trajectoire présentée par le Gouvernement. Enfin, en cumulant plusieurs scénarios, la dette publique pourrait dépasser les 130 points de PIB en 2029. Je n’insiste pas sur ces scénarios, qui ne sont pas des prévisions ; ils illustrent surtout ce qui nous menace et ce dont nous n’avons pas les moyens.

Le chemin vers le retour du déficit sous 3 % et la stabilisation du ratio de dette publique d’ici à la fin de la décennie est étroit. Mais, contrairement aux deux dernières années, il ne peut être envisagé de modifier notre trajectoire encore et encore. C’est une question de crédibilité, en premier lieu à l’égard de nos partenaires européens. Je le rappelle, et cela peut paraître surprenant de la part du premier président de la Cour des comptes, j’ai été le premier à évoquer le report de l’objectif de 3 % du déficit de 2027 à 2029. Mais aujourd’hui, ce ne sont plus nos objectifs qu’il faut revoir à la baisse : ce sont nos efforts pour les atteindre qu’il faut intensifier. Il est urgent et indispensable de crédibiliser notre trajectoire. Ce sera tout l’enjeu des débats que vous engagerez dès le mois de juillet.

J’en arrive au troisième et dernier chapitre de notre rapport, qui porte chaque année sur une thématique différente. En 2025, nous avons choisi comme thème l’impératif de soutenabilité de la dette. Il en ressort le message suivant : le retour durable à un excédent primaire est la condition nécessaire à la soutenabilité de la dette.

La notion de soutenabilité de la dette publique fait référence à la capacité, pour la puissance publique, à honorer les obligations liées à son endettement à tout moment dans le futur. Dans ce troisième chapitre, nous avons cherché à clarifier ce concept et les paramètres qui le conditionnent : paramètres financiers, comme les taux d’intérêt ; paramètres de nature macroéconomique, comme la croissance du PIB ; paramètres de finances publiques, comme le solde public primaire – c’est-à-dire hors charge de la dette. Je suis très heureux que nous ayons rédigé un chapitre spécifique sur cette thématique, car le HCFP demande depuis longtemps que des études relatives à la soutenabilité de la dette soient réalisées à l’échelon national.

Je n’entrerai pas dans les détails, néanmoins passionnants, des parties comparatives de ce chapitre sur la soutenabilité de la dette, qui montrent à quel point la France s’est singularisée par rapport à ses partenaires européens. Je vous invite à le parcourir.

Depuis plus de deux décennies, et à la différence notamment de l’Allemagne et de l’Italie, la dynamique de l’endettement en France a été principalement nourrie par l’accumulation de déficits primaires. Dans le même temps, la croissance s’érodait progressivement. Nous constatons que le rôle des taux d’intérêt et des phénomènes de marché a été secondaire dans cette dynamique.

En outre, ces déficits et cette dette croissants n’ont pas eu comme principale contrepartie des investissements ou des dépenses d’avenir de nature à augmenter le potentiel de croissance future. Ils ont d’abord financé la hausse des dépenses courantes, notamment liées à notre modèle social et au vieillissement de la population.

Cette évolution – je ne fais là aucun commentaire de nature politique – n’est pas soutenable du point de vue financier. La stratégie de finances publiques doit permettre de reprendre le contrôle de la dynamique de la dette, dans un contexte où on ne peut plus compter sur un retour de la croissance des décennies passées ni sur des taux d’intérêt très bas. La décennie Draghi, qui a duré de 2011 à 2019, fut une parenthèse désormais refermée. Aujourd’hui, la dette française est une bonne dette : elle trouve des acquéreurs sans difficulté, grâce à la liquidité du marché appréciée par les investisseurs, à l’excellente qualité de la gestion du marché primaire par l’Agence France Trésor, à l’appartenance à la zone euro – qui est un atout –, et à la stabilité de notre système politique. Néanmoins, ces acquéreurs achètent la dette française à un taux de plus en plus élevé.

Dans ce contexte, pour garantir véritablement la soutenabilité de la dette française, il est indispensable de revenir à un excédent primaire ; c’est la condition sine qua non. Les projections réalisées par la Cour montrent que, compte tenu du poids de la dette et de l’augmentation de son coût, le retour du déficit public total sous les 3 % ne suffira pas, à lui seul, à garantir la soutenabilité de la dette. L’impératif de soutenabilité de la dette publique commande de stabiliser, puis de faire refluer le ratio d’endettement. Et cela nécessitera de renouer durablement avec un solde primaire qui soit positif, comme l’illustrent les scénarios simulés par la Cour.

Pour le moment, notre solde primaire en 2024 est négatif, à – 3,7 points de PIB. Il sera donc nécessaire de prolonger l’effort d’ajustement, jusqu’à parvenir à un excédent primaire durable d’environ 1,1 point de PIB, sous des hypothèses raisonnables de croissance et de taux d’intérêt. Cela n’empêcherait d’ailleurs pas la France de rester en déficit de plus de 2 points de PIB. Or notre pays n’est plus parvenu à réaliser un tel excédent primaire depuis près de vingt-cinq ans. Il faut prendre la mesure de la situation, alors que l’équation peut brutalement se compliquer. C’est ce que montrent les scénarios alternatifs à la trajectoire du Gouvernement, simulés par la Cour.

Pour prévenir toute spirale de la dette, nous devons absolument – j’y insiste – revenir à des excédents primaires. C’est incontournable. Des ajustements budgétaires très exigeants sont dès à présent nécessaires et doivent être réalisés dès 2026, comme le prévoit notre trajectoire pluriannuelle. Ces ajustements seront d’autant plus difficiles qu’ils doivent être socialement acceptables, politiquement soutenables, et ne pas porter atteinte au potentiel de croissance futur. Toutefois, ils sont indispensables pour assurer durablement la cohérence de nos choix collectifs avec l’impératif de soutenabilité de la dette publique. Je le sais, cette équation est devenue très difficile, mais il est nécessaire de la poser en toute objectivité.

J’ajoute, et c’est une note d’optimisme, que c’est possible. Je vous le disais, je reviens d’Athènes, où j’ai rencontré l’ensemble de mes interlocuteurs tout au long de la crise grecque – gouvernants de gauche comme de droite. Ce pays a aujourd’hui redressé ses finances publiques, et sa dette, qui se réduit très vite, est soutenable et peu coûteuse – elle est même légèrement moins coûteuse que la nôtre. Surtout, il dégage un excédent primaire qui atteint 4 % du PIB.

Il n’est pas besoin d’en passer par la sévère cure d’ajustement qu’a connue la Grèce pour en arriver là – nous ne sommes pas dans la même situation. Il faut surtout faire preuve de lucidité, de pédagogie, de volonté, qui sont indispensables pour comprendre, et faire comprendre, la nécessité d’un effort partagé.

Je le répète : nous sommes aujourd’hui au pied du mur. Il est temps de reprendre le contrôle de nos finances publiques, nous n’avons pas le choix. Faute de le faire, par idéologie, complaisance ou absence de lucidité, nous perdrons toute capacité à faire face aux défis climatiques et géopolitiques, dans un monde de plus en plus trouble et incertain.

M. le président Éric Coquerel. Mes questions vont finalement ouvrir un débat sur la logique économique que vos arguments sous-tendent – même si nous aurions besoin de beaucoup plus de temps pour l’aborder.

Vous avez précisé que votre rapport n’avait pas pour but de préparer le terrain pour le prochain projet de loi de finances et les propositions gouvernementales. Cependant, vous avez présenté un ensemble d’arguments qui visent à poursuivre une politique d’offre et de compétitivité, ainsi que de baisse des dépenses publiques, afin de réduire la dette, qui est la marque des gouvernements successifs depuis 2017, en dehors de la période du covid.

Or, si nous dressons le bilan, cette politique qui visait à réduire les déficits et à attirer les capitaux grâce à des cadeaux fiscaux, en espérant que cela rejaillirait sur l’économie, a échoué. Depuis le début de l’année, le bilan est mauvais, qu’il s’agisse du retour du chômage, de la baisse du commerce extérieur, de la part de l’industrie qui est passée au premier trimestre, pour la première fois sous la Ve République, sous la barre des 10 %, ou encore de la diminution de la productivité. Tous les feux passent donc au rouge, y compris l’objectif de réduction des déficits.

Aujourd’hui, vous proposez au fond de poursuivre cette politique, dans un contexte qui me semble pourtant radicalement différent de celui que nous avons connu depuis des années et qui reposait sur le principe d’une économie capitaliste sous-tendue par le libre-échange, sur lequel se fondaient des taux de profit historiques. Nous ne sommes plus dans cette situation. Nous entrons en effet dans une période, que nous avons déjà connue, d’affrontement et de guerre commerciale. Les mesures prises par Donald Trump ont un réel impact, qu’il s’agisse d’imposer aux États membres de l’Otan de consacrer 5 % de leur PIB à la défense – y compris pour acheter des armements américains –, ou de dénoncer la directive « Pilier 2 » d’imposition minimale sur les sociétés, à propos de laquelle on nous a expliqué pendant des années qu’il n’était pas nécessaire de légiférer au niveau national puisque la règle s’appliquait au niveau international. Cette politique va influer sur la consommation populaire, l’un des principaux moteurs qui a permis à la France d’éviter la récession, contrairement aux Allemands, ou encore le commerce extérieur.

Les pays européens, et notamment les deux principaux que sont l’Allemagne et la France, réagissent de manière différente. Certes, vous me répondrez que la dette allemande est nettement inférieure à la nôtre. Toutefois, je m’inquiète surtout des conséquences de la politique menée par les Allemands : cette année, ils vont investir 82 milliards d’euros dans la défense et la politique industrielle, montant qui sera porté à 129 milliards d’euros d’ici à 2029, sans parler du fonds spécial doté de 500 milliards d’euros pour les infrastructures. En comparaison, la France s’apprête à produire un budget incluant une baisse des dépenses publiques et à ne consentir aucun effort d’investissement, si ce n’est pour la défense dont le budget doit augmenter de 3 milliards d’euros. Par conséquent, je crains fort que le décrochage que nous avons connu par le passé ne resurgisse et ne nous mette en grande difficulté, notamment en matière de souveraineté industrielle.

La politique que vous proposez ne nous permettra pas, à mon avis, de faire face. Pour reprendre la formule employée par François Bayrou lors du premier comité d’alerte sur les finances publiques, nous sommes face à un tsunami ; mais j’ai l’impression que nous l’affrontons avec les mêmes barques et les mêmes rames qu’auparavant.

J’en viens à mes questions. Que ce soit pour 2024 ou 2025, vous indiquez que le niveau élevé du déficit s’explique principalement par une hausse des dépenses. Tendanciellement, c’est d’abord la baisse des recettes, depuis 2017, qui explique l’augmentation du déficit – tous les économistes sont à peu près d’accord sur ce point. Les recettes ont diminué, depuis cette date, de 3 points de PIB, soit à peu près les 60 milliards d’euros qui manquent chaque année, alors que les dépenses publiques, elles, sont à peu près stables en pourcentage. Vous imputez le déficit en 2024 et en 2025 à la hausse des dépenses locales, qui sont, rappelons-le, des dépenses d’investissement. Or les investissements des collectivités locales sous-tendent ceux de l’État – et ces investissements publics sont les seuls à augmenter depuis 2017, par rapport à l’investissement privé. Toute baisse des dépenses locales aurait des répercussions sur les investissements.

Par ailleurs, l’augmentation des dépenses reste bien en deçà des besoins. La loi de finances pour 2025 prévoit une baisse des dépenses de 35 milliards d’euros par rapport à l’évolution tendancielle, soit le niveau nécessaire pour maintenir une offre de services publics équivalente à celle de 2024. Et depuis le vote du budget, de nouvelles mesures d’économies ont été décidées puisque 3 milliards de crédits ont été annulés en avril et que presque 4 milliards ont été gelés. Enfin, 5 milliards d’euros d’économies ont été annoncés la semaine dernière, si on tient compte des efforts réalisés sur les dépenses sociales. C’est donc un véritable coup de rabot qui est prévu pour 2025 : il sera coûteux sur le plan de la croissance et source d’inégalités. Une étude très claire de l’Institut des politiques macroéconomiques et internationales dénonce l’effet récessif de cette politique, au vu de la situation internationale.

Ma première question est donc la suivante : les orientations budgétaires du Gouvernement sont-elles à la hauteur du tsunami auquel nous devons faire face ? N’est-ce pas à force de répéter qu’il faut revenir sous la barre des 3 % de déficit que les gouvernements successifs ont fait plonger les comptes, en ne réduisant rien au déficit mais en entraînant un effet récessif sur l’économie ?

Ma deuxième question porte sur la méthode de redressement des comptes publics. Vous préconisez de parvenir à un excédent primaire durable d’environ 1,1 point de PIB, soit un niveau qui n’a pas été observé depuis vingt-cinq ans – vous l’avez reconnu vous-même. Pour y parvenir, vous évoquez des ajustements budgétaires très exigeants, autrement dit irréalistes ou inacceptables puisqu’ils aggraveraient les inégalités sociales et nuiraient à la consommation populaire. Vous vous inscrivez dans la ligne que propose le Gouvernement, celle d’une politique de l’offre, qui refuse de faire porter l’effort en matière de recettes sur ceux qui ont le plus gagné depuis 2017, c’est-à-dire les ultrariches et les multinationales. Au lieu d’appeler à des mesures massives d’économies, ne vaudrait-il pas mieux provoquer un choc massif de recettes, prélevées sur les plus riches, notamment les plus gros détenteurs de capitaux, sur le patrimoine des milliardaires ou sur les niches fiscales coûteuses. Je pense au Pacte Dutreil, sur lequel la Cour des comptes a publié un excellent rapport, qui démontre que le coût du dispositif est de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros au lieu des 500 millions avancés habituellement, ou encore au crédit d’impôt recherche. N’y a-t-il pas là des gisements de recettes envisageables ?

Enfin, ma troisième question concerne la soutenabilité de la dette et votre conclusion selon laquelle le maintien du déficit public à son niveau actuel n’est pas soutenable. Je récuse l’idée selon laquelle la situation serait telle qu’il faudrait absolument réduire les dépenses pour redresser la dette publique : outre le fait que cette méthode n’est pas efficace puisqu’elle a un aspect récessif et qu’elle réduirait les recettes – en matière de TVA, de cotisations, etc. –, l’objectif ne serait pas atteint. En outre, cela nous ferait passer à côté de bien d’autres priorités.

Je remarque, avec plaisir, que la Cour des comptes ne cherche pas à nous alarmer en brandissant la menace d’une mise sous tutelle du FMI, comme le font certains membres du Gouvernement, alors que cela n’a aucun sens. En revanche, la comparaison avec la Grèce est malvenue. Ce pays s’est en effet appauvri considérablement et, depuis 2015, la population grecque a payé cher la baisse du déficit – je ne souhaite pas aux Français de connaître la même situation. Par conséquent, la comparaison avec la Grèce, dont le PIB est à peu près à la hauteur de celui de la région Île-de-France, est un peu alarmiste, en matière d’exemplarité. Vous reconnaissez, et je vous en sais gré, que les prêteurs se précipitent pour financer la dette française ; vous avez expliqué que la dette française était une bonne dette, notamment parce qu’elle reste modérée en comparaison du patrimoine économique national – estimé à environ 20 000 milliards d’euros. Quant à la charge de la dette, elle est, cette année encore, inférieure à l’inflation. Je ne dis pas que la dette est bonne en soi. D’ailleurs, j’estime qu’une dette due aux cadeaux fiscaux accordés aux plus riches est une mauvaise dette. Au lieu de faire croire que nous sommes à 0,1 ou à 0,2 point de PIB près et de vouloir faire du retour du déficit à 3 % dès 2029 une priorité, nous ferions mieux de mettre le paquet sur d’autres enjeux, notamment en matière de bifurcation écologique, puisque la dette écologique est prioritaire. D’autant que le meilleur moyen de réduire les déficits et de relancer l’activité économique, y compris les investissements, est plutôt à chercher du côté des recettes et du capital.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Vous avez présenté vos remarques, comme s’il y avait un débat politique entre nous et comme si la Cour des comptes se prononçait pour ou contre telle ou telle politique du Gouvernement. Ce n’est pas son rôle : je l’affirme avec une grande tranquillité, beaucoup de calme, mais avec fermeté.

Si notre rapport vous est présenté aujourd’hui, c’est, non pas parce que le Premier ministre a décidé d’annoncer son plan de redressement des finances publiques le 15 juillet, mais parce qu’il est publié tous les ans le 30 juin. Et si François Bayrou avait décidé d’annoncer ses mesures le 15 juin, nous serions arrivés après la bataille ! Nous sommes donc à notre place. Ne laissons pas peser sur notre institution une quelconque suspicion : elle n’est ni un élément de la décision publique ni un maillon de la chaîne.

Ensuite, et je le dis également avec beaucoup de fermeté, nous ne proposons ni de poursuivre une politique ni d’en changer. Nous ne proposons qu’une seule chose : inverser le cours récent de politiques qui ont conduit à l’accumulation de la dette et des déficits publics. Je n’ai pas à me prononcer sur la manière d’y parvenir : c’est votre travail.

Cependant, et je suis en désaccord avec vous sur ce point, nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à accumuler de la dette publique. Cela conduirait la France non pas au pied du mur, mais dans le mur. À cet égard, vous devriez lire le chapitre sur la soutenabilité de la dette publique. Que montre-t-il très clairement ? Que nous ne sommes pas du tout dans la situation de la Grèce et je ne suis pas en train de brandir la menace du FMI, de la troïka ou d’éventuelles sanctions. Au contraire, je souligne que la dette française se finance bien ; mais elle se finance de moins en moins bien. Nous ne sommes donc pas à l’abri de problèmes de liquidités ou de financements. Ce n’est pas parce que nous sommes la France que nous ne rencontrerons jamais ce type de problèmes. Le risque, à force de trop diverger, c’est que les créanciers ne suivent plus. Car notre dette se finance sur les marchés, qui sont nos créanciers. Et quels critères surveillent-ils ? La qualité de gestion des finances publiques – elle se traduit par la notation attribuée à un pays –, la stabilité politique et la capacité d’action. Soit ils constatent que les choses se passent bien – pour l’instant le spread et les taux d’intérêt n’augmentent pas trop –, soit, à un moment donné, ça décroche. Et, pardon de le dire, cela peut se passer n’importe quand. C’est pourquoi, au-delà des rapports de la Cour, vos débats sont cruciaux, ainsi que leurs résultats.

Si vous pensez qu’il est possible d’augmenter indéfiniment la dette publique, j’exprime mon profond désaccord, non pas sur les choix politiques, mais sur le constat en lui-même. La Cour considère que les déficits publics accumulés, notamment ces deux dernières années, nous placent dans une situation compliquée, parce que nous devons faire un effort deux fois plus important que celui initialement prévu. Nous ne pouvons pas nous permettre de différer ou d’ignorer cet effort. À défaut de réagir maintenant, nous nous exposons au risque que l’austérité nous soit imposée, de l’extérieur. L’effort, ce n’est pas l’austérité. Même avec 56,5 ou 56,8 points de PIB de dépenses publiques, des dysfonctionnements et des niveaux de collectivités qui ne participent pas tous à la réduction de la dépense, il nous reste quelques marges de manœuvre. Il ne m’appartient pas de dire lesquelles ; c’est au gGouvernement de formuler des propositions et au Parlement de les examiner.

Néanmoins, plusieurs chemins sont possibles, dont celui des économies ou celui de la fiscalité. J’ai déjà expliqué ce que nous en pensions : s’il est possible d’agir sur la fiscalité, il n’est pas souhaitable de lui faire porter l’essentiel des ajustements ; il faut réaliser des économies sur les dépenses, qui soient équilibrées et partagées par tous. Si nous reportons l’effort nécessaire et si nous n’envoyons pas un signal clair de constance et de respect de nos trajectoires, nous aurons un problème de crédibilité et de soutenabilité. Et, au bout du compte, l’austérité s’abattra sur nous. Or l’austérité, ce n’est pas l’effort, j’y insiste.

L’austérité, ce sont, comme cela s’est produit en Grèce et dans d’autres pays, des prestations qui, tout à coup, ne sont plus versées, des réformes qui sont appliquées de manière très brutale et un choc économique majeur. La dette ne peut être ignorée ; elle s’impose à tous, qu’on soit de gauche, de droite, du centre ou d’ailleurs. Quelles que soient vos préférences, si vous voulez agir en faveur de telle ou telle politique publique, il faut que la dette diminue. Car avec 100 milliards d’euros de remboursement annuel de la dette – c’est la menace qui pèse sur nous en 2029 –, nous ne pourrons financer ni la défense, ni la transformation écologique, ni l’innovation et la recherche. Tous les objectifs fixés par le rapport Draghi sont inatteignables pour la France avec un tel niveau de dette et, en plus, cela nous coûte plus cher.

Vous avez évoqué la situation allemande. Il y a quand même une différence majeure. Lorsque nous sommes entrés dans l’euro en 2001 – j’étais alors ministre des affaires européennes –, la France et l’Allemagne avaient toutes deux une dette de l’ordre de 58,9 points de PIB ; la France avait 1,5 % de déficit – l’Allemagne un peu moins – et un solde excédentaire commercial supérieur à celui de l’Allemagne. Vingt-quatre ans après, la dette publique allemande a augmenté de 7,9 points de PIB – ce n’est déjà pas rien – tandis que celle de la France a augmenté de 54,4 points de PIB ! Quand on partage la même monnaie, cela fait une différence de taille. C’est l’histoire de La Cigale et la Fourmi : force est de constater que les Allemands ont stocké de quoi s’endetter. S’ils ont pu lever leurs freins à l’endettement, c’est parce qu’ils disposent de moyens considérables pour s’endetter. Ils sont d’ailleurs à l’équilibre budgétaire, alors que notre déficit atteint 5,8 points de PIB.

Malheureusement, nous ne pouvons pas nous permettre de faire comme l’Allemagne, parce que nous n’avons rien stocké et que nous avons égaré en route nos marges de manœuvre. Pour investir, nous devons être capables de nous désendetter et de réduire nos déficits dès maintenant. Voilà l’équation posée par la Cour : c’est, non pas un consentement ni une critique de telle ou telle politique économique, mais l’équation de base que tous les politiques et que tous ceux qui prétendent gouverner ce pays doivent avoir en tête. Car elle s’imposera à eux. Et je préfère que les mesures s’imposent de l’intérieur, grâce à un effort consenti, réfléchi, volontaire et maîtrisé, plutôt que de l’extérieur, en raison d’une dégradation de la situation financière qui finirait par entraîner des sanctions. L’effort, oui ; l’austérité, non.

Vous avez évoqué le cas de la Grèce, Monsieur le président. Je suis bien placé pour en parler, j’étais ministre de l’économie et des finances de 2012 à 2014, puis commissaire européen chargé de ce dossier de 2014 à 2019. Quel est le lien entre la crise et l’austérité ? Certains pensent que l’austérité a créé la crise. Tel n’est pas le cas. Ce pays, que j’ai connu au début des années 2010, n’avait plus accès aux marchés ; il avait des comptes publics falsifiés et une dette insoutenable, son marché du travail était fictif et son système social tellement coûteux qu’il n’était plus tenable. De ce fait, l’austérité a été très forte, même exagérée ; elle a ensuite été corrigée. C’est, non pas l’austérité qui a créé la crise, mais la crise qui est à l’origine de l’austérité. Et si les cicatrices sont encore présentes en Grèce, même si elles sont en train de se résorber grâce à une croissance à 2,3 % et à des créations d’emplois très importantes – c’est pourquoi j’ai cité cet exemple et non pas en pensant aux cures d’austérité –, c’est parce qu’elles proviennent de cette combinaison entre la crise et l’austérité – dans cet ordre.

Arrêtons, j’y insiste, de penser que la Cour est l’instrument des uns contre les autres ; elle n’entre pas dans ce jeu et elle ne fait pas de politique.

J’en viens à vos questions. Pourquoi ai-je expliqué que la nouvelle année noire de 2024 est d’abord imputable au niveau des dépenses, alors que le ratio de dépenses publiques n’a effectivement augmenté que de 0,3 point de PIB ? Il faut distinguer trois composantes : les mesures exceptionnelles de soutien qui ont fortement diminué – elles contribuent à réduire le déficit à hauteur de 0,7 point de PIB ; la charge de la dette, qui a poussé le déficit à la hausse de 0,2 point de PIB ; et le cœur de la dépense publique, qui a augmenté de 2,7 % et contribué à creuser le déficit public à hauteur de 0,8 point de PIB. Et l’absence de maîtrise du cœur de la dépense publique a conduit à creuser le déficit dans des proportions deux fois supérieures à la faible dynamique spontanée des prélèvements obligatoires.

Il ne me viendrait jamais à l’esprit de désigner les collectivités locales comme des coupables. Il faut cependant rappeler les chiffres : oui, l’État a maîtrisé ses dépenses, fût-ce à coups de mesures de gestion qui sont essentiellement conjoncturelles et ne peuvent se produire qu’une fois. Mais la dépense publique totale a augmenté de 1,7 point en volume et le cœur des dépenses de 2,7 % ; si la dynamique des dépenses de l’État a reculé de 0,5 %, les dépenses en matière de protection sociale ont augmenté de 3,3 % et les dépenses locales de 2,7 %. Je ne ferai pas de commentaires sur les raisons de ces hausses. D’ailleurs, plusieurs facteurs sont exogènes aux collectivités locales, notamment l’augmentation du point d’indice. Néanmoins, de facto, ce sont les sphères sociales et locales qui tirent les dépenses vers le haut. Je ne suis pas en train de suggérer l’austérité pour la sécurité sociale ou les collectivités locales ; je dis simplement que si on fait un effort, il faut qu’il soit partagé entre les trois niveaux d’administrations publiques.

C’est vrai, l’ajustement budgétaire de 2025 repose, en solde, quasi exclusivement sur des hausses d’impôt. Le rapport annuel prévoit une réduction du déficit public de 0,4 point de PIB par rapport à 2024, qui s’explique à hauteur de 0,8 point par les 23,5 milliards de hausse de prélèvements obligatoires décidés. En revanche, la dynamique prévue de la dépense publique – 1,1 % en volume –, excéderait celle du PIB, de sorte que le ratio de dette publique et les dépenses publiques augmenteraient. Il n’y a donc pas d’effort global d’économies, alors qu’il y a sans aucun doute une augmentation des impôts. C’est une réflexion que vous devrez avoir au moment de faire les choix pour 2026.

Je maintiens cependant que la maîtrise des déficits et de la dette est un impératif absolu pour la France et pour toutes les forces politiques représentées ici.

M. le président Éric Coquerel. Pour ma part, je maintiens que votre présentation traduit une orientation macroéconomique, que nous sommes en droit de contester – ce n’est pas un problème en soi et je ne vous en tiens pas rigueur.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Pardon de vous interrompre, mais je n’ai pas fait la moindre préconisation en matière de politique économique. Aucune ! À l’exception d’une seule : s’il est envisageable d’augmenter les impôts, il ne faut pas oublier de réduire les dépenses.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Je ne suis qu’un modeste rapporteur général et je n’aurai que cinq modestes questions à vous poser.

Afin de respecter la trajectoire d’évolution du déficit public présentée dans le rapport d’avancement annuel pour 2025, la Cour des comptes calcule un ajustement dès 2026 d’environ 25 milliards d’euros, alors que le Gouvernement évalue cet effort à 40 milliards d’euros, il est vrai par rapport à un tendanciel. Cet écart entre les deux estimations, dont les méthodologies respectives sont décrites dans le rapport, me semble important : sur quel calcul devrions-nous nous fonder en perspective du projet de loi de finances initiale pour 2026 ?

Votre rapport évoque l’impératif d’un « effort structurel portant sur les dépenses de l’ensemble des administrations publiques […] pour conjurer la répétition d’une dérive ». En vous appuyant sur les nombreuses évaluations de politiques publiques conduites par la Cour, quelles sont les principales pistes d’économies structurelles qui permettraient de contribuer à cet effort ?

La Cour des comptes a publié, vendredi dernier, le fascicule 1 de son rapport sur la situation des finances publiques locales en 2024. Elle y confirme la mauvaise santé financière des départements qu’elle qualifie de « dégradée ». Elle rappelle très justement que la composition des recettes des départements est inadaptée à celle de leurs dépenses. Dès lors, que pensez-vous de l’octroi d’une fraction de CSG (contribution sociale généralisée) aux départements qui obtiendraient le droit d’en moduler le taux ? Je précise que ces recettes pilotables devraient être accompagnées d’un mécanisme de péréquation horizontale entre les départements pour éviter des écarts territoriaux importants.

Votre rapport souligne, avec raison, la différence qui existe entre les situations financières de chaque strate. La situation du bloc communal y est présentée comme « favorable », tandis que celle des départements se « dégrade » et celle des régions « s’érode ». Pourtant, les efforts consentis par les collectivités territoriales au sein de la loi de finances pour 2025 n’ont pas fait l’objet de telles distinctions, à l’instar du gel des fractions de TVA qui touche particulièrement les départements et les régions. Que préconise la Cour des comptes pour faire contribuer de manière différenciée les collectivités territoriales à la résorption des déficits publics ?

Enfin, question subsidiaire : pour l’exécution 2025, pensez-vous, en l’état actuel de vos informations, que l’objectif de ramener les déficits publics à 5,4 % du PIB – contre 5,8 % en 2024 – est crédible ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je commencerai par la dernière question, à laquelle j’ai déjà répondu. Je maintiens que cet objectif est atteignable. En juillet 2024, nous savions que nous allions dans le mur et que les recettes avaient largement diminué, même si les dépenses étaient contenues en gestion – sauf pour les collectivités locales – et que la prévision de croissance n’était pas la bonne.

Heureusement, nous ne sommes plus du tout dans cette situation et l’objectif de réduction des déficits est atteignable en 2025. Les risques sont plutôt à la baisse ; ils ne sont pas massifs mais ils existent. La seule question qui se pose, c’est de savoir si l’objectif de ramener le déficit à 5,4 points de PIB sera tenu avec ou sans mesures structurelles. À ce stade de l’année, il est trop tôt pour se prononcer : la prévision de croissance est sans doute un peu optimiste – elle est estimée à 0,7 % par rapport au consensus de 0,6 % –, mais cela reste très modéré ; les prévisions de recettes sont également légèrement surestimées ; enfin, les prévisions de dépenses doivent être documentées. Néanmoins, nous ne sommes pas dans la situation de l’année dernière, où le déficit a connu un dérapage de 1,4 point de PIB, par rapport à ce que vous aviez voté. Nous ne sommes pas dans cet ordre de grandeur. Et de bonnes surprises sont encore possibles, par exemple en matière de croissance. L’exercice de prévision est très compliqué. Mais, je le répète, l’objectif est atteignable – peut-être un peu optimiste avec des risques à la baisse.

En ce qui concerne l’effort structurel et les finances publiques locales, je suis embarrassé : je ne voudrais pas, en vous répondant par des suggestions, donner prise aux critiques du président, infondées selon moi, et laisser penser que je suis en train de faire la politique du Gouvernement à sa place. Tel n’est pas notre rôle et nous ne formulons pas de préconisations particulières. Évidemment, dans les nombreuses évaluations des politiques publiques qui ont été réalisées, des pistes se dégagent. Il n’y a pas si longtemps, j’ai présenté à la commission des affaires sociales un excellent rapport, annexé au rapport sur l’application des lois fiscales (Ralf), consacré à la sécurité sociale. La Cour a démontré comment, sans toucher aux assujettis, il était possible de réaliser 20 milliards d’économies en cinq ans, sur l’assurance maladie. Si vous lisez également nos rapports sur les retraites, vous comprendrez l’impératif d’équilibrer financièrement le système et de respecter une trajectoire qui passe par 6 milliards d’économies d’ici à 2030 – car c’est bien le montant actuel du déficit. Par conséquent, des pistes existent. Il revient au Gouvernement de se saisir du dossier et de prendre des arbitrages et je ne voudrais en rien les préempter.

J’ai présenté, il y a une semaine, le fascicule 1 sur les finances publiques locales, auquel je tiens beaucoup. Ce rapport délivre un message en réalité très contrasté. Tout d’abord, les collectivités locales ne sont pas coupables. Ensuite, elles ont augmenté leurs dépenses parce qu’elles ont dû faire face à des décisions qui leur ont été imposées, telles que la hausse du point d’indice. Enfin, la situation entre les trois blocs est très contrastée. Celle du bloc communal est globalement très favorable, même si certaines communes, les plus petites notamment, sont en grande difficulté. Dans le bloc régional – là encore des différences existent, puisque la situation est un peu moins bonne en Nouvelle-Aquitaine et dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur – les ratios d’endettement sont tenus et restent nettement en dessous des cotes d’alerte de sept ans. En revanche, le seuil d’alerte est atteint pour tous les départements, pour lesquels le ratio est à 6,6. De plus, les situations sont totalement dissymétriques entre départements : certains se portent très bien, quand d’autres sont en grande souffrance, en raison de chocs économiques ou sociaux et d’un affaissement des recettes – je pense notamment aux DMTO, même si ces derniers remontent un peu depuis le début de l’année 2025.

Il est donc vital de prévoir des mécanismes de transfert et de péréquation – vous êtes vous-même conseiller départemental, monsieur le rapporteur général.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Quatorze départements sont concernés.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Tout à fait. Et d’autres le seront aussi, dès l’année prochaine. Si nous ne faisons rien, ils seront devant un choix dramatique, entre cesser de payer les prestations ou entrer dans une situation d’endettement excessif. C’est pourquoi les mécanismes de péréquation sont indispensables pour ces quatorze départements, comme pour beaucoup d’autres, en réalité.

Nous n’avons pas formulé de propositions, parce que nos préconisations figureront dans le fascicule 2 des finances publiques locales, que je présenterai au début du mois d’octobre, c’est-à-dire au moment de vos délibérations sur le budget.

Enfin, vous m’interrogez sur les estimations divergentes entre le Gouvernement et la Cour des comptes puisque le premier parle de 40 milliards d’euros d’économies alors que la seconde avance le chiffre de 25 milliards. Évaluer un effort d’économies suppose de calculer la moindre évolution prévue de la dépense par rapport à une évolution normale de référence. Le Gouvernement – c’est sa méthodologie – calcule les économies prévues par rapport à une évolution tendancielle, à politique inchangée. Cette notion de « tendanciel » est assez difficile à identifier et la méthode du Gouvernement, qui aboutit à 40 milliards d’euros, n’est pas explicite. C’est pourquoi, au moment d’adopter le PLF, les évaluations du Gouvernement et de notre institution différaient ; le Gouvernement parlait même de 60 milliards d’euros d’économies, dont les deux tiers assurés par des réductions de dépenses, tandis que la Cour tablait sur 40 milliards, dont les deux tiers de hausses d’impôt. Pour être franc, je me méfie un peu du tendanciel. La Cour s’en tient à une méthode plus simple, qui est la méthode historique : nous calculons l’effort d’économies sur le cœur de la dépense par rapport à l’évolution moyenne, en volume, des dépenses primaires avant crise, période pendant laquelle des efforts d’économies avaient déjà été produits. Cette méthode permet de mesurer le surcoût d’effort par rapport à ce qui a été réalisé dans un passé récent – les efforts s’accumulent. C’est ce qui nous conduit à estimer le montant des économies nécessaires à 25 milliards d’euros. Nous aurons l’occasion d’y revenir au moment de la présentation du PLF, mais il est vrai que ces chiffres frappent l’opinion – et le tendanciel est une notion assez compliquée à manier.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Chaque année, la Cour des comptes ne cesse de rappeler dans ses rapports, avec constance et gravité, l’impérieuse nécessité de conduire des réformes structurelles d’ampleur pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques. Depuis 2017, cette exigence n’a cessé d’être réaffirmée par votre institution, avec une tonalité de plus en plus alarmante au fil du temps.

Pourtant, force est de constater – et je crois que c’est aussi le constat lucide que dresse la Cour –, qu’aucune véritable réforme structurelle n’a été engagée à ce jour. Les dépenses publiques continuent de croître, les déficits se creusent et l’endettement poursuit sa trajectoire ascendante, sans qu’aucune stratégie cohérente et lisible de redressement n’émerge.

Lors des débats sur le PLF pour l’année 2025, le groupe Rassemblement national avait proposé de nombreuses pistes concrètes de réformes budgétaires. Aucune de ces réformes n’a été reprise par le Gouvernement. Dans un contexte où règne une grande confusion institutionnelle et politique, avez-vous perçu de la part du Gouvernement des signaux clairs, une orientation crédible, voire une volonté réelle d’engager une réforme budgétaire digne de ce nom ? Avez-vous entendu, dans les annonces de l’exécutif, ne serait-ce que les prémices d’une réforme structurelle à la hauteur des enjeux que vous ne cessez de souligner depuis sept ans ?

Au vu de la situation actuelle, quelle est la priorité absolue, selon vous, pour engager enfin la remise en ordre de nos finances publiques ? Enfin, l’Allemagne vient d’annoncer qu’elle entendait lever 850 milliards d’euros de dettes : quelle en sera la répercussion sur les pays de la zone euro et la France en particulier ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je ne peux pas commenter ce que le Gouvernement fait ou fera. Je le découvrirai, comme tout le monde, le 15 ou le16 juillet – j’ai rendez-vous avec le Premier ministre après cette date.

Globalement, peu de réformes structurelles permettant de modifier la nature des dépenses ont été engagées. Si les dépenses de l’État ont été tenues, c’est davantage grâce à des mesures de gestion qui, par définition, ne sont pas reproductibles à l’infini et qui figent certaines politiques publiques.

De la même façon, je me garderai bien de mentionner des priorités pour rétablir les finances publiques, car non seulement je ne commente pas l’action du Gouvernement, mais je ne suis pas là pour l’inspirer – même s’il peut toujours se nourrir de nos rapports.

Le message que je veux faire passer est très ferme : nous ne pouvons pas continuer ainsi. La dynamique de ces dernières années a doublé l’effort nécessaire : celui-ci ne peut plus être différé. Il faut crédibiliser la trajectoire de nos finances publiques dès 2025 et pour les années à venir, et garantir la soutenabilité de la dette publique en partageant les efforts entre tous les niveaux de ladministration. Il revient au Gouvernement et aux parlementaires de mettre tout cela en musique, ainsi en va la démocratie. La Cour des comptes est une vigie : elle fait des constats, qui doivent ensuite être alimentés, nourris, développés par le débat public et politique, auquel elle n’a pas à participer – j’insiste sur ce point.

Concernant les centaines de milliards d’euros que l’Allemagne va pouvoir investir grâce à l’endettement, je ne peux que répéter ce que j’ai expliqué au président de votre commission : ils en ont les moyens, pas nous. Nous avons perdu le peu de marges de manœuvre que nous avons eues. Notre dette s’élèvera déjà à 3 500 milliards fin 2025, ce qui représente 114 points de PIB : nous ne pouvons pas y ajouter 850 milliards, ni même la moitié. La dette allemande ne représente que 65 points de PIB et leur déficit est quasi-nul, alors que le nôtre s’élève à 5,8 % du PIB : ces marges de manœuvre leur permettent d’augmenter leur déficit, alors que nous devons impérativement réduire le nôtre.

Nos économies respectives étant fortement intégrées, leur décision aura sans doute des effets plutôt positifs sur nos taux d’intérêt. Les spreads c’est-à-dire l’écart entre les taux d’intérêt français et allemand –, qui avaient beaucoup augmenté, se sont stabilisés : les émissions de dette allemandes, déjà importantes et qui ont vocation à se poursuivre, ont d’une certaine manière allégé la pression qui repose sur les autres pays à court terme. Je note tout de même que notre taux d’intérêt reste très éloigné de celui de l’Allemagne et se rapproche de celui de l’Italie ; les autres grandes économies de la zone euro ont un taux inférieur au nôtre. Je le répète, nous n’avons pas les moyens de faire comme l’Allemagne. Peut-être pourrions-nous essayer de convaincre nos partenaires européens de mutualiser partiellement la dette, mais encore faudrait-il commencer par montrer qu’on fait ce qu’il faut pour la réduire.

M. David Amiel (EPR). Je vous remercie pour cet exposé très clair. Comme le montre votre rapport, la hausse des dépenses en 2024 a été largement tirée par les dépenses sociales et locales. Ce constat doit guider nos choix pour le PLF 2026 et les suivants : d’importantes économies seront nécessaires pour réduire le déficit, mais les arbitrages devront tenir compte de leurs conséquences sur l’activité, a fortiori si l’objectif est de retrouver un excédent primaire d’un peu plus de 1 % – c’est le chiffre que vous avez avancé.

Les économistes de l’institut des politiques macroéconomiques et internationales de l’École d’économie de Paris estiment que concentrer l’effort d’économies sur la réforme de l’assurance chômage, de nature à inciter la reprise d’emploi, et, au vu du taux d’épargne des retraités, sur les règles d’indexation des retraites serait la solution la moins défavorable pour l’activité. Qu’en pense la Cour des comptes ? Plus généralement, avez-vous identifié les pistes de réduction des dépenses qui auraient l’effet le moins négatif sur l’activité à court terme ?

Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt pèse lourdement sur l’économie française. Sait-on quelle part de cette augmentation doit respectivement à l’instabilité politique – censure, menace de censure –, au niveau du déficit et aux conséquences attendues des futures réformes sur l’activité économique ?

Enfin, vous avez dessiné un objectif de moyen terme très ambitieux – et tout à fait souhaitable – en matière d’excédent primaire, qui se rapproche d’ailleurs des travaux du Conseil d’analyse économique. Sans entrer dans le détail des politiques publiques qu’il faudrait déployer, avez-vous identifié les grands leviers pour l’atteindre ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Il ne nous appartient pas de commenter les travaux de l’École d’économie de Paris, et même si je parle depuis longtemps avec des économistes, je n’en ai d’ailleurs moi-même pas les compétences. D’après nos rapports sur les retraites, plusieurs leviers sont mobilisables : l’âge légal de départ, la durée et le montant des cotisations, et l’indexation des retraites – totale ou partielle. Le rapport montre également que les effets sur l’emploi diffèrent beaucoup selon les catégories. Il n’y a pas de faits indiscutables, tout est affaire de choix politiques et de préférences collectives : c’est le débat qui vous attend. Nous avons souligné que, pour des raisons à la fois conjoncturelles et structurelles, la croissance de la dépense ces dernières années était tirée bien davantage par les dépenses locales et sociales – principalement celles liées au vieillissement et aux prestations sociales – que par les dépenses de l’État. À l’inverse d’autres pays, dont l’augmentation des dépenses a financé des investissements d’avenir, la France a essentiellement développé des transferts. C’est un simple constat, et je n’en tire aucune conclusion politique : cela vous revient.

Concernant les spreads, je ne suis pas un économiste de marché, mais je les ai suffisamment fréquentés pour savoir que notre taux d’intérêt dépendra de la situation de nos finances publiques, de l’état de notre marché – très liquide –, de la qualité de notre dette et de la solidité de notre appartenance à la zone euro, c’est-à-dire le respect de nos engagements envers les autres – en somme, la stabilité politique et la crédibilité de la parole publique. Tout cela explique que nos taux d’intérêt ne soient ni particulièrement bas, ni particulièrement élevés. Même s’ils se dégradent un peu et qu’ils restent plus importants que ceux d’autres pays, ils restent plus bas que ceux qui s’appliqueraient si seule la qualité des finances publiques comptait. Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que les choix que nous ferons collectivement pour 2026, chacun pour ce qui nous concerne, seront très importants à cet égard. Notre placement sous une perspective négative par les agences de notation et la suspension – car ce n’est qu’une suspension – de la procédure pour déficit excessif par la Commission européenne ne sont pas des satisfecit, mais une attente. C’est, en tout cas, ma lecture intuitive de la situation.

Quant aux leviers à mobiliser pour ramener le déficit sous la barre des 3 %, c’est, là encore, une décision qui vous revient. Dans notre rapport, nous soulignons simplement que contrairement à d’autres pays, la France a connu une dérive du déficit primaire, c’est-à-dire hors charge de la dette. C’est inédit. Par exemple, l’Italie, dont la dette est substantiellement plus élevée que la nôtre, présente un excédent primaire qui la rend aussi plus soutenable. La soutenabilité dépend aussi de qui détient la dette : en Italie et au Japon, ce sont les nationaux ; en France, c’est plus diffus, ce qui est confortable mais nous rend aussi plus vulnérables, car son coût dépendra d’investisseurs extérieurs. C’est pour cela que nous préconisons de retrouver un excédent primaire, même si le chemin sera compliqué et exigeant. La Cour des comptes ne détient ni le pouvoir exécutif ni le pouvoir législatif, elle ne prétend jamais détenir une vérité révélée : elle vous présente des faits, des chiffres, facts and figures, à vous ensuite de faire des choix politiques.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Nous sommes au bord du gouffre et nous avons l’impression que la Macronie est bien décidée à y plonger le pays tout entier. Les années 2023 et 2024 ont entraîné la France dans le chaos budgétaire – même la Cour des comptes parle d’années noires. Nous avions prévenu que ça allait recommencer, mais visiblement, nos alertes n’ont pas été suffisantes : le Gouvernement aime la constance dans l’échec, et le budget 2025 signe 33 milliards d’euros de saignées supplémentaires. Nous avions prévenu que cela détruirait la croissance, que les recettes ne suivraient pas, et que le Gouvernement viendrait ensuite nous expliquer pourquoi il fallait encore plus d’austérité – les économistes estimaient alors qu’elle coûterait au moins 0,4 point de croissance. Nous y sommes. Ils n’ont écouté personne et ont construit le budget à partir d’une hypothèse de croissance de 1,1 % – une prévision qui, de l’aveu même de la Cour des comptes, manquait de prudence. Et de fait, la croissance atteint seulement 0,6 % et nous manquons de recettes. En décidant de s’appuyer de plus en plus sur la TVA, les macronistes font payer aux plus pauvres l’addition de tous les cadeaux qu’ils ont accordés aux plus riches. Mais les pauvres s’appauvrissent, consomment moins, et les recettes issues de la TVA sont déjà inférieures de 1,3 milliard à l’objectif.

Et ce n’est pas terminé, car ils vont encore recommencer ! Dans son rapport, la Cour des comptes souligne que « le scénario pluriannuel de croissance du Gouvernement demeure toutefois encore optimiste ». Une fois de plus, la croissance sera surestimée et l’austérité renforcée, ce qui fera chuter un peu plus la croissance, donc les recettes… C’est le cercle vicieux de l’austérité illimitée.

On devait être sauvé par la contribution sur les hauts revenus. Là encore, nous avions prévenu que c’était un gadget, un écran de fumée qui serait d’autant plus facile à contourner que le dispositif est temporaire. Cette contribution devait rapporter 2 milliards d’euros : si on en tire 1 milliard d’euros, ce sera déjà énorme. Et à la fin, qui paye pour éponger les erreurs gouvernementales, qui ont déjà entraîné 8 milliards d’économies supplémentaires ?

Selon vous, est-il possible que le niveau de déficit visé ne soit encore pas atteint cette année, poussant le Gouvernement à décider de nouvelles coupes budgétaires – seule solution à laquelle il consent recourir – d’ici à la fin de l’année 2025 ? Les coupes intervenues en cours d’année résultent-elles de mauvaises prévisions de croissance et de recettes – ce qui accréditerait la thèse d’un budget peu sincère ? Enfin, sachant que la part des recettes dans le PIB est passée de 45 % à 42 % entre 2017 et 2024 – soit une perte de 75 milliards  d’euros–, vous semble-t-il raisonnable d’imposer l’an prochain une nouvelle cure d’austérité de 40 milliards d’euros sans même prévoir de hausse d’impôts ciblée sur les plus riches ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je ne me prononcerai pas sur vos commentaires politiques. En revanche, je veux revenir sur la notion d’austérité. Qui ici peut penser que la France est dans une politique d’austérité ? J’invite chacun à lire le rapport : les dépenses publiques, qui s’élevaient à 1 589 milliards d’euros en 2023, sont passées à 1 650 milliards en 2024 et devraient atteindre 1 693 milliards en 2025, soit une hausse de 43 milliards – 1,1 point de PIB en volume. Point d’austérité là-dedans. D’ailleurs, les dépenses publiques, qui représentaient déjà 56,2 points de PIB en 2023 – c’est considérable – sont passées à 56,5 en 2024 et atteindront 56,8 en 2025. Je maintiens que c’est plutôt du côté des recettes que d’éventuelles améliorations sont à chercher.

Comme je l’ai dit au rapporteur général, je pense que la cible de 2025 est atteignable, même s’il existe des risques : s’ils venaient à se matérialiser, il reviendrait au Gouvernement de proposer des mesures, et à vous de les examiner. Tout ce que je peux dire, c’est que l’austérité se caractérise par le non-versement des prestations et des coupes budgétaires extraordinairement massives : ce n’est pas le cas en 2025, et ce ne devrait pas être le cas en 2026 malgré les 40 milliards d’euros d’économies annoncées – d’autant que ce sont en réalité 25 milliards d’euros si on raisonne en volume. Ne confondons pas effort et austérité, ce sont deux notions bien différentes.

M. le président Éric Coquerel. C’est très subjectif. Je rappelle que les dépenses publiques atteignaient 57,7 % du PIB en 2017.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Une diminution de 1 point en huit ans ne caractérise pas une crise d’austérité.

M. le président Éric Coquerel. Il faut raisonner en tendanciel.

M. Christian Baptiste (SOC). Votre rapport souligne une vérité implacable : la France connaît une dérive budgétaire, non pas du fait de chocs exogènes ou d’un accident imprévisible, mais en raison d’une absence assumée de cap et d’une incapacité persistante à faire des choix lisibles, assumés, cohérents.

Nous partageons votre diagnostic : la trajectoire pluriannuelle des finances publiques n’est ni crédible, ni transparente, ni soutenable.

Votre rapport souligne qu’« au-delà d’hypothèses de croissance encore optimistes, aucune précision n’est donnée sur la nature des efforts sous-jacents, ni même sur leur répartition entre économies et hausses d’impôts. Ce silence sur les choix budgétaires et fiscaux qui sous-tendent la trajectoire pluriannuelle, y compris dès 2026, devra nécessairement être levé dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2026. » Alors que les travaux de la commission d’enquête sur les écarts de prévisions budgétaires s’achèvent à peine, comment expliquez-vous que même la Cour des comptes ne puisse pas accéder aux hypothèses de travail du Gouvernement ?

D’après le tableau n° 13, huit institutions, dont l’Insee et le FMI, anticipent une croissance de 0,5 % ou 0,6 % en 2025. Le Gouvernement, lui, reste campé sur une prévision de 0,7 %. En tant que parlementaires, avons-nous une bonne raison de retenir cette hypothèse isolée plutôt que le consensus ?

Enfin, une large part du rapport et de sa synthèse introductive font état d’un dérapage de la dépense publique exprimée en PIB. Si nous souscrivons à la nécessité de rendre la dépense publique plus efficace, il nous semble important de replacer cette tendance dans une perspective temporelle plus longue : la dépense publique s’élevait déjà à 56,8 % de PIB en 2014, contre 56,7 % l’an passé selon l’Insee. Comment réconcilier le temps court du redressement budgétaire et le temps long du désinvestissement public ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. J’ai lu avec attention les résultats des travaux de votre commission constituée en commission d’enquête, et je n’ai pas eu le sentiment qu’ils étaient totalement consensuels. Je me suis entretenu avec les différentes parties, certains ont formulé des propositions qui me semblaient bienvenues. Il faut davantage de transparence, mais aussi de temps pour mener les travaux. Dans cette logique, le Haut Conseil me semble un bon allié pour éclairer vos débats, et je vais inviter le rapporteur général et Mathieu Lefèvre à assister à une conférence consacrée au renforcement du son rôle. Encore une fois, le débat est devant nous, et la décision relève du champ politique.

Vous avez sous-entendu que le Gouvernement nous cacherait ses hypothèses de travail : je ne suis pas sûr qu’il y en ait ; rien n’est vraiment très détaillé. Après avoir estimé la croissance à 1,1 %, puis 0,9 %, le Gouvernement table désormais sur 0,7 %, alors que le consensus l’estime plutôt à 0,6 %, quand certains économistes privés très fiables la situent plutôt entre 0,3 % et 0,5 %. À ce stade, les écarts de prévision ne sont pas significatifs – on est dans l’épaisseur du trait –, ce qui me conduit à juger que l’objectif est atteignable malgré un risque de révision à la baisse. En tout cas, il ne me paraît pas irréaliste, comme ça a pu être le cas par le passé lorsque le Gouvernement se fondait sur une croissance de 1,4 % alors que le consensus tournait autour de 0,8 % – et même alors, je n’ai pas parlé d’insincérité. Aujourd’hui, le Gouvernement n’a aucune raison de dégrader sa prévision. En revanche, il doit s’y préparer, au cas où des facteurs objectifs consolidés le lui imposaient : il ne faut pas se trimballer une prévision de croissance erronée.

Enfin, concernant l’investissement, la Cour n’est pas du tout dans une logique d’austérité. Mais si nous voulons investir dans la transition écologique – nous avons constaté ces derniers jours encore combien c’était nécessaire –, dans la défense – je ne commenterai pas les chiffres de l’Otan, mais nous devrons consentir un effort considérable pour y consacrer ne serait-ce que 3 % de notre PIB –, nous devons retrouver des marges de manœuvre et donc nous désendetter.

Monsieur le président, je ne voudrais pas ouvrir une bataille de chiffres mais après vérification, la dépense publique s’élevait à 55,9 % en 2017, 54,6 % en 2019 et 56,5 % en 2024. Il y a donc bien une légère augmentation, qui devrait se poursuivre. D’austérité, point.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Monsieur le premier président, vous avez expliqué que pour rendre la dette soutenable, il fallait renouer durablement avec un solde primaire positif : démonstration implacable d’un objectif que nous ne pouvons que partager. Permettez néanmoins que nous interrogions les raisons qui nous ont conduites à la situation actuelle.

Prévoir d’économiser 40 milliards d’euros en une année, c’est risqué : compte tenu du fort effet multiplicateur des coupes budgétaires, cela peut entraîner une importante récession. C’est économiquement risqué, mais aussi socialement dévastateur : réduire brutalement les dépenses publiques, c’est fermer des lits d’hôpitaux, repousser des chantiers de rénovation thermique, geler les recrutements de profs, freiner les investissements en faveur de la recherche, des transports et des mobilités décarbonées malgré les besoins de régénération du rail et de développement des mobilités du quotidien – je pense notamment aux Serm (services express régionaux métropolitains).

Vous avez déclaré : « Il faut surtout faire preuve […] de pédagogie […] pour faire comprendre la nécessité d’un effort partagé ». Puisqu’un effort est nécessaire, pourquoi ne pas envisager de rééquilibrer autrement le budget, par exemple en mobilisant des recettes nouvelles et pérennes grâce à des hausses d’impôts ciblées sur les plus riches, ou en explorant d’autres pistes de réduction des dépenses ? Car il en existe bel et bien : par exemple, était-il pertinent de consacrer 26 milliards à la liaison ferroviaire Lyon-Turin ? Je cite le chiffre avancé en 2012 par la Cour, qui n’a pas été réévalué depuis.

La fiscalité peut être un levier efficace pour réduire le déficit, et même un levier de justice fiscale lorsqu’elle cible les plus aisés : pourquoi l’équilibre budgétaire devrait-il toujours se faire au détriment des dépenses d’avenir alors que ce sont justement des filets de protection pour demain ? Je rappelle que l’inaction climatique pourrait coûter jusqu’à 22 % du PIB mondial d’ici 2100.

Enfin, pourquoi resserrer l’étau sur les collectivités, notamment les départements, qui sont en première ligne pour financer l’adaptation des territoires aux conséquences du changement climatique ?

La Cour s’est contentée de plaider pour une réduction des dépenses. Pourquoi n’a-t-elle pas fait preuve de créativité et envisagé des pistes de recettes supplémentaires ? Vous allez renvoyer à notre responsabilité de politiques, mais j’aurais aimé que vous exploriez cette voie.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. J’adore la politique ; j’ai été des vôtres. Mais aussi frustrant que cela puisse être à titre personnel, mon rôle, en tant que Premier président de la Cour des comptes, n’est pas de faire de la politique.

Vous savez, la Cour verse plus dans la documentation que dans la créativité. Institution à la fonction éminente prévue par la Constitution, elle n’est ni un pouvoir, ni un contre-pouvoir : son rôle est d’informer le citoyen et d’éclairer le débat public, sans le biaiser ni l’orienter – j’insiste vraiment sur ce point.

Vous avez beaucoup parlé du réchauffement climatique et de l’impératif écologique : soyez assurée que la Cour des comptes y est très attachée, à telle enseigne qu’elle présentera pour la première fois, en septembre, un rapport annuel consacré à la transition écologique – l’impératif d’investissement écologique a d’ailleurs fait l’objet d’un chapitre dans le RSPFP de l’an dernier. Vous ne trouverez pas de négationnisme écologique chez nous : au contraire, nous essayons d’éclairer le débat sur ce sujet.

Par ailleurs, la Cour n’est pas dans une logique conservatrice ou réactionnaire. Nous disons qu’il faut nous désendetter, non pas pour le plaisir de serrer le kiki à tout le monde, mais pour retrouver des marges de manœuvre afin de financer les investissements indispensables. La transition écologique nécessite des centaines de milliards d’euros d’investissement : le niveau actuel de la dette ne nous le permet pas. Si nous ne réduisons pas notre dette financière, nous ne réduirons pas notre dette écologique. Il faut nous désendetter pour préparer l’avenir. D’autres, comme les Allemands, le font aussi. Le problème, c’est que notre dette n’a pas servi à financer les dépenses d’avenir, mais à développer des transferts : c’est un constat, à vous d’en tirer des leçons.

J’en viens à l’effort. Vous avez raison, en réalité, celui-ci se mesure au solde primaire. Le Gouvernement parle de 40 milliards d’euros car il raisonne par rapport au tendanciel ; nous l’estimons plutôt à 25 milliards. En tout état de cause, il y a plusieurs manières de réduire un déficit.

La première, c’est de créer de la croissance. C’est évidemment souhaitable, mais force est de constater que la croissance française n’est pas devenue un tigre asiatique, tant s’en faut : elle est même légèrement inférieure à la moyenne de la zone euro cette année. Nous avons amélioré certains facteurs de compétitivité et d’attractivité, mais nous ne pouvons pas compter sur une croissance massive pour réduire le déficit.

La deuxième, c’est d’augmenter les impôts.

La troisième, c’est de réduire les dépenses. J’ai bien dit que le débat fiscal ne pouvait pas être évacué, que, dans une démocratie, on n’avait pas le droit de ne pas parler de fiscalité – faites-moi la faveur de le reconnaître, car je fais toujours attention à ce que je dis. C’est ici que Joseph Caillaux a présenté le débat sur l’imposition du revenu – c’était avant la première guerre mondiale ; c’est ici qu’a été discutée, dans un sens comme dans l’autre, la fiscalité des fortunes. Parler de fiscalité, c’est ce qui fait la noblesse de la politique. En tout état de cause, compte tenu du niveau des prélèvements obligatoires, nous estimons que nos marges de manœuvre sont relativement limitées et que l’effort d’économies est plutôt à chercher du côté des dépenses, d’autant qu’elles ont augmenté davantage que les recettes.

Notre métier, c’est d’évaluer la gestion de l’argent public – donc les dépenses –, nous avons moins d’expertise concernant les recettes, même si les rapports du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) – trop peu considérés hélas –, qui vous sont tout autant destinés que ceux de la Cour, pourraient éclairer utilement vos débats sur ce sujet. Si l’un d’eux retient votre attention, je serai heureux de changer de casquette pour venir vous le présenter, ce que j’ai trop peu l’occasion de faire.

M. le président Éric Coquerel. Je précise que tous les chiffres sur la part des dépenses dans le PIB avancés tout à l’heure sont justes : seulement, les miens, contrairement aux vôtres, tiennent compte des crédits d’impôts.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Notre groupe partage le diagnostic – j’insiste sur ce terme – que votre institution établit de la situation et des perspectives des finances publiques. Le moment est en effet crucial si nous voulons que notre pays puisse continuer à maîtriser son destin. La dynamique d’endettement actuelle place la France dans une situation de grande vulnérabilité, si bien que le temps est venu d’envisager les actions à mettre en œuvre en 2025 et 2026 pour nous permettre de retrouver la voie d’un redressement durable de nos finances publiques.

S’agissant de l’exécution 2025, vous indiquez que la réduction prévue du déficit public repose exclusivement sur des hausses d’impôt de plus de 20 milliards d’euros, dont près de la moitié sont annoncées comme temporaires et au produit incertain. Je vous rejoins sur ce dernier point. Ainsi, les contribuables assujettis à la contribution différentielle sur les hauts revenus peuvent tout simplement choisir de différer d’un an le versement des dividendes, afin de les percevoir lorsque cet impôt exceptionnel n’existera plus.

Sur ces 20 milliards, quelle somme sera effectivement perçue d’ici à la fin de l’année ? Question subsidiaire : avez-vous calculé le coût de la censure, lié à l’absence de rétroactivité du projet de loi de finances de 2025 sur les revenus de 2024 ? Que pensez-vous des contributions temporaires, compte tenu des risques d’évitement fiscal qu’elles présentent ?

Enfin, vous soulignez que, depuis plus de deux décennies, la dynamique de l’endettement a été nourrie par l’accumulation des déficits primaires. Pouvons-nous, pour les réduire, nous inspirer de ce qu’ont fait nos voisins ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. On va m’accuser de faire de la politique, mais je suis obligé de reprendre certains des mots que vous avez employés. Lorsque vous évoquez notre vulnérabilité ou la nécessité de reprendre la maîtrise de notre destin, je ne peux qu’être d’accord avec vous. Vous appelez, à juste titre, à agir en 2025 et 2026. Je peux comprendre pourquoi vous vous limitez à ces deux années, mais j’irai, pour ma part, jusqu’à 2029, chaque année correspondant à une marche qui devra être franchie.

Nous ignorons, à cette date, le montant des sommes qui seront effectivement perçues, mais nous pensons pouvoir écarter le risque que la situation de l’an dernier se reproduise. L’impact des mesures fiscales était estimé à 23,5 milliards en 2025, dont près de 10 milliards au titre, d’une part, de la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises, dont le caractère temporaire a été confirmé, d’autre part, de la contribution différentielle sur les hauts revenus, dont la prévision a déjà été abaissée. Par ce type de mesures temporaires, on s’expose à un risque d’évitement ou d’optimisation. C’est la raison pour laquelle je préfère toujours, en dépenses comme en recettes, des mesures plus structurelles. Mais c’est à vous d’en discuter.

Quant au coût de la dissolution, je ne peux en aucun cas le connaître. Je constate cependant que le budget qui vous a été soumis en octobre 2024 tendait à ramener le déficit à 5 % et que l’objectif fixé par celui qui a été adopté est de 5,4 %. La différence ne correspond pas au coût de la censure, mais elle est sans aucun doute une des conséquences de l’étirement du temps politique au-delà de la fin de l’année. Pour le reste, tout cela est à crédibiliser très fortement.

M. le président Éric Coquerel. Je rappelle tout de même que la loi spéciale a permis d’économiser 6 milliards d’euros.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. J’ai lu différents articles sur le coût de la censure, qui ne fait pas l’objet de nos travaux. Je constate simplement que la situation n’était pas la même avant et après la censure.

M. Michel Castellani (LIOT). Pour qu’il y ait une dette, il faut des prêteurs. Or on ne parle jamais de ces gens très discrets et très frileux qui, dès que les choses semblent se gâter, font augmenter les taux d’intérêt. Il me semble malsain que la dette publique fasse l’objet de spéculations et soit source de profits.

En matière d’économie, il n’y a pas de baguette magique. Or la situation est à ce point dégradée que je vois mal comment les choses pourraient s’améliorer si le taux de croissance est inférieur à 1,5 %.

Enfin, vous tirez la sonnette d’alarme aussi bien que possible, mais il y a huit ans que je suis membre de cette commission et que j’entends cette alarme. Je sais que, compte tenu de votre rôle, il vous sera difficile de me répondre mais croyez-vous qu’une politique, quelle qu’elle soit – keynésienne, libérale… –, puisse offrir réellement une porte de sortie ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Il n’y a pas de recette magique. Nous constatons que nous sommes dans une situation très difficile, et l’équation est très complexe. Notre déficit est le plus élevé et notre dette publique l’une des plus élevées de la zone euro – qui plus est, elle est très dynamique alors que les autres pays ont inversé la tendance –, la charge de notre dette est massive et les courbes se prolongeront.

La boule de neige roule déjà sur la pente. Pour l’arrêter, il faudrait – disais-je pour souligner l’absurdité de la situation, car ce n’est pas possible avant longtemps – que le taux de croissance atteigne 2,4 %. La dette publique et la charge de la dette vont donc continuer de croître dans les années à venir, jusqu’au jour où cette dernière deviendra – probablement d’ici à la fin de la législature – le premier budget de l’État.

Nous en sommes là ! Je m’efforce, non pas de lancer l’alerte, mais d’éveiller les consciences. Au demeurant, les Français savent – les sondages en attestent – que la dette publique est un problème majeur car ils savent que l’on ne peut pas faire de bonnes politiques publiques, quelles que soient les préférences de chacun, sans de bonnes finances publiques. Il est donc impératif que nous en reprenions le contrôle.

Encore une fois, il n’y a pas de recette magique. Vous aurez, en 2026, des débats très complexes ; il faudra trouver un chemin. Existe-t-il une porte de sortie ? Oui. La France demeure une grande économie de marché. Elle est moins affectée que ses partenaires par le choc démographique. Elle a de magnifiques entreprises, des ressources humaines extraordinaires et un marché financier liquide et tendu. Elle est un des leaders de la zone euro et la gestion de sa dette est bonne. Il n’y a donc pas de raison que nous n’y arrivions pas.

Mais l’exigence politique, si je peux me permettre cette appréciation, est très forte. Nous avons le devoir d’agir d’ici à la fin 2027, et après. C’est l’un des grands enjeux que la France ne peut pas éviter, sinon le grand enjeu, car je ne vois pas ce que nous pourrons faire, quelles que soient les préférences idéologiques des uns et des autres, si nous ne reprenons pas le contrôle de nos finances publiques.

M. le président Éric Coquerel. Vous n’acceptez pas le terme d’austérité, mais vous admettrez que depuis 2017, les gouvernements successifs mènent une politique de l’offre, dont on peut dresser le bilan. Or une politique de relance pourrait tout aussi bien – par la fiscalité, les cotisations, le travail – contribuer à réduire les déficits. Des grands choix politiques sont faits. Or, celui-là, on ne l’a pas essayé.

M. Emmanuel Maurel (GDR). Même s’il s’occupe de facts and figures, le premier président de la Cour des comptes a gardé le goût du débat politique.

Il me semble que la situation pourrait être présentée d’une manière un peu moins alarmante. Ainsi, parmi les fondamentaux du marché de la dette française, la balance des paiements s’est beaucoup améliorée : elle est de – 8 milliards, soit à peine 0,2 % du PIB alors que celle de la Grèce, par exemple, représentait 10 % du PIB lors de la crise de la dette. Par ailleurs, je me demande si le fait que notre dette soit détenue, à hauteur de 23 % ou 24 %, par la Banque de France depuis les rachats de titres par la Banque centrale européenne ne devrait pas nous amener à relativiser la question du ratio.

On a comparé notre situation à celle de l’Italie. Mais je rappelle que, dans le cadre du plan de relance européen de 2020, cette dernière a bénéficié de 194 milliards de prêts et de dons et l’Espagne a reçu 160 milliards. La France n’a pas suivi le même chemin. Ce fait ne rend-il pas ce type de comparaisons problématique ?

Deuxièmement, Si l’on en restait au niveau de prélèvements obligatoires qui existait sous la présidence Hollande, le déficit primaire n’atteindrait même pas 1 % ; nous approcherions alors la situation idéale que vous avez décrite. Dès lors, ne sont-ce pas les largesses fiscales pratiquées depuis 2017 qui expliquent en grande partie l’état préoccupant dans lequel nous nous trouvons ?

Troisièmement, vous insistez beaucoup, dans le rapport sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale, sur les 10 milliards que coûte l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation ou le doublement du montant des indemnités journalières, mais le nonremboursement intégral des exonérations de cotisations patronales coûte 9 milliards. Ne pourrait-on pas présenter les choses différemment ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Je connais votre goût pour les idées et les concepts. La Cour des comptes ne prétend pas détenir la vérité révélée. Nos rapports sont des contributions au débat public, forcément fondées sur une lecture des faits et des chiffres, elle-même soumise à la réfutation des intellectuels, des économistes et des politiques que vous êtes. Nous pourrions, à partir de nos constats, présenter différentes solutions ou modifier légèrement la tonalité de notre présentation. Mais ce que nous disons est assez robuste.

Les contributions de la Banque centrale européenne existent. Mais ce que je souligne, ce n’est pas seulement le niveau de la dette, c’est aussi sa dynamique, donc son coût. Ce qui me préoccupe, c’est que notre dette augmente continûment quand celles des autres pays évoluent dans un sens inverse et que la charge de la dette a plus que doublé depuis 2020 et aura probablement quadruplé d’ici à la fin de la décennie. Le jour où elle atteindra 100 milliards et aura donc dépassé largement le budget de l’éducation et celui de la défense, comment pourrons-nous affirmer sérieusement que nous allons investir dans l’avenir ?

Quant au plan de relance européen, vous avez raison : l’Italie a perçu environ 200 milliards d’euros. Mais la France a reçu 30 milliards, de sorte qu’elle est tout de même le troisième bénéficiaire de ce plan, même si elle est loin derrière l’Italie et l’Espagne. Il s’agit, je le rappelle, d’un plan de solidarité, qui devait, à ce titre, être financé par un emprunt mutualisé – ce que d’aucuns demandaient depuis fort longtemps – et fléché vers les pays qui avaient le plus de difficultés économiques, ce qui n’était pas le cas de la France.

Sur les choix qui ont été faits depuis 2017, ou auparavant, je n’ai pas de commentaires à faire. Je ne fais que constater la dégradation des finances publiques. La crise du covid exigeait probablement une forme de « quoi qu’il en coûte », dès lors que des vies étaient menacées, que les entreprises avaient besoin d’aide et que la protection sociale devait être maintenue. Mais par la suite, des choix ont été faits – le bouclier énergétique, le bouclier anti-inflation – que la Cour des comptes a jugés plus discutables. En effet, était-il bien légitime que le Trésor public, donc le contribuable, finance ces mesures ?

En tout cas, les autres pays n’ont pas fait ce choix, qui a contribué, selon nos analyses, à dégrader le déficit public. On peut, il est vrai, argumenter qu’il s’agissait, à chaque fois, de remédier à une crise. Mais les années 2023 et 2024 ont été les pires pour les finances publiques alors qu’aucune crise n’est intervenue. Au cours de ces deux années, l’effort requis a doublé, et c’est cela que nous avons à écoper au cours des cinq prochaines années. Chacun peut avoir sa lecture des choses, mais force est de constater que cette donnée complique l’équation.

M. le président Éric Coquerel. La parole est à M. Stéphane Vojetta.

M. Stéphane Vojetta (EPR). Pour que les objectifs de déficit pour 2025 soient crédibles, il faut que la capacité du Gouvernement et du Parlement à piloter le budget de la France le soit également. À ce propos, j’ai lu une note de l’Institut des politiques publiques (IPP), intitulée : « Retraites des fonctionnaires d’État : faut-il changer la convention comptable ? », dans laquelle on peut lire notamment : « Il est peu pertinent de comptabiliser les surcotisations patronales de l’État dans le solde financier lorsque l’indicateur de solde considéré est destiné à prendre des décisions dans le cadre du pilotage des régimes. En tenir compte conduirait en effet à constater que le système est toujours à l’équilibre et qu’il n’y aurait donc rien à faire pour assurer sa soutenabilité. »

Même si les pilotes sont réputés excellents, monterions-nous dans un avion dont l’altimètre est défectueux ou dont la jauge de carburant indique constamment que le réservoir est plein ? Probablement pas. Cette note devrait-elle convaincre le Gouvernement de modifier la convention comptable ? La Cour des comptes recommanderait-elle une telle modification ?

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Cette note, que je n’ai pas lue mais qui n’a pas échappé à l’attention de mes collaborateurs, est une contribution très utile au débat. Je vais donc m’empresser de la lire, car on m’a dit qu’elle était très intéressante et de grande qualité.

Ses auteurs montrent qu’il n’y a pas de déficits cachés ; ils évoquent l’application d’une convention comptable. Dans son rapport de février, la Cour a bien mis en évidence la complexité de la comptabilisation de la contribution de l’État au régime de retraite des fonctionnaires civils et militaires. Les chiffres qui sont en cause – l’écart de 45 milliards d’euros – sont présentés dans le premier rapport que j’ai adressé au Premier ministre. Mais elle a appliqué – et ce peut être source de malentendus – la convention comptable qui découle des textes adoptés par le Parlement. Ces chercheurs proposent une convention comptable alternative que je crois intéressante et que nous allons examiner.

Dans un rapport de 2016 sur les pensions de retraite des fonctionnaires de l’État, la Cour avait recommandé de créer une caisse de retraite spécifique afin d’améliorer la transparence financière du régime et de mieux identifier les dépenses non contributives pour leur affecter des financements spécifiques. Sa programmation est secrète, mais il serait pertinent qu’elle se penche à nouveau sur la question des retraites des fonctionnaires de l’État, qui fait l’objet d’un débat passionné – parfois un peu trop, à mon sens.

Quant à la réestimation des dépenses publiques que proposent les chercheurs, la Cour est tenue, dans ses travaux sur l’exécution du budget de l’État, par les textes organiques adoptés par votre assemblée. Elle présente donc les résultats budgétaires en appliquant les règles fixées par la loi organique relative aux lois de finances. Il vous appartient, éventuellement, de les modifier. Il faut assainir ce débat, en comparant ce qui est comparable. Si vous voulez que les conventions comptables, donc nos rapports, soient modifiées, faites-le.

M. le président Éric Coquerel. Merci monsieur le Premier président.

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mercredi 2 juillet 2025 à 17 heures

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Didier Berger, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Aurélien Le Coq, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Emmanuel Maurel, M. Nicolas Ray

 

Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Alexandre Sabatou, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou, M. Éric Woerth

 

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Paul Mattei, Mme Sophie Mette, M. Stéphane Vojetta