Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Examen, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, du rapport d’information sur la guerre économique (M. Christophe Plassard,- rapporteur spécial de la mission Défense : préparation de l’avenir) 2
– Présence en réunion....................................9
Mercredi
16 juillet 2025
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 142
session extraordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
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La commission procède à l’examen, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, du rapport d’information sur la guerre économique (M. Christophe Plassard, rapporteur spécial de la mission Défense : préparation de l’avenir)
M. le président Éric Coquerel. L’ordre du jour appelle l’examen du rapport d’information sur la guerre économique, présenté par M. Christophe Plassard en sa qualité de rapporteur spécial de la mission Défense pour les programmes consacrés à la préparation de l’avenir. C’est d’actualité après les annonces du chef de l’État.
M. Christophe Plassard, rapporteur spécial (Préparation de l’avenir). Je souhaite vous faire part de nos constats, notamment sur les vulnérabilités de notre base industrielle et technologique de défense (BITD), avant de formuler les recommandations essentielles pour y répondre dans l’intérêt de la nation.
La France fait face à une intensification sans précédent de la guerre économique. Celle-ci ne se limite plus à la simple concurrence commerciale : elle prend la forme d’une véritable confrontation où tous les moyens – humains, physiques, numériques, juridiques, capitalistiques, informationnels – sont employés pour affaiblir ou déstabiliser nos entreprises stratégiques. C’est le constat unanime issu des auditions menées auprès des acteurs de la défense, des services de renseignement, des industriels et du monde académique. Il était donc urgent d’actualiser notre diagnostic et d’évaluer les moyens de protéger durablement nos actifs essentiels.
Notre rapport révèle d’abord un niveau élevé et croissant de menace contre la BITD : on relève 500 à 550 atteintes avérées par an et plus de 750 alertes de sécurité économique recensées pour l’année 2024, contre à peine la moitié quatre ans plus tôt. 80 % des attaques visent nos PME, qui sont essentielles à notre autonomie stratégique mais restent le maillon faible de la chaîne de valeur, car elles sont moins dotées pour se défendre que les grands groupes.
Les menaces sont désormais protéiformes. Les atteintes humaines – espionnage, recrutement ciblé de compétences, indiscrétions internes – représentent plus d’un tiers des actions hostiles. Le nombre d’atteintes physiques – intrusion, sabotage, survol de sites sensibles par des drones – a quasiment doublé en un an. Celui des cyberattaques explose : l’Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) a traité en 2024 plus de 4 000 incidents de sécurité sur des entités stratégiques, ce qui représente une hausse de 15 %. Les menaces capitalistiques concernent des entreprises fragilisées financièrement qui peuvent devenir la cible de prises de contrôle hostiles ou d’investissements indirects étrangers. Ces menaces peuvent enfin prendre la forme d’une instrumentalisation du droit – lawfare – et de campagnes d’influence, menées souvent à distance, pour détruire des réputations ou bloquer des contrats stratégiques à l’export.
Dans ces menaces, il n’y a pas d’ennemi unique. La Russie, la Chine, mais aussi des alliés stratégiques comme les États-Unis sont engagés dans cette compétition, chacun mobilisant ses moyens – influence, finance, espionnage, normes – pour protéger et favoriser ses propres industries de défense. Il ne s’agit pas de condamner ces pratiques, mais d’appeler à la fin de la naïveté pour défendre, nous aussi, nos intérêts.
Nos travaux mettent en lumière de réels progrès dans l’organisation de l’intelligence économique nationale. Les moyens humains et budgétaires de la direction générale de l’armement (DGA) et de sa direction de l’industrie de défense (DID), du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSÉ[SM1]) et des services de renseignement – DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense) et DGSE (direction générale de la sécurité extérieure), dont les effectifs et les budgets sont en hausse constante depuis 2018 – ont été renforcés. La DGA s’est organisée pour accompagner et soutenir les entreprises, notamment celles en difficulté, grâce à des rencontres de terrain régulières – près de 900 visites par an. Enfin, les dispositifs juridiques ont été modernisés. Ainsi, le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) a été densifié et élargi à de nouveaux secteurs stratégiques : 200 lettres d’engagement sont activement suivies pour éviter le dépeçage, le transfert sensible ou la délocalisation des activités de recherche et développement. Par ailleurs, la loi dite de blocage de 1968, qui a été réactivée et concrétisée, est devenue une protection crédible pour les entreprises exposées à des injonctions étrangères abusives.
Cependant, malgré les progrès, nos dispositifs restent trop permissifs, nos moyens parfois éclatés et notre posture trop défensive face à des adversaires dotés de stratégies offensives assumées. Le rapport formule plusieurs axes d’action qui doivent, selon moi, devenir des priorités partagées par la représentation nationale : consolidation et renforcement des moyens dédiés à la sécurité économique ; renforcement des points faibles de nos chaînes d’approvisionnement ; durcissement de la réponse face aux menaces capitalistiques et juridiques ; amélioration de la mobilisation de l’épargne nationale pour investir dans notre industrie de défense.
La consolidation et le renforcement des moyens dédiés à la sécurité économique passent par l’augmentation des moyens humains et budgétaires de la DGA, de la DRSD et du SISSÉ pour couvrir tout le territoire, accélérer les enquêtes de sécurité et anticiper les menaces émergentes, notamment informationnelles ou cognitives. Il faut également assurer une meilleure coordination, éviter la dispersion des responsabilités administratives, garantir la stabilité et la transversalité du SISSÉ et renforcer le dialogue avec le secteur privé.
Nos points faibles sont nos PME, leur souveraineté numérique et les ressources humaines. Il faut généraliser la sensibilisation et l’accompagnement des PME de la BITD, renforcer les exigences de protection du potentiel scientifique et technique et imposer progressivement le stockage souverain des données critiques sur des serveurs situés en France ou en Europe. Il faut également mettre en place un cadre facilitant la constitution d’un vivier de personnels habilités pour répondre aux besoins massifs de recrutement en cas de crise.
Le durcissement de la réponse face aux menaces capitalistiques et juridiques demande de mieux anticiper la sortie des fonds d’investissement étrangers, d’organiser la gouvernance pour renforcer le suivi des engagements dans les entreprises stratégiques, d’alourdir de manière significative les sanctions en cas de méconnaissance de la loi de blocage et de rendre plus contraignantes les licences d’exportation délivrées par l’État pour qu’aucun établissement bancaire n’ait la possibilité d’aller à l’encontre d’une décision souveraine, sauf motif financier objectif et documenté.
Enfin, une meilleure mobilisation de l’épargne nationale passe par la création de canaux de financement publics et privés, par la mise en place de fonds d’investissement publics ouverts aux particuliers, par un fléchage de l’épargne réglementée – livret A ou livret de développement durable et solidaire (LDDS) – vers les PME de défense et par la création d’un crédit d’impôt pour orienter l’investissement vers l’économie française et européenne.
Nous proposons également d’affecter une part des dividendes perçus par l’État à la protection des entreprises stratégiques en renforçant ainsi la capacité d’intervention de l’Agence des participations de l’État (APE) en cycle difficile.
Notre cadre juridique national est solide, mais la France seule ne peut répondre à toutes les menaces. Il faut impulser une réponse européenne ambitieuse pour adopter un règlement de blocage sur le modèle de notre loi de 1968, créer un label similaire à l’Itar (International traffic in arms regulations) américain pour protéger les technologies et marchés sensibles et nous doter d’armes normatives comparables à celles de nos principaux compétiteurs. Il faut également pousser à une harmonisation réelle des mécanismes de filtrage des investissements étrangers pour empêcher la prédation de nos innovations par des acteurs non européens. Il revient à la France, qui est en pointe en Europe sur l’ensemble des outils juridiques de protection économique, de porter ces sujets au niveau européen.
Quatre des seize recommandations du rapport sont prioritaires. La première est la généralisation du conseil d’administration alternatif, appelé proxy board aux États-Unis, pour renforcer le suivi des engagements imposés aux investisseurs étrangers. La deuxième est l’affectation du produit des dividendes perçus par l’État au compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État, afin que les résultats des entreprises détenues par l’État puissent alimenter ce fonds. La troisième consiste à conférer un caractère contraignant pour les établissements bancaires aux licences d’exportation d’armes délivrées par l’État. La dernière est la création d’un livret défense souveraineté ou le fléchage d’une partie des encours des livrets réglementés vers les PME de la défense.
La France a les atouts pour défendre sa souveraineté économique. Ce rapport n’est ni un constat de défaite, ni un plaidoyer pour le repli. Il est un appel à une mobilisation collective, lucide et déterminée. La guerre économique n’est pas un concept abstrait, c’est une guerre du réel, qui se joue chaque jour sur nos territoires, dans nos entreprises, dans nos laboratoires et dans nos infrastructures numériques. Nos adversaires ont compris que la dépendance technologique et financière est la clé de la domination moderne. La meilleure réponse est de bâtir une protection à la hauteur de nos ambitions. Plutôt que de céder à la naïveté ou de sombrer dans la frilosité, il faut assumer une posture offensive, pragmatique et ouverte à l’innovation et à la coopération européenne.
M. le président Éric Coquerel. Selon votre rapport, « les menaces viennent de tous nos compétiteurs stratégiques », « les ingérences étrangères les plus graves proviennent naturellement de la Russie et de la Chine, ainsi que d’autres pays dont l’industrie de défense est concurrente de la nôtre, mais certaines proviennent aussi de pays qui sont nos alliés sur le plan géostratégique, en tête desquels les États-Unis ». Je ne nie pas que la Russie et la Chine soient des compétiteurs stratégiques – j’ai même cru comprendre que le chef de l’État fait de la Russie un adversaire. En revanche, l’idée que les États-Unis seraient un allié me laisse très dubitatif à un moment où ils poussent à son paroxysme la logique selon laquelle ils n’ont que des intérêts et aucun allié, se replient sur eux-mêmes et engagent une guerre commerciale avec à peu près tous les blocs politico-économiques, y compris l’Europe, coupent l’aide publique au développement, ce qui menace des millions de personnes vulnérables dans le monde, et enfreignent le droit international, notamment en bombardant l’Iran.
Le chancelier allemand a récemment exprimé le souhait que l’armée allemande devienne l’armée conventionnelle la plus importante en Europe et le président du groupe CDU au Bundestag a déclaré que, s’il y avait une dissuasion européenne, il serait naturel que ce soit l’Allemagne qui en dispose. Cela m’inquiète d’autant plus que l’Allemagne a annoncé un effort considérable pour porter à 3,5 % la part de son budget consacrée à la défense d’ici 2029-2030. S’agit-il, pour vous, de quelque chose d’anodin et de normal, de quelque chose qui pourrait être intégré à une défense européenne, quoi qu’on pense de cette idée ? Ou bien devons-nous prendre en compte le fait que notre voisin, avec lequel nous avons connu plus que des blessures depuis 150 ans, envisage de se réarmer à ce point, et nous demander dans quel but ?
Les Forges de Tarbes produisent des corps creux d’obus de 155 mm, nécessaires aux canons Caesar. Le 17 mai 2024, leur propriétaire, Europlasma, a signé un accord avec la société Bizzell Europe, filiale du groupe Bizzell Corporation, qui opère principalement au profit du gouvernement américain. Cette proximité avec un groupe états-unien est de nature à susciter une inquiétude légitime face à l’éventuel projet d’entrée du groupe Bizzell dans le capital des Forges de Tarbes, dont la situation est fragile. La matérialisation de ce scénario conduirait à une influence, voire à un contrôle, états-unien sur les corps creux d’obus français de 155 mm, donc, incidemment, sur les canons Caesar, qui jouent un rôle majeur dans l’autonomie stratégique française. Lors d’une audition au ministère de l’industrie, les syndicats des Forges de Tarbes ont exprimé leur inquiétude face aux investissements prévus par Europlasma, qui sont loin de ce qui avait été prévu.
Vous concluez dans votre rapport, qui ne parle pas des Forges de Tarbes, que le cadre juridique national est complet et efficace et qu’il appelle peu d’évolutions législatives ou réglementaires. Ne pensez-vous pas que le cadre juridique pourrait être amélioré afin de prévenir plus efficacement ce genre de rapprochements, qui peuvent, à terme, porter atteinte à notre souveraineté ? Il me semble souhaitable que l’État contrôle sur place les investissements promis. Qu’en pensez-vous ?
Vous écrivez dans votre rapport : « S’agissant de Vencorex, sous la menace d’un rachat par le groupe chinois Wanhua, il faut souligner que ce rachat ne concerne pas l’activité de production de sels purifiés qui sont utilisés dans certains matériels stratégiques et qu’il n’induit aucun transfert technologique. La France dispose de stocks suffisants et de sources d’approvisionnement alternatives. » À ce propos, le ministre a parlé de sources allemandes lors des questions au Gouvernement, ce qui ne me paraît pas une bonne alternative du point de vue de notre souveraineté.
Lors de son audition du 28 avril à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Béal, PDG de Vencorex, a déclaré que le groupe chinois reprend « l’ensemble des actifs incorporels, c’est-à-dire le savoir-faire, mais pas les installations de production » de sel. Or, dans les actifs incorporels, il y a les brevets. L’acheteur chinois peut-il, dans ces conditions, obtenir les brevets de production de sel pour la fabrication de missiles de la dissuasion nucléaire même s’il ne prend pas le contrôle de la mine de Hauterives ? Ne faudra-t-il pas adapter le cadre juridique en cas de vulnérabilité ?
Le groupe chinois n’a récupéré qu’un atelier sur quatre, suscitant une vive inquiétude des salariés sur la pérennité du site. N’aurait-il pas fallu privilégier, sinon une nationalisation, du moins le projet de coopérative proposé par les salariés, qui semble plus sûr du point de vue de la souveraineté ?
Enfin, vous écrivez que « la guerre économique implique également la mise en œuvre de manœuvres plus offensives. On ne peut pas se contenter de subir en permanence. Il faut dans certains cas être proactif. En la matière, force est de constater que nos compétiteurs stratégiques, ennemis ou alliés, hésitent moins que nous. C’est donc une évolution des mentalités qui doit s’opérer ». Et, plus loin : « Nous faisons encore preuve d’une retenue que ne connaissent pas tous nos compétiteurs. »
Sur ce point, nos analyses divergent. J’entends dans votre propos l’écho du discours appelant à se préparer à une guerre qui vient. Le chef de l’État a ainsi parlé du risque d’un conflit de haute intensité en Europe dans les années à venir, sans que l’on sache si cela impliquerait l’intervention directe de la France. Mais quand on prépare une guerre, on produit de plus en plus d’armes ; or la logique de l’économie capitaliste veut que ce qui est produit, dans ce secteur comme dans n’importe quel autre, soit utilisé ; en l’occurrence, cela met encore plus en danger la paix dans le monde. La production d’armes va-t-elle servir à assurer notre défense nationale, ce à quoi je serais évidemment très favorable, ou contribuer à la provocation et à l’aggravation des conflits ? Sur ce débat important – est-ce une économie de paix ou une économie de guerre que nous voulons ? –, j’aimerais entendre votre réaction.
M. Christophe Plassard, rapporteur spécial. Selon moi, les États-Unis sont un allié face au risque de guerre – nous ne pourrions pas imaginer, d’ailleurs, que ce pays nous déclare la guerre.
Cela étant, le rapport d’information, entre autres travaux, montre que l’orientation stratégique des États-Unis a changé. Ce pays fait converger ses efforts vers d’autres parties du monde que l’Europe. Les Français et, plus globalement, les Européens doivent donc prendre ou reprendre en main les questions de défense.
En outre, les États-Unis sont des compétiteurs industriels – je les ai cités en tant que tels et c’est en ce sens que je dis qu’il ne faut pas faire preuve de naïveté. Les forces européennes sont très majoritairement équipées de matériel américain. Or il faut établir quelles dépendances fragilisent notre souveraineté.
Certes, la France a désigné la Russie comme ennemie, mais c’est surtout la Russie qui l’a désignée comme son ennemie principale en Europe.
Non, ce qui se passe en Allemagne n’est pas anodin, y compris pour le peuple allemand, fortement marqué par son histoire. Est-ce normal ? Une défense européenne doit s’appuyer sur le couple franco-allemand, puisque c’est en grande partie la réconciliation franco-allemande qui a permis d’installer durablement la paix sur notre continent. Et il est normal que la part de l’Allemagne dans un effort européen soit à la hauteur de son poids en Europe. Vous me demandiez si cette démarche est susceptible d’être intégrée à une défense européenne ; je préfère évoquer des efforts européens de défense, dans lesquels, je le répète, l’Allemagne doit avoir toute sa part. Les industries de nos deux pays sont très liées. Airbus constitue un bon exemple de notre collaboration fructueuse sur les plans civil et militaire.
Je ne connais pas le détail du dossier des Forges de Tarbes, faute d’avoir auditionné les représentants de cette entreprise. Toutefois, nous sommes plutôt bien dotés sur les plans administratif et juridique pour faire face à ce type de prise de capital. Les investissements étrangers en France sont contrôlés et la DGA peut bloquer des transactions. Je fais confiance aux experts de la direction de l’industrie de défense de la DGA et à ceux du SISSÉ, entre autres services de Bercy, pour agir dans le cadre juridique adéquat, ou en demandant une action prioritaire.
Nous pourrions effectivement envisager des évolutions juridiques. J’ai parlé du proxy board dont les États-Unis imposent la création aux étrangers investissant sur leur territoire – un conseil d’administration parallèle composé uniquement de citoyens américains. Puisque des étrangers investissent également en France, et c’est tant mieux, nous pourrions soumettre les entreprises concernées à un tel dispositif, afin de bénéficier d’un droit de regard sur leur gouvernance – par exemple concernant la délocalisation des unités de production ou le recrutement du patron d’une business unit située en France. Cet outil de contrôle national pourrait s’ajouter aux golden shares, ou actions prioritaires.
De même, je fais confiance à la DGA pour contrôler la reprise de Vencorex et, si nécessaire, la bloquer. Les représentants de cette entreprise indiquent que les brevets et les éléments critiques et stratégiques sont placés dans une entité à part. Si les étrangers qui ont acquis une partie de Vencorex souhaitent bénéficier des informations stratégiques que détient cette entité sur le processus de production et les produits, la loi de blocage de 1968, qui a été renforcée depuis 2020, permettra de l’empêcher. La situation est ainsi sécurisée grâce à la loi et à la DGA.
Depuis que je travaille sur les questions de défense – je produirai cette année mon quatrième rapport spécial pour la mission Défense, pour lequel nous avons envoyé le 10 juillet nos questions au ministère des armées, j’ai été rapporteur pour avis de la LPM (loi de programmation militaire) et j’avais déjà lancé précédemment une mission d’information sur l’économie de guerre –, j’ai appris comment fonctionne notre stratégie. Heureusement ou malheureusement, la logique actuelle est celle des rapports de force et se caractérise par une forme de brouillage stratégique.
Notre production d’armes s’inscrit clairement dans une logique de défense et non d’attaque – ainsi avons-nous équipé l’armée arménienne avec des équipements radar ou de défense sol-air. La France n’a pas vocation à déclarer la guerre à d’autres pays, mais à se défendre, à défendre sa souveraineté et la souveraineté européenne, ainsi qu’à honorer ses engagements auprès de l’Otan.
La situation internationale nous commande de peser davantage dans les rapports de force. Pendant des dizaines d’années, au nom des dividendes de la paix, nous avons réduit nos dépenses militaires, jusqu’à nous fragiliser. Actuellement, le pourcentage de la richesse nationale consacré à la défense reste éloigné de celui des années 1970 dans le contexte de la guerre froide.
M. le président Éric Coquerel. Si j’ai évoqué la défense européenne, ce n’est pas parce que j’y suis favorable, mais pour préciser que l’effort militaire allemand ne s’inscrit pas dans ce projet : il s’agit bien pour l’Allemagne de bâtir l’armée conventionnelle la plus importante d’Europe. Ce projet devrait nous interroger au vu des 150 dernières années.
Mme Sophie Mette (Dem). Je salue la qualité de vos travaux, qui mettent en évidence la montée de menaces protéiformes pesant sur la base industrielle et technologique de défense et les efforts de l’État pour y faire face.
Pourriez-vous préciser vos recommandations ? Vous évoquez des créations de postes et des moyens humains supplémentaires pour les services de protection et de renseignement. Disposez-vous d’un chiffrage précis ? Sur quelle trajectoire budgétaire et quels crédits ces hausses pourraient-elles s’appuyer ? Supposent-elles des redéploiements internes ou envisagez-vous de nouveaux financements ?
Vous évoquez également des solutions souveraines pour le stockage des données. Cela soulève la question de leur soutenabilité économique pour les PME. Disposez-vous d’une évaluation des surcoûts pour ces dernières ? Un mécanisme de soutien pour les accompagner serait-il envisageable ?
Votre rapport insiste à juste titre sur la montée en puissance de la loi de blocage, mais pointe la faiblesse des sanctions actuelles. Quelles sanctions seraient pertinentes ? Une modification législative est-elle déjà en préparation ?
M. Christophe Plassard, rapporteur spécial. Non, les engagements financiers nécessaires ne sont pas chiffrés. Nous avons toutefois une idée des masses nécessaires. Le SISSÉ – qui est rattaché à la direction générale des entreprises, à Bercy, et non au ministère de la défense – compte quelques dizaines de postes. Dix ou vingt postes supplémentaires permettraient une croissance énorme de ce service, pour un coût assez faible. De même, les services de renseignement dédiés à ces questions ne comptent que quelques centaines de postes alors que le budget de la défense s’élèvera à plus de 50 milliards d’euros cette année.
Le discours du président de la République le 13 juillet laisse augurer une loi de programmation militaire rectificative. Elle permettra à la commission des finances et à la commission de la défense d’adapter la programmation à l’évolution des menaces en matière de guerre économique et d’intelligence économique. Dans la version actuelle de la LPM, le budget des services de renseignement est celui qui a connu la plus grosse croissance.
La loi de blocage de 1968 prévoit une pénalité maximale de 18 000 euros. Alors que les enjeux se chiffrent en millions d’euros, voire en dizaines ou centaines de millions d’euros, ce montant paraît un peu faible. Cette loi a été renforcée et elle est appliquée beaucoup plus fréquemment depuis le début des années 2020. Elle fonctionne et elle est prise en compte par nos compétiteurs, grâce à de nouvelles jurisprudences. Toutefois, nous pourrions nous pencher sur le montant des pénalités qu’elle prévoit, pour renforcer leur effet dissuasif.
La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3 du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 16 juillet 2025 à 10 heures
Présents. - M. Éric Coquerel, Mme Sophie Mette, M. Christophe Plassard
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Charles de Courson, M. Jean-Paul Mattei, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou
[SM1]Abrégé ainsi dans tout le rapport