Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition de M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique 2

  Présence en réunion................................25


Mardi
8 juillet 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 137

session extraordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La Commission entend M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

M. le président Éric Coquerel. Je tiens d’abord à rendre hommage à Olivier Marleix, auquel nous étions tous attachés. J’adresse mes condoléances à ses proches et à sa famille, ainsi qu’à ses collègues du groupe Droite républicaine.

L’imposition des dividendes à la source pour les non-résidents est l’objet de l’article 96 de la loi de finances pour 2025, dont la rédaction adoptée en commission mixte paritaire (CMP) était destinée à compléter le dispositif anti-abus que le législateur avait précédemment instauré. La manière dont le Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) en a tiré les conséquences en commentant la nouvelle mesure pose question. On sait que le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Jean-François Husson, a effectué un contrôle sur place à la suite duquel il a regretté cette adaptation et mis en cause la Fédération bancaire française (FBF), que nous auditionnerons ensuite. Il m’a donc semblé utile que nous entendions Éric Lombard.

Nous évoquerons également l’exécution du budget 2025, mais non, si vous le voulez bien, le budget pour 2026, dont nous parlerons le 16 juillet avec Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics.

M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Merci, monsieur le président, d’avoir pris l’initiative d’organiser cette audition ; outre que je suis de toute façon à votre disposition, elle me fournit l’occasion d’expliciter un dossier technique.

Je rappellerai d’abord en quoi consiste cette fraude. Les dividendes versés à des non-résidents sont soumis à retenue à la source et certains non-résidents organisent alors le transfert momentané de leurs valeurs au profit d’un Français ou d’un non-résident d’un pays exonéré, afin que la retenue ne soit pas prélevée. Après le transfert temporaire, le prélèvement n’ayant pas été effectué, les titres reviennent dans les mains du propriétaire initial avec le produit du dividende exonéré de retenue à la source. C’est à l’évidence une fraude et je reviendrai sur la manière dont nous veillons à ce qu’elle ne se produise pas ou soit poursuivie.

Quant aux marchés financiers, on peut y réaliser des opérations de gré à gré selon un mécanisme très simple. Dans ce cas, l’acheteur connaît le vendeur, et si donc l’acheteur est acteur d’une fraude, celle-ci peut être tracée plus facilement grâce aux échanges de papiers qui accompagnent généralement ces opérations.

La question est plus compliquée sur un marché réglementé comme la Bourse de Paris ou Euronext, où l’acheteur ou le vendeur est la chambre de compensation, énorme institution financière qui fait l’interface ; on ne sait donc pas, à la fin, qui achète et qui vend le titre, sauf dispositions particulières qui sont possibles et sur lesquelles nous reviendrons à propos des CumCum. Je tenais à rappeler ces éléments très simples, qui sont très importants pour la suite, afin de dissiper les malentendus et de corriger certaines contrevérités.

Je tiens, pour finir, à rassurer les membres de votre commission : comme les précédents, le gouvernement actuel est très engagé en faveur de la lutte contre toutes les formes de fraude fiscale. D’ailleurs, l’exécution 2025 montre que le résultat est supérieur à ce qu’il était les années précédentes et nous veillons à ce que les services de contrôle bénéficient des moyens adéquats. C’est une mesure clé dans une démocratie.

L’affirmation selon laquelle les gouvernements précédents n’auraient rien fait est tout à fait inexacte et je tiens, à cet égard en tout cas, à défendre mes prédécesseurs. Nous n’avons pas commencé à lutter contre cette fraude en regardant les marchés financiers ou les opérations, mais parce que les équipes de Bercy ont eu vent, par la littérature, de son existence. Nourries d’études réalisées également à l’étranger, elles ont rendu visite aux banques pour la vérifier. Les premiers redressements ont ainsi été effectués en 2017 sur des opérations de prêt-emprunt de titres réalisées durant les années 2014 et 2015.

Le service vérificateur a en outre constaté que d’autres schémas litigieux s’appliquaient à des contrats plus sophistiqués : les fameux « dérivés », des contrats à terme sur actions ou, plus compliqués encore, sur indice. L’administration a notifié des redressements en appliquant la procédure d’abus de droit fiscal, qui permet de cibler les schémas de fraude en allant au-delà des apparences, lesquelles peuvent avoir pour objet d’égarer les services de contrôle. Il importe que ces procédures soient fondées en droit, car, s’il existe des faisceaux de preuves, il ne s’agit pas toujours de preuves absolues. À cette fin, la procédure d’abus de droit fiscal est celle qui a paru la plus efficace.

Cela a également abouti à plusieurs dépôts de plainte et à une dénonciation fiscale auprès du parquet national financier (PNF) le 28 mars 2023. À la suite de cela, comme vous vous en souvenez peut-être, cinq établissements bancaires ont fait l’objet de perquisitions dans le cadre d’enquêtes sur des délits de fraude fiscale aggravée et de blanchiment. L’État est donc intervenu très vigoureusement et, depuis 2017, ce sont près de 4,5 milliards d’euros de redressement qui ont été notifiés en raison de cette fraude. Ce n’est pas exactement la marque d’une inaction !

Quant à la lourde accusation selon laquelle ce montant serait répété chaque année, il faut en produire les preuves, même si elle ne vise pas le gouvernement.

J’en viens aux dispositions adoptées dans la loi de finances pour 2025, qui avaient pour objectif de renforcer l’arsenal à disposition des services de contrôle pour lutter contre cette fraude. Le reproche fait aux gouvernements qui se sont succédé de s’être opposés à la démarche du Parlement, notamment à celle du Sénat, qui a pris l’initiative de ce texte, n’est pas fondé. Le gouvernement, dans son rôle, est intervenu en ayant la préoccupation constante de sécuriser juridiquement les dispositions envisagées, dans un dialogue avec le Parlement que vous connaissez bien et qui, en l’occurrence, a eu lieu au Sénat. C’est dans cet esprit qu’un sous-amendement a été déposé pour apporter des clarifications de nature à préciser les conditions d’application du mécanisme anti-abus ainsi renforcé par le Sénat et pour assurer la solidité juridique des redressements qui prendraient appui sur ces dispositions. La séparation des pouvoirs ne nous permettant pas de savoir où en est le travail du parquet national financier, nous espérons que les fondements sont solides.

Une fois acquis le vote de l’amendement sénatorial, la démarche du gouvernement a été de saisir le Conseil d’État d’une demande d’avis à son sujet. Cet avis du Conseil d’État, rendu public, a suggéré plusieurs corrections et améliorations du dispositif, qui ont d’ailleurs été reprises par la commission mixte paritaire. En aucun cas, donc, il n’y a eu d’obstruction, mais une coconstruction tout à fait féconde.

Le Conseil d’État a été interrogé sur le fonctionnement du mécanisme anti-abus pour les transactions sur les marchés réglementés. Nous sommes là au cœur du sujet, car sur ces marchés, dans la plupart des cas, la contrepartie n’est pas connue de l’acteur ; mais elle peut l’être, notamment en cas de fraude. La question est donc de savoir s’il faut, pour être certain qu’il n’y a pas de fraude, soumettre à retenue à la source toutes les transactions sur contrats à terme lorsque l’État de résidence de la contrepartie n’est pas connu – j’y reviendrai, car c’est le cœur du débat technique.

Considérant donc, sur la base de l’avis du Conseil d’État, qu’il n’était pas nécessaire, y compris sur les marchés réglementés, de connaître sa contrepartie – ce qui, du reste, on l’a dit, n’est pas possible –, le gouvernement a apporté son plein soutien au dispositif ainsi modifié et tel qu’interprété.

Enfin, le rescrit du 17 avril 2025 publié au Bofip a-t-il ouvert une brèche affaiblissant la loi votée par le Parlement ? Comme souvent, de nombreux établissements se sont interrogés sur le champ d’application de la loi nouvelle, et ce sont ces questions qui nous ont conduits à publier ce rescrit. La Fédération bancaire française, notamment, ainsi que le ministre et les services de Bercy, qui échangent en permanence avec les fédérations professionnelles, trouvaient que l’application du texte devait être précisée et il nous a semblé que, compte tenu de la complexité des matières abordées, le devoir du gouvernement était d’expliciter la loi fiscale nouvelle. De fait, les contribuables doivent connaître clairement et sans ambiguïté le cadre fiscal, ce qui demande parfois de préciser le texte voté souverainement par le Parlement, car l’incertitude n’est d’aucune aide en la matière.

Nous devions traiter aussi la question du fonctionnement des marchés réglementés. Il s’agit là de l’un des points de la polémique, car comme l’a révélé le rapporteur général après avoir lu tous les textes émis à Bercy, l’un de mes services m’avait conseillé la prudence à propos de la phrase relative aux marchés réglementés qui figure dans le Bofip. J’ai considéré que, compte tenu de l’avis du Conseil d’État, il valait mieux clarifier les choses et qu’il était de ma responsabilité de le faire. Croyez que j’ai passé de nombreuses heures à lire les avis du Conseil d’État et à écouter les administrations.

Venons-en au fond. Le rescrit publié indique que, lorsque les opérations interviennent sur un marché réglementé, les dispositions du nouveau mécanisme anti-abus n’imposent pas de les soumettre à retenue à la source de manière préventive si l’établissement payeur ne connaît pas effectivement sa contrepartie – ce qui, je le répète, est le cas le plus fréquent. Dans le cas contraire, en effet, il faudrait soumettre à une retenue à la source préventive l’intégralité des transactions sur le marché réglementé.

Je citerai deux chiffres à ce propos : le marché réglementé de la place de Paris, Euronext Paris, représente 4 milliards d’euros de transactions quotidiennes. La fraude porte sur les dividendes, qui représentaient 72 milliards d’euros en 2024 pour les seules sociétés du CAC 40. La retenue à la source moyenne étant de 20 %, si on soumet tous les dividendes de la place de Paris à retenue à la source, il faudra, comme en Allemagne, ouvrir un nouveau guichet permettant aux acteurs exonérés de se faire rembourser le trop-perçu de cette retenue. Je crains qu’un tel dispositif nuise au fonctionnement de la place de Paris et se traduise par des transferts massifs des opérations vers d’autres places, notamment de l’autre côté de la Manche. La rédaction retenue dans le Bofip, conforme à l’avis du Conseil d’État, ne fait pas obligation aux établissements payeurs de prélever la retenue à la source dans l’hypothèse où la contrepartie n’est pas connue.

Je le redis : ce n’est pas en examinant les marchés que les services de Bercy ont constaté des fraudes, mais en se rendant sur place, dans les établissements – ce qu’ils continuent à faire, et je les y encourage. L’État a donc considéré que l’interprétation à retenir devait viser à éviter que l’établissement payeur ne prélève à tort la retenue à la source à titre préventif, et le rescrit publié se contente d’expliciter la loi en prenant appui sur l’avis du Conseil d’État.

Enfin, il tient compte du fonctionnement normal des marchés réglementés dans l’Union européenne, où l’anonymat est la norme. Il s’agit d’un élément nouveau, lié à l’explosion des marchés financiers. Alors qu’au XIXe et au début du XXe siècle, on savait qui achetait et qui vendait, aujourd’hui, comme l’exprime l’avis de l’Autorité des marchés financiers (AMF), pour assurer l’égalité entre les participants, protéger la stratégie des investisseurs et limiter le risque de manipulation de marché, l’anonymat est la norme. Il protège les contreparties contre les risques d’arbitrage par des fonds spéculatifs – protection à laquelle nous sommes tous attachés. Le droit européen prévoit que, sur un carnet d’ordres, seuls les volumes et les prix offerts, à l’achat comme la vente, sont publics, mais pas l’identité des contreparties.

Par acquit de conscience, nous avons interrogé l’Autorité des marchés financiers, chargée de superviser les marchés réglementés, sur la place de l’anonymat au sein des marchés réglementés actions. Elle nous a répondu que « l’anonymat des acheteurs et des vendeurs est une des composantes du bon fonctionnement pour les marchés actions. En instaurant l’équité entre tous les participants, qu’ils soient particuliers, gérants d’actifs, intervenants pour compte propre, l’anonymat des acheteurs et des vendeurs permet que le cours d’une action à un instant T ne soit pas influencé par le fait de savoir qui agit sur le marché ». L’AMF précise que « le premier niveau d’anonymat à l’échelon des plateformes est complété par un second niveau à l’échelon des intermédiaires. Il est attendu d’eux qu’ils respectent l’anonymat de leurs clients. Pour un intermédiaire, dévoiler à un client la provenance des titres ou l’identité de l’acheteur éventuel serait ainsi en contradiction avec ses obligations professionnelles ».

La rédaction du Bofip ne crée donc aucune brèche. Bien au contraire, elle rend possible la mise en œuvre effective des dispositions votées par le Parlement. Elle n’entrave pas – ce qui est l’un de mes objectifs principaux – l’action des services de contrôle, qui pourront continuer à redresser les établissements payeurs s’ils démontrent que ceux-ci savaient qu’ils entraient en relation avec un bénéficiaire non résident malgré l’interposition éventuelle d’un courtier ou d’une chambre de compensation sur un marché réglementé. Si le fonctionnement normal du marché a été faussé et une collusion organisée, les services de contrôle peuvent et doivent opérer tous les redressements qui s’imposent. Le rescrit ne crée donc aucune immunité du seul fait qu’une transaction aurait lieu sur un marché réglementé. Au contraire, il appelle à aller au-delà des apparences pour examiner ce que l’établissement savait effectivement de sa contrepartie.

Si mon rôle est, bien sûr, de respecter le droit, il est aussi de protéger la place de Paris en vérifiant que le droit y est appliqué de façon précise et efficace, mais sans nuire au développement des affaires. La publication d’un Bofip, document on ne peut plus public, a pour objet de permettre à tout contribuable, particulier ou professionnel, d’agir dans un cadre stable et compréhensible. Les banques, qui sont des contribuables, ne font évidemment pas exception. Il est vrai, et cette audition le montre, que la solution de facilité aurait été de ne rien publier et de laisser croire à une forme d’ambiguïté, mais je considère que l’ambiguïté est ce qu’il y a de plus néfaste pour l’économie.

M. le président Éric Coquerel. Pour ce qui est de l’état des lieux, confirmez-vous qu’il y a eu 4,5 milliards d’euros de redressements ? Cela va dans le sens des estimations dont faisait état le rapporteur général du Sénat, fondées sur les travaux de l’université de Mannheim. Avez-vous une estimation des pertes annuelles de recettes liées à ces schémas d’évitement de la retenue à la source, ainsi que des pénalités que ces 4,5 milliards de redressement seraient susceptibles de générer ?

Je comprends votre démarche visant à clarifier la situation, mais les débats qui se sont tenus en commission mixte paritaire étaient, comme en atteste leur compte rendu détaillé, sans ambiguïté : on y voit bien que le législateur ne voulait pas que les banques se prévalent de la non-connaissance du pays de résidence du bénéficiaire effectif pour éviter l’application de la retenue à la source. Les notes de l’administration fiscale qu’a recherchées Jean-François Husson, produites après la publication de la loi de finances pour 2025, ne conseillaient pas au ministre d’adopter l’interprétation finalement retenue, qui exclut d’emblée l’application de la retenue à la source. Je comprends que vous considérez que c’est mieux et plus clair, mais comment peut-on justifier juridiquement et politiquement la décision de ne pas appliquer une mesure voulue par le législateur ?

Avez-vous une idée des montants qui échapperont à l’impôt grâce à cette exonération maintenue, ou pensez-vous que les mesures de vérification que vous avez instaurées suffiront à éviter cela ?

Pour ce qui est de la protection de la Bourse de Paris et des banques, la FBF considère que le dispositif de lutte contre les CumCum modifié par la loi de finances pour 2025 pourrait avoir des effets délétères et entraîner une perte de compétitivité des institutions financières françaises. En d’autres termes, la FBF n’était pas vraiment en accord avec le dispositif voté.

En procédant à son contrôle sur pièces et sur place, le rapporteur général Jean-François Husson a indiqué que le lobby bancaire avait demandé à Bercy de prévoir des cas de non-application de la retenue à la source. Quelles ont été ces interventions ? Ont-elles pesé dans le choix d’interpréter le dispositif de lutte contre la fraude dans un sens contraire à ce que préconisait l’administration fiscale ? Considérez-vous, comme la FBF, qu’il est tout à fait acceptable d’autoriser des exceptions dans la pratique des CumCum pour l’intérêt même du marché bancaire français ?

Quant à l’exécution du budget pour 2025, la croissance attendue n’est plus de 0,7 %, mais de 0,6 %. Lors du comité d’alerte sur les finances publiques, auquel vous nous avez invités, le rapporteur général Charles de Courson estimait qu’en réalité les pertes de recettes prévues seraient plus importantes que celles vous décriviez, notamment au niveau de la TVA, et pourraient atteindre 10 milliards d’euros. Vous avez prévu pour l’instant des annulations et surgels, décidés entre avril et juin ; si, en septembre-octobre, les inquiétudes relatives aux recettes se vérifient et que le déficit est plus élevé, proposerez-vous d’annuler encore des crédits, ou laisserez-vous filer le déficit ?

Par ailleurs, en examinant le niveau des crédits mis en réserve, j’ai constaté que les crédits de paiement surgelés s’élevaient non pas à 2,3 milliards d’euros, mais à pratiquement 4 milliards d’euros, la réserve passant de 8,6 à 9,9 milliards d’euros malgré une annulation de 2,7 milliards d’euros. Quelle est la raison de cet écart par rapport à vos annonces ?

Ma dernière question est un peu plus délicate dans le contexte de la disparition d’Olivier Marleix – il n’y a aucun lien entre les deux, même si on connaît les raisons de cette dernière. Un article du Monde nous apprend que douze agents de la direction générale des finances publiques (DGFIP) se sont suicidés en six mois et que huit autres ont tenté de mettre fin à leurs jours, dont un certain nombre sur leur lieu de travail. Il annonce également que vous tiendrez demain une réunion de travail. Avez-vous des choses à nous dire sur ces chiffres effrayants ?

M. Éric Lombard, ministre. Je vous confirme le montant de 4,5 milliards d’euros de redressements. Les pénalités peuvent atteindre, selon les cas, 40 % à 80 %, mais les services fiscaux sont autonomes à l’égard du ministre, ce qui est une bonne chose. Je ne sais donc pas ce qui sera demandé.

Je n’ai pas de réponse certaine à apporter à la question des pertes annuelles de recettes. La fraude ayant été débusquée et poursuivie par le parquet national financier, le fait qu’elle continue avec ampleur serait le signe d’un problème dans l’attitude de nos banques. Je ne crois pas que ce soit le cas et je considère que les dirigeants et les conseils d’administration de ces banques, ayant vu ces fraudes dans leurs établissements, ont fait en sorte d’y mettre fin. Vous pourrez poser la question à la Fédération bancaire française. Je pars du principe que, la police étant passée, l’ordre règne – c’est, en tout cas, ce que je souhaite. Je forme l’espoir que cette fraude, si elle a pu avoir lieu – peut-être les enquêtes le révéleront-elles – en cachette des dirigeants, est désormais évitée par les établissements.

Les banques ne se prévalent pas de l’ignorance du pays du bénéficiaire effectif. Comme j’espère l’avoir montré, dans l’immense majorité des opérations sur le marché réglementé, la contrepartie est la chambre de compensation : il n’y a donc pas de contrepartie, sauf en cas d’opération – comme une transaction sur un bloc – dans laquelle la contrepartie est connue ; cette situation étant toutefois l’exception. Il ne s’agit donc pas d’identifier l’ensemble des opérations sur le marché réglementé, car ce serait hors de portée à moins de créer le guichet que j’évoquais ; mais il faut opérer des contrôles réguliers pour s’assurer que certaines opérations n’ont pas été structurées dans l’objectif d’échapper à l’impôt. Je le répète, car c’est très important : sur le marché réglementé, la contrepartie est la chambre de compensation.

Le seul cas d’exonération concerne les résidents français et ceux de quelques pays avec lesquels est conclue une convention fiscale qui ne prévoit pas la retenue à la source. Rien n’est changé en cela et tout mécanisme d’évitement est, selon moi, frauduleux.

Quant aux relations avec la Fédération bancaire française, il est clair que, dans de semblables situations, on regarde les textes, les positions du Conseil d’État et celles des acteurs économiques, et – ce n’est pas un secret – ces derniers n’étaient pas satisfaits, eux non plus, de la rédaction du Bofip, qu’ils trouvaient trop peu précise et trop peu protectrice pour leurs activités. D’ailleurs, depuis que le Bofip a été publié, le volume d’activité sur la place de Paris a baissé – mais c’est peut-être purement conjoncturel. En tout cas, il est clair que ce texte ne satisfait personne. Je n’en déduis pas que le bon équilibre a été trouvé, mais cela signifie en tout cas que je n’ai pas forcément accepté l’ensemble des demandes rédactionnelles de la Fédération bancaire française, même si celle-ci pouvait légitimement demander des choses au ministre.

J’en viens à votre question sur l’effet de la croissance. De nombreuses incertitudes existent, par exemple sur la possibilité de conclure ou non un accord sur les droits de douane. Nous saurons à la rentrée comment se dessine l’année et nous pourrons alors vous en informer, en particulier à l’occasion d’un nouveau comité d’alerte sur les finances publiques.

À ce stade, les recettes sont au niveau prévu et, avec les décrets d’annulation que nous avons pris, nous sommes en mesure de tenir à la fois le niveau de dépenses et le niveau de déficit. Si la conjoncture devait se dégrader, notre engagement envers le Parlement et envers nos partenaires de l’Union européenne est de tenir la dépense primaire nette. Si donc, en fin d’année, la croissance devait s’affaiblir notablement et les recettes n’étaient pas au rendez-vous, une réduction de la trajectoire de dépenses prévue aurait un effet récessif. Notre priorité sera par conséquent, jusqu’à la fin de l’année, de tenir très précisément la dépense primaire nette telle que vous l’avez votée, ni plus, ni moins. Quant à l’effort supplémentaire de 5 milliards d’euros annoncé cet été, 3 milliards d’euros pris sur les crédits de l’État ne seront pas engagés et seront mis en réserve supplémentaire, et 2 milliards d’euros seront pris sur les dépenses de l’assurance-maladie à la suite de l’alerte du comité de suivi de l’Ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie).

Enfin, concernant le drame que représente la disparition de plusieurs collègues de la direction générale des finances publiques, dont je me suis entretenu avec la directrice générale dans la journée, il s’agit, comme ce qui vient d’arriver à votre collègue Olivier Marleix, de drames individuels à propos desquels on ne dispose jamais d’éléments susceptibles de les expliquer totalement. Nous connaissons chaque cas ; je ne souhaite pas être trop précis, par respect pour la mémoire des personnes disparues, mais il arrive malheureusement que de grandes institutions, comme j’en ai déjà dirigé, comptant des dizaines ou des centaines de milliers de collaborateurs soient frappées par de tels drames, et nous ne percevons pas, dans le dialogue que nous avons avec les collaborateurs et les syndicats, de raisons particulières liées à l’organisation ou aux missions de cette grande direction de Bercy. C’est toujours douloureux : il s’agit à chaque fois d’histoires que nous connaissons individuellement, que nous avons suivies et accompagnées. Ces éléments mis bout à bout ne font pas forcément une histoire. Nous suivons cette situation, que je n’estime pas liée à des raisons d’organisation, de charge de travail ou de management.

Mme Eva Sas (EcoS). Vous allez tout de même enquêter ?

M. Éric Lombard, ministre. Nous connaissons tous les cas individuellement ; il n’y a pas d’enquête à mener. J’en sais le détail, mais ne souhaite pas le partager pour des raisons de pudeur vis-à-vis des personnes. Dans ces listes de cas, je ne décèle pas de lien avec des questions liées à l’organisation ou aux missions de cette direction générale.

M. le président Éric Coquerel. Vous conviendrez tout de même qu’avec douze cas de suicides et six tentatives en six mois, la question puisse être posée.

Le Monde annonce une réunion sur le sujet demain à Bercy. Cette information est-elle exacte ?

M. Éric Lombard, ministre. Oui. Je le répète, il s’agit d’une situation à laquelle je veille personnellement et à propos de laquelle je me suis entretenu tout à l’heure avec la directrice générale.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Monsieur le ministre, considérez-vous que l’interprétation de la loi fiscale livrée dans le Bofip publié le 17 avril dernier, afin de préciser l’application de l’article 119 bis A du CGI (code général des impôts) tel que modifié par la dernière loi de finances pour 2025, est conforme au vote du Parlement ? Mon interrogation porte tout particulièrement sur l’application de l’article 119 bis A aux opérations conclues sur un marché réglementé. Vous avez décidé sur ce point de répondre aux demandes de la Fédération bancaire française, malgré les préconisations de votre administration – à la fois de la DLF (direction de la législation fiscale) et de la DGFIP –, qui identifiait dans une note de mars 2025 « un risque polémique sévère ».

Surtout, ce Bofip s’inspire  très largement du sous-amendement  I-2272 défendu par votre prédécesseur lors des débats au Sénat sur le projet de loi de finances pour 2025. Ce sous-amendement a été rejeté par le Sénat, puis rejeté à nouveau lorsqu’il est revenu sous la forme d’une rédaction concurrente défendue par notre collègue Jean-René Cazeneuve en commission mixte paritaire. Vous avez choisi, à rebours de l’intention exprimée très clairement par le législateur, d’entendre la Fédération bancaire française. Dès lors, jugez-vous l’interprétation du Bofip conforme à la loi ?

La partie centrale de ce sous-amendement du gouvernement, dont je répète qu’il a été rejeté, indiquait en effet : « Ne sont toutefois pas soumis à la retenue à la source dans les conditions prévues au 1 […] les versements liés à une transaction négociée dans les conditions normales sur un marché réglementé au sens de l’article L. 421-1 du code monétaire et financier lorsque ces conditions de négociation privent la personne qui est établie ou qui a son domicile fiscal en France de toute possibilité de connaître le lieu de résidence ou d’établissement du bénéficiaire. »

C’est un vrai problème. C’est votre prédécesseur qui a déposé ce sous-amendement dont le contenu a été rejeté par deux fois ; sur ce point, ce n’est pas vous qui êtes en cause. Mais pourquoi avez-vous passé outre ce double rejet de la représentation nationale pour intégrer dans le Bofip exactement l’inverse, c’est-à-dire la teneur même du sous-amendement rejeté par le Parlement ?

Ma deuxième question porte sur le dispositif prévu par l’article 119 bis A dans sa rédaction antérieure à la loi de finances pour 2025. Alors même que, comme en attestent plusieurs notes rédigées par vos services – vous l’avez évoqué dans votre propos liminaire –, le caractère inopérant de ce dispositif adopté en loi de finances pour 2019 a été rapidement identifié, vos prédécesseurs n’ont rien proposé pour y remédier. C’est non pas un amendement gouvernemental mais un amendement du Sénat qui a essayé, par la rédaction dont, en commission mixte paritaire, nous avons confirmé l’adoption, de boucher le trou – lié, il faut bien le dire, à la décision du Conseil d’État d’annuler une partie du dispositif du rescrit publié au Bofip en 2023 parce que la notion de bénéficiaire effectif qu’utilisaient vos services ne figurait pas dans la loi.

Ma troisième question porte sur les contrôles en cours. Pouvez-vous revenir sur les redressements déjà effectués et les investigations en cours concernant les CumCum ? Qu’en est-il en particulier des CumCum externes rendus possibles théoriquement par neuf conventions bilatérales conclues par la France avec différents pays dont Bahreïn, l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Finlande, le Koweït, le Liban, Oman et le Qatar, qui exonèrent de retenue à la source les dividendes versés ? Une note de mars 2023 indique que les services ont consacré aux CumCum externes sur dividendes de source française des travaux de recherche qui ont conduit à soupçonner fortement certaines structures étrangères de s’y livrer. Quelles suites ont été données à ces contrôles ?

Alors que les organismes de placement collectifs (OPC) étrangers sont exonérés de retenue à la source, une note du 27 mars 2024 indique que « certains OPC non résidents sont fortement suspectés d’agir en tant qu’intermédiaires de montages CumCum » et que « l’administration étudie actuellement la possibilité de demander aux établissements payeurs de ne pas faire application pour certains OPC de l’exonération », sur la base d’une « liste noire » évolutive des OPC. Dans le Bofip paru en avril dernier, cette exonération a été maintenue sans précisions particulières. Qu’en est-il du risque identifié par votre administration et de l’éventualité d’établir une liste noire ? Identifiez-vous des risques similaires concernant les fonds souverains, également exonérés de retenue à la source ?

Ma dernière question porte sur l’assiette de la retenue à la source. Le Bofip publié en avril dernier indique que « le dispositif anti-abus du I de l’article 119 bis A du CGI n’a pas pour objet de soumettre à la retenue à la source des montants supérieurs à ceux des dividendes que le détenteur des titres aurait dû percevoir directement ». Pourquoi le Bofip n’apporte-t-il pas davantage de précisions sur le traitement de la commission perçue par les banques qui jouent le rôle d’intermédiaire dans les montages CumCum ? Ne sommes-nous pas en présence d’un point de fuite potentiel en faveur des banques ? En termes clairs, la retenue à la source n’est pas calculée sur le montant total du dividende, mais sur ce montant une fois déduite la commission des banques, de l’ordre de 0,3 ou 0,4 point. S’il y a fraude, les banques s’enrichissent. Avez-vous une idée du montant annuel des commissions perçues par les banques sur ces montages ?

M. Éric Lombard, ministre. Votre premier point concerne un sous-amendement qui n’a pas été adopté. Je suis un esprit simple : nous avons demandé au Conseil d’État ce qu’il pensait du texte du Bofip par rapport à la loi telle qu’elle a finalement été votée par le Parlement, qui constitue notre base et notre règle. Or le Conseil d’État a estimé qu’il ressortait du texte de la loi telle qu’elle a été votée, donc modifiée par l’amendement du Sénat, que ses dispositions « n’imposent pas à un établissement payeur […] d’appliquer à titre conservatoire la retenue à la source » et que, « s’agissant des opérations intervenant sur un marché réglementé, ces dispositions n’imposent pas de soumettre à retenue à la source, de manière préventive, le transfert de valeur ». Imposer une retenue à la source systématique aurait été illégal. À la question de savoir si nous respectons la loi, le Conseil d’État a répondu par l’affirmative.

M. le président Éric Coquerel. Le Conseil d’État s’est prononcé avant le vote de la loi ; cela fait toute la différence. Il a donné une interprétation par rapport à un texte qui n’était pas encore voté.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Le Conseil d’État suggérait au législateur de boucher le trou, ce qui a été fait par l’amendement Husson.

M. Éric Lombard, ministre. Nous parlons de l’avis du Conseil d’État rendu sur le Bofip.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Il est question du texte antérieur du Bofip, pas de celui publié voici deux ou trois mois.

M. Éric Lombard, ministre. Le texte du Bofip sorti il y a deux mois s’appuie sur un avis demandé au Conseil d’État, que nous vous avons transmis. Le Conseil d’État s’y prononce sur la loi votée par le Parlement.

M. le président Éric Coquerel. Si c’est le cas, je veux bien qu’on me le transmette : je n’en ai pas eu connaissance.

M. Éric Lombard, ministre. Ce Bofip est par ailleurs lui-même soumis à contestation devant le Conseil d’État : nous aurons donc à nouveau, si la contestation est recevable, un avis du Conseil d’État sur la conformité du Bofip à la loi.

La CMP n’a pas modifié le texte s’agissant des marchés réglementés. C’est donc bien sur le texte tel qu’il a finalement été promulgué que le Conseil d’État s’est prononcé.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Le Sénat et la commission mixte paritaire ont refusé l’interprétation que votre prédécesseur avait souhaité donner du texte du Sénat par un sous-amendement du gouvernement ; ce dernier a été rejeté. L’extrait que je vous ai lu concernant les marchés réglementés est très clair. Mon homologue du Sénat me l’a confirmé.

M. le président Éric Coquerel. Je confirme que l’avis du Conseil d’État concernait le projet de texte avant que la CMP n’y introduise des modifications.

M. Éric Lombard, ministre. Permettez-moi d’apporter une correction. L’avis portait sur une partie du texte qui n’a pas été modifiée par la CMP. Le Conseil d’État s’est donc bien prononcé sur les éléments finalement promulgués. C’est cela qui est important pour l’affaire qui nous concerne.

Vous avez parlé de « boucher le trou », monsieur le rapporteur général. Or il n’y a pas de trou puisque, quelle que soit la précision qu’apporte le texte, l’abus de droit est une faute qui doit être poursuivie et sanctionnée, qui l’est et le sera. Je suis certain que les services fiscaux font diligence, même si je n’ai pas le détail de leur action.

Les conventions bilatérales ne prévoient pas de retenue à la source pour un certain nombre de pays. Cela correspond à l’état du droit. Si, transitoirement, un résident de ces pays détient un titre au bénéfice d’un détenteur d’un autre pays au moment du détachement du coupon, alors il s’agit d’une fraude. Je vous invite à regarder le premier schéma que je vous ai présenté : la fraude peut consister en un transfert effectué momentanément au profit soit d’un Français soit d’un étranger résidant dans l’un des neuf États signataires des conventions que vous avez mentionnées. Les contrôles en cours portent sur l’ensemble de ces situations.

Concernant les OPC, dont les Sicav (sociétés d’investissement à capital variable), qui ne sont pas soumis à retenue à la source, il paraît logique que l’exonération soit maintenue, car il s’agit de sociétés qui font tourner leurs portefeuilles pour leurs clients externes. Je n’ai pas connaissance d’une « liste noire ». La contrepartie de l’autonomie des services d’enquête fiscale est que je n’ai pas connaissance du détail de ce qu’ils se préparent à faire, ni de la façon dont ils travaillent. C’est protecteur. Je ne suis donc pas en mesure de répondre précisément à votre question et c’est très bien ainsi.

Quant à savoir si l’assiette du contrôle doit porter sur la commission des banques, il est de la responsabilité des services de contrôle de le déterminer. Il s’agit d’une question de droit fiscal : la commission liée à une opération frauduleuse doit-elle être rapportée ou non ? Vous atteignez là les limites de mes compétences.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je ne vais pas poser à nouveau les questions techniques soulevées par le président et le rapporteur général.

La confusion que vous essayez d’entretenir en présentant des éléments auxquels on ne comprend rien et un schéma que l’on connaît par cœur, tout comme le fait de parler de tout sauf du problème, est une forme d’aveu : on voit que la lutte engagée par le Parlement l’oppose non seulement au lobby bancaire mais, visiblement, à une partie de Bercy et peut-être au-delà.

Ce n’est pas nouveau : le Parlement essaie de combattre cette fraude depuis sept ans. Or, chaque année, on nous explique que c’est très compliqué, que l’on ne peut rien faire : « Faites-nous confiance, on va le faire par nous-mêmes. » Mais le rapporteur général Husson a indiqué que lors de ses cinq heures d’échanges sur place, tous les fonctionnaires qu’il a identifiés lui ont tous dit que jamais aucun de vos prédécesseurs, aucun ministre ni aucun service n’avait donné d’instruction pour lutter contre la fraude CumCum. Si vous le découvrez aujourd’hui, c’est grave : c’est écrit noir sur blanc dans le verbatim des déclarations du rapporteur général. Soit c’est vrai, soit c’est faux, mais il n’est pas possible de ne jamais rien répondre et de renvoyer à des éléments qui n’existent pas, avec des dates imaginaires, pour s’apercevoir au bout d’une demi-heure d’audition que vous parlez d’une décision du Conseil d’État qui n’est pas en cause et n’a aucun lien avec le vote de l’Assemblée.

Cela fait sept ans que les parlementaires essaient de mettre fin à cette fraude et que le lobby bancaire fait tout son possible pour que cela n’aboutisse pas, avec apparemment la complicité d’une partie de vos services et de vos prédécesseurs. Lorsque la mesure est enfin votée, en CMP, et très clairement, comme l’ont rappelé le président et le rapporteur général, vous la dénaturez sans nous le dire. Si le rapporteur général Husson n’avait pas effectué un contrôle sur pièces et sur place, nous aurions découvert lors des discussions budgétaires que les dispositions votées unanimement lors du précédent PLF n’ont pas été appliquées car vous avez décidé de ne pas suivre.

Le Conseil d’État pourrait bien vous avoir donné un avis – ce qui n’est pas le cas –, la Fédération bancaire française peut bien dire ce qu’elle veut, vos services peuvent bien faire ce qu’ils veulent : vous n’avez aucune autorité pour ne pas obéir au Parlement. Ce n’est pas une question technique, c’est une question de respect de la démocratie. Nous avons voté pour la fin de cette fraude et vous avez rédigé une disposition qui ne respecte pas l’avis du Parlement. Vous n’avez d’ailleurs pas répondu à la question du rapporteur général : est-ce que, oui ou non, vous avez respecté ce que nous avons voté ? Si vous ne répondez pas, c’est que vous savez que la réponse est non.

M. Éric Lombard, ministre. Je vous laisse la responsabilité de votre guerre contre les banques et contre Bercy. Je pense qu’il en existe de plus utiles ; mais chacun ses guerres.

Comment considérer que nous n’avons pas lutté contre les CumCum alors que, depuis 2017, nous avons effectué 4,5 milliards d’euros de redressement ? Je ne sais pas qui ne comprend rien, monsieur le député, mais ce chiffre et cette date me semblent d’une clarté limpide. Je le redis publiquement : il faut évidemment lutter contre cette fraude. J’ai évoqué précédemment mon espoir que les établissements bancaires eux-mêmes veillent, après ces redressements, à ce que leurs collaborateurs ne s’y prêtent pas. On ne peut être plus clair. Si toutefois vous ne me comprenez pas, j’essaierai de trouver d’autres langages.

M. David Amiel (EPR). En ce qui concerne les CumCum, le cœur du débat est l’application des dispositions au marché réglementé. Les services de Bercy disposent-ils d’une estimation, effectuée sur la base des redressements effectués ou de la littérature ayant suscité les premiers contrôles en 2017, de la part de la fraude qui est réalisée sur les marchés réglementés ?

Vous avez évoqué le coût et les difficultés de mise en place d’un système général de prélèvement à la source sur l’ensemble du marché réglementé. Pouvez-vous nous donner davantage de détails ? Certains pays y recourent, d’autres non. Pouvez-vous nous éclairer sur les raisons qui ont conduit vos services et vous-même à écarter cette hypothèse ?

En ce qui concerne l’exécution du budget de l’année 2025, vous êtes revenu sur les risques pesant sur la croissance. Cet élément n’est, par définition, pas directement dans nos mains, car il dépend beaucoup du contexte international. La part qui est dans nos mains est celle de l’ajustement structurel. Ce dernier est-il, selon vos estimations, en ligne avec ce qui avait été prévu dans le cadre de la loi de finances pour 2025 ?

Un débat a lieu par ailleurs à propos de la CDHR (contribution différentielle sur les hauts revenus), dont le montant serait plus bas que celui prévu dans la loi de finances pour 2025. Sans doute est-ce lié au caractère temporaire de cette contribution. Pouvez-vous nous en dire plus sur les chiffres dont vous disposez ainsi que sur votre analyse ?

M. Éric Lombard, ministre. Je ne connais pas la répartition de la fraude entre marché réglementé et opérations de gré à gré et ne la connaîtrai pas car je ne poserai pas la question. Le président et le rapporteur général peuvent toutefois aller regarder ce point.

Le système général de prélèvement à la source est en vigueur en Allemagne. On observe d’ailleurs – peut-être n’est-ce pas un hasard – que le marché des actions y est beaucoup moins développé que chez nous.

Actuellement, pour toute personne touchant un dividende, celui-ci est déclaré fiscalement. Il s’agirait, au lieu de cela, de soumettre toute opération à retenue à la source, sans doute versée par l’émetteur, c’est-à-dire par l’entreprise, au Trésor. Cela générerait un peu de trésorerie ; en revanche, le détenteur résident, qui, lui, est soumis à impôt sur les sociétés ou sur le revenu selon qu’il s’agit d’une entreprise ou d’un particulier, devrait s’adresser à un guichet pour demander récupération du trop versé de retenue à la source ou imputation de ladite retenue à la source sur ses bénéfices. Cela modifierait ainsi toute une branche de notre système fiscal, déjà passablement compliqué, dans le seul but d’éviter une fraude, sachant qu’en Allemagne, où le prélèvement à la source généralisé est en vigueur, s’est développée une fraude miroir qualifiée de CumEx. Elle consiste, pour une personne se faisant rembourser la retenue à la source, à se la faire rembourser plusieurs fois. Le mécanisme de retenue à la source généralisée n’empêcherait donc pas la fraude. Il serait bien évidemment possible de prévenir ce phénomène, mais il apparaît que tout mécanisme incluant des flux financiers peut générer des fraudes.

Il nous semble donc que le système actuel est bon pour la place de Paris et n’empêche pas les services fiscaux de travailler : 4,5 milliards d’euros de redressements, ce n’est pas rien.

Concernant l’exécution du budget 2025, sachez, si votre question porte sur l’évolution des recettes, que nous sommes un peu au-dessus des prévisions en matière d’impôt sur les sociétés, avec 17,6 milliards d’euros contre 15,1 milliards d’euros annoncés. La TVA perçue est quant à elle inférieure aux prévisions, avec 87,7 milliards d’euros contre 89 milliards d’euros attendus. Les écarts sont bien inférieurs aux années précédentes, ce qui prouve la qualité des outils de pilotage et de la revue des modèles effectuée par les équipes de Bercy. L’impôt sur le revenu est conforme aux attendus, avec 35,5 milliards d’euros. Les DMTO (droits de mutation à titre onéreux), qui concernent plus de transactions, s’établissent à 6,3 milliards d’euros contre 5,9 milliards d’euros prévus. Les performances passées ne sont pas garantes des performances futures.

La CDHR devant être prélevée comme une avance en fin d’année, nous n’avons pas d’élément nous permettant de porter un jugement sur le chiffre publié par le bureau d’étude auquel vous faites allusion. Il n’existe pas de chiffre de Bercy sur la question.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Je suis rapporteure spéciale sur l’évasion fiscale. En dépit des discours de fermeté du président de la République, force est de constater que presque rien n’a été fait contre la fraude fiscale depuis au moins 2022, date du premier rapport spécial permettant de documenter ces pratiques.

Nous assistons avec effroi à une surenchère pénale et sécuritaire totalement inefficace et démagogique du gouvernement contre la délinquance des rues, celle qui se voit et pourrit effectivement la vie des gens ; mais nous savons tous que cette petite délinquance n’existerait pas sans la grande délinquance en col blanc, qui pille des milliards au détriment des Français. Alors que, selon le rapport de l’Insee paru hier, les inégalités se creusent comme jamais, refuser comme vous le faites de s’attaquer à cette délinquance est proprement criminel.

Je rappelle qu’en un an 650 000 personnes ont basculé dans la pauvreté. Je sais que vous êtes loin de cette réalité, monsieur le ministre, puisque vous faites partie des vingt-deux ministres millionnaires sur les trente-six que compte ce gouvernement illégitime et indécent. Parallèlement à cette pauvreté galopante, les riches s’enrichissent de plus en plus rapidement, notamment en évitant l’impôt ou, pire, en fraudant. Le vol des 80 à 120 milliards d’euros qui continuent à manquer chaque année dans les caisses de l’État constitue une atteinte grave à notre cohésion sociale. Il nous empêche d’investir massivement dans le développement des services publics, garants de la lutte contre les inégalités, et dans la bifurcation écologique dont l’humanité a besoin. Il fragilise également le consentement à l’impôt, pilier de notre cohésion nationale.

Le Parlement s’est emparé de cette question depuis que mon excellente collègue Charlotte Leduc a défendu des amendements visant à interdire les pratiques d’arbitrage de dividendes ou CumCum, qui représentent quelque 33 milliards d’euros de perte fiscale en vingt ans. Un texte transpartisan venant du Sénat et reprenant ces amendements a été adopté pour mettre fin à ces pratiques. Votre rescrit, dont la formulation vous a été déconseillée par votre propre administration et qui vient dénaturer ce texte, est non seulement particulièrement obscène, mais aussi scandaleux puisqu’il est directement issue du lobbying de la Fédération bancaire française.

Vous avez choisi, en tant que membre de l’exécutif, de travestir l’esprit d’une loi, bien que vous prétendiez l’expliciter. Comptez-vous persister dans cette voie en dépit de l’indignation générale des parlementaires ?

M. Éric Lombard, ministre. Ce que vous dites est faux et vous le savez très bien. Je rappelle que nous avons procédé à 4,5 milliards d’euros de redressement sur les CumCum.

Vous évoquez 33 milliards d’euros de perte fiscale : je suis preneur de vos chiffres, que je transférerai immédiatement aux services des impôts, et s’ils sont exacts, c’est une bonne nouvelle car nous allons les recouvrer. Nous n’avons aucune pitié pour la fraude fiscale. Je vais d’ailleurs vous donner les chiffres qui, bien qu’insuffisants, s’améliorent. En 2023, nous avons détecté 15,2 milliards d’euros de fraude fiscale. J’ignore où vous trouvez 80 à 120 milliards d’euros de manque ; 15 milliards d’euros, c’est déjà beaucoup trop. Nous avons surtout recouvré 10,6 milliards d’euros. En 2024, grâce à l’amélioration des systèmes à laquelle nous travaillons jour après jour en investissant et en recrutant des agents, nous avons détecté 16,7 milliards d’euros de fraude fiscale et recouvré 11,4 milliards d’euros. Quant à la fraude sociale détectée et redressée en 2024, elle s’élève à 49 milliards d’euros. Tous ces chiffres sont vérifiables. Nous nous tenons à votre disposition pour en donner tous les détails.

J’entends et j’approuve en revanche vos propos sur l’évolution de la pauvreté. La ministre des comptes publics ayant répondu précédemment à une question sur le sujet, je n’y reviens pas. J’entends que vous êtes en désaccord avec les axes suivis par ce gouvernement, mais dire que nous ne nous occupons pas de cela est tout simplement faux.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Huit ans après la révélation au grand public du scandale des CumCum, alors que la plupart de nos voisins ont réussi à mettre en œuvre des dispositifs anti-abus, pour notre part, nous n’y sommes toujours pas. Le lobby bancaire, bien aidé, semble-t-il, par certains au sein de l’appareil étatique, a visiblement la peau dure.

C’est pourquoi j’aimerais formuler deux propositions relativement simples à mettre en œuvre qui permettraient de lutter contre les CumCum en les encadrant mieux dans la loi, laquelle, quoi que nous fassions, restera à la merci de l’ingénierie financière et des efforts de lobbying de l’industrie bancaire.

La première méthode consisterait à rendre les montages CumCum non rentables ou, à tout le moins, beaucoup moins rentables pour les banques. Il s’agirait de généraliser le versement des dividendes en quatre échéances trimestrielles, au lieu d’une échéance annuelle, ce qui diviserait par quatre le rendement d’une opération CumCum. Cette mesure ne coûterait rien.

La seconde méthode s’inspirerait du modèle américain, dans lequel les intermédiaires financiers reçoivent un agrément les autorisant à ne pas prélever à la source dans les cas où c’est légitime. Cet agrément peut leur être retiré si un abus est constaté. Dès lors, les acteurs se tiennent à carreau, dissuadés de recourir aux CumCum. C’est en quelque sorte un contrat de confiance.

Les CumCum sont aussi des montages dits externes, réalisés par l’intermédiaire d’agents opérant depuis les pays ayant signé avec la France des conventions fiscales, dont les vertus sont, pour certaines, de plus en plus sujettes à débat. Pour des raisons obscures, le gouvernement se refuse depuis plusieurs années à remettre un rapport d’évaluation de ces conventions, qui permettrait pourtant d’informer nos concitoyens et d’alimenter le travail de la représentation nationale. Dans le cadre du prochain PLF, soutiendrez-vous un amendement qui viserait à demander au gouvernement un rapport relatif à l’évaluation de l’impact  des conventions fiscales signées par  la France ?

M. Éric Lombard, ministre. Nous sommes intéressés par toute idée qui permettrait de lutter encore plus efficacement contre les CumCum. Toute fraude fiscale doit être réduite et l’argent doit être récupéré. Nous étudierons vos propositions relatives au versement des dividendes et aux intermédiaires financiers.

L’idée que le Parlement ou les services de Bercy examinent l’impact des conventions fiscales est tout à fait pertinente, sachant qu’une convention fiscale est signée par deux parties et ne peut être modifiée qu’avec l’accord de ces mêmes parties. Je me suis fait la même réflexion que vous en prenant connaissance de la situation.

M. Mathieu Lefèvre (EPR). L’idée que Bercy serait soumis au lobby bancaire et que les ministres ne feraient pas tout pour lutter contre la fraude est désobligeante pour les agents et leur tutelle politique.

Monsieur le ministre, quelles actions, en lien avec le projet d’union des marchés de capitaux, menez-vous pour poursuivre l’harmonisation de la réglementation européenne en la matière ?

Enfin, en vue de préserver la place financière de Paris et les acquis de ces dernières années, il me semble que la mise en place d’une retenue à la source systématique n’est pas susceptible de régler les problèmes de fraude et ne serait pas une bonne idée ; elle risque plutôt de gripper le marché. Or, derrière ces échanges financiers, il y a le financement de l’économie.

M. Éric Lombard, ministre. J’ai l’espoir que la nouvelle Commission ainsi que la coalition gouvernementale en Allemagne nous permettent d’accélérer la mise en place de l’union des marchés de capitaux, rebaptisée union de l’épargne et de l’investissement. Je me rendrai à Berlin le 16 juillet afin de préparer, dans le cadre du futur conseil des ministres franco-allemand, l’agenda de modernisation des marchés de capitaux de l’Union européenne.

Nous avons obtenu un premier succès cette année : le lancement du label Finance Europe, attribué aux produits d’investissement dont 70 % des actifs sont investis dans l’Union européenne pour une durée minimale de cinq ans. Cet outil vise à créer un point commun entre les produits d’épargne européens. Sept États membres sont à l’origine de cette initiative ; ils devraient être rejoints par cinq autres.

Par ailleurs, la titrisation fera l’objet d’une directive.

Le plus important est que la supervision européenne soit plus unifiée. La Banque centrale européenne assure la supervision européenne en matière bancaire, ce qui renforce nos banques ainsi que leur sécurité générale. Mais si nous parvenons à instaurer une supervision d’ensemble des marchés de capitaux de l’épargne réglementée et non réglementée, cela permettra de mieux mobiliser l’énorme volume d’épargne dont dispose l’Europe, dont une part beaucoup trop importante est investie en dehors de l’Union européenne. Nous pourrions trouver un terrain d’entente avec nos partenaires européens sur ce sujet. Comme le soulignent les rapports Draghi et Letta, nous n’avons pas créé un marché unique de l’épargne. Cet objectif est positif pour tout le monde ; nous y travaillons.

Dans le respect de la loi votée – j’y insiste – et confortés par l’avis du Conseil d’État, nous considérons qu’il n’est pas indispensable de mettre en place une retenue à la source généralisée. Si elle existait, le marché se déplacerait, notamment vers Londres. Or c’est le rôle du ministre des finances de veiller à ce que la place de Paris soit vivante, car c’est d’elle que dépend le financement de nos entreprises. Tout cela n’empêche pas de lutter contre la fraude ; ce ne sont pas les mêmes outils qui le permettent.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Dans le cadre de la préparation du budget pour 2026, le gouvernement est à la recherche d’idées de réformes. En ma qualité d’élu d’Alsace, je souhaite l’inciter fortement à se pencher sur la question du millefeuille administratif et territorial. J’espère que nous pourrons lancer une réflexion volontariste en ce sens dans les prochains mois. Il est important que ce problème soit soulevé par plusieurs commissaires aux finances car il s’agit d’un motif d’empilement de la dépense publique – tout le monde le sait, pléthore de rapports le documentent, mais personne ne décide.

En Alsace, nous réfléchissons à la création d’une communauté unique qui cumulerait les compétences de la région et du département, ce qui conduirait à supprimer une strate du millefeuille.

M. le président Éric Coquerel. Je vais demander au ministre de ne pas vous répondre, puisque nous étions convenus de ne pas aborder le budget à venir. Il a toutefois pris bonne note de votre question.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Monsieur le ministre, nous vous interrogeons sur un sujet d’une gravité exceptionnelle : une fraude fiscale massive qui concerne les arbitrages de dividendes, connue sous le nom de fraude CumCum.

Cette fraude n’est pas nouvelle : elle a été documentée par le Parlement, la presse, la justice ; elle a même fait l’objet d’une enquête du parquet national financier (PNF), qui a effectué plusieurs perquisitions dans de grandes banques françaises. Pourtant, comme l’a indiqué le rapporteur général, rien n’a été fait pour la circonscrire.

Le manque à gagner pour les finances publiques serait de plus de 4,5 milliards d’euros, soit l’équivalent du budget annuel du ministère de la culture et plus de dix fois celui de l’Office français de la biodiversité. C’est donc à juste titre que le Parlement a agi en votant à l’unanimité, à l’Assemblée comme au Sénat, un dispositif de retenue à la source visant à neutraliser ces schémas d’optimisation agressive.

Mais, depuis, nous avons constaté un double affaissement. D’une part sur le plan juridique, en raison de l’instruction fiscale dont il est question depuis tout à l’heure. D’autre part sur le plan politique, car ce recul a été opéré contre l’avis explicite de votre propre administration.

Cela pose plusieurs problèmes. D’abord de respect des choix souverains du Parlement : un texte voté à l’unanimité a été vidé de sa portée sans avoir été réexaminé par les chambres, au seul bénéfice d’intérêts privés puissants. Ensuite de transparence administrative, car les documents internes n’ont été transmis que sous la contrainte du contrôle sur pièces et sur place exercé par le rapporteur général du budget du Sénat. Enfin, il y a un problème de confiance démocratique : au moment même où vous réclamez 40 milliards d’euros d’économies pour le prochain budget, vous laissez filer des milliards en tolérant une fraude de marché pourtant bien identifiée.

Pourquoi avoir retenu la formulation la plus favorable aux banques au détriment de la lettre et de l’esprit de la loi que nous avons unanimement votée ?

Comment justifiez-vous ce choix, fait contre l’avis de vos administrations et dépourvu de fondement juridique clair, ainsi que l’a pourtant souligné la note du 20 mars 2025 ? Retirerez-vous cette instruction fiscale comme nous le demandons ? Comment entendez-vous rétablir un dialogue loyal avec le Parlement afin qu’une telle distorsion entre la volonté du législateur et l’action de l’exécutif ne se reproduise plus jamais ?

Enfin, s’agissant des redressements notifiés, pourriez-vous indiquer les montants effectivement recouvrés, année par année, depuis 2017 ?

M. Éric Lombard, ministre. Je suis désolé, j’ai l’impression que vous ne m’avez pas écouté. Vous avez dit que rien n’avait été fait pour circonscrire cette fraude. Or la fraude, par construction, est contraire aux lois de la République, et si j’apprécie que le Sénat ait déposé un amendement pour préciser les choses, nous n’avons pas attendu le vote du Parlement pour la sanctionner en tant que telle. Si ce vote était utile, il n’était pas indispensable : il n’y a pas besoin d’une loi pour attester qu’une fraude est illégale…

Mme Christine Arrighi (EcoS). C’est le Sénat qui l’a circonscrite, par la loi.

M. Éric Lombard, ministre. …et dès lors qu’elle est illégale, elle peut donner lieu à des poursuites. J’aimerais que vous m’écoutiez, madame, avant de dire que vous n’êtes pas d’accord. De fait, dès 2017, nous avons effectué les premiers contrôles et, au total, 4,5 milliards d’euros de redressements ont été notifiés.

Si vous pensez que les banques fraudent, il est possible d’activer l’article 40 du code de procédure pénale. Par ailleurs, vous vous apprêtez à en entendre les représentants : vous verrez avec eux. Je ne pense pas qu’elles fraudent de manière professionnelle et permanente.

Respecter le Parlement consiste à préciser la loi, notamment en matière fiscale, avec l’appui du Conseil d’État. C’est ce que nous faisons en permanence à Bercy.

S’agissant de la transparence administrative, heureusement que toutes les notes de Bercy ne sont pas publiées : leur lecture vous ennuierait, même si, pour le ministre que je suis, elles sont toutes passionnantes. Il est logique que l’administration produise des notes internes et qu’elles ne soient communicables qu’à un petit nombre de parlementaires – les présidents et les rapporteurs généraux des commissions compétentes. Dans notre forme de république, ces questions ne peuvent pas être débattues en permanence sur la place publique.

Non, nous ne laissons pas filer les milliards, nous n’observons pas tout cela comme on regarde passer les trains.

Quant à la formulation que j’ai retenue, elle n’est pas favorable aux banques : elles ne l’ont d’ailleurs pas non plus approuvée. Franchement, arrêtez de penser que Bercy ou moi-même serions favorables à qui que ce soit. Nous dirigeons le pays de manière responsable et équitable, au service de l’intérêt général. Je le répète : ce choix « sans fondement juridique » s’appuie sur un avis du Conseil d’État, fût-il antérieur au vote définitif de la loi.

Je ne connais pas le nombre de redressements. Le président et le rapporteur général pourraient demander cette information.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). L’objet de notre audition est de savoir, d’une part, si un décalage réel existe entre le dispositif voté et son texte d’application, et si oui, pour quelles raisons, et, d’autre part, si le dispositif en vigueur est pleinement efficace pour lutter contre ces montages frauduleux qui sont de plus en plus sophistiqués grâce à l’utilisation de produits dérivés – c’est la question la plus importante.

Vous avez parlé, monsieur le ministre, de plusieurs milliards d’euros de redressements notifiés. Or les notifications se distinguent des recouvrements. Compte tenu des contentieux en cours, existe-t-il un risque que l’intégralité de ces sommes ne soit pas recouvrée ?

Le Parlement a voulu mettre fin à ces fraudes. Lorsque nous votons un texte, nous avons à cœur que son application corresponde à ce qui a été voté. Si nous avons mal fait, peut-être devons-nous revoir notre copie. Mais comment garantir que l’application sur le terrain soit en tout point conforme à ce que le législateur a décidé ?

M. Éric Lombard, ministre. Il ressort des travaux très approfondis menés par l’administration fiscale que celle-ci a tous les moyens pour poursuivre et redresser ces abus, en s’appuyant sur la notion d’abus de droit.

La loi donne mandat à l’administration pour le faire ; telle est également la volonté du gouvernement, qui est très attentif à la lutte contre la fraude fiscale, je le redis devant vous publiquement et avec la plus grande énergie. Nous luttons contre cette fraude. Quant à la question de savoir si elle se poursuit, je laisserai les banques y répondre. Mais sans preuves ni éléments permettant de le penser, il vaut mieux éviter de dire ce genre de choses.

Vous avez raison : les notifications entraîneront probablement des contentieux – certains sont déjà en cours – et, par définition, la récupération intégrale des 4,5 milliards d’euros n’est pas garantie. Cela dépendra du juge et je ne peux faire de prévisions sur ce point. Mais je suis certain que le président et le rapporteur général, qui disposent de pouvoirs bien plus étendus que les miens en la matière – et c’est une excellente chose –, auront une vision plus claire de cette question une fois qu’ils auront interrogé les collègues de Bercy qui suivent ce dossier.

Mme Félicie Gérard (HOR). Rappelons que le mécanisme frauduleux dont nous parlons a entraîné un manque à gagner fiscal pour la France de 1,5 à 3 milliards d’euros par an, soit environ 33 milliards d’euros sur vingt ans. Le nouveau dispositif renforcé anti CumCum externes adopté par le Parlement entrera en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2026.

L’exemple des CumCum montre que les régimes fiscaux peuvent faire l’objet de fraudes. Dans l’optique de réduire le déficit de l’État, vos services vont-ils mieux analyser et prévenir ce type de manœuvres ? Plus concrètement, comptez-vous instaurer un mécanisme efficace pour agir de manière préventive sur les fraudes fiscales ? Si oui, lequel ?

M. Éric Lombard, ministre. La lutte contre la fraude est une priorité qui, chaque année, permet de recouvrer davantage de recettes. L’année prochaine, nous serons encore plus efficaces. Les équipes chargées de cette mission à Bercy sont très compétentes et très engagées. Grâce à l’intelligence artificielle, nous disposons d’outils nouveaux qui permettent de documenter ou de tracer des comportements d’évitement de l’impôt ou de fraude – la fraude sociale est encore plus massive que la fraude fiscale.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Arrêtez avec ça !

M. Éric Lombard, ministre. Vous trouvez que c’est bien, la fraude sociale ?

M. le président Éric Coquerel. Ce n’est pas cela : Mme Feld réagissait au fait que vous ayez dit que la fraude sociale était plus massive.

M. Éric Lombard, ministre. Les montants identifiés sont plus élevés. Les chiffres ont un sens.

J’ai peut-être répondu un peu rapidement à la question sur le drame qui touche nos collègues de la direction générale des finances publiques. Je veux redire très solennellement, en ce jour triste pour l’Assemblée nationale, mon émotion et ma solidarité avec les familles de nos agents disparus. Je le confirme, une réunion avec les organisations syndicales, qui était déjà prévue, se tiendra demain. Nous pourrons donc échanger sur ces questions avec l’ensemble des organisations syndicales représentant les agents, ce qui est absolument indispensable.

Quand ces suicides se sont produits sur le lieu de travail – ce qui est le cas pour une minorité d’entre eux –, nous ouvrons systématiquement une enquête. Mais nous ouvrons aussi une enquête lorsque le suicide survient en dehors du lieu de travail pour voir si des éléments devraient nous alerter. Enfin, nous mettons en place un plan de prévention ainsi qu’un plan de formation aux premiers secours en santé mentale. Comme cela a été dit lors des hommages rendus à votre collègue Olivier Marleix, quand un tel drame se produit, on se dit qu’on n’a peut-être pas su écouter, pas su entendre. Et écouter, cela s’apprend, on peut instaurer des mécanismes pour cela. Nous veillerons à renforcer au sein du ministère de l’économie et des finances tout ce qui permet l’écoute et la prévention de ces drames.

M. le président Éric Coquerel. Merci. Vous avez bien fait de reprendre la parole.

M. Nicolas Sansu (GDR). Le législateur souhaite que ses choix soient respectés par l’administration ; c’est bien normal. C’est en 2018 que le mécanisme en question a été découvert. Depuis, des tentatives législatives, notamment transpartisanes, ont été menées. En 2024, nous avons ainsi repris une proposition de loi présentée par la sénatrice Nathalie Goulet.

Ne cachons pas la réalité : il y a beaucoup de résistance de la part des banques, notamment sur la question des bénéficiaires effectifs ; c’est bien cela qui a bloqué. Vous estimez que le choix fait par vos services était le meilleur, alors même qu’on vous avait mis en garde contre le texte que vous avez finalement retenu.

Quelle a été la teneur exacte des échanges entre Bercy et la Fédération bancaire française sur ce texte ? Est-il possible de rendre publiques les éventuelles contributions ou suggestions de la Fédération bancaire française ? Ne pourriez-vous pas retirer le texte d’application du 17 avril pour que nous en reparlions lors de l’examen du budget pour 2026 afin de parvenir à une solution qui ne prête pas à polémique ?

Est-il possible que les redressements notifiés fassent l’objet d’une transaction ou d’un règlement global ? Dans la mesure où il s’agit d’évasion fiscale, cela me poserait un problème.

M. Éric Lombard, ministre. Dès lors qu’une fraude est identifiée, nous la sanctionnons. L’arsenal législatif vise à renforcer les moyens dont nous disposons. Ce qui est frauduleux était déjà poursuivi et continuera à l’être.

Il est vrai qu’au début, nous nous sommes fondés sur la notion juridique de bénéficiaire effectif. Mais, à la suite des travaux juridiques menés, notamment par les équipes de la direction de la législation fiscale, il est apparu que l’abus de droit était une base plus solide pour lutter contre cette fraude.

L’avis donné par l’une des directions de Bercy portait sur une seule phrase du texte, certes importante puisqu’elle porte sur les marchés réglementés. Aucune direction de Bercy n’a suggéré de ne pas publier ce texte. D’ailleurs, cette direction a eu le nez creux, car elle disait que cette phrase pouvait prêter à polémique. Pour ma part, j’ai voulu clarifier les choses, et je pense l’avoir fait pour les acteurs de la place. Quant à la polémique, elle existe bel et bien – la preuve : je suis devant vous, mais j’en suis heureux, cela me permet d’expliquer la façon dont j’ai traité ce sujet en mon âme et conscience.

Les échanges entre la Fédération bancaire française et les services de Bercy se sont déroulés de manière tout à fait habituelle et transparente. Je n’en connais pas le détail ; je sais simplement qu’il n’y a pas eu d’accord sur le texte final. J’ai moi-même appelé le président de la Fédération bancaire française pour en connaître les raisons, et nous sommes restés sur un désaccord. Il est clair que la Fédération bancaire française n’est pas non plus satisfaite du texte. Je n’ai pas de relation plus particulière avec elle qu’avec la fédération représentant le petit commerce, la Fédération française du bâtiment ou la Fédération nationale des travaux publics : toutes sont respectables et il est normal que le ministre de l’économie et des finances échange avec elles.

S’agissant de l’évolution de ce texte, je poursuivrai le dialogue engagé avec Jean-François Husson et le Sénat. Je reste convaincu qu’un texte d’interprétation est nécessaire.

Enfin, concernant le recours à la transaction dans le cadre des redressements, les équipes du fisc disposent d’une autonomie de gestion : je ne peux pas leur donner d’instructions et je ne sais pas ce qu’elles font. Par ailleurs, le président de la commission des finances peut exercer ses pouvoirs de contrôle, comme il l’avait fait à propos d’un sujet qui avait suscité une question au gouvernement en se rendant à Bercy pour vérifier que l’administration avait bien défendu les intérêts du contribuable – c’est le rôle des agents et ils le jouent avec diligence ; j’en profite pour leur rendre hommage. Ainsi, quelle que soit la décision prise par les agents du fisc, elle pourra d’abord être contestée, notamment par Bercy, et faire ensuite l’objet d’une revue par le président de la commission des finances et le rapporteur général, ce qui est une excellente chose.

M. le président Éric Coquerel. Après vous avoir longuement écouté, un point me perturbe encore : le texte d’application reprend le dispositif proposé dans un sous-amendement du gouvernement qui a pourtant été rejeté. D’ailleurs, je vous rappelle que le projet de loi de finances a été adopté en commission mixte paritaire : vous répondez que vous poursuivrez le dialogue avec le rapporteur général Jean-François Husson, mais nous sommes tous concernés, députés comme sénateurs.

Vous expliquez que la modification du dispositif se fonde sur l’avis du Conseil d’État. Mais comme l’a expliqué Jean-François Husson lors de la commission mixte paritaire, il s’agissait dans l’article 26 bis de tirer les conséquences de l’avis du Conseil d’État rendu le 27 janvier. Autrement dit, le texte a été rédigé de manière à être conforme à cet avis ; et il ne comportait pas les dispositions du sous-amendement. Par conséquent, Bercy n’a pas appliqué la loi que nous avions votée.

Vous estimez que votre dispositif est plus efficace : c’est logique, puisqu’il correspond au sous-amendement présenté par Bercy… Néanmoins, vous comprendrez qu’il nous soit désagréable de constater qu’au nom de l’efficacité, vous avez contourné le vote de l’Assemblée, sur un article dont nous avions longuement débattu et à propos duquel les arguments que vous nous donnez avaient déjà été exposés par le gouvernement pour appuyer son sous-amendement – en vain, puisque celui-ci a été rejeté.

Vous pourriez, comme l’a suggéré Nicolas Sansu, retirer le texte d’application, quitte à demander une modification du dispositif dans le cadre de l’examen du prochain projet de loi de finances, si vous l’estimez moins efficace. Mais il est surprenant que vous n’appliquiez pas la loi telle qu’elle a été votée. La volonté du législateur a été contournée au nom d’un avis du Conseil d’État qui a pourtant été rendu à une date antérieure à l’adoption du projet de loi de finances. Vous êtes en droit d’estimer que le dispositif n’est pas efficace – je pense, d’ailleurs, que vous le faites en toute honnêteté et non pour céder aux pressions –, mais cela reste difficile à entendre pour le législateur. Par conséquent, la question de Jean-François Husson reste plus que jamais d’actualité.

M. Éric Lombard, ministre. J’aimerais comprendre sur quel point précis le texte d’application publié au Bofip contrevient à la loi telle qu’elle a été promulguée.

M. le président Éric Coquerel. En ce qu’il prévoit des cas de non-application de la retenue à la source lorsque le pays de résidence du bénéficaire effectif n’est pas connu. Le sous-amendement prévoyait des dérogations de ce type, qui ont été repoussées par le Parlement. En définitive, les services de Bercy appliquent le dispositif qu’ils souhaitaient voir appliquer, alors qu’il est contraire au résultat de nos débats. C’est un fait et cela nous pose problème de constater que nos décisions ne sont pas respectées.

M. Éric Lombard, ministre. Je dois vérifier quelle partie de la loi n’est pas appliquée : s’il apparaît que le Bofip contrevient à un élément de la loi, j’admettrai qu’il y a un problème.

M. le président Éric Coquerel. Dans ce cas, vérifiez-le, car je serais content que la loi s’applique : ce serait une conclusion positive à cette audition.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Monsieur le ministre, vous êtes en train de réaliser, en direct, que les services sont responsables d’une escroquerie à la fois démocratique et fiscale. La volonté du législateur était de créer une retenue à la source sur les dividendes, afin d’empêcher la fraude fiscale. Celle-ci existe bel et bien, puisque les services ont déjà recouvré 4,5 milliards d’euros. Ce qui vous pose problème, c’est de rendre la retenue à la source automatique. Vous avez expliqué vous-même, dans votre exposé, qu’il était impossible de procéder à une retenue à la source sur les 72 milliards d’euros de dividendes versés par les sociétés du CAC40, car les services ne s’en sortiraient pas. Pourtant, c’est bien ce qu’il faut faire. Vous en avez décidé autrement et introduit des cas d’exonération, ce qui conduit à plusieurs milliards d’euros de pertes de recettes.

Le Conseil d’État avait recommandé d’écrire dans le texte d’application que la retenue à la source n’est pas due si la banque ne peut pas connaître l’intermédiaire – c’est « l’impossibilité de connaître » qui importe. Pourquoi n’avez-vous pas retenu cette proposition de rédaction et choisi une formulation qui, le président Coquerel l’a rappelé, est contraire à la loi, coûte de l’argent à l’État et autorise la fraude fiscale, si ce n’est parce que les banques vous ont demandé d’agir ? Vous avez d’ailleurs reconnu avoir été très sollicité en raison d’un fort émoi du secteur bancaire. En réalité, vous avez cédé aux intérêts financiers et obéi aux demandes des banques.

M. Éric Lombard, ministre. Ce que vous dites est parfaitement inacceptable. Il n’y a aucune escroquerie fiscale, puisque toute fraude au titre des CumCum peut être identifiée et faire l’objet de poursuites. Nous avons d’ailleurs déjà notifié 4,5 milliards d’euros de redressements, ce qui n’est pas une petite somme. La possibilité de poursuivre les fraudes demeure et il n’y a rien de nouveau sur ce point.

En revanche, nous avons une divergence d’interprétation : dès lors qu’une condition au prélèvement à la source s’applique, il n’y a plus obligation d’y procéder. S’il s’avère que nous avons tort et que la loi nous oblige à opérer la retenue à la source, je ne vois pas comment nous pourrions ne pas l’appliquer ; le rescrit ne peut modifier la loi.

M. le président Éric Coquerel. Vérifiez et vous constaterez que l’application de la loi a été modifiée en fonction d’un sous-amendement qui avait pourtant été rejeté. Votre engagement à respecter la loi me fait très plaisir.

M. Éric Lombard, ministre. Je le répète, je suis prêt à examiner ce point absolument décisif – même s’il y aura sans doute des conséquences. Et si c’est bien ce que la loi impose, le Bofip n’a pas la capacité de l’éviter ; je le dis très tranquillement devant vous, c’est une évidence.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Je vous remercie de cette avancée, monsieur le ministre. Le dispositif voté à l’Assemblée nationale, au Sénat, puis en commission mixte paritaire résulte des travaux d’un groupe de travail réunissant des députés et des sénateurs impliqués sur le sujet depuis très longtemps et qui savent comment les banques contournent la loi pour frauder. L’objectif était de ne plus avoir à rechercher la fraude et d’empêcher toute fraude de la part des banques. C’est bien en ce sens que la loi doit s’appliquer et que les adaptations éventuelles doivent être envisagées. Vous nous répondez que la fraude est constatée mais, compte tenu des moyens accordés à la direction générale des finances publiques, le dispositif prévu par le législateur sera plus efficace. Dans un contexte d’attrition des budgets, vous auriez tout intérêt à l’appliquer.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Le rapporteur Husson a expliqué qu’il ne se passait pas grand-chose depuis 2018 et que les fonctionnaires de Bercy qu’il a auditionnés ont indiqué « n’avoir reçu aucune commande du gouvernement pour lutter contre cette fraude » depuis 2018, « en particulier rien depuis la décision du Conseil d’État du 8 décembre 2023, qui a mis en lumière la nécessité de légiférer pour combler les failles béantes dans notre dispositif de lutte contre ces montages ». Il ajoute que la direction générale du Trésor, régulièrement interrogée sur la lutte contre les fraudes CumCum, a indiqué n’avoir produit qu’une seule note sur le sujet en sept ans. C’est bien ce que j’ai souligné tout à l’heure ; votre réponse, en revanche, ne correspond pas exactement à ces informations.

M. Éric Lombard, ministre. Le gouvernement ne passe pas commande aux services du fisc, monsieur Tanguy. Ceux-ci ont mandat pour lutter contre toutes les fraudes. Vous seriez surpris, voire en colère, si vous découvriez que je leur donne des instructions particulières.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Vous devriez !

M. Éric Lombard, ministre. Dans ce cas, il faut changer la loi. Les textes de Bercy accordent une indépendance totale aux services de lutte contre la fraude, et je pense que c’est une bonne chose.

La loi telle qu’elle a été votée et promulguée prévoit que « les produits visés […] donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé […] lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France ». J’en reviens à ce que nous expliquons depuis le début : la contrepartie des transactions opérées sur un marché réglementé, c’est la chambre de compensation, qui est une entité française. Si vous souhaitez que la retenue à la source s’applique à toutes les transactions, il suffit de supprimer la partie de la phrase : « lorsque le bénéficiaire effectif n’a pas son domicile fiscal en France ». Pour l’heure, si je fais du droit appliqué à partir du texte adopté, je constate que celui-ci prévoit bien une condition. Nous pourrions débattre pour savoir s’il convient ou non de l’amender et j’avancerais les arguments que j’ai exposés précédemment. Néanmoins, à la lecture du texte en vigueur, il me semble que nous sommes en conformité avec la loi ; ce qui ne me surprend pas puisque le texte a été rédigé, j’y insiste, après avis du Conseil d’État et après un travail très précis des services de Bercy, qui n’ont pas pour habitude de trahir le mandat que le législateur leur a confié.

M. le président Éric Coquerel. En l’occurrence, ils ne l’ont pas trahi, mais ils ne l’appliquent pas. Vérifiez ce dont nous venons de parler et vous constaterez que le sous-amendement avait été rejeté, que l’article a été voté tel quel et que l’avis du Conseil d’État était antérieur ; il n’y a donc pas de raison de ne pas appliquer la loi.

Je note néanmoins avec satisfaction votre volonté de procéder à des vérifications ; croyez bien que je suivrai cette affaire avec attention.


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mardi 8 juillet 2025 à 16 heures 30

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Jean-Didier Berger, M. Michel Castellani, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Mathilde Feld, Mme Félicie Gérard, M. François Jolivet, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, M. Jean-Paul Mattei, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, Mme Christine Pirès Beaune, M. Nicolas Ray, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy

 

Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, M. Emmanuel Tjibaou