Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

 Audition de M. Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice »  2

 Examen pour avis des crédits de la mission « Justice » (Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis sur les crédits de la justice et accès au droit, M. Romain Baubry, rapporteur pour avis sur les crédits de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse).                            26

 


Mardi
5 novembre 2024

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 14

session ordinaire de 2024 - 2025

Présidence
de M. Florent Boudié, président


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La séance est ouverte à 16 heures 40.

Présidence de M. Florent Boudié, président.

La Commission auditionne M. Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice ».

M. le président Florent Boudié. Nous poursuivons l’examen pour avis des missions budgétaires relevant de notre commission, avec l’examen de la mission Justice. Nous sommes ravis de vous recevoir, monsieur le garde des sceaux, pour nous présenter les crédits de votre ministère. Lors de votre audition du 8 octobre dernier, vous nous aviez fait part de votre préoccupation quant à ce budget, concernant notamment sa capacité à honorer les engagements pris dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ). Vous nous direz ce qu’il en est des avancées que vous avez annoncées la semaine dernière.

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice. Le projet de loi de finances (PLF) constitue incontestablement, pour l’ensemble des magistrats, des directeurs de services de greffe judiciaires, des greffiers, des fonctionnaires et des agents des services judiciaires, de l’administration pénitentiaire et de la protection de la jeunesse, mais aussi et surtout pour tous nos concitoyens, le marqueur de la force et de la réalité de nos engagements. À ce titre, le projet de loi de finances pour 2025, présenté le jeudi 10 octobre dernier en Conseil des ministres, fondé sur la lettre plafond adressée à mon prédécesseur, était, comme je l’ai dit à plusieurs reprises, très insuffisant pour honorer les missions du ministère dont j’ai la charge et les engagements qui avaient été pris dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice.

Le volume de crédits ouverts, de 10,2 milliards d’euros, était certes en augmentation de 100 millions mais il ne permettait pas de réaliser les investissements nécessaires au renforcement et à la modernisation de nos institutions, d’autant que la LOPJ sanctuarisait les recrutements indispensables au désengorgement des juridictions. Le projet de loi de finances, qui autorisait 619 créations d’emplois, obérait l’objectif prioritaire gouvernemental qui nous avait été fixé de rendre et d’exécuter les décisions de justice plus rapidement. Vous connaissez aussi bien que moi les objectifs de la LOPJ : 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 1 100 attachés de justice supplémentaires d’ici à 2027. En l’état, ils n’auraient pas pu être atteints.

Les états généraux de la justice en 2021 ont fait le constat d’un retard et d’un sous-dimensionnement historiques de notre système. C’est la référence de tous les acteurs du monde judiciaire et, au-delà des professionnels de la justice, celle des élus nationaux et locaux ainsi que de nos concitoyens. Ces constats étayés ont été unanimes. Les 36 cours d’appel et les 164 juridictions qui œuvrent au quotidien pour la justice au service des justiciables sont en attente de moyens humains, numériques et immobiliers.

Le cadre posé par la loi du 20 novembre 2023 a vocation à prolonger les actions entreprises ces dernières années et à répondre aux attentes exprimées par nos concitoyens. C’est pourquoi, ainsi que le Premier ministre s’y était engagé, le ministère de la justice fera l’objet d’un effort significatif dans le projet de loi de finances, à hauteur de 250 millions d’euros supplémentaires par rapport à la lettre plafond. Je suis donc heureux de vous confirmer que le budget de la justice est rehaussé à 10,5 milliards et qu’il sera à la hauteur des engagements pris.

L’allocation de 250 millions d’euros d’autorisations d’engagement (AE) et de crédits de paiement (CP) supplémentaires, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, constitue un effort important que je veux saluer. Il n’aurait pas été possible sans l’arbitrage favorable du Premier ministre ni le soutien du ministre chargé du budget et des comptes publics que je remercie. Il représente un signal fort en faveur de la réparation de notre justice et de cette mission régalienne fondamentale, trop longtemps délaissée.

Entre 2024 et 2025, les crédits du ministère augmentent ainsi de 358 millions d’euros, soit de 3,5 %. L’enveloppe de rémunération versée aux agents du ministère passera de 5,05 milliards à 5,15 milliards. Ces moyens plus importants me permettront d’alimenter chacune des grandes composantes de la justice et de mener à bien ses missions cardinales, ainsi que de mettre en œuvre opérationnellement la déclaration de politique générale du Premier ministre.

Ces hausses s’élèvent à 5,5 % pour l’administration pénitentiaire, soit une hausse de 254 millions d’euros, son budget passant de 3,94 milliards à 4,2 milliards, en raison notamment de la poursuite du plan de 15 000 places de prison supplémentaires et du financement du protocole d’Incarville sur la sécurisation des extractions judiciaires. Pour les services judiciaires, la hausse du budget représente 1,8 % pour atteindre 3,82 milliards d’euros contre 3,75 milliards, hors cotisations retraite. Pour la protection judiciaire de la jeunesse, l’augmentation est de 1,4 %, hissant son budget à 964 millions d’euros au lieu de 950 millions. Enfin, le secrétariat général du ministère voit ses ressources augmenter de 1,3 %.

Je suis prioritairement attaché à respecter les engagements pris sur les effectifs, seul moyen de parvenir à désengorger les tribunaux, dont les délais d’audiencement sont devenus inacceptables, tout en étant conscient que nous pouvons encore améliorer l’organisation. L’exemple du délai de quatre ans entre la déclaration d’appel et l’audience de plaidoirie devant certaines chambres civiles de la cour d’appel de Lyon est à lui seul particulièrement éloquent. Nous poursuivrons donc les recrutements qui ont été engagés à la suite des états généraux de la justice, en les conjuguant à des mesures catégorielles ciblées afin de renforcer l’attractivité des métiers de la justice.

Ainsi, une autorisation de recrutement de 1 543 équivalents temps plein (ETP) en plus des remplacements des départs à la retraite sera accordée au ministère, soit 924 emplois en plus par rapport à ce qui était prévu dans cette fameuse lettre plafond. Ces personnels se répartissent de la façon suivante : 970 ETP dans le champ judiciaire, 528 ETP dans le champ pénitentiaire et 45 ETP à destination de la protection judiciaire de la jeunesse, pour accompagner l’ouverture de nouveaux établissements.

Par ailleurs, l’attention aux personnels et aux conditions de travail est un engagement fort de la loi de programmation, tout comme la garantie de l’attractivité de la rémunération des métiers de la justice. Une enveloppe de 28 millions d’euros destinée à financer en année pleine les revalorisations indiciaires et indemnitaires précédemment engagées, dont 21 millions au titre de la réforme de la filière de surveillance, effective depuis le 1er janvier 2024, figure dans le PLF. Le ministère poursuivra en 2025 la mise en œuvre des mesures du protocole d’accord majoritaire sur les métiers de greffe des juridictions, signé le 26 octobre 2023. Si vous adoptez l’amendement du Gouvernement, tous les engagements catégoriels pris seront tenus.

L’efficacité dans l’exécution des peines ainsi que l’accélération des procédures pénales seront deux axes essentiels de mon action. Rien ne pourra se faire sans la capacité de prendre en charge des personnes placées sous main de justice, en particulier les personnes détenues, dans le respect et la dignité dues à chacun. C’est pourquoi j’insiste sur l’importance des crédits dédiés à la réhabilitation et à la maintenance au moins autant que sur celle des moyens dédiés à la construction.

S’agissant de la programmation immobilière pénitentiaire, les crédits dévolus permettront de poursuivre le plan de construction de 15 000 places. Pour mémoire, ce plan portera à plus de 75 000 le nombre total de places de prison disponibles pour environ 80 000 détenus. La surpopulation carcérale ne sera donc pas résorbée par ce plan.

En 2025, le programme immobilier pénitentiaire poursuivra sa phase active avec le dispositif d’accroissement de la capacité de la maison d’arrêt de Nîmes, celle de la structure d’accompagnement à la sortie de Ducos, le centre pénitentiaire des Baumettes 3, ainsi que les premières phases des opérations du centre pénitentiaire de Baie-Mahault et de la maison d’arrêt de Basse-Terre.

Enfin, la rénovation et la modernisation du parc pénitentiaire existant se poursuivront, avec une dotation de 141,5 millions d’euros. Des autorisations d’engagement permettront de lancer la restructuration du centre pénitentiaire de Fresnes, dont la vétusté nécessite une intervention à court terme.

Je tiens à mentionner des difficultés que nous rencontrons dans le calendrier de réalisation des grandes opérations de construction. Elles sont liées à des aléas exogènes, techniques et environnementaux, à des tensions sur les délais d’approvisionnement, à la fragilité du tissu économique. Certaines oppositions retardent voire empêchent ces constructions. Les projets se poursuivent dans un environnement contraint, ce qui a pour conséquence d’accroître les délais de réalisation. À ce titre, un état des lieux du plan 15 000 places de prison sera dressé, pour mesurer les efforts restant à accomplir et les redéploiements de crédits éventuellement utiles.

S’agissant de l’immobilier judiciaire, 316 millions d’euros y seront consacrés, pour couvrir les opérations d’ores et déjà en chantier, poursuivre la mise à niveau du parc immobilier, notamment eu égard à la sécurité des personnes et aux mises aux normes réglementaires, la mise en sûreté des palais de justice et les opérations de gros entretien qui sont indispensables à la pérennité du patrimoine. Nous avons malheureusement beaucoup à faire.

Enfin, 7 millions d’euros seront consacrés à financer le plan concernant les centres éducatifs fermés (CEF) du secteur associatif habilité. Parallèlement à l’état des lieux sur le programme pénitentiaire, un état des lieux de ce plan sera réalisé, de même qu’un point sur les autres formats de prise en charge.

Je souhaite mettre en lumière certaines enveloppes qui ont pour vocation de moderniser et d’améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice, ainsi que les conditions de travail de ses agents. Tout d’abord, les crédits d’investissement de l’informatique ministérielle seront portés à 285 millions d’euros, soit une hausse de 4,7 %. Ces crédits, auxquels je tenais beaucoup, permettront de poursuivre les projets du deuxième plan de transformation numérique du ministère. En outre, les crédits consacrés aux techniques d’enquêtes numériques judiciaires atteindront 49 millions d’euros.

Je souhaite insister sur l’obtention de ces crédits supplémentaires qui permettront au ministère d’avancer de manière décisive dans sa transformation numérique, en particulier de financer la poursuite de ses projets prioritaires : ceux qui permettront d’obtenir des gains majeurs d’efficacité et de temps dans nos services et de refondre des outils en état d’obsolescence qui mettent en risque la continuité de la justice et la qualité du service rendu aux justiciables. Les initiatives prises pour améliorer l’écoute et l’orientation des justiciables entre les différentes procédures, en d’autres termes l’attention que l’État pourra leur porter, seront renforcées par des outils numériques simplifiés.

Ainsi, ces crédits vont nous permettre de poursuivre la dématérialisation et la modernisation de bout en bout de nos chaînes judiciaire, civile et pénale, avec la procédure pénale numérique, le projet Portalis, la dématérialisation complète du casier judiciaire national, la mise en convergence de nos outils applicatifs pénaux ou encore le nouveau système d’information de l’application des peines appelé Prisme.

Les crédits de l’accès au droit à la justice s’élèveront à 802 millions d’euros contre 790 millions. Plus spécifiquement, les crédits dédiés à l’aide juridictionnelle continueront de croître pour atteindre 718 millions d’euros, soit une augmentation de 6 millions d’euros ; le budget de l’aide aux victimes augmente de 4,5 millions et atteint 51 millions d’euros, dont 37 % sont dévolus aux victimes de violences intrafamiliales. L’effort se poursuivra en faveur de cette politique pénale.

Enfin, concernant l’action sociale offerte par le ministère à ses agents, essentielle pour assurer leur soutien et contribuer à l’attractivité de notre institution, le projet de budget prévoit la mobilisation de plus de 36 millions, soit une augmentation de 3 %. Cela permettra notamment d’agir en faveur de la politique d’aide aux familles, de réduire les restes à charge en matière de services de restauration et de faciliter l’accès au logement et à la propriété pour les agents, notamment par le biais d’un ajustement du prêt bonifié immobilier.

Je suis parfaitement conscient des contraintes budgétaires auxquelles le pays et le Gouvernement sont confrontés. Je suis attaché, comme vous, à notre crédibilité financière. Tout au long de l’exercice budgétaire 2024, le ministère de la justice a pris part à l’effort budgétaire rendu nécessaire par la situation des finances publiques. Ainsi, la programmation 2024 a été remise en cause dès le début de la gestion, avec une ressource réduite par le décret du 21 février 2024 portant annulation de crédits à hauteur de 328 millions d’euros en AE et en CP.

Par ailleurs, un surgel avait été appliqué le 17 juillet, à hauteur de 297 millions d’euros en crédits de paiement, alors que la consommation budgétaire était déjà très engagée. La forte rigidité de la structure des dépenses du ministère, l’absence d’identification de mesures d’économies limitaient toutefois très fortement la soutenabilité d’une telle mesure de régulation. Nous avons pu obtenir le dégel d’un certain nombre de crédits pour terminer l’année 2024 sans reporter trop lourdement certaines dépenses sur 2025.

Dans ce contexte, les efforts sur le fonctionnement consentis par le ministère de la justice n’ont pas manqué de provoquer des mouvements sociaux, notamment au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, dès cet été, et des tensions dans toutes les cours d’appel, juridictions et établissements pénitentiaires depuis la mi-septembre. C’est pour cela que le Gouvernement a accepté de réduire de moitié environ le montant des régulations successives de l’année. Ce geste prend en compte, d’une part, la réalisation d’efforts de maîtrise et, d’autre part, la nécessité de récupérer le quantum de crédits nécessaires au fonctionnement du service public de la justice d’ici à la fin de l’année, sans entraîner d’importants reports de charge obérant la gestion 2025.

En définitive, le ministère aura contribué par ses efforts de gestion en 2024 à la réduction des déficits de l’année, si je puis utiliser cette expression compte tenu du fait que le déficit est plus élevé que prévu. Ces efforts continueront d’être produits par le ministère. Ils sont ainsi nécessaires sur certaines dépenses, en particulier sur les frais de justice, dont la dynamique va croissant, année après année. L’enveloppe des crédits consacrés à cette action sera cette année de 748 millions d’euros, ce qui constitue une augmentation de 11 %. C’est dire l’effort que nous faisons. En sus du plan de maîtrise lancé en 2023, qui commence à porter ses fruits, une revue de dépenses associant le ministère de la justice et celui de l’économie sera engagée d’ici à la fin de l’année.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis (Justice et accès au droit). Interrogé sur sa vocation de magistrat, Renaud Van Ruymbeke a répondu : « On travaille pour le service public, la collectivité, en plus on travaille pour la justice, ce n’est pas rien l’idée de justice… Pour les gens, c’est fondamental ! C’est un très beau métier, où il faut prendre des responsabilités, on écoute bien sûr, mais arrive le moment où il faut décider et il ne faut pas mettre des années à le faire ! Par ailleurs, vous êtes dans l’humain. Prenez un juge des enfants, un juge d’application des peines, il va examiner la situation d’une personne. Est-ce qu’il est prêt à sortir ? Est-ce qu’on va lui trouver un travail ? Que dit l’éducateur ? On va l’aider à se réinsérer. Quand vous siégez en correctionnel ou aux assises, quelle peine va-t-on retenir ? Rendre la justice n’est pas simple. »

L’idée de justice n’est pas rien et rendre la justice n’est pas simple. C’est pour cela que la justice doit avoir les moyens de faire son œuvre en toute indépendance. Cette année encore, le Grand Soir se fait attendre. Les moyens ne sont pas là. Il y a un peu plus de deux ans, le comité des états généraux de la justice remettait pourtant un rapport accablant, qui ne faisait que confirmer l’état de paupérisation avancée de notre institution judiciaire. Un plan avait été annoncé en grande pompe par le garde des sceaux de l’époque, avec pour ambition affichée de tourner enfin la page du délabrement de la justice. En réponse, une loi d’orientation et de programmation de la justice, votée fin 2023, a fixé un objectif de création nette de 10 000 postes d’ici à 2027. Bien que largement inférieure aux besoins, cette loi était un premier pas pour soulager des juridictions asphyxiées.

Presque un an après sa promulgation, où en est-on ? Les ambitions affichées n’ont pas résisté aux diktats de la sacro-sainte rigueur. Cette année, le ministère de la justice a payé le prix fort des coupes drastiques du budget : entre annulations et gels, ce sont plus de 600 millions d’euros qui ont été sacrifiés sur le dos de la justice et de l’accès aux droits, sans compter le lourd tribut déjà payé par la protection judiciaire de la jeunesse. Six cents millions d’euros, c’est le budget nécessaire pour payer 10 000 magistrats sortis d’école pendant un an ; c’est aussi l’équivalent du budget de l’aide juridictionnelle. Il faut s’imaginer les conséquences dramatiques de ces coupes sur des juridictions déjà exsangues. Le service public de la justice tient grâce au dévouement de ses personnels, magistrats, greffiers, contractuels ; mais ne nous y trompons pas, ils sont à bout. Pourtant, alors qu’il faudrait rattraper les annulations de 2024, l’austérité se poursuit, avec un budget initial inférieur de 500 millions d’euros à celui prévu par un texte voté il y a moins d’un an. Ils sont à bout et pourtant le premier renoncement du budget portait sur les effectifs. Monsieur le garde des sceaux, vous venez cependant de nous rassurer. Nous regarderons les détails de votre amendement.

Les personnels sont à bout et on le comprend encore mieux devant les chiffres alarmants publiés il y a quelques jours par le Conseil de l’Europe. Notre pays ne compte que 11,3 magistrats pour 100 000 habitants contre 21,9 en moyenne en Europe, soit moins qu’en Roumanie, en Bulgarie et en Hongrie. La France consacre 72,20 euros par habitant à son système judiciaire, alors que la moyenne européenne est à 85,40 euros, soit quelque 25 % de moins qu’en Espagne et en Italie – je vous fais grâce des chiffres des pays arrivés en tête du classement. Votre budget contribuera à faire dégringoler davantage la France dans le prochain rapport.

Derrière ces chiffres humiliants pour la République française, il y a des conséquences néfastes et très concrètes sur la vie des agents et des justiciables. Quatre greffiers se sont suicidés cette année. J’ai une pensée émue pour eux. Le dernier, Philippe, greffier au tribunal judiciaire de Bordeaux, s’est donné la mort le 10 juin. Après vingt ans de métier, il venait d’être muté dans un service qu’il a trouvé désert. Ses collègues témoignent : « Personne n’était là pour le former aux procédures. Tous étaient en arrêt maladie. […] Il se levait très tôt, se couchait très tard, il ne mangeait plus. » Sous pression constante, en raison de la cadence à flux tendu qui leur est imposée, les greffiers sont contraints, bien malgré eux, de trier les dossiers, d’en sacrifier, faute de temps. Ils le déplorent et le disent : « Ces dossiers, ce sont des personnes qui attendent que la justice se prononce pour un litige avec un bailleur, un surendettement ou le placement en tutelle d’un tiers par exemple. Ça fait mal de devoir sélectionner. […] C’est nous qui prenons tout, jamais les ministères qui dictent les conditions des services. »

En réponse, votre gouvernement prévoit de faire encore plus mal, en créant trois jours de carence. Il insulte ces agents, piétine leur souffrance et alimente le récit selon lequel les fonctionnaires seraient des fainéants.

La paupérisation généralisée du service public de la justice a aussi des conséquences sur les enfants en danger. En 2018, les juges des enfants de Bobigny publiaient dans Le Monde un appel au secours en ces termes : « Nous sommes devenus les juges de mesures fictives, alors que les enjeux sont cruciaux pour la société de demain : des enfants mal protégés, ce seront davantage d’adultes vulnérables, de drames humains, de personnes sans abri et dans l’incapacité de travailler. » Six ans après, rien n’a changé et la situation a même empiré dans certains départements.

Chaque année, en France, 160 000 enfants sont agressés sexuellement et un enfant est tué tous les six jours au sein de sa famille. Seulement 522 juges des enfants sont chargés de suivre plus de 250 000 enfants en danger, faisant l’objet d’une mesure judiciaire de protection de l’enfance. La majorité de ces magistrats suivent 450 situations, soit au moins 800 enfants, alors qu’ils devraient en suivre 325. Ce sont 77 % d’entre eux qui disent avoir déjà renoncé à prendre des décisions de placement d’enfants en danger, en raison d’une absence de place ou de structure adaptée à leur accueil. Ils doivent souvent attendre huit à douze mois pour qu’une mesure d’assistance éducative dont ils ont décidé soit effectivement mise en place, générant des conséquences catastrophiques pour les familles et un sentiment d’impuissance et de gâchis généralisé chez tous les acteurs du secteur.

Assumez-vous, dans ces circonstances, la priorité donnée à la responsabilisation des parents d’enfants délinquants, quand sombre la protection de l’enfance, et la construction de trois centres éducatifs fermés ? Votre budget n’a pas d’autres ambitions pour la justice des mineurs.

Les conséquences de l’austérité pèsent aussi sur les femmes victimes de violences – la prétendue grande cause du quinquennat. Parmi les 2,6 milliards demandés par les associations féministes pour lutter contre ces violences, 300 millions concernent le budget du ministère de la justice, pour assurer la formation continue obligatoire de l’ensemble des professionnels sur les violences sexistes et sexuelles (VSS), renforcer les pôles spécialisés dans les juridictions, étendre l’aide juridictionnelle à davantage de victimes, augmenter le nombre de téléphones grave danger (TGD) et de bracelets anti-rapprochement. On ne trouve presque aucune trace de ces 300 millions dans votre budget. Nous avons par conséquent déposé tous les amendements nécessaires pour remédier à cette absence. Ils ont été votés en commission des finances la semaine dernière. Vous engagez-vous à respecter ces votes ou attendez-vous qu’un 49.3 ou des ordonnances les balaient ?

L’austérité a des conséquences sur les associations qui accompagnent ces femmes et que l’État maltraite. Cette année, le gouvernement démissionnaire a décidé d’étendre la prime Ségur aux associations du secteur social privé à but non lucratif, avec un effet rétroactif et sans prévoir de mesures de compensation, fragilisant toujours plus le réseau associatif. Le centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) du Val-d’Oise est déjà en grande difficulté financière et ne peut pas verser cette prime. Vous engagez-vous à soutenir à notre amendement visant à assurer la compensation intégrale par l’État de la prime Ségur ? Comble de l’humiliation et faute d’un engagement de votre part, la fédération nationale des CIDFF a lancé aujourd’hui une cagnotte pour verser cette prime à ses salariés…

L’insuffisance des moyens a des conséquences sur l’ensemble des justiciables qui voient les procédures s’allonger, induisant souffrance, perte de confiance et perte de sens et de qualité de la réponse judiciaire. Le délai de traitement des affaires passées à l’instruction est de 51,7 mois contre 48,5 en 2022. Le délai d’audiencement des dossiers de divorce est régulièrement supérieur à un an. Dans certaines juridictions, il n’est pas rare d’attendre dix-huit mois une décision du juge aux affaires familiales. Le délai moyen d’instruction d’une affaire est de 35,4 mois. Lorsque l’on se souvient qu’Emmanuel Macron osait affirmer devant l’École nationale de la magistrature (ENM) que les délais seraient divisés par deux d’ici à 2027, il y a de quoi être écœuré.

Chaque décision de justice porte en elle ce que veut dire aujourd’hui une société juste. Mais comment les Français peuvent-ils retrouver confiance dans leur justice, lorsque des magistrats renoncent à placer des enfants en danger, faute de places disponibles en foyer, lorsque 800 femmes victimes de violences se suicident chaque année, faute d’avoir été suffisamment protégées ? Comment le peuvent-ils, lorsque les victimes d’infractions sexuelles restent des mois, parfois des années, sans nouvelles de leur dossier et qu’après tout ce temps 1 % seulement des auteurs de viols sont condamnés ? Comment y croire, lorsque le sort des prévenus les plus pauvres est expédié en vingt minutes en comparution immédiate tandis que, au même moment, la lutte contre la délinquance et la criminalité en col blanc pâtit d’effectifs insuffisants, comme s’en alarmaient publiquement en avril dernier nos plus hauts magistrats financiers ?

Vous avez annoncé avoir récupéré 250 millions sur les 500 manquants, sauf que 500 moins 250, cela fait toujours 250 millions qui manquent. Plus grave, votre budget ampute les autorisations d’engagement du ministère de la justice de plus de 2,3 milliards d’euros. Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir ? Est-ce que les 250 millions compensent les gels et les annulations de crédits de cette année ? Comment faire justice quand la septième puissance économique du monde consacre à la sienne à peine 0,2 % de son PIB ?

M. Romain Baubry, rapporteur pour avis (Administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse). Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, je ne reviendrai pas en détail sur l’évolution des moyens dévolus à l’administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. M. le garde des sceaux les a présentés et les différents budgets prévus pour l’année prochaine font l’objet d’une analyse précise dans la première partie de mon rapport.

S’agissant des crédits de l’administration pénitentiaire, je voudrais toutefois appeler votre attention sur deux sujets.

Premièrement, nos prisons connaissent une crise structurelle et chronique. Établissements surpeuplés, personnels à bout de souffle, délinquance de plus en plus violente : l’équation est explosive. Et face à cette crise qui menace notre société tout entière, le Gouvernement n’est pas à la hauteur.

Certes, le budget de l’administration pénitentiaire augmente cette année, mais c’est en réalité une hausse en trompe-l’œil. Si les crédits augmentent, c’est par un double effet mécanique : d’une part, la croissance automatique des dépenses de fonctionnement qui augmentent du fait de l’inflation mais aussi de la hausse du nombre de détenus ; d’autre part, les dépenses liées au programme immobilier pénitentiaire, car il faut bien prévoir les budgets pour ouvrir les trois établissements prévus pour 2025.

En somme, le budget pour l’année 2025 bouchera péniblement les trous, palliant ainsi certaines urgences, mais il ne permettra pas d’améliorer l’état actuel de nos prisons, ni les conditions de détention, ni les conditions de travail de nos agents pénitentiaires. Ce manque d’ambition politique et budgétaire n’est pas à la hauteur des efforts fournis par notre administration pénitentiaire.

Nos agents sont chaque jour confrontés à davantage de difficultés. Ils doivent gérer 18 000 détenus en surnombre, alors qu’eux-mêmes font face à une carence d’au moins 4 000 agents. Ils se retrouvent souvent seuls pour gérer une coursive entière, pour prendre en charge une centaine de détenus, quand ce n’est pas cent cinquante. Ils subissent des réactions à des décisions qui ne leur appartiennent pas, comme le refus de transfert. Même en dehors de leur travail, ils sont suivis et agressés à leur domicile ; leurs véhicules sont vandalisés ; leurs familles, attaquées.

Face à ces conditions, l’absentéisme augmente et conduit les autres agents à atteindre des nombres records d’heures supplémentaires. Trop d’agents sont au bord du burnout et quand ils appellent au secours ou tentent de prendre quelques jours de repos, leur hiérarchie les menace de les faire changer de poste.

Mais cette situation n’est pas prise au sérieux par le Gouvernement. En 2025, seules 349 créations d’emploi sont prévues et toutes seront affectées aux trois nouveaux établissements qui doivent ouvrir l’année prochaine. Aucun nouvel emploi ne viendra donc améliorer la situation des établissements existants.

Deuxième sujet que je voudrais mettre en avant : la sécurisation de nos prisons. Elle est insuffisante pour garantir la protection des agents qui y travaillent, mais aussi celle des personnes qui y sont détenues et, plus globalement, celle de la société tout entière.

Nos prisons sont devenues des passoires. Tout y entre, tout y circule, pratiquement à volonté : armes blanches, parfois même armes à feu, comme à Saint-Martin-de-Ré cet été, drogues en tous genres, smartphones dernier cri, etc. Les détenus inondent les réseaux sociaux de diverses vidéos sur leur vie en prison, tournant souvent en ridicule notre système carcéral et judiciaire. Comment voulez-vous que la prison fasse peur et dissuade les délinquants quand l’image qui en est donnée est ainsi dévoyée ? Plus important encore, comment croyez-vous que les agents pénitentiaires se sentent face à ces vidéos ? Ceux que j’ai rencontrés me l’ont dit, ils le vivent mal, ils se sentent humiliés, ils y voient l’illustration de l’inefficacité de notre système pénitentiaire et de l’insuffisance des moyens mis à leur disposition pour travailler.

Tous ces objets qui entrent illégalement en détention sont autant de menaces pour la sécurité. Cela concerne d’abord la sécurité de nos agents. Je pensais que le drame d’Incarville, qui a coûté la vie à deux agents pénitentiaires au mois de mai dernier, vous ouvrirait les yeux, mais il n’en est rien. Pourtant, sans téléphone portable dans la prison, rien de cela n’aurait pu se produire. S’il est intéressant sans doute d’améliorer les méthodes d’extraction ou de transfèrement, cela ne permettra pas de résoudre le problème. Soyons clairs, tant que les détenus pourront téléphoner librement en cellule, ce type de drame pourra se reproduire. C’est sur ce sujet qu’il faut agir en priorité.

Cela concerne ensuite la sécurité des personnes détenues. L’introduction des drogues et la continuation des trafics en détention contribuent au développement du caïdat au sein des prisons. Les détenus qui ne posent pas de difficulté voient leur tranquillité troublée et leur volonté de réinsertion mise à mal par d’autres détenus qui ont à leur disposition tout l’attirail nécessaire pour les menacer.

Cela concerne enfin la sécurité de toute la société. La prolifération des téléphones en détention a une conséquence très claire : les prisons ne sont plus des lieux coupés du reste de la société. Les détenus sont en relation permanente avec l’extérieur et peuvent à loisir commettre des exactions. Certains continuent à harceler leur victime. Certains organisent leur trafic de stupéfiants depuis leur cellule. D’autres vont jusqu’à commanditer des assassinats, comme on l’a vu très récemment à la prison d’Aix-en-Provence.

Je considère, pour ma part, que cette question de la sécurité est une priorité absolue. C’est pour cette raison que j’ai choisi d’y consacrer la seconde partie de mon rapport.

J’ai moi-même exercé pendant cinq ans au sein de l’administration pénitentiaire, avant de rejoindre les forces de l’ordre. Depuis le début de mon premier mandat de député en 2022, j’ai eu à cœur de m’intéresser tout spécifiquement à cette administration essentielle pour notre société et à ses agents qui réalisent un travail difficile et trop peu reconnu. Pour ce rapport, j’ai conduit plusieurs auditions, rencontré le directeur de l’administration pénitentiaire, les directeurs interrégionaux et les responsables syndicaux. J’ai également réalisé plusieurs déplacements. Depuis septembre, j’ai visité six établissements pénitentiaires dans cinq directions interrégionales différentes.

Le constat de ces visites est déplorable, et ce sur l’ensemble des thématiques sécuritaires. Tous les établissements n’étant pas conçus de la même manière, tous ne présentent pas les mêmes failles de sécurité, mais on retrouve certaines difficultés de manière régulière.

En particulier, il est clair que les dispositifs de protection contre les projections et ceux contre les livraisons par drone sont insuffisants. Les chiffres transmis par votre administration sont parlants : depuis le début de l’année, près de 25 000 projections ont été récupérées par les agents. En réalité, la majeure partie des projections parvient jusqu’aux détenus et n’est donc pas comptabilisée dans ce nombre pourtant déjà vertigineux. Lors de mes déplacements, ces problèmes ont été systématiquement soulevés par les agents de l’administration pénitentiaire, des surveillants aux membres de la direction.

La circulation des stupéfiants prend une dimension de plus en plus affolante. Parfois, ce sont des plants entiers de cannabis qui sont retrouvés dans les cours des prisons.

Les téléphones portables sont tellement présents qu’ils en deviennent banals, alors qu’ils ne devraient même pas pouvoir fonctionner dans les cellules. À chacune de mes visites, j’ai pu constater que mon téléphone captait parfaitement, quel que soit le quartier de détention. Les brouilleurs, qui ont coûté des millions au contribuable, ne fonctionnent pas.

Les fouilles des cellules sont rendues difficiles par l’entassement des détenus en surnombre. Elles sont également compliquées par les stockages excessifs de produits de cantine, certaines cellules ressemblant à de véritables épiceries. Comment le surveillant pourrait-il y repérer les objets illicites ?

Quant aux fouilles des détenus, elles ne sont plus systématiques et les agents doivent pouvoir justifier d’un motif. Les détenus le savent et se sentent ciblés, ce qui aggrave les tensions et empêche les personnels d’exercer leur mission de manière sereine.

Même les choses les plus basiques sont remises en question. Les entrées et sorties sont loin d’être aussi contrôlées qu’on pourrait l’imaginer – à cause d’un sas trop exigu ou de portiques de sécurité mal réglés, ou encore parce qu’il faut ouvrir simultanément deux grilles pour les passages de véhicules en raison d’un défaut de conception. J’ai même vu des miradors n’offrant une vue sur certains angles que grâce à un vieux rétroviseur de poids lourd fixé au mur.

Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres. La sécurité des prisons n’est en réalité plus assurée et ce constat doit tous nous inquiéter.

En conclusion, je constate que l’exécution du plan 15 000 places de prison stagne et que l’évolution des crédits fait planer le doute sur la capacité du Gouvernement à réaliser les constructions promises. Le budget pour 2025 ne tient d’ailleurs même pas compte des 3 000 places supplémentaires qui ont été prévues par la LOPJ votée en 2023. Nous regarderons avec attention l’amendement de dernière minute déposé par le Gouvernement.

Selon le projet annuel de performance, 4 521 places supplémentaires avaient été mises en service au 1er juillet 2024, soit 1 750 de plus que l’année précédente. L’ironie, c’est que ce total fièrement affiché comprend les 406 places du centre de détention de Fleury-Mérogis, qui a dû fermer, moins d’un an après sa rénovation, faute d’eau chaude.

Je passe sur le ridicule de cette situation pour me contenter de dire que je ne vois pas comment nous allons passer de 4 500 places supplémentaires en 2024 à 18 000 en 2027, surtout avec des AE du budget de l’administration pénitentiaire en diminution de plus de 30 % pour l’année 2025.

À la fois affolé par ces constats et ahuri par les insuffisances de ce budget, je lance l’alerte. J’espère, monsieur le garde des sceaux, que vous l’entendrez et que vous disposerez d’une marge de manœuvre suffisante pour en tenir compte.

Quelle est votre position s’agissant de la sécurisation des établissements pénitentiaires ? Comment allez-vous mettre hors d’état de nuire les narcotrafiquants qui y œuvrent ? Avec quelles mesures ferez-vous mieux que votre prédécesseur dans ce domaine ?

M. le président Florent Boudié. Je précise que le Gouvernement a bien déposé un amendement, mais en séance, conformément à la tradition. J’ai donc déposé un amendement identique et c’est le premier que nous examinerons.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Philippe Schreck (RN). Même avec cet amendement, le budget de la justice pour 2025 rend caduque la loi de programmation de 2023. C’est à se demander si cette loi n’est pas, elle aussi, frappée de l’insincérité budgétaire qui caractérise beaucoup de lois de finances depuis plusieurs années.

Le PLF initialement présenté prévoyait 10,242 milliards, alors que 10,681 milliards étaient inscrits dans la loi de programmation. Même en ajoutant 250 millions, il en manque encore 250 pour répondre aux besoins de nos concitoyens et de la justice tels que nous les avons identifiés dans la LOPJ. Il faut ajouter à cette baisse les 320 millions rabotés par Bercy au mois de février ainsi que le surgel de 280 millions. Entre les montants promis puis rabotés, ceux qui ont été exécutés et qui vont être rajoutés, on a du mal à s’y retrouver.

Les 250 millions d’euros supplémentaires sont destinés à financer les nouveaux personnels recrutés et les augmentations indiciaires mais, en réalité, les coupes budgétaires demeurent. Clairement, le budget pour 2025 sonne le glas du plan 15 000 places de prison, que l’actuel Premier ministre souhaitait pourtant porter à 20 000 places – mais c’était au temps de la primaire LR.

C’est le budget du renoncement. Les dépenses immobilières s’écroulent, avec une baisse de 43 % des crédits pour l’administration pénitentiaire et de 60 % pour ceux l’administration de la justice. Nous verrons comment la correction que vous souhaitez apporter tempérera ces évolutions.

Votre prédécesseur avait cherché à masquer sa procrastination et son incapacité à réaliser le plan de construction de 15 000 places de prison à grand renfort de communication. On a l’impression que vous ne le ferez peut-être pas, car cela ne correspond pas à vos convictions.

Comme l’a relevé le rapporteur pour avis, le PLF sonne aussi le glas de l’amélioration des moyens de sécurité active et passive dévolus à l’administration pénitentiaire. Et ce, alors même que le drame d’Incarville – qui aurait peut-être dû être évité – pèse dans l’esprit de chaque surveillant et que malheureusement les criminels courent toujours.

Les métiers du greffe restent dévalorisés et l’aide aux victimes stagne, alors que ces dernières sont de plus en plus nombreuses.

Notre groupe avait proposé un contre-budget qui rendait du pouvoir d’achat aux Français, réalisait des économies structurelles et, surtout, qui laissait intacte la LOPJ. Nos amendements ont pour but de faire correspondre le budget de la justice à cette dernière. Nous verrons comment ils seront accueillis.

En l’état, nous voterons contre les crédits de cette mission.

M. Jean Terlier (EPR). Le budget de la justice pour 2025 devait s’inscrire dans une augmentation historique de plus de 40 % des crédits depuis 2017, conformément à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027 adoptée il y a un an. Il s’agissait de mettre en place une politique ambitieuse pour le système judiciaire et de le doter de moyens inédits, adaptés à de multiples enjeux. Le recrutement massif d’agents, notamment de 1 500 magistrats, de 1 800 greffiers et d’attachés de justice ; la revalorisation des métiers, en particulier de magistrat, de surveillant pénitentiaire et de greffier ; le déploiement d’une stratégie de transition numérique ; la création de nouvelles places de prison, tout cela avait fait naître la perspective d’un appareil judiciaire plus efficace et armé pour pleinement réussir sa mission… à condition que le budget du ministère augmente progressivement jusqu’en 2027.

Pour 2025, le compte n’y était pas : la version initiale du PLF prévoyait 10,24 milliards de crédits pour la mission Justice, hors contribution au compte d’affectation spéciale (CAS). Lors de votre première audition par notre commission, vous aviez fait part de votre préoccupation face à ce premier scénario. Les membres de notre groupe la partageaient, car la matérialisation de l’effort historique prévu est aussi vitale pour la confiance entre l’institution judiciaire et le citoyen qu’attendue par l’ensemble des acteurs de terrain.

Les arbitrages de ces derniers jours ont permis de rectifier le tir et de trouver un meilleur compromis entre, d’une part, une exigence budgétaire particulière pour 2025 et, d’autre part, la nécessaire poursuite des efforts et le respect des engagements pris à l’occasion de la loi de programmation. Le Gouvernement s’est engagé à doter la justice de 250 millions supplémentaires. Les députés du groupe Ensemble pour la République saluent cet ajustement indispensable et seront particulièrement attentifs aux suites données à ces annonces.

Parmi les grandes réformes et les engagements forts pris par l’exécutif figure en premier lieu le recrutement massif et attendu de personnels de justice. Il doit conduire à une augmentation de plus de 20 % des effectifs – par exemple, dans un tribunal judiciaire comme celui de Castres.

La création de 15 000 nouvelles places de prison à l’horizon 2027 constitue la promesse d’une administration pénitentiaire plus forte, de conditions de travail améliorées et d’une meilleure lutte contre la surpopulation carcérale. Nous avons tous parfaitement conscience des difficultés de construction de ces places. Chacun souhaite plus de places de prison, mais rarement à côté de chez soi…

Pour pallier ces difficultés d’exécution, nous avons prévu dans la LOPJ que la Chancellerie puisse déplacer un programme de construction enlisé vers un territoire plus accueillant. J’avais pris l’initiative de l’amendement adopté en ce sens notamment pour pouvoir aboutir à la création d’une prison dans le sud du Tarn.

Dans le contexte budgétaire singulier que nous connaissons – et qui pourrait bien perdurer les prochaines années –, pensez-vous que l’objectif de création de nouvelles places de prison demeure réaliste ? Les crédits supplémentaires en faveur de la mission Justice vont-ils constituer un apport décisif ?

La mise en place de la réforme du code de la justice pénale des mineurs a donné des premiers résultats encourageants, avec notamment un raccourcissement des procédures. Un mineur est désormais jugé en moyenne en huit mois, contre dix-huit mois avant 2021. La réponse pénale en sort renforcée. Pensez-vous que le contexte budgétaire actuel serait de nature à remettre en cause la réussite de cette réforme ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Le budget alloué à la justice est à l’image du budget de l’État dans son intégralité : l’œuvre d’une droite répressive et proche des attentes de l’extrême droite, qui se consacre essentiellement au volet carcéral et sécuritaire, bien loin de combler le déficit humain, matériel et financier dont souffrent ce service public et ses usagers.

Le Gouvernement nous vend 400 millions d’augmentations pour la justice, mais la réalité est tout autre. Avec l’inflation de 2 %, cette progression est ramenée à 55 millions, ce qui ne permet même pas de rattraper les 330 millions annulés en février 2024. Cette dernière coupe budgétaire, opérée sans aucune consultation des professionnels, a de lourdes conséquences pour tous les travailleurs de la justice, et le principal perdant est le justiciable.

En réalité, la totalité des programmes de la mission Justice s’inscrit dans une ligne politique austéritaire et subit des coupes budgétaires. Les seules minces augmentations sont consacrées à l’ouverture de nouveaux centres pénitentiaires et de centres éducatifs fermés. Pourtant, l’urgence est d’investir dans la formation, le recrutement et l’accompagnement. Mais votre gouvernement préfère le tout-sécuritaire, au détriment de l’humain et des conditions de travail des professionnels, mais aussi au détriment des moyens pour l’instruction et la résolution des affaires.

S’agissant des recrutements, ce budget ne respecte même pas le minimum que le Gouvernement avait lui-même prévu dans la LOPJ. Alors que 600 postes de magistrats et de greffiers devaient être créés chaque année – ce qui était déjà insuffisant –, ce budget n’en prévoit plus que 270. Ce n’est qu’une goutte d’eau pour un secteur déjà au bord de l’implosion et cela nous maintient dans le bas du classement des pays européens au regard du nombre de magistrats : la moyenne européenne est de 22 magistrats pour 100 000 habitants mais nous n’en sommes qu’à 11 pour 100 000.

C’est encore pire pour les recrutements dans l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Aucun schéma d’emploi n’est prévu, alors que ces secteurs vivent une crise sans précédent et que la PJJ a déjà subi cet été la suppression de 500 postes.

Voici un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler le budget de la justice pour l’année 2025, dans la continuité des politiques qui ont mené à la situation alarmante que l’on connaît. Ce budget dégrade encore davantage les conditions de travail des agents et la qualité du service rendu aux usagers – qu’il s’agisse des justiciables, des mineurs en état de grande vulnérabilité, des personnes détenues ou des victimes de VSS.

Nous pouvons faire autrement, en votant les amendements qui ont été adoptés par la commission des finances la semaine dernière, et qui ont permis d’aboutir à un budget en rupture totale avec l’austérité imposée depuis des années. Libre à chacun de voter en son âme et conscience, tout en sachant que ces votes nous engagerons face aux professionnels qui luttent chaque jour dans nos circonscriptions pour faire tenir debout un service public au bord de l’implosion.

Comme notre groupe l’a déjà fait en commission des finances, nous proposerons de nouveau ce que nous considérons être le minimum indispensable pour permettre à la justice de fonctionner : recrutement de 2 143 magistrats, de 1 772 greffiers, de 500 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation et de 500 agents pour la PJJ ; augmentation de l’aide juridictionnelle, pour que chaque justiciable puisse faire valoir ses droits sans conditions de ressources ; expérimentation de la régulation carcérale pour lutter contre une surpopulation qui a valu plusieurs fois à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ; mise en place d’un plan de formation des magistrats pour lutter contre les discriminations, le racisme et l’antisémitisme ; renforcement de l’aide juridictionnelle pour les victimes de VSS ; augmentation du budget alloué aux téléphones grave danger ; ouverture d’un nouveau centre ouvert pour les détenues et création d’un fonds pour améliorer leurs conditions de détention ; enfin, placement de la police judiciaire sous l’autorité du ministre de la justice, afin de renforcer cette police et de la recentrer sur le travail d’enquête en lien direct avec la justice.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés regrette l’infléchissement de la trajectoire budgétaire de la justice, alors que ses besoins vont croissant. Une justice de qualité qui respecte des délais raisonnables ne peut être rendue sans moyens financiers. L’effet yo-yo de la régulation budgétaire fragilise totalement les juridictions en bloquant leurs projets.

Le recrutement d’attachés de justice, qui était tellement attendu dans les juridictions, est égal à zéro. C’est vraiment difficilement acceptable, car leur rôle est essentiel dans l’équipe qu’ils forment avec les magistrats et les greffiers.

S’agissant des délais, nous ne sommes pas dupes non plus de chiffres en trompe-l’œil qui englobent tout et ne veulent finalement plus rien dire. Nous restons toujours parmi les plus mauvais élèves d’Europe en matière de justice, derrière l’Espagne et l’Italie, et la durée de traitement des affaires est trop longue. Sur ce point, on parle toujours du pénal mais les délais de jugement exagérés dans les affaires civiles et sociales contribuent largement au discrédit de la justice. À Lyon, il faut attendre dix-huit mois pour obtenir une décision du juge aux affaires familiales (JAF) et quatre ans pour que le caractère irrégulier d’un licenciement soit reconnu par la chambre sociale de la cour d’appel. Il s’agit pourtant du contentieux du quotidien, moins visible et dont on parle rarement, mais qui concerne les enfants et l’organisation de la vie de nos concitoyens. Les juges pour enfants ont aussi beaucoup de mal à suivre les mesures d’assistance éducative en milieu ouvert, alors que la question éducative est essentielle.

Pendant les auditions, des magistrats nous ont alertés sur les stocks très volumineux d’affaires pendantes devant les cours d’assises et les cours criminelles départementales. Ces retards ont de lourdes conséquences : les victimes sont furieuses, car il est inacceptable de devoir attendre aussi longtemps et, plus grave encore, des personnes en détention provisoire vont devoir être libérées avant leur procès pour respecter les délais prévus par le code de procédure pénale à peine de nullité. Résorber ces stocks est donc une priorité.

Les frais de justice vont certes augmenter, mais ils sont absorbés à hauteur de 92 % par la justice pénale. Ils sont certes indispensables à la manifestation de la vérité, mais sont aussi nécessaires à une justice de qualité en matière civile, car ils permettent une approche à la fois scientifique et humaine.

Par ailleurs, nous déplorons le choix politique incohérent du Gouvernement qui consiste à diminuer les crédits en faveur des associations locales de médiation familiale, alors même que le législateur favorise depuis des années le recours à cette dernière afin de réduire le phénomène de judiciarisation.

Cette politique consistant à faire un pas en avant, deux pas en arrière est délétère, car elle génère une souffrance au travail pour les personnels de justice. Or on sait qu’il existe un véritable problème de recrutement des greffiers.

Enfin, je vous alerte encore une fois au sujet de la surpopulation carcérale. Ce n’est pas un syndicat qui tire la sonnette d’alarme, c’est un haut fonctionnaire de l’administration pénitentiaire – c’est un comble – qui implore les chefs de juridiction de ne plus envoyer de personnes en détention. Les personnels de l’administration pénitentiaire craquent et la prison ne joue plus son rôle.

M. Philippe Gosselin (DR). Ce budget pour 2025 aurait normalement dû suivre la feuille de route claire adoptée avec la loi d’orientation et de programmation du 20 novembre 2023, il y a moins d’un an. Cette programmation avait été patiemment discutée, parfois triturée, mais en tout cas élaborée avec l’intention sincère de sortir la justice de la voie de la clochardisation, pour reprendre une expression chère à un ancien garde des sceaux et ancien président de cette commission.

Autant dire, monsieur le ministre, que le compte n’y est pas, malgré votre bonne volonté. Et il n’y sera toujours pas malgré l’amendement du Gouvernement proposant 250 millions supplémentaires, car cela ne représente qu’environ la moitié de la somme nécessaire.

Comme beaucoup de collègues, notre groupe est notamment inquiet s’agissant des créations de postes. Vous avez raison d’essayer de nous rassurer, mais les objectifs fixés en 2023 seront très difficiles à atteindre. On peut même dire qu’ils resteront inaccessibles, car ce qui n’aura pas été fait en 2025 ne pourra pas nécessairement l’être en 2026. Comme il n’y a pas de schéma d’emplois, il est difficile d’y voir clair. Il y aura peu de nouveaux postes de magistrats par rapport à ce qui était attendu. Il est prévu de créer 349 postes dans l’administration pénitentiaire mais ils répondent aux besoins liés à l’ouverture de nouveaux établissements. Je me réjouis certes de celle-ci, mais les moyens ne sont pas à la hauteur des attentes.

En matière d’investissement, les AE connaissent une chute de 30 % – qui aurait pu même atteindre 50 % si l’on se réfère au projet initial. En tout cas, on est bien loin du milliard de crédits de l’an passé. Les CP sont, quant à eux, quasiment stables.

Tout cela augure mal du plan 15 000 plus 3 000 places, une addition qui résulte d’un savant équilibre trouvé dans la LOPJ. Comment le ministère peut-il s’engager à respecter le calendrier de construction des nouveaux établissements, sachant qu’il y a deux ans déjà, un rapport d’information de Patrick Hetzel montrait qu’on était très loin du compte, avec seulement 2 700 places construites ? On voit donc mal comment l’objectif de 18 000 places pourrait être atteint. Où en est-on, en pratique, avec les collectivités concernées ?

L’aide juridictionnelle (AJ) a tendance à stagner et ne prend pas en compte les procès hors normes. Où en est le décret prévoyant de revaloriser l’AJ ?

Les délais d’instruction et de jugement sont encore beaucoup trop longs.

Enfin, pourriez-vous dresser un bilan du déploiement des TGD ?

M. Pouria Amirshahi (EcoS). La justice, par sa qualité et les moyens dont elle dispose, incarne l’ambition que notre pays nourrit pour lui-même. En accomplissant sa mission, elle dissipe les germes et les termes de la violence et apaise notre société. Service public par excellence, elle doit impérativement réussir, et en premier lieu pour trancher des questions du quotidien, telles que les séparations, la garde des enfants et, parfois, les violences faites par les autres ou à soi-même.

Mais la justice est à bout de souffle. Lors des états généraux de 2022, elle a été diagnostiquée en état de délabrement avancé et n’ayant plus les moyens de remplir son rôle. En 2023, avec la loi d’orientation et de programmation, et malgré une modeste augmentation des crédits de fonctionnement, le précédent gouvernement a choisi d’enfoncer le pays dans la logique du tout carcéral. Notre groupe a toujours considéré celle-ci comme une impasse et s’est opposé dès le départ à cette orientation, qui ignore la souffrance des professionnels, ajoute parfois à celle des victimes, ne prépare pas les condamnés à sortir de prison dans de bonnes conditions, et ne résout aucun des problèmes structurels.

Le PLF pour 2025 – heureusement très largement corrigé en commission des finances grâce aux amendements des groupes du Nouveau Front populaire – a confirmé que le Gouvernement renonçait aux ambitions qui avaient été fixées. Les CP alloués à la mission Justice pour 2025 sont fixés à 10,24 milliards, hors CAS, par le PLF initialement déposé, soit une augmentation de seulement 1,1 % par rapport à 2024. Quant aux ambitions en matière de créations de postes, elles ont été drastiquement réduites. Il est difficile de comprendre une telle politique après les déclarations qui avaient accompagné le vote de la loi de programmation.

Cette orientation budgétaire n’est pas acceptable, car elle a pour conséquence directe de briser des parcours de vie. Tout commence dès l’enfance, avec des jeunes fragilisés par des carences et par le fait qu’ils ne peuvent pas bénéficier d’un accompagnement adéquat, en particulier par la PJJ, faute de moyens et d’effectifs d’éducateurs, de psychologues et d’assistants sociaux. Tout cela renforce les risques de comportements délinquants.

C’est une justice industrielle qui les attend, avec 60 000 comparutions immédiates chaque année. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté, auditionnée par notre commission, a ainsi dit : « […] on juge des gens dont on ne sait pas grand-chose, dans des conditions assez lamentables qui ne permettent ni à l’avocat de travailler, ni au prévenu de se défendre, ni au magistrat de rendre des jugements appropriés. »

L’obsession sécuritaire et le tout carcéral se traduisent par une justice à la fois trop lente et expéditive Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons d’une justice républicaine. Comment parvenir à des décisions justes lorsque celles-ci sont prises par des professionnels épuisés par le rythme frénétique qui leur est imposé. Cette justice-là, caractérisée par une politique du chiffre et une précarisation des métiers, ne respecte personne – ni les victimes, ni les prévenus, ni les professionnels.

Nos prisons deviennent trop souvent l’école du crime. Elles alimentent une spirale de la récidive, qui est largement due au sous-investissement des pouvoirs publics à l’égard des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), chargés de la mission essentielle de lutter contre la récidive. Les efforts avaient permis de renforcer leurs effectifs mais on voit bien que l’on tourne de nouveau le dos à cette ambition.

Et pourtant, une autre voie est possible. Nous l’avons montré lors des débats, en augmentant les crédits que votre gouvernement avait refusé d’accorder à la justice. Qu’il s’agisse de magistrats, de greffiers et des Spip, nous avons voulu doter la justice de moyens conséquents et d’un fonctionnement digne d’un État de droit.

J’espère, monsieur le ministre, que vous saurez les défendre. Je le dis d’autant plus que les conditions d’examen de ce budget sont totalement aberrantes, avec une commission des finances qui décide en amont de la commission des lois des moyens qui doivent être affectés au ministère. Ce n’est tout simplement pas admissible.

M. Philippe Latombe (Dem). Lors de votre première audition, vous aviez souligné à juste titre qu’il était de notre responsabilité de lutter contre la défiance grandissante à l’égard des institutions en général et de la justice en particulier. Renouer le lien de confiance entre les Français et la belle institution que vous dirigez n’est pas chose aisée, à plus forte raison dans un contexte budgétaire contraint.

Ce contexte vous a valu d’être confronté à un chemin escarpé dès votre prise de fonction. La mission Justice a de fait été amputée d’une partie substantielle de son budget par le décret d’annulation de février dernier, avec une baisse des crédits de 327,9 millions en AE comme en CP, soit respectivement 2,3 % et 2,7 % des crédits de la mission pour 2024.

Avec un PLF pour 2025 présentant des crédits à hauteur d’environ 10 milliards, force est de constater que le compte n’y est pas au regard de la trajectoire fixée par la loi de programmation. L’enveloppe initiale est une source de déception.

Tout d’abord, il est évident que le niveau des crédits ne permet pas de respecter les engagements pris dans l’article 1er de la LOPJ, qui prévoyait 10,68 milliards en 2025. Avec 10,24 milliards de CP prévus dans le PLF, la différence est de 440 millions.

De la même façon, le programme Administration pénitentiaire – qui représente tout de même 42 % de la mission – est marqué par une très forte diminution des AE, de l’ordre de 2,1 milliards. Cette baisse conduit à s’interroger sur la capacité à respecter les objectifs fixés par le plan 15 000 places à l’horizon 2027. Toutefois, nous sommes satisfaits que ce budget permette d’accompagner la hausse des effectifs de l’administration pénitentiaire, nécessaire pour ouvrir les nouveaux établissements et pour le bien-être des agents. En effet, le taux d’occupation des établissements continue de s’accroître. La population carcérale a atteint en septembre un nouveau record avec 78 969 détenus pour 62 000 places, ce qui porte la densité carcérale à 127,3 %. Il est par conséquent impératif que les délais du plan 15 000 places soient tenus.

Autre déception, une telle baisse du budget ne permet en aucun cas d’assurer une justice plus proche, plus protectrice et plus rapide. La justice ne peut pas être plus rapide si nous ne respectons pas l’engagement de financer 10 000 postes supplémentaires. Elle ne peut pas être plus proche et protectrice si nous ne poursuivons pas les investissements et la modernisation tant attendus.

Mais nous croyons que vous avez pris la mesure de ces difficultés. En témoigne l’amendement que vous proposez et que nous soutenons. Nous espérons qu’il permettra de recruter davantage, afin de respecter les cibles de créations d’emplois prévues pour 2027, tout en poursuivant un développement numérique qui soit à la hauteur des besoins des acteurs du judiciaire. Surtout, nous appelons de nos vœux une augmentation du budget qui permette à notre système judiciaire d’être moins étrillé par de multiples rapports internationaux.

Fidèle à sa ligne, notre groupe sera en tout état de cause vigilant s’agissant de l’enveloppe globale de la mission à l’issue des débats.

Si l’on ne peut pas vous attribuer la paternité de la baisse de budget alloué à la justice, nous espérons que votre constante mobilisation permettra à ce budget d’honorer nos engagements.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je ne voterai pas votre budget pour la justice.

Je ne peux pas voter un budget qui nous ramènerait plusieurs années en arrière. Au sein de mon groupe, nous sommes tout à fait conscients de l’urgence budgétaire et de la nécessité de redresser les comptes publics, mais pas sur le dos de l’institution judiciaire. La justice est à l’os et il n’y a plus rien à raboter.

Sur 1 000 euros d’argent public, 6 euros seulement servent à financer la justice. Et l’on en était à 4 euros avant la LOPJ votée en novembre 2023 – c’est dire si l’on revient de très loin. Par comparaison, les dépenses en matière de sécurité représentent 25 euros, la défense 31 euros, la santé 208 euros et les retraites 248 euros. La justice a le plus petit budget et le PLF propose de réduire encore ce presque rien.

Nous pensions avoir définitivement tourné la page du sous-investissement grâce à l’ambition budgétaire d’Éric Dupond-Moretti et aux crédits historiques qui avaient été programmés jusqu’en 2027. Ils devaient permettre de revaloriser les agents, de réhabiliter tribunaux et prisons mais aussi d’étoffer les équipes de magistrats. Tout cela n’était d’ailleurs qu’un début de rattrapage tant la justice est appauvrie. Et rappelons-nous que, pour y arriver, il avait fallu solliciter tout l’écosystème judiciaire pendant des mois, après les travaux menés par les états généraux de la justice.

Allons-nous défaire ce qui allait dans le bon sens, refaire de la justice le parent pauvre des lois de finances ? Il faut régler la question des moyens, même si ce n’est pas la panacée. Sans les moyens prévus, les juridictions n’auront pas de perspective pour sortir de la crise où elles se trouvent, de l’aveu même des procureurs et des présidents de tribunaux et de cours. Des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales ne verront pas le jour, le contentieux social explosera et il sera impossible de répondre aux urgences, notamment en matière pénale. Dans les prisons, le manque de places perdurera, avec des taux d’occupation qui atteignent 150 % et jusqu’à plus de 200 % dans certaines maisons d’arrêt. D’autres priorités pourraient être sacrifiées, comme les recrutements, l’immobilier judiciaire ou le numérique.

Personne ne peut se satisfaire de cette situation ; je ne m’en satisfais pas. La justice n’est pas n’importe quel service public ; elle est l’ultime recours, la richesse de ceux qui n’en ont pas pour trouver un peu d’ordre et d’équilibre. Comme le disait Portalis, la justice est la première dette de la souveraineté. Nous devons tout faire pour honorer cette dette, dans les discours comme dans les actes, en donnant à l’institution judiciaire les moyens d’agir pour espérer rétablir un peu de confiance chez nos concitoyens.

Avec 6 euros, on ne peut pas faire de miracle. Avec moins de 6 euros, il sera difficile de faire croire que la lutte contre la criminalité organisée, contre le narcotrafic, contre les violences intrafamiliales et les autres missions qui s’ajoutent sans cesse seront érigées au rang de priorité. On ne peut pas faire plus de justice avec moins, quand bien même tous ceux qui concourent à l’œuvre de justice font montre d’un engagement constant – il faut les en remercier.

Si, à l’issue de nos débats, le compte n’y est pas – il manque 250 millions – nous ne voterons pas ce budget.

Mme Martine Froger (LIOT). Notre groupe est réservé sur le budget de la justice. Certes, les choses se présentent mieux que lors de votre première audition devant notre commission, puisque vous avez réussi à négocier une amélioration de 250 millions, mais la trajectoire fixée par la LOPJ n’est toujours pas respectée. Ce recul budgétaire envoie un mauvais signal et semble difficilement compatible avec la promesse faite par votre prédécesseur de sortir le service public de la justice de son état de délabrement. Notre justice reste dans une logique de rattrapage. En dépit de la baisse des crédits, la hausse des effectifs de magistrats, de greffiers et du personnel pénitentiaire sera-t-elle conforme à la trajectoire de la LOPJ ?

Les agents des Spip, essentiels à la politique d’insertion, ont une nouvelle fois l’impression d’être les oubliés de la pénitentiaire. Les créations de postes pour 2025 restent insuffisantes. Elles ne tiennent compte ni du manque actuel d’agents – environ 455 personnes, soit 7 % du total des effectifs – ni des conditions de travail qui se dégradent et de la charge de travail qui augmente au fur et à mesure que le nombre de détenus progresse. On ne peut pas défendre une politique de prévention de la délinquance, de sécurité publique et d’insertion tout en rabotant ses moyens.

Notre groupe s’inquiète des conditions indignes de détention. Le taux moyen d’occupation est de 150 % dans les maisons d’arrêt – il est de 220 % chez moi, en Ariège – et 3 600 détenus sont contraints de dormir sur un matelas posé à même le sol. Le bleu budgétaire prévoit une cible d’occupation de 164 % en 2025. Que proposez-vous face à cette situation d’urgence ? Le plan 15 000 places de prison, connaît chaque année des retards importants. Il ne permettra pas de résorber la surpopulation carcérale. Notre groupe appelle à sortir de cette logique immobilière qui, au fil des années, n’affiche que des résultats médiocres. Nous demandons le lancement et le financement d’une véritable régulation carcérale dans tous les territoires et le renforcement de la prévention de la récidive par le recours aux peines alternatives, notamment le travail d’intérêt général et les placements à l’extérieur.

Quels sont les moyens déployés pour accompagner les agents pénitentiaires, qui sont épuisés par leurs conditions de travail et par les agressions, qui sont en augmentation ? La LOPJ a prévu le recrutement de contractuels adjoints pour aider les surveillants, mais les documents budgétaires ne contiennent aucune information à ce sujet. Où en est ce projet ?

Mme Elsa Faucillon (GDR). Monsieur le ministre, le 8 octobre dernier vous annonciez devant notre commission que l’enveloppe prévue pour votre ministère ne répondrait ni aux besoins ni aux engagements. On peut vous reconnaître cette franchise.

Je suis d’accord avec vous, ce budget n’est pas à la hauteur. Il ne respecte pas les objectifs de la LOPJ alors même qu’elle est déjà insuffisante pour rattraper le retard accumulé après trente ans d’abandon de la justice. Les auteurs du rapport des états généraux de la justice du 8 juillet 2002 font ainsi part d’« un sentiment de désespoir, voire de honte, qui domine face au manque de moyens humains et matériels, d’appuis techniques efficaces et cohérents, face aussi aux réformes incessantes et à l’impossibilité de bien remplir sa mission […]. »

À l’occasion des discussions budgétaires, nous avons dénoncé à maintes reprises la défaillance du service public de la justice – les exemples dans nos circonscriptions ne manquent pas. L’accumulation des textes législatifs a complexifié inutilement le système judiciaire et a accru la tâche des professionnels au détriment du justiciable. Le procureur François Molins a souligné qu’aucun autre corps n’a dû faire face à autant de réformes et d’inflation de normes en vingt ans. Cet empilement de réformes, dans lequel nous avons notre responsabilité, témoigne d’une vision court-termiste des gouvernements et d’une volonté de répondre en urgence par la communication, sans véritable concertation. De nombreuses propositions phares des états généraux de la justice n’ont d’ailleurs pas été reprises. Ce constat d’abandon laisse les travailleurs et travailleuses de ce secteur en souffrance, faute de création de postes. Alors que 1 500 magistrats et 1 800 greffiers devaient renforcer les effectifs à l’horizon 2027 et 1 100 attachés de justice devaient être recrutés sur la période 2023-2025, le budget 2025 ne prévoit que 270 ETP.

Les orientations budgétaires ne permettront pas de lutter contre la récidive et n’auront pas d’effet sur l’explosion de la surpopulation carcérale – 80 000 personnes sont détenues dans les prisons françaises. De façon regrettable, la priorité du Gouvernement, comme celle de nombreux autres avant lui, demeure la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. L’enfermement reste encore et toujours la peine de référence. En 2025, l’administration pénitentiaire prévoit que la dette accumulée pour la construction de nouvelles places de prison s’élèvera à près de 5,4 milliards d’euros. Pourtant, l’augmentation du nombre de places de prison n’a jamais résolu le problème de la surpopulation carcérale et n’est pas utile pour lutter contre la récidive. À l’opposé de ces choix, nous soutenons une politique de développement des peines alternatives, comme le placement à l’extérieur, accompagnée d’un mécanisme de régulation carcérale. Une telle politique fait consensus dans l’ensemble du secteur.

Mme Brigitte Barèges (UDR). Je me réjouis que vous ayez réussi à récupérer 250 millions sur le demi-milliard qui vous a été enlevé, mais cette victoire est aussi une défaite, puisque cela fait aussi 250 millions en moins. Vous avez annoncé vouloir faire des économies sur le plan « prison ». Je suis stupéfaite que la construction de 18 000 places supplémentaires – avec les 3 000 places ajoutées à l’objectif initial par l’amendement Ciotti – soit à nouveau repoussée, mais je suis en même temps ravie de voir que l’ensemble des groupes a regretté ce retard.

Le programme dédié à l’administration pénitentiaire prévoit des dépenses de sécurisation active, comme les caméras-piétons, mais aussi de sécurisation passive, comme les dispositifs de détection et de neutralisation des communications illicites. Les services de renseignement s’inquiètent face à la tentative d’institutionnalisation du narcotrafic qui, s’inspirant des mafias d’Amérique latine, cherche à infiltrer les centres pénitentiaires en présentant massivement des candidats aux concours de gardien de prison. Comment se fait-il que seulement 20 établissements pénitentiaires sur 136 sont couverts par un dispositif de brouillage, sachant qu’une partie du trafic est gérée depuis l’intérieur des prisons ? Comment se fait-il que, dépassés par la surpopulation carcérale, les surveillants soient forcés de tolérer la vente et la consommation de drogues, comme l’a révélé Le Figaro dans une enquête sur la prison de Bordeaux-Gradignan ? Que comptez-vous faire face à l’ampleur de ces tentatives d’infiltration avec votre maigre budget ?

Face à ces attentes, ces désillusions et ces questions, notre groupe se voit dans la désolante obligation de voter contre le budget de la justice.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Jordan Guitton (RN). Vous avez finalement obtenu que le budget de la justice ne baisse que de 250 millions et n’avez donc pas quitté vos fonctions. Mais il ne peut y avoir de volonté politique sans budget ; or le budget n’est pas là. Vous avez donc choisi de rééchelonner les créations de 15 000 places de prison supplémentaires, que nous avions votées à une large majorité. Ce projet est pourtant essentiel à la réussite du système judiciaire car il existe un lien entre le manque de places de prison et le laxisme judiciaire. Si les prisons sont pleines, ce n’est pas en raison d’une plus grande fermeté de la justice, mais de l’augmentation de la violence.

Quels projets ne seront pas réalisés à cause de la baisse de votre budget ? Comment le plan « prison » sera-t-il rééchelonné ? Serez-vous un ministre qui tient ses promesses ou, comme vos prédécesseurs, un ministre qui échoue ?

Mme Caroline Yadan (EPR). La justice restaurative apaise les tensions inhérentes au conflit judiciaire en permettant aux victimes de se reconstruire et aux auteurs de faits criminels ou délictueux de prendre conscience de la gravité de leurs actes. Au cours de la législature précédente, je me suis beaucoup mobilisée sur ce sujet, notamment en mettant en place un groupe de travail pour faire connaître le concept de justice restaurative, pour étudier son encadrement par la loi et pour élaborer des propositions visant à une meilleure intégration de la justice restaurative dans notre système judiciaire.

La justice restaurative ouvre la voie à une justice plus humaine, qui encourage la compréhension mutuelle et la résilience de la communauté. À l’heure où la violence verbale, symbolique et physique est devenue un mode d’expression courant dans notre société, il est essentiel d’apaiser les esprits et de retrouver les moyens de dialoguer, d’entendre, de comprendre et de se confronter, c’est-à-dire de communiquer, pour aboutir à des échanges pacifiés. C’est en favorisant le dialogue et en redonnant une place centrale à la parole des victimes que nous pourrons bâtir un système judiciaire plus juste et plus harmonieux.

Quelles sont vos pistes pour uniformiser l’offre de justice restaurative sur le territoire, développer sa pratique et mieux sensibiliser les acteurs concernés ?

Mme Marie-France Lorho (RN). La plateforme Pharos, qui lutte contre la cybercriminalité, croule sous les signalements. Selon un récent rapport de l’administration et des syndicats de police, le nombre de signalements est passé de 4 000 par semaine à 1 000 par jour alors qu’il n’y aurait que quarante-neuf agents pour gérer ce flux. Les moyens matériels aussi sont insuffisants, avec notamment des ordinateurs connectés à l’ADSL plutôt qu’à la fibre optique.

Au premier semestre 2023, les atteintes sur mineur constituaient 12,7 % des signalements adressés à Pharos, dont la mission apparaît donc comme complémentaire à celle de la PJJ. Est-il possible d’augmenter les moyens alloués à Pharos au sein du programme 182, Protection judiciaire de la jeunesse ?

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’aimerais avoir des précisions sur le montant réel du gel budgétaire pour 2024 ainsi que pour 2025. Les 250 millions que vous avez obtenus représentent-ils une diminution du gel des crédits pour 2024 ou une moindre diminution du budget prévu pour 2025 ? En tout cas, ils ne me semblent pas suffisants pour rester sur la trajectoire de la LOPJ.

Que prévoyez-vous pour agir sur la surpopulation carcérale ? Il est essentiel d’avancer sur la régulation.

Mme Pascale Bordes (RN). Les chiffres de la commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) révèlent la réalité de la justice pénale dans notre pays : comparé à la moyenne européenne, la France compte 11 juges contre 17 pour 100 000 habitants et 3 procureurs contre 11 pour 100 000 habitants, chacun de ces derniers ayant à traiter 2 027 affaires en première instance contre 204.

De leur côté, les chefs de juridiction ont lancé un véritable cri d’alarme lors de leur audition par la rapporteure pour avis. Ils ont dénoncé le manque de moyens pour juger, y compris en matière criminelle où certaines affaires sont jugées dix ans après les faits ; le manque de locaux ; l’impossibilité de payer les prestataires depuis le mois d’octobre. Au 1er juin 2024, les 1 647 magistrats du parquet de première instance devaient traiter plus de 3,5 millions de procédures entrantes, en plus de celles déjà en stock, sans compter les 3,5 millions de procédures encalminées dans les placards des commissariats et des gendarmeries.

Que comptez-vous faire pour sortir la justice de l’ornière ? Allez-vous en faire une grande cause nationale pour que nos concitoyens retrouvent confiance en cette institution ?

M. Éric Pauget (DR). L’exigence d’effectivité réelle des sanctions doit s’appliquer aux consommateurs de drogues, qui alimentent les trafics. Il faut donc réduire le volume inerte de peines jamais exécutées. L’encellulement individuel des consommateurs condamnés au sein des maisons d’arrêt n’est toutefois pas adapté à leur niveau de risque.

Alors que le plan « prison » connaît des retards, une nouvelle organisation pénitentiaire semi-fermée pourrait être une solution. La transformation de bâtiments publics désaffectés pourrait permettre de créer des établissements accueillants les primo-condamnés et les condamnés à de courtes peines.

Êtes-vous favorable, comme Michel Barnier, à l’augmentation de peines courtes pour ces condamnés, notamment les consommateurs de stupéfiants, et à leur exécution dans ces prisons d’un genre nouveau ?

Mme Sophie Blanc (RN). Entre surpopulation, trafic de drogue et radicalisation croissante, le personnel pénitentiaire de la prison de Perpignan fait face à une intensification alarmante des incidents, qui sont de plus en plus violents et fréquents. Dans le cadre du plan « prison », doit être construit à Rivesaltes un centre de détention de 515 places pour désengorger la région ; la décision récente de rééchelonner le plan remet en question cet engagement initial. Ce report ne risque-t-il pas de saper la confiance du personnel pénitentiaire et des citoyens dans le ministère de la justice ?

Les agents, sous pression constante, sont contraints de travailler dans un climat explosif, qui compromet chaque jour davantage leur sécurité ainsi que celle des détenus. En cas de report des crédits d’investissement, que prévoyez-vous pour honorer les engagements du plan « prison » ?

Est-il envisageable de réévaluer les priorités budgétaires en faveur des établissements en situation critique pour y assurer la sécurité des agents, renforcer la lutte contre la radicalisation et garantir des conditions de détention acceptables ?

M. Jean Moulliere (HOR). La violence liée au trafic de stupéfiants est un fléau qui fait chaque année de plus en plus de victimes, directes et indirectes. Le Nord, comme d’autres départements frontaliers, est particulièrement touché. Il est urgent de trouver des solutions durables, justes et fortes car les conséquences pour notre société sont graves : la santé de nos jeunes est lourdement affectée et le sentiment d’insécurité se renforce.

Tous nos concitoyens sont concernés et pas seulement ceux des quartiers de banlieue puisque les centres-villes sont maintenant touchés par cette guérilla urbaine. La mise en péril de nos jeunes, happés par les réseaux de trafiquants, rend cette situation d’autant plus urgente à résoudre. En tant que responsables politiques, nous ne pouvons nous résoudre à compter les morts. Nous avons besoin de nouvelles solutions pour renforcer la lutte contre des trafiquants qui sont de plus en plus organisés et qui adaptent leurs méthodes pour contourner habilement la loi et anticiper les réglementations.

Je connais votre implication dans la question des repentis aux côtés du président Marcangeli, mais, plus largement, quelles mesures concrètes et adaptées envisagez-vous pour intensifier la lutte contre le narcotrafic sur l’ensemble du territoire ?

Mme Monique Griseti (RN). Les mineurs, qui commettaient des actes relevant plus de l’erreur de jugement et de l’immaturité, font aujourd’hui partie d’une criminalité organisée qui gangrène notre société et prennent part à des assassinats pour le compte du narcobanditisme. À Marseille, selon un rapport de la Cour des comptes, 26 % des mis en cause pour faits de délinquance sur la voie publique sont mineurs. Les Marseillais, et les Français en général, attendent une réponse ferme pour protéger les mineurs et être protégés des pires agissements de ces derniers.

Le PLF 2025 prévoit d’augmenter de 1,3 % les sommes allouées à la mise en œuvre des décisions de justice concernant les mineurs ; encore faudrait-il que les décisions de justice soient prononcées et qu’elles soient adaptées à la gravité des crimes. Cette augmentation vous paraît-elle suffisante pour atteindre les objectifs de répression, pour préserver les mineurs et pour assurer que les peines complémentaires prévues par le code de la justice pénale des mineurs sont effectivement appliquées afin de ramener les mineurs délinquants dans le cadre républicain et civique ?

M. Hervé Saulignac (SOC). Sur France Info ce matin, vous avez déclaré qu’un parquet national chargé de lutter contre la criminalité organisée et le narcotrafic « peut tout à fait être une solution ».

Dans le contexte budgétaire actuel et face à la surcharge de travail des magistrats, cette déclaration pose question, d’autant que la création par la loi du 24 décembre 2020 d’un pôle régional environnemental dans le ressort des trente-six cours d’appel avait été prévue à moyens constants et donc sans création de postes de magistrats spécialisés. Comment envisagez-vous de financer ce nouveau parquet ?

Mme Émilie Bonnivard (DR). Le principal obstacle auquel se heurte le plan « prison » me semble davantage lié à la difficulté de trouver des sites et de lever les freins à la construction qu’à un problème de sous-financement. Envisagez-vous des mesures pour accélérer la réalisation de ce plan ? Parmi les pistes envisageables, la reconnaissance des places de prison dans la loi SRU ou la démarche Grand chantier pourraient faciliter l’acceptation par les collectivités de la construction de prisons. Une communication positive aiderait également : j’ai, dans ma circonscription, un centre pénitentiaire qui crée à la fois de l’emploi et d’autres externalités positives.

Pouvez-vous faire un point sur l’avancement du protocole décidé à la suite du drame d’Incarville pour mieux prendre en compte les demandes urgentes des personnels pénitentiaires pour assurer leur sécurité ? J’aimerais aussi vous entendre sur le déficit de communication entre le renseignement pénitentiaire et le renseignement judiciaire, qui est à la source de ce drame.

M. Didier Migaud, ministre. Je suis partagé : la justice est certes loin d’être réparée et le constat des états généraux de la justice reste d’actualité, mais on ne peut pas réparer en trois ou quatre ans trente ou quarante ans d’abandon de la part des gouvernements de tous bords qui se sont succédé.

Tout de même, le budget de la justice a augmenté de 53 % depuis 2017. On est encore loin de pouvoir répondre à tous les besoins, surtout quand on compare la France à d’autres pays européens comparables, mais peu de budgets ont connu une telle augmentation.

Sur les 487 millions de réduction initiale – et non 500 millions –, j’en ai récupéré 250 millions grâce à un arbitrage favorable du Premier ministre. Je n’aurais pas été en mesure de consommer davantage. Par exemple, je n’ai pas décidé de rééchelonner le programme de construction de prisons ; simplement, j’ai constaté l’impossibilité de réaliser certaines opérations, notamment du fait d’oppositions locales. Aidez-moi donc à convaincre les élus locaux ! Je suis certes favorable aux peines alternatives, mais il y a quand même besoin de nouveaux centres de détention.

Je compte utiliser ces 250 millions pour respecter tous les engagements pris, notamment le protocole Ségur et le protocole d’Incarville, pour augmenter les effectifs de magistrats, de personnels de greffe, de juristes assistants et de personnels pénitentiaires. Le respect de ces engagements était ma priorité et j’y suis parvenu aussi grâce aux députés, notamment ceux du bloc central. Je vous en remercie.

Je vous remercie aussi de vos encouragements car, en définitive, malgré les critiques, votre commission manifeste une certaine unanimité : tout le monde soutient la justice et souhaite qu’elle obtienne des crédits complémentaires !

Je tiens à vous rassurer quant aux priorités que vous avez évoquées.

Les crédits alloués à la lutte contre les violences intrafamiliales ont sensiblement augmenté ; dans toutes les juridictions, des moyens importants y sont consacrés. Mais il est vrai que si la priorité est donnée à ce type de contentieux, ce peut être au détriment des autres, compte tenu des moyens contraints de la justice. C’est la raison pour laquelle les effectifs supplémentaires sont attendus avec impatience.

En 2024, une annulation de crédits, à hauteur de 328 millions d’euros, est intervenue au mois de février, à laquelle s’est ajouté un gel de 297 millions, soit un total de 625 millions de crédits indisponibles. Au terme d’une bataille contre Bercy, 355 millions ont été dégelés, ce qui nous a finalement permis d’honorer nos factures de fin d’année et de ne pas commencer l’année prochaine avec un budget amputé de factures en souffrance.

Par ailleurs, nous avons obtenu 250 millions supplémentaires au titre du projet de budget pour 2025 auxquels s’ajoute une hausse de 100 millions par rapport à l’année précédente, soit une augmentation du budget de la justice de 358 millions. On peut considérer que ce n’est pas suffisant, mais cela me permet de tenir l’ensemble de nos engagements. Ma priorité était de respecter la parole de l’État.

S’agissant du programme pénitentiaire, nous ferons le point sur l’ensemble des réalisations susceptibles de déboucher en 2025. Mais, encore une fois, si certaines opérations ne se font pas, c’est en raison de l’opposition qu’elles suscitent dans la population et parmi les élus. C’est le cas, par exemple, du projet de Noiseau. Peut-être faut-il réfléchir à des formules qui incitent davantage les élus à accueillir ce type de structures. Je suis prêt à en discuter avec Catherine Vautrin et le ministre des comptes publics, car cela peut être une solution, même si elle ne sera sans doute pas efficace face à des oppositions de principe.

Par ailleurs, nous devons consentir des efforts pour sécuriser davantage nos prisons, dans l’intérêt des surveillants pénitentiaires et des détenus eux-mêmes. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour saluer l’ensemble des acteurs de la justice, notamment les personnels pénitentiaires, qui effectuent un travail remarquable. Il arrive que certains d’entre eux craquent ; nous ne pouvons que ressentir émotion et malaise face à de telles situations. C’est pourquoi nous avons signé avec les organisations syndicales des protocoles qui visent à améliorer la qualité de vie au travail. Nous sommes conscients des difficultés rencontrées par les magistrats, les personnels de greffe et les personnels pénitentiaires. Je sais, pour en être régulièrement informé en tant que garde des sceaux, qu’il se passe rarement plusieurs jours sans que des personnels pénitentiaires ou des magistrats soient bousculés ou menacés.

Il est profondément injuste que la justice soit critiquée comme elle l’est parfois, eu égard au travail remarquable qu’elle accomplit au quotidien en s’efforçant de répondre aux attentes de nos concitoyens. Plus de 2 millions de décisions de justice sont rendues chaque année – essentiellement en matière civile, du reste.

J’aurai l’occasion de proposer avec le ministre de l’intérieur, à Marseille, des réactions immédiates au fléau qu’est la criminalité organisée. Elle constitue une menace grandissante et gravissime, car elle recourt aux méthodes ultraviolentes des cartels sud-américains, lesquelles n’avaient pas cours jusqu’à présent dans notre pays. Je partage le sentiment du ministre de l’intérieur face à ce fléau. Nous devons donc faire en sorte que la justice soit mieux armée pour le combattre.

Nous allons donc proposer des mesures appropriées, dans l’attente de la présentation d’une proposition ou d’un projet de loi, car des mesures législatives seront nécessaires, que ce soit pour définir le statut du repenti ou pour réviser certaines procédures dont les avocats peuvent abuser, par exemple. Il convient également de favoriser l’échange d’informations : les services de renseignement doivent pouvoir être sollicités dans la lutte contre la criminalité organisée, qui dispose de moyens considérables, notamment pour corrompre certains de nos agents.

S’agissant de l’exécution des peines et de la régulation carcérale, je vais charger un groupe de travail rassemblant les acteurs de la justice de me proposer des mesures de nature à resserrer l’écart entre le prononcé d’une décision et son exécution, sachant que de telles mesures peuvent avoir des conséquences sur la population carcérale. La prison peut être une solution, mais elle ne l’est pas toujours pour certains délits. Le juge doit donc avoir à sa disposition une palette de sanctions. Il ne suffit pas de se dire favorable aux courtes peines ; il faut également prévoir les lieux d’enfermement où elles seront exécutées, surtout dans un contexte de surpopulation carcérale.

Les difficultés liées aux délais d’audiencement, évoquées par plusieurs d’entre vous, sont une autre de mes préoccupations. Nous allons étudier les moyens d’y remédier dans les tribunaux et les cours d’appel concernés, avec des effectifs supplémentaires et quelques renforts. Il nous faut, du reste, désencombrer la chaîne pénale en recourant à la déjudiciarisation ou à la dépénalisation, en trouvant un meilleur équilibre entre sanctions administratives et sanctions pénales. Ce sont de véritables défis qu’il nous faut relever, et je serai toujours à votre disposition pour les évoquer avec vous.

En conclusion, je tiens à ce que les moyens de la justice soient confortés et renforcés. Vos attentes et celles de nos concitoyens sont nombreuses ; je les prends en considération et, encore une fois, je suis sensible au soutien unanime que vous apportez à mon budget.

M. le président Florent Boudié. Merci pour cette touche d’humour, monsieur le ministre ! Je vous remercie pour vos réponses, je vais vous raccompagner et nous aborderons ensuite l’examen des crédits et les amendements.

La réunion est suspendue de dix-huit heures trente-cinq à dix-huit heures quarante-cinq.

*

*     *

Puis, la Commission examine pour avis les crédits de la mission « Justice » (Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis sur les crédits de la justice et accès au droit, M. Romain Baubry, rapporteur pour avis sur les crédits de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse).

Article 42 et état B : Crédits du budget général

Amendement II-CL495 de M. Florent Boudié

M. le président Florent Boudié. J’ai souhaité déposer cet amendement identique à celui que le Gouvernement déposera en séance publique afin que nous puissions en débattre. Il s’agit d’abonder les crédits de la mission Justice à hauteur de 249 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement, répartis entre les programmes Justice judiciaire, Administration pénitentiaire, Protection judiciaire de la jeunesse, Accès au droit et à la justice, et Conduite et pilotage de la justice. Ainsi les créations de postes annoncés dans le cadre de la LOPJ pourraient-elles être maintenues.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je relève qu’aucun de ces crédits de paiement n’est affecté au Conseil supérieur de la magistrature, que ceux alloués à l’administration pénitentiaire sont nettement supérieurs aux crédits réservés à la justice judiciaire et que nous ignorons, faute d’une information précise du ministre sur ce point, si les crédits seront suffisants pour créer les postes de magistrats et de greffiers prévus dans la loi de programmation pour l’année 2025. Car, en l’état, le bleu budgétaire prévoit 125 créations de postes de magistrat au lieu de 343 et 145 postes de greffier au lieu de 330. Tant que nous ne disposons pas d’informations supplémentaires, je ne peux donc pas donner un avis favorable à cet amendement.

M. le président Florent Boudié. Je m’en doutais un peu, madame la rapporteure pour avis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Tout d’abord, je veux bien connaître l’astuce qui permet de déposer des amendements de ce type sans les gager. Peut-être est-ce le privilège du président de la commission.

Je ne suis pas opposé à ces 250 millions d’euros supplémentaires, mais je n’y suis pas pour autant favorable : j’opterai plutôt pour une abstention bienveillante. Je note que seulement 50 millions environ sur 250 relèvent du titre 2. Cela me paraît d’autant plus léger que le ministre nous a annoncé que ces crédits supplémentaires permettraient de valider les protocoles d’accord signés avec les personnels et les recrutements. Je n’ai rien contre le fait que l’on abonde également les dépenses de fonctionnement, car elles ont besoin de l’être, mais je souhaiterais savoir à quoi seront affectés les crédits hors titre 2.

M. le président Florent Boudié. Cet amendement est recevable au titre de l’article 40, car le Gouvernement a clairement manifesté ses intentions, notamment en déposant, en vue de la séance publique, un amendement identique, qui porte le numéro 896, et qui sera très prochainement rendu public.

M. Jean Terlier (EPR). Depuis 2017, les députés du groupe LFI n’ont jamais voté les augmentations du budget de la justice, qui a pourtant enregistré une hausse de 53 %. Le ministre a annoncé très clairement que la trajectoire des recrutements serait maintenue. Comment pouvez-vous soutenir le contraire ? Il faut être réaliste !

Les 237 millions manquants s’expliquent par l’impossibilité de consommer les crédits affectés à la construction de prisons, en raison de blocages locaux. Mais la trajectoire de recrutement prévue dans la LOPJ – 1 500 magistrats, 1 800 greffiers et 1 100 attachés de justice – sera maintenue. Il faut se satisfaire des engagements pris par le ministre – je le dis à Naïma Moutchou, qui a annoncé qu’elle ne voterait pas pour le budget.

M. Philippe Schreck (RN). Avec ces 250 millions d’euros, nous faisons la moitié du chemin à parcourir pour respecter la loi de programmation ; ce n’est donc pas mal. Il nous reste à faire l’autre moitié d’ici à la séance publique, pour peu que celle-ci se tienne, ce qui n’est pas garanti.

Le ministre a menacé de démissionner s’il n’obtenait pas des crédits qu’il nous a dit ne pas avoir demandés faute de pouvoir les utiliser. C’est un peu tourmenté… Toujours est-il que nous nous prononcerons en faveur de cet amendement, sachant que cela ne préjuge en rien de notre vote final sur un budget insuffisant au regard de la loi de programmation que nous avons adoptée et des besoins des Français.

M. le président Florent Boudié. C’est précisément parce qu’il n’est pas certain que la discussion du projet de loi de finances pour 2025 se poursuive que j’ai souhaité que nous puissions débattre de cet amendement.

M. Philippe Gosselin (DR). On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Je considère, pour ma part, qu’il nous faut faire bonne figure. À cet égard, madame la rapporteure pour avis, votre intervention était à charge. Les choses sont heureusement plus contrastées, même si l’on peut s’interroger sur les crédits du titre 2.

Je persiste néanmoins à déplorer l’absence de 237 millions. Quand bien même ils ne seraient pas utilisés en 2025, nous en avons véritablement besoin dans le cadre d’un plan de construction de places de prison : nous devons nous donner les moyens de pallier le manque de terrains et de convaincre les collectivités – nous y reviendrons.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Je m’interroge, moi aussi, sur les perspectives qu’offre cet amendement en matière d’effectifs : c’est le nerf de la guerre. J’espère que la trajectoire sera respectée, mais je n’ai aucune certitude à ce sujet. Quoi qu’il en soit, l’amendement va dans le bon sens ; je voterai donc pour, à titre conservatoire, car c’est mieux que rien. Mais je n’en pense pas moins. Il manque toujours 250 millions d’euros pour respecter la trajectoire budgétaire ; c’est d’ailleurs l’objet de l’amendement que je défendrai dans quelques instants.

M. Philippe Latombe (Dem). La grosse déception ressentie par notre groupe lors de la présentation de l’enveloppe initiale est atténuée par cet amendement ; nous voterons donc en faveur de son adoption. Il nous faut maintenant convaincre plus largement pour faire l’autre moitié du chemin et respecter la trajectoire fixée par la loi de programmation du ministère de la justice que nous avons adoptée, il faut le rappeler, au mois de novembre dernier. Notre objectif était de réparer certains dysfonctionnements. Nous ne le faisons pas entièrement ; c’est décevant.

M. Hervé Saulignac (SOC). Tout le monde s’accorde à reconnaître que le compte n’y est pas, mais ce n’est pas un motif valable pour décevoir les attentes des magistrats et des greffiers. Nous voterons donc pour cet amendement.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ! On est très loin de ce qu’il faudrait faire, mais nous voterons pour cet amendement. J’attends cependant du Gouvernement qu’en séance publique, il se déclare favorable aux excellentes améliorations que nous avons apportées en commission des finances et que nous ne manquerons pas de confirmer au cours de cette réunion.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Monsieur Terlier, je n’ai fait qu’indiquer attendre du ministre les précisions qui s’imposent pour s’assurer que cet amendement comporte des crédits en titre 2 suffisants pour créer les 343 postes de magistrat, les 320 postes de greffier et les 307 postes d’attaché de justice que nous sommes en droit d’attendre en 2025. Tant que nous n’aurons pas obtenu ces précisions, nous nous en tiendrons à une abstention bienveillante.

La commission adopte l’amendement.

Amendement II-CL272 de Mme Naïma Moutchou

Mme Naïma Moutchou (HOR). Il s’agit de l’amendement le plus cher que j’ai déposé en sept ans : un demi-milliard d’euros ! Bien entendu, c’est un amendement d’appel. Mais il manque encore 250 millions pour respecter la trajectoire de la loi de programmation, laquelle ne marque pourtant que le début du rattrapage. J’attends donc les réponses du ministre en séance publique.

L’amendement est retiré.

Amendements II-CL267 de M. Pouria Amirshahi et II-CL393, II-CL455 et II-CL454 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Selon les conclusions du rapport du 5 octobre 2024 de la Cepej, le nombre de magistrats pour 100 000 habitants est de seulement de 11,3 en France, contre 24,7 en Allemagne, la moyenne s’établissant à 17,8 pour les pays du Conseil de l’Europe. Pour renforcer notre capacité à bien juger, nous proposons donc de créer 1 000 nouveaux postes de magistrat en 2025.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Avis favorable. Toutefois, nous proposons, quant à nous, par l’amendement II-CL393, de créer 1 500 postes de magistrat.

Pour ceux qui seraient tentés de tourner ce type d’amendements en ridicule, je rappelle qu’en recrutant 1 200 magistrats par an, il nous faudrait dix ans pour atteindre le ratio de magistrats pour 100 000 habitants qui prévaut en Allemagne. Nous en sommes loin puisque, si le ministre respecte la trajectoire de la loi de programmation, 343 magistrats seront recrutés l’an prochain, lesquels, qui plus est, compenseront, pour un tiers, des postes vacants.

Quant aux amendements II-CL455 et II-CL454, qui sont de repli, ils tendent à créer respectivement 500 et 218 postes de magistrat.

M. Jean Terlier (EPR). Ces amendements visent à créer, d’ici à 2027, un peu plus de 5 000 postes de magistrat tandis que la loi de programmation prévoit d’en créer 1 500, ainsi que 1 800 postes de greffier et 1 000 postes d’attaché de justice. Selon les responsables de l’École nationale de la magistrature et de l’École nationale des greffes (ENG), que nous avons auditionnés lors de l’examen de la loi de programmation, le doublement des effectifs d’élèves qu’implique la trajectoire retenue dans la loi contribuerait déjà à tendre les flux, de sorte qu’il serait rigoureusement impossible d’en former cinq fois plus sur la même période. Parce que nous préférons nous en tenir à la trajectoire réaliste de la loi de programmation, nous voterons contre ces amendements.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). M. Terlier découvre les raisons pour lesquelles nous n’avons pas voté pour la LOPJ ! De fait, nous souhaitions recruter davantage de magistrats et nous nous opposions à une ventilation des dépenses qui traduit la volonté d’augmenter la cadence de la répression. Tel n’est pas notre projet politique.

Il est vrai qu’en l’état actuel des moyens de l’ENM et de l’ENG, il serait impossible de former autant de magistrats que nous le souhaitons. C’est bien pourquoi, chaque année, nous proposons d’augmenter leurs moyens. Ces écoles pourraient ainsi créer des antennes dans les différentes régions de manière à multiplier les petites promos, en lien avec les facultés de droit. On pourrait également, comme cela a été fait en partie, favoriser les passerelles. Bref, beaucoup de mesures peuvent être prises, mais il faut pour cela une volonté politique, un budget et des perspectives.

Du reste, dans l’absolu, il faudrait que les projets de loi de finances soient construits à partir des besoins réels : s’il n’est pas possible de les satisfaire dans l’immédiat, au moins tracerait-on une perspective.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteur pour avis. Je vous invite à voter pour l’amendement II-CL393, car il est mieux-disant que le II-CL267.

Successivement, la commission rejette les amendements II-CL267 et II-CL393, adopte l’amendement II-CL455 et rejette l’amendement II-CL454.

Amendement II-CL228 de Mme Colette Capdevielle

Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous proposons d’abonder le programme Justice judiciaire afin d’augmenter les effectifs de magistrat des juridictions pénales.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je partage l’objectif, mais nous allons examiner des amendements plus ciblés qui visent à augmenter les moyens du parquet national financier, les effectifs des juges des enfants et des magistrats spécialisés dans les violences sexistes et sexuelles. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

Amendements II-CL449 et II-CL450 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Lors de la création du parquet national financier (PNF), l’étude d’impact précisait que chaque magistrat devait avoir à traiter huit dossiers. Or le PNF compte 18 magistrats qui traitent 772 procédures par an. Il convient donc de créer 78 postes de magistrat supplémentaires pour respecter le ratio initialement envisagé.

L’amendement II-CL450 est de repli : il vise à créer 13 postes de magistrat supplémentaires au sein du PNF.

La commission rejette l’amendement II-CL449.

Elle adopte l’amendement II-CL450.

Amendements II-CL456 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL378 de M. Arnaud Bonnet (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Chaque juge des enfants suit en moyenne 800 enfants, soit plus de 450 situations, au lieu de 325. Selon le Syndicat de la magistrature, qui a longuement étudié la question, il faudrait recruter 235 juges des enfants et autant de greffiers pour remédier à la situation des enfants en danger.

La commission adopte successivement les amendements.

Amendement II-CL482 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Le groupe LFI s’est toujours opposé à la création des cours criminelles départementales, pour la simple et bonne raison que ces cours, qui ne comportent pas de jury populaire, dérogent au principe selon lequel la justice est rendue au nom du peuple français. Nous souhaitons que les cours d’assises aient davantage de moyens et que les jurys populaires soient étendus aux tribunaux correctionnels.

Toujours est-il que la création de ces cours a accru la charge de travail des magistrats, puisque chacune requiert cinq magistrats professionnels au lieu de trois pour une cour d’assises. Nous proposons donc de recruter 202 magistrats supplémentaires pour permettre aux cours criminelles de fonctionner convenablement.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous voterons en faveur de l’amendement. Les cours criminelles départementales ne fonctionnent absolument pas. L’énorme stock d’affaires à traiter provoque une embolie dans les juridictions, qui peinent même à trouver des locaux.

Ces cours posent un problème de principe : la justice criminelle doit être rendue par le peuple.

M. Philippe Schreck (RN). En adoptant l’amendement II-CL455, nous avons décidé de créer 500 postes de magistrat supplémentaires. Pourquoi pas, mais depuis, nous avons validé la création de 200 postes de juge pour enfants et désormais, vous nous proposez 200 postes de magistrat dans les cours criminelles. Ces postes sont-ils compris ou s’ajoutent-ils aux 500, auquel cas les crédits supplémentaires que nous avons votés ne suffiront pas ? Il n’y a plus aucune cohérence ni sérieux budgétaire.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je rappelle notre opposition aux cours criminelles départementales et notre préférence pour les cours d’assises faisant intervenir un jury populaire en vertu du principe selon lequel la justice est rendue au nom du peuple français, au moins pour les crimes.

En tout état de cause, les cours existent et souffrent déjà des mêmes travers que les cours d’assises, à savoir l’engorgement et des délais de jugement qui ne sont pas conformes aux promesses initiales. Si l’expérimentation avait donné satisfaction sur les délais, la généralisation pèche par manque de moyens.

À l’attention de M. Schreck, notre ambition initiale était le recrutement de 1 500 magistrats mais la commission a adopté l’amendement de repli. Nous essayons donc de grappiller des postes, catégorie par catégorie. Vous prenez ainsi conscience de l’ampleur des besoins.

M. Philippe Gosselin (DR). Nous avons l’illustration ici de ce à quoi nous assistons en ce moment : le concours Lépine de l’amendement, en vertu duquel chacun se sent autoriser à voter tout et n’importe quoi.

Votre proposition est en totale contradiction avec le premier amendement de cadrage budgétaire qui a été voté avec l’abstention de nos collègues La France insoumise. Les amendements qui sont adoptés ne respectent pas davantage la trajectoire définie dans la loi de programmation de l’an dernier.

Face à une telle incohérence des votes, il faudra un texte ou une procédure balai pour remettre un peu d’ordre.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Nous n’avons jamais caché notre volonté de combler les insuffisances de la loi de programmation – sur les 1 500 postes de magistrats prévus, 500 compensent des postes vacants ; quant aux 1 800 postes de greffiers, 700 correspondent à une requalification et non à une création de poste.

La commission des finances a adopté des amendements bien plus généreux sans amputer le budget puisque nous transférons les crédits du programme Administration pénitentiaire destinés au plan 15 000 places de prison, auquel nous sommes opposés. Par ailleurs, nous avons toujours appelé à lever le gage et à supprimer l’article 40.

Enfin, nous répondons aux besoins identifiés par les personnes que nous avons auditionnées ainsi qu’au désarroi qu’elles ont exprimé face au risque de voir s’envoler les créations de postes promises d’ici à 2027.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je voudrais répondre au procès en dépenses inconsidérées qui nous est intenté.

D’abord, nos propositions visent à répondre à des besoins. Ensuite, les amendements sont gagés. En outre, nous avons dégagé en première partie des recettes pour financer la politique publique que nous appelons de nos vœux. Enfin, rien n’interdit en séance à nos collègues du bloc central d’être à leur tour raisonnables et de concourir à l’amélioration du fonctionnement de la justice dans notre pays. Si vous n’étiez pas arc-boutés sur les réductions d’effectifs et de dépenses, nous pourrions trouver des compromis. Essayons d’être un peu plus ambitieux que le Gouvernement et ses 250 millions.

M. Philippe Gosselin (DR). Loin de moi l’idée de ne pas reconnaître une constance et une certaine cohérence programmatique et idéologique de votre part. Je ne vous la reproche pas mais je ne la partage évidemment pas.

Madame la rapporteure pour avis, je vous invite à vous plaindre de l’article 40 auprès du président de la commission des finances dont nous savons à quelle famille politique il appartient.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. La discussion de la première partie du projet de loi de finances a permis, jusqu’à présent, de réinjecter 40 milliards d’euros dans le budget de l’État, soit le montant exact des économies dans les services publics voulues par M. Barnier. Demain, vous aurez la possibilité de voter un amendement dont l’objet est de taxer les profits des multinationales et qui rapporterait 27 milliards.

La commission adopte l’amendement.

Amendements II-CL480 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL229 de Mme Céline Thiébault-Martinez (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Il s’agit d’augmenter les moyens humains affectés à la justice civile, en ajoutant un magistrat par tribunal judiciaire.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). L’amendement II-CL229 vise également à renforcer les effectifs de magistrats dans la justice civile.

Selon le syndicat de la magistrature, les efforts budgétaires précédents sont manifestement insuffisants puisque dans certaines juridictions, il reste encore un stock d’affaires pour deux ans.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement est mieux-disant, mais s’il n’était pas adopté, je serai favorable au II-CL229.

L’amendement II-CL229 est retiré.

La commission adopte l’amendement II-CL480.

Amendement II-CL448 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Les associations féministes réclament 2,6 milliards pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles, dont 300 millions au bénéfice de la justice, en particulier pour recruter des magistrats spécialisés. L’amendement ouvre 36 millions d’euros pour  créer les 603 postes nécessaires.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL452 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. La juridiction du Val d’Oise, dans laquelle je me suis rendue, a besoin, dès l’année prochaine, de trente-sept magistrats et trente-sept greffiers supplémentaires pour fonctionner de manière optimale, sans attendre les recrutements promis par la loi de programmation. Tel est l’objet de l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement II-CL453 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Le nombre de juges d’instruction est passé de 542 en 2020 à 562 en 2024, soit une hausse de 3,6 % en quatre ans, alors que le nombre de procédures a augmenté en moyenne de 2 % par an. La conséquence en est un allongement des délais d’instruction. Afin de les réduire, il est proposé de créer cinquante postes supplémentaires de juge d’instruction.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il est logique que les infractions de nature criminelle liées au narcotrafic soient traitées par un juge d’instruction. On ne peut pas faire de la lutte contre la criminalité organisée une priorité et refuser d’y consacrer les moyens nécessaires. Les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) sont totalement engorgées et les juges d’instruction croulent sous les dossiers qui concernent des individus très dangereux. La création d’un parquet national anticriminalité organisée ne résoudra pas le problème si elle ne s’accompagne pas de postes supplémentaires de magistrat et de policier judiciaire.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Il faudra pousser les murs, qui l’ont déjà été, de l’ENM.

Je voterai d’autant moins l’amendement que je suis favorable à la suppression du juge d’instruction, qui est totalement schizophrène – il doit juger à charge et à décharge –, et à la création d’un véritable juge de l’enquête.

La commission adopte l’amendement.

Amendements II-CL458 et II-CL457 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Il s’agit de créer des postes de greffier : 500 dans l’amendement II-CL458 et 215 dans l’amendement II-CL457, que je retire. Les effectifs prévus par la loi de programmation sont insuffisants, d’autant que 700 des 1 800 postes promis ne sont que des requalifications.

L’amendement II-CL457 est retiré.

La commission rejette l’amendement II-CL458.

Amendement II-CL266 de M. Pouria Amirshahi

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je retire l’amendement mais je souhaiterais néanmoins rappeler les missions méconnues mais essentielles qu’exercent les greffiers : préparer et suivre les dossiers, authentifier les actes judiciaires, organiser le calendrier des audiences, assurer la transparence des procédures, accueillir et renseigner le public, etc. Ils méritent d’être défendus et valorisés.

L’amendement est retiré.

Amendements II-CL230 de Mme Colette Capdevielle, II-CL231 de Mme Céline Thiébault-Martinez et II-CL459 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Colette Capdevielle (SOC). L’amendement II-CL230 a pour objet de renforcer les effectifs des attachés de justice qui travaillent aux côtés des magistrats judiciaires. Le budget pour 2025 prévoit zéro recrutement. Or on ne peut pas embaucher davantage de magistrats et des greffiers sans leur adjoindre des attachés de justice. Il est donc proposé de financer 1 000 ETP supplémentaires.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement tend à atteindre l’objectif de recrutement de 1 100 attachés de justice à l’horizon 2027 en y consacrant les moyens nécessaires.

La commission adopte l’amendement II-CL230.

En conséquence, l’amendement II-CL231 tombe et l’amendement II-CL459 est retiré.

Amendement II-CL460 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. L’amendement vise à allouer les crédits nécessaires au recrutement de quatre personnes supplémentaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature, là où le plafond d’emplois prévu dans le PLF est stable.

La commission adopte l’amendement.

Amendements II-CL399 de Mme Danièle Obono, II-CL299 de M. Emmanuel Duplessy, II-CL479 et II-CL462 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Dans son rapport de 2023, la Commission nationale consultative des droits de l’homme recommande d’accroître de manière significative la proportion de magistrates et magistrats bénéficiant d’une formation initiale et continue au contentieux en matière de racisme et de discrimination.

Il existe un décalage très important entre le nombre de personnes – plus d’un million par an – qui indiquent avoir été victimes d’un acte raciste et les procédures qui sont engagées. La Défenseure des droits alerte sur ce chiffre noir et déplore que les victimes et leur préjudice ne soient pas reconnus comme tels.

Malgré le plan national 2023-2026 de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine, et l’annonce d’actions de sensibilisation dans le cadre d’un partenariat entre la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT et l’ENM, les réalisations restent floues et les données manquent pour les évaluer. En outre, le plan gouvernemental ne s’accompagne d’aucun moyen supplémentaire et se borne à indiquer que les ministères concernés se sont engagés à y consacrer les moyens nécessaires. Pour pallier ces insuffisances, nous proposons, par l’amendement II-CL399, d’allouer 8 millions à la formation.

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’amendement II-CL299 tend à renforcer la formation des magistrats aux violences faites aux femmes. On sait à quel point la procédure pénale peut être violente pour les victimes. Il est donc indispensable de mieux former les magistrats pour qu’ils puissent, à chaque étape de la procédure, mieux accompagner les victimes. C’est aussi une manière de faciliter l’accès au droit et à la justice pour les victimes.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement a pour but de s’assurer que les élèves de l’ENM et les magistrats reçoivent une formation à la hauteur en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les crédits en 2024 ont permis d’organiser seulement quinze sessions, donc de former 492 personnes, sans caractère obligatoire. L’amendement reprend le chiffrage établi par les associations féministes.

Je donne un avis favorable à l’excellent amendement de Mme Obono bien que l’ENM ait fait de nombreux progrès dans la formation à la lutte antiraciste ainsi qu’à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Le sujet des violences sexistes, sexuelles mais aussi intrafamiliales est ainsi abordé dans toutes les simulations d’audience. Tout cela reste néanmoins insuffisant. Je vous invite donc à voter les amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement II-CL475 de Mme Gabrielle Cathala, amendements identiques II-CL114 de Mme Elsa Faucillon et II-CL226 de Mme Colette Capdevielle, amendement II-CL467 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement II-CL475 vise à financer la présence systématique d’un avocat lors de l’audition d’un mineur dans le cadre de mesures d’assistance éducative. C’est une demande ancienne de tous les représentants de la profession d’avocat. L’amendement II-CL467 est un amendement de repli.

Mme Elsa Faucillon (GDR). L’objet est le même que celui de la rapporteure.

L’accompagnement d’un avocat est un moyen de préparer l’enfant à prendre la parole mais aussi de soutenir cette parole. Certains juges des enfants font valoir qu’ils jouent déjà deux rôles, celui du magistrat et celui de l’avocat. Mais il me semble impossible de tenir les deux postures en même temps. Certes le juge n’est pas là pour établir une quelconque culpabilité de l’enfant, mais il n’est pas en mesure de le préparer ni de le tenir informé de ses droits. C’est à l’avocat, qui y est formé spécialement, de le faire.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Pourquoi l’enfant a-t-il besoin de la présence d’un avocat lorsqu’il se retrouve face au juge et à ses parents qui peuvent être en désaccord ? Parce que, bien souvent, la parole de l’enfant est instrumentalisée s’il n’est pas assisté.

Il est bien question de l’enfant lorsque le juge prononce une mesure d’assistance éducative. Il est particulièrement choquant qu’en 2024, un mineur se retrouve seul face au juge des enfants. Il doit bénéficier, au titre de l’aide juridictionnelle, de l’assistance d’un avocat formé et indépendant des deux parents. C’est vraiment le moins que l’on puisse faire pour garantir les droits de l’enfant.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements II-CL466 et II-CL464 de Mme Gabrielle Cathala, II-CL110 de Mme Elsa Faucillon, amendements identiques II-CL224 de Mme Colette Capdevielle et II-CL264 de M. Pouria Amirshahi, amendement II-CL468 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Les amendements tendent à augmenter le montant de l’unité de valeur de l’aide juridictionnelle. Les avocats nous le disent, la faiblesse de l’unité de valeur les fragilise.

L’amendement II-CL475 qui a été adopté par la commission des finances porte le montant à 60 euros – c’est la version idéale, promue par le Conseil national des barreaux. Certains amendements de repli proposent 40 euros en s’inspirant du rapport Perben, d’autres 42,2 pour prendre en compte l’inflation.

M. Philippe Schreck (RN). Je ne suis pas étonné que les avocats soient favorables à une hausse de l’unité de valeur. Les quatre premiers amendements sont un peu déraisonnables eu égard à la contrainte budgétaire actuelle.

Cependant, on sait que la faible rémunération de l’aide juridictionnelle a créé une défense à deux vitesses. Certains cabinets se détournent de cette mission, car les sommes allouées ne couvrent pas les frais fixes. Il convient donc d’envisager une montée en charge de l’unité de valeur.

M. Philippe Gosselin (DR). Il s’agit d’un vieux débat. L’aide juridictionnelle est dotée de 661 millions pour 2025, soit une hausse de 0,4 %. J’aurais donc tendance à dire que le compte n’y est pas.

Un décret visant à ajuster les barèmes de rétribution, notamment pour les procès hors normes, est en préparation – des précisions de la part du ministre auraient été bienvenues.

Les montants proposés dans les amendements font malheureusement exploser le budget. Néanmoins, je plaide pour une application du rapport Perben. Un rattrapage a été effectué, il faut le signaler, mais il n’est sans doute pas à la hauteur des attentes ni surtout des besoins.

Mme Naïma Moutchou (HOR). La rétribution de l’unité de valeur n’est pas adaptée à la charge de travail, à la complexité des contentieux ni au temps passé par les avocats à l’aide juridictionnelle.

Philippe Gosselin et moi avions recommandé dans notre rapport sur le sujet une revalorisation régulière de l’unité de valeur plutôt que par à-coups, tout en posant la question du financement global de l’aide juridictionnelle. Celui-ci étant assuré par des ressources de l’État, il n’est pas pérenne. Nous avions ainsi plaidé pour le retour du droit de timbre, dont les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle auraient été exonérés.

Les amendements vont dans le bon sens, car le travail doit être rétribué à sa juste valeur du travail, mais nous devons trouver une solution durable. C’est une charge constante qui continue d’évoluer dans le temps ; elle représente plus d’un demi-milliard d’euros.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’invite mes collègues à voter le dernier amendement, moins coûteux – 50 millions – et qui permet au moins de couvrir l’inflation.

Mme Colette Capdevielle (SOC). L’État a la possibilité, en vertu de l’article 700 du code de procédure civile, de se retourner contre la partie perdante. Il commence à en faire usage depuis peu. Il serait d’ailleurs intéressant que le ministère nous communique les sommes qui sont recouvrées à ce titre.

Devant la cour d’appel, le timbre est payé par l’appelant et l’intimé. Le paiement du timbre devant le juge du premier degré me semble constituer une entrave à l’accès à la justice, notamment pour la classe moyenne qui ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. La revalorisation à 60 euros de l’unité de valeur – soit 120 euros de l’heure, ce qui correspond au tarif habituel des avocats – est la seule manière pour les avocats de l’aide juridictionnelle de ne pas travailler à perte.

La commission rejette successivement les amendements.

La commission rejette successivement les amendements en discussion commune II-CL225 de Mme Céline Thiébault-Martinez et II-CL465 de Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis.

Amendement II-CL425 de M. Philippe Schreck

M. Philippe Schreck (RN). Les crédits nécessaires pour le budget de fonctionnement de l’aide juridictionnelle en 2025 ont été évalués à presque zéro – ils sont de 30 000 euros – contre 1 million en 2024, sans que nous ayons d’explications à ce sujet. Il faut prévoir des moyens pour l’aide juridictionnelle. Le but de notre amendement est de rétablir ce budget au même niveau que lors des exercices précédents.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Je note que vous êtes davantage préoccupé par le budget de fonctionnement de l’aide juridictionnelle que par la revalorisation de l’unité de valeur pour la mission de service public exercée par les avocats. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL478 et II-CL470 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL428 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mes amendements visent à augmenter le budget pour les associations d’aide aux victimes. Les montants très modestes que je propose, respectivement de 8 et 7 millions d’euros, ne conduiront personne à s’étouffer ici, mais ces amendements sont très attendus par le secteur associatif, qui est paupérisé par l’obligation de verser la prime Ségur depuis un arrêté publié en août sans aucune compensation de la part du ministère de la justice.

La commission adopte successivement les amendements II-CL478 et II-CL470.

Elle rejette l’amendement II-CL428.

Amendement II-CL463 de Mme Gabrielle Cathala

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Il s’agit d’augmenter de 2,4 millions d’euros les crédits alloués au développement de l’accès au droit et aux réseaux judiciaires de proximité.

La commission rejette l’amendement.

Amendements II-CL232 de Mme Céline Thiébault-Martinez, II-CL473 de Mme Gabrielle Cathala et II-CL429 de M. Philippe Schreck (discussion commune)

Mme Colette Capdevielle (SOC). L’amendement II-CL232 vise à augmenter de 4,5 millions d’euros l’aide aux victimes, notamment en ce qui concerne la mise à disposition de téléphones grave danger.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement vise également à augmenter le nombre de TGD. On en compte actuellement environ 6 000 alors qu’il en faudrait 7 500 selon le chiffrage des associations féministes. Cette mesure est complémentaire de la mise à disposition de bracelets anti-rapprochement et de la création postes de magistrats supplémentaires pour lutter contre les VSS.

M. Philippe Schreck (RN). La lutte contre les violences intrafamiliales, notamment conjugales, demeure une cause nationale. Les 6 000 téléphones grave danger en service sont insuffisants. L’amendement II-CL429 prévoit donc des crédits supplémentaires, dans des proportions plus modestes que les amendements précédents, mais nous proposons par ailleurs de renforcer le dispositif des bracelets anti-rapprochement.

M. Philippe Gosselin (DR). Il y a sans doute des économies à faire, mais nous devons renforcer les efforts concernant les TGD, qui ont fait leurs preuves.

La commission adopte successivement les amendements II-CL232 et II-CL473.

Elle rejette l’amendement II-CL429.

Amendements II-CL361 de M. Philippe Schreck et II-CL477 de Mme Gabrielle Cathala (discussion commune)

M. Philippe Schreck (RN). Mon amendement, qui a reçu un avis favorable du rapporteur en commission des finances, vise à mettre le projet de loi de finances en cohérence avec la loi de programmation de la justice en matière immobilière. De nombreuses rénovations et même constructions de tribunaux étaient prévues, mais le budget pour 2025 tend à mettre un coup d’arrêt à cette dynamique – les 250 millions d’euros supplémentaires qui ont été votés ne concernent pas l’immobilier de la justice et des services pénitentiaires. Alors que les crédits pour la rénovation et la construction de juridictions s’élevaient l’an dernier à 456 millions d’euros, le PLF pour 2025 ne prévoit que 171 millions, ce qui représente une baisse de près de 60 %. En parallèle, les montants des contrats de partenariat public-privé continuent à augmenter alors qu’on sait qu’ils posent beaucoup de difficultés.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Mon amendement vise à allouer 93 millions d’euros supplémentaires au programme 166. Les crédits consacrés aux investissements immobiliers des services judiciaires ont reculé en 2024 et devraient également baisser en 2025, de 62 % en autorisations d’engagement et de 26 % en crédits de paiement. Je vous propose de corriger cette trajectoire.

Avis défavorable à l’amendement II-CL361.

La commission rejette l’amendement II-CL361.

Elle adopte l’amendement II-CL477.

Amendements II-CL268 de M. Pouria Amirshahi et II-CL394 de M. Jean-François Coulomme (discussion commune)

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous sommes entrés dans une phase de crétinisme parlementaire absolu. Cela fait plusieurs semaines que ce débat budgétaire, qui s’est engagé d’une manière précipitée du fait de la dissolution, nous plonge dans des situations incroyables : nous devons siéger en même temps en séance pour voter des recettes, en commission des finances pour voter des dépenses, mais aussi en commission des affaires sociales pour examiner le PLFSS, tout cela dans une boucle sans fin. Nous sommes même appelés aujourd’hui à donner un avis à la commission des finances sur des amendements qu’elle a déjà examinés ! Un tel niveau de dégradation du débat parlementaire n’est pas admissible. Je ne doute pas que vous en ayez conscience, monsieur le président, ni que vous ayez l’intention de vous exprimer avec force à ce sujet, mais la réunion que vous avez été dans l’obligation de convoquer est totalement absurde. Le moment que nous vivons n’a aucun sens démocratique. J’ignore dans quelles conditions les débats reprendront ce soir, mais nous nous demandons, au groupe Écologiste et social, si nous devons continuer à débattre d’amendements déjà examinés par la commission des finances.

M. le président Florent Boudié. Voulez-vous dire, mon cher collègue, qu’il n’y aurait pas beaucoup de sens à examiner en commission des lois des missions budgétaires qui ne feraient pas l’objet d’un débat en séance ? C’est une question rhétorique.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Même si je partage en partie les propos de Pouria Amirshahi, je vais présenter l’amendement d’appel II-CL394, qui demande le rattachement de la police judiciaire à la mission Justice, au sein d’un programme spécifique, et non à la mission Sécurités. La justice a, en effet, vocation à mener les investigations et la perspective que nous traçons ne semble pas déplaire au garde des sceaux – nous avons eu l’occasion de lui en parler.

Mme Gabrielle Cathala, rapporteure pour avis. Avis favorable à l’amendement de Jean-François Coulomme. J’invite Pouria Amirshahi à retirer le sien, non pour une raison de fond mais parce qu’il coûterait 3,1 milliards, ce qui aurait pour conséquence de vider totalement les crédits d’un programme et d’interrompre nos débats.

L’amendement II-CL268 est retiré.

La commission rejette l’amendement II-CL394.

 

La séance est levée à 20 heures.

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Membres présents ou excusés

 

 Présents. - Mme Marie-José Allemand, M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Moerani Frébault, Mme Martine Froger, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. David Guerin, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, Mme Eliane Kremer, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, Mme Pauline Levasseur, Mme Marie-France Lorho, Mme Élisa Martin, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, Mme Sophie Vaginay, M. Jiovanny William, Mme Caroline Yadan

 

 Excusés. - M. Ian Boucard, M. Marc Fesneau, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jonathan Gery, M. Jérémie Iordanoff, Mme Émeline K/Bidi, M. Thomas Portes