Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

        Nomination d’un rapporteur sur la proposition de nomination de M. Didier Leschi comme directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) par le Président de la République                            2

 Examen de la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (n° 483) (MM. Florent Boudié et Arthur Delaporte, rapporteurs)              2

 Examen pour avis des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis)                            27

        Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi tendant à l’instauration de peines planchers pour certains crimes et délits (n° 262) (Mme Pascale Bordes, rapporteure)                            45

        Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition visant à assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public (n° 265) (Mme Edwige Diaz, rapporteure)                            45


Mercredi
30 octobre 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 11

session ordinaire de 2024 - 2025

Présidence de
M. Florent Boudié, président, puis de Mme Agnès Firmin Le Bodo, vice-présidente


  1 

La séance est ouverte à 9 heures.

Présidence de M. Florent Boudié, président.

La Commission procède à l’élection d’un rapporteur, en remplacement de M. Andy Kerbrat, sur la proposition de nomination de M. Didier Leschi comme directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) par le Président de la République.

La commission est saisie des candidatures de M. Yoann Gillet et de M. Pouria Amirshahi.

L’élection du rapporteur donne lieu à un tour de scrutin :

Nombre de votants………………………………… 34

Bulletins blancs ou nuls…………………………… 7

Suffrages exprimés………………………………… 27

Majorité absolue…………………………………… 14

Ont obtenu :

M. Yoann Gillet………………………………… 10 suffrages

M. Pouria Amirshahi……………………………17 suffrages

 

M. Pouria Amirshahi ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, il est désigné rapporteur.

 

*

*     *

Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, vice-présidente.

Puis, la Commission examine la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (n° 483) (MM. Florent Boudié et Arthur Delaporte, rapporteurs) ;

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Nous examinons la proposition de loi organique (PPLO) visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. Cette PPLO, déposée le 16 septembre par M. Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste, écologiste et républicain du Sénat, a été adoptée par le Sénat dès le 23 octobre, la procédure accélérée ayant été mise en œuvre par le Gouvernement.

Nous avons désigné deux rapporteurs appartenant, l’un à la majorité, l’autre à l’opposition : le président de notre commission, M. Florent Boudié, et M. Arthur Delaporte, du groupe socialistes et apparentés. Je leur donne sans plus tarder la parole.

M. Florent Boudié, rapporteur. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je souhaite faire deux observations d’ordre général.

Tout d’abord, il convient d’aborder la situation néo-calédonienne avec une très grande humilité. Nous avons, en tant que rapporteurs – mais c’est également le cas de beaucoup d’entre vous ici –, une connaissance précise, documentée de la situation économique et sociale en Nouvelle-Calédonie, qui s’appuie sur le très grand nombre d’auditions auxquelles nous avons procédé ces derniers jours. Mais ce n’est pas, pour nous, une réalité vécue. Nous avons probablement une vision théorique de la situation sur place. D’où l’humilité dont il faut faire preuve.

Ensuite, rien ne serait pire que de voir nos débats nationaux influer sur le sort de l’archipel. Je crois même qu’il faut dénationaliser le débat calédonien. C’est en tout cas mon avis, et je pense qu’il est partagé par l’autre rapporteur – mais peut-être me contredira-t-il dans quelques instants. Si nous voulons apporter des réponses humbles, qui correspondent aux souhaits du peuple calédonien, dans sa diversité, il est indispensable que nous sortions de nos grilles de lecture hexagonales.

La proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui vise donc à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie, au plus tard le 30 novembre 2025. Elle a été déposée sur le bureau du Sénat le 16 septembre 2024 par plusieurs sénateurs du groupe socialiste, écologiste et républicain, puis adoptée, en première lecture, le 23 octobre dernier. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi une démarche transpartisane, à l’image de celle adoptée par le Sénat.

Le report proposé des élections est lié à la grave crise économique, budgétaire et sociale que connaît la Nouvelle-Calédonie depuis le mois de mai 2024. Le point de départ de ces troubles a été l’examen, puis le vote par notre assemblée, les 13 et 14 mai, du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province. Les émeutes ont atteint une intensité maximale au cours des deux semaines qui ont suivi ; elles se sont matérialisées par des blocages de voies publiques, des pillages ou encore des incendies de bâtiments, publics et privés. Elles ont donné lieu à la déclaration de l’état d’urgence sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, dès le 16 mai, et à un renforcement, exceptionnel et progressif, des effectifs de forces de l’ordre présents sur place. Le procureur de la République à Nouméa, M. Yves Dupas, n’a pas hésité à les qualifier de « mouvement insurrectionnel animé par une radicalisation violente ». Le bilan humain, lourd, est de treize morts – dont deux gendarmes – et des centaines de blessés.

Six mois plus tard, la situation sécuritaire s’est améliorée et une forme de désescalade s’est engagée. Mais la crise n’est pas pour autant résolue. L’économie calédonienne a été lourdement atteinte par les émeutes, qui ont plus particulièrement touché la zone du grand Nouméa : 750 entreprises et 6 000 emplois directs ont été détruits ; près de 1 300 entreprises ont subi des pertes d’exploitation. Cette crise économique se double d’une crise budgétaire et sociale, profonde, dans la mesure où, compte tenu de la baisse de leur capacité budgétaire, un très grand nombre de collectivités locales pourraient réduire prochainement plusieurs dispositifs à caractère social. Quelques-unes l’ont d’ailleurs déjà fait. L’ensemble des acteurs locaux auditionnés par vos rapporteurs, toutes sensibilités confondues, partagent le constat quant au caractère dramatique, exceptionnel de la situation. Ils ont manifesté leur très grande inquiétude, certains craignant même des émeutes de la faim dans les prochaines semaines si rien ne s’améliorait.

Dans ce contexte, l’organisation des élections en décembre se heurte à des obstacles évidents, d’ordres politique et matériel.

Le premier obstacle est l’urgence économique et sociale, que je viens d’évoquer, qui nécessite un dialogue entre l’État et les acteurs calédoniens pour rechercher des solutions, budgétaires notamment. Nous aurons cette discussion avec le ministre chargé des outre-mer, concernant le PLF pour 2025, dès cet après-midi. Pour de nombreuses autorités locales auditionnées, la crise sociale est au cœur des préoccupations de la population. Selon Paul Néaoutyine, le président de la province Nord, « [la population] se soucie davantage de [sa] situation au plan économique, financier, social, sanitaire ou éducatif ». Ces propos sont analogues à la plupart de ceux tenus devant Arthur Delaporte et moi-même, lors des auditions.

Le deuxième obstacle tient à l’impossibilité d’organiser des élections dans de bonnes conditions matérielles. La circulation routière, par exemple, n’est pas encore possible sur tous les axes, ce qui ne favorise pas l’organisation de réunions ou de débats démocratiques. C’est en particulier le cas sur la route du Sud, ce qui met en grande difficulté de 12 000 à 15 000 personnes.

Le troisième obstacle est celui du périmètre du corps électoral, qui est un des principaux sujets de désaccord pour lequel le consensus reste la seule issue. Or l’organisation des élections d’ici au 15 décembre serait incompatible avec la nécessité de rouvrir, rapidement, le dialogue entre toutes les parties prenantes.

Enfin, la plupart des acteurs locaux estiment que l’organisation d’une campagne électorale pourrait raviver les clivages entre Calédoniens, alors que le territoire a d’abord besoin d’écoute, de dialogue et d’unité d’action.

Compte tenu de ces considérations, la proposition de loi organique soumise à notre examen s’inscrit dans le cadre juridique posé par le Conseil constitutionnel s’agissant des modifications de la durée des mandats. Il résulte de la jurisprudence constante de cette juridiction que ces modifications doivent, premièrement, permettre aux électeurs d’exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable ; deuxièmement, revêtir un caractère exceptionnel et transitoire – ce qui est le cas ; troisièmement, correspondre à un intérêt général – et je ne doute pas que le report des élections en soit un. Ces conditions sont donc, a priori, réunies.

Saisi d’une demande d’avis sur cette PPLO par le président du Sénat, le Conseil d’État a admis, dans son avis du 10 octobre 2024, « la volonté de permettre le dialogue entre les partenaires politiques de l’accord de Nouméa, en vue de rechercher un nouvel accord sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, comme répondant à un but d’intérêt général […], alors que la gravité et l’ampleur de la dégradation de sa situation économique et sociale compromettent la sérénité nécessaire tant au dialogue qu’à l’organisation du scrutin provincial dans le calendrier prévu ».

Cet avis formule également des recommandations, dont découlent deux des trois amendements adoptés par nos collègues sénateurs. L’article unique – devenu article 1er – a été réécrit, sans en changer le fond, par souci de clarté juridique. L’article 3 prévoit l’entrée en vigueur de la loi organique dès le lendemain de sa publication au Journal officiel, cela afin de tenir compte du fait qu’elle doit entrer en vigueur avant le 17 novembre, date à laquelle doit être pris le décret de convocation des électeurs, faute de report des élections.

Les sénateurs ont aussi prorogé les mandats des membres des instances internes – bureau, commissions – du Congrès de la Nouvelle-Calédonie en fonction lors de la promulgation de la loi organique en cours d’examen, suite à une demande écrite du Congrès, afin d’éviter deux renouvellements successifs dans un délai très court (article 2).

Ce report, s’il est voté, constituera une étape importante, mais pas une fin en soi. Au cours des mois à venir, la Nouvelle-Calédonie devra trouver des réponses aux défis institutionnels et économiques qui sont les siens.

Pour conclure, je souhaite évoquer la demande du Président de la République faite aux deux présidents de chambre d’assumer une mission parlementaire, qui se rendra en Nouvelle-Calédonie, du 9 au 14 novembre. Par l’autorité personnelle et morale des deux présidents, cette mission parlementaire ne sera pas une mission de représentation de l’État. Elle a vocation à rétablir le dialogue tripartite entre l’État et chacune des sensibilités calédoniennes, pour qu’ils se remettent autour de la table. Selon les propos de plusieurs intervenants lors de nos auditions, cette mission parlementaire doit « dresser la table », mais pas établir le menu. Dans ce contexte, je souhaite – je parle sous le contrôle de Philippe Gosselin, qui sait pourquoi je le cite – que la commission des lois prenne toute sa place, comme elle l’a fait dans le passé, afin qu’elle soit une interlocutrice fiable et impartiale, qu’elle soit une force d’analyse et de proposition, grâce notamment à l’approche transpartisane qu’Arthur Delaporte et moi-même incarnons.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. Je souhaite à mon tour alerter sur la situation économique et sociale catastrophique des habitantes et des habitants de la Nouvelle-Calédonie. J’exprime, en notre nom collectif, ma profonde solidarité pour toutes celles et tous ceux dont les biens de production ont été détruits, à celles et ceux qui ont perdu leur emploi et leur logement. Je pense également à tous ces enfants qui ne vont pas à l’école, parce qu’il n’y a plus de transport scolaire, mais aussi à toutes ces femmes qui, en raison de violences intrafamiliales, ont dû quitter leur domicile dans la région de Nouméa pour retourner, notamment, dans la province Nord. Je pense encore aux treize personnes qui sont décédées lors des émeutes, ainsi qu’à toutes les victimes indirectes, privées d’accès aux soins.

La situation budgétaire en Nouvelle-Calédonie est elle aussi très inquiétante. L’urgence est réelle. Ainsi, la fin annoncée du dispositif de chômage partiel d’ici à la fin de l’année risque de faire basculer des milliers de personnes supplémentaires dans une précarité dramatique.

Si la Nouvelle-Calédonie a besoin de visibilité financière pour sortir la tête de l’eau, celle-ci doit aller de pair avec une reconstruction politique. Comme l’a rappelé Florent Boudié, notre commission – et plus largement notre assemblée – doit être à la hauteur et contribuer à la restauration d’un dialogue malmené par la crise. Une crise dans le déclenchement de laquelle l’État a une responsabilité majeure, notamment en raison de la stratégie, contestée, qu’il a suivie.

Il est en effet essentiel que la représentation nationale s’engage pleinement, avec humilité et avec un sens retrouvé de la collégialité. Il nous faut, toujours, rechercher le consensus et respecter toutes les parties prenantes dans la sérénité. Cela signifie suivre une démarche en rupture totale avec celle adoptée ces derniers mois, qui a conduit à la situation que nous déplorons.

C’est en ce sens que nous examinons la proposition de loi organique déposée par des sénateurs socialistes, qui sert de véhicule législatif, notamment pour une raison calendaire, puisqu’il nous fallait adopter une PPLO reportant ces élections provinciales avant le 17 novembre, date limite de prise du décret de convocation des élections.

Le déplacement prochain des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, une première historique d’une force symbolique sans équivoque, nous permet également d’envisager l’avenir d’un point de vue parlementaire. Ce déplacement, accueilli favorablement par la plupart des personnes que nous avons auditionnées, suscite des attentes légitimes. Le format restreint de cette mission, l’autorité morale des présidents, leurs connaissances et leur posture – ils ne représentent pas l’État – pourraient permettre d’engager les parties prenantes dans un dialogue tripartite, de « dresser la table » et d’inviter chacun à s’asseoir autour d’elle. Comme l’a dit notre collègue Tjibaou, le rôle des parlementaires est d’accompagner la décolonisation et le rapport avec les outre-mer.

C’est désormais aux Calédoniens de construire un projet d’avenir partagé et c’est dans l’archipel que doivent plus particulièrement se poursuivre les discussions.

En plus des questions économiques et sociales, plusieurs sujets institutionnels doivent être résolus pour écrire la suite de l’accord de Nouméa : la relation avec la France, l’organisation interne du territoire, le corps électoral, les modalités d’exercice futur du droit à l’autodétermination et, donc, la poursuite du processus de décolonisation.

Rien n’est fait. Toutefois, les échanges que nous avons eus au cours des auditions nous donnent un espoir raisonnable que la volonté d’accord soit partagée par les différentes formations politiques.

Le 22 octobre dernier, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a rendu un avis favorable quant à cette proposition de loi organique, par 47 voix sur 54 – une seule voix contre et quelques abstentions. M. Louis Mapou, président du gouvernement, que nous avons entendu, a d’ailleurs opportunément rappelé que la présente PPLO avait recueilli un soutien plus large que la loi organique du 15 avril 2024 reportant les élections, à laquelle une partie des indépendantistes – ceux de l’Union calédonienne – s’étaient opposés. Rappelons également que la résolution du Congrès, qui avait été votée le 13 mai, appelait au retrait du projet de loi constitutionnelle de révision du corps électoral des élections provinciales.

Les auditions que nous avons menées confirment cet avis favorable. Nous avons eu à cœur d’accueillir le plus largement possible les acteurs politiques calédoniens. Nous avons ainsi entendu, outre le haut-commissariat et des acteurs économiques – notamment les syndicats, qui ont fait une demande d’audition –, le président du gouvernement et la présidente du Congrès, les présidents de groupes au Congrès, les associations des maires et les présidents des assemblées de province, ainsi que les parlementaires du territoire, dont deux sont présents parmi nous aujourd’hui.

Un constat, globalement partagé, en ressort : le report des élections est nécessaire. L’urgence est d’ordre économique et social, mais elle est aussi institutionnelle, car les élections ne pourront être éternellement reportées.

Les élus indépendantistes considèrent ainsi que le report des élections permettrait de travailler à trouver un accord. Pour Louis Mapou, il s’agit de « redonner confiance à la population de Nouvelle-Calédonie et d’engager un certain nombre de travaux ». La notion de confiance est également mise en avant par Jacques Lalié, président de la province des Iles Loyauté, pour qui le report est « une mesure nécessaire, mais insuffisante si elle n’est pas accompagnée d’une véritable refondation du dialogue entre l’État et les parties prenantes. Ce report doit servir à restaurer la confiance et à reconstruire un cadre institutionnel ». Pour Jean-Pierre Djaïwé, président du groupe de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI) au Congrès, ce report offrirait « une nouvelle opportunité de nous retrouver autour de la table pour pouvoir discuter ».

Les non-indépendantistes rappellent en particulier que, préalablement aux mouvements de colère, des discussions avaient déjà permis de clarifier les positions, voire de trouver des terrains d’entente sur un grand nombre de sujets. Ils expriment donc le souhait que ces travaux puissent constituer une forme de base de travail à partir de laquelle les points de convergence et de divergences des parties prenantes pourront être précisés.

Il faut tout de même mentionner que les élus de l’Éveil océanien se montrent plus circonspects quant au report, en faveur duquel ils ont néanmoins voté. Toutefois, s’ils expriment une demande de renouvellement de la classe politique actuelle, la divergence porte davantage sur la capacité des élus en poste à trouver un accord, que sur l’objectif, partagé, que constitue la recherche d’un accord global.

À cet égard, les attentes des parties prenantes envers l’État sont fortes. Plusieurs personnes auditionnées ont eu des mots sévères quant à son action et son rôle dans le déclenchement de la crise. L’obstination du Président de la République à convoquer le Congrès malgré l’absence de consensus est, à mon sens, une faute politique majeure. Le dessaisissement du dossier de Matignon au profit du ministère de l’intérieur a renforcé un sentiment de défiance d’une partie des acteurs qui, aujourd’hui, demandent unanimement neutralité et impartialité à l’État, sans qu’il renonce pour autant à prendre les initiatives nécessaires pour avancer. Quant à l’envoi massif et tardif des forces de sécurité et au transfèrement de détenus dans l’Hexagone, ils demeurent des points de blocage.

Toutefois, les annonces faites par le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, et par le ministre des outre-mer, François-Noël Buffet, sont bien perçues. Pour ce qui est du retrait du projet de loi constitutionnelle, qui ne sera finalement pas soumis au Congrès, il semble amorcer un changement de méthode, louable, et une baisse des tensions, propice aux discussions.

Les élus non indépendantistes auditionnés – Sonia Backès, Françoise Suvé et Gil Brial – espèrent que l’État pourra apporter une aide à la reprise du dialogue, en s’appuyant sur une méthode et un calendrier. Philippe Michel, président du groupe Calédonie ensemble, voit pour sa part en l’État un chef d’orchestre.

En tout état de cause, l’État doit redevenir un tiers de confiance impartial, garant auprès des partenaires locaux de la continuité du processus de reconstruction socio-économique et du processus politique, comme il l’a été lors des accords de Matignon, en 1988, puis de Nouméa, en 1998.

Je vous invite, chers collègues, à adopter cette proposition de loi organique afin de permettre à la Nouvelle-Calédonie de se concentrer sur la recherche des solutions institutionnelles et économiques indispensables, dans les semaines et les mois à venir. Nous espérons un vote conforme afin que ce texte puisse être promulgué dans les plus brefs délais.

Pour conclure, voici ce que déclarait Lionel Jospin – dont chacun connaît l’engagement sur la question néo-calédonienne – dans une tribune parue en mai dernier : « L’accord à construire demain doit permettre de fonder un nouveau contrat social entre les communautés qui vivent sur une même terre. Il pourrait aussi ouvrir le chemin d’une évolution des relations entre la Nouvelle-Calédonie et la France conduisant, le moment venu, à une émancipation plus complète. »

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Yoann Gillet (RN). La proposition de loi organique dont nous débattons aujourd’hui vise à reporter les élections aux assemblées provinciales et au Congrès de Nouvelle-Calédonie, avec comme échéance le 30 novembre 2025.

Ces élections avaient déjà fait l’objet d’un report, au plus tard au 15 décembre 2024, pour favoriser la conclusion d’un accord sur l’avenir institutionnel de l’archipel et pour finaliser la réforme du corps électoral. Cependant, l’adoption par le Parlement, en mai 2024, du projet de réforme constitutionnelle sur le gel partiel du corps électoral spécial en vue des élections provinciales a engendré une crise profonde. Celle-ci a été marquée par des émeutes violentes, dont le bilan est terrible : treize décès – dont ceux de deux gendarmes –, de nombreuses déprédations et une dégradation sans précédent de la situation économique et sociale.

Nos alertes répétées, plusieurs mois avant le début des violences, sur le risque que le calendrier du gouvernement de l’époque faisait peser sur ce territoire français n’ont malheureusement pas été entendues. C’est bien le manque d’anticipation du précédent gouvernement et, disons-le, sa légèreté qui ont plongé la Nouvelle-Calédonie dans cette crise, dont le coût est énorme. Les dégâts pour le secteur privé atteignent 1,2 milliard d’euros ; plus de 700 entreprises ont été détruites ; près du tiers des effectifs salariés se retrouvent au chômage partiel. Quant aux infrastructures publiques, la facture s’élève à 1 milliard d’euros. L’impact est immense, tandis que des ingérences étrangères accentuent les tensions.

Le gouvernement a commis un nombre incalculable d’erreurs en Nouvelle-Calédonie. Il n’a pas été capable de faire une proposition statutaire à même de servir de base à des négociations tripartites.

Il faut maintenant se remettre autour de la table ; l’apaisement est la priorité.

Le Rassemblement national entend participer à la construction d’un nouveau consensus autour d’un accord global, institutionnel et économique. Nous accordons la plus grande importance à un avenir stable favorisant le développement de la Nouvelle-Calédonie et, donc, de la France dans le Pacifique, qui respecte tous les Calédoniens, dans leur diversité, afin que ce territoire français connaisse le calme qu’il mérite.

Ainsi, considérant la gravité de la situation actuelle, nous estimons qu’il est primordial de différer ces élections afin de permettre l’apaisement et la recherche d’un accord commun. Notre groupe a toujours été et demeurera un défenseur de la Nouvelle-Calédonie française. Nous resterons vigilants pour protéger les intérêts de nos compatriotes et refuserons le morcellement de la République française.

M. Vincent Caure (EPR). Si le groupe EPR ne partage pas l’ensemble des constats dressés dans l’exposé des motifs de cette PPLO, nous partageons la logique d’objectif du texte, à savoir permettre l’organisation, dans des conditions apaisées et dans le respect du droit, des futures élections provinciales et du Congrès de Nouvelle-Calédonie.

Les élections, initialement prévues le 12 mai 2024, ont été une première fois reportées au 15 décembre par le législateur, afin de permettre le dégel du corps électoral ainsi que la conclusion d’un accord global entre les représentants indépendantistes, non indépendantiste et l’État quant à l’avenir institutionnel de l’archipel.

Nous débattons et sommes appelés à voter un nouveau report à la fin de l’année 2025. Ce report est rendu nécessaire compte tenu de la situation en Nouvelle-Calédonie. Les souvenirs des événements du printemps et leur cortège de destructions et de violence – 6 000 emplois détruits, un coût de 2 milliards d’euros, treize morts, dont deux gendarmes – sont encore vifs et ne permettent pas de tenir, dans les conditions requises, le scrutin d’ici à la fin de l’année. En outre, ce report est conforme à l’esprit de l’accord de Nouméa et à l’état du droit dans notre pays ; c’est pour cela également que nous le soutenons.

Le ministre des outre-mer, François-Noël Buffet, s’est rendu dans l’archipel il y a quelques jours. Il a annoncé de nouvelles aides financières de l’État – au-delà du 1,7 milliard d’euros annuel –, dont 400 millions pour soutenir habitants, travailleurs et entreprises. Ces annonces doivent contribuer à créer les conditions du dialogue et participent de la réponse globale à apporter, pour enfin calmer les tensions.

Cependant, nous ne pouvons que constater les difficultés économiques et le besoin de retour progressif à la normalité, qui rendent matériellement inopportune l’organisation d’élections fin 2024.

Le Congrès de Nouvelle-Calédonie s’est lui-même prononcé, il y a sept jours, dans un avis consultatif, en faveur du report des élections provinciales, traduisant ainsi le soutien des acteurs locaux à ce même report. D’une part, celui-ci est conforme au droit, il respecte l’exigence constitutionnelle d’exercice suffisamment régulier du suffrage et conserve un caractère exceptionnel et transitoire. D’autre part, l’objectif qui motive ce report demeure l’intérêt général, en recherchant le dialogue entre les partenaires de l’accord politique de Nouméa.

Enfin, cette PPLO s’inscrit dans la continuité des actions menées jusqu’à présent par le Gouvernement pour rétablir le dialogue. En cela, elle est une étape, sinon un préalable, à une solution nationale durable. Cet objectif, nous le partageons : c’est celui de la responsabilité politique dans le respect du droit.

Comme l’a indiqué le Premier ministre, il s’agit de mettre à profit cette période pour reconstruire économiquement et socialement la Nouvelle-Calédonie et pour rechercher un consensus politique sur son avenir institutionnel.

En conclusion, le groupe EPR soutient cette proposition de loi organique – adoptée à l’unanimité au Sénat – et appelle à son vote conforme, tout en invitant l’ensemble de l’arc politique néo-calédonien et l’État à trouver un chemin institutionnel, nouveau et apaisé.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Nous examinons dans l’urgence une proposition de loi de report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. Initialement prévues en mai 2024, ces élections ont été reportées au mois de décembre par un texte voté en mars. Ce report avait été décidé pour permettre, entre-temps, de dégeler le corps électoral, cela pour que les prochaines élections se déroulent avec le nouveau corps électoral.

Le groupe de La France insoumise s’était élevé contre ces deux projets, indissociables. Or le projet de dégel du corps électoral étant inacceptable et inaccepté, le Gouvernement a été dans l’impérieuse obligation d’y renoncer, face à la révolte populaire.

C’est ce qu’a acté le Premier ministre dans son discours de politique générale, prononcé devant les députés. Or ces mots n’ont pas été prononcés de la même manière devant le Sénat. Pourquoi ? Gageons que l’on puisse malgré tout lui faire confiance et que l’ensemble de ce projet inepte est annulé.

Nous avons déjà perdu beaucoup de temps pour ces élections et il nous est proposé de les reporter, à nouveau, cette fois au mois de novembre 2025. Notre groupe estime que ce report n’est pas suffisamment justifié. D’abord, il est tout à fait possible matériellement de les organiser. L’organisation des élections législatives, en juin et en juillet – une surprise en Kanaky Nouvelle-Calédonie comme ailleurs –, l’a très bien démontré. Ces élections ont fait l’objet d’un taux de participation record, preuve si l’en est de l’intérêt que leur a porté le peuple calédonien.

Puisque le Congrès calédonien s’est massivement prononcé en sa faveur, nous ne pouvons que suivre son avis. Mais attention : l’accord ne vaut que si, et seulement si, le projet de dégel unilatéral du corps électoral envisagé par le Président Macron est définitivement abandonné. La confiance dans les institutions et dans la parole politique est plus que compromise au vu des reniements au plus haut sommet de l’État.

Après le désastre né de l’obstination du Président Macron et le vote de la loi, obtenu grâce aux voix du Rassemblement national, qui nous a fait revenir quarante ans en arrière, nous avons le devoir de sortir par le haut de cette situation.

Il faut ouvrir une nouvelle séquence politique pour que les acteurs calédoniens trouvent, entre eux, un accord global sur l’avenir institutionnel de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Pour aboutir à cet accord, il me semble impératif de procéder rapidement aux élections. En effet, il me semble tout aussi impératif que la légitimité démocratique des élus s’appuie sur de nouvelles élections, les dernières remontant à 2019. Cette légitimité renouvelée est nécessaire pour que les discussions sur le devenir de l’archipel soient menées à bien.

Dernier point, et non des moindres : il faut que les prisonniers politiques soient libérés. Le président du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), Christian Tein, est en prison à Mulhouse, sous des chefs d’accusation grotesques et au mépris de tous ses droits. La Cour de cassation vient d’ailleurs de le reconnaître. M. Christian Tein sera un acteur incontournable des négociations ; il doit, avec les autres, sortir de prison et rentrer chez lui.

Plus largement, je dénonce le transfèrement dans l’Hexagone de plus d’une centaine de prisonniers, qui s’est également fait au mépris de leurs droits.

L’archipel connaît une crise politique, qui s’est transformée en crise économique et sociale d’une extrême gravité. Les émeutes de la faim sont désormais redoutées par plusieurs acteurs sur le territoire. Mais rien ne pourra être résolu sans une solution politique, qui doit être trouvée par les Calédoniens. Pour cela, il faut impérativement revenir à ce qui a permis les accords de Matignon-Oudinot, puis celui de Nouméa : l’impartialité de l’État ; le dialogue et le consensus ; l’objectif de pleine émancipation de l’archipel.

Je salue le travail des rapporteurs et en particulier celui du président-rapporteur, pour qui il ne doit pas être simple de noter que l’État a manqué d’impartialité.

Je partage, sans doute comme tous les parlementaires présents, la volonté d’aboutir à un consensus. Je pense que le consensus de la représentation nationale pourrait préfigurer la sortie de crise que nous appelons de nos vœux.

Malgré cela, je ne peux pas voter ce texte les yeux fermés, parce que les conditions de la confiance ont été rompues. J’attends du Gouvernement les engagements les plus clairs et les plus fermes quant à l’abandon du dégel unilatéral du corps électoral.

M. Jiovanny William (SOC). Mieux administrer localement. Chercher, inlassablement, les conditions de l’émancipation politique, qui permettent de vivre d’une manière qui respecte et renforce la liberté des autres. Cela me parle évidemment. Je pense que cela vous parle également. Cela doit nous parler en tout cas, ou à défaut nous interpeller en tant que parlementaires.

Prévues initialement pour le 12 mai 2024, ces élections visant le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ont été reportées au 15 novembre.

Mais précipiter ces élections n’a fait qu’exacerber une situation déjà délicate, renforcer l’incompréhension de la population et accroître une défiance, tangible depuis plusieurs années, vis-à-vis des institutions. Faut-il le rappeler : lors du précédent report, les députés et les sénateurs socialistes avaient déjà indiqué que le calendrier était trop serré pour permettre aux négociations d’aboutir.

Un an est le temps nécessaire, dans un État de droit, pour apaiser la situation et renouer le dialogue, pour mener des négociations fructueuses et pour adopter des mesures préparatoires, respectueuses de chacune des parties prenantes.

Cette PPLO propose, donc, de reporter la date de ces élections. Cette démarche doit garantir la légalité du processus, conformément à l’avis du Conseil d’État du 25 janvier 2024. Mais attention, chers collègues, nous devons plus que jamais être vigilants et penser d’abord, je dirais même uniquement, aux intérêts de la population calédonienne. Nous reconnaissons l’impérieuse nécessité d’instaurer des garde-fous face à ces reports successifs, tout en maintenant un cadre de négociation serein.

Par conséquent, le groupe Socialistes et apparentés soutiendra ce texte et nous espérons un vote conforme.

M. Philippe Gosselin (DR). La pression est montée pendant plusieurs mois avant la journée de manifestations du 13 mai 2024, sans doute le paroxysme de la crise, au cours de laquelle des foules immenses se sont rassemblées, dans les deux camps. On a coutume de dire, à titre de comparaison, que s’il y avait eu des manifestations de même ampleur dans l’Hexagone, 5 millions de personnes se seraient rassemblées sur la rive droite de Paris et 5 autres millions sur la rive gauche, représentant loyalistes et indépendantistes. C’est énorme et il faut garder ces chiffres et ces comparaisons à l’esprit.

Au-delà de la crise politique, il s’agit d’abord et avant tout d’une crise humaine, économique et sociale. Il faut avoir en tête la catastrophe économique qui sévit sous nos yeux ; ce n’est pas seulement le nickel qui est en crise, avec l’usine du Nord qui a fermé. Ce sont des milliers de personnes qui sont au chômage, des magasins qui ont été pillés et des entreprises qui ont fermé. La reconstruction prendra de longs mois, pour ne pas dire des années.

Depuis, le doute s’est instillé. Or il n’y a rien de pire que le fiel du doute, qui sape la confiance en l’avenir, qui sape, sans doute, les éléments fondamentaux qui devraient nous conduire vers un destin commun. Je reprends des termes des accords Matignon et de Nouméa, car la droite républicaine et moi-même n’abandonnons pas cette notion de destin commun.

À ce stade, le situation politique est très instable et le dialogue est à renouer. Ce que l’on nous propose est une solution de sagesse, car rien ne permet aujourd’hui d’organiser sereinement des élections. Ni le contexte économique ni le contexte politique n’y sont favorables.

Toutes les conditions constitutionnelles habituelles ont été vérifiées, que ce soit le soutien du Congrès avec une forte majorité, le respect de la périodicité raisonnable du droit de suffrage, le caractère exceptionnel et transitoire du report, sans oublier le motif d’intérêt général. S’il n’y a pas dans ce cas précis de motif d’intérêt général, je ne vois pas très bien où il serait possible d’en trouver un !

Cela étant, ce report n’est pas une fin en soi. Il reste un épineux sujet, qui a été le point de départ des événements – même si les braises étaient sans doute un peu chaudes –, c’est-à-dire celui du corps électoral. Cette question devra revenir dans le débat public, car ce corps électoral est figé depuis novembre 1998. Il y avait alors un delta de 7,5 % entre le corps général et le corps provincial ; il est aujourd’hui de près de 20 %, ce qui n’est pas tenable. Je crois qu’il existe des chemins pour pouvoir converger.

Pour conclure, je pense effectivement qu’il faut « dresser la table », comme cela a été dit. Il faut trouver les voies et les moyens de se parler à nouveau. Il me paraît important, dans ce contexte, que la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat puissent se rendre sur place. L’Assemblée nationale et notre commission des lois devront également jouer leur rôle, au même titre que le Sénat. La voie parlementaire sera incontournable à un moment ou à un autre, ne serait-ce que pour réviser la Constitution, puisque les accords de Nouméa sont désormais derrière nous, caducs, et qu’il faudra bien préparer l’avenir.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Depuis mai 2024, le territoire néo-calédonien kanak connaît une vague de violences, ravivant les douloureux souvenirs des années 1980. Véhicules incendiés, commerces pillés, barrages routiers érigés, habitants cloîtrés dans leur quartier et affrontements qui ont mené à la mort tragique de Kanaks, parfois âgés de seulement 17 et 19 ans, et à celles de deux gendarmes. Au total, ce sont treize personnes qui sont mortes. Ces violences n’ont épargné personne, mais elles avaient une origine claire dans le projet de loi constitutionnelle réformant le corps électoral, au sujet duquel nous avons alerté pendant des mois. Elles avaient une origine claire dans le choix irresponsable du précédent gouvernement.

Le coût des émeutes s’élève à près de 2,5 milliards d’euros. La route de Saint-Louis est toujours fermée à la circulation ; des centaines de gendarmes et des dizaines de véhicules blindés y sont encore déployés. Saint-Louis est l’illustration parfaite de l’illusion sécuritaire. Peu importe le nombre de gendarmes déployés, le moyen le plus rapide de ramener la sécurité et la tranquillité pour l’ensemble des habitants de la zone est une solution politique, qui passe par un consensus sur le dégel du corps électoral.

Les images de violence et de territoires bouclés par l’armée qui nous parviennent ne sont pas sans nous rappeler les heures les plus sombres de la France coloniale. On utilise encore, d’ailleurs, les méthodes d’un autre temps en choisissant sciemment d’incarcérer des militants kanaks dans l’Hexagone, à 17 000 kilomètres de chez eux.

En quelques mois, le gouvernement est parvenu à remettre en cause trente-six ans de réconciliation et d’accord.

Il nous reste encore du chemin à parcourir pour achever le processus de décolonisation débuté avec l’accord de Nouméa. Ce scénario est d’autant plus tragique qu’il était prévisible. Nous sommes nombreuses et nombreux dans cette commission à avoir alerté le précédent gouvernement sur le passage en force, sur l’adoption à marche forcée du projet de dégel. Nous n’avons cessé d’évoquer la brutalité d’un tel texte, qui n’était le fruit d’aucune concertation. En réponse à nos interpellations, nous avons eu, au mieux, le silence, au pire une minimisation totale de la situation. Il fallait avoir le cou long, très long, pour espérer faire aboutir une telle politique de l’autruche. L’histoire, notamment les récents événements, a montré que lorsque l’on agit comme si un danger n’existait pas, celui-ci trouve toujours de nouvelles voies pour nous rattraper et pour exploser. Il s’agit d’une grande leçon d’humilité pour tous ceux qui, coûte que coûte, ont voulu imposer ce dégel.

Après neuf mois d’âpres débats sur la Nouvelle-Calédonie Kanaky dans cette enceinte, nous voici revenus au point de départ. Voter cette proposition de loi organique déposée par mes collègues socialistes au Sénat, c’est donner une chance aux acteurs impliqués pour qu’ils parviennent à un accord avant les prochaines élections ; nous allons donc suivre l’avis du Congrès et voter ce report. Cependant, il faut le faire sans naïveté quant à la fragilité de la situation, qui rend tout aussi fragile l’éventualité d’un compromis. Pour rappel, deux Kanaks sont décédés il y a moins de deux mois.

Une nouvelle page, risquée, peut être écrite. Elle fait appel à la responsabilité de chacun pour parvenir à une solution qui implique, également, l’ensemble des acteurs.

La rhétorique du précédent gouvernement consistait à dire : si vous ne trouvez pas un accord, nous voterons un dégel que nous avons décidé unilatéralement. Aucune négociation n’était possible dans une telle configuration, qui laissait tout le loisir aux loyalistes de ne pas chercher un consensus, se sachant assurés du dégel du corps électoral au bout du compte.

Il faut être clair sur le fait que ces négociations doivent se dérouler dans l’intérêt de tous, sans épée de Damoclès au-dessus de certaines têtes et avec une impartialité totale de l’État. Nous devrons suivre ces négociations avec attention et vigilance pour éviter à tout prix que les violences ne reprennent. Les compromis politiques demandent du temps, parfois beaucoup, et je remercie à ce titre les rapporteurs pour celui qu’ils ont consacré aux nombreuses auditions.

Le report des élections n’est pas une solution miracle qui, par magie, permettra d’aboutir à une solution. Quant aux derniers mois écoulés, ils devront plus que jamais nous rappeler que l’on ne joue pas aux apprentis sorciers avec la vie des gens.

M. Éric Martineau (Dem). Depuis le 13 mai, le territoire néo-calédonien est en proie à des tensions politiques, économiques et sociales inédites. Les émeutes qui ont éclaté ont pour origine la volonté d’organiser les élections provinciales en fin d’année 2024 et de modifier le corps électoral, comme le Conseil d’État l’avait demandé dans sa décision de mars 2023.

La situation est telle que les dégâts causés aux infrastructures publiques et privées s’élèvent à plus de 2 milliards d’euros ; que treize décès, en lien direct avec ces émeutes, sont à déplorer. Le taux de chômage atteint des records, tandis que l’usine qui exploitait le nickel dans la province Nord a fermé.

En raison de la dégradation économique et sociale dans l’archipel, notre groupe a une pensée particulière pour les familles et nos forces de l’ordre. Les compagnies de gendarmes ont su répondre à l’urgence avec professionnalisme, mais ne soyons pas dupes : la situation reste très fragile, comme l’illustre le maintien du couvre-feu depuis mai dernier. C’est pourquoi une période nouvelle doit être ouverte.

Comme le Premier ministre l’a indiqué dans de son discours de politique générale, la période qui s’ouvre doit être consacrée à la reconstruction économique et sociale de l’archipel, ainsi qu’à la recherche d’un consensus politique, pour dessiner son avenir institutionnel.

La création d’une mission de médiation et de travail, proposée par le Président de la République pour rechercher des pistes de dénouement de la crise, est un choix salutaire que nous devons aux Calédoniens. Et il est heureux que le Gouvernement soutienne cette PPLO, dont l’initiative revient à nos collègues sénateurs socialistes. Le consensus politique doit, en effet, être une priorité absolue. Un accord politique doit être trouvé, comme toujours depuis les accords de Matignon.

La semaine dernière, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a donné un avis favorable sur ce texte, par 47 voix sur 50 exprimées. C’est un signe d’espoir.

Le groupe Les Démocrates considère que les conditions sont réunies pour adopter ce nouveau report des élections au 30 novembre 2025, au plus tard. Le motif d’intérêt général est patent et la durée totale de prorogation des mandats, qui est de dix-huit mois au maximum à compter du 12 mai 2024, ne sera pas dépassée.

Selon une large majorité des acteurs, ce report est dans l’intérêt des Calédoniens. Il permettra d’aller vers une sortie de crise et un accord politique pérenne. Le report de ces élections nous paraît être un préalable sur le chemin de l’apaisement.

Considérant la dégradation de la situation économique et sociale ainsi que les tensions multiples et constatant que le dispositif proposé satisfait aux exigences constitutionnelles, le groupe Les Démocrates votera en faveur de ce texte.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Le groupe Horizons & indépendants tient à rappeler son attachement à la Nouvelle-Calédonie et la nécessité de trouver un consensus concernant son avenir institutionnel. Ce territoire unique par la richesse de son histoire et par sa place dans la République française nous intime aujourd’hui de rétablir un dialogue apaisé qui soit respectueux de toutes les parties prenantes.

Atteindre collectivement ce consensus est nécessaire pour pérenniser la paix civile fondée il y a plus de trente ans. Les mots de l’accord de Matignon-Oudinot, plus que jamais d’actualité, devront constituer la ligne directrice de nos travaux. Pour que la paix civile soit rétablie de manière durable, la vie publique doit être fondée sur le respect mutuel et organisée selon des principes nouveaux.

La construction de ce chemin impose l’apaisement. À ce titre, le groupe Horizons & indépendants souhaite saluer l’action des forces de sécurité, qui contribuent au maintien de l’ordre public en Nouvelle-Calédonie et permettent aux habitants de retrouver le calme dans leur quartier. Il adresse également une pensée à toutes les personnes qui traversent des difficultés humaines, sociales ou économiques, comme l’ont fait bon nombre d’entre vous.

Mais renouer durablement avec l’ordre public nécessite d’abord, et avant tout, de rétablir la cohésion du peuple calédonien. Comme en 1998, l’État doit être prêt à accompagner la Nouvelle-Calédonie dans cette voie, celle d’un accord global tenant compte de l’irréversibilité des accords de Matignon, mais aussi de la volonté du peuple calédonien de rester au sein de la République française. Le rétablissement de cette cohésion nécessite enfin l’implication de l’ensemble des acteurs. La prochaine mission des présidents Braun-Pivet et Larcher en Nouvelle-Calédonie, après le déplacement du ministre chargé des outre-mer, va ainsi, à nos yeux, dans le bon sens. Par ailleurs, et conformément à la volonté du Premier ministre, une délégation interministérielle sur la Nouvelle-Calédonie sera constituée. Elle contribuera à la recherche d’une solution politique concertée.

Dans un tel contexte, il apparaît au groupe Horizons & indépendants que cette proposition de loi organique, en prévoyant le report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie, représente un cadre favorable pour avancer, ensemble, sur le chemin du consensus et pour redonner confiance. Ce report, soutenu par la majorité des acteurs politiques locaux, offrira, en effet, le temps nécessaire à la création de ce consensus. Tous les Calédoniens ont besoin que la démocratie se déploie dans ce climat apaisé et constructif. Ce report est tout simplement la sagesse et un signal important pour l’intérêt général.

La question du dégel du corps électoral demeure un enjeu démocratique essentiel qu’il ne faut pas éluder ; elle doit respecter l’ensemble des sensibilités, le dialogue et la concertation. Il faut reconnaître que les évolutions démographiques dans l’archipel sont telles que les personnes exclues de cette liste, qui représentaient près de 7 % des électeurs en 1999, en représentent aujourd’hui près de 20 %, c’est-à-dire près d’un cinquième.

Dans son avis du 7 décembre 2023, le Conseil d’État a rappelé qu’il était nécessaire de revenir au corps électoral provincial glissant, les dispositions actuelles comportant des dérogations au principe d’universalité et d’égalité du suffrage qu’il convient de modifier, afin d’en corriger le caractère excessif résultant de l’écoulement du temps.

Le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette proposition de loi organique et appelle de ses vœux la construction d’un accord respectueux de chacun, fidèle aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce report, s’il est important pour favoriser le retour au calme, doit être une étape dans la reconstruction d’une paix civile durable et d’un destin commun.

M. Paul Molac (LIOT).  Ce texte nous renvoie huit mois en arrière ; notre commission doit à nouveau se prononcer sur le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. Quand je contemple le chemin sur lequel nous a conduit l’obstination du gouvernement de l’époque sur ce dossier, le seul mot qui me vient à la bouche est « gâchis ». Je dois avouer que je suis profondément peiné et agacé. Le territoire de l’archipel est marqué par des épisodes de violence, par de trop nombreux morts et blessés, drames auxquels s’ajoutent une crise économique et sociale et des dégâts qui ont lourdement touché les services publics et les entreprises privées.

Cet immense gâchis doit nous inciter à plus d’humilité, à faire preuve de prudence, à écouter les élus locaux et les peuples qui composent la Nouvelle-Calédonie. Je sais que le droit français ne reconnaît aucune minorité ni aucun peuple, mais cela n’empêche pas, évidemment, ceux qui les composent de s’en sentir membres – je suis bien placé pour le savoir puisque je suis breton. En revanche, le droit international reconnaît les peuples sans État ; il classe même la Nouvelle-Calédonie dans la catégorie des territoires à décoloniser.

S’il faut tirer une leçon de cette situation, c’est qu’il faut en finir, d’abord, avec la logique de marche forcée imposée depuis Paris, et ensuite avec le fait majoritaire qui, en France, se traduit souvent par une démocratie qui n’est en fait que la dictature de la majorité sur la minorité. Ce fait majoritaire ne peut pas fonctionner dans les territoires d’outre-mer. C’est ce qu’a tenté de faire le gouvernement avec le dégel du corps électoral et en donnant le pouvoir à un des peuples au détriment de l’autre. Il ne fallait pas être grand clerc – ni devin – pour imaginer la réaction du peuple qui allait se sentir opprimé. On l’avait dit ici, entre ces murs, on avait prévenu le gouvernement et ses soutiens de ce qui allait se produire. Cette méthode brutale ne pouvait pas déboucher sur autre chose, même s’il était alors impossible de deviner qu’elle serait l’intensité de la réaction, qui a été particulièrement forte. Mais il était évident qu’il y en aurait une.

Dans un tel contexte, il n’y a pas grand-chose à faire, si ce n’est, d’une part, de revenir à un accord global et surtout, d’autre part, de ne pas organiser maintenant d’élections, mais de rechercher un consensus.

C’est la raison pour laquelle je salue le texte du Sénat, qui est la voix de l’apaisement, mais aussi la consultation du Congrès calédonien, qui a donné un avis favorable à cette proposition de loi organique.

L’histoire de la Nouvelle-Calédonie est marquée par le fait colonial, aussi la France est-elle observée de très près par l’ONU. Certes, certaines puissances étrangères en profitent pour se livrer à quelques ingérences, mais il n’empêche que c’est la France qui est à l’origine des problèmes. Soit notre pays est capable de les régler et aucun autre ne viendra nous embêter, soit il en crée de nouveaux et certains sauront en profiter.

Une dernière remarque : il faudra sans doute que des crédits soient prévus dans le budget, ce qui ne semble pas être le cas. Nous appelons tout le monde à prendre ses responsabilités et à évaluer la situation avec humanité.

M. Jean-Victor Castor (GDR). Je me souviens des multiples interventions faites ici il y a quelques mois. Ce qui me gêne dans cette histoire, c’est la question de la sincérité. Où est la sincérité de ce qu’on fait ? Un territoire a été mis à plat politiquement, socialement, économiquement, culturellement, historiquement. À la veille du vote du 15 mai, on vous a avertis qu’il pouvait y avoir des morts. Une décision politique a suffi à détruire trente-six ans d’efforts ; à l’heure où je vous parle, aucune excuse, aucun regret, aucun mea-culpa n’a été formulé. On entend encore des groupes politiques, dans cette salle, nous dire qu’il s’agit de la République française une et indivisible. Selon eux, on n’a pas à entendre la voix des Kanaks, la voix des autochtones, la voix de la légitimité. On en revient encore, après le chaos, aux discours sur la démocratie et sur le corps électoral, qui doit une nouvelle fois être remis à l’ordre du jour, à cause d’arguments qui ne sont pas justifiés. Je rappelle, en effet, comme cela a déjà été dit, que les élections législatives ont bien eu lieu dans l’archipel, dans des circonstances encore plus dégradées, notamment en matière de capacité à circuler.

Cela ne veut pas dire que le groupe GDR est contre le report, mais si report il y a, c’est pour qu’un dialogue sincère s’instaure. Et permettez-moi de douter de cette sincérité. Pourquoi ? Parce que dans son discours de politique générale, le peu de temps que M. Barnier a consacré à la Nouvelle-Calédonie Kanaky – et le peu de fois où il a fait mention de l’outre-mer –, c’était pour parler des intérêts géostratégiques de la France et de l’axe indo-pacifique. Mais il y a des peuples qui vivent sur ces territoires ! Fondamentalement, il faut dire si, oui ou non, le texte sur le dégel du corps électoral est abandonné. Bon sang !, il suffit, non pas de tenir un discours à l’Assemblée nationale et un autre – alambiqué – au Sénat, mais de le dire clairement, pour ramener la paix. Personne ici ne parle des milices, de cette justice coloniale. Il y a pourtant 3 000 procédures judiciaires en cours ! De même, lors de la première réunion du groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie, le 18 septembre, M. Louis Le Franc, haut-commissaire de la République dans l’archipel, a dit devant la représentation nationale qu’il n’y avait jamais eu de milice en Nouvelle-Calédonie Kanaky. Jamais !

Dernier point pour illustrer mon scepticisme au nom du groupe GDR : lorsque le Président de la République s’est rendu dans l’archipel, au mois de mai, son objectif était d’y installer une mission – que le haut-commissaire a qualifiée d’impossible. Avez-vous eu entre les mains le rapport de cette mission ? Savez-vous où nous en sommes ?

Nous voterons le report, mais soyons sincères. Il n’y a pas d’impartialité sans sincérité.

Mme Sophie Vaginay (UDR).  Le projet de révision constitutionnelle portant modification du corps électoral en vue des prochaines élections provinciales, adopté à marche forcée par le Sénat et l’Assemblée nationale, sous la pression du gouvernement et sans recherche préalable de consensus avec les parties prenantes, a conduit à une crise majeure en Nouvelle-Calédonie, dont les effets dramatiques subsistent encore aujourd’hui.

Dans ce contexte, il est primordial de différer les élections des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, afin de permettre un apaisement de la situation et la recherche d’un accord entre les divers partis politiques.

Le groupe UDR est donc favorable au report.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. La parole est à présent aux élus de la Nouvelle-Calédonie.

M. Nicolas Metzdorf (EPR). Je suis marqué par le fait que l’on croie que les difficultés en Nouvelle-Calédonie ont débuté avec l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle sur le corps électoral. Si ce texte a été déposé, c’est parce qu’aucun accord n’avait été trouvé depuis le troisième référendum, en 2021. Je rappelle que la Calédonie a choisi d’être française en 2018, en 2020 et en 2021. Après ces trois consultations, des discussions ont été menées, mais celles-ci ont été boycottées par le parti indépendantiste le plus radical, qui contestait les trois résultats successifs. En outre, depuis 2021, ce parti indépendantiste radical n’a manifesté aucune volonté pour trouver un accord politique. C’est pour cette raison que le gouvernement a proposé le dégel du corps électoral, qui n’est ni plus ni moins qu’un droit de vote. C’est quand même dingue que l’on débatte du droit de vote de Calédoniens nés en Nouvelle-Calédonie ou qui y sont installés depuis plus de vingt ans ! Le gouvernement est arrivé avec le texte en question parce que les élections provinciales se profilaient et qu’aucun accord n’avait été trouvé depuis trois ans, à cause des indépendantistes les plus radicaux.

Chers collègues, je vous donne rendez-vous en novembre 2025, la prochaine date butoir. Nous, les non-indépendantistes – et je suis considéré comme l’un des plus fermes –, avons participé à toutes les négociations depuis 2021. Nous n’avons jamais pratiqué la politique de la chaise vide. Demain, grâce au décalage des élections provinciales, nous retournerons à la table des négociations, pour trouver un consensus, pour dialoguer, comme on dit ici. Nous ferons tout notre possible pour trouver un accord, comme nous l’avons fait pendant trois ans. Ma question est simple : est-ce que, face à nous, le partenaire le plus dur voudra, oui ou non, de cet accord ? Parce que si, à nouveau, il n’en veut pas, parce qu’on lui met dans la tête que la seule solution pour la Nouvelle-Calédonie, c’est l’indépendance – malgré le vote des Calédoniens –, il faudra, une nouvelle fois, prendre ses responsabilités. Personne, alors, ne pourra dire que le Gouvernement a mal fait les choses, parce que la responsabilité sera celle du Parlement.

J’espère de toutes mes forces, pour que les Calédoniens puissent sortir de cette crise par le haut, que nous allons trouver une solution politique. Mais ce n’est pas vers nous qu’il faut vous tourner.

Pour ceux que cela intéresse, je conseille la lecture du discours du président de l’Union calédonienne, Daniel Goa, prononcé le week-end dernier. Si vous y trouvez une quelconque volonté de dialogue, d’apaisement et le désir de trouver un accord, envoyez-moi un petit e-mail.

En ce qui nous concerne, nous prendrons nos responsabilités, comme d’habitude.

M. Emmanuel Tjibaou (GDR). Merci de donner aux indépendantistes la possibilité de s’exprimer en commission des lois sur ce texte portant sur le report des élections provinciales en Kanaky Nouvelle-Calédonie.

Cette décision était attendue par certains, moins par d’autres. Dans mon pays, les urgences s’expriment aujourd’hui à tous les niveaux, car si le 13 mai 2024, jour de déclenchement des émeutes, a drapé d’un voile noir l’héritage de trente-six ans de paix sociale, cette date marque aussi le deuil de la volonté de faire consensus dans l’accompagnement de l’État vers la sortie de l’accord de décolonisation, c’est-à-dire l’accord de Nouméa.

Cinq mois plus tard, le bilan est sombre : destructions d’infrastructures publiques, 2 milliards d’euros de dégâts, 6 000 emplois perdus, 3 usines à l’arrêt, 3 000 arrestations, 11 civils et 2 gendarmes tués. Nous ne mesurons pas encore l’ampleur du chaos dans lequel nous avons été emportés.

Aujourd’hui plus qu’hier, la responsabilité du politique est portée, parce que nous n’avons pas pu, nous n’avons pas su faire aboutir la voix de la raison. Les discussions institutionnelles engagées de part et d’autre ont débouché sur une impasse. C’est le signe que la méthode doit être remise en question, notamment le passage en force du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral. Nombreux ici sont ceux qui se sont exprimés sur cette méthode.

C’est le sens également du questionnement au sein du FLNKS, parmi les indépendantistes, pour qui il fallait maintenir les élections avant le 15 décembre, certains remettant en cause la légitimité des élus à cause de leur incapacité à gérer cette crise politique et institutionnelle entre les partenaires de l’accord de Nouméa – les indépendantistes, les loyalistes et l’État.

Aujourd’hui, la donne a évolué, mais nous ne sommes pas dupes quant aux déclarations du Premier ministre sur la non-soumission du projet de loi constitutionnelle de dégel du corps électoral, ni pour ce qui est de la mission prochainement conduite par les présidents des deux assemblées parlementaires. De part et d’autre émerge la volonté d’appréhender la situation autrement que par des décisions unilatérales prises depuis Paris. Le fait qu’il y ait désormais un ministre de plein exercice est également le signe que les outre-mer ne sont plus seulement traités selon des considérations d’ordre intérieur ou de sécurité.

Je rappelle le vote du Congrès de Nouvelle-Calédonie en faveur du report, qui a déjà été mentionné et qui doit nous permettre de donner du temps, de renouer les fils du dialogue. Preuve que la donne a changé, nous nous prononçons également pour ce report.

Nous restons cependant mesurés dans notre appréciation, car il faut encore clarifier la méthode et le calendrier. En outre, la question du report ne doit pas occulter celle de la négociation d’un accord de sortie institutionnelle, qui permettra d’apporter de la visibilité. Car lorsque l’on est issu d’un peuple millénaire colonisé, on aspire à recouvrer la liberté qui nous a été ôtée, il y a cent soixante-dix ans.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Nous en venons aux interventions des autres députés.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Le groupe GDR compte huit députés et représente cinq territoires d’outre-mer. Le moins que l’on puisse dire est que nous sommes en général plutôt avares en compliments quand il s’agit de la méthode employée par l’exécutif envers ces territoires et leur population.

Vous avez entendu mes camarades s’exprimer avec conviction et scepticisme, mais aussi avec espoir, et saluer un changement de méthode, qui semble préférer le dialogue à la violence, le respect au mépris. Il reste un sentiment d’immense gâchis, car bien avant la dissolution, bien avant qu’Emmanuel Tjibaou soit élu, nous avions alerté, à plusieurs reprises. Et même si nous n’avions pas de boule de cristal, nous avions prédit les manifestations, les émeutes, les destructions et, pis, la perte de vies humaines. Tout cela est malheureusement arrivé et mon collègue Jean-Victor Castor a raison lorsqu’il déplore qu’il n’y ait toujours pas eu d’excuses ni de reconnaissance de la responsabilité du gouvernement précédent. La reconstruction et le processus de dialogue devront passer par cette reconnaissance, pour que l’on puisse aller de l’avant.

Je suis presque jalouse, lorsque je vois la déférence dont on fait preuve à l’égard de la Nouvelle-Calédonie et de ses élus quand, dans le même temps, on applique en Martinique ou dans d’autres territoires les méthodes qui ont déclenché les émeutes néo-calédoniennes. J’espère que le changement de méthode aujourd’hui observé s’appliquera également aux autres territoires et que l’on n’attendra pas systématiquement qu’il y ait des morts pour changer la façon dont on s’adresse à leurs élus et à leur population.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). On ne parle pas ici d’une situation exotique, lointaine, qui devrait être regardée comme un épiphénomène. Je fais partie d’une génération qui s’est construite politiquement sur la situation en Nouvelle-Calédonie Kanaky, notamment au moment de l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou. Beaucoup dans l’Hexagone ont alors compris quelle était la réalité, tangible, des reliquats de la colonisation française et de l’accaparement de cet archipel par Napoléon III, pour ses terres, mais aussi comme stratégie de peuplement.

On discute ici de la remise en cause fondamentale de ce qui nous a réunis, de ce qui a fait consensus national en 1988, c’est-à-dire un processus de décolonisation. C’est en ces termes-là que la question s’est posée et, sous l’égide de Michel Rocard, le dialogue entre les deux parties s’est installé et a été fécond.

J’espère sincèrement que ce qui est amorcé, selon une démarche, à mon avis, intelligente et apaisante, trouvera une issue, mais qu’à aucun moment on ne remettra en cause l’esprit des accords de Matignon et sa stratégie de décolonisation.

Enfin, j’aimerais que chacun ait conscience que ce matin, nous essayons de réparer les dégâts engendrés par le Président de la République. En remettant en cause, de façon aussi désinvolte, la parole de l’État français, il a provoqué une situation d’une telle gravité qu’elle a échappé à tout le monde. J’espère que nous ne passerons pas la législature à réparer les dégâts causés par l’inconséquence du Président de la République. À cet égard, les conditions de l’examen du projet de loi de finances sont de mauvais augure.

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les mots que vient d’avoir Pouria Amirshahi sont ceux de la génération qui précède la mienne et qui a vécu les événements de Nouméa. Moi, j’ai appris à l’école que la colonisation était terminée. Dans les livres, dans les cours d’histoire, on évoque la phase de la décolonisation : on n’apprend pas que la France est encore une puissance coloniale. Les Français ne pensent pas être membres d’une puissance coloniale ; or le pays a reconnu, avec l’accord de Nouméa, qu’il en était une et que, en Nouvelle-Calédonie Kanaky, il devait y avoir un processus de décolonisation.

Ce qui a été remis en cause pas le Président de la République et par M. Darmanin, c’est précisément la volonté d’aboutir à ce processus de décolonisation. Or il ne peut pas y avoir de trahison de la parole de la France, de la parole qui a été donnée. Dès lors que l’on reconnaît qu’il y a colonisation, on reconnaît qu’il y a deux peuples, c’est-à-dire un peuple premier et un autre, arrivé ensuite, qui est un peuple colonial. Nous devons donc aboutir à une situation dans laquelle les droits du peuple premier sont respectés. C’est la logique qui doit guider l’action des législateurs dans ce moment si particulier de la vie de notre pays.

J’entends parfois des marmonnements, des chuchotements lorsque l’on décrit la situation aussi clairement. J’entends ici et là des propos qui ne me semblent pas être à la hauteur. Lorsque la parole de la France est donnée, elle doit être respectée jusqu’au bout : tel est, me semble-t-il, l’état d’esprit qui doit animer le législateur.

M. Florent Boudié, rapporteur. Nous avons écouté une trentaine de personnes en une semaine, lors des auditions que nous avons menées. Nous leur avons dit à toutes, Arthur Delaporte et moi-même, que ces échanges n’étaient pas un solde de tout compte et que le dialogue devrait se poursuivre. J’ai également pris le temps, comme certains d’entre vous probablement, de relire la déclaration de politique générale faite en juin 1988 par le Premier ministre d’alors, Michel Rocard. Il a dit notamment devant la représentation nationale : « le temps est à rétablir la paix des cœurs, des esprits et des âmes avant toute recherche de solutions juridiques ou administratives ». Ce sont des termes peut-être un peu vagues, mais il me semble qu’au mois d’octobre 2024, ils sont toujours d’une profonde actualité.

Le fait que certains d’entre vous prononcent les termes « colonisation » et « décolonisation » suscite des réactions. C’est normal, c’est ce que l’on appelle un débat. L’enjeu de la décolonisation est explicitement visé dans l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, au point 4 et ailleurs, notamment dans le préambule. Ce point fait partie des éléments qui ont été le ciment de l’accord. J’ai dit, dans mon introduction, qu’il fallait s’interdire de projeter nos débats hexagonaux sur la situation néo-calédonienne ; il faut convenir, en effet, que l’enjeu de colonisation et de décolonisation figure parmi les éléments de débat, de discussion entre Calédoniens. Ce n’est pas pour rien que la question de l’autodétermination est essentielle, comme l’est celle de la relation à la France. Nous pouvons aborder ces sujets entre nous, mes chers collègues, dans un esprit républicain et sans anathème.

Mon cher collègue Jean-Victor Castor, je ne suis pas ici pour en prendre la défense mais je ne partage pas votre appréciation des propos tenus par Michel Barnier dans sa déclaration de politique générale. Il n’a pas évoqué les intérêts géostratégiques de la France à cette occasion ; il a, en revanche, parlé de la diversité du peuple calédonien. Il a indiqué qu’il lui paraissait nécessaire de reporter les élections à la fin de 2025, précisément pour que nous puissions trouver le chemin du dialogue. Je ne partage pas, par conséquent, un certain nombre de mots forts – que je peux comprendre – que vous avez employés et qui ne correspondent pas, d’ailleurs – je parle sous le contrôle d’Arthur Delaporte –, à la tonalité des propos qui ont été tenus dans nos échanges avec les acteurs les plus directement concernés, à l’occasion de nos auditions.

Je ne suis pas non plus certain que la bonne démarche – je fais référence à des interventions dont je ne citerai pas les trois ou quatre auteurs –, dans les jours ou les semaines à venir, soit de vouloir systématiquement faire le procès de l’État ou celui des gouvernements précédents. Bien sûr, sur un sujet aussi sensible, qui clive profondément l’archipel, on peut toujours trouver des éléments qui divisent et sur lesquels on peut discuter.

Moi, ce que je retiens des auditions de ces derniers jours – vous me permettrez de faire part d’un avis personnel –, c’est qu’il est impératif que l’État soit toujours d’une totale impartialité et qu’il soit garant de la continuité, de la continuité de la reconstruction économique et sociale qui est indispensable, mais également de la continuité du dialogue qui doit s’engager, à très court terme, entre les parties prenantes.

S’agissant du projet de loi constitutionnelle et de la perspective du Congrès, ce que j’ai compris des différentes interventions – et je pense ne pas être le seul –, du chef de l’État et du Premier ministre notamment, c’est qu’en l’état, la question du corps électoral demeure un élément stratégique. Tous nos interlocuteurs, quelle qu’en soit la sensibilité, ont d’ailleurs toujours reconnu que c’était là une donnée essentielle, avec parfois des visions différentes. Le texte que nous avons à adopter ne fera pas l’objet d’une réunion du Congrès, mais la question du corps électoral reste un élément des débats à venir.

Pour conclure et finir sur une note d’espoir, j’observe que tous nos interlocuteurs ont signalé que, jusqu’au 13 mai, le dialogue s’était toujours maintenu entre les parties prenantes. Des avancées significatives avaient été engagées – sans aboutir, il est vrai – sur les questions de l’autodétermination, de la relation à la France ou du corps électoral, mais aussi sur celle des réformes internes indispensables, notamment des institutions calédoniennes. Enfin, je remercie Nicolas Metzdorf et Emmanuel Tjibaou de nous avoir fait part de leur point de vue, qui est pour nous, évidemment, très important.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. Si nous sommes réunis pour discuter d’un sujet délicat qui a mené au chaos, c’est bien parce que les difficultés n’ont pas commencé avec le projet de loi constitutionnelle, comme l’a rappelé Nicolas Metzdorf. Ces difficultés sont issues d’un système colonial, dont les tenants et les aboutissants sont connus de tous ; il a cristallisé des tensions politiques, créé des injustices et des inégalités profondes. Le 13 mai est un déclencheur, mais ce n’est pas la cause de la situation actuelle. Sans projet de loi constitutionnelle, il n’y aurait pas eu cette étincelle qui embrase tout, mais sans colonisation, la situation que l’on connaît aujourd’hui n’existerait pas.

Les débats que nous avons eus sont très responsables, parce que chacun a pu donner sa vision, dans le respect. J’espère que cette capacité au respect sera également de mise s’agissant des positions des uns et des autres acteurs, ce qui n’a malheureusement pas toujours été le cas.

Si, chers collègues du groupe EPR, vous ne partagez pas la tonalité de l’exposé des motifs de la proposition de loi organique du Sénat, c’est bien parce qu’il y avait dans les mots de mes collègues Patrick Kanner, Corinne Narassiguin, Rachid Temal et Viviane Artigalas – les coauteurs de ce texte – une forme de critique de la méthode des gouvernements précédents, notamment de celui de Gabriel Attal. Peut-être ne pouvez-vous pas partager cette critique, mais je crois que nous pouvons collectivement comprendre qu’il y a eu, en tout cas chez les socialistes du Sénat, la volonté de retrouver la méthode qui avait été celle de gouvernements socialistes passés et qui a permis trente-six ans de paix en Nouvelle-Calédonie, comme l’a rappelé Emmanuel Tjibaou.

Maintenant, notre rôle et notre responsabilité collective sont, justement, d’essayer de favoriser la reprise du dialogue. Contrairement à ce que dit mon collègue Bastien Lachaud, il ne s’agit pas, avec cette PPLO, de fixer des élections en novembre : il s’agit de poser une date butoir. Si un accord intervenait rapidement, ce que nous appelons de nos vœux, ces élections se tiendraient avant le mois de novembre 2025. Comme l’a dit Emmanuel Tjibaou, cette date butoir nous accorde du temps, et il faut redonner du temps pour essayer d’obtenir un accord.

Si on planifiait des élections en avril, on recréerait la même situation, en établissant une date butoir trop proche et en prenant le risque de ne pas disposer d’assez de temps pour se remettre autour de la table. Or l’objectif de cette proposition de loi organique est de faire en sorte que tous les acteurs se remettent autour de cette table.

Il m’est apparu, au cours des auditions que nous avons menées, que tous les acteurs faisaient preuve de bonne volonté. Je le dis à Nicolas Metzdorf : tous les camps politiques veulent discuter, tous veulent trouver un accord, même si, forcément, tous ne sont pas d’accord sur tout. Même sur les sujets les plus complexes, comme celui du corps électoral, il y avait une volonté et une capacité à avancer collectivement.

C’est avec cet optimisme et cette confiance dans les acteurs locaux que nous devons progresser, tous ensemble.

 

 

Article 1er : Report des élections et prolongation des mandats en cours

 

Amendement CL1 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Si je comprends bien, vous espérez que les prochaines élections se tiennent non dans le cadre de l’accord de Nouméa, mais dans celui d’un nouvel accord. Force est de constater que le respect du calendrier serait complexe. Imaginons qu’un accord soit conclu au mois de mars : il faudrait alors voter un projet de loi constitutionnelle, puis un projet de loi organique, avant de procéder à la révision des listes électorales. Je ne vois pas comment tout cela pourrait se faire d’ici au mois de novembre.

Contrairement à ce qu’a expliqué M. Gosselin, l’accord de Nouméa n’est pas caduc. C’est dans ce cadre que les prochaines élections doivent avoir lieu et que nous devons trouver un accord global. Aussi proposons-nous d’organiser ces élections au plus vite, afin de négocier ensuite un nouvel accord institutionnel qui prévoira de nouvelles élections.

Messieurs les rapporteurs, pensez-vous réellement que des élections puissent se tenir d’ici à novembre dans un nouveau cadre institutionnel ?

M. Florent Boudié, rapporteur. Allons-nous nous inscrire dans la continuité de l’accord de Nouméa ? M. Gosselin a formulé il y a quelques instants une réponse juridique, mais au fond, ce sera aux parties prenantes d’en décider.

L’État doit, pour sa part, rester impartial et répondre à des questions précises, s’agissant notamment de l’urgence budgétaire. Nous pourrons évoquer cette question cet après-midi avec le ministre chargé des outre-mer. M. Molac a relevé que le projet de loi de finances pour 2025 ne reprenait pas les engagements pris par le ministre à son retour de l’archipel. Les 500 millions d’euros inscrits dans le budget correspondent en fait au renouvellement des avances faites aux collectivités territoriales, pour 400 millions, et à de nouvelles avances – autrement dit à de nouveaux prêts –, pour 100 millions.

Quant aux parties prenantes, elles devront répondre à quatre questions majeures, qui portent sur la composition du corps électoral, l’autodétermination, la relation avec la France et les réformes internes. Nos interlocuteurs, aux sensibilités très diverses, considèrent que ces quatre éléments constituent le socle de la discussion qui devra s’engager. Ce n’est ni à vous, monsieur Lachaud, ni à moi de décider du cadre institutionnel dans lequel le débat aura lieu.

Vous avez écrit dans votre exposé sommaire que « les précédents gouvernements, Attal, Borne et Castex, avaient privilégié le passage en force ». Or le passage en force serait d’imposer aux parties de discuter tout de suite, à marche forcée, et de tout arrêter au printemps pour voter. Ce serait en réalité la meilleure façon de figer la discussion, ou plutôt de rendre cette dernière impossible. Quant à nous, nous voulons laisser toute sa place au dialogue, avec la conscience aiguë que rien ne sera simple et que rien n’est acquis, même en reportant les élections au 30 novembre 2025 au plus tard. Tout dépendra de la volonté des parties prenantes, de l’impartialité de l’État et de la possibilité pour la mission parlementaire menée par Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet d’engager des discussions fructueuses.

Je donne donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Il m’avait semblé important de repartir de la base, c’est-à-dire de l’accord de Nouméa, et de ne pas tordre les engagements pris au sujet du corps électoral à la suite des différentes élections intermédiaires. Néanmoins, j’écoute les uns et les autres et je constate qu’il y a un consensus global pour reporter les prochaines élections. M. Tjibaou lui-même m’a confirmé qu’il était favorable à ce que le scrutin soit organisé d’ici à novembre 2025, et non pas forcément en novembre 2025. Dès lors, il convient de laisser à toutes les parties prenantes le soin de déterminer les conditions et le cadre de ces élections. Personnellement, je le répète, j’aurais préféré que l’on respecte totalement les engagements pris, mais dès lors que l’on se trouve dans une configuration nouvelle et que tout le monde s’entend pour engager un nouveau cycle de discussions, il me semble important de soutenir cette démarche.

Quelles que soient les décisions qui seront prises, même si elles vont dans le sens d’une éventuelle indépendance de la Nouvelle-Calédonie Kanaky, elles concerneront tous les habitants du territoire, qu’ils soient indépendantistes ou loyalistes.

Bien que je comprenne parfaitement l’amendement de M. Lachaud, j’estime qu’il serait plus sage de s’en remettre à ce que les parties prenantes, directement concernées par le destin de l’île, décideront par elles-mêmes.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Monsieur Boudié, vous n’avez pas répondu à ma question parce que nous ne raisonnons pas dans les mêmes termes. Pour ma part, je considère que l’accord de Nouméa n’est pas caduc et que les élections peuvent se tenir dans le cadre institutionnel actuel, c’est-à-dire avant que des discussions s’engagent et qu’un nouvel accord soit conclu. En avançant l’échéance au mois de mai, nous ne voulons pas mettre le couteau sous la gorge de qui que ce soit. Au contraire, nous proposons d’organiser les élections avant d’entamer les discussions en vue d’un nouvel accord.

J’insiste sur le fait que la tenue des trois référendums n’a pas mis un terme à l’accord de Nouméa. Ce dernier stipule qu’après ces trois scrutins, les parties prenantes doivent convenir d’un nouveau cadre institutionnel ; dans cette attente, c’est le cadre actuel qui s’applique. Notre amendement vise simplement à éviter une situation absurde : imaginons qu’un nouvel accord soit conclu en avril ou en mai mais que nous soyons tenus d’organiser des élections sur la base d’un accord antérieur ! J’entends cependant vos remarques : en attendant de rediscuter de ce sujet en séance, je retire donc mon amendement.

L’amendement est retiré.

 

Amendement CL3 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Les élections provinciales ne doivent pas pouvoir se tenir tant que l’ensemble des prisonniers politiques indépendantistes n’auront pas été libérés ni rendus à leur territoire et à leur famille.

La situation actuelle est totalement absurde : Christian Tein, le président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), pourrait être candidat aux élections et même élu président de province alors même qu’il est emprisonné dans l’Hexagone à la suite d’une décision illégale de transfèrement, pourtant annulée par la Cour de cassation. Cette situation aberrante est en contradiction avec les textes de l’ONU et le droit des peuples colonisés à lutter pour leur décolonisation. Il nous semble impossible que des élections se tiennent dans un tel contexte.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. Vous avez raison d’évoquer le sort et les conditions d’incarcération de certains militants indépendantistes. Plusieurs d’entre eux ont été transférés de nuit, par avion spécialement affrété, pour être placés en détention provisoire. Leurs avocats ont décrit leurs conditions de transfèrement de la manière suivante : « Nos clients sont restés menottés et sanglés à leurs fauteuils pendant tout le transfert. Et puis, ils avaient interdiction de parler. » Ces méthodes ne peuvent nous laisser indifférents. Nous savons parfaitement comment cette décision a été ressentie par de nombreux habitants de l’archipel, que nous devons écouter.

D’après les données communiquées par le cabinet du ministre chargé des outre-mer, treize militants font l’objet d’une procédure judiciaire : onze sont incarcérés en France hexagonale – dont Christian Tein, le président du FLNKS désigné en août dernier – et deux autres, qui avaient été emprisonnés au Camp-Est, en Nouvelle-Calédonie, ont été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Vous avez évoqué la décision par laquelle la Cour de cassation a confirmé trois décisions de maintien en détention mais en a annulé deux autres, dont celle de M. Tein, qui devront être réexaminées par une cour d’appel.

Il est légitime de s’interroger quant à l’opportunité d’incarcérer des personnes à 17 000 kilomètres de chez elles, ce qui porte évidemment atteinte à leur capacité d’entretenir des liens avec leurs proches. Néanmoins, le Parlement ne peut lier ses décisions ou conditionner la tenue d’une élection à la libération de certains individus, qui relève de la compétence du juge judiciaire. Non seulement cela porterait atteinte à la séparation des pouvoirs, mais cela serait également anticonstitutionnel. Je rappelle que les décisions de transfèrement sont de la compétence du juge des libertés et de la détention, et qu’elles sont susceptibles d’appel ; elles suivent le cheminement classique de toute procédure judiciaire et, en dépit du ressenti personnel que je viens d’exprimer, le législateur ne peut les contester. Il ne m’est donc pas possible de donner un avis favorable à votre amendement. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). J’entends que notre rapporteur invoque le principe de séparation des pouvoirs. Je lui rappelle cependant que les institutions européennes considèrent que la justice française n’est pas indépendante, puisque les procureurs sont placés sous l’autorité du ministre de la justice. Dans l’affaire qui nous occupe, la demande de dépaysement avait d’ailleurs donné lieu à un avis négatif du procureur de Nouméa ; or, étonnamment, après le changement de Gouvernement, le procureur général près la Cour de cassation a estimé ce dépaysement nécessaire… Chacun jugera de l’indépendance du magistrat qui a pris cette décision. Il n’empêche que nous avons affaire à un procès politique. Je ne vois pas pourquoi nous devrions laisser le juge judiciaire décider de l’avenir du président du FLNKS ; cela obère la possibilité d’avoir des négociations apaisées sur ce territoire.

M. Ian Boucard (DR). Il faut prendre la mesure de ce que vient de dire M. Lachaud : il nous invite, nous, membres de la commission des lois, à nous asseoir sur l’État de droit et à passer outre les décisions rendues par un juge ! Je ne me prononce pas sur le fond, n’étant ni juge, ni avocat, ni spécialiste de la question, mais allons-nous vraiment écrire dans la loi que la tenue d’une élection est subordonnée à la libération de tel ou tel individu ? Et puis quoi encore ? En République, en démocratie, nous devons respecter la séparation des pouvoirs. Certains députés de La France insoumise citent matin, midi et soir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que la Constitution, mais apparemment, ces textes n’ont de valeur que quand cela les arrange…

Depuis tout à l’heure, plusieurs collègues s’expriment comme de grands experts. Pour ma part, j’ai écouté très attentivement les députés de Nouvelle-Calédonie, ou de Kanaky, nous expliquer qu’un consensus s’était formé autour de quelques sujets. La situation sur le terrain est suffisamment grave pour que chacun ne prenne pas la parole pendant dix minutes pour tourner sa petite vidéo ! Puisque tout le monde semble d’accord, passons au vote et arrêtons de raconter des âneries, de remettre en cause la justice de notre pays et de jeter de l’huile sur le feu pour défendre quelques intérêts politiques ou électoralistes !

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Cessez de nous faire de faux procès : ce n’est pas nous qui nous asseyons sur l’État de droit, mais le ministre de l’intérieur.

L’amendement de M. Lachaud me paraît très intéressant car il nous permet de parler des prisonniers politiques. Ce n’est pas illogique alors que nous examinons un texte visant à reporter des élections après avoir vécu, il y a quelques mois, une période compliquée. M. Castor a dit à quel point nous avions besoin de restaurer la confiance et de tout faire pour que le dialogue puisse reprendre dans de bonnes conditions. Ainsi, il est essentiel d’évoquer, dans le cadre du temps de débat et d’échanges que nous aurons d’ici à la tenue des élections, la situation des prisonniers incarcérés à 17 000 kilomètres de chez eux. Quatre thèmes doivent être abordés dans le cadre des futures discussions ; je pense que la question de la libération des prisonniers politiques doit en faire partie.

Nous avons tout autant besoin d’indépendance dans nos débats. Lors d’une audition organisée par le groupe de contact réuni à l’initiative de la présidence, nous avons demandé aux hauts fonctionnaires chargés d’une mission de dialogue d’évaluer le rôle joué par l’État dans les événements qu’a connus l’archipel : j’ai été assez choquée qu’ils se soient réfugiés derrière leur devoir de réserve. Soit la mission de dialogue est indépendante, auquel cas le devoir de réserve ne s’applique pas, soit elle ne l’est pas, ce qui signifie que ses membres ne peuvent pas critiquer l’État et qu’il y a un problème dans le travail mené en Nouvelle-Calédonie Kanaky.

On sait que c’est le passage en force d’un projet de loi constitutionnelle qui a conduit aux événements survenus depuis l’année dernière. L’ancien Premier ministre avait pourtant déclaré « tu casses, tu répares ». Maintenant, à vous de réparer !

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Si l’on ne part pas du principe qu’il existe une situation coloniale en Nouvelle-Calédonie Kanaky, on ne peut pas comprendre le sens de cet amendement. Ne vous en déplaise, les personnes incarcérées sont des prisonniers politiques, en vertu d’un droit souvent oublié mais proclamé à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – un texte que je cite souvent, en effet –, qui est celui de résister à l’oppression. Or, dans une situation coloniale, notre pays se comporte en oppresseur et réprime les libertés. Si vous considérez que nous sommes autre chose qu’une puissance coloniale, vous ne pouvez pas comprendre la révolte légitime du peuple kanak. Vous voulez soumettre à nos lois des individus qui ne reconnaissent pas totalement la légitimité de nos institutions.

Puisque nous souhaitons tous apaiser la situation, en dépit de nos opinions différentes, nous devons traiter la question des prisonniers politiques. L’une des manières de le faire – il y en a d’autres – est de demander au parquet de requérir d’autres types de peines : les personnes concernées pourraient par exemple porter un bracelet électronique ou être obligées de pointer au commissariat.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Pour contribuer à cet apaisement que nous recherchons tous, j’aimerais vous parler de ce que j’ai vécu au Pays basque, un territoire métropolitain qui a connu pareille situation. J’ai vu à Bayonne la fin de l’un des derniers conflits armés en Europe. Un processus de paix, complexe, a été engagé, accompagné par l’État français et associant l’ensemble des partis politiques et de la société civile. Je peux vous assurer que la question du rapprochement des prisonniers, qui étaient alors disséminés dans l’ensemble du pays, a été cruciale ; il s’agissait même d’une condition à l’engagement des négociations. En avril 2017, un accord a été trouvé avec le gouvernement français, qui prévoyait que l’État accompagne la remise des armes – rendez-vous compte ! Aujourd’hui, nous vivons enfin en paix : tous les acteurs de la société civile peuvent désormais se parler et travailler ensemble. Les questions évoquées ce matin sont donc normales dans le cadre d’un conflit important.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Il sera utile que nous ayons à nouveau ce débat intéressant en séance. Dans cette attente, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

 

M. Yoann Gillet (RN). J’avais demandé la parole, madame la présidente ! Apprenez à présider !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Non, monsieur Gillet, l’amendement a été retiré.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. Nous devons respecter la procédure : lorsqu’un amendement a été retiré, il est normal que la discussion s’arrête. De la même manière, nous devons tous avoir une attitude respectueuse des procédures de l’État de droit. À ce propos, il me semble que les mots employés par M. Lachaud, qui a contesté l’indépendance de la justice en France, ne sont pas de nature à apporter au débat la sérénité à laquelle nous aspirons tous.

En tant que citoyens, nous pouvons critiquer des décisions de justice, mais le fonctionnement de l’institution judiciaire permet de faire appel de ces décisions ou de se pourvoir en cassation. À l’appui de sa démonstration, M. Lachaud a d’ailleurs cité un arrêt de la Cour de cassation : cela montre bien qu’il reconnaît la légitimité des principes du contradictoire, de l’appel et de la cassation. Dès lors, évitons d’entretenir la confusion entre les procureurs, d’une part, et les magistrats du siège, d’autre part. Ces derniers sont totalement indépendants, ce que l’Europe ne remet pas en cause.

Ce point étant réglé, le traitement réservé aux prisonniers n’en reste pas moins problématique. La justice et, plus largement, l’administration pénitentiaire devront trouver les moyens d’apaiser la situation, par exemple, comme je le souhaite, en rapatriant les détenus.

Chers collègues, quels que soient vos groupes, je vous remercie pour les mots que vous avez employés et pour la démarche commune que vous avez engagée, qui va dans le sens du consensus retrouvé, de l’apaisement et surtout du dialogue. C’est aujourd’hui notre responsabilité, mais après le vote de cette proposition de loi organique, ce sera d’abord celle du peuple calédonien.

M. Florent Boudié, rapporteur. Je remercie M. Lachaud, parce qu’il a montré ce qu’il ne fallait surtout pas faire sur la question néo-calédonienne en conflictualisant à outrance une situation d’une particulière complexité. J’avais pris la peine de commencer nos discussions en vous appelant à l’humilité, à la compréhension des enjeux locaux et à la dénationalisation du débat, et en m’appliquant ces principes. Ce n’est pas simplement une règle éthique : cela relève de l’hygiène politique.

Je ne fais pas partie de ceux qui critiquent le ministre de l’intérieur lorsqu’il écorne, comme il le fait à mes yeux, l’État de droit, tout en s’asseyant sur cette même notion en dénonçant un manque d’indépendance de la justice. Cela n’est pas acceptable.

Un prisonnier politique est une personne détenue en raison de ses opinions politiques. En France, dans la République, les gens sont emprisonnés lorsqu’ils commettent des infractions, sur le fondement d’une décision prise par un juge judiciaire indépendant.

Le report des élections est un souhait collectif, qui doit dépasser nos différences de sensibilités. J’espère qu’après le 6 novembre, une fois que nous aurons voté conforme, je l’espère, cette proposition de loi organique en séance publique, une nouvelle phase s’ouvrira pour la Nouvelle-Calédonie. Nous devons souhaiter de toutes nos forces que cela permette l’engagement d’un dialogue, car c’est le seul moyen de sortir l’archipel de l’impasse dans laquelle il se trouve.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Monsieur Gillet, d’autres orateurs avaient demandé la parole sur l’amendement CL3, mais eux ne contestent pas les règles de fonctionnement de notre commission.

 

La commission adopte l’article 1er non modifié.

 

Article 2 (nouveau) : Prorogation des fonctions des membres des organes du Congrès en cours

 

La commission adopte l’article 2 non modifié.

 

Article 3 (nouveau) : Entrée en vigueur

 

La commission adopte l’article 3 non modifié.

 

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi organique sans modification.

 

La réunion est suspendue de onze heures vingt-cinq à onze heures trente-cinq.

*

*     *

Présidence de M. Florent Boudié, président.

Ensuite, la Commission examine pour avis et vote des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis) ;

M. le président Florent Boudié. Nous avons procédé, le 15 octobre dernier, à l’audition de Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation. Nous commençons ce matin l’examen des crédits de la mission Relations avec les collectivités territoriales et des articles rattachés.

 

Article 42 et état B : Crédits du budget général

Amendement II-CL218 de M. Bérenger Cernon ; amendements identiques II-CL316 de M. Emmanuel Duplessy et CL307 de M. Hervé Saulignac (discussion commune)

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). La situation financière des départements ne cesse de se dégrader. Alors que les dépenses sociales augmentent, leurs recettes diminuent fortement, ces collectivités n’ayant plus de marge de manœuvre fiscale depuis qu’elles ont perdu le produit de la taxe foncière dans le cadre de la réforme de la taxe d’habitation. Si rien n’est fait, Départements de France craint que de nombreux départements ne soient plus en mesure de faire face à leurs obligations et se retrouvent en cessation de paiement. Selon les estimations de La Banque postale, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) devraient baisser de 17 % en 2024, après une chute de 3,5 milliards en 2023. Cette évolution contribuerait fortement à la baisse de l’épargne nette des départements, qui pourrait diminuer de 59,4 %. Dans le même temps, ces collectivités subissent un reste à charge de 53 % pour le versement des allocations individuelles de solidarité (AIS), alors que ces compétences leur ont été transférées par l’État.

Afin de permettre aux départements en difficulté d’exercer leurs missions de proximité et de solidarité, et conformément à la demande exprimée par Départements de France, notre amendement II-CL218 vise à abonder de 163 millions d’euros le fonds de sauvegarde des départements.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. La loi de finances initiale pour 2020 a créé un fonds de sauvegarde des départements alimenté par la croissance de la fraction du produit de la TVA versée aux départements – dont le montant initial était de 250 millions d’euros. Ainsi, en 2024, le fonds de sauvegarde était initialement doté de 53 millions d’euros.  Un prélèvement sur recettes (PSR) temporaire a été mis en place en 2024 afin de porter ce montant à 106 millions.

Vous souhaitez augmenter les crédits alloués au fonds de sauvegarde. Or, sur la forme, toute hausse de crédits doit passer par le PSR, qui relève de la première partie du projet de loi de finances (PLF). Sur le fond, je vous rappelle que la situation de nos finances publiques est complexe et que nous devons donc porter une attention particulière à nos dépenses.

Le fonds de sauvegarde des départements est déjà exempté de la mesure prévue à l’article 31 du PLF, qui dispose que la dynamique de TVA ne sera pas affectée aux collectivités territoriales. De plus, les vingt premiers départements bénéficiaires du fonds de sauvegarde sont exemptés du prélèvement exceptionnel de 3 milliards d’euros instauré par l’article 64 afin de financer le fonds de précaution pour les collectivités territoriales.

Avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.

M. Philippe Gosselin (DR). Le financement des collectivités locales, en particulier des départements, pose problème. Leurs recettes sont désormais complètement déconnectées de la fiscalité – c’est un peu moins vrai pour les communes, même si la disparition de la taxe d’habitation réduit leurs marges de manœuvre. Les départements, qui exercent des compétences sociales, voient les DMTO s’écrouler, du fait de la baisse du volume des transactions immobilières, mais seront soumis au prélèvement exceptionnel de 2 % prévu par l’article 64. Ils doivent financer des restes à charge énormes : ainsi, dans la Manche, où je suis conseiller départemental, la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) coûte 12 millions d’euros par an, pour un taux de compensation de 3,78 %. Le compte n’y est pas ! Nos collègues ont raison de tirer la sonnette d’alarme.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Si la situation budgétaire de notre pays est difficile, c’est parce que nous n’avons pas la volonté politique d’aller chercher l’argent là où il est. En effet, un certain nombre de groupes s’opposent à la taxation des grandes entreprises, des dividendes et des actions.

De surcroît, les départements font face à certaines obligations, notamment en matière de RSA. Il s’agit là de dépenses induites, impératives, et d’ailleurs absolument nécessaires sur le plan social. Aussi est-il très inquiétant d’entendre des présidents de départements annoncer qu’ils n’assumeront plus leurs obligations.

Enfin, la création d’un fonds dit de résilience, auquel personne ne comprend rien, va capter une partie des ressources de certaines collectivités, en particulier des départements et des grandes villes dont les dépenses de fonctionnement sont supérieures à 40 millions.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). La situation du pays nécessite un renforcement de toutes les politiques de solidarité, a fortiori de celles exercées au niveau local, en particulier par les départements. Je rappelle que ces derniers sont chargés de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ainsi que du versement de la prestation de compensation du handicap (PCH), de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et du RSA : ainsi, ils sont au cœur des actions concrètes de solidarité. Je m’inquiète donc que l’on décide de faire des économies là où l’on ne devrait pas.

Si je m’exprime avec une certaine gravité, c’est aussi parce que les missions que je viens d’évoquer sont assurées par des agents, fonctionnaires ou contractuels, que M. Kasbarian a lourdement mis en cause ces derniers jours. Le Gouvernement envoie le pire des messages : il s’attaque à la fois à des politiques publiques fondamentales, en diminuant les moyens qui leur sont consacrés, et aux agents chargés de les conduire. La priorité devrait être d’abonder le fonds de sauvegarde des départements, à hauteur de 163 millions d’euros, comme nous le proposons dans notre amendement II-CL316, de permettre aux collectivités de mener à bien leurs missions et de les soutenir dans leurs ambitions.

M. Hervé Saulignac (SOC). Je souscris aux propos de mes collègues.

Vous avez dit, madame la rapporteure pour avis, que la situation de nos finances publiques était complexe. C’est une réalité, mais les mesures que vous imposez aux collectivités ne permettront pas de résoudre ce problème, puisque la dette de l’ensemble des administrations publiques locales ne représente que 7 % de la dette publique française, qui avoisine désormais les 3 300 milliards d’euros. Au contraire, ces mesures porteront un grand préjudice aux collectivités qui assurent des services : elles réduiront les politiques d’insertion, nuiront à l’aide sociale à l’enfance, qui relève des départements et est aujourd’hui à la peine, et fragiliseront les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), alors que les événements récents dans le Sud-Est ont montré que l’on ne pouvait pas rogner leurs budgets. Par souci de justice, nous proposons donc de venir en aide aux départements, qui sont en grande difficulté.

La commission adopte l’amendement II-CL218.

En conséquence, les amendements II-CL316 et II-CL307 tombent.

 

Amendements II-CL214 de M. Bérenger Cernon, II-CL308 de Mme Marie-José Allemand et II-CL314 de M. Emmanuel Duplessy (discussion commune)

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Notre amendement II-CL214 vise à revaloriser la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID) à hauteur de l’inflation. En effet, ce n’est pas parce que les dotations sont stables en valeur qu’elles permettront aux collectivités de maintenir le même niveau d’engagement. Ne pas prendre en compte l’inflation, c’est baisser les crédits en volume. Or les collectivités, qui assurent environ 70 % de l’investissement public, doivent faire face à un certain nombre de dépenses dans le cadre de la transition écologique, ne serait-ce qu’en matière d’isolation des bâtiments, afin de préserver la planète tout en faisant des économies d’énergie.

Mme Marie-José Allemand (SOC). Nous devons soutenir les départements afin de leur permettre d’accompagner vraiment les habitants tout en préservant le financement des investissements locaux.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Ce fonds est très important pour les départements : 29 % des crédits sont utilisés dans le domaine éducatif – l’école est une priorité, même si le Gouvernement prévoit de supprimer des postes –, 25 % dans le domaine de la santé et du social – on sait à quel point les collectivités sont sur la ligne de front en ce qui concerne la lutte contre la désertification médicale et l’accès aux soins de nos concitoyens – et près de 25 % pour les questions environnementales et de transition énergétique, qui constituent un des défis du siècle, pour l’humanité entière. Il convient de permettre aux départements de poursuivre leurs efforts en revalorisant ces crédits à hauteur de l’inflation, ce qui restera loin des besoins réels mais permettra au moins une petite avancée.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Personne ici ne dit que les actions menées par les départements ne sont pas de première importance. Nous en avons besoin. Il ne s’agit pas de faire des économies sur le dos des collectivités territoriales, mais de leur demander une participation aux efforts budgétaires.

Le débat sur le lien entre les différentes dotations et l’inflation revient très souvent. On peut en discuter, mais sans oublier que depuis quelques années, contrairement à une autre période, le Gouvernement fait l’effort de maintenir les dotations.

Pour ces différentes raisons, je suis, hélas, défavorable aux amendements.

La commission adopte l’amendement II-CL214.

En conséquence, les amendements II-CL308 et II-CL314 tombent.

 

Amendement II-CL203 de M. Paul Molac

M. Paul Molac (LIOT). Cet amendement vise à renforcer les capacités des régions, compétentes en matière d’aménagement du territoire, en leur confiant l’octroi de la moitié de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Ce gouvernement a peu à peu donné à l’administration, notamment en mettant fin à la réserve parlementaire, des moyens qui relevaient auparavant des élus. Je n’ai rien contre les préfets, mais les élus représentent le peuple alors que les préfets sont des fonctionnaires de l’État qui prennent leurs ordres directement auprès de leur ministre de tutelle, celui de l’intérieur. Je préfère que les montants en question soient répartis par des élus locaux, quitte à créer des commissions.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Cet amendement est intéressant parce qu’il pose la question de l’efficacité et de la lisibilité des différentes dotations d’investissement des collectivités territoriales, que j’ai précisément choisi de traiter dans la partie thématique de mon rapport. Si nous devrions réfléchir à une association des élus pour l’attribution de la DSIL, un peu sur le modèle de ce qui existe pour la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), le fait que les crédits soient à la main du préfet n’est pas la source du problème. Confier les crédits aux présidents de région pourrait, à l’inverse, poser de graves difficultés en cas de différends politiques entre eux et les maires – je connais des exemples concrets dans mon département. Le préfet, pour sa part, a le mérite d’être politiquement neutre. Les acteurs que j’ai rencontrés ont surtout fait état d’un manque de prévisibilité des dotations dans le temps, ce qui me conduit à recommander de renforcer le cadre pluriannuel existant. Avis défavorable.

M. Yoann Gillet (RN). Les conséquences de cet amendement me paraissent assez dangereuses. Des dérives politiques peuvent se produire, mais nous pouvons travailler à une amélioration du dispositif en créant une commission à l’image de celle qui existe pour la DETR – les parlementaires y sont notamment représentés. Nous devons, en tout cas, faire attention à ne pas éloigner du terrain la prise de décision : les préfets agissent dans un département dont ils connaissent les élus locaux et les projets, alors que les présidents de nos superbes grandes régions en sont relativement éloignés. Je rappelle aussi que la présidente de ma région, Carole Delga, a été condamnée pour discrimination à l’égard d’une commune, gérée par le Rassemblement national. Il y a lieu de se méfier, parfois, quand on donne des pouvoirs à tel ou tel politique. S’agissant du soutien à l’investissement dans des projets locaux, on ne doit pas tout politiser, mais faire confiance aux préfets, qui sont quotidiennement en relation avec les élus.

M. Philippe Gosselin (DR). Je fais partie de ceux qui considèrent que les préfets représentent l’intérêt général – je vois que cela fait bondir certains d’entre nous –, même si leur nomination, le mercredi matin en Conseil des ministres, est à la discrétion du Gouvernement – cela n’a pas tellement changé depuis l’an VIII. La question de la coordination ou de la conciliation avec des décisions locales, c’est-à-dire de l’amélioration de la prise de décision, se pose en revanche. Les commissions qui associent les élus locaux en matière de DETR ne fonctionnent pas trop mal, bien qu’en réalité seuls les dossiers les plus importants, de plus de 100 000 euros, soient évoqués. Nous pouvons réfléchir à une évolution du mode de fonctionnement actuel : un mixte de déconcentration plus poussée et de décentralisation, qui permet d’associer les élus locaux, serait envisageable. Je n’ai pas de défiance particulière à l’égard des représentants de l’État, mais les modes de fonctionnement et d’attribution des dotations sont sans doute à revoir, en faisant attention à ne pas reconstituer, parfois, des baronnies – la tentation pourrait être grande, quelles que soient les étiquettes politiques.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je ne suis pas sûr qu’il faille remplacer les décisions prises par des préfets par des décisions uniquement liées à la politique locale, qui relève d’autres problématiques, mais je voudrais dire au collègue Gosselin que le préfet n’est pas un représentant de l’intérêt général, même si j’adorerais que ce soit le cas. Le préfet est, en vertu des textes en vigueur, le représentant du Gouvernement et de l’État – c’est tout.

M. Philippe Gosselin (DR). Ce n’est pas incompatible avec l’intérêt général.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Ce n’est pas ce que je dis, mais si vous pensez que le Gouvernement représente forcément l’intérêt général, nous aurons un désaccord. Je respecte les préfets et leurs attributions, mais ne faisons pas dire n’importe quoi aux textes. J’ai déjà vu des préfets qui prenaient, sur ordre du Gouvernement, des décisions qui ne me semblaient pas correspondre à l’intérêt général, notamment quand il s’agissait de réprimer des manifestations, de gilets jaunes ou contre les retraites.

M. Paul Molac (LIOT). Le préfet ne représente pas nécessairement l’intérêt général, en effet. Je pourrais citer des exemples un peu curieux dans certaines régions – pas la mienne –, mais vous me permettrez de ne pas le faire.

Le terme « baron » me paraît relativement mal choisi. Au Moyen Âge, un baron levait l’impôt, faisait la loi, avait sa propre armée et menait sa propre diplomatie ; les présidents de région ou de département en sont vraiment très loin. S’ils pouvaient déjà être maîtres de leur budget et pouvaient lever l’impôt au lieu de recevoir des dotations venant de Paris et susceptibles d’évoluer tous les ans à la hausse ou la baisse, ce qui est plutôt la tendance, ce serait déjà de bonne gestion.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-CL295 de M. Yoann Gillet et amendements identiques II-CL309 de M. Marc Pena et II-CL217 de Mme Élisa Martin (discussion commune)

M. Yoann Gillet (RN). Les dotations de soutien à l’investissement des collectivités territoriales ne sont pas de simples lignes budgétaires et ne doivent pas servir de variables d’ajustement à l’État : elles sont le moteur de la continuité des services publics et le pilier du développement économique des territoires. Les crédits destinés dans ce budget aux dotations de soutien à l’investissement, comme la DETR et la DSIL, ne répondent aucunement aux besoins de nos territoires : en euros constants, ces moyens sont en recul, alors que les besoins des communes explosent en matière d’infrastructures de santé, d’éducation, de sport ou de rénovation des bâtiments publics.

Le nouveau gouvernement continue de faire s’envoler les dépenses publiques de l’État et taille là où il est possible de le faire, du côté des retraités, des Français et de nos collectivités. Il y aurait pourtant des économies à faire sans sacrifier le cœur de l’investissement local. Il est injuste de s’en prendre aux collectivités, qui ne sont à l’origine que de 8 % de la dette publique, le reste étant le fait de l’État. Ce n’est pas aux collectivités et aux Français de payer pour les erreurs budgétaires commises par les précédents gouvernements. Une telle décision est injuste et dangereuse pour l’économie du pays car 70 % de l’investissement public, et même un peu plus selon les dernières données, repose sur les collectivités. Nous proposons de faire tout simplement preuve de bon sens en soutenant financièrement les collectivités territoriales et en protégeant leurs capacités d’investissement. Aucun compromis ne doit être fait quand il s’agit de soutenir les collectivités.

M. Marc Pena (SOC). Notre amendement propose d’ajuster la DSIL en l’augmentant de 1,8 %, soit le taux d’inflation prévu pour 2025, afin de préserver la capacité d’investissement des collectivités territoriales. Le PLF pour 2025 fixe le montant de la DSIL à 570 millions d’euros, c’est-à-dire au même niveau qu’en 2014. Compte tenu de l’inflation, cela implique une baisse des crédits en euros constants qui limitera la capacité d’investissement des collectivités.

Nous invitons le Gouvernement à lever le gage car nous ne souhaitons pas réduire les dépenses d’autres collectivités.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Notre amendement vise également à ce que les montants des dotations d’investissement tiennent compte de l’inflation – nous ne demandons pas, vous l’aurez compris, une répartition différente des crédits mais une augmentation. Il est très important de soutenir les collectivités locales, qui doivent notamment participer aux mutations écologiques dans le cadre de leurs bâtiments. On les en empêche par la rareté organisée des crédits.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. L’expression « rareté organisée des crédits » me paraît un peu forte. Les crédits sont loin d’être annulés, puisqu’ils sont maintenus. Certains d’entre vous souhaitent établir un lien avec l’inflation, mais il faudrait commencer par vous mettre d’accord sur le taux à prendre en compte : est-ce 2,5 ou 1,8 % ? J’ajoute qu’avec les amendements adoptés au début de la réunion nous venons d’inscrire au PLF 167 millions d’euros supplémentaires. Avis défavorable à ces amendements.

M. Marc Pena (SOC). La revalorisation de 1,8 % que je propose pour tenir compte de l’inflation est modeste. Ce n’est pas une dépense inconsidérée mais un simple retour à ce que nous avons fait l’an dernier.

M. Yoann Gillet (RN). Nous opposer que nous venons d’ajouter plus de 160 millions d’euros est un peu fort de café : c’était au Gouvernement de proposer un PLF comportant des économies là où il faut en faire. Les mauvaises dépenses sont nombreuses en France, mais ce gouvernement, comme les précédents, n’a pas osé prendre le taureau par les cornes.

Mme Émilie Bonnivard (DR). L’effort doit peser sur tous, de façon équilibrée. Avez- vous des éléments au sujet du ralentissement des investissements un an et demi avant les élections municipales ? Des crédits supplémentaires seront-ils pleinement utilisés ? On sait que les investissements diminuent à l’approche des périodes électorales.

Mme Brigitte Barèges (UDR). Je m’exprime en tant qu’ancien maire : quand on arrive à la fin d’un mandat, tous les projets ont été engagés et il faut payer les entreprises. Il est absolument incompréhensible de réduire de 5 milliards d’euros des crédits nécessaires non seulement pour les collectivités mais aussi pour les entreprises et par voie de conséquence pour l’emploi. Ce qui nous est proposé est une hérésie, il faut absolument rétablir tous les crédits que l’État veut enlever.

M. Philippe Gosselin (DR). Je m’interroge sur le tunnel qui va s’ouvrir dans les mois qui viennent. Il ne me paraît pas anormal que chacun fasse un effort, mais nous risquons de pénaliser l’investissement public, dont quasiment les trois quarts reposent sur les collectivités territoriales. Toucher aux frais de fonctionnement ne sera simple ni pour les communes, ni pour les départements, ni pour les régions. Les collectivités auront donc la tentation, voire l’obligation, de limiter les investissements. Or les élus municipaux sont déjà en fin de mandat : les risques de ralentissement en 2025 et 2026 sont sérieux et, sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, ils pourraient se prolonger puisque nous serons alors à quelques mois de l’élection présidentielle de 2027. Prenons garde de creuser encore plus profondément, par les décisions d’aujourd’hui, le tunnel qui nous attend dans les trois prochaines années, avec les conséquences qu’on peut imaginer en matière d’emplois locaux, non délocalisables, par exemple dans le BTP (bâtiment et travaux publics) Ne limitons pas notre réflexion aux aspects purement budgétaires.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Je suis assez surpris que des groupes politiques qui, lors de l’examen de la première partie de ce budget, ont refusé davantage de recettes, voire ont aggravé les pertes de ressources de l’État, ne semblent pas trouver le courage d’assumer des baisses de dépenses. Mon groupe ne soutiendra pas l’amendement II-CL295, mais votera en faveur des suivants qui, compte tenu de l’état des finances publiques et du refus de certains membres de cette commission de récupérer de l’argent auprès des grosses fortunes pour financer nos collectivités, se limitent à suivre l’inflation.

Je défends, comme d’autres, l’idée que l’action des collectivités territoriales est bien plus déterminante pour assurer la compétitivité de nos entreprises, favoriser un écosystème propice au développement et permettre de répondre aux besoins sociaux et économiques de la population que les avantages fiscaux accordés aux très riches et aux grandes entreprises.

Faites au moins preuve d’un peu de cohérence : quand on a refusé plus de recettes, voire aggravé les pertes de ressources de l’État, il est quand même inconséquent de demander ensuite une augmentation des dépenses.

M. le président Florent Boudié. Vous n’avez pas tort sur un point : cette législature est teintée de certaines originalités.

La commission rejette l’amendement II-CL295, puis adopte les amendements II- CL309 et II-CL217.

 

Amendement II-CL215 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Il s’agit de caler sur l’inflation la dotation politique de la ville (DPV), même si j’ai de fortes préventions à son égard. D’abord, je conteste l’approche géographique suivie par l’État. Ensuite, au motif que ces moyens objectivement pas très importants leur sont attribués, les zones populaires concernées – vous remarquerez que je ne parle pas de « quartiers » – ne bénéficient pas des crédits de droit commun, ce qui n’est pas positif. En attendant que nous changions le mode d’organisation, ce qui ne tardera pas, nous demandons au moins que les crédits actuels ne soient pas en baisse.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Même position, pour les mêmes raisons, que précédemment.

M. Yoann Gillet (RN). C’est presque hors sujet, mais je regrette que de petites et moyennes communes qui pourraient prétendre à la DPV, parce qu’elles ont des quartiers prioritaires comptant un nombre important d’habitants et qu’elles ont donc des besoins d’investissement, ne bénéficient pas de cette dotation, contrairement à de grosses agglomérations. Les injustices sont réelles.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il est nécessaire d’augmenter les crédits de la politique de la ville, qui sont utiles compte tenu de l’organisation administrative actuelle. C’est la moindre des choses : si les zones en question ont été revisitées et agrandies récemment, les crédits n’ont pas bougé, ce qui fait que les dépenses par habitant sont en baisse.

Cette politique s’accompagne de beaucoup d’effets de bord et de biais. Dans de nombreux cas, l’éducation nationale n’applique pas certains dispositifs, car une prise en compte a déjà lieu dans le cadre de la politique de la ville – je pense aux cités éducatives ou aux cordées de la réussite. La promesse initiale était pourtant d’en faire plus, pour remettre à niveau des territoires sous-dotés dans le cadre du fonctionnement classique des administrations. Il faudra donc revoir de fond en comble la question.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements II-CL296 de M. Yoann Gillet et II-CL216 de M. Bérenger Cernon

M. Yoann Gillet (RN). Cet amendement vise à revaloriser la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, à hauteur de l’inflation en 2024, soit 2,5 %. Dans un contexte économique qui place les collectivités territoriales face à de nombreux défis, il est indispensable de faire en sorte qu’elles puissent assurer la continuité de leurs services publics. Nous devons donc préserver leur capacité d’investissement.

Les gouvernements successifs ont passé leur temps à faire les poches des collectivités : elles ont donc de grandes difficultés à investir, ce qui a des conséquences pour les habitants et l’économie de nos territoires. À un an et demi des élections municipales, les projets sont d’habitude très nombreux et le secteur du bâtiment se porte bien, mais c’est exactement l’inverse qu’on observe. Vous êtes certainement tous sollicités par les fédérations départementales du bâtiment, car la situation est très mauvaise.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous demandons d’augmenter de 1,8 % la DETR, pour la caler sur l’inflation. Selon les calculs de l’AMF (Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité), le Gouvernement va prendre plus de 10 milliards aux collectivités territoriales. Il faut bien mesurer la catastrophe que cela laisse présager. Les collectivités devront arrêter des projets, élections ou non, parce qu’elles n’auront plus les moyens de les mener, et elles ne pourront plus participer à la bifurcation écologique.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Je m’inscris en faux contre l’affirmation selon laquelle les communes ne pourront pas s’engager dans la transition écologique. Certes, les moyens du fonds vert diminuent, mais il existe encore. D’autre part, vous ne parlez pas des aménités rurales dont la prise en compte permet à environ 9 000 communes d’engager la transition écologique, comme toutes nos collectivités. Enfin, je pose la même question que précédemment : de quelle inflation parlez-vous ? Il est question tantôt de 1,8 % et tantôt de 2,5 %.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Ce qui compte en politique, ce ne sont ni les discours ni les actes, mais leur adéquation. Quand un Premier ministre commence son discours de politique générale en disant qu’il cherche des solutions venant « d’en bas », c’est-à-dire du terrain, pour être plus courtois, et qu’on diminue, comme vous le reconnaissez vous-même, les crédits du fond Vert, qu’on baisse les dotations et qu’on s’en prend aux collectivités locales, un problème de cohérence et de stratégie se pose.

C’est à ce niveau, en effet, que se joue la capacité de transformation stratégique des territoires, y compris en matière de dynamique économique. J’ai vécu et travaillé longtemps en Charente, territoire très rural, et en Seine-Saint-Denis, territoire très urbain : c’est là où se concentrent les plus grandes difficultés – désertification des territoires, absence des services publics et isolement d’un certain nombre de personnes – qu’il est urgent d’abonder les crédits. Ces amendements sont vraiment cruciaux pour les prochaines décennies.

M. Jordan Guitton (RN). Nous sommes, dans mon groupe, des partisans de la croissance. On doit, pour la favoriser, partir du plus petit échelon et des plus petites collectivités territoriales. Si nous proposons d’augmenter la DSIL et la DETR afin de les aligner sur l’inflation, c’est simplement pour que nos collectivités aient des leviers de croissance. Ce sont elles qui investissent, par des marchés publics, et qui parfois récupèrent et rénovent des friches pour relancer des petits commerces ruraux. Ce n’est pas en réduisant la dotation globale de fonctionnement (DGF), la DSIL et la DETR que nous allons retrouver de la croissance économique. Les petites communes ont besoin de ces leviers. Vos réponses, excusez-moi, ne nous convainquent pas.

M. Hervé Saulignac (SOC). Je ne veux pas minimiser la portée de ces amendements, mais la principale question n’est pas celle du maintien de la DETR à son niveau de 2024, alors qu’elle devrait être indexée sur l’inflation : cela représente quelques millions d’euros – 18 pour un amendement et 26 pour l’autre –, quand le fonds Vert est amputé de 1,5 milliard. Or c’est ce fonds qui est destiné à la transition écologique. La dotation d’équipement des territoires ruraux permet, en fonction des préfets, de financer toute une diversité d’équipements dont certains ne relèvent pas du tout de la transition écologique. Le vrai scandale, c’est le siphonage du fonds Vert. Nous voterons évidemment ces amendements, mais il faut être conscient que leur portée est extrêmement limitée.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). L’AMF, qui a fait son travail de façon rigoureuse, estime qu’un peu plus de 10 milliards d’euros sont pris aux collectivités.

En n’allant pas chercher les recettes là où elles se trouvent et en multipliant les fonds dédiés, dont les montants subissent par ailleurs des baisses drastiques, vous remettez en cause la libre administration des collectivités territoriales, ce qui pose un véritable problème démocratique. Ne nous dites pas ensuite en versant des larmes de crocodile que personne ne veut se présenter aux élections municipales.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Je rappelle à notre collègue Saulignac que le fonds Vert ne disparaît pas. C’est une création récente qui permet d’aider les collectivités à investir dans la transition écologique.

Nous sommes nombreux à être des élus locaux : ce qui nous insupporte, c’est qu’on rejette sur les collectivités territoriales une partie du déficit. Une partie d’entre elles sont d’accord pour participer à l’effort collectif, mais doivent-elles toutes le faire au même niveau ? Certaines sont engagées depuis longtemps dans des efforts, mais pas d’autres. Mon groupe propose de travailler sur un système de bonus et de malus qui permettrait de continuer à accompagner les collectivités vertueuses.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Nous ne réduisons pas les dotations. Si on ne tient pas compte de l’inflation, elles seront moindres, c’est vrai, mais il faut faire attention à ce qu’on dit.

Nous soutenons tous les collectivités territoriales et les élus locaux, qui s’engagent auprès des habitants de nos territoires, et nous voudrions tous que les différentes collectivités puissent bénéficier de dotations et de fonds leur permettant de mener les investissements qu’elles souhaitent. Cependant, veuillez m’en excuser, un principe de réalité budgétaire s’impose.

On peut se lancer dans des débats politiciens sur les années écoulées ; pour ma part, je préfère regarder ce qu’il est possible de faire avec le budget actuel. Nous devons continuer à soutenir au maximum les collectivités et les élus locaux dont l’immense majorité a conscience de ses responsabilités. Comme l’a dit M. Gosselin, c’est plutôt sur les modes de fonctionnement et d’attribution des différentes dotations que nous devrions nous pencher sérieusement. Avis défavorable sur les deux amendements.

La commission rejette l’amendement II-CL296 et adopte l’amendement II-CL216.

 

Amendements II-CL304 de M. Hervé Saulignac et II-CL207 de Mme Élisa Martin (discussion commune)

M. Hervé Saulignac (SOC). Notre amendement est absolument vital pour les communes touchées par les inondations des 17 et 18 octobre dans mon département, l’Ardèche, mais aussi la Loire, la Haute-Loire, le Rhône ou la Lozère. De petites communes ont subi des dégâts extrêmement importants. Celle de Limony, au nord de l’Ardèche, qui compte 800 habitants et une capacité d’autofinancement annuelle de 130 000 euros, devra réaliser des millions d’euros de travaux. À Saint-Julien-d’Intres, qui a 315 habitants, il faudra faire plus de 500 000 euros de travaux. Or ce PLF prévoit une diminution des crédits pour la réparation des dégâts causés par les calamités publiques. Il est absolument incompréhensible de n’inscrire que 40 millions d’euros dans le PLF pour toute la France et toute l’année, alors que d’autres événements climatiques sont à craindre. Nous proposons donc 60 millions d’euros supplémentaires.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Il s’agit là non pas du fond vert et de la transformation de certaines logiques d’aménagement du territoire, mais de situations urgentes face auxquelles nous devons faire preuve de solidarité avec des communes et des habitants fortement touchés par des inondations.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. C’est évidemment une question très importante. Mon département, le Rhône, a été particulièrement touché et nous pensons tous profondément aux différentes victimes. Par ailleurs, ce genre de problème ne cessera pas de se poser dans les années qui viennent.

Les événements que vous citez n’ont pas été budgétés, car ils ont eu lieu après le dépôt du PLF. Il faudra regarder comment le soutien aux collectivités concernées sera financé : à ce stade, je ne suis pas en mesure d’estimer si l’enveloppe prévue cette année est suffisante ou s’il faudra redéployer des crédits. Je vous propose de retirer ces amendements pour que nous puissions en rediscuter plus précisément en séance lorsque nous aurons une estimation plus juste des coûts. Je vous propose également de regarder la proposition de loi visant à assurer l’équilibre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles qui a été adoptée hier à l’unanimité par le Sénat – cela pourrait être un véhicule intéressant.

M. Hervé Saulignac (SOC). Vous dites, madame la rapporteure pour avis, ne pas savoir si les montants budgétés sont suffisants : ils s’élèvent à 40 millions d’euros alors que l’estimation, à la louche, des dégâts, portant sur des biens non assurés, est d’un demi-milliard. Mon amendement est très raisonnable : il ferait passer les crédits budgétaires de 40 à 100 millions d’euros.

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Avec les inondations dramatiques qui ont touché notre pays, nous ne sommes qu’au début de ce problème, qui a des conséquences en chaîne. Outre les gens qui ont été touchés individuellement, des équipements collectifs comme les routes ou les transports sont également affectés, et plus on attend pour réparer, plus cela coûte. Ce n’est pas vraiment de l’argent qu’on dépense car augmenter les crédits proposés permettra des économies à plus long terme, puisque les inondations peuvent paralyser complètement des réseaux de transport des marchandises et des personnes.

M. le président Florent Boudié. Je vais réfléchir à ce concept d’argent qu’on ne dépense pas.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Cet amendement est bien le minimum. Il s’agit presque d’un amendement d’appel pour engager la vraie discussion sur la bifurcation écologique du pays. Les collectivités seront concernées à tous points de vue, à la fois par la révision du régime assuranciel et par la nécessité de repenser les dotations de l’État. Les conséquences ne sont pas seulement matérielles, car des écosystèmes du vivant sont détruits. Les enjeux sont donc nombreux.

Lorsque le Premier ministre, presque dès son discours inaugural de politique générale, parle de dette écologique – et même si je ne suis pas d’accord avec cette expression, parce que la dette ne se rembourse pas –, on voit ce qu’il veut dire, et cela implique que nous mobilisions les moyens nécessaires, lorsque se produit un imprévu aussi grave, pour soutenir nos collectivités.

M. Ian Boucard (DR). Nous souscrivons évidemment aux propos de M. Saulignac comme Mme la rapporteure pour avis. En réalité, personne ne peut savoir à ce jour combien coûtera cette catastrophe et, de fait, l’amendement est encore insuffisant pour couvrir l’ensemble des dégâts causés par les catastrophes naturelles que notre pays a connues quasiment sur tout son territoire, que ce soit chez vous, en Ardèche, monsieur Saulignac, en Seine-et-Marne ou dans de très nombreux départements encore.

Plutôt que cet amendement ou un avis favorable de Mme la rapporteure qui, de toute façon, ne peut pas le chiffrer plus que nous, ce que j’aimerais entendre du Gouvernement, c’est une prise en compte générale des sinistres survenus dans l’ensemble des départements. Nous ignorons aujourd’hui s’il s’agira de 30 ou de 50 millions, mais en fait, ce sera certainement beaucoup plus à l’échelle du pays.

Nous ne réglerons pas ce problème aujourd’hui en commission des lois, mais le Gouvernement devra s’engager très largement sur cette question pour apporter son aide et ne pas laisser des communes de 300 habitants régler seules ce problème.

Contre l’avis de la rapporteure pour avis, la commission adopte l’amendement II- CL304.

En conséquence, l’amendement II-CL207 tombe.

 

 

Amendement II-CL306 de M. Marc Pena

M. Marc Pena (SOC). Il vise à créer un fonds de soutien de 50 millions d’euros aux communes, à leur intercommunalité et à leurs groupements pour les dépenses afférentes aux installations de lutte contre le risque de submersions marines, notamment celles qui sont relatives aux digues et écluses. Cet amendement avait été adopté par la commission des finances dans le cadre du PLF pour 2024, mais n’a pas été retenu par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité.

En effet, de nombreuses communes littorales, continentales ou sur nos îles, sont confrontées au vieillissement et à la dégradation de ces installations, qui nécessitent de lourds investissements qui ne sauraient être financés seulement par le produit de la taxe Gemapi – gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations –, laquelle, en outre, dans ces communes le plus souvent rurales, génère un rendement limité.

Afin d’accompagner ces territoires, il est donc proposé la création d’un fonds de soutien additionnel qui leur permettra de disposer de moyens à la hauteur des enjeux.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Votre préoccupation est tout à fait légitime. La taxe Gemapi présente des limites importantes, mises en évidence notamment par nos collègues sénateurs dans un rapport d'information publié en septembre 2024, qui souligne surtout le manque d'accompagnement des communes et les montants financiers limités dont elles disposent, et recommande la création d'un fonds de péréquation.

En tout état de cause, la réflexion doit être poursuivie. Nous ne pouvons pas nous contenter d'augmenter les crédits alloués au programme 122 sans garantie de création d'un quelconque fonds entièrement financé par l'État. Je demande donc le retrait de l’amendement.

M. Philippe Gosselin (DR). Les risques de submersion marine sont une vraie préoccupation, comme on le voit sur la côte atlantique ou sur les plages et dans les villes de la Manche. Ces risques incluent la délocalisation ou la relocalisation de certaines activités, qui peuvent alors venir en concurrence avec l’exploitation de terres agricoles. Il ne s’agit donc plus seulement, même si c’est déjà important, de protéger des habitations privées, mais également des activités économiques. Or les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) adoptés ces derniers mois dans plusieurs régions, notamment côtières, ne prennent pas nécessairement en compte ces facteurs. Je ne sais pas si le fonds proposé est à la hauteur des enjeux et j’ai tendance à penser que 50 millions ne suffisent pas, mais toujours est-il que nous devrions saisir cette occasion d’approfondir la réflexion sur cette question qui nous pend au nez.

Contre l’avis de la rapporteure pour avis, la commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-CL213 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Préserver l’eau est une nécessité absolue, qui suppose des investissements, or les réseaux d’eau des communes ou intercommunalités sont vieillissants et présentent souvent des fuites importantes. L’amendement tend donc à consacrer une part du budget à la rénovation de ces réseaux.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Le plan Eau prévoit la mobilisation de 180 millions d’euros additionnels d’aides à compter de 2024, avec notamment des aides des agences de l'eau et des prêts à long terme de la Banque des territoires. Cette disposition concerne notamment les 2 000 communes fragiles face au risque de rupture d’alimentation en eau potable et les 170 points noirs identifiés comme présentant un taux de fuite supérieur à 50 %. Les aides des agences de l’eau sont conditionnées à une amélioration durable de la gestion du patrimoine des services publics d’eau potable. Je demande donc le retrait de l’amendement.

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Les événements que nous avons observés dans notre pays et en Espagne illustrent la perturbation du cycle de l’eau liée au dérèglement climatique. Il est absolument irresponsable, voire criminel, de ne pas mettre les moyens nécessaires pour anticiper des situations que nous connaissons depuis des décennies et qui sont en train de se produire. Les dégâts matériels et les pertes de vies humaines que nous déplorons sont causées par ce manque d’anticipation et parce que nous continuons à alimenter les causes du dérèglement en produisant des gaz à effet de serre. C’est une question vitale.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-CL200 de M. Paul Molac

M. Paul Molac (LIOT). Le gel de la DGF en période d’inflation pèse lourdement sur le budget des collectivités. Je rappelle que cette dotation était indexée sur l’inflation jusqu’en 2011, avant de connaître une diminution. L’amendement vise donc à lier l’augmentation de cette dotation à l’inflation prévue, soit 1,8 %.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. La non-indexation de la DGF sur l'inflation est systématiquement – et à juste titre – dénoncée par les maires. Je rappelle qu'en 2018, pour la première fois depuis 2013, le Gouvernement a décidé de ne pas diminuer le montant de la DGF, laquelle a même connu une augmentation de 320 millions d’euros durant deux années consécutives, en 2023 et 2024.

Contre l’avis de la rapporteure pour avis, la commission adopte l’amendement.

 

Amendements II-CL301, II-CL302 et II-CL303 de M. Arthur Delaporte

M. Arthur Delaporte (SOC). M. le président Boudié et moi-même sommes corapporteurs d’une proposition de loi d’initiative sénatoriale visant au report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, justifié par une situation économique et sociale très inquiétante. Ces amendements, dont le deuxième et le troisième sont des amendements de repli, visent à souligner le fait que le PLF ne prend pas en compte cette situation d’une gravité sans précédent. Dans la préparation de ce budget, en effet, le Gouvernement n’a pas même proposé de socle d’investissement, alors que le ministre des outre-mer a fait des annonces en ce sens.

L’Assemblée nationale a reçu une délégation transpartisane qui a demandé à rencontrer la plupart des groupes et diverses autorités gouvernementales. Elle a présenté à cette occasion le plan quinquennal de reconstruction de la Nouvelle-Calédonie, qui se traduit par un besoin d’investissement de 4,2 milliards d’euros sur cinq ans. En tout état de cause, le PLF actuel ne prévoit que des reconductions d’avances de fonds, ce qui n’est évidemment pas suffisant.

L’amendement II-CL301 vise à mobiliser 850 millions d’euros soit un cinquième des 4,2 milliards correspondant au plan quinquennal. Nous attendons que l’État assume sa responsabilité, car c’est lui qui est la cause du déclenchement des émeutes qui ont ruiné la Nouvelle-Calédonie, avec une perte de 20 % à 30 % de son PIB et une chute du même ordre des recettes des collectivités locales. Celles-ci sont aujourd’hui contraintes de faire des coupes budgétaires faute de visibilité sur la dotation de l’État, car au moins 25 % de leurs recettes fiscales propres ont été amputées. Cela se traduit notamment par la suppression de bourses et allocations. En outre, certaines collectivités, notamment dans la province Sud, ayant décidé de conditionner, par exemple, le bénéfice des bourses scolaires et des allocations logement à dix ans de résidence en province Sud, les personnes passées du Nord au Sud depuis moins longtemps n’ont pas accès aux aides sociales et ne disposent donc pas du moindre filet de sécurité. En outre, l’indemnisation du chômage – qu’il s’agisse du chômage partiel ou des allocations chômage – est inférieure en Nouvelle-Calédonie à ce que prévoit le droit en vigueur en métropole, car la durée du chômage y est de neuf mois et le chômage partiel s’arrête en décembre prochain.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Je propose le retrait de l’amendement, afin que nous puissions évoquer plus précisément cette question très complexe avec le Gouvernement lors de l’examen du PLF en séance publique. À défaut, sagesse.

M. le président Florent Boudié. À titre personnel, je soutiens l’amendement II- CL301.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Ce matin, les rapporteurs Boudié et Delaporte ont évoqué les auditions auxquelles ils avaient procédé et nous avons voté à l’unanimité des dispositions qui auront des suites pour toutes les populations de Nouvelle-Calédonie Kanaky. Nous espérons que le processus électoral ira à son terme dans un climat que nous souhaitons tous apaisé, consensuel et démocratique. Il a également été dit que, dans ce contexte, chacun devait contribuer à apaiser le climat. L’un des éléments de cette contribution consiste aussi à montrer que l’État prend sa part de responsabilité dans la réparation des dégâts causés originellement par la décision du Président de la République.

M. le président Florent Boudié. Je précise que 400 millions d’euros ont été avancés par l’État aux collectivités territoriales depuis le mois de juillet jusqu’au mois d’octobre. Il était nécessaire de renouveler le financement par l’État de cette avance aux collectivités territoriales. C’est donc à ce jour le seul élément qui figure dans le PLF pour 2025 pour la Nouvelle-Calédonie, ce qui me semble tout à fait insuffisant.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je remercie la rapporteure d’avoir émis un avis de sagesse. Nous attendons évidemment des réponses précises et des engagements conséquents de la part du Gouvernement mais, notre commission étant chargée d’émettre un avis et une intention générale, un vote favorable sur cet amendement serait de bon augure. Cela contribuerait à obtenir une réponse du Gouvernement et exprimerait la volonté de l’Assemblée nationale d’aider la Nouvelle-Calédonie à la hauteur des besoins.

M. le président Florent Boudié. Nous aurons cette discussion à dix-sept heures avec le ministre des outre-mer.

La commission adopte l’amendement II-CL301.

En conséquence, les amendements II-CL302 et II-CL303 tombent.

 

Amendement II-CL261 de M. Michel Castellani

M. Paul Molac (LIOT). Il vise à octroyer une dotation exceptionnelle de continuité territoriale de 50 millions d’euros à la collectivité de Corse afin de ne pas mettre à mal le service public de transport aérien et maritime de l’île. Pour rappel, la dotation de continuité territoriale (DCT) n’est plus indexée sur l’inflation depuis 2009.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Vous rappelez avec raison que la DCT a été gelée depuis 2009 alors qu'elle aurait dû suivre l'évolution de la DGF. Sur le fond, vous soulevez un vrai problème. En effet, si la DCT a été maintenue à 187 millions depuis 2013, elle a aussi fait l'objet de dotations complémentaires ponctuelles, notamment en 2023 à hauteur de 30 millions et en 2024 à hauteur de 40 millions.

Vous demandez aujourd'hui 50 millions supplémentaires. J'entends les arguments fondés sur les réelles difficultés que connaissent les transports corses et je sais que la ministre Catherine Vautrin y est aussi très sensible – elle s'est d'ailleurs rendue en Corse voilà quelques jours. Des discussions sont en cours actuellement au sein du Gouvernement à propos de l'éventuelle hausse de cette dotation et je pense qu’il serait plus judicieux d’attendre la séance publique pour en discuter avec le Gouvernement. Je propose donc le retrait de l’amendement.

M. Paul Molac (LIOT). Je le retire d’autant moins qu’il a été voté ce matin en commission des finances.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-CL197 de M. Paul Molac

M. Paul Molac (LIOT). Il vise à interpeller la ministre du partenariat avec les territoires sur la nécessité d’étendre la protection fonctionnelle à tous les élus locaux. En effet, ces derniers sont de plus en plus confrontés aux violences, menaces et outrages dans l’exercice de leurs fonctions. Si la protection fonctionnelle constitue un dispositif essentiel pour les accompagner, elle ne concerne toutefois qu’un nombre restreint d’entre eux : les exécutifs – maires, présidents d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), présidents de conseil départemental ou régional – et leurs suppléants ou les élus qui ont reçu délégation. Rien ne justifie cette différence de traitement entre élus face à la violence.

La loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux avait demandé au Gouvernement un rapport sur l’extension de la protection fonctionnelle à tous les élus locaux. Ce rapport a-t-il été remis au Parlement ?

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Je suis tout à fait d’accord avec vous. La protection fonctionnelle doit être étendue à tous les élus locaux, car il est insupportable qu’ils subissent des violences et des outrages de plus en plus fréquents et de plus en plus forts. J’attends un projet de loi beaucoup plus large sur le statut de l’élu, dans lequel cette extension devrait figurer. Je vous propose de retirer cet amendement d'appel et de le redéposer en séance pour obtenir de véritables engagements de la part du Gouvernement sur cette question cruciale pour notre démocratie.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-CL305 de Mme Marie-José Allemand

Mme Marie-José Allemand (SOC). Il vise à compléter la compensation au bloc communal pour l’élaboration des documents d’urbanisme sous la forme d’une aide exceptionnelle pour les communes ne disposant d’aucun document d’urbanisme et relevant du règlement national d’urbanisme (RNU).

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Il est vrai que certaines petites communes ne disposent pas des moyens humains et financiers permettant d'élaborer un document d'urbanisme mais, lorsque c’est le cas, elles peuvent décider de transférer cette compétence à l'EPCI, qui pourra y procéder. Je souhaiterais toutefois connaître plus précisément le nombre de communes concernées. En l’état, avis plutôt défavorable.

Mme Eliane Kremer (DR). Puisque la loi prévoit que la compétence d’urbanisme est du domaine des EPCI, nous nous acheminons donc vers des PLUI, ou plans locaux d’urbanisme intercommunaux. L’amendement n’a donc aucun intérêt.

Mme Marie-José Allemand (SOC). Mieux vaut prévenir que guérir et il faut bien commencer ainsi.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement II-CL297 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). Il s’agit d’un amendement d’appel. La situation de notre pays est critique et la France cumule des records d’impôts, de déficit et de dette, mais le nouveau gouvernement continue de faire s’envoler, dans son projet de budget, les dépenses publiques de l’État.

En 2015, le redécoupage de la carte des régions devait engendrer des économies. Le Rassemblement national avait, à l’époque, donné l’alerte et le temps nous a malheureusement donné raison. J’en veux pour preuve la situation de la région Occitanie, dont je suis élu, où le budget de Carole Delga atteint 3,55 milliards, soit 1 milliard de plus qu’à l’époque des deux anciennes régions fusionnées depuis lors. Ce sont, malgré la fusion censée rationaliser les coûts, 39 % de dépenses de fonctionnement supplémentaire. Posons-nous la question du devenir des régions – et, éventuellement celle de leur suppression.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. J’entends qu’il s’agit d’un amendement d'appel et que vous ne comptez pas supprimer purement et simplement des crédits alloués aux régions sans que les mesures de simplification que vous appelez de vos vœux aient été engagées. Je suis en partie d’accord avec vous sur le fond du problème, à savoir la nécessité de simplifier l’articulation des compétences et de réduire l’enchevêtrement, comme le recommande du reste le rapport Ravignon, qui évalue à 7,5 milliards le coût du millefeuille territorial. Toutefois, le PLF n’est pas le bon véhicule.

M. Yoann Gillet (RN). Le rapport Ravignon sous-évalue les économies nécessaires et le coût du millefeuille. Pour pouvoir imaginer des économies à court, moyen et long terme, il faut aussi se poser la question des compétences des collectivités, même si je suis très attaché, par exemple, à la clause de compétence générale des communes par exemple. De fait, les régions sont championnes du monde des dépenses sur des compétences qu’elles n’ont pas. Les exemples sont nombreux. Je pense notamment au cas de la région Occitanie, qui dispense ainsi de multiples subventions à SOS Méditerranée.

M. Hervé Saulignac (SOC). Ce message sur l’Occitanie est préoccupant. On a le droit de ne pas être d’accord avec Carole Delga, mais vouloir sanctionner toutes les collectivités du pays parce qu’on a un différend avec sa présidente de région en dit long sur le RN, plus soucieux de combats particuliers que de l’intérêt général du pays.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Les compétences des régions comportent les transports en commun, avec le financement de la SNCF et des lignes de proximité, le développement écologique et la transition écologique – trois compétences auxquelles les différents groupes ont pu exprimer ce matin leur attachement. J’ai du mal à ne pas voir dans la proposition du RN une attaque ciblée contre une strate de collectivité qui joue son rôle parmi les autres strates, ainsi qu’une attaque contre du personnel politique, au lieu de propos de fond sur l’organisation de la décentralisation, sur les différents échelons territoriaux et sur la pertinence de certaines compétences à certains échelons. Je suis surpris que nous soyons saisis d’amendements aussi dogmatiques dans le cadre de cette commission. Le groupe Écologiste et social votera contre cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle émet un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Relations avec les collectivités territoriales.

 

 

Article 61

 

Contre l’avis de la rapporteure pour avis, la commission émet un avis défavorable à l’adoption de l’article 61

 

Après l’article 61

 

Contre l’avis de la rapporteure pour avis, la commission adopte l’amendement II- CL210 de M. Bérenger Cernon.

 

Amendement II-CL211 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Il vise à réduire l’écart de DGF entre les communes rurales et urbaines.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Ayant travaillé dix ans pour l’Association des maires ruraux, je suis particulièrement consciente de la nécessité de corriger cet écart incompréhensible pour les habitants de nos espaces ruraux. Cependant, ce n’est pas au détour d’un amendement que nous pourrons le faire, et nous devons réfléchir au fond pour y parvenir. Je demande le retrait de l’amendement.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Aucun détour n’étant possible, nous sommes obligés de saisir l’occasion du budget pour poser la question – à moins que le président de la commission des finances ignore qu’un projet de modification des modalités de calcul de la DGF soit en gestation, mais il me semble que l’heure soit plutôt aux logiques d’austérité.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement II-CL276 de Mme Marie-José Allemand

Mme Marie-José Allemand (SOC). Afin de renforcer la consultation des élus sur les choix de l’État et de ses représentants dans le département en matière d’attribution de la DETR, cet amendement vise à abaisser à 50 000 euros le seuil à partir duquel la commission des élus relative à la DETR constituée dans chaque département est saisie pour avis.

Mme Blandine Brocard, rapporteure pour avis. Cette question n’a absolument pas été soulevée au cours des auditions, le fonctionnement actuel de la DETR recueillant plutôt l’assentiment des élus.

La commission adopte l’amendement.

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*     *

Puis, la Commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi tendant à l’instauration de peines planchers pour certains crimes et délits (n° 262) (Mme Pascale Bordes, rapporteure) ;

Tous les amendements qui n’ont pas été examinés lors de la réunion tenue en application de l’article 86 du Règlement ont été repoussés.

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Enfin, la Commission examine ,en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition visant à assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public (n° 265) (Mme Edwige Diaz, rapporteure) ;

Tous les amendements qui n’ont pas été examinés lors de la réunion tenue en application de l’article 86 du Règlement ont été repoussés.

 

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La séance est levée à treize heures dix.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, Mme Edwige Diaz, M. Emmanuel Duplessy, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Moerani Frébault, Mme Martine Froger, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. David Guerin, M. Jordan Guitton, M. Jérémie Iordanoff, Mme Marietta Karamanli, Mme Émeline K/Bidi, Mme Eliane Kremer, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Bryan Masson, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Marc Pena, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Emmanuel Tjibaou, Mme Sophie Vaginay, M. Roger Vicot, M. Antoine Villedieu, M. Jiovanny William, Mme Caroline Yadan

 

Excusés. - M. Marc Fesneau, M. Andy Kerbrat, Mme Naïma Moutchou

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-José Allemand, M. Jean-Victor Castor, M. Bastien Lachaud, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sabrina Sebaihi