Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Audition de M. Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice 2
Mardi
8 octobre 2024
Séance de 18 heures
Compte rendu n° 3
session ordinaire de 2024 - 2025
Présidence
de M. Florent Boudié, président
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La séance est ouverte à 18 heures.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission auditionne M. Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice.
M. le président Florent Boudié. Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie d’avoir accepté l’invitation de la commission des lois, qui souhaitait vous entendre rapidement après votre nomination, de même que votre collègue du ministère de l’intérieur, que nous avons auditionné la semaine dernière.
Les questions ne manquent pas. Je m’interroge pour ma part sur l’exécution du budget pour 2024 et le respect des engagements pris dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, sachant que notre commission vous auditionnera de nouveau lors de l’examen des avis sur les missions budgétaires, au début du mois de novembre.
La portée des déclarations de votre collègue ministre de l’intérieur a souvent dépassé la Place Beauvau, pour toucher la Place Vendôme, ce qui soulève des interrogations. M. Retailleau ne s’est pas contenté de reprendre les propos du Premier ministre lors de sa déclaration de politique générale sur les peines courtes et l’extension aux mineurs du champ des comparutions immédiates. Il a également évoqué l’extension de la durée de rétention pour les ressortissants de nationalité étrangère – qui concerne votre ministère puisque les juges des libertés et de la détention sont compétents en la matière –, ainsi que les doubles peines et l’accueil des victimes. Or c’est surtout votre regard qui nous importe sur ces questions.
Par ailleurs, pour la première fois depuis près de trente ans, la France a, dans le contexte singulier de la crise sanitaire, appliqué des mesures de régulation carcérale. L’expérience fut plutôt concluante et menée sans trop de polémiques. S’y ajoutent des données tangibles qui montrent que nous pouvons désormais agir en ce sens, sans pour autant tomber dans les travers de débats parfois excessifs. Quelle est votre position concernant cette question ancienne et centrale, sur laquelle plusieurs d’entre nous travaillent – notamment Mme Faucillon – et qu’il faut se garder d’opposer à celle de l’immobilier ?
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Je me réjouis de ma première audition en tant que garde des sceaux par votre commission, la « maison justice » de l’Assemblée nationale. En tant qu’ancien député et ancien président de commission, je veillerai à tisser avec vous une relation de confiance, tant dans votre fonction législative, en abordant selon une approche constructive et partenariale les projets et propositions de loi qui permettront de faire avancer notre pays, que dans votre fonction de contrôle, en répondant aussi précisément que possible à vos questions, ici comme dans l’hémicycle ou encore par courrier – mon ministère y réservera un traitement prioritaire.
Le rôle du garde des sceaux – sur lequel je porte notamment le regard d’un ancien magistrat financier – consiste d’abord à mieux faire connaître et comprendre la justice, qui est à la fois une mission régalienne, un pilier de l’État et un fondement de la démocratie. Elle mérite notre reconnaissance pour tout ce qu’elle apporte à notre pays et devrait être davantage appréciée, respectée et même aimée. Il est de notre responsabilité collective de lutter contre la défiance grandissante – et dangereuse pour la démocratie – à l’égard des institutions en général et de la justice en particulier.
Certes, il n’est pas dans notre culture de faire spontanément confiance à l’institution judiciaire, contrairement à nos voisins anglo-saxons ou allemands, chez qui l’imaginaire collectif de la justice est différent. En France, l’institution judiciaire reste complexe et mal connue, ce qui alimente les préjugés, les phrases faciles et le dénigrement du travail pourtant très difficile des hommes et des femmes de justice, mais aussi la violence, malheureusement quotidienne dans le monde pénitentiaire – nous avons tous à l’esprit le drame d’Incarville. Or cette violence s’étend jour après jour dans les lieux de justice et de détention, par exemple dans les établissements de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), et jusqu’aux salles d’audience ou aux cabinets des palais de justice, ces lieux solennels où la justice est rendue. Des magistrats et des agents sont menacés, pris à partie, parfois agressés. C’est un pilier de la République, institution fondamentale pour la vie en société, qui est ainsi attaqué.
Il nous appartient de faire en sorte que nos concitoyens fassent davantage confiance à la justice. Je ne me résoudrai jamais à ce que notre République et, à travers elle, notre démocratie, soient attaquées. Si je suis le garde des sceaux, je suis aussi le garde du droit et je dois, au sein du Gouvernement, veiller au respect de la Constitution et de ses principes.
Pour rétablir la confiance, commençons par rappeler, car nous l’oublions trop souvent, tout ce que la justice apporte à nos concitoyens et que je résumerai par le triptyque suivant : protéger, sanctionner, réparer.
La justice, par la politique d’accès au droit, permet à nos concitoyens de défendre leurs droits, afin que le plus fragile ne subisse pas la loi du plus fort. Elle favorise le recours à la médiation et la culture de l’amiable en matière civile, pour trouver des solutions rapides et adaptées. Elle tranche au jour le jour les contentieux civils, familiaux, sociaux ou économiques les plus difficiles dans la société, ceux qu’aucune discussion, aucune médiation, aucun arrangement ou compromis n’a permis de régler, afin d’éviter la violence – cette justice du quotidien, c’est la justice civile. N’oublions pas non plus tout ce qu’apporte la juridiction administrative pour garantir les droits de chacun, y compris face à une administration qui les méconnaît parfois.
L'institution judiciaire dirige des enquêtes pour élucider les crimes et les délits, et poursuit les responsables afin qu’ils soient présentés à un juge et que justice soit rendue. Elle juge de leur culpabilité et, le cas échéant, prononce une peine « afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime », aux termes de la loi du 15 août 2014. Elle assure l’exécution de la peine prononcée, gage indispensable de la confiance en la justice car il permet d’éviter la récidive et d’œuvrer à l’amendement, à l’insertion ou à la réinsertion des condamnés. Elle prévient et réprime la délinquance des mineurs. Elle soutient et accompagne les victimes – car le garde des sceaux est aussi le ministre chargé des victimes et, dans ce domaine, exerce même un rôle interministériel.
C’est tout cela que fait la justice, et elle le fait pour les Français, en leur nom. Il incombe au garde des sceaux de le rappeler.
Je souhaite également mettre fin à l’opposition entre police et justice, au climat antijuges et aux reproches de laxisme adressés à l’autorité judiciaire. L’idée selon laquelle la police arrêterait les délinquants pendant que la justice les libère est fausse. La police que les Français connaissent le mieux, celle dont parlent les médias, est celle qui constate les infractions, enquête sur les délits et les crimes, trouve les preuves et identifie les suspects : c’est la police judiciaire, qui agit sous la direction du procureur de la République, la surveillance des procureurs généraux et le contrôle de la chambre d’instruction.
Rien n’est possible sans la confiance entre police et justice dont les équipes, qui travaillent ensemble sur le terrain, forment la chaîne pénale. Cette confiance existe – heureusement – au quotidien et doit être préservée. Ne cherchons pas à opposer les uns aux autres.
Contrairement à une idée répandue, la réponse pénale est ferme. Lorsqu’une décision de justice est moins sévère qu’attendu, c’est que les juges – tant les juges professionnels que les jurés populaires composant la cour d’assises – disposent d’éléments que le public ignore sur les circonstances exactes de l’affaire jugée ou sur la personnalité du prévenu ou de l’accusé. Au reste, les cours d’assises sont le plus souvent moins sévères que les cours criminelles composées de magistrats professionnels.
Il n’est certes pas facile, dans le débat politique et médiatique, d’affirmer que la justice est ferme, surtout quand surviennent des faits divers tragiques, choquants, inacceptables – tout doit être fait pour éviter qu’ils se reproduisent. Mais il faut respecter le travail du juge ; lui seul connaît l’intégralité et la complexité d’une affaire. L’indépendance du juge et l’individualisation des peines sont au fondement même de la justice.
La réponse pénale n’a jamais été aussi forte. Le problème ne tient pas au manque de sévérité mais au traitement de la masse sans précédent de poursuites – au demeurant justifiées. La chaîne pénale n’a pas été dimensionnée pour assurer la répression systématique et ferme que nous sommes tous en droit d’attendre. Les états généraux de la justice l’ont constaté : la justice a subi plus de trente années d’abandon et de sous-investissement, malgré les attentes de plus en plus fortes, parmi vous comme parmi nos concitoyens. Puisqu’il n’est évidemment pas question pour les policiers et les magistrats de relâcher l’effort, le système s’engorge à tous les niveaux. Les procédures s’amoncellent dans les commissariats. Les tribunaux ne disposent plus de créneaux suffisants pour juger dans des délais raisonnables tous les prévenus que les procureurs leur présentent. Les prisons sont surpeuplées. Or cette situation n’est pas le fruit du laxisme ou d’une idéologie, mais au contraire de la fermeté de la police et de la justice, que les Français attendent légitimement.
On me dit parfois candide, voire naïf ; je ne suis ni l’un ni l’autre. Mais je suis conscient de l’écart qui existe entre la force de la réponse pénale, attestée par les indicateurs, et la perception qu’en ont les Français et leurs représentants. C’est pourquoi je souhaite travailler avec votre commission, en toute transparence, sur la pertinence et la granularité de ces indicateurs.
Il n’y a pas davantage de laxisme policier qu’il n’y a de laxisme judiciaire. En revanche, l’engorgement emporte des délais inacceptables, d’où une réponse pénale trop lente. La justice peine à prioriser les dossiers, à cause de leur masse, et le risque d’erreur s’accroît à tous les stades de la chaîne. De fait, des erreurs se produisent ; j’aurais tort de ne pas le reconnaître. Il m’appartient même, lorsqu’elles sont le résultat de manquements, de les traiter sans complaisance.
Entre 2013 et 2023, le stock de dossiers criminels en attente de jugement est passé de 2 238 à 3 968, soit un quasi-doublement très préoccupant. Pendant la même période, et malgré une hausse de 2 314 à 2 999 du nombre d’arrêts rendus par les juridictions criminelles, le délai d’écoulement des stocks s’est allongé de 50 %, passant de onze mois et demi à près de seize mois. Cette évolution s’explique, j’y reviens, par le sous-calibrage historique du système, qui ne résiste jour après jour que grâce au travail acharné des agents de la police et de la justice. Si nous, décideurs publics, ne leur donnons pas les moyens nécessaires, la réponse pénale fera défaut, affectant la confiance des Français dans ces institutions. Il nous faut donc des moyens – juridiques, financiers, humains.
Ma feuille de route suit en premier lieu la déclaration de politique générale du Premier ministre. Afin d’accélérer la réponse pénale pour tous, nous mobiliserons tous les leviers. Pour revenir à des délais raisonnables de jugement, nous réexaminerons le cadre procédural existant, dans le respect des droits de chacun. Nous favoriserons également, lorsque la nature des infractions le permet, les modes alternatifs de répression – travaux d’intérêt général, amendes administratives, amendes forfaitaires délictuelles. Nous veillerons à l’exécution des sanctions et des peines, notamment au recouvrement des amendes, encore insuffisant.
Le Premier ministre a également annoncé des mesures spécifiques pour les mineurs – un sujet d’autant plus sensible que l’actualité illustre hélas la hausse de la violence dans cette tranche d’âge. Une réflexion est en cours sur l’extension de la comparution immédiate aux mineurs délinquants de plus de 16 ans déjà connus de la justice et poursuivis pour des atteintes graves aux personnes. L’instauration de l’audience unique constitue déjà un progrès mais le dispositif peut encore gagner en efficacité ; je suis prêt à y travailler.
De même, le Premier ministre a annoncé une réflexion sur l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs, dite excuse de minorité – qui ne constitue en rien une impunité. Il va de soi que les principes fondamentaux seront scrupuleusement respectés, notamment – je cite le Conseil constitutionnel – « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées », mais qu’il faudra les concilier avec la nécessité de rechercher les auteurs d’infraction et de prévenir les atteintes à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens.
En clair, nous ne supprimerons pas le traitement spécifique de la délinquance des mineurs – je ne le souhaite pas et la Constitution s’y opposerait. Néanmoins, lorsque des mineurs commettent des infractions graves en pleine connaissance de cause, il faut s’interroger sur la possibilité d’écarter au cas par cas l’excuse de minorité. Notre droit le permet déjà dans des circonstances exceptionnelles, comme l’a confirmé le Conseil constitutionnel. Il ne faut pas s’interdire d’étendre cette possibilité dans les situations d’extrême violence dont l’actualité nous a encore donné l’illustration. Des marges de progression existent et nul ne peut se satisfaire de l’existant.
Ensuite, nous devons garantir une meilleure exécution des peines d’emprisonnement, au risque d’ôter toute crédibilité à la réponse pénale. Nous proposerons donc pour certains délits des peines de prison courtes à exécution immédiate. Pour qu’elles soient efficaces, il faudra diversifier les solutions d’enfermement ou de surveillance effective, en fonction du profil de la personne détenue et de la peine prononcée, notamment pour les mineurs délinquants. Le Premier ministre est favorable à ce titre à la création de nouveaux établissements pour les courtes peines ; nous tâchons de trouver des solutions rapides.
Nous envisageons également de réviser les conditions d’octroi du sursis et de limiter les possibilités de réduction ou d’aménagement de peine. Nous devrons donc continuer à construire des places de prison. Si la prison est nécessaire pour punir et protéger nos concitoyens, les conditions d’incarcération doivent être dignes. Vous connaissez l’état de la surpopulation carcérale : la France compte 80 000 détenus pour environ 62 000 places et 3 900 détenus dorment par terre. Le Premier ministre s’est engagé à poursuivre la réalisation du plan immobilier pénitentiaire de 15 000 places, dit « plan 15 000 ».
Au-delà des caps que le Premier ministre a fixés dans sa déclaration de politique générale, plusieurs chantiers me tiennent à cœur. La justice accompagne les évolutions sociétales, auxquelles il faut adapter les définitions juridiques et la réponse pénale – le pouvoir législatif en est souvent à l’origine. Elle a donc toute sa place dans le combat primordial pour l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment parce qu’elle permet de renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes.
Il est incompréhensible pour nos concitoyens que nous refusions par principe d’introduction la notion de consentement dans la définition du viol. Cependant, sur cette question importante qui mérite un regard transpartisan, nous prendrons grand soin de ne pas inverser la charge de la preuve, de ne pas accroître les difficultés que traversent les victimes et de ne pas aggraver l’insécurité juridique.
Beaucoup a déjà été fait mais il reste encore beaucoup à faire, s’agissant par exemple de la définition des infractions, mais aussi du degré de priorité accordé à la lutte contre les violences faites aux femmes. Je salue à cet égard la mobilisation des procureurs et juges pour traiter les violences intrafamiliales, notamment grâce à des pôles spécialisés qui favorisent la coordination des services et la transmission des informations. Nous encouragerons cet élan.
Les femmes, en effet, ne sont pas seulement victimes de violence mais aussi d’ultraviolence. Les constats médico-légaux sur les cadavres des victimes de féminicide montrent que les violences dépassent celles qui suffisent à tuer : certaines n’ont pas reçu un coup de couteau mais vingt. De même, les meurtriers associent souvent plusieurs modes opératoires – strangulation et défenestration, coups de feu et crémation, étouffement et noyade. Leur acharnement visible sur les corps montre qu’ils n’ont pas seulement pour but d’ôter la vie mais aussi d’anéantir l’autre. Aucune société civilisée ne peut le tolérer. Le XXIe siècle ne peut plus, ne doit plus être celui de la domination de l’homme sur la femme. Je souhaite que le ministère de la justice prenne toute sa part dans ce combat de société, dont j’espère qu’il sera transpartisan.
Les enfants sont en première ligne des violences intrafamiliales, soit parce qu’ils en sont témoins, soit parce qu’ils en sont des cibles directes. Les violences à l’égard des enfants, qu’elles soient sexuelles ou non, ne cessent de croître depuis dix ans ; il y a urgence à agir. La justice est l’institution qui sanctionne mais doit être aussi, plus que jamais, celle qui protège. Mon ministère fera tout pour y parvenir.
Comme ancien président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), j’ai formulé des propositions pour lutter contre la corruption et défendre la probité. Ce chantier m’est cher et je souhaite que les politiques publiques en la matière soient mieux connues ; à cet égard, il serait utile que vous en débattiez. Il faut aussi réfléchir aux contours de la prise illégale d’intérêts. L’établissement du plan national pluriannuel de lutte contre la corruption a pris deux ans de retard ; je souhaite que les choses s’accélèrent et, là encore, qu’il soit soumis à l’examen du Parlement – je n’ai jamais compris qu’il ne le soit pas.
La criminalité organisée prend une ampleur inquiétante et pèserait quelque 3,5 milliards d’euros, peut-être davantage. Le gouvernement précédent avait déjà envisagé des solutions ; nous examinons aussi, en lien avec le ministère de l’intérieur, les propositions issues de travaux du Sénat sur le narcotrafic. Nous devrons prendre rapidement des mesures efficaces, y compris en améliorant notre arsenal de lutte contre le terrorisme.
Enfin, nous devons poursuivre la clarification du droit et son adaptation aux besoins des usagers, notamment en simplifiant les procédures, dans le strict respect des principes fondamentaux et des droits de chacun. La refonte du code de procédure pénale avance ; le droit des entreprises en difficulté évolue. Nous travaillons aussi sur le droit des sociétés, dans la perspective du soixantième anniversaire de la loi de 1966 sur les sociétés commerciales. La partie du code de procédure civile relative aux modes de règlement alternatifs des différends est en cours de réécriture. Il faudra se pencher sur le droit international privé, peut-être même créer un code en ce domaine, et moderniser le droit de l’arbitrage. La codification est un savoir-faire français que le monde entier nous envie ; le ministère de la justice y prendra toute sa part.
Enfin, le garde des sceaux est aussi le ministre des victimes ; c’est donc à moi qu’incombe la coordination interministérielle de l’action visant à améliorer leur prise en charge. Nous avons progressé ces dernières années mais beaucoup reste à faire et je vous présenterai prochainement mes propositions.
Tout ceci ne sera possible que si les moyens de la justice sont préservés. Les arbitrages sont en cours au sein du Gouvernement. L’exécution du budget pour 2024 pose problème du fait des gels et des surgels. Le budget pour 2025 pose lui aussi problème : la lettre plafond, qui restera d’actualité au moins dans un premier temps, prévoit une baisse de 487 millions d’euros du budget de la justice. Je souhaite naturellement son réajustement. Il va de soi que la justice doit renforcer l’efficacité de son action et, ainsi, contribuer à la maîtrise des finances publiques, mais elle a aussi besoin de moyens. Or elle est engagée dans un processus de rattrapage après des décennies d’abandon, et le besoin de justice est criant partout. Nous ne ferons rien d’efficace si nous ne remédions pas au sous-dimensionnement de notre système judiciaire. Notre pays n’a jamais eu autant besoin de justice. Les Français n’ont jamais tant attendu de leur justice. Mais on ne pourra pas faire plus de justice avec moins de moyens.
Un dernier mot pour répondre, monsieur le président, à votre question liminaire sur la régulation carcérale : la surpopulation dans les prisons, en particulier dans les maisons d’arrêt, est un phénomène très complexe qui touche tous les territoires – Mayotte, Marseille, Nîmes et ailleurs – et qui est au cœur de mes préoccupations. Il est négligé depuis des années et, jusqu’ici, les solutions proposées n’ont pas permis de l’enrayer. Nous ne partons pas de rien : des mesures ont en effet été décidées durant la pandémie de covid et le sujet est revenu à l’occasion de conférences de consensus et des états généraux de la justice ; deux de vos collègues ont conduit une mission parlementaire sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale ; je souhaite que ce travail se poursuive.
M. le président Florent Boudié. Il s’agissait de Caroline Abadie et d’Elsa Faucillon.
M. Didier Migaud, ministre. Nous allons prendre le sujet à bras-le-corps pour trouver, avec l’ensemble de l’écosystème judiciaire et pénitentiaire, les solutions les plus efficaces face à l’urgence. La moitié des établissements concernés par le « plan 15 000 » seront opérationnels à la fin de l’année. Un budget de 130 millions d’euros par an est prévu pour rénover les prisons – en forte augmentation par rapport à la période précédant 2017. Nous accélérons les transferts des détenus condamnés vers les établissements pour peine, afin de réguler autant que possible la surpopulation des maisons d’arrêt. Pour éviter les sorties sèches des détenus trois mois avant la fin de leur peine, il faut encourager le recours à la libération sous contrainte de plein droit, qui permet des sorties de détention encadrées par les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Enfin, les infractions de faible gravité peuvent naturellement donner lieu à des mesures alternatives à l’incarcération, comme le travail d’intérêt général ou le bracelet électronique. Telles sont les pistes envisageables pour réguler la population carcérale et résoudre ce problème difficile qu’il faut traiter sans surenchère ni démagogie.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Romain Baubry (RN). Les agents de l’administration pénitentiaire ont payé un lourd tribut cette année : deux d’entre eux ont été assassinés. À l’approche de l’examen et du vote des crédits qui seront alloués à l’administration pénitentiaire, le moment est venu de faire preuve de volontarisme pour assurer la sécurité de plus de 30 000 agents. Les objets interdits – téléphones, drogues, armes – circulent en nombre considérable et presque librement en prison, où ils ont été projetés, transportés par des drones, passés dans les parloirs ou transmis par les nombreux visiteurs. Les moyens sont trop faibles pour lutter contre l’introduction de ces objets ou contre l’usage des téléphones portables, qui peuvent pourtant servir à gérer un trafic de stupéfiants ou à préparer une évasion potentiellement sanglante.
Votre prédécesseur se targuait d’avoir doublé le nombre de brouilleurs dans les établissements pénitentiaires. Lors de chacune de mes visites en prison, hier à Lyon ou la semaine dernière à Fleury-Mérogis par exemple, je constate pourtant que le réseau téléphonique fonctionne parfaitement – à croire que l’administration refuse délibérément de brouiller les communications ou que l’argent public a été gaspillé à acheter des systèmes obsolètes. Il est indispensable de rendre nos prisons hermétiques pour garantir l’intégrité physique des surveillants, des détenus, de tous les visiteurs mais aussi du personnel chargé des missions d’extraction et de transfèrement. Il y va également de la crédibilité de l’administration, parfois ridiculisée sur les réseaux sociaux : on voit sur certains comptes TikTok ou Snapchat des détenus célébrer des anniversaires en totale liberté.
Quels moyens matériels, budgétaires et humains allez-vous mettre en œuvre pour que les prisons françaises ne soient plus des passoires ?
Mme Laure Miller (EPR). Le 22 mai 2023, Carène Mezino, infirmière et mère de deux jeunes enfants, était poignardée par un homme pendant son service au centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims. Ce jour-là, cet individu aux lourds antécédents psychiatriques, en rupture de traitement depuis des semaines et armé d’un couteau, était bien décidé à « planter les premières blouses blanches qu’il verrait », selon ses propres mots en garde à vue. Il avait déjà grièvement blessé au couteau quatre personnes dans un établissement d’aide par le travail (Esat) en 2017, après quoi il avait connu jusqu’en 2023 une série d’hospitalisations et de remises en liberté. Il avait été placé sous curatelle en 2019 et, trois ans plus tard, le mandataire judiciaire chargé de son suivi avait demandé à être dessaisi, au regard de sa dangerosité potentielle et de son imprévisibilité. Son psychiatre l’avait cependant estimé en mesure de demeurer en milieu ouvert. Six mois avant l’assassinat de Carène Mezino, il avait été reconnu pénalement irresponsable des actes commis en 2017, et tout porte à croire qu’il le sera de nouveau.
À l’horreur de ce drame comme de bien d’autres s’ajoute l’incompréhension. « Ce monsieur avait jugé apte à être dehors avec nous ; pourquoi ne pourrait-il pas être jugé comme nous le serions ? », m’a demandé le mari de Carène Mezino. Comment lutter contre le sentiment qu’ont les familles de victimes que la justice s’efface devant la psychiatrie et que par conséquent, la justice ne leur est pas rendue ? Comment mieux concilier le principe d’irresponsabilité pénale pour trouble mental avec la nécessaire reconnaissance de la gravité de l’acte commis ? Faut-il faire évoluer le régime de l’expertise en matière pénale ? Enfin, comment faire en sorte que les individus présentant ce type de profil ne sortent pas des radars de la justice après avoir été reconnus pénalement irresponsables d’actes graves ?
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). Mais que diable allez-vous faire dans cette galère, monsieur le ministre ? Fin septembre, devant la prison de la Santé, vous déclariez en réponse à Bruno Retailleau : « Le taux d’exécution des peines n'a jamais été aussi élevé qu’en 2023 ; il faudra que je puisse contribuer à l’information de mon collègue », ajoutant que « le laxisme de la justice n’existe pas ». Trois jours plus tard, vous vous liquéfiiez sur France Inter après le meurtre d’une jeune fille. Vous annonciez vous en remettre aux arbitrages du Premier ministre et, au sujet des peines planchers, vous disiez : « Évitons que la démagogie et le populisme l’emportent. »
L’objectivité des faits vous donne raison. Les prisons débordent : au 1er septembre, le nombre de détenus avait augmenté de 7,2 % en un an et celui des matelas au sol de 52,9 %. La densité carcérale atteint 153,6 % dans les maisons d’arrêt : c’est la honte de la République. Rapport après rapport, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) alerte un exécutif qui persiste à ignorer cette redoutable loi d’airain : l’inflation pénale provoque l’inflation carcérale. Du sang, des larmes, et 4 milliards d’euros par an selon la Cour des comptes.
La semaine dernière, M. Retailleau jubilait dans cette salle en évoquant ses discussions avec vous et les annonces du Premier ministre sur l’inflexion de la politique pénale. Courtes peines, comparution immédiate des mineurs délinquants, attaque de l’excuse de minorité, révision de l’octroi du sursis et des aménagements de peine : vous aviez perdu vos arbitrages avant même d’arriver à Matignon pour négocier. Garde des sceaux, ou préposé de M. Retailleau ? Vous êtes comme un ours polaire perdu dans le désert du Sahara. Quelle est votre marge de manœuvre ? Je ne la vois pas ; je ne vois que votre prochaine démission, quand vous en aurez assez de jouer la caution progressiste d’un gouvernement d’extrême droite. Une place au Conseil constitutionnel, à la fin du mandat de M. Fabius, vaut-elle tout cela ? La rumeur se répand ; rassurez-nous et dissipez-la.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Vous avez repris à votre compte différentes mesures du pacte législatif présenté par la droite pour les législatives. Nous attendions pourtant un ministère de l’enfance assorti d’une politique ambitieuse de prévention et de protection de l’enfance. Nous attendions également un message fort à l’endroit des professionnels du travail social et éducatif, qui connaissent une nette dégradation de leurs conditions d’exercice – laquelle entraîne une désaffection sans précédent pour ces métiers. Nous attendions aussi que les moyens dont la justice, le travail social et la psychiatrie ont cruellement besoin soient confirmés. En réponse, nous recevons une série de dispositions pénales qui calquent encore un peu plus la justice des mineurs sur celle des majeurs. Alors que des milliers d’enfants sont déscolarisés et vivent dans la rue, sortent de l’école sans qualification ou sans diplôme, quittent l’aide sociale à l’enfance (ASE) sans solution à 18 ans, et que certaines mesures judiciaires ne sont jamais exécutées ou ne le sont qu’au bout d’un an, voilà votre réponse : renforcer la pénalisation des mineurs par des comparutions immédiates et, dans les cas les plus graves, par la suppression de l’excuse de minorité.
Nous savons qu’une autre justice pénale des mineurs est pourtant possible, qui ne méconnaîtrait pas la gravité des actes commis par certains d’entre eux : renforcement du milieu ouvert, diversification des solutions de placement, détention encadrée. Rassurez-nous et dites-nous que ni l’ordonnance de 1945 ni les principes établis par Charles de Gaulle et le Conseil national de la Résistance ne seront remis en cause. Personne ne naît délinquant et personne n’a vocation à le rester.
M. Philippe Gosselin (DR). Je voudrais d’abord insister sur le nécessaire maintien des objectifs de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, adoptée assez récemment. Les efforts de recrutement annoncés doivent se poursuivre, sans quoi nous retomberons dans la clochardisation que d’autres avaient laissée s’installer. Où en est le plan immobilier ? Précisons qu’il prévoit la construction non pas de 15 000 mais bien de 18 000 places de prison, conformément à la loi de programmation – encore ce nombre est-il sans doute sous-évalué par rapport aux besoins. Quid des dysfonctionnements de la justice et de la chaîne administrative, dont la jeune Philippine est la victime la plus récente ? Quid de la sécurité des agents, suite au drame d’Incarville ? Quid des projections d’objets et des fouilles avant parloir ? Que comptez-vous faire en faveur de l’accès au droit ? Qu’en est-il, enfin, des conditions de détention en outre-mer ?
Mme Sandra Regol (EcoS). La justice des mineurs a des spécificités : elle doit punir mais surtout éviter la récidive pour protéger la société – au reste, toutes les peines devraient avoir cet objectif plutôt que de mettre la poussière sous le tapis, c’est-à-dire en prison.
La PJJ, rouage essentiel, permet de mener une action éducative en faveur des mineurs. Pourtant, elle est l’une de nos plus petites institutions : elle encadre 20 000 jeunes difficiles mais ne compte que 10 000 agents, dont 2 000 contractuels. Un rapport sénatorial publié en novembre 2023 souligne la nécessité de rendre les métiers de la PJJ attractifs et d’y recruter. En août dernier, 480 postes ont pourtant été supprimés. Comprenez notre étonnement : ces coupes budgétaires visant à économiser 1,5 million d’euros ont une conséquence directe pour l’ensemble de la société – parmi les missions de la PJJ figure par exemple la déradicalisation.
Cette décision intervient en outre dans un contexte où la justice des enfants est instrumentalisée à des fins sécuritaires : voilà de quoi encourager les tenants de la répression sans limite d’âge à demander toujours plus de peines de prison pour punir sans éduquer. Le budget de la justice française est l’un des plus faibles en Europe ; il est même ridicule. Qu’allez-vous faire pour améliorer la justice offerte à chaque citoyen et pour respecter les jeunes ?
M. Philippe Latombe (Dem). Il y a déjà plus de deux ans, le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ont profondément modifié le droit des procureurs à effectuer des réquisitions de données de connexion. Quand aurons-nous l’occasion d’en discuter au sein de cette commission, à l’occasion d’un projet de loi ou d’une proposition de loi, pour éviter des annulations procédurales qui pourraient être très difficiles à expliquer ?
Dans un arrêt rendu en grande chambre vendredi dernier, la CJUE autorise l’accès aux données stockées dans un téléphone, même en cas de délit autre qu’un crime grave. C’est bien – sauf qu’elle n’ouvre cette faculté qu’aux juridictions ou autorités administratives indépendantes, ce qui exclut les procureurs. Quel est votre avis sur le statut de ces derniers ?
Mme Naïma Moutchou (HOR). Puisque l’examen du budget est imminent, je serai très vigilante pour que la loi de programmation que nous avons votée ne soit pas dénaturée lors de sa mise en œuvre. Elle est en effet le seul moyen dont nous disposons pour redresser la justice.
En principe, les téléphones portables sont interdits dans les établissements pénitentiaires mais, en pratique, ils y sont très largement introduits ; c’est un secret de polichinelle. Trop souvent, ils sont utilisés pour entretenir les trafics de réseaux mafieux et criminels. À Marseille, un détenu est parvenu, depuis sa cellule, à recruter un tueur à gages de 14 ans qui a fini par tuer un chauffeur ayant simplement croisé sa route. Le téléphone portable a également servi lors de l’évasion de Mohamed Amra, dans des conditions de violence extrême.
C’est inacceptable. Si nous ne faisons rien, de telles affaires se reproduiront. Sans priver les détenus de moyens de communication pour appeler leurs avocats ou leurs proches, il existe tout de même des solutions. Les brouilleurs, par exemple : vous m’opposerez des difficultés techniques mais elles ne sont pas insurmontables puisque certains pays parviennent à installer des brouilleurs qui n’affectent pas les communications du personnel pénitentiaire. L’installation de cabines téléphoniques : des détenus les détruiront, me répondra-t-on, mais dans ce cas, ils doivent être sanctionnés ! Quoi qu’il en soit, il faut parvenir à un juste équilibre, tout en restant évidemment attentif aux coûts des communications. Quel plan prévoyez-vous pour mettre fin à ce fléau ?
M. Paul Molac (LIOT). Le taux moyen d’occupation atteint 150 % dans les maisons d’arrêt : la surpopulation carcérale porte atteinte à la dignité des détenus et met en danger les surveillants pénitentiaires. On nous a proposé, lors de la précédente législature, la construction de prisons, mais nous savons tous qu’une réponse exclusivement immobilière serait un échec. Êtes-vous favorable à la régulation carcérale et êtes-vous prêt à y travailler avec la représentation nationale ?
Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a évoqué la création de nouveaux établissements pour les courtes peines. De quoi parle-t-on concrètement ? Même si l’idée peut se révéler pertinente, nous maintenons qu’il ne faut pas fermer la porte aux peines alternatives. Je sais que certains considèrent que la justice doit être plus sévère et que la prison est la seule réponse. Il faut de l’autorité, certes, mais les peines alternatives ne sont pas du laxisme et la fermeté ne passe pas toujours par l’enfermement. N’oublions pas – c’est particulièrement vrai pour les courtes peines – que la justice sert à punir mais aussi à protéger et à insérer. Or on est parfois pire en sortant de prison qu’en y entrant.
Mme Elsa Faucillon (GDR). L’administration pénitentiaire n’a pas profité des augmentations du budget de la justice. Des crédits ont même été gelés, empêchant les services de probation et d’insertion de faire leur travail et de mettre en place des peines alternatives comme le placement extérieur, dont l’efficacité est unanimement reconnue. Pouvez-vous dès aujourd’hui nous dire quelques mots du budget ?
Deuxième question : la régulation carcérale. Caroline Abadie et moi-même avons rédigé un rapport en conclusion de notre mission d’information, ainsi que des amendements et une proposition de loi. La situation – 79 000 détenus, 3 900 matelas au sol, taux d’accueil supérieur à 200 % dans certains établissements – est invivable pour les détenus, empêche le travail de réinsertion et présente un danger pour les agents. Pourtant, l’ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire et pénitentiaire sont favorables à la régulation carcérale, y compris les surveillants. Ils nous demandent d’avoir le courage politique d’instaurer un système national contraignant. Une expérimentation nationale a été menée durant le covid ; d’autres le sont à l’échelle locale. Mais sans soutien politique, elles échouent. Il ne faudrait pas y renoncer à cause de discours démagogiques laissant à penser que la justice serait laxiste. Aurez-vous le courage politique, monsieur le ministre, de mettre fin à l’inflation carcérale pour que la justice puisse bien faire son travail et pour que la prison puisse retrouver le sens de sa mission ?
Mme Brigitte Barèges (UDR). En préambule, monsieur le garde de sceaux, vous avez rappelé le constat qui ressort de tous les sondages : les Français manifestent une profonde défiance à l’égard de l’institution judiciaire. À raison, vous avez fait part de votre volonté de rétablir la confiance. Dans ce contexte, je voudrais revenir sur le fameux « mur des cons » du Syndicat de la magistrature (SM), où j’avais été épinglée avec quelques célébrités. La question se pose de l’influence délétère de ce syndicat et de ses prises de position politiques – lors des dernières élections, il a ainsi appelé à faire barrage aux 11 millions de Français qui soutenaient l’union des droites. Que faire contre ces magistrats qui violent l’ordonnance statutaire de 1958 ? Son article 10 interdit pourtant aux membres du corps judiciaire « [t]oute délibération politique » et « toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. » Ces abus graves de magistrats minent ce qui reste aux Français de confiance envers la justice. Que comptez-vous faire contre la politisation excessive des syndicats de magistrats ? Alors que certains magistrats ont l’air de se croire au-dessus des lois qu’ils appliquent au nom du peuple français, comptez-vous faire en sorte qu’ils les respectent eux-mêmes ?
M. Sacha Houlié (NI). Lors de votre prise de fonctions, le 23 septembre, vous vous êtes déclaré partisan d’une maîtrise budgétaire qui ne remette pas en cause les priorités, précisant que la justice en était une. Notre commission a minutieusement élaboré une loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, adoptée il y a à peine un an, qui affecte un budget de 10,7 milliards d’euros à votre ministère pour 2025. Or les lettres plafonds de dépenses prévisionnelles pour 2025 mentionnent des crédits de 10,2 milliards. Il manque donc 500 millions d’euros. Dès lors, comment assumer le recrutement de 1 500 magistrats et 1 800 greffiers supplémentaires ? Comment poursuivre le « plan 15 000 » comme vous le souhaitez ? Comment faire en sorte que la HATVP ait les moyens d’exercer la nouvelle mission de contrôle de personnes agissant pour le compte d’une puissance étrangère que nous lui avons confiée ? En somme, la justice demeurera-t-elle une priorité ? Vos déclarations auront-elles une incidence budgétaire ?
Nous avons aussi beaucoup – trop – entendu le ministre de l’intérieur tenir des propos relevant de votre champ de compétences. Je vous félicite de lui avoir rappelé que le taux d’exécution des peines – 95% – n’a jamais été aussi élevé. Je me réjouis aussi de vous entendre réfuter l’idée selon laquelle la justice serait laxiste : les peines prononcées par les magistrats n’ont jamais été aussi sévères. Depuis Beccaria, on sait d’ailleurs que c’est la certitude de la peine qui suscite la crainte, davantage que sa sévérité. Pouvez-vous nous confirmer que vous vous opposerez au retour aussi démagogique qu’inefficace des peines planchers ?
Enfin, vous l’avez dit, la politique pénale est une affaire de priorités. La principale d’entre elles étant la lutte contre le narcotrafic, prévoyez-vous de reprendre rapidement le texte sur le statut de repenti que j’avais préparé avec M. Dupond-Moretti ? Allez-vous reprendre le texte créant un parquet national et des juridictions spécialisées contre le narcotrafic ? Allez-vous mobiliser les moyens nécessaires à la lutte contre les atteintes aux personnes, en particulier contre les violences intrafamiliales ? En matière de justice des mineurs, elle aussi prioritaire, vous inspirerez-vous des travaux de la mission d’évaluation de la commission des lois sur le code de justice pénale des mineurs ou mettrez-vous fin à l’excuse de minorité comme le demandent ceux, nombreux, qui soutiennent un dangereux projet ?
M. Didier Migaud, ministre. M. Baubry et Mme Moutchou m’ont interrogé sur l’introduction d’objets interdits dans les prisons. Il est vrai que plusieurs opérations criminelles récentes ont été conduites depuis des cellules grâce à des téléphones portables, qu’ils aient été lancés par-dessus les murs de la prison ou acheminés par drone. Pour lutter contre la téléphonie illicite en détention, des crédits ont été mobilisés et deux marchés successifs ont permis d’acquérir trente-huit dispositifs antidrones qui équiperont quatre-vingt-dix établissements d’ici à la fin de 2025. Il faudra probablement aller au-delà. Pour empêcher les projections, nous continuons de renforcer les clôtures, de couvrir les cours, d’installer des câbles d’alarme, des barrières infrarouges et des filets antiprojection. Plus d’une centaine d’équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP) ont été déployées pour effectuer des opérations de sécurité périmétrique aux abords des établissements. Parallèlement, nous développons la vidéosurveillance et nous installons des portiques à ondes millimétriques dans les maisons centrales et les établissements qui accueillent des profils sensibles et dangereux. Un nouveau type d’appareils plus performants est en phase d’expérimentation. En somme, je vous assure de ma détermination à mener cette lutte prioritaire et à y consacrer les moyens nécessaires, soucieux que je suis d’éviter que nos concitoyens ne considèrent les prisons comme des passoires d’où l’on peut continuer son trafic ou commander une opération.
S’agissant de l’irresponsabilité pénale de malades atteints de pathologies psychiatriques, madame Miller, le Premier ministre a souhaité ériger la santé mentale et la psychiatrie en grande cause nationale. Les juridictions font en effet face à une population pénale présentant de plus en plus souvent des troubles psychiatriques – dont il faut évidemment tenir compte lorsqu’une personne est déclarée pénalement irresponsable, afin d’éviter la récidive. La loi du 24 janvier 2022 a restreint le champ d’application de l’article 122-1 du code pénal qui fixe les conditions dans lesquelles le tribunal peut prononcer l’irresponsabilité pénale, sachant que le prévenu ou l’accusé demeure punissable en certaines circonstances. Plusieurs mesures de sûreté existent : une expertise psychiatrique doit être réalisée avant toute déclaration d’irresponsabilité pénale, de mesures d’interdiction peuvent être prises et, lorsque la chambre de l’instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner l’admission en soins psychiatriques sous la forme d’une hospitalisation complète. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’exécution des décisions de justice est primordiale.
M. le président Florent Boudié. Permettez-moi de vous interrompre, monsieur le garde des sceaux, pour annoncer une courte suspension de séance qui permettra aux députés qui le souhaitent d’aller voter pour la motion de censure.
L’audition est suspendue de dix-neuf heures dix à dix-neuf heures vingt.
M. le président Florent Boudié. Nous reprenons nos travaux.
M. Didier Migaud, ministre. En ce qui concerne l’accès au droit, monsieur Gosselin, le ministère de la justice a créé des conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et des points justice. Peut-être contesterez-vous ce chiffre, mais, selon les statistiques dont je dispose, 97 % de la population habite à moins de trente minutes d’un point justice. Même s’il s’agit peut-être du pourcentage qui sera atteint en fin de programme, il témoigne de notre volonté d’aller à la rencontre de nos concitoyens qui connaissent des difficultés en la matière.
La surpopulation carcérale est, j’en conviens, encore plus sensible en outre-mer. C’est pourquoi 1 100 des 15 000 nouvelles places prévues seront créées dans des départements ultramarins, notamment à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane et dans les centres pénitentiaires de Baie-Mahault en Guadeloupe et de Ducos en Martinique. La première pierre de l’une des douze structures d’accompagnement vers la sortie – la première en outre-mer – a été posée à Ducos en mai 2023. Il est prévu de construire une deuxième prison à Mayotte, avec des places de semi-liberté qui sont indispensables compte tenu des circonstances locales. La création d’un établissement supplémentaire à Nouméa a été annoncée aux agents en février 2024 – l’Élysée et Matignon avaient validé fin 2023 ce projet qui devrait coûter 500 millions d’euros.
Derrière ces annonces se pose la question du respect des engagements pris dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, monsieur Houlié. Nous nous mobilisons pour qu’ils soient tenus dans toute la mesure du possible car la justice doit rester une priorité, même dans le contexte budgétaire actuel. Je serai particulièrement vigilant pour que soient respectés les engagements concernant les effectifs de magistrats, de greffiers et d’assistants de de justice, y compris ceux des services de la PJJ, qui ne doivent faire l’objet d’aucune économie tant leur rôle est essentiel.
La sécurité des parloirs concerne au premier chef les agents de l’administration pénitentiaire – qui travaillent dans des conditions difficiles et dont la sécurité m’incombe. Ils peuvent effectuer des fouilles ciblées et, à titre temporaire, recourir à un régime exorbitant de fouilles des détenus.
Monsieur Latombe, l’accès aux preuves électroniques est en effet déterminant dans les enquêtes criminelles, notamment transfrontalières, car 80 % d’entre elles se fondent en tout ou partie sur ces preuves, qu’il s’agisse de données de trafic ou de localisation. Il est vrai qu’en ce qui concerne l’accès aux données et leur conservation, la jurisprudence de la CJUE nous impose des règles très strictes qui posent problème aux professionnels, je le reconnais, car la lutte contre la criminalité organisée requiert parfois des armes. La situation progresse, notamment par le dialogue, que je sais très fécond, entre les magistrats de la CJUE, du Conseil d’État et de la Cour de cassation. Plusieurs États membres ont aussi engagé des travaux visant à faire évoluer le cadre législatif européen, auxquels la France prend toute sa part.
S’agissant du contrôle indépendant de l’accès aux données, tel que prescrit par la CJUE, plusieurs options sont sur la table – les pistes proposées par Alexandre Lallet dans un rapport de mai 2024 sont en cours d’analyse. Accéder aux données numériques, c’est aussi apprendre à mieux coopérer avec les fournisseurs de services en ligne. Le paquet législatif relatif à l’accès à la preuve électronique en matière pénale, dit règlement e-evidence, a été définitivement adopté en juillet 2023. La France, qui l’a beaucoup soutenu, en entamera bientôt la transposition. La coopération avec les fournisseurs de services suppose aussi un accord entre l’Union européenne et les États-Unis concernant l’accès aux preuves électroniques en matière pénale. Nous veillerons à ce que cet accord, en cours de négociation entre la Commission européenne et les autorités américaines, respecte strictement le principe de réciprocité.
La PJJ, où plusieurs centaines d’emplois étaient menacés, a vécu un grave conflit social cet été. À la suite d’un dégel de crédits de 3 millions d’euros, décidé début août, les mesures initialement annoncées ont été fortement atténuées. La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) s’est finalement engagée à renouveler tous les contrats concernés à compter du 15 octobre et nous avons renoué le dialogue avec les organisations syndicales. Mon prédécesseur avait demandé à l’Inspection générale de la justice (IGJ) d’évaluer les mesures de pilotage des ressources humaines en vigueur à la PJJ. Nous prenons connaissance de son rapport qui vient de nous être transmis. Dans sa dernière communication, l’intersyndicale demande qu’il lui soit communiqué et que les jours de grève soient payés. Nous partagerons en toute transparence les propositions et conclusions de ce rapport avec les organisations syndicales et, bien entendu, avec les parlementaires – il va de soi que je répondrai à toutes vos invitations : j’ai été député assez longtemps pour être convaincu de l’utilité des travaux que vous menez en commission et je souhaite travailler avec vous de manière transpartisane car la justice mérite qu’on dépasse les clivages.
Je l’ai dit, le budget de la justice qui vous sera présenté en fin de semaine n’est pas satisfaisant. Nous nous mobilisons pour obtenir les meilleurs réajustements possibles, le Premier ministre ayant promis d’en faire pour certains ministères, afin que la plus grande partie des engagements pris puissent être tenus, notamment, je le répète, en ce qui concerne les effectifs. Vous jugerez de ce que j’aurai réussi à obtenir. Nous avons besoin de moyens pour la PJJ, pour la prévention et l’insertion – j’ai bien entendu vos propos à cet égard, madame Capdevielle. J’ai commencé mon intervention liminaire en rappelant que l’une des missions de la justice est de protéger. Elle doit sanctionner, évidemment, mais aussi réparer, prévenir la récidive et favoriser la réinsertion.
En tant que garde des sceaux, madame Barèges, il me revient de faire observer les règles constitutionnelles, organiques et conventionnelles sur la liberté syndicale et ses limites. Dans un avis rendu cette année, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a d’ailleurs rappelé le cadre juridique applicable. Quant à moi, je dialogue avec toutes les organisations syndicales représentatives, quelles qu’en soient les sensibilités, et j’ai déjà commencé de les recevoir. Toutes sont attachées à l’image d’impartialité et de neutralité de la justice, ce qui suppose, je vous l’accorde, une certaine prudence dans les propos publics. Je fais confiance aux organisations syndicales pour rester dans le cadre de l’avis exprimé par le CSM.
S’agissant de la justice pénale des mineurs, l’ordonnance du 2 février 1945 n’est pas remise en cause dans son esprit. Le code de justice pénale des mineurs, qui en reprend les principes dans un article préliminaire, constitue une réforme profonde – accélération des délais, amélioration de la procédure pour accorder une plus grande place à la victime, audience unique – qui permet, dans le respect de nos principes constitutionnels car il ne s’agit en aucun cas de calquer la justice des mineurs sur celle des majeurs ni d’en renier la spécificité, d’apporter une réponse pénale plus efficace et appropriée en certaines circonstances, notamment lorsque les faits reprochés sont d’une gravité exceptionnelle. C’est le sens des propositions équilibrées du Premier ministre. On peut faire évoluer le droit tout en respectant la Constitution et les principes de l’État de droit.
Certains veulent m’opposer au ministre de l’intérieur. Pour ma part, je le répète, je ne veux pas opposer les uns aux autres. Peut-être n’avons-nous pas tout à fait la même vision, mais l’efficacité de la justice est un objectif commun. Nous devons trouver le chemin pour l’atteindre, dans le respect des compétences de chacun : il est ministre de l’intérieur et je suis garde des sceaux, ministre de la justice. Croyez-moi, je serai un ministre de plein exercice, mais je souhaite travailler en complémentarité avec mes collègues, notamment le ministre de l’intérieur, loin de toute caricature.
Quelle est ma marge de manœuvre ? Je suis sensible au fait que cette question vous préoccupe. J’ai accepté d’entrer dans un gouvernement qui n’est pas monocolore et qui se compose de personnalités aux sensibilités différentes. Le Premier ministre arbitrera. Quoi qu’il en soit, soyez assurés que je défendrai les convictions que je vous ai présentées dans mon propos liminaire. Il faut apporter des réponses aux attentes de nos concitoyens sans démagogie ni complaisance. Il est normal de sanctionner les auteurs d’infraction, mais il faut aussi adapter les sanctions : la prison n’est pas la panacée, et des peines alternatives doivent être possibles. C’est au juge qu’il revient d’apprécier en toute indépendance quelle est la sanction la plus appropriée, selon le principe de l’individualisation des peines. Le garde des sceaux – vous ne m’y entraînerez pas – n’a pas à s’exprimer sur telle ou telle décision juridictionnelle, encore moins à la remettre en cause ; pour cela, des voies de recours existent. En revanche, si des manquements sont constatés ou s’il apparaît que des procédures méritent d’être adaptées – vous avez évoqué le rôle du juge des libertés et de la détention (JLD) en matière de droit des étrangers –, il faut bien évidemment accepter d’en discuter, dans le respect de l’état du droit.
Quant à savoir si j’aurai le courage politique d’agir, je l’espère. En tout cas, je n’ai pas la réputation de me cacher derrière mon petit doigt ni de me soustraire à mes responsabilités. L’expérience et l’âge permettent, je le crois, de faire preuve du courage nécessaire en certaines circonstances – y compris en acceptant de participer à un gouvernement dans le contexte de blocage actuel. En l’absence de majorité absolue, et la dissolution n’étant plus possible dans un futur proche, il faut bien que la France se dote d’un gouvernement pour avancer, donc que certaines personnes acceptent de sortir du confort de leur situation. Sans doute aurait-il été plus aisé pour moi de rester président de la HATVP, mais il faut savoir prendre des risques et assumer ses responsabilités, tout en restant fidèle à ses convictions, ce que je suis.
Je crois avoir répondu à M. Houlié concernant le budget : je souhaite respecter les priorités qui étaient les vôtres lorsque vous présidiez la commission des lois. Je crois aussi nécessaire de lutter contre le narcotrafic, dans la continuité du travail déjà entamé, auquel nous prendrons notre part. Je suis notamment tout à fait d’accord pour avancer avec vous sur la question des repentis, en vue de construire un dispositif plus incitatif.
M. le président Florent Boudié. La motion de censure ayant visiblement été rejetée, nous pouvons poursuivre l’audition. Nous en venons donc aux questions des autres députés.
M. Bryan Masson (RN). Quelques heures après votre nomination, vous déclariez, à contre-courant du ministre de l’intérieur et de l'opinion publique, que « le laxisme de la justice n’existe pas », précisant que 95 % des peines sont exécutées. En plus d’aller à l’encontre de ce que pensent les Français, vous travestissez ainsi très hypocritement la vérité. Votre affirmation est en effet triplement trompeuse. D’abord, les longues peines font souvent l’objet de réductions, si bien que les détenus ne passent en moyenne que 62 % de leur peine en prison – le reste est aménagé mais reste considéré comme « exécuté ». Ensuite, les petits délinquants sont presque systématiquement condamnés à des peines alternatives à la privation de liberté. Enfin, votre chiffre inclut les peines effectuées sous bracelet électronique, en semi-liberté, en placement à l’extérieur, voire en liberté conditionnelle. Résultat : 41 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme ne mettent jamais les pieds en prison. Ce chiffre provient d'une étude de l’Institut pour la Justice, qui s’est appuyé sur les données de votre ministère pour la période 2016-2020, et vos services ont confirmé cette information le 24 septembre dernier, le jour même de votre déclaration.
Les Français attendent de vous que les criminels et les délinquants dorment en prison et non dans le confort de leur appartement, fût-ce avec un bracelet électronique, ni en liberté conditionnelle, comme c’était hélas le cas de l'assassin de Philippine, condamné à sept ans de prison en 2021. Il est donc urgent – en cohérence avec la déclaration de politique générale du Premier ministre – de créer des peines courtes et immédiatement exécutées pour certains délits, comme le Rassemblement national et Marine Le Pen le promeuvent depuis des années, afin d’en finir avec cette délinquance endémique qui pourrit le quotidien des Français.
Comment comptez-vous instituer ces courtes peines d’emprisonnement ? Quelles seront leurs modalités d’application ? Quels délits concerneront-elles ?
M. Stéphane Mazars (EPR). Vous avez insisté sur la nécessité de restaurer la confiance de nos concitoyens en la justice. C’était tout l’objet de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.
Parmi les éléments susceptibles de retisser ce lien de confiance figure la lutte contre la récidive. Quel bilan tirez-vous de la procédure de libération sous contrainte, mesure phare de la loi de 2021 visant à éviter les sorties sèches ? Le texte avait également pour ambition d’améliorer le statut des détenus travaillant en prison. Ne faut-il pas aller encore plus loin ?
Autre élément essentiel : la sévérité de la justice pénale. Les amendes forfaitaires délictuelles (AFD), créées en 2016, ont depuis été étendues. Là encore, faut-il aller plus loin ?
Enfin, vous estimez que les délais de traitement des dossiers criminels restent trop longs. Tirez-vous, à ce titre, un bilan positif des cours criminelles départementales récemment créées ?
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). En tant que premier président de la Cour des comptes, vous vous faisiez le chantre de l’austérité, assurant que « faire des économies est […] compatible avec le maintien de la qualité des services publics ». Nous ne sommes donc pas étonnés que vous vous apprêtiez à amputer le budget de la justice d’un demi-milliard d’euros par rapport à la trajectoire initialement prévue, même si vous prétendez dans le même temps vouloir vous « battre » contre ces coupes budgétaires.
Depuis que vous menez cette bataille, qu’avez-vous obtenu ? Faire des économies n’est pas compatible avec le maintien de la qualité du service public de la justice alors que la France compte deux fois moins de magistrats par habitant que les autres pays membres du Conseil de l’Europe. Au rythme actuel, il faudrait cinquante ans afin de recruter suffisamment de magistrats, et encore n’atteindrions-nous alors que la médiane européenne – ne parlons même pas de rejoindre les pays affichant des PIB similaires à celui de la France. Les 1 500 recrutements prévus à l’horizon 2027, déjà mis à mal par votre projet de budget, font pâle figure. Combien la France comptera-t-elle de magistrats et de greffiers en 2027 ?
Faire des économies n’est pas non plus compatible avec la situation actuelle de la PJJ, dont les agents étaient de nouveau en grève ce 3 octobre et qui subit une véritable saignée. La suppression, cet été, de 500 postes de contractuels, soit près d’un quart des effectifs, conduira à abandonner des enfants et des jeunes majeurs en difficulté. Que répondez-vous aux professionnels qui vous demandent de revenir sur cette décision, d’augmenter les effectifs et les salaires et de titulariser l’ensemble des agents ?
Faire des économies, enfin, n’est pas compatible avec la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Alors que les associations féministes estiment à près de 2,7 milliards les moyens nécessaires pour lutter contre ces violences, dont 300 millions pour le seul ministère de la justice – afin d’assurer la formation continue des professionnels et de renforcer les pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales –, vous réduisez le budget global de votre ministère de 500 millions.
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Les violences faites aux femmes, dont vous avez indiqué faire une priorité, donnent lieu à plusieurs procédures hors norme. Je pense au procès des viols de Mazan, au cours duquel une cinquantaine de prévenus font face à leur victime, Gisèle Pelicot, ou encore à celui, à venir, du docteur Le Scouarnec, accusé de viols et d’agressions sexuelles sur près de 300 victimes. L’affaire French bukkake, en cours d'instruction, met quant à elle en cause une plateforme de contenus pornographiques et ses rabatteurs. Plusieurs dizaines de femmes, recrutées en raison de leur vulnérabilité, ont été victimes d’un système organisé de prédation. Elles ont été violées, torturées et sujettes à des insultes racistes et sexistes. Ces faits ont été filmés et mis en ligne sans leur autorisation ou sous contrainte. Malgré les témoignages et les preuves de torture visibles dans les vidéos – une des victimes a été violée quarante-quatre fois en une heure –, la circonstance aggravante de torture n’a pas été retenue. Le même sort a été réservé à Gisèle Pelicot, alors que des vidéos montrent qu’elle a été torturée avec des pinces au cours des viols qu’elle a subis.
Les circonstances aggravantes n’étant pas reconnues, les victimes doivent se contenter d’une justice rendue en cour criminelle départementale plutôt qu’en cour d’assises, un format il est vrai plus exigeant et coûteux pour notre système judiciaire. Tandis que les souffrances des victimes sont minimisées, les agresseurs encourent des peines au quantum réduit. Quant au phénomène de correctionnalisation des affaires, que les cours criminelles départementales devaient permettre d’endiguer, il ne faiblit pas.
Combien de postes de magistrats comptez-vous créer afin que la justice ait enfin les moyens de juger ces crimes à la hauteur de la gravité que la société leur accorde ? Envisagez-vous d’étendre le périmètre des juridictions spécialisées aux affaires de trafic sexuel en bande organisée ?
Mme Émilie Bonnivard (DR). L’exécution du « plan 15 000 », déjà sous-dimensionné, accuse un retard considérable. Sans accélération, la réponse pénale se dégradera à court et moyen termes. Nous devons rapidement lever les freins à la construction et trouver des sites où implanter les établissements. Mon ex-collègue Patrick Hetzel avait proposé d’encourager les communes à les accueillir en intégrant les prisons dans le calcul de la DSU (dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale) et en comptabilisant les places de détention au titre de la loi SRU. Une autre solution consisterait à créer des fonds spécifiques d'accompagnement des communes, tels qu’ils existent par exemple dans le cadre de la démarche Grand Chantier. Qu’en pensez-vous ?
Il serait par ailleurs possible de renforcer la sécurité des agents en limitant les extractions judiciaires, grâce à la visioconférence, laquelle est pourtant utilisée de façon erratique dans les juridictions. Appliquez-vous une politique assortie d’objectifs pour que la visioconférence soit utilisée lorsque les procédures en cours le permettent ?
Enfin, la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France propose de créer une « DEA (Drug Enforcement Administration) à la française ». Comptez-vous emprunter cette voie, qui a donné de bons résultats aux États-Unis ?
M. Pouria Amirshahi (EcoS). La réforme de la police judiciaire a été généralisée en début d’année après avoir été imposée en dépit des alertes des acteurs de la chaîne pénale, policiers comme magistrats. On a trop peu entendu le ministère de la justice à ce sujet, et pour cause : comme tant d’autres, il a été géré par le seul ministère de l’intérieur. Chacun sait pourtant à quel point les enquêtes de la police judiciaire sont indispensables. Sans elles, ni le démantèlement des réseaux de crime organisé à Marseille ni les investigations réussies sur les viols commis à Mazan n’auraient été possibles. Malgré cela, c’est le choix de l’abandon qui a été fait : la nouvelle organisation se résume, dans de nombreux départements, à des services sans enquêteurs ni cadres, à des postes laissés vacants et à des moyens atrophiés. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre n’a d’ailleurs pas eu un mot sur l’investigation : seul le prisme carcéral a été évoqué, et pour le pire.
Il y a trois semaines, j’évoquais ici avec la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté les dérives des comparutions immédiates, procédures aussi absurdes que contre-productives. Elle-même soulignait qu’on y « juge des gens dont on ne sait pas grand-chose, dans des conditions assez lamentables qui ne permettent ni à l’avocat de travailler, ni au prévenu de se défendre, ni au magistrat de rendre des jugements appropriés ». Pourtant, le Gouvernement reste sourd à ces alertes et persiste même dans cette voie en annonçant l’extension de ces procédures aux mineurs de plus de 16 ans, ce qui constituerait une entorse de plus à l’esprit de l’ordonnance du 2 février 1945. Et je ne parle pas de la surpopulation carcérale, qui empire et a pour principale conséquence, absurde et criminelle, de rendre les hommes moins bons à leur sortie de prison qu'à leur entrée.
Comment comprendre de telles priorités ? Le Gouvernement semble passer à côté de l’essentiel. Une fois n’est pas coutume, je conclurai en citant Clemenceau : « la police judiciaire, la police des crimes et des délits, protectrice de tous les citoyens, […] est trop manifestement insuffisante ».
M. Éric Martineau (Dem). Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a annoncé vouloir « stopper la montée continue de la violence des mineurs ». Il a notamment évoqué la procédure de comparution immédiate « pour les mineurs délinquants de plus de 16 ans déjà connus de la justice et poursuivis pour des actes graves d’atteinte à l’intégrité physique des personnes ». Le Gouvernement veut aussi proposer « des peines de prison courtes et immédiatement exécutées pour certains délits ». Quels seront les cas concernés par ces nouvelles mesures ?
Gabriel Attal avait déjà annoncé, en mai dernier, vouloir réintroduire la procédure de présentation immédiate supprimée par la réforme de la justice pénale des mineurs en 2021. Les syndicats de magistrats estiment au contraire que la césure du jugement en deux temps – un premier jugement sur la culpabilité puis, dans un délai d’un an, le prononcé de la sanction – permet déjà d’assurer une réponse pénale rapide. Alors qu’on observe une recrudescence de la violence des jeunes, êtes-vous favorable au rétablissement de la comparution immédiate pour les mineurs ? Que répondez-vous aux magistrats qui s’y opposent ?
Mme Sophie Vaginay (UDR). La justice ne remplit plus son rôle de fermeté vis-à-vis des incivilités du quotidien, qui mettent en péril la sécurité dans l’espace public et le vivre-ensemble. Ce manque de fermeté, créant un sentiment d’impunité chez des auteurs souvent très jeunes, est une des causes directes de la recrudescence de cette délinquance totalement désinhibée dont l’assassinat de Nessim Ramdane, à Marseille, constitue la triste illustration. La faible exécution des peines devient un problème démocratique et nuit à la confiance dans l’institution judiciaire, dont le rôle est de rassurer les citoyens honnêtes, de protéger les plus vulnérables et de sanctionner les délinquants.
Pour restaurer la confiance, il faut donner à la police les moyens de combattre la délinquance. Pourtant, les policiers qui font usage de leur arme dans l’exercice de leurs fonctions sont souvent mis en cause par leur hiérarchie ou par le parquet. Ces procédures judiciaires, particulièrement traumatisantes pour les intéressés, donnent le sentiment que l’État se retourne contre ses agents plutôt que contre les délinquants. Or la peur doit changer de camp.
Êtes-vous favorable à l’instauration d’une présomption de légitime défense pour les policiers faisant usage de leur arme dans l’exercice de leurs fonctions ?
Mme Pascale Bordes (RN). Un narcotrafiquant incarcéré a, depuis sa cellule, recruté sur les réseaux sociaux un tueur à gages de 14 ans pour venger la mort d’un jeune garçon de 15 ans, brûlé vif. Ce tueur à gages s’est procuré une arme sans la moindre difficulté – ce qui pose un grave problème – et a abattu d’une balle dans le crâne un conducteur de VTC (véhicule de transport avec chauffeur), victime collatérale du trafic de stupéfiants.
Ces drames, d’une sauvagerie inédite, démontrent l’impuissance absolue de l’État à lutter contre ce fléau qui gangrène toutes les strates de notre société. Les narcotrafiquants recrutent désormais des enfants qu’ils n’hésitent pas à armer afin de les transformer en tueurs. Allons-nous les laisser embrigader des enfants et tuer des citoyens innocents sans réagir ? « Aujourd’hui, le niveau de la menace est tel que l’on détecte des risques de déstabilisation de notre État de droit, de notre modèle économique, mais également de nos entreprises, à un niveau stratégique majeur. » Ces propos ne sont pas les miens, mais ceux que tenait la procureure de Paris il y a deux ans. Le ministre de l’intérieur n’a pas dit le contraire en affirmant aujourd'hui, en réponse à un de nos collègues, que « dans certains territoires, le narcotrafic est en train de nous retirer jusqu’à notre souveraineté ».
Nous sommes en passe de basculer. La lutte sans merci qui doit être menée contre ces organisations criminelles passe par une politique pénale d'une fermeté exemplaire, à la hauteur du danger qu’elles représentent pour la sécurité de nos concitoyens et pour la stabilité de notre État. Si nous ne voulons pas que la France devienne un narco-État, nous devons réagir vite et fort, sous peine de perdre la guerre avant même de l’avoir engagée.
Quelle politique pénale comptez-vous mener dans l’immédiat pour lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants ? Comptez-vous durcir les peines de prison, instaurer des peines planchers, créer des établissements pénitentiaires spécialement réservés aux trafiquants de stupéfiants ? La peur doit enfin changer de camp, et ce ne sont pas des mesures alternatives à la prison qui le permettront.
M. Roland Lescure (EPR). Je veux d’abord vous remercier pour vos récentes prises de parole, visiblement nécessaires, sur la place de la justice dans notre pays. Certaines choses devraient aller sans dire, mais elles vont parfois mieux en les disant.
Ma question porte sur les couples de même sexe qui recourent à la gestation pour autrui (GPA) dans des pays – par exemple les États-Unis et le Canada, où j’ai été élu – où cette pratique est parfaitement légale et encadrée. À leur retour en France, ils se voient refuser la reconnaissance du parent non biologique, ce qui pose des problèmes importants. Bien qu’inscrit sur l’acte d’état civil étranger, ce dernier est alors contraint d’entamer une longue procédure d’adoption, qui plonge ces familles dans une situation d’insécurité administrative et familiale.
Comment mettrez-vous la justice au service de ces centaines d’enfants nés de GPA ? Avez-vous des pistes pour faciliter la vie des parents et respecter les injonctions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ? Une transcription totale des actes de naissance établis à l’étranger ou l’accélération des procédures d’adoption vous semblent-elles imaginables dans un futur proche ? En tant que garde des sceaux, vous êtes, comme vous l'avez souligné, le garde du droit. Êtes-vous prêt à être le gardien de l’intérêt supérieur de l’enfant ?
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Alors que nous apprenions ce matin la démission du directeur de la prison de Mayotte, je veux, comme d’autres avant moi, vous interroger sur la surpopulation carcérale – d’autant que Mayotte n’est pas un cas isolé, puisque les maisons d’arrêt françaises affichent un taux d’occupation de 153 % en moyenne. Cet état de fait, outre qu’il affecte fortement les conditions de travail des personnels de l’administration pénitentiaire, nuit à la dignité des détenus et fait de l’incarcération un temps mort, voire une période d'aggravation des situations.
Quelle est votre stratégie pour améliorer les choses ? Elle ne saurait se réduire à construire de nouvelles places de prison puisque, comme le souligne l’Observatoire international des prisons (OIP), « plus on construit, plus on enferme ». Les faits lui donnent malheureusement raison, y compris dans les nouveaux établissements : un an après leur ouverture, le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach et le nouveau quartier pour hommes de la prison des Baumettes affichaient ainsi des taux d’occupation de 165 % et 154 % respectivement.
La France insoumise a émis des propositions, comme les peines alternatives, l’arrêt de la surenchère pénale démagogique et inefficace, ou encore un mécanisme contraignant de régulation carcérale. Qu’en pensez-vous ?
M. Hervé Saulignac (SOC). Les administrateurs ad hoc sont des personnes désignées par un magistrat, qui peuvent intervenir dans toutes les procédures civiles, pénales et administratives pour le compte des enfants dont ils ont la charge, afin de leur permettre d’exercer leurs droits. Contrairement aux mandataires judiciaires, ils n’ont pas de statut légal. Plus grave, les demandes de prise en charge explosent sans que les financements, dérisoires, suivent. La conséquence est terrible : de nombreuses associations se désengagent, notamment le réseau des Udaf (unions départementales des associations familiales), premiers opérateurs en la matière. Dans mon département de l’Ardèche, l’Udaf a ainsi tout simplement renoncé à prendre en charge les nouvelles mesures ad hoc pénales.
Vous êtes, j’en suis sûr, attaché à la défense des mineurs et de leurs droits, et animé par un solide esprit républicain ; vous ne pouvez donc pas être insensible à ce qui ressemble à une faillite de la République – car, quand on en vient à abandonner des enfants parfois victimes d’agressions sordides, c’est bien à nos principes fondamentaux qu’on renonce. Je sais que vous avez devant vous des chantiers immenses, mais je vous demande de faire de la protection des enfants une priorité absolue, de financer les mesures ad hoc pour les mineurs et de lancer une réflexion pour accorder un statut aux administrateurs ad hoc.
M. Éric Pauget (DR). L’année dernière, 3 398 personnes sont décédées sur les routes de France et près de 235 000 y ont été blessées. Mais la route ne tue pas seulement par accident : avec plus de 25 000 refus d’obtempérer recensés chaque année et 1 374 personnes tuées dans un accident impliquant un conducteur sous l’influence de substances en 2022, la délinquance routière est aussi responsable de drames que nous pourrions éviter. Je suis particulièrement investi sur ces questions depuis qu’un tragique accident a emporté un jeune lycéen sur les routes de ma ville d’Antibes en 2021.
Pour remédier au fléau des chauffards qui tuent, notre ex-collègue Anne Brugnera et moi-même avions rédigé une proposition de loi transpartisane créant l’homicide routier, que j’ai eu l’honneur de soumettre à la représentation nationale l’année dernière. L’examen de ce texte voté à l’unanimité par notre assemblée et adopté en première lecture par le Sénat a été interrompu par la dissolution. Alors que les comportements délinquants ne cessent de se multiplier, ce texte, jugé prioritaire par la présidente de l’Assemblée nationale, doit reprendre son parcours législatif.
Attendue de longue date par les familles et les associations de victimes de la route, soutenue par la Ligue contre la violence routière, l’Association Antoine Alléno et le collectif Victimes et avenir, cette proposition de loi permettrait une avancée majeure en matière de sécurité routière et de reconnaissance des droits des victimes. Êtes-vous favorable à l’inscription rapide de son examen en deuxième lecture à notre ordre du jour ?
M. le président Florent Boudié. Indépendamment de la réponse du ministre, nous pourrons inscrire ce texte à notre ordre du jour quand nous le voudrons. Pour ma part, je souhaite que nous le fassions.
M. Jonathan Gery (RN). Depuis quelques années, la société française connaît une série de faits d’ultraviolence : des jeunes, voire très jeunes, se livrent à des agressions contre des représentants de l’État, à des harcèlements assortis de menaces de mort, à des rixes entre bandes rivales ou encore à des lynchages, dans des déchaînements de haine parfois tels que certains y perdent la vie. Les exemples sont nombreux. Je songe notamment à Chamseddine, 15 ans, décédé après un passage à tabac, ou à Shaïna, 15 ans également, brûlée vive et criblée de coups de couteau par son ex-petit ami alors âgé de 17 ans.
Ces actes, qui suscitent l’horreur, ne doivent pas être banalisés. Ce phénomène doit être stoppé d’urgence, sous peine de voir notre pays sombrer dans la barbarie. Le principe selon lequel on ne peut juger les mineurs de 18 ans comme des adultes n’est plus en phase avec la mentalité de certains jeunes qui ne se posent plus de limites et peuvent aller jusqu’à donner la mort pour la moindre raison. Il faut bien sûr prendre en considération la nature de l’acte, mais, dans certains crimes particulièrement graves ou violents, l’excuse de minorité semble inappropriée. Dans le cas du meurtre de Shaïna, par exemple, il est difficilement compréhensible que le tribunal ait refusé de la lever alors même que le parquet l’avait demandé. La perspective d’une sanction plus sévère pourrait en outre dissuader certains mineurs de commettre des actes délictueux ou criminels.
Dans sa déclaration de politique générale, Michel Barnier a évoqué une réflexion sur les atténuations de l’excuse de minorité. Le Rassemblement national soutient depuis longtemps cette mesure pour faire face à l’ultraviolence juvénile. Quelle est votre position sur cette question ? Faut-il lever l’excuse de minorité pour des délits graves ou des crimes commis en état de récidive ?
M. Jean Terlier (EPR). Vous nous avez rassurés quant à votre mobilisation pour respecter les engagements pris dans la loi de programmation pour la justice, dont j’étais le rapporteur général : un budget inédit pour la justice, 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et plus de 1 000 attachés de justice supplémentaires dans nos circonscriptions. Au tribunal judiciaire de Castres, cela signifie plus de 25 % d’augmentation du nombre de magistrats et de greffiers. Cette loi était très attendue, compte tenu de l’état de notre justice. Il va de soi que les députés du groupe EPR vous soutiendront pour en tenir les engagements.
Une ordonnance de réécriture du code de procédure pénale à droit constant doit être prise dans un délai de deux ans, avant le 21 novembre 2025. Votre prédécesseur avait créé un groupe de contact avec des parlementaires pour suivre l’avancée des travaux de la Chancellerie. Ferez-vous de même ?
Nous avons adopté durant la dernière législature un code de la justice pénale des mineurs qui a réformé l’ordonnance de 1945. Plusieurs pistes sont ouvertes, comme les courtes peines, l’audience unique et l’atténuation de la responsabilité, mais avant de retoucher le nouveau code, il faut d’abord l’évaluer pour en connaître les résultats précis – qu’il s’agisse de la réduction des délais de jugement ou d’autres dispositions.
Mme Marie-José Allemand (SOC). Le nombre de dépôts de plainte pour viol ou violences sexuelles n’a eu de cesse de croître depuis MeToo et, mécaniquement, les classements sans suite ont augmenté. Il ressort d’affaires dont les associations de défense des victimes ont connaissance que ces classements sans suite interviennent avant même qu’un minimum d’actes d’enquête aient été réalisés. Pourriez-vous nous communiquer des données annuelles précises, par juridiction, sur les motivations de telles décisions et sur les actes d’enquête y ayant conduit ? Par ailleurs, quels moyens humains allez-vous mettre en place pour que ces actes d’enquête soient bien effectués ?
M. Michaël Taverne (RN). La mort du gendarme Éric Comyn lors d’un refus d’obtempérer, le 26 août, a tristement remis en lumière la question préoccupante des agressions envers les forces de l’ordre. Entre le 1er janvier et le 31 juillet, 4 952 policiers et gendarmes ont été blessés en service, soit une hausse de 88 % en dix ans. Certains veulent nous faire croire que l’ensauvagement de la société n’est qu’un mythe, mais les chiffres, eux, ne mentent pas. Nos forces de l’ordre sont devenues des cibles pour les délinquants et les criminels. Dans ces conditions, deux questions se posent.
La première est la légitime défense des forces de l’ordre. Certains l’ignorent mais ce principe existe déjà dans notre droit, pour tout un chacun, dans les conditions fixées par l’article 122-6 du code pénal. Toutefois, et nous le disons depuis des années, avec les syndicats, le cadre pour les forces de l’ordre doit évoluer, comme dans certaines grandes démocraties. L’utilisation d’une arme, létale ou non, quand bien même la situation l’exigerait, est une source d’angoisse et d’appréhension parmi les policiers et gendarmes, qui n’ont parfois qu’une demi-seconde pour se décider. Lors de notre première niche de la précédente législature, nous avons défendu la création d’une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre – qui n’est ni un permis de tuer, ni même la possibilité de conduire une enquête sans juge. Que pensez-vous de cette proposition que nous continuerons de défendre ?
Autre question importante : la réforme de la procédure pénale s’alourdit pour les officiers de police judiciaire, dont le nombre ne fait par ailleurs que décroître. Quelles mesures comptez-vous prendre pour rassurer les policiers et les gendarmes qui commencent à bouder cette spécialité ?
Mme Sophie Blanc (RN). Le Premier ministre a annoncé le retour des peines de prison courtes, ce qui constitue un revirement notable par rapport à la position de l’ancien garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti. Marine Le Pen réclame depuis des années la création de prisons réservées aux courtes peines afin de mieux gérer ce type de sanctions. Notre pays s’inscrit depuis trop longtemps dans une logique visant à éviter l’incarcération, notamment pour les délits mineurs. La loi du 23 mars 2019 permet au juge de prononcer des peines de prison inférieures à un mois, alors que celles de moins de six mois sont systématiquement aménagées, ce qui a contribué à un sentiment croissant d’impunité, notamment chez les plus jeunes délinquants.
Des exemples européens, notamment ceux des Pays-Bas et de la Norvège, montrent pourtant que de très courtes peines d’emprisonnement peuvent être efficaces. Aux Pays-Bas, cette stratégie a réduit la criminalité au point de créer une surcapacité pénitentiaire conduisant à la fermeture de plusieurs prisons. En Norvège, l’adaptation des peines aux délits, combinée à des peines courtes mais strictes, a aussi fait baisser la récidive. Cette approche pourrait être pertinente dans le contexte français pour lutter contre certaines infractions récurrentes, notamment les violences conjugales et les outrages sexistes, pour lesquels des peines symboliques sont parfois prononcées.
Comptez-vous créer des établissements pénitentiaires spécifiques pour les courtes peines ? Si oui, combien de prisons envisagez-vous de construire, pour combien de places, et dans quel délai comptez-vous lancer leur construction, indispensable pour restaurer la légitimité de notre justice et assurer un véritable retour de l’ordre public ? Envisagez-vous, au contraire, une adaptation des locaux existants ?
M. Marc Pena (SOC). Vous avez réitéré votre prise de position, qui suit celle du Président de la République, en faveur d’une évolution de la définition du viol dans laquelle serait intégrée la notion de consentement. Cela correspond à une thèse qui tente d’expliquer le peu de condamnations pour viol par l’absence d’une telle notion dans le code de pénal. Selon moi, son introduction placerait le viol sur le terrain de la sexualité, où l’on demande à sa partenaire si elle est consentante. Or, les victimes nous l’apprennent, leur consentement n’est pas le problème des violeurs : le viol n’est pas une relation sexuelle non consentie, mais un acte de prédation, de prise de pouvoir. L’agresseur choisit, en quelque sorte, sa victime et souvent lui fait peur – elle craint pour sa vie. C’est pourquoi le consentement ne figure pas dans la définition française du viol, y compris dans la récente loi du 21 avril 2021 concernant les relations entre majeurs et mineurs. Le consentement reste donc une notion sous-jacente, et vous avez vous-même souligné, monsieur le ministre, les risques en matière de charge de la preuve. Si l’on faisait référence au consentement, c’est la victime qu’on interrogerait, comme on le fait déjà de plus en plus, au lieu de se focaliser sur le coupable. L’urgence n’est pas d’adopter ce qui est pour moi une fausse bonne idée, mais une loi-cadre intégrale contre les violences faites aux femmes, et il est vital que la justice dispose des moyens nécessaires pour fonctionner.
M. Jordan Guitton (RN). Vous héritez d’un bilan catastrophique en matière de surpopulation carcérale : le problème s’est aggravé sous l’ensemble des gouvernements, à tel point que quarante-huit prisons ont désormais un taux d’occupation supérieur à 150 % – il peut même dépasser 200 %. Je pourrais notamment vous parler de la situation à Carcassonne et à Bordeaux. Vous avez fait de longues tirades, mais où en est la création des 15 000 places de prison prévues par votre prédécesseur ? Il est urgent d’agir. On ne peut s’empêcher de penser que si 40 % des peines de prison, selon les chiffres de votre ministère, font l’objet d’un aménagement ou d’une conversion avant l’incarcération, c’est dû au manque de places. Il me semble que vous avez fait part d’une volonté de restaurer la confiance dans la justice de notre pays. Pour le Rassemblement national, cela passe par plus de fermeté, plus de condamnations, et plus de rapidité entre la commission des actes et le prononcé de la peine.
Quelle réponse concrète comptez-vous apporter à la question de la surpopulation carcérale ? Le Premier ministre a souligné dans son discours de politique générale l’urgence de construire de nouvelles places de prison, mais en ferez-vous un chantier prioritaire ? Le cas échéant, de quelle manière et avec quels moyens ? Pouvez-vous nous assurer que vous ne procéderez pas à une régulation carcérale en vidant les prisons ? Au contraire, il faut en construire, et éviter de remettre des individus en liberté au seul motif qu’il n’y a pas assez de places de prison.
M. le président Florent Boudié. N’opposons pas la fermeté de la réponse pénale d’une part et, d’autre part, la régulation carcérale qui consisterait à « vider les prisons ». Je souhaite que nous puissions travailler ensemble sur ce sujet, toutes sensibilités confondues.
M. Didier Migaud, ministre. Certaines réponses sont un peu plus compliquées que les questions le laissent supposer. C’est le cas pour la régulation de la population carcérale : ce n’est pas tout blanc ou tout noir. La prison est une solution adaptée à certaines circonstances, mais pas obligatoirement à toutes. Des peines alternatives peuvent se justifier : il faut être capable de mobiliser toute une palette pour le prononcé et l’exécution des peines. La prison n’est pas la seule sanction.
Monsieur Masson, je me suis déjà exprimé au sujet de certains indicateurs. On doit accepter la vérité statistique, mais la lire en ayant l’esprit critique. Je vais voir comment on pourrait affiner l’appareil statistique, en toute transparence à votre égard, pour qu’il ne soit pas biaisé ou ne donne pas le sentiment de l’être. Je ne crois pas avoir fait preuve d’hypocrisie : j’ai repris des statistiques, dont je peux moi-même comprendre qu’elles ne correspondent pas tout à fait au sentiment des Français. J’ai également vu, en creusant la question, qu’elles portaient parfois sur plusieurs années. J’essaierai de faire en sorte que les indicateurs soient les plus pertinents possible et nous pourrons tout à fait y travailler ensemble. Il faut parler un langage de vérité : encore une fois, il ne sert à rien de se cacher derrière son petit doigt.
Je suis pour des mesures efficaces et fermes. Or certaines idées avancées dans le débat public ne vont pas dans ce sens. Je ne suis pas favorable aux peines planchers, car elles n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Des statistiques le montrent très bien, comme mon prédécesseur l’avait souligné. Des peines beaucoup plus sévères ont même été prononcées après la suppression des peines planchers. On peut penser que certaines évolutions permettraient d’apporter des réponses, mais ce n’est pas la réalité si on regarde la situation tout à fait objectivement. Mon ambition est de faire en sorte que les réponses soient les plus efficaces possible. Pour cela, il faut parfois sortir des a priori. Quant aux remises de peine, elles sont de moins en moins automatiques : une réforme les a conditionnées de façon croissante.
Je partage les propos de Stéphane Mazars : il faut à tout prix faire en sorte que les Français aient davantage confiance dans leurs institutions et dans les responsables publics. Nous avons des marges de progrès considérables en la matière. C’est une préoccupation majeure dans nos démocraties, et je ne pense pas que ce soit en attaquant les policiers ou les magistrats que nous arriverons à convaincre les citoyens. Un travail doit être mené pour conforter la confiance dans la justice, et la lutte contre la récidive en fait partie. Les magistrats prennent en compte cet aspect : les peines sont beaucoup plus sévères en cas de récidive.
Plusieurs d’entre vous, dont Mme Cathala, m’ont interrogé sur le budget. Je le redis, car je ne veux pas de malentendu : la lettre plafond de cet été ne peut pas être considérée comme satisfaisante, le Premier ministre en est parfaitement convaincu. Il procédera donc à certains ajustements, comme il l’a évoqué dans des interviews, et j’ai confiance en son arbitrage. Nous sommes notamment mobilisés pour que tous les engagements portant sur les effectifs soient respectés. Le Premier ministre est tout à fait conscient de la priorité du régalien et je pense que ses arbitrages iront dans ce sens. Je le répète : quand j’ai dit que le budget n’était pas satisfaisant, je parlais de la lettre plafond.
Madame Bonnivard, s’agissant des extractions judiciaires, le recours à la visioconférence progresse. Des engagements ont été pris dans le cadre de l’accord d’Incarville et nous y travaillons. Vous avez formulé des propositions pour encourager les communes à accepter d’accueillir des établissements fermés. Je n’ai pas d’objection, bien sûr, à la levée des obstacles juridiques, s’il en existe, pour accélérer la construction de prisons. Je suis prêt à examiner les modalités, en lien avec la ministre chargée des collectivités territoriales et le ministre de l’intérieur. Certains critères pourraient, peut-être, être ajoutés : ce sujet mérite qu’on en discute.
Monsieur Amirshahi, si vous ne m’avez pas entendu au sujet de la réforme de la police judiciaire, c’est parce que je n’étais pas ministre à l’époque. J’avais, par ailleurs, des fonctions qui m’imposaient une neutralité totale. Un travail est en cours pour clarifier la procédure pénale qui, j’en conviens, est très – peut-être trop – sédimentée. Nous sommes en train de regarder la question avec le ministère de l’intérieur. Il faut simplifier, éviter les sources d’insécurité juridique, les recours dilatoires et les contraintes excessives. Nous pourrons en reparler, si vous le souhaitez, pour dégager des pistes d’amélioration qui permettraient d’exercer des poursuites plus efficacement, dans le respect des droits de chacun.
S’agissant des comparutions immédiates et de la justice des mineurs, je crois avoir déjà apporté des réponses. Quelques ajustements peuvent être faits, dans le respect des principes constitutionnels que j’ai rappelés. Au reste, le Premier ministre a fortement circonscrit, dans sa déclaration de politique générale, les ajustements nécessaires. Nous y travaillons et nous vous ferons des propositions.
Madame Thiébault-Martinez, je considère la question de la soumission chimique et des violences sexuelles comme prioritaire. Beaucoup de travail a déjà été fait : il faut l’approfondir et formuler, en matière de procédure, des propositions permettant de mieux lutter contre ces violences et ces trafics sexuels. Toute une réflexion a été engagée autour des juridictions spécialisées, et nous pouvons aussi examiner un élargissement des cours d’assises spéciales à tous les crimes en bande organisée que vous avez évoqués.
Madame Bordes, la criminalité organisée et le narcotrafic sont des questions majeures et très préoccupantes. Des concertations ont été organisées sur les moyens d’y répondre. Des mesures rapides doivent être prises en matière d’organisation et de politique pénale, notamment par des instructions au parquet. Nous y travaillons. Il faudra ensuite réfléchir à des solutions de long terme, en lien avec le ministère de l’intérieur, pour apporter les réponses les plus adaptées à une criminalité qui est, elle-même, de plus en plus organisée et dispose de moyens considérables – son chiffre d’affaires serait de 3,5 milliards, ce qui a des conséquences en matière de possibilités de corruption, avec les effets en chaîne que cela implique. Il est tout à fait nécessaire de prendre ce dossier à bras-le-corps. Nous sommes en train d’expertiser toutes les propositions formulées par la commission d’enquête du Sénat, et j’espère pouvoir très rapidement les reprendre ou leur donner un avis favorable. Nous y travaillerons, là aussi, avec le ministre de l’intérieur.
Monsieur Lescure, vous m’avez interrogé sur la reconnaissance de l’état civil d’enfants nés d’une GPA à l’étranger. Le recours à la GPA est expressément interdit par la loi, vous le savez. Notre droit établit le principe de l’indisponibilité du corps humain, pour des raisons de respect de la dignité humaine et de la dignité de la femme, principe sur lequel il n’est pas question de revenir. Il faut, bien entendu, que cela n’ait pas pour effet de porter atteinte à l’intérêt de l’enfant – je crois que c’est la préoccupation que vous avez exprimée. Cela ne semble pas être le cas aujourd’hui, mais je suis prêt à regarder de plus près la situation avec vous. Lorsque des parents d’intention français disposent d’un jugement établissant la filiation d’un enfant né d’une GPA, par exemple aux États-Unis, notre droit permet d’obtenir la reconnaissance en France du lien établi à l’étranger. Deux voies existent : la première, qui n’est pas judiciaire, est la transcription dans les registres d’état civil de la filiation maternelle ou paternelle, selon les règles prévues dans le code civil depuis la loi de bioéthique de 2021 ; la seconde voie, de nature judiciaire, est la reconnaissance de jugements étrangers qui établissent la filiation des enfants nés d’une GPA réalisée à l’étranger – un certain nombre de décisions de justice vont dans ce sens. Le droit en vigueur est plutôt équilibré : il permet de concilier l’interdiction de principe de la GPA tout en préservant l’intérêt de l’enfant, sous le contrôle du juge. S’il est nécessaire de faire encore évoluer les possibilités offertes en vue de mieux prendre en compte l’intérêt de l’enfant, je suis tout à fait prêt à y travailler avec vous.
J’en viens aux questions de M. Pauget sur les infractions routières. Le ministère de la justice est pleinement engagé dans la lutte contre la délinquance routière et je suis tout à fait conscient des drames vécus et de leurs conséquences effroyables, souvent irréversibles, pour les victimes et leurs proches. La délinquance routière frappe au hasard, sans discrimination. La question de l’homicide routier fait partie de l’équation : des propositions ont été formulées, notamment dans le cadre d’une proposition de loi dont l’objectif est de modifier le code pénal pour que les faits d’homicide involontaire commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur puissent être qualifiés d’homicide routier. Nous sommes tout à fait prêts à ce que cela soit inscrit dans le code pénal. Nous pourrons y travailler et appuyer l’inscription de cette proposition de loi à l’ordre du jour.
Monsieur Saulignac, la loi du 7 février 2022 facilite la désignation par le juge d’un avocat pour l’enfant capable de discernement et d’un administrateur ad hoc pour l’enfant non capable de discernement. Ce que vous dites sur le statut peu attractif des administrateurs ad hoc est une réalité, et il faut donc travailler sur cette question. Les administrateurs ad hoc sont en nombre notoirement insuffisant sur le territoire, alors qu’ils sont de plus en plus souvent désignés et qu’ils exercent des missions de plus en plus importantes. Des travaux sont en cours au sein du ministère de la justice pour faire des propositions de revalorisation de leur statut. Un engagement avait été pris par le Gouvernement, dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, dans lequel la justice est pleinement impliquée. Un décret devrait être pris très prochainement à cet effet.
M. Gery est revenu sur l’excuse de minorité, au sujet de laquelle je me suis exprimé à plusieurs reprises. Le Premier ministre a prévu des cas très circonscrits d’atténuation de l’excuse de minorité, sans remise en cause des principes constitutionnels. Nous aurons l’occasion de formuler des propositions pour décliner dans ce domaine la feuille de route du Premier ministre.
S’agissant de la réécriture du code de procédure pénale, monsieur Terlier, je suis bien sûr favorable à ce que les parlementaires y soient associés. Il faudra actualiser la liste du groupe que vous avez évoqué, car certains de ses membres ne sont plus députés.
Vous souhaitez, par ailleurs, une évaluation du code de la justice pénale des mineurs. Vous y avez déjà contribué en établissant un rapport parlementaire en 2023. Vos constats étaient plutôt positifs, même si vous reconnaissiez que tout n’était pas satisfaisant. Des difficultés pratiques de mise en œuvre nous sont remontées, par vous et par les organisations syndicales. Il faudra travailler ensemble pour essayer d’améliorer ce qui peut l’être.
Mme Blanc a évoqué les peines courtes, qui font partie des propositions formulées par le Premier ministre. Nous regardons quelle peut en être la déclinaison, et la question des lieux se pose d’emblée : le Premier ministre a lui-même évoqué des solutions diversifiées en la matière, au sujet des courtes peines notamment. Nous y travaillons et j’espère que nous serons en mesure de faire des propositions rapidement. Il faut considérer avec prudence l’exemple des Pays-Bas, qui a souvent été mis en avant ces dernières années : il semble que les résultats ne soient plus tout à fait les mêmes et ce pays a également des problèmes de surpopulation carcérale. Nous devons prendre appui sur des exemples utiles, mais en faisant preuve d’esprit critique.
La question de M. Pena sur le viol et le consentement est extrêmement sensible. J’ai fait une ouverture : je suis tout à fait prêt à travailler sur ce sujet et à faire en sorte que les propositions formulées par un certain nombre d’entre vous puissent être débattues et trouver une concrétisation. Je suis conscient de la nécessité d’écrire les choses avec beaucoup de prudence. Il ne faut pas mettre les plaignantes dans une situation plus difficile.
M. Taverne a parlé des OPJ et de la nécessité de valoriser davantage leur travail, très sensible et utile : il faut conduire une réflexion en la matière. Un processus est en cours pour procéder à des simplifications tout en préservant les garanties procédurales. Je suis tout à fait prêt à encourager ce qui peut contribuer à l’attractivité du métier, étant entendu que cela fait partie des réformes de la police engagées par le ministère de l’intérieur.
Madame Martin, je pense avoir répondu à votre question sur la régulation carcérale. Vous avez évoqué la situation de Mayotte, qui nous préoccupe. Nous avons pris des dispositions pour renforcer les équipes sur place, à la suite du mouvement qui est intervenu et de la démission du directeur de la prison, qui a souhaité, par son geste, attirer notre attention, qui était déjà entière, sur une surpopulation carcérale qui s’est développée, dans la situation très particulière qui est celle de Mayotte, dans des proportions trop importantes. Nous allons travailler sur cette question, notamment dans le cadre du respect du « plan 15 000 ». J’aurai l’occasion, lors de la discussion budgétaire, de vous apporter des éléments concrets sur la mise en œuvre de ce programme. Il est bien engagé, mais un certain nombre de constructions sont légèrement en retard. Ce n’est pas toujours le fait de mon ministère : nous nous heurtons aussi à des difficultés foncières ou à un manque d’accord sur le terrain. Il faut avancer, mais ce n’est pas toujours simple.
S’agissant des classements sans suite, madame Allemand, le nombre des personnes mises en cause a augmenté, mais nous allons essayer de vous apporter des statistiques plus précises. Les classements sans suite sont un sujet : les difficultés d’audiencement dont j’ai parlé tout à l’heure sont une vraie préoccupation pour le ministre de la justice que je suis. De nombreuses affaires criminelles sont en attente, et nous revenons ainsi à la question des moyens et de la nécessité d’obtenir des ajustements en la matière. Je vous ai dit combien le Premier ministre lui-même y était sensible : j’espère que nous aurons de meilleures nouvelles à vous donner. Nous allons aussi affiner les motifs de classement pour vous fournir des éléments de réponse.
M. le président Florent Boudié. Nous avons bien compris que la cause de tout se trouvait dans la lettre plafond. Je suis certain que votre cabinet prendre l’attache des députés qui n’auraient pas obtenu aujourd’hui de réponse à leurs questions, avant que nous vous auditionnions de nouveau sur le projet de budget.
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La séance est levée à 20 heures 50.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Marie-José Allemand, M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Jonathan Gery, M. Philippe Gosselin, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, Mme Marie-France Lorho, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Bryan Masson, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, M. Éric Pauget, M. Marc Pena, Mme Sandra Regol, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, Mme Sophie Vaginay, M. Roger Vicot
Excusés. - M. Marc Fesneau, M. Moerani Frébault, Mme Émeline K/Bidi, M. Laurent Marcangeli, M. Olivier Marleix, M. Jiovanny William, Mme Caroline Yadan
Assistaient également à la réunion. - M. Fabien Di Filippo, M. Sacha Houlié