Compte rendu
Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République
– Examen de la proposition de loi visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents (n° 448) (M. Jean Terlier, rapporteur) 2
Mardi
26 novembre 2024
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 19
session ordinaire de 2024 - 2025
Présidence
de M. Florent Boudié, président
— 1 —
La séance est ouverte à 17 heures.
Présidence de M. Florent Boudié, président.
La Commission examine la proposition de loi visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents (n° 448) (M. Jean Terlier, rapporteur).
M. le président Florent Boudié. Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents, déposée par M. Gabriel Attal le 15 octobre. Le groupe EPR a choisi de l’inscrire en deuxième position à l’ordre du jour des séances qui lui sont réservées le 2 décembre.
M. Jean Terlier, rapporteur. Comme vous le savez, la justice pénale des mineurs me tient particulièrement à cœur. En 2019, j’ai été rapporteur d’une mission d’information sur le sujet aux côtés de notre ancienne collègue Cécile Untermaier. J’ai également été rapporteur du projet de loi qui a donné naissance en 2021 au code de la justice pénale des mineurs (CJPM), sur la mise en œuvre duquel Cécile Untermaier et moi-même avons remis un rapport d’information en mars 2023. La justice pénale des mineurs fait face à un défi considérable : faire face à la délinquance de plus en plus préoccupante des mineurs tout en préservant la nécessaire spécificité de cette justice.
Il nous manque – je suis le premier à le déplorer – une grande étude statistique commune à la police et à la justice relative à la délinquance des mineurs. Cependant, les chiffres qui m’ont été transmis par la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), notamment, sont alarmants. La proportion de mineurs dans la délinquance totale est restée stable depuis 2010, quoiqu’à un niveau particulièrement élevé – environ 20 % –, mais le fait principal tient à l’aggravation des faits commis par des mineurs de plus en plus jeunes et de plus en plus violents. Entre 2002 et 2019, le nombre de mineurs mis en cause pour coups et blessures sur personne de moins de quinze ans a augmenté de 350 %.
De façon plus générale, les mineurs sont surreprésentés dans les infractions violentes. Alors que les jeunes de 13 à 17 ans constituent environ 6 % de la population, ils ont représenté l’an dernier 40 % des mis en cause pour des vols violents, 37 % pour des violences avec arme blanche, 40 % pour des incendies visant des biens publics ou encore 43 % pour des cambriolages violents en Île-de-France. Lors du déferlement de violences qu’a connu notre pays durant les émeutes de 2023, un tiers des personnes interpellées étaient des mineurs, dont 62 % avaient 16 ou 17 ans. Les mineurs représentent au total près de 30 % des personnes condamnées pour leur implication dans ces émeutes.
L’illustration la plus alarmante de cette désinhibition de la violence est l’accroissement continu – de 108 en 2016 à 255 en 2023 – du nombre de mineurs mis en cause pour meurtre, sur fond de narcotrafic ou de rixes entre bandes. L’actualité récente, à Marseille mais aussi à Poitiers, rappelle que les narcotrafiquants n’hésitent plus à recruter des mineurs sur les réseaux sociaux pour commettre des homicides en contrepartie de quelques milliers d’euros.
La justice des mineurs doit apporter une réponse pénale à la hauteur des enjeux sécuritaires, sans renier toutefois sa spécificité. Car tout délinquants qu’ils soient, les mineurs délinquants restent des mineurs ; ils n’ont pas le même discernement que les majeurs. Bien souvent, ils sont aussi des mineurs en danger : deux tiers de ceux qui sont placés en centre éducatif fermé (CEF) ont été suivis par les services de la protection de l’enfance. Inversement, un tiers des mineurs suivis par la protection de l’enfance font l’objet de poursuites pénales à un moment ou à un autre de leur parcours. Ce lien entre enfance en danger et enfance délinquante, qui est au fondement de la spécificité de la justice des mineurs, ne doit pas être occulté.
Les exigences particulières de la justice pénale des mineurs s’articulent autour de trois grands principes : l’atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l’âge, la primauté de l’éducatif sur le répressif et la spécialisation des juridictions. Elles ont une valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel les ayant déclarées constitutives d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice pénale des mineurs.
Pour adapter la réponse pénale à l’aggravation de la délinquance des mineurs tout en respectant ces principes fondamentaux, le CJPM a déjà fait beaucoup. Bien plus qu’une simple codification des dispositions de l’ordonnance de 1945, il renouvelle en profondeur le déroulement du procès pénal du mineur en introduisant le principe – sauf exception – d’une césure du procès pénal entre l’audience sur la culpabilité et l’audience sur la sanction, tout en enserrant celles-ci dans un cadre temporel étroit.
Avec l’audience sur la culpabilité, le mineur délinquant est mis en face de ses responsabilités plus rapidement, tandis que la période de mise à l’épreuve éducative permet que soit prise en compte son évolution lors du jugement sur la sanction. Quant à la victime, elle peut être indemnisée dès le jugement sur la culpabilité. Grâce à une réduction significative des délais, ces dispositions ont rendu la réponse pénale plus réactive et donc plus efficace. La durée moyenne d’une procédure est désormais de huit mois contre dix-huit avant la réforme de 2021.
La rationalisation des mesures éducatives, la simplification des présomptions relatives au discernement ou encore la limitation de la détention provisoire constituent les autres mesures clés de cette réforme, dont les personnes que j’ai auditionnées m’ont confirmé les effets globalement positifs : procédure simplifiée et plus rapide, prise en charge renforcée du mineur délinquant, meilleure prise en compte des victimes.
Tout en saluant la mise en œuvre du code de la justice pénale des mineurs, je considère qu’il est nécessaire de le compléter sur deux points essentiels qui n’ont certainement pas fait l’objet, à l’époque, de l’attention qu’ils méritaient : d’une part, la responsabilisation des parents de mineurs délinquants ; d’autre part, l’adaptation de la procédure pour les mineurs récidivistes âgés de plus de 16 ans, qui commettent les infractions les plus graves et les plus violentes. Tels sont les objectifs de cette proposition de loi.
Il ne s’agit naturellement pas de s’en prendre aux parents de bonne foi, qui font des efforts en matière d’éducation et se trouvent tout simplement dépassés par le comportement de leur enfant délinquant. Ceux-là relèvent naturellement d’un accompagnement social et éducatif. D’autres parents, en revanche, se soustraient sciemment à leurs obligations. Les acteurs de la justice des enfants le reconnaissent bien volontiers : beaucoup de pères, notamment, se désintéressent totalement du sort de leur enfant et ne se présentent pas aux audiences. Bien plus, les défaillances de certains parents peuvent conduire leur enfant sur le chemin de la délinquance. Ce sont eux qu’il convient de responsabiliser davantage, au besoin par la sanction. La proposition de loi s’y attache aux travers de ses trois premiers articles. Le premier facilite l’incrimination du délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales et crée une circonstance aggravante quand cette soustraction a conduit l’enfant mineur à commettre plusieurs crimes ou délits. Le second crée une obligation pour les parents de déférer aux convocations du juge des enfants statuant en matière d’assistance éducative. Enfin, le troisième instaure une responsabilité civile de plein droit des parents pour les dommages causés par leur enfant mineur.
J’en viens à l’adaptation des procédures. En la matière, la philosophie de ce texte ne consiste pas, comme certains pourraient le suggérer à tort, à bousculer les principes applicables à la justice des mineurs. La procédure a fait l’objet d’une refonte récente avec l’adoption du CJPM, dont je puis dire combien elle était nécessaire : en contribuant à la simplification de la procédure, elle a permis de la rendre plus lisible et plus cohérente.
Mais il faut l’accélérer. Une réponse judiciaire dans des délais utiles est d’autant plus nécessaire que l’audience et le jugement ont une réelle vertu pédagogique. L’article 4 instaure une procédure de comparution immédiate adaptée pour les mineurs. Pour des faits d’une particulière gravité, il doit être permis de juger rapidement le mineur en cause. Avec la possibilité d’une action au plus près de la commission des faits, on redonnera du sens à la réponse judiciaire. Un jugement à bref délai me semble tout indiqué pour répondre à la délinquance des mineurs dont la personnalité évolue rapidement. Cette nouvelle procédure leur est spécifique : il ne s’agit pas de dupliquer les dispositions du code de procédure pénale applicables aux majeurs dans le code de la justice pénale des mineurs. Cela ne serait ni souhaitable, ni conforme aux exigences constitutionnelles en la matière.
En tant que rapporteur, j’ai souhaité apporter un soin particulier à la sécurisation de cette nouvelle procédure et garantir son adaptation aux finalités particulières de la justice des mineurs. À l’issue des auditions et du travail préparatoire, il m’a semblé nécessaire d’encadrer ce dispositif : je vous proposerai donc, par amendement, un renforcement des garanties.
L’article 5 poursuit l’effort d’adaptation de nos outils juridiques à la nouvelle physionomie de la délinquance des mineurs. Il facilite les dérogations aux règles d’atténuation des peines applicables aux mineurs. Je veux d’ores et déjà souligner que cet article n’a nullement vocation à remettre en cause le principe, à valeur constitutionnelle, d’atténuation de la responsabilité pénale. Il vise à faciliter les dérogations à son application, lesquelles sont déjà prévues par la loi. Les modifications qu’il intègre sont mesurées et circonscrites à des cas spécifiquement définis, ceux des mineurs multirécidivistes ayant commis un crime ou un délit grave d’atteinte à la vie ou à l’intégrité des personnes. Je le répète : en tant que rapporteur, j’ai veillé à la solidité juridique de l’ensemble de ces dispositions. À l’issue de mes travaux, j’ai acquis la conviction qu’elles vont dans le bon sens et répondent aux évolutions de la délinquance des mineurs.
Je formule le vœu que notre commission parvienne à faire évoluer ce texte avec raison et volontarisme, dans le respect des exigences constitutionnelles applicables à la justice pénale des mineurs.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux orateurs des groupes.
Mme Sylvie Josserand (RN). Cette proposition de loi se limite à son titre aguicheur. Le but annoncé par l’intitulé n’est nullement décliné dans le corps du texte, lequel se révèle dépourvu de portée pratique. Pire encore, si elle devait être adoptée en l’état, cette proposition illustrerait à nouveau l’impuissance de l’institution judiciaire. L’article 4 crée une procédure de comparution immédiate pour les mineurs âgés d’au moins 16 ans. Pourtant, quiconque a mis un jour les pieds dans un greffe de tribunal pour enfants ne peut ignorer que l’audiencement d’un dossier dans les quatre jours ouvrables est, à moyens constants, pure gageure. Effet pervers : l’impuissance judiciaire ainsi constatée sera sanctionnée par une remise en liberté d’office.
Cette proposition de loi révèle encore une grande méconnaissance des réalités. L’article 2 prévoit ainsi la possibilité, pour le juge des enfants statuant en matière d’assistance éducative, de prononcer une amende civile à l’encontre des parents qui ne défèrent pas aux convocations. Cela traduit une méconnaissance factuelle – les parents, dans leur grande majorité, font acte de présence aux audiences – mais aussi juridique – leur impécuniosité dissuadera le magistrat de prononcer l’amende ou empêchera le recouvrement de celle-ci par l’huissier.
Le texte opère de surcroît une distinction sans pertinence entre les crimes et délits d’une part et les contraventions d’autre part. En son article premier, il porte ainsi de deux à trois ans d’emprisonnement la peine encourue par l’auteur du délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales en cas de commission par le mineur de plusieurs crimes ou délits. Cette rédaction revient à ignorer que, parmi les infractions commises par les mineurs, les contraventions sont majoritaires. Ce sont notamment les atteintes aux personnes ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours, ou les dégradations et détériorations dont il n’est résulté qu’un dommage léger. Pourquoi l’aggravation de la peine encourue par le parent défaillant, auteur du délit de soustraction à ses obligations légales, serait-elle limitée aux crimes et délits commis par le mineur, alors que les contraventions précitées sont légion et empoisonnent le quotidien de nos concitoyens ?
Cette proposition de loi emporte encore des effets pervers. L’article 3 légalise la jurisprudence de l’assemblée plénière de la Cour de cassation telle qu’elle résulte de l’arrêt du 28 juin 2024, posant une responsabilité civile de plein droit des titulaires de l’autorité parentale. Mais, du fait d’une lecture sans doute trop rapide de l’arrêt, elle ignore la configuration dans laquelle le mineur est confié à un tiers par une décision judiciaire ou administrative. Il en ressort que les parents restent responsables, malgré le placement de leur enfant mineur sous la surveillance d’un tiers.
Disons-le clairement : cette proposition de loi n’est pas à la hauteur des enjeux de tranquillité et de sécurité publiques qu’emportent la délinquance et la criminalité des mineurs dans notre société. Elle présente toutefois trois intérêts. D’abord, elle exprime la volonté de redonner à l’autorité judiciaire le rôle qu’elle n’aurait jamais dû perdre vis-à-vis des mineurs délinquants, dont le sentiment d’impunité depuis plusieurs décennies est un facteur majeur de passage à l’acte. L’affirmation du rôle de la sanction pénale dans l’éducation est un message fort à leur attention.
Le deuxième intérêt de la proposition réside dans l’approche non dissociée des mineurs et de leurs parents. S’il est des parents dépassés, il en est aussi dont la passivité interroge face au comportement infractionnel chronique de leur progéniture. L’affirmation de la responsabilité des parents, c’est-à-dire de leur aptitude à répondre de leurs propres actes face à la délinquance du mineur, est un second message fort.
Le troisième intérêt réside dans le refus d’une bienveillance naïve, trop longtemps accordée à des mineurs délinquants de plus en plus jeunes, de plus en plus violents et de plus en plus nombreux. Le durcissement de la réponse pénale par l’exclusion de plein droit – certes encore soumise à de nombreuses conditions – de l’excuse de minorité constitue un troisième message de fermeté qu’il convient de saluer. Rappelons toutefois qu’il s’agit d’une mesure prônée de longue date par le Rassemblement national, ayant donné lieu à plusieurs propositions de loi.
Compte tenu du triple intérêt qu’elle présente, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi.
Mme Laure Miller (EPR). « Nos principes sont dépassés. Il ne s’agit pas de mettre les mineurs en prison. Il s’agit de remettre dans le droit chemin ceux qui s’en écartent, en leur faisant le plus tôt possible prendre conscience de ce qui est permis et de ce qui ne l’est pas. »
« Chaque délit se doit d’être sanctionné, a fortiori ceux perpétrés par les multirécidivistes, trop souvent mineurs et animés par un sentiment d’impunité nourri à la source des simples rappels à la loi censés répondre à la multiplication de faits avérés. »
« […] les petits caïds, je les avertis : ceux qui ont pu croire que la loi ne les concernait pas, le prochain président les prévient, la République, oui, la République vous rattrapera ! »
« Ce sont des sauvageons. »
« L’excuse de minorité doit pouvoir être remise en cause dans un certain nombre de situations. »
Une seule de ces citations est celle d’une personnalité de droite, Nicolas Sarkozy. Toutes les autres émanent de la gauche, de François Hollande à Bernard Cazeneuve en passant par un texte collectif du Parti socialiste et par Didier Migaud. Cela démontre que, sur le sujet de la délinquance des mineurs, il faut sortir des postures et chercher la plus grande efficacité, sans sortir de notre cadre constitutionnel ni du droit européen. Il n’est pas interdit d’observer qu’une majorité de nos compatriotes constatent que la justice des mineurs pourrait mieux fonctionner. Il n’est pas interdit non plus de transformer en actes le discours sur le retour de l’autorité que nous sommes nombreux à tenir dans cette enceinte. C’est le premier objectif de cette proposition de loi.
Avec les articles 4 et 5, nous envoyons un premier message : la procédure sera désormais mieux adaptée à la violence des mineurs délinquants. Avec la création d’une procédure de comparution immédiate pour les mineurs, l’article 4 offre au magistrat une réponse judiciaire rapide au trouble à l’ordre public occasionné par l’infraction grave pour laquelle un mineur est mis en cause, lorsque la gravité des faits et la personnalité de ce dernier le justifient. L’article 5 assouplit les conditions dans lesquelles les juridictions peuvent déroger aux règles d’atténuation des peines applicables aux mineurs âgés de plus de 16 ans, avec un dispositif équilibré : il supprime le caractère exceptionnel de la dérogation à ces règles, dispense les juridictions de l’obligation de motiver spécialement leur décision lorsqu’il y a récidive et renverse le principe d’atténuation des peines pour les mineurs âgés de plus de 16 ans – avec, bien sûr, des conditions restrictives.
Le texte vise aussi à responsabiliser les parents. Il suffit de rencontrer des travailleurs sociaux, des professeurs et des magistrats pour être lucide face au désengagement total de certains d’entre eux. Si des enfants se livrent à des actes de délinquance, c’est parfois parce que leurs parents ont démissionné de leur rôle ou les laissent passer la soirée dehors sans y voir aucun problème. Nous estimons que ces parents engagent leur responsabilité. L’article 1er facilite la caractérisation du délit de soustraction par un parent à ses obligations légales prévues à l’article 227-17 du code pénal. L’article 2 crée une obligation, pour les parents, de déférer aux convocations aux audiences et aux auditions du juge des enfants statuant en matière d’assistance éducative. Cet article prévoit en outre que le juge des enfants peut condamner à une amende civile les parents qui ne respecteraient pas une telle obligation sans motif légitime.
L’article 3 concerne la responsabilité civile des parents s’agissant des dommages causés par leur enfant mineur, dont les conditions sont définies à l’article 1242 du code civil. Il prévoit d’instaurer une responsabilité solidaire des parents de plein droit, dès lors que ceux-ci exercent l’autorité parentale sur l’enfant mineur auteur du dommage.
Les émeutes de l’été 2023 ont touché de nombreuses villes et marqué notre pays. Après le temps du constat et du diagnostic, nous n’avons plus le droit de temporiser : nous devons agir. Cette proposition de loi n’est pas une simple réponse. Elle est un rempart contre ceux qui croient que la République peut fermer les yeux ; elle est un message ferme à une partie de notre jeunesse qui glisse vers la délinquance et vers une violence parfois complètement décomplexée. Le présent texte est une chance de nous rassembler autour de valeurs fondamentales qui sont au cœur de notre pacte républicain : le respect de l’autorité et le civisme. Il conserve le principe d’une justice des mineurs qui bâtit sans briser, qui sanctionne sans détruire et qui donne à chaque jeune une chance de se reconstruire.
Pour toutes ces raisons, le groupe Ensemble pour la République soutient cette proposition de loi qui apporte une réponse claire et assumée aux attentes de nos concitoyens.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Nous examinons un énième texte répressif, en direction cette fois des enfants. Trois ans seulement après le code de la justice pénale des mineurs, qui a déjà fortement durci le droit pénal applicable aux mineurs tel qu’il ressortait de l’ordonnance de 1945, vous remettez une pièce dans la machine répressive sans même avoir dressé un bilan de la dernière réforme. Voici un texte qui répond visiblement à un calendrier politique et non pas à un besoin ; un texte contre- productif à l’égard de ceux dont nous devons plus que tout défendre l’intérêt supérieur, comme l’ont rappelé la grande majorité des professionnels que vous avez auditionnés la semaine dernière.
Les nouvelles dispositions prévues par le CJPM commençaient déjà à grignoter les principes fondamentaux qui font de la justice des mineurs une justice spécialisée. Cette proposition de loi, qui tend à rapprocher le traitement pénal des mineurs de celui des majeurs, va encore plus loin. Sans grande surprise, elle reprend en partie les éléments annoncés par Gabriel Attal lorsqu’il était premier ministre : accélération de la pénalisation des mineurs avec la comparution immédiate, responsabilité pénale des parents du fait de leurs enfants et fin de l’atténuation de responsabilité en cas de récidive.
Cette vision autoritaire et paternaliste est déconnectée des réalités sociales qui entourent la délinquance des mineurs. Plus de la moitié des mineurs pris en charge pénalement ont fait l’objet d’un suivi au titre de l’enfance en danger. Au lieu de s’attaquer aux véritables problèmes structurels participant à la délinquance des enfants – la précarité, la maltraitance, la déscolarisation, la souffrance familiale – la proposition de loi préfère incriminer des parents soi-disant défaillants et aggraver les sanctions contre des enfants qui sont souvent les premières victimes de leurs conditions de vie, du désengagement de l’État et de la défaillance de l’action sociale.
Selon les données du ministère de la justice, la délinquance est en baisse chez les mineurs, tandis que les actes de violence qu’ils subissent augmentent. Ce signal alarmant témoigne d’une défaillance systémique dans la protection de l’enfance. Dénué de toute vision globale et tel un pompier pyromane, M. Attal prétend résoudre un problème que sa propre politique n’a de cesse d’alimenter : l’austérité et ses conséquences dramatiques sur toute la chaîne éducative et judiciaire accompagnant les mineurs. Comme le souligne avec clarté le Syndicat de la magistrature, combien de fois faudra-t-il que les praticiens et les professionnels de terrain répètent que l’autorité la plus structurante est celle qui protège, pas celle qui menace ?
Votre logique répressive qui déresponsabilise l’État et déshumanise les mineurs est non seulement inefficace mais aussi dangereuse. Ce texte ne répond à aucune des causes profondes du mal-être des jeunes. Il ne prend pas en compte le manque de moyens dans les services éducatifs et sociaux, ni le retard considérable pris par l’État dans l’accompagnement des familles en difficulté. Il est urgent de sortir des préjugés méprisants et déconnectés de la réalité selon lesquels les parents de ces jeunes seraient moins concernés par le sort de leurs enfants, et la délinquance de ces derniers innée. Ce sont des enfants dont, par définition, la construction n’est pas terminée et qui se trouvent à un moment charnière, celui de l’adolescence, au sein de familles souvent très démunies face à la situation. C’est le constat que dressent les juges des enfants, défenseurs des droits, avocats et éducateurs – c’est-à-dire toutes celles et ceux qui travaillent au plus près d’une réalité dont vous semblez au contraire terriblement éloignés.
La justice des mineurs doit être restaurée dans sa fonction éducative, afin d’accompagner les jeunes sur le chemin de la réhabilitation. Votre réforme, dont l’échec est annoncé, ne répond pas à la question de fond : comment empêcher les jeunes de tomber dans la délinquance ? La prison n’est pas une solution pour eux, encore moins pour leurs parents. Il est urgent de les traiter pour ce qu’ils sont : des enfants, parfois en danger, souvent perdus, qui ont besoin d’une prise en charge éducative renforcée et d’un accompagnement personnalisé. Telle est la clé de voûte de la justice des mineurs.
M. Marc Pena (SOC). Avec un zèle répressif dont une partie du bloc central est coutumière, cette proposition de loi confond fermeté et brutalité, autorité et autoritarisme. Loin d'être anecdotique, cette confusion est lourde de conséquences. Elle trahit une vision de la société dans laquelle le pouvoir ne s’exerce plus pour construire et émanciper mais pour contraindre et stigmatiser. Après avoir agité le spectre de l’ordre sans contenu en devenant ministre pour occuper l’opinion, Gabriel Attal, redevenu député, s’attaque désormais à la justice des mineurs, sacrifiant nos principes fondamentaux sur l’autel d’une démagogie prête à satisfaire une nouvelle fois – nous venons de l’entendre – le discours de l’extrême droite. Ce texte, que vous présentez avec gravité comme la réponse ultime à la délinquance des mineurs, s’inscrit dans une tradition bien connue à droite, celle qui préfère le bruit des coups de communication à la discrétion des solutions de fond.
Vous proposez trois mesures qui s’inscrivent dans une logique punitive rétrograde, trois attaques directes contre les fondements de l’État de droit et de la justice, en particulier celles des mineurs – celle, je vous le rappelle, des enfants de la République. Mais ce texte est bien plus qu’un simple dispositif répressif. C’est un manifeste politique qui incarne votre populisme, une machine à dévoyer les principes républicains pour offrir des satisfecit à une opinion que vous préférez séduire plutôt qu’élever. En prétendant responsabiliser les familles, vous masquez bien mal le mépris social dont votre texte est imprégné. Il faut sans doute être né et avoir grandi toute sa vie dans le 7e arrondissement de Paris pour imaginer que la délinquance juvénile disparaîtra à coups de sanctions financières ou de travaux d’intérêt général (TIG) imposés aux parents. Savez-vous qui vous ciblez ? Des familles souvent monoparentales, plongées dans une précarité écrasante. Croyez-vous sérieusement qu’en condamnant un parent pour n’avoir pas su empêcher les errements de l’un de ses enfants, vous apporterez une réponse digne ?
Contrairement à ce que vous venez de dire, seule une minorité des 180 000 mineurs impliqués dans des affaires judiciaires en 2023 l’étaient pour des crimes graves. La majorité des faits reprochés relèvent d’infractions mineures, souvent révélatrices des fractures sociales – car, je vous l’apprends peut-être, ces mineurs sont des jeunes déscolarisés, exclus par un système éducatif à bout de souffle qui n’offre ni accompagnement ni horizon, des jeunes au ban de la République, délaissés par les services publics les plus fondamentaux, des jeunes exclus de notre contrat social. Ces enfants et leurs familles n’ont pas besoin de la matraque législative : ils ont besoin d’aide, de soutien, d’accompagnement. Punir les parents, c’est emprunter un chemin bien commode, celui de la culpabilisation individuelle, en jetant le discrédit sur le parent pour masquer les défaillances de l’État. Ce texte semble vouloir inscrire dans la loi l’idée que chaque parent pris isolément porterait l’entière responsabilité des actes de son enfant, comme si le contexte social, économique et même institutionnel pouvait être balayé d’un revers de la main. Une telle vision est non seulement erronée mais profondément injuste. Vous confondez l’autorité, qui émane d’une confiance collective dans les institutions et dans la capacité de l’État à protéger et à éduquer, avec l’autoritarisme, qui s’impose par la peur et la sanction. L’autorité véritable ne se décrète pas : elle se construit, dans une société garantissant l’égalité des chances. Vous proposez précisément l’inverse.
M. Olivier Marleix (DR). Nous ne sommes plus en 1945. La délinquance des mineurs a changé de nature et d’ampleur. Les mineurs sont trop souvent instrumentalisés dans le trafic de drogue, parce que leur âge leur offre une forme d’immunité relative. Ils sont aussi de plus en plus souvent présents dans les enquêtes concernant des faits de terrorisme. Nous faisons face à un changement grave de la situation. Nous devons évidemment faire évoluer le droit pénal des mineurs dans le respect des principes constitutionnels que sont la primauté de l’éducatif sur le répressif, l’atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l’âge et la spécialisation de la justice.
Cette proposition de loi ne mérite cependant pas l’outrance de certains de nos collègues, tant elle est minimaliste. L’article 4 a le mérite de réintroduire – de façon minimale, toutefois – la comparution immédiate des mineurs, supprimée en 2021. L’article 5 supprime l’atténuation de la peine en cas de récidive, mais uniquement pour les auteurs de crimes ou délits graves. D’autres mesures ont une portée essentiellement symbolique. Enfin, je crains que l’article 1er ne vide de sa substance l’article 227-17 du code pénal, dont on avait découvert l’utilité pour responsabiliser et sanctionner les parents au moment des émeutes de 2023.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Le défi que soulève la lutte contre la délinquance juvénile doit être pris avec sérieux et discernement, certainement pas à coups de communication viriliste et encore moins à coups de menton. Malgré les intentions énoncées par son auteur, nous n’avons relevé dans ce texte aucune disposition qui s’inscrirait « dans le respect des principes à valeur constitutionnelle de la justice des mineurs ». En prenant pour prétexte les révoltes urbaines de juillet 2023, auxquelles elle ne répond en rien, la proposition de loi apporte une réponse exclusivement répressive, sécuritaire et carcérale sans même tenter d’appréhender les causes structurelles de la violence – des causes que, fût-ce involontairement, vous nourrissez par vos politiques de la ville et de l’éducation et parce que vous abandonnez la protection de l’enfance.
C’est donc avec une profonde inquiétude que nous accueillons cette proposition de loi qui symbolise à nos yeux une faillite doctrinaire. En dépit des alertes quasi unanimes des professionnels, elle abandonne les principes fondamentaux du tout récent code de la justice pénale des mineurs dont vous étiez déjà le rapporteur il y a trois ans, monsieur le rapporteur. Comment justifier un tel reniement en l’absence d’un début d’évaluation, et sans fournir de données crédibles et objectives ?
L’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs selon leur âge, d’abord, est un principe consacré par la décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002 et inscrit à l’article 40 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), qui a été ratifiée par la France. Pourtant, l’article 5 de la proposition va jusqu’à instaurer une exclusion automatique, ce qui revient à juger des mineurs comme des majeurs. La primauté de l’éducatif sur le répressif, ensuite, est un principe qui fait ses preuves quand on se donne les moyens de l’appliquer. Pourtant, le texte propose seulement de juger plus sévèrement, sans aucune mesure éducative en contrepartie. L’article 4 instaure pour les mineurs dès 16 ans une procédure de comparution immédiate dont les dérives sont déjà bien documentées. Les délais de détention provisoire s’en trouveraient allongés – allons bon, on n’a qu’à tous les enfermer ! Que dire enfin de la criminalisation des parents ? L’article 1er engage leur responsabilité pénale pour des actes qu’ils n’ont pas commis, en violation évidente du principe fondamental de la personnalité des peines : nul n’est responsable pénalement que de son propre fait.
Selon l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), un tiers des mineurs suivis en protection de l’enfance font l’objet de poursuites pénales à un moment donné. Ils viennent de familles déjà en grande difficulté, avec des parents qui auraient davantage besoin de soutien à la parentalité que de sanctions. Nombre d’entre eux se trouvent en effet dans une situation de précarité, d’isolement social ou de monoparentalité, ou souffrent d’un état de santé dégradé. L’article 2 pousse même le sadisme jusqu’à contraindre les parents à adhérer à des décisions d’assistance éducative en les menaçant de sanctions financières, alors même que l’exposé des motifs reconnaît que ces mesures sont d’autant plus efficaces qu’elles s’appuient sur une adhésion volontaire ! Les professionnels de terrain, quasi unanimes, nous ont alertés : l’ensemble du texte est aussi incohérent que contre-productif. Pousser à la comparution immédiate, c’est-à-dire à la prison, c’est pousser à la récidive.
Au sortir de la discussion budgétaire, M. Attal écrivait dans l’exposé des motifs : « Les Français ne comprennent pas que l’on ne donne pas à la justice les moyens d’agir (…). » C’est pourtant lui qui, premier ministre, organisait un plan social à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), supprimant 500 postes d’éducateurs, de psychologues ou d’assistants sociaux. Effectivement, on ne comprend pas !
Le groupe écologiste et social votera contre cette proposition élaborée sans évaluation et sans bilan. Je conclurai en rappelant ces mots tirés de l’ordonnance du 2 février 1945 : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. » Tâchons de ne pas trahir cette promesse.
Mme Blandine Brocard (Dem). Malgré l’outrance des critiques exprimées d’un côté comme de l’autre, cette proposition de loi vise à apporter des réponses concrètes à un besoin réel : adapter notre droit pour faire face à la montée des violences juvéniles et à un sentiment d’impunité grandissant, tant chez les délinquants qu’au sein de notre société, trop souvent confrontée à des faits de violence extrême impliquant des mineurs. Ces agissements – destruction ou détérioration de biens publics, atteintes aux personnes, agressions physiques ou verbales –, commis par des jeunes qui défient de plus en plus violemment tout type d’autorité, n’ont évidemment pas leur place dans notre société et appellent une réponse ferme et rapide.
Cependant, nous sommes profondément attachés à la philosophie qui a toujours sous-tendu la justice des mineurs, à savoir la nécessité de trouver un équilibre entre sanction, éducation et réinsertion, de reconnaître que derrière chaque acte répréhensible se trouve un jeune cabossé et privé de repères, et d’agir en vue de prévenir la récidive tout en offrant une chance de reconstruction.
Nous saluons donc cette proposition de loi, qui vise à responsabiliser davantage les parents. Il est crucial que les familles jouent pleinement leur rôle dans l’encadrement et l’éducation des mineurs. La création d’un dispositif renforçant les obligations des parents vis-à-vis de leurs enfants est nécessaire pour répondre à certaines situations de défaillance parentale et les sanctionner. Lorsqu’un délit est commis par un mineur, il faut établir une chaîne de responsabilités et évaluer les différentes influences à l’œuvre, y compris venant de ceux qui profitent de leur ascendant sur les plus jeunes pour les inciter à commettre des délits qui vaudraient à des majeurs un séjour en prison.
Nous reconnaissons également la pertinence de l’introduction d’une procédure de comparution immédiate pour les mineurs de 16 à 18 ans dans les cas les plus graves, tout en insistant sur la nécessité de maintenir un cadre strict, garantissant le respect des droits de l’enfant. Les principes d’atténuation des peines et de spécialisation des juridictions doivent rester des piliers intangibles de notre système, conformément à nos engagements internationaux et à nos valeurs républicaines.
Par ailleurs, cette proposition de loi introduit un débat essentiel sur la question de la proportionnalité des peines. L’atténuation de responsabilité des mineurs, ancrée dans notre droit, reste un impératif. La réponse judiciaire doit tenir compte de la personnalité et du parcours du jeune, tout en permettant une sanction ferme et adaptée aux actes commis.
Rappelons en outre que la répression ne saurait suffire : une justice efficace passe par le renforcement des moyens alloués à l’accompagnement éducatif et à la réinsertion. Nous appelons donc le gouvernement à aller plus loin en la matière. L’accélération des procédures judiciaires ne doit pas se faire au détriment des mesures éducatives, qui sont le socle d’une lutte pérenne contre la délinquance.
Nous saluons l’équilibre de ce texte, qui entend conjuguer fermeté et humanité. Le groupe Démocrates soutiendra cette proposition de loi, avec la volonté qu’elle s’inscrive dans une politique globale et ambitieuse en faveur des mineurs.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Ce texte part d’un constat que nous ne pouvons plus ignorer : la violence des mineurs explose et surgit de plus en plus précocement. Ce phénomène ne se résume pas à une succession de faits divers ; il est le symptôme d’un mal plus profond, qui interroge à la fois l’autorité de l’État, la responsabilité parentale et notre capacité à transmettre dès le plus jeune âge les règles fondamentales de la vie en société.
Cette tendance n’épargne aucun territoire. Elle est à l’œuvre chez moi, dans le Val-d’Oise, département le plus jeune de France, où la délinquance a changé au point que les magistrats du tribunal pour enfants de Pontoise prononcent désormais davantage de mesures répressives que de mesures éducatives.
Nous partageons l’ambition du texte : affirmer que la délinquance juvénile ne peut être tolérée et rappeler que l’impunité détruit la confiance de nos concitoyens envers les institutions. La justice des mineurs, dans notre tradition républicaine, n’obéit pas non plus à une logique d’abandon ou de stigmatisation : les mineurs restent des individus en construction. Le chemin entre ces deux exigences est certes étroit, mais il existe.
Nous soutiendrons donc les mesures visant à améliorer la réponse pénale pour réprimer comme il se doit les actes de violence et d’hyperviolence, ainsi que celles visant à responsabiliser les parents – car si les mineurs sont sous l’autorité de la justice, ils sont aussi sous celle de leurs parents.
S’agissant de la comparution immédiate, si nous sommes favorables à une réponse pénale rapide, nous nous interrogeons sur la capacité des juridictions spécialisées à suivre le rythme, alors que le budget du ministère de la justice baisse. Plus généralement, nous serons attentifs aux équilibres, à la proportionnalité des sanctions et à la constitutionnalité de certains dispositifs.
Enfin, nous alertons sur le fait que la justice des mineurs appelle certes de la fermeté, mais aussi des mesures de prévention. La question essentielle est toujours de savoir comment éviter que les mineurs n’entrent dans un cycle de violence. Pour ce faire, il faut avoir conscience de la désintégration du cadre familial, de l’influence néfaste des réseaux sociaux, de l'érosion des figures d’autorité que sont les policiers ou les enseignants, de l’absence de limite chez certains enfants, et de la faiblesse des structures éducatives, notamment dans les quartiers sensibles. La justice n’intervient qu’en dernier ressort, quand le mal est fait.
Dans cette attente, notre groupe proposera plusieurs amendements pour mieux adapter le texte à la réalité de la justice des mineurs.
À l’article 1er, nous proposerons d’étendre le champ de la circonstance aggravante en l’appliquant dès le premier crime commis par l’enfant. Nous souhaitons aussi remplacer la peine complémentaire de travail d’intérêt général, que les parents peuvent refuser, par un stage obligatoire de responsabilité parentale. À l’article 5, nous proposerons d’abaisser le seuil retenu pour restreindre l’excuse de minorité à 15 ans au lieu de 16, afin de tenir compte du rajeunissement de la délinquance des mineurs.
Nous saluons donc globalement les intentions exprimées à travers ce texte, même si nous resterons vigilants quant à ses applications.
Mme Martine Froger (LIOT). Les fractures qui traversent notre société touchent directement les mineurs. Les émeutes de juin 2023 et les épisodes de violence plus récents, tant dans l’Hexagone qu’en outre-mer, ne sont que l’expression de ces tensions et appellent une réponse. Je tiens toutefois à nuancer l’ampleur du phénomène : en 2022, 168 000 mineurs ont été mis en cause dans des affaires de délinquance, soit 2,5 % des 10-17 ans. Seuls un peu plus de 30 000 d’entre eux ont été condamnés. Cette délinquance reste donc contenue. Ne versons pas dans un discours alarmiste qui justifierait de bafouer les principes fondamentaux de la justice pénale des mineurs.
Ma première réserve porte donc sur la nature de la réponse à apporter à la délinquance des mineurs : s’il faut être ferme, je suis convaincue que la répression seule ne saurait être une solution efficace. C’est pourtant cette logique que vous promouvez avec ce texte. Où sont l’accompagnement, l’aide à l’insertion, la protection ? Rien n’est prévu pour aider les mineurs et leurs parents, alors même que l’accompagnement est indispensable pour éviter la récidive. Cette omission est la principale faille de votre proposition de loi.
Je vous rejoins sur un point : l’implication des parents est indispensable pour offrir une solution pérenne aux mineurs délinquants. Pour ma part, je suis plutôt favorable à l’instauration d’un stage de responsabilité, afin d’impliquer les parents qui, pour de multiples raisons, méconnaissent leurs obligations légales à l’égard de leur enfant au point de compromettre sa sécurité ou son éducation.
Je suis également réservée sur la création d’une amende civile. Si tout manquement à une obligation doit être puni, la sanction financière n’est pas adaptée : les parents concernés risquent tout simplement de ne jamais pouvoir la régler, ce qui ne ferait qu’ajouter de la précarité à la précarité.
Il ne me semble pas non plus souhaitable de créer une procédure de comparution immédiate pour les plus jeunes. La justice doit être rapide, et non expéditive. Il serait préférable de prévoir un délai plus court avant la tenue de l’audience.
Enfin, l’article 5 établit des dérogations au principe d’atténuation des peines pénales encourues par les mineurs. Il s’agit pourtant d’un principe à valeur constitutionnelle, garanti en outre par la Convention de New York relative aux droits de l’enfant. Même si vous ne ciblez que les jeunes de plus de 16 ans dans des circonstances précises, toute remise en cause de cette règle ou de la primauté de l’éducatif sur le répressif est inacceptable. L’échelle des peines prévue, qui reviendrait à appliquer d’office aux mineurs les peines applicables aux majeurs, paraît aussi complètement disproportionnée. Les principes fondamentaux de la justice doivent être préservés.
Mme Elsa Faucillon (GDR). En écoutant le rapporteur, je me dis que la façon dont une société traite sa jeunesse est un excellent indicateur de la capacité de l’État à protéger ses citoyens, particulièrement les plus vulnérables. À cette aune, je mesure combien vous vous éloignez de cette responsabilité. Trois ans après l’adoption du code de la justice pénale des mineurs, vous présentez un texte qui risque d’alourdir les procédures et de n’avoir d’autre utilité que d’introduire de nouvelles mesures répressives dans le débat public, tout en mettant en danger les principes fondamentaux de la justice des mineurs.
Je constate aussi que votre action s’appuie sur des sentiments plus que sur des chiffres. L’exposé des motifs est parsemé de poncifs réactionnaires. Il faudrait « provoquer un sursaut d’autorité », comme si l'autorité était une fin en soi. Vous réagissez aux révoltes nées de la mort de Nahel, provoquée par un tir policier, sans retenir aucune conséquence de la réalité des faits – 83 % des personnes condamnées étaient d’ailleurs des primo-délinquants. Si la délinquance des mineurs doit être prise au sérieux, elle doit être appréciée avec précision plutôt qu’au pifomètre. Selon les statistiques de la Chancellerie, l’activité des tribunaux pour enfant a concerné, depuis trois ans, un nombre relativement stable de mineurs auteurs d’infraction pénale, soit 47 385 en 2023, contre 62 568 en 2019. Le constat de départ n’est donc pas rigoureux.
Cette proposition de loi comporte en outre des éléments dangereux.
Les articles 1er à 3, qui prévoient plusieurs mesures visant à responsabiliser les parents dits défaillants, reposent sur une approche exclusivement répressive et ne permettront pas de soutenir concrètement la parentalité en vue de protéger les enfants. L’adhésion des parents aux mesures éducatives et pénales ne saurait s’imposer par la contrainte. Les défaillances des parents et leurs difficultés à assurer l'éducation et le développement physique, affectif, intellectuel et social de leur enfant sont la raison d’être des mesures d’assistance éducative, qui peuvent d’ailleurs être renouvelées, voire renfoncées par le magistrat si les difficultés et la démobilisation persistent. Le problème vient plutôt du fait que ces mesures sont difficiles à appliquer dans la pratique. L’article 1er tend ainsi à affaiblir le délit de soustraction par un parent à ses obligations légales, les notions de « caractère répété » ou de « gravité » constituant un recul majeur.
Les articles 4 et 5, en créant une procédure de comparution immédiate pour les mineurs et en prévoyant des exceptions au principe d’atténuation de la peine, portent gravement atteinte à la Convention internationale des droits de l’enfant et à l’esprit de l’ordonnance de 1945. Pourquoi faire si peu confiance à la jeunesse et aux services publics concernés, qui sont capables de traiter ces cas pour peu qu’on leur en donne les moyens ?
Limiter la réponse apportée à la jeunesse au seul volet répressif est un aveu de déclin. Pour les familles monoparentales, enfin, cela reviendra à leur mettre encore un peu plus la tête sous l’eau.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Nous avons tous à cœur de protéger les enfants. Cependant, nos solutions divergent : il y a ceux qui promeuvent la culture de l’excuse, la permissivité, le laxisme ; et ceux qui pensent au contraire que l’adolescent, pour se construire, a besoin d’autorité et de règles.
Ces règles, c’est d’abord sa famille qui doit les lui inculquer, même si, malheureusement, on constate souvent des défaillances – c’est l’objet du texte. La deuxième source d’éducation à l’autorité, c’est l’école, elle aussi bien chancelante. Nous avons aujourd'hui à examiner le troisième pilier : la justice. Cette proposition de loi, que certains qualifient de texte de circonstanciel ou démagogique, a le mérite de tenter de restaurer, en partie seulement, l’autorité de la justice face à la délinquance des mineurs et à renforcer la responsabilité de leurs parents.
Pour ceux qui vivent sur le terrain et qui connaissent la réalité de notre société, il est indéniable que nous assistons depuis plusieurs années à un phénomène préoccupant : une partie de la jeunesse glisse vers le rejet des règles de la République, en se livrant à une violence gratuite et aveugle jusqu’alors inédite. Il est indéniable que le mineur de 2024 n’est pas celui d’il y a presque quatre-vingts ans. Les émeutes de juin 2023 ne furent pas les premières. Elles ont été marquées par le saccage, le pillage, la destruction de biens publics et privés par certains jeunes de cités.
Gérard Collomb prévenait déjà en 2018 : « Aujourd’hui, on vit côte à côte ; je crains que demain on vive face à face. » Nous y sommes. Les dernières émeutes ont mis en exergue les défis auxquels nous devons faire face, sans démagogie. Je me réjouis de constater que plusieurs groupes semblent disposés à le faire. Nous devons prendre des mesures concrètes pour permettre à la justice d’agir efficacement contre la violence des mineurs, trop souvent enhardis par le sentiment d’impunité qu’ils ressentent chaque fois qu’ils sont confrontés à la police ou à la justice. Les Français ne supportent plus de payer la facture de ceux qui cassent tout à la moindre occasion et au moindre prétexte.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur le fait que certains parents – je le déplore comme vous – abandonnent leur responsabilité, créant un terreau fertile pour la délinquance, voire en profitent quelquefois. Il est temps d’enrayer cette délinquance de plus en plus précoce et violente en responsabilisant les familles.
Même si je fais miennes les remarques parfaitement fondées et étayées de l’oratrice du Rassemblement national, qui a su mettre en exergue les failles et faiblesses de ce texte, et surtout l’incertitude quant à son application pratique alors que la justice est en difficulté, le groupe UDR, qui se veut objectif et salue les bonnes idées, même lorsqu’elles viennent de ses adversaires politiques, votera donc en faveur de cette proposition de loi, tout en regrettant son caractère inabouti. Peut-être serait-il temps, par exemple, d’abaisser la majorité pénale à 16 ans, tant il est clair qu’un mineur de 18 ans est un véritable adulte, qui profite de l’état actuel du droit, y compris pour s’enrichir.
M. Sacha Houlié (NI). J’ai été très surpris du dépôt de cette proposition de loi. Consulté à son sujet par le premier ministre, j’avais fait part, au nom de la commission des lois, de toute mon hostilité à ce texte, dans une lettre que je tiens à votre disposition. La commission est intervenue sur ces questions à travers deux missions d’information, l’une conduite en 2019 en amont de la création du code de la justice pénale des mineurs, l’autre formée en 2023 pour évaluer son application. Les corapporteurs de ces deux missions étaient Cécile Untermaier et Jean Terlier, qui semblaient alors s’opposer au principe des dispositions que nous nous apprêtons à examiner.
L’ancien garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, m’a autorisé à dire qu’il jugeait les dispositions proposées par Gabriel Attal aussi inefficaces que dangereuses, qu’il s’agisse de la responsabilisation des parents, de l’audience en comparution immédiate – qui dévoie l’audience unique déjà prévue pour les faits les plus graves –, ou surtout de la remise en cause de l’atténuation de responsabilité, déjà expérimentée sous une forme édulcorée par Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012 et dont il n’est pas certain que la version proposée ici respecte les critères de la jurisprudence constitutionnelle.
Ce texte remet en cause tous les principes que nous avons soigneusement inscrits dans le code de la justice pénale des mineurs : la spécialisation des juridictions et des procédures, la primauté de l’éducatif sur le répressif, ou encore l’atténuation de la responsabilité selon l’âge. Il repose sur le postulat complètement erroné d’une inflation du nombre d’infractions. Il risque, à travers ses articles 4 et 5, de déstabiliser profondément les juridictions, dont le rapport d’information rédigé en 2023 signalait qu’elles avaient déjà des difficultés à absorber tout le stock d’affaires en cours.
Pour que la parole du rapporteur Terlier soit respectée, j’ai repris sous forme d’amendements les recommandations qu’il avait émises à l’époque : systématiser les mesures d’investigation pour mieux prendre en compte la personnalité du mineur avant de prononcer la peine, imposer la production d’un rapport éducatif au stade du défèrement devant le juge des libertés et de la détention (JLD), limiter le recours à l’audience unique, encourager les périodes de mise à l’épreuve incluant des mesures de réparation, ou encore surseoir à statuer sur la sanction en cas d’appel sur la culpabilité. Tous ces outils seraient autrement plus utiles que ceux proposés par l'ancien premier ministre, dont il n’y a pas grand-chose à sauver.
M. Jean Terlier, rapporteur. J’ai la tâche difficile de répondre à la fois à ceux qui considèrent que cette proposition de loi de Gabriel Attal serait minimaliste et à ceux qui considèrent qu’elle remet en cause l’État de droit et les grands principes de la justice pénale des mineurs.
Le texte ne remet en cause ni l’ordonnance de 1945 ni le code de la justice pénale des mineurs créé en 2021. Elle ne remplace en rien les dispositifs votés alors et depuis partiellement évalués, pas plus qu’elle ne revient sur les grands principes constitutionnels de la justice pénale des mineurs.
Vous estimez que la mesure inspirée du modèle de la comparution immédiate conduirait à privilégier le répressif au détriment de l’éducatif. J’appelle votre attention sur les conditions d’ouverture de cette procédure : elle ne concernera que les mineurs ayant commis des infractions les exposant à une peine de sept ans d’emprisonnement – ou cinq ans en flagrance –, se trouvant en état de récidive légale, et ayant fait l’objet d’un recueil de données socio-économiques. Les mineurs concernés pourront en outre s’y opposer. La procédure prévue à l’article 4 sera donc utilisée de manière tout à fait exceptionnelle et restera à la main des parquets, la procédure principale restant celle de la césure, qui privilégie, après le jugement sur la culpabilité, une mise à l’épreuve éducative. La primauté de l’éducatif sur le répressif est donc bien respectée.
De la même manière, le principe fondamental reconnu dans les lois de la République selon lequel un mineur ne peut pas être jugé comme un majeur n’est pas remis en cause par l’article 5. Un juge peut d’ailleurs déjà, par une décision motivée, considérer qu’un mineur de 16 ans peut être jugé comme un majeur. Cette possibilité n’est toutefois utilisée que dans 0,24 % des condamnations de mineurs. Le dispositif existe donc bien, mais il n’est pas opérationnel. Si l’article 5 est adopté, le principe demeurera bien celui de l’atténuation de la responsabilité pénale. Nous proposons simplement de permettre au juge d’apprécier, dans des cas déjà prévus par la loi et en fonction de la personnalité du mineur comme des circonstances de l’espèce, s’il doit conserver l’atténuation de la responsabilité du mineur – auquel cas il devra motiver sa décision – ou lui appliquer les règles valables pour les majeurs. Seuls seront concernés des faits très graves, perpétrés par des mineurs en état de double récidive légale, c'est-à-dire ayant commis trois crimes ou délits graves. Ces dispositions s’inscriront dans un cadre constitutionnel éprouvé.
Le volet civil, ensuite, me semble faire l’objet d’une grande confusion. Il concerne les procédures d’assistance éducative dans le cadre desquelles les parents sont convoqués à une audience ou à une audition en vue d’une décision très importante pour leur enfant. Dans l’immense majorité des cas, les parents sont présents, c’est vrai. Simplement, pour les rares exceptions où ils ne le sont pas – c’est souvent le père qui est absent –, il ne me semble pas totalement inutile de créer un outil complémentaire, laissé à la main du juge, en permettant à ce dernier, en fonction de la solvabilité des parents et des circonstances, de leur infliger une amende civile.
Nous aurons l’occasion de revenir sur l’article 3 relatif à la responsabilité des parents, car j’ai cru entendre certains orateurs confondre les premier et quatrième alinéas de l’article 1242 du code civil.
Contrairement à La France insoumise, je ne crois pas que la délinquance soit en baisse : elle se maintient à un niveau plutôt stable, mais élevé. On constate par ailleurs la commission d’actes de plus en plus violents, notamment chez les mineurs de plus de 16 ans. Cette proposition de loi a précisément vocation à cibler cette population.
Enfin, j’appelle notre collègue socialiste à sortir des caricatures : le texte ne remet en cause ni les fondements de l’État de droit ni les principes de la justice pénale des mineurs. Il ne s’agit pas d’accabler les parents qui n’ont pas réussi à empêcher la commission d’une infraction, mais de viser ceux qui ont sciemment, par des manquements graves ou répétés à leurs obligations, contribué à ce que leur enfant commette des infractions.
Article 1er (art. 227-17 et 322-15 du code pénal) : Préciser le champ d’application du délit de soustraction par un parent à ses obligations légales et créer une circonstance aggravante
Amendements de suppression CL4 de M. Marc Pena, CL10 de Mme Elsa Faucillon, CL30 de M. Jean-François Coulomme, CL37 de M. Pouria Amirshahi et CL58 de M. Sacha Houlié
M. Marc Pena (SOC). Nous sommes très réservés sur l’article 1er, qui tend à imputer aux parents une responsabilité directe, et selon nous excessive, dans les actions commises par leurs enfants.
Les parents, dans leur grande majorité, ne se soustraient pas sciemment à leurs obligations. Les en accuser est injuste et simpliste. Faire porter le poids des comportements déviants des mineurs sur les seuls parents est une faute : toutes les composantes de la société, au premier rang desquelles l’État, ont un rôle essentiel à jouer. Introduire une peine complémentaire de travail d’intérêt général serait totalement contre-productif. Je me demande même comment on peut y songer.
Sur le plan juridique, je m’inquiète du manque total de clarté des critères censés définir la défaillance ou la négligence parentale. L’article 111-4 du code pénal dispose que « la loi pénale est d’interprétation stricte ». Or une telle ambiguïté pourrait donner lieu à des interprétations arbitraires. C’est en ce sens qu’elle fragilise l’État de droit.
Je suis fermement convaincu que cette proposition de loi n’apporte aucune solution adéquate pour traiter efficacement la délinquance des mineurs.
Mme Elsa Faucillon (GDR). L’amende civile existe déjà et est relativement peu utilisée. J’ai bien compris que le rapporteur estime qu’un dispositif qui n’est pas appliqué doit être généralisé, mais cette logique me paraît un peu étrange.
Heureusement, les professionnels de la protection de l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse cherchent à comprendre les causes de ce que vous appelez des défaillances, dans toute leur complexité. Si des parents n’assistent pas à une audience, par exemple, ce peut être parce que leur employeur n’a pas pu les libérer, ou encore parce que, étant convoqués pour la douzième ou la treizième fois, ils ont perdu confiance en la capacité de la justice à faire son travail. Les explications sont parfois plus complexes qu’on peut le croire au premier abord. Merci aux professionnels qui œuvrent à les analyser finement pour trouver des solutions efficaces, plutôt que prendre des mesures au pifomètre.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Cette proposition de loi est la démonstration parfaite que la droite a failli, dans sa fonction de protection de la société autant que dans sa fonction préventive et éducative. Elle a failli dans sa fonction protectrice en supprimant la police de proximité et en restreignant les moyens de la police judiciaire, dont les enquêtes permettent pourtant de démanteler les réseaux de trafiquants ; dans la lutte financière contre les trafics d’êtres humains, d’armes et de drogues ; et dans sa mission préventive et éducative en paupérisant les services sociaux et éducatifs, à commencer par la PJJ, que vous avez mise en très grande difficulté cet été.
L’article 1er modifie l’article 227-17 du code pénal, qui soumet les familles à une obligation de moyens s’agissant de l’éducation de leurs enfants et de la vigilance quant à leur santé, leur sécurité et leur moralité, pour leur imposer une obligation de résultat. De ce fait – c’est surprenant –, ce sont les parents d’enfants parfaitement intégrés et n’ayant commis ni délit ni crime qui seront les plus durement sanctionnés, dans la mesure où ils n’auront pas atteint le résultat attendu.
Nous demandons la suppression de l’article. La France est signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant, dont je me contenterai de citer l’article 33 : « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives, pour protéger les enfants contre l'usage illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes, et pour empêcher que des enfants ne soient utilisés pour la production et le trafic illicites de ces substances. » En quelque sorte, vous reportez la responsabilité de l’État sur les parents.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Monsieur Terlier, je m’associe aux utiles rappels de Sacha Houlié et vous fais observer que, sitôt la présente proposition de loi déposée par M. Attal, les premiers députés à annoncer leur soutien ont été ceux du Rassemblement national. Ils sont aussi, à ce jour, les seuls : même Mme Moutchou, avec d’autres, a émis quelques utiles réserves sur ses intentions affichées.
Nous demandons la suppression de l’article 1er. S’en prendre aux parents parce que les enfants ont commis des délits, c’est contrevenir au principe essentiel de la personnalité de la peine, lui-même garant du principe selon lequel nul n’est responsable pénalement d’autre chose que de son propre fait. C’est simple. Or vous contrevenez à ce principe en aggravant les sanctions à l’égard des parents.
Je ne sais pas si vous avez déjà accompagné des parents ; je l’ai fait, j’ai été travailleur social. Je ne sais pas si vous avez fait des assistances éducatives en milieu ouvert ; j’en ai contractualisé. Je ne sais pas si vous avez cette expérience, mais je vous assure qu’enfoncer un peu plus des parents dont la situation est compliquée et qui ont la douleur de voir leur enfant échapper non seulement à leur autorité, mais aussi à tout repère, ne résout rien.
Au fond, quelle est la logique ? Où est l’humanisme de telles dispositions ? Je me le demande. À quoi tout cela sert-il ? La question se pose d’autant plus que – vous l’admettez vous-même – des sanctions sont d’ores et déjà prévues, dont certaines s’appliquent. Au demeurant, plutôt que s’en tenir à la sanction, essayons – essayez – d’écouter ce que disent les professionnels, que nous ne remercions pas assez : tout projet de réinsertion et de réparation exige de chercher d’abord à obtenir l’adhésion des parents. C’est ce qu’il y a de mieux à espérer pour nos jeunes.
M. Sacha Houlié (NI). Pour justifier l’article 1er de la présente proposition de loi, on met en avant la préexistence d’un délit commis par les parents susceptibles d’avoir gravement failli à leurs obligations familiales. Ce délit est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Voilà pour la loi en vigueur.
Pour le reste, je me fonde sur les travaux menés par la commission des lois depuis cinq ans sur les facteurs de la délinquance juvénile, qui résident dans le lien entre une enfance en danger et une enfance délinquante sur fond de déscolarisation, d’addictions et de radicalisation, qui suscitent le passage à l’acte des mineurs. Si la gravité des actes qu’ils commettent s’est accrue, ces conditions demeurent inchangées.
D’après les rapports d’information que Mme Untermaier et le rapporteur ont commis, les mauvaises conditions d’éducation faites d’absence de supervision, de violences sexuelles, d’atteintes au développement, d’absence de suivi médical et d’absence du père – facteur aggravant des autres – ne suffisent pas à expliquer la délinquance des mineurs. Par conséquent, la peine complémentaire de travail d’intérêt général prévue à l’article 1er de votre proposition de loi ne traite pas les facteurs de passage à l’acte que vous-même avez identifiés.
De surcroît, quiconque fréquente un peu les associations intervenant dans les quartiers populaires où existe ce type de difficultés sait que toutes disent que nombreuses sont les familles concernées à ne pas connaître les obligations s’imposant à elles. Il peut en résulter des violences intrafamiliales, par exemple à l’encontre d’un enfant rapportant un mauvais bulletin scolaire, ce qui le rend lui-même violent. L’introduction de dispositions légales n’entrave en rien cette spirale de violence, qui est l’une des causes du passage à l’acte. À la lumière des travaux que nous avons menés, l’article 1er de la présente proposition de loi s’avère inutile. Il devrait être supprimé.
M. Jean Terlier, rapporteur. Le délit de soustraction des parents à leurs obligations légales est très peu sanctionné. Les cas d’application de l’article 227-17 du code pénal sont rarissimes. Il s’agit par exemple d’une mère radicalisée emmenant ses enfants dans une zone de combat en Syrie ou de parents se désengageant totalement de la scolarisation de leurs enfants.
Contrairement à ce que suggèrent les auteurs des amendements visant à supprimer l’article, le délit de soustraction des parents à leurs obligations légales ne vise pas les parents de bonne foi dépassés par leurs enfants mineurs en raison de difficultés matérielles ou sociales, dont il va de soi qu’ils relèvent d’un accompagnement social et éducatif. Les parents concernés par cette infraction et par l’élargissement de son périmètre prévu à l’article 1er sont ceux qui mettent sciemment en danger la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de leurs enfants. La proposition de loi offre au juge un outil supplémentaire pour les sanctionner si leur défaillance est grave ou répétée et si elle a directement conduit l’enfant mineur à commettre des actes de délinquance.
Par ailleurs, contrairement à ce que j’ai entendu dire du côté du Nouveau Front populaire, l’article 1er n’introduit pas une responsabilité pénale pour le fait d’autrui. L’incrimination prévue vise bien les parents commettant une faute, en l’espèce celle de se soustraire de façon grave ou répétée à leurs obligations légales. Les dispositions proposées permettent d’élargir la caractérisation de l’infraction commise par le mineur en considérant qu’elle trouve son origine dans les défaillances graves ou répétées des parents. Laisser un mineur sans surveillance n’entre pas dans ce champ. Il incombe au juge d’apprécier la solidité du lien de causalité.
Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je suis choqué par cette proposition de loi dans son ensemble, à plusieurs titres. Elle donne l’impression, monsieur le rapporteur, que vous visez des gens avec lesquels vous n’avez jamais parlé – les enfants qui commettent des actes délictueux ou violents, les parents qui seraient responsables de la façon dont leurs enfants se comportent. Apparemment, il n’y a ici que des gens qui n’ont pas été adolescents, qui ne sont pas parents d’adolescents et qui ignorent qu’il peut arriver dans toutes les familles que des adolescents disent à papa et à maman qu’ils ont respecté les règles alors qu’il n’en est rien.
Je suis allé, moi, discuter avec des gamins dont certains avaient participé aux révoltes urbaines de juin 2023. Je suis peut-être l’un des seuls ici à l’avoir fait. Je leur ai demandé pourquoi ils avaient agi ainsi. Leur réponse était toujours la même : à cause de la mort de Nahel, qui s’est ajoutée, dans ma circonscription, à la façon dont les policiers se comportent avec eux, ce dont nul ne tient jamais compte.
Vous avez tous dit que les jeunes doivent respecter les règles de la République, mais quand la République respecte-t-elle ces jeunes ? Quand la République leur donne-t-elle une éducation à la hauteur ? Dans les quartiers populaires, la question est d’avoir une école à la hauteur et une police à la hauteur.
Dès lors que des policiers ont un comportement raciste avec ces jeunes, il est très difficile de respecter l’autorité si elle ne s’est pas d’abord rendue respectable. Quand un gamin de 12 ans me dit qu’il s’est fait traiter de kebab par un policier, je considère que le problème c’est le policier, pas le gamin ! Cela vous choque que l’on dénonce la responsabilité de l’État en matière d’éducation et de police ?
Mme Pascale Bordes (RN). S’agissant de parler aux enfants délinquants et à leurs parents, je revendique la palme. Je vis dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Depuis des années, je côtoie ces enfants chaque jour.
Nombreux sont ceux, à gauche essentiellement, qui ont taxé la présente proposition de loi de stigmatisation. Or c’est vous qui stigmatisez, tant les familles monoparentales que les familles pauvres. La délinquance n’est pas le monopole des familles monoparentales ni de celles qui ont moins d’argent que les autres. La délinquance, notamment celle des enfants, est multiple.
Vous dites avoir beaucoup d’empathie pour les parents dont les enfants sont déscolarisés. Moi, j’ai beaucoup d’empathie pour les enfants, mais aucune pour les parents défaillants qui les laissent passer la journée au pied de leur immeuble à guetter pour le compte de trafiquants de stupéfiants, moyennant 150 euros sept jours par semaine, soit plus de 4 000 euros par mois, qu’ils leur ramènent. S’ils avaient d’autres parents, ils ne seraient peut-être pas des délinquants. Ces parents-là, mal aimants et toxiques, que cela vous plaise ou non, il faut les sanctionner, et durement.
Les dispositions en vigueur, adoptées il y a des années, sont très peu appliquées. Nous voterons la présente proposition de loi, non sans craindre que les mesures prévues ne demeurent cosmétiques, faute de moyens budgétaires. Il est faux de dire que la délinquance des mineurs n’a pas augmenté. Ce qui n’a pas augmenté, ce sont les budgets et les effectifs de juges en capacité de juger, de sorte que les procédures concernant les mineurs sont plus souvent classées sans suite.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). À Mayotte, la moitié de sa population a moins de 20 ans. Les adultes y sont donc en minorité. Certains ici se demandent ce que fait l’État pour protéger les mineurs ; je me demande, moi, ce que fait la société pour se protéger de ses éléments les plus dangereux.
À Mayotte, 30 % des personnes mises en cause pour faits de violence sont des mineurs. Nous parlons de faits de violence « sympathiques » tels que des attaques à la machette ou au jet de pierres. Nous parlons de jeunes qui attaquent d’autres jeunes allant à l’école en bus scolaire. Telle est la réalité de la violence à Mayotte. Je me suis donc permis de demander ce que nous pouvons faire à nos forces de l’ordre, qui, courageusement, essaient de nous protéger. Ces jeunes ne sont pas traduits en justice, ayant pour la plupart moins de 13 ans. Nous parlons, j’y insiste, d’enfants de moins de 13 ans qui attaquent d’autres enfants, ou des adultes, à la machette ou à la pierre.
Notre responsabilité de législateur est de trouver des réponses. L’article dont nous débattons vise les parents qui non seulement sont défaillants mais utilisent leurs enfants pour commettre des actes graves en profitant de l’impunité que leur assure leur âge. À Mayotte – la presse et les autorités locales s’en sont largement fait l’écho –, certains parents mettent dans les mains de leurs enfants les machettes et les cailloux avec lesquels ils attaquent des bus scolaires et des personnes innocentes. Contre ces parents nocifs, il est nécessaire de renforcer la loi.
Mme Blandine Brocard (Dem). Je suis stupéfaite d’entendre certains discours de victimisation, inspirés par une prétendue bien-pensance, qui sont en réalité très méprisants pour les familles.
Affirmer que certaines familles ignorent leurs obligations légales, ou qu’elles ne s’y conforment pas en raison de difficultés financières ou parce qu’elles sont monoparentales, fait injure à tous les foyers très modestes dont les parents, en dépit de toutes leurs difficultés, se démènent pour leurs enfants, les éduquent parfaitement, leur donnent un cadre respectueux, ferme et bienveillant et leur enseignent – ne vous en déplaise, monsieur Léaument – l’amour de notre République. Parlons aussi d’elles !
M. Olivier Marleix (DR). Entendre M. Léaument dire que l’école n’est pas à la hauteur dans les quartiers est scandaleux. Si quelque chose marche encore dans les quartiers, c’est souvent l’école de la République, grâce à ses enseignants auxquels je rapporterai ces propos, qu’ils sauront apprécier. (Brouhaha.)
Mme Andrée Taurinya (LFI-NFP). C’est insupportable !
M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, je vous le dis tout net : nos débats ne se poursuivront pas dans le brouhaha. Je les suspendrai aussi longtemps que nécessaire. Nous les reprendrons demain ou même après-demain s’il le faut. Je n’accepterai pas que nous débattions dans des conditions inappropriées.
M. Olivier Marleix (DR). Monsieur le rapporteur, votre défense de l’article 1er ne m’a pas convaincu. L’article 227-17 du code pénal est le pendant pénal de l’article 375 du code civil. Le juge des enfants statuant en assistance éducative sait parfaitement caractériser la défaillance des parents en matière d’assistance éducative et n’hésite pas à le faire – 140 000 enfants ont été retirés à leurs familles jugées défaillantes. La capacité à juger les parents défaillants, le juge sait parfaitement l’utiliser.
Si les sanctions pénales sont rares, c’est parce que l’infraction pénale est mal définie, ce qui incite les juges, et les procureurs avant eux, à la prudence. Lors des dernières émeutes urbaines, j’ai demandé à la Première ministre de faire en sorte que le parquet poursuive les individus sur cette base. Plus de 300 parents jugés défaillants pendant cette période ont été condamnés. Il s’agit de parents ayant laissé des mineurs sortir dans la rue à 3 heures du matin pour participer à des émeutes urbaines alors même qu’un couvre-feu avait été décrété.
Ce qui m’inquiète, c’est que la rédaction que vous proposez, qui prévoit que les faits doivent être graves et répétés pour être poursuivis, fait perdre à l’article 227-17 du code pénal le peu de puissance que nous lui avons donné au lendemain des dernières émeutes urbaines. Contrairement à ce que vous avancez, votre rédaction en restreint le périmètre, ce qui me semble contraire à l’objet même du texte.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Du point de vue du droit, l’article 1er, tel qu’il est rédigé, est inutile. La défaillance parentale est d’ores et déjà constitutive d’une infraction pénale, sanctionnée par des dispositions figurant au chapitre VII du titre II du code pénal : les articles 227-1 à 227-4 sanctionnent le délaissement d’un mineur ; les articles 227-13 à 227-28 sanctionnent la mise en péril des mineurs. Par ailleurs, le code de la justice pénale des mineurs permet de sanctionner les parents qui ne se présentent pas à une audience concernant leur enfant. Les textes en vigueur suffisent donc amplement et couvrent les situations que vous avez évoquées, monsieur le rapporteur.
Introduire un lien de causalité entre les parents et les agissements de leur enfant soulève une véritable difficulté. Tel qu’il est rédigé, l’article 1er porte atteinte au principe constitutionnel selon lequel nul n’est pénalement responsable du fait d’autrui et ne l’est que de son propre fait. Ce principe fondamental est énoncé à l’article 121 du code pénal.
Tel qu’il est rédigé, le texte ne respecte pas la Constitution. Il fera l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. J’invite chacun à bien réfléchir avant de se prononcer sur l’article 1er, en ayant à l’esprit les dispositions en vigueur. Les cabinets des juges des enfants, ne vous faites aucun souci, ont tous les outils législatifs pour résoudre les problèmes qui leur sont soumis, sans qu’il soit nécessaire d’introduire un lien de causalité entre la faute des parents et la délinquance des enfants.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Madame Youssouffa, je conçois tout à fait que vous sachiez parler de Mayotte mieux que personne, même si je ne tirerais pas les mêmes conclusions que les vôtres des constats que vous dressez. Toutefois, nous ne parlons pas de la même chose.
Vous décrivez ce que vous avez manifestement constaté : des délits. Or, s’agissant de la petite enfance, de la délinquance des mineurs et de la responsabilité des parents, c’est hors sujet. On ne parle pas avec le ton qu’il faudrait de la gravité de ces situations, tant pour les enfants que pour les parents. Il n’est pas nécessaire d’ajouter à la dramaturgie, réelle ou supposée, de ces situations.
Ce dont nous parlons, c’est du risque d’infraction causé par l’absence des parents constitutive d’une défaillance parentale. Ce faisant, vous modifiez la nature de l’infraction visée. Nous passons d’une infraction dûment constatée, objective et susceptible d’une qualification judiciaire, à un risque d’infraction. Mais comment évaluer ce risque ? Ce serait de la justice prédictive, et ce n’est pas possible ! Nous renverser totalement l’ordre général du droit, jusqu’aux principes qui le fondent et donnent chaque jour matière à la justice pour juger. Une telle formulation est très dangereuse.
M. Jean Terlier, rapporteur. Monsieur Marleix, l’article 1er comprend des dispositions de deux ordres. Il s’agit d’abord, au premier alinéa de l’article 227-17 du code pénal, d’élargir le périmètre des conditions constitutives du délit de soustraction aux obligations parentales, qui est très peu sanctionné. Il s’agit aussi d’enserrer cet élargissement du délit dans une caractérisation permettant de l’objectiver.
Par ailleurs, je renvoie nos collègues qui redoutent l’introduction d’une responsabilité pénale du fait d’autrui à l’alinéa 7, qui dispose : « Lorsque cette soustraction a directement conduit à la commission, par le mineur, de plusieurs crimes ou délits ayant donné lieu à une condamnation définitive, elle est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ». Il ne viendrait pas à l’idée de quiconque s’étant un tant soit peu frotté au droit de rédiger un texte de loi contraire au principe constitutionnel selon lequel nul n’est pénalement responsable du fait d’autrui.
La commission rejette les amendements.
Amendements CL78 de M. Olivier Marleix, CL76 de Mme Blandine Brocard et CL5 de M. Marc Pena (discussion commune)
M. Olivier Marleix (DR). Je n’ai pas été convaincu par la réponse du rapporteur. Qu’il soit nécessaire de mieux définir l’infraction, j’en conviens, mais il est clair qu’introduire les critères de gravité et de répétition n’y concourt pas. Avec une telle rédaction, les tribunaux ayant statué au lendemain des violences urbaines de juin 2023 n’auraient pas pu prononcer les quelque 300 peines qu’ils ont prononcées.
Laisser un gamin de 13 ans, dans une ville où il y a des émeutes urbaines, par exemple à Nanterre où elles ont été particulièrement violentes, violer un couvre-feu seul à 3 heures du matin, ne suffit-il pas à caractériser l’infraction aux yeux des législateurs que nous sommes ? Des juges ont considéré que cela suffit.
Avec la rédaction proposée, certaines infractions échapperont à toute qualification pénale. Je propose donc de supprimer les critères de répétition et de gravité de l’infraction et défendrai ultérieurement un amendement visant à mieux caractériser l’infraction de soustraction aux obligations parentales pour lui donner davantage de contenu.
Mme Blandine Brocard (Dem). L’amendement CL76 vise à sécuriser le dispositif. La rédaction proposée affaiblit l’article 227-17 du code pénal. Il sera probablement assez difficile, en raison de la difficulté d’interprétation induite, de prouver le caractère répétitif et grave de la soustraction des parents à leurs obligations légales.
M. Marc Pena (SOC). Il s’agit, à l’alinéa 5 de l’article 1er, de substituer au mot « ou » le mot « et ». L’amendement CL5 est un amendement de repli du groupe Socialistes et apparentés visant à limiter le délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales aux seuls cas de manquements sont graves et répétés – c’est l’envers de tout ce qui vient d’être dit.
La rédaction proposée ouvre la voie à une interprétation extensive de cette incrimination. Un fait sans gravité aucune pourrait conduire à une condamnation s’il était répété. Il n’y a guère besoin d’être parent pour savoir que l’autorité exercée à ce titre peut faire l’objet d’une défiance des jeunes sur lesquels elle entend s’exercer. Qu’en sera-t-il si un jeune décide de sortir de chez lui en dépit du refus des parents ou du parent ? Si ce fait est répété, le parent pourrait être poursuivi sur la base de la nouvelle incrimination.
Le législateur doit faire preuve de mesure, tout particulièrement s’il modifie la loi pénale. S’agissant du délit de soustraction aux obligations parentales, on ne peut concevoir des poursuites que si les manquements sont graves et répétés.
M. Jean Terlier, rapporteur. Formuler autrement la caractérisation du délit n’induit aucun alourdissement de l’interprétation judiciaire, bien au contraire. Grâce à la suppression des mots « au point de », le juge n’aura plus à caractériser les conséquences effectives du comportement du parent sur l’enfant. Il lui suffira de démontrer que la défaillance du parent est « de nature à » – donc susceptible de – mettre en danger l’enfant.
Par ailleurs, dès lors que nous élargissons la possibilité de qualifier cette infraction, nous y ajoutons deux conditions alternatives – sa gravité ou son caractère répété. Les faits que vous avez évoqués, monsieur Marleix, sont d’une gravité permettant de les inscrire sans ambiguïté dans le champ de l’infraction, donc de les sanctionner au titre de la soustraction aux obligations parentales. La rédaction de l’article 1er me semble conforme à l’objectif du texte.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Quelle est la valeur ajoutée du texte, sachant que vous avez vous-même travaillé, en 2021, sur la refonte du code de la justice pénale des mineurs ? Pourquoi l’exposé des motifs ne comporte-t-il aucune donnée statistique ? La raison en est peut-être que ces motifs ne reposent sur aucun fait avéré, et que nul ne peut objectivement dire, à moins de faire preuve de démagogie, que la délinquance des mineurs progresse. Que faites-vous des dispositions en vigueur permettant de mettre en cause les familles dont il est prouvé que la posture éducative qu’elles adoptent ou non permet de leur imputer une responsabilité ?
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Comme je l’ai indiqué – Olivier Marleix l’a dit aussi –, il faut réfléchir au glissement du fondement du droit consistant non à constater des délits mais à en supposer l’intention et à se fonder non sur le résultat d’une action mais sur l’intention de la commettre. Ce glissement de droit n’est pas nouveau. En France, nous le vivons depuis quelques années, dans les domaines de la lutte antiterroriste et de la lutte contre la délinquance, et même dans l’appréhension des individus aux abords des manifestations.
Le glissement juridique a eu lieu ; il s’est établi dans la loi, à telle enseigne que les interpellations se font parfois sur la base non d’activités suspectes mais de comportements suspects. Progressivement, ce glissement s’installe dans les débats de doctrine juridique, ce qui ne laisse pas d’inquiéter. Remettons de la raison dans le droit. En l’espèce, nous sommes amenés à juger de la responsabilité des parents ; jugeons-la au moins si les conséquences de leur soustraction à leurs responsabilités sont avérées et non supposées. La commission des lois ne peut pas ignorer aisément cette question de définition.
M. Jean Terlier, rapporteur. Pour retenir et caractériser l’infraction, on est obligé de constater la défaillance grave ou répétée des parents.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL6 de M. Marc Pena, CL65 de Mme Sylvie Josserand, CL74 de Mme Blandine Brocard et CL66 de Mme Sylvie Josserand (discussion commune)
M. Marc Pena (SOC). L’amendement CL6 vise à supprimer la circonstance aggravante que ce texte entend attacher au délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales. Il faudrait que la défaillance parentale ait « directement conduit à la commission, par le mineur, de plusieurs crimes ou délits ». L’adverbe « directement » risque de rendre la mesure inapplicable, à moins d’imaginer une interprétation large qui créerait une insécurité juridique. Notons également que le pluriel soulève une interrogation : cette circonstance aggravante ne vaudrait-elle qu’en cas d’homicides multiples ou de vols répétés ? Au vu de ces imprécisions, qui sont autant d’incertitudes, le dispositif méconnaît de manière manifeste le principe de légalité.
Mme Sylvie Josserand (RN). Le jeu des causes est pluriel. Dans l’enchaînement des causes et des effets, il y a des causes proches et d’autres lointaines, certaines prépondérantes et d’autres mineures. Il est difficile d’établir un lien direct. C’est pourquoi je propose de remplacer « cette soustraction a directement conduit à la commission » par « cette soustraction s’est accompagnée de la commission », à l’amendement CL65, ou « a favorisé la commission », à l’amendement CL66.
Mme Blandine Brocard (Dem). La formulation de l’alinéa 7 est en effet sujette à interprétation. C’est pourquoi je propose de remplacer « a directement conduit à la commission » par « est suivie de la commission ».
M. Jean Terlier, rapporteur. Avis défavorable. Il ne peut pas y avoir de responsabilité pénale du fait d’autrui. C’est pourquoi nous sommes obligés d’établir le caractère direct du lien en présentant cette circonstance aggravante. Je conçois que ce dispositif très resserré sera compliqué à mettre en œuvre mais le respect du principe constitutionnel selon lequel on n’est pas responsable pour le fait d’autrui l’impose.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Votre défense est un peu étonnante ! On vous interpelle sur la difficulté d’identifier des causes précises – si l’on était capable d’expliquer tous les comportements avec une telle acuité, bien des problèmes seraient réglés – et vous maintenez la rédaction pour ne pas courir le risque d’une inconstitutionnalité, tout en reconnaissant la difficulté qu’elle pose. Encore une fois, quel est le sens de ce texte ? Quels sont ses objectifs ? Que voulez-vous résoudre ? Rien, à mon sens. Il réduira seulement les droits des enfants en danger et de leurs parents.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL75 de Mme Blandine Brocard, CL60 de Mme Naïma Moutchou, CL71 de Mme Sylvie Josserand et CL92 de M. Jean Terlier (discussion commune)
Mme Blandine Brocard (Dem). Nous souhaitons supprimer l’exigence de pluralité des crimes et des délits.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Notre système judiciaire souffrant de lenteurs, nous proposons, de la même façon, que le dispositif s’applique dès le premier crime ou délit ayant conduit à une condamnation définitive.
Mme Sylvie Josserand (RN). Il nous semble nécessaire que le dispositif s’applique après le premier crime, le premier délit ou la première contravention de cinquième classe, dont relève la majorité des infractions commises.
M. Jean Terlier, rapporteur. Mon amendement a le même objet que celui de Mme Brocard.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Ce durcissement presque compulsif des peines est très inquiétant ! Des vents mauvais soufflent sur notre état de droit. À la première infraction, on serait ainsi susceptible de pénaliser des parents, dont on ignore s’ils ont une responsabilité directe dans le crime commis. À aucun moment, on ne peut être certain d’établir le lien de causalité direct entre la carence parentale et les passages à l’acte. Pour le déterminer, il y a les services sociaux, des juges pour enfants, des adultes référents, des écoles, des encadrants. Ne pourrait-on pas commencer par faire confiance à tous ces professionnels qui accompagnent les jeunes et leurs parents ? Sans nier toute responsabilité, ce tout-répressif augure mal d’une volonté de réparer et de réinsérer. Cela ne fait qu’ajouter de la justice vengeresse à de la justice vengeresse. Je ne vois pas ce que vous réglez, d’autant que nous n’avons pas eu de bilan de la loi votée il y a à peine trois ans. Voyez au moins si elle a eu un effet ! Ne vous précipitez pas dans le tout-sécuritaire à l’aveugle !
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Vous ne laissez pas aux parents la possibilité de s’amender : au premier problème, la sanction tombe. Par ailleurs, demandons-nous pourquoi les juges pour enfants ne réclament pas ce dispositif. Peut-être le trouvent-ils excessif ou pensent-ils qu’il creuserait le gouffre entre les familles et les services de justice ? Enfin, votre mesure repose sur une illusion : croire que la menace d’une sanction va régler les problèmes. Tous les parents sont peu ou prou concernés par ces difficultés éducatives, seulement ils ont plus ou moins de cordes à leur arc pour les traiter ou pour les cacher.
M. Ian Boucard (DR). Je veux bien entendre toutes les réactions offusquées sur les bancs de la gauche, sauf que l’on ne parle pas d’une fraude dans le bus ou d’un vol de bonbons au supermarché mais de crimes et de délits. Un crime, ce peut être un meurtre ou un viol. Vous faites comme si aucun mineur ne commettait de crime ou de délit et comme si notre pays était encore dans les années 1950, où les mineurs de temps en temps volaient des billes. Nous avons de graves problèmes de délinquance dans certains territoires, et pas seulement à Mayotte. Des mineurs posent des problèmes de sécurité très graves. Des mineurs ont tué des gens, ils ont commis des viols, et vous faites comme si tout cela n’existait pas et que notre société ne devait pas réagir. Arrêtez vos leçons de morale et ne faites pas dire à nos collègues ce qu’elles n’ont pas dit !
Mme Naïma Moutchou (HOR). Ian Boucard a entièrement raison. La déconnexion de certains de nos collègues m’inquiète. De plus en plus de jeunes – et de plus en plus tôt – sont de plus en plus violents. Je ne parle pas en théorie. Au tribunal judiciaire de Pontoise, dans le département le plus jeune de France, le Val-d’Oise, il y a plus de mesures répressives que de mesures éducatives. Je ne peux pas vous laisser dire que la défaillance des parents ne serait qu’accessoire et liée à un contexte. Il y a des parents défaillants. On parle de délinquants durs. Ce sont ces cas-là qui sont visés. Cela paraît évident de vouloir sanctionner les parents défaillants de mineurs récidivistes. Votre discours de victimisation, qui commence à être très difficile à entendre, ne rend service à personne.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous ne faisons pas de leçons de morale, nous tentons de nous appuyer sur des éléments concrets pour évaluer la pertinence de faire évoluer la loi. Vous parlez indifféremment de crimes et de délits. Un jeune qui fraude dans les transports, c’est une infraction délictuelle. Les délits et les crimes ne sont pas la même chose.
Dans les années 1950, dites-vous, les jeunes volaient des billes. Regardez les chiffres de la criminalité de la jeunesse à cette époque ! Pourquoi l’ordonnance de 1945 a-t-elle été publiée ? Parce qu’il y avait une très forte criminalité de la jeunesse. Face à la délinquance juvénile, parce que des mômes n’avaient plus de parents, l’État s’est voulu plus protecteur. Votre nostalgie est révélatrice de vos poncifs réactionnaires.
Il y a des jeunes délinquants, il y a de la violence chez les jeunes. Je vis dans un territoire où des jeunes meurent dans des rixes. Je réfléchis à cette question avec les élus locaux. Le lien de causalité ne serait-il pas ailleurs ? L’État supprime 500 personnels de la PJJ, il arrête de verser des subventions aux associations de prévention et la violence monter chez les plus jeunes : n’est pas un lien de causalité ?
M. Jean Terlier, rapporteur. Le lien de causalité est précisé pour caractériser cette circonstance aggravante. Il faudra que ces défaillances graves ou répétées aient directement conduit à la commission par le mineur de plusieurs crimes ou délits ayant donné lieu à une condamnation définitive. Les rédactions de Naïma Moutchou et de Blandine Brocard sont satisfaisantes, afin de déclencher au plus tôt la caractérisation de cette circonstance aggravante.
Avis favorable sur l’amendement CL75, qui correspond au mien. Demande de retrait pour l’amendement CL60 et avis défavorable au CL71.
La commission rejette l’amendement CL75.
Elle adopte l’amendement CL60.
En conséquence, les amendements CL71 et CL92 tombent.
Amendement CL84 de M. Olivier Marleix
M. Olivier Marleix (DR). Nous proposons de mieux définir l’infraction, en précisant qu’elle est « constituée notamment lorsqu’un parent ou responsable légal laisse un mineur de moins de quinze ans circuler ou demeurer dans l’espace public, en dépit d’un arrêté de couvre-feu pris par le représentant de l’État dans le département ou par le maire ». Je fais directement référence aux émeutes de juin 2023 – dont le terme est plutôt venu de l’action des trafiquants de drogue que de celle des pouvoirs publics. La violation d’un arrêté municipal de couvre-feu est punie d’une amende de 38 euros ; dans le cas de mesures nationales, de 135 euros. L’amende serait beaucoup plus élevée et viserait les parents, étant donné que ce sont eux qui commettraient la faute.
M. Jean Terlier, rapporteur. Avis défavorable. Votre amendement revient à poser une présomption irréfragable de culpabilité pour le fait d’autrui, ce qui n’est pas constitutionnel. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 10 mars 2011, a ainsi censuré la contravention de troisième classe prévue par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi) pour punir les représentants légaux qui ne s’étaient pas assurés du respect du couvre-feu par leur enfant mineur, jugeant qu’une telle contravention était contraire au principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Si l’amendement de M. Marleix est adopté, une mère seule, qui travaille le soir ou la nuit, se ferait punir parce que son gamin de 15 ans aurait menti et n’aurait pas respecté un couvre-feu. Pour John Rawls, le législateur doit prendre ses décisions sous le voile de l’ignorance : il doit faire comme s’il pouvait occuper une autre position sociale. Peut-être que dans votre monde, cela n’existe pas de travailler très tard le soir – pourtant nous travaillons jusqu’à minuit – ou d’avoir des adolescents qui vous mentent. C’est un truc que font pourtant tous les adolescents. On dirait que vous n’avez jamais été ados et que vous n’avez pas fait de conneries, gamins. On a en tous fait ! Encore aujourd’hui, un certain nombre de personnes très haut placées ne respectent pas la loi – voyez M. Sarkozy.
Ce n’est pas juste de prendre des décisions en ignorant totalement la réalité sociale et humaine et en vous disant que des gens seraient fondamentalement des délinquants, tout comme leurs parents. Ce sont les gamins de ma circonscription qui meurent. J’ai participé à de nombreuses marches blanches. Ne nous faites pas l’insulte de nous dire que nous n’en avons rien à faire quand des gamins se tuent entre eux : ce sont nos gamins qui meurent. Nous avons des solutions différentes des vôtres. Ne les méprisez pas, parce que nous ne méprisons pas les vôtres mais nous essayons de les combattre sur le fond.
M. Fabien Di Filippo (DR). Cette tentative de caricature est insupportable. M. Léaument vient de se ridiculiser en disant d’abord que tous les jeunes font des « conneries », puis qu’il y a des marches blanches parce qu’ils se tuent entre eux. Vous mettez sur le même plan des choses qui n’ont absolument rien à voir. Le problème n’est pas que des enfants essaient de se soustraire à l’autorité de leurs parents mais que des parents ne fassent pas le nécessaire pour s’assurer que leurs enfants ne sont pas livrés à eux-mêmes la nuit sur la voie publique. Non, tous les jeunes ne font pas des « conneries ». L’usage d’armes ou le trafic de stupéfiants, ce ne sont pas des « conneries ». Il n’y a pas d’excuse sociale à opposer à de tels faits, qui sont intolérables. Vous voulez effacer la notion de responsabilité familiale. Pour vous, si les enfants ne sont pas éduqués, c’est la faute de l’État. Où va-t-on ? Bien sûr qu’il y a une responsabilité parentale et nous demandons aux parents d’essayer de faire les efforts nécessaires.
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Monsieur Léaument, j’ai beaucoup de mal à vous entendre lorsque vous parlez de vos participations à des marches blanches. Il y a des victimes partout. La loi est censée protéger tout le monde. Dire qu’il faut déresponsabiliser les auteurs et les parents, c’est insulter la mémoire des victimes, qui ont souvent le même âge que les auteurs.
J’essaie de faire part à notre commission de la réalité à Mayotte et me voilà accusée de dramatiser ! C’est franchement hallucinant ! Les enfants à Mayotte vont à l’école dans des bus qui sont caillassés par d’autres enfants d’une douzaine d’années. À Mayotte, 30 % des affaires judiciaires concernent des mineurs. Nombre d’auteurs de crimes et de délits ont moins de 13 ans et il n’y a aucune réponse pénale pour eux. Quelle est cette impuissance organisée ? Nous avons le pouvoir de répondre aux familles de victimes que les auteurs de crimes et de délits ne vont pas cohabiter avec elles en toute impunité et que les barbares seront sanctionnés. Et vous, que dites-vous ? Vous les plaignez, ces pauvres petits, et vous faites des marches blanches. Cette impunité est inadmissible ! C’est inadmissible de dire ici qu’il faut seulement compatir et faire appel aux services sociaux. Nos services sociaux ont besoin d’être outillés comme nos forces de l’ordre et nos juges. Et c’est à nous de faire ce travail.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Pour les crimes et les délits des mineurs, il existe déjà des dispositifs qui, avec intelligence, raison et des décennies de pratique, font œuvre de justice. Si des parents ont eux-mêmes commis des crimes et des délits, ils sont redevables devant la justice des majeurs. S’ils sont complices de crimes commis par leurs enfants, il existe aussi des dispositions légales pour les sanctionner. Il y a toute une gradation, qui va de l’avertissement à la peine de prison. Je rappelle des choses élémentaires afin de remettre un peu de raison dans notre discussion.
S’agissant de la responsabilité des parents, à quel moment êtes-vous capables, a fortiori dès la première infraction pénale ou délictuelle, d’établir le lien de causalité que les juges ne sont pas capables d’établir a priori ? L’exemple d’Antoine Léaument était juste. Comment pouvez-vous faire porter sur un parent la faute d’un mineur qui lui a été cachée ? C’est tout à fait déraisonnable d’un point de vue doctrinal ! Nos interrogations n’enlèvent rien à notre empathie, à notre compassion, à notre peine de voir des familles brisées par le malheur, de voir des enfants qui se perdent, y compris dans les méandres d’une justice qui n’accompagne ni ne répare, de voir des parents abîmés. Ce n’est pas en les enfonçant encore plus ou en invoquant une peine de coresponsabilité que vous règlerez le problème.
M. Olivier Marleix (DR). L’article 1er n’établit pas de coresponsabilité. On considère que les parents ont des devoirs à l’égard de leurs enfants – s’assurer de leur sécurité, de leur santé. De même que la loi permet de punir l’abandon d’un bébé dans une voiture, de même elle permet déjà de punir des parents pour avoir délaissé des enfants mineurs. Nous souhaitons sanctionner l’attitude irresponsable des parents. Trouvez-vous normal qu’un gamin de 12 ans circule tout seul dans la rue pendant une nuit d’émeute ? C’est une faute des parents. Peut-être qu’il faudrait de nouveau interroger le Conseil constitutionnel sur ce point. Il a su s’adapter aux circonstances. Après les émeutes urbaines, accepterait-il toujours que nous soyons passifs et incapables d’appeler les parents à leurs responsabilités ?
Monsieur Léaument, je suis père de deux adolescentes de 12 et 15 ans et je m’arrange pour qu’elles ne soient pas toutes seules la nuit.
M. Marc Pena (SOC). Monsieur Marleix, soit vous commettez une erreur fondamentale, soit vous opérez un glissement très dangereux. Quel est le rapport entre un devoir parental et la responsabilité pénale des parents que vous voulez engager à cause de délits ou de crimes de leurs enfants ? C’est une hérésie juridique.
Ensuite, l’accompagnement des enfants en difficulté n'est pas l’apanage des quartiers défavorisés. Une procédure de divorce très houleuse dans un milieu bourgeois peut requérir un accompagnement. Vous ciblez les quartiers, suggérant par-là que les problèmes s’y concentreraient par essence.
Le débat qui nous oppose est éternel : vous considérez que seule la responsabilité individuelle compte tandis que nous pensons que le contexte familial, économique, social, culturel explique en partie les actes de chacun.
M. Sébastien Huyghe (EPR). C’est le rôle du juge que de prendre en considération le contexte. Il ne sera en aucun cas obligé d’appliquer le texte à la lettre. Il disposera d’un outil supplémentaire pour sanctionner ou non.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL59 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Il est proposé de substituer à la peine complémentaire de travaux d’intérêt général un stage obligatoire de responsabilité parentale. Le TIG risque en effet de n’avoir aucun rapport avec le manquement reproché au parent. En outre, celui-ci peut refuser de l’exécuter.
M. Jean Terlier, rapporteur. Votre amendement est satisfait. Le juge peut condamner le parent reconnu coupable du délit de soustraction à un stage de responsabilité parentale, en application de l'article 131-5-1 du code pénal.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’amendement de coordination CL93 de M. Jean Terlier, rapporteur.
Puis elle adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendement CL3 de M. Bryan Masson
M. Bryan Masson (RN). L’amendement reprend la proposition de loi que le Rassemblement national avait présentée l’année dernière dans le cadre de sa niche parlementaire sur la suppression ou la suspension des allocations familiales versées aux parents d’enfants délinquants ou criminels. À l’heure où justice rime avec laxisme, 72 % des Français approuvent cette mesure.
Nombre d’enfants choisissent malheureusement la voie de la délinquance. Il est temps de demander aux parents d’endosser leur responsabilité. La République ne peut pas seulement octroyer des droits, elle impose aussi des devoirs.
Par cette mesure, nous envoyons un message fort aux parents : la responsabilité des actes des enfants leur incombe en partie. Nous les incitons à être plus vigilants et plus engagés dans l’éducation et le suivi de leurs enfants. Il s’agit de provoquer un changement de comportement de la part tant des adolescents que des parents.
Pour autant, il n’est pas question d’abandonner les parents en difficulté. L’amendement prévoit ainsi une supervision de la procédure par le préfet.
Nous cherchons également à assurer l’égalité des chances pour tous les enfants. Les ressources financières que procurent les allocations familiales ne doivent pas devenir, pour certains parents, une excuse pour ignorer le comportement de leurs enfants.
Nous sommes à un tournant. Par cette mesure, nous pouvons enfin faire entendre la voix de la responsabilité et restaurer l’autorité de l’État.
M. Jean Terlier, rapporteur. Avis défavorable.
La suspension ou la suppression des allocations familiales a été inefficace pour endiguer l'absentéisme scolaire ; elle le sera tout autant pour lutter contre la délinquance des mineurs.
Je ne reviendrai pas sur les objections d'ordre opérationnel et constitutionnel que nous avions formulées à l'égard de votre texte lorsqu’il avait été débattu ans l’hémicycle en octobre 2023.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Monsieur Masson, vous me faites penser à Louis Chevalier, l'auteur de l’ouvrage Classes laborieuses et classes dangereuses, qui avait participé aux émeutes fascistes du 6 février 1934.
Si je vous écoute, non seulement ceux qui connaissent des difficultés sociales seraient presque par essence des délinquants, mais la solution serait d’aggraver encore leurs difficultés en supprimant les allocations familiales. Il est démontré qu’il est bien plus efficace d'accompagner les parents et de leur donner les moyens de s'occuper correctement de leurs enfants. En quoi le fait d’enlever aux parents – qui souvent se privent pour pouvoir nourrir leur progéniture – l’argent pour payer à manger à leurs gamins mettra fin à la délinquance ? Votre mesure ne changera absolument rien. Lorsqu’elle a été appliquée, elle a accru les difficultés et eu des effets contre-productifs. Elle est totalement inefficace.
Une fois encore, vous stigmatisez les pauvres et les travailleurs qui font ce qu'ils peuvent pour élever leurs gamins. Alors, c'est vrai, parfois ils n’y arrivent pas. Vous êtes certainement des parents parfaits et admirables dont les gamins ne font jamais de bêtises. Mais j’ai le regret de vous le dire, il arrive que des gamins ne respectent pas les consignes de leurs parents. Cela s’appelle la vie.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Outre leur visée nataliste, les allocations familiales ont pour objet d'aider les parents à éduquer du mieux qu'ils peuvent. Elles permettent de subvenir aux besoins matériels et moraux de leurs enfants afin de favoriser leur émancipation.
Le retrait des allocations familiales a pour effet non seulement de rendre le parent responsable du crime ou délit commis par l’un des enfants – on a essayé de vous démontrer l’ineptie d’une telle approche juridique, contestée par les magistrats et les professionnels – mais aussi de pénaliser toute la famille.
En effet, pourquoi punir tous les enfants qui font de leur mieux et réussissent bon an mal an pour la faute commise par l’un des membres de la fratrie ? Réfléchissez deux minutes. Songez aux conséquences radicales, à la brutalité de cette mesure pour les familles ! Vous reprochez aux parents de ne pas assumer leur responsabilité sans leur offrir ni solution d'accompagnement ni chance de sursaut. C’est d’une violence sociale inouïe !
Penchez-vous sur les raisons et les objectifs qui ont présidé à la création des allocations familiales, dans le droit fil de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante et des politiques familiales ambitieuses d’alors.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Lorsqu’un enfant est incarcéré, les droits qui lui sont attachés en matière de prestations familiales sont suspendus dès le premier mois. Une dérogation est possible si le parent apporte la preuve qu’il est présent, lors des entretiens au parloir, notamment, et s’implique dans la réinsertion de son enfant. Si vous êtes ce que vous appelez un parent défaillant, vous ne percevez pas les prestations familiales. Donc arrêtez de raconter n’importe quoi pour vous faire plaisir.
M. Ludovic Mendes (EPR). Nous parlons ici d’enfants, de personnes que nous sommes censés protéger, alors, d’un côté comme de l’autre, arrêtez la démagogie.
Ceux qui parlent d’une justice laxiste sont les représentants d’un parti qui tremble dans l’attente du jugement qui pourrait sanctionner sa présidente et certains de ses cadres.
Toutes les trois minutes en France, un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle ; notre pays n’a jamais compté autant d’enfants placés ; les violences intrafamiliales n’ont jamais été aussi répandues. Et vous venez nous expliquer que la délinquance est le fait d’un gamin tout seul dans son coin ou d'un parent qui ne fait pas son travail. La société est en souffrance. Nos agents de police et nos juges, qui en sont les témoins quotidiens, ne s’interrogent pas de manière aussi bête que nous le faisons ici.
On ne peut pas toujours imputer la faute aux parents. Certains d’entre eux font tout ce qu’ils peuvent mais leurs enfants peuvent être en difficulté pour d’autres raisons –harcèlement ou violence, notamment.
Depuis sept ans, nous avons été une majorité responsable face à l’impératif de protection de l'enfance. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour lutter contre les violences intrafamiliales, les violences sexistes et sexuelles, les violences envers les mineurs ou encore le harcèlement. Si les chiffres augmentent, ce n’est pas parce que la violence elle-même augmente mais parce qu’enfin la parole se libère et qu'enfin la police et la gendarmerie accueillent mieux les victimes.
Arrêtez de travestir en permanence les chiffres. Arrêtez de mentir constamment. En vingt ans, les violences commises par les mineurs n'ont jamais été aussi faibles. Il y a quinze ans, les émissions de télévision « Pascal, le grand frère » ou « Super Nanny » s’adressaient à des parents dépassés et vous les applaudissiez.
La proposition de loi dote les juges d’outils complémentaires. Votre démagogie n’apporte, elle, strictement rien.
M. Marc Pena (SOC). Je vais essayer de suivre le conseil de mon collègue et d’éviter la caricature, à la différence du ministre de l’intérieur.
Je l’ai interrogé sur les conséquences de la suppression des allocations familiales pour ces familles modestes – j’en connais beaucoup – dans lesquelles plusieurs enfants réussissent très bien mais l’un tombe dans la délinquance et la violence. M. Retailleau m’a indiqué que ne serait supprimée que la part correspondant à l’enfant délinquant. Vous percevez l'inhumanité et la bêtise de cette réponse.
Votre proposition est nulle et non avenue. Elle n’a aucune efficience si ce n’est d’aggraver la situation de ces familles. Une nouvelle fois, vous êtes incapables de résoudre les problèmes de la société car vous ne les comprenez pas. Vous tordez la réalité et les chiffres. Que jamais vous n’arriviez au pouvoir, jamais !
M. Bryan Masson (RN). Quel exemple donnez-vous à ceux qui nous regardent ? Vous n'avez absolument pas répondu, vous nous avez injuriés et calomniés, monsieur Léaument.
Je ne comprends pas pourquoi la gauche radicale passe son temps à défendre les délinquants et les criminels si ce n’est par ambition électoraliste. Peut-être avez-vous envie, à l’instar de M. Dupond-Moretti qui voulait être applaudi dans les prisons, d’être salués par les délinquants, ceux qui font honte à la République en ne respectant pas nos lois.
J’assume, comme le groupe Rassemblement national, de défendre l'ordre et l'autorité. 72 % des Français réclament la suppression des allocations familiales pour les parents d'enfants délinquants. Les traiter de fascistes, c’est soit de la bêtise, soit du déshonneur. Si vous étiez mineur et si la loi était en vigueur, vous pourriez être sanctionné pour diffamation.
Les Français nous regardent et attendent de nous des actes. Tout le monde s'accorde sur la nécessité de restaurer l'autorité partout. Je pense au désarroi des maires qui sont seuls pour essayer de rétablir l’ordre et d’engager la reconquête républicaine des quartiers. Ces maires représentent des millions de Français, et vous leur crachez au visage.
Vous avez dit tout et n'importe quoi, vous avez tapé à côté, mais de la part de la gauche et de ceux qui, comme M. le rapporteur, la soutiennent, cela ne m'étonne pas.
La commission rejette l’amendement.
Article 2 (art. 375-1 du code civil) : Créer une obligation de déférer aux convocations du juge des enfants statuant en matière d’assistance éducative assortie d’une amende civile.
Amendements de suppression CL11 de Mme Elsa Faucillon, CL31 de Mme Marianne Maximi et CL38 de M. Pouria Amirshahi
Mme Elsa Faucillon (GDR). L’article a pour objet d’instaurer une amende civile à l’égard des parents qui ne viendraient pas aux convocations aux audiences et auditions d'assistance éducative.
Dans le cas des émeutes urbaines dont la proposition de loi prétend tirer les leçons, vous aurez noté, à rebours du motif de l’article 2, la forte participation des parents aux audiences consécutives aux interpellations. Il s'agissait souvent d'un premier délit ; les jeunes qui comparaissaient n'étaient majoritairement pas connus des services de police.
De manière générale, lorsque les parents sont absents aux audiences, c’est qu’ils ne veulent plus y assister. Pourquoi ? Parce qu’ils ne se sentent pas à leur place. Il s’agit bien souvent de récidive ou de réitération et la justice n'a pas pu faire son œuvre. À leur tour, les parents se dessaisissent du problème.
L’amende n’a pas de sens à une étape du parcours où il faudrait regagner l’adhésion des parents qui se sentent inutiles. On sait que la désistance peut prendre plus de temps pour certains jeunes hommes – on parle avant tout ici de jeunes hommes.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). J’ajouterai à ce que vient de dire fort justement Elsa Faucillon que l’amende civile est dévoyée par cet article. On peut même parler d’abus de droit puisqu’il contrevient au principe selon lequel l’amende civile sanctionne celui ayant commis l'acte répréhensible.
Les juges pour enfants ne réclament pas une mesure qui risque d’accroître encore la distance avec la famille. La chaîne éducative dans son ensemble a toujours une ambition de protection et d’éducation, y compris lorsque la justice prononce une sanction. L’amende va creuser le fossé qui sépare parfois les services de justice et les familles.
Par ailleurs, il y a des cas dans lesquels les parents ne peuvent pas venir aux audiences ou aux auditions : parce qu’ils ont d’autres enfants, parce qu’ils travaillent, parce que leur emploi du temps est compliqué. Le fait de leur coller une amende n’y changera rien.
Il faut réfléchir à la totalité de la chaîne éducative, s'interroger sur les moyens que l’on ne donne plus à l’aide sociale à l’enfance (ASE), à la protection judiciaire de la jeunesse, ou aux enseignants – aucun d’entre eux ne dira que tout va bien, qu’ils sont remplacés lorsqu’ils sont absents. Ces défaillances participent aussi des difficultés puisque certains enfants sont parfois livrés à eux-mêmes.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Aucune étude n’étaye le constat de l’absence fréquente des parents aux audiences. Nous examinons un article qui ne repose sur aucune réalité. La seule évaluation empirique dont nous disposons est celle des professionnels et ils estiment que le phénomène est très marginal.
Ayant eu l’occasion de superviser la contractualisation pour des mesures d’action éducative en milieu ouvert (AEMO), je peux vous assurer que je n’ai jamais été confronté à l’absence délibérée de parents. Il est préférable de faire confiance aux juges en la matière.
Je le répète, on aura plus de chances de convaincre les parents en essayant de susciter leur adhésion qu’en leur imposant une sanction financière, dont ils pourront difficilement s'acquitter. Il est démontré que le succès des mesures d’assistance éducative dépend de l’adhésion des personnes concernées. Il convient donc de réfléchir aux moyens financiers et humains d’accompagner les parents défaillants qui ne seraient pas en mesure de suivre les audiences. C’est ce que la justice réclame.
M. Jean Terlier, rapporteur. Madame Faucillon, vous évoquez le cas de condamnations pénales. Or l’article concerne les mesures d’assistance éducative. Je vous rejoins sur la nécessité d'établir une relation de confiance entre professionnels et parents ainsi que de recueillir l’adhésion de ces derniers, ce qui n’est évidemment pas possible s’ils sont absents.
Il est vrai que dans la très grande majorité des cas – cela a été souligné lors des auditions –, les parents sont présents. Il n’en demeure pas moins que certains refusent d’assister aux audiences, lesquelles, je le rappelle, peuvent avoir des conséquences très graves pour l'exercice de l'autorité parentale. Il peut en effet y être décidé d’un droit de visite du parent en présence de tiers ou d’un placement, par exemple.
Le juge conservera la latitude de prononcer ou non l’amende à l’encontre du parent absent en tenant compte de son état de fortune et de la gravité des absences. Si le parent a un motif légitime de ne pas être présent, il n’encourra évidemment pas l’amende civile.
Les cas visés par l’article sont peut-être rares mais ils existent. La mention sur la convocation de l’amende encourue en cas d’absence peut inciter les parents à participer à l’audience et faciliter leur adhésion aux mesures envisagées. Avis défavorable.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Notre discussion illustre la faiblesse de votre proposition de loi. L’article 1er concerne le pénal, tandis que l’article 2 porte sur les mesures d’assistance éducative – on parle d'enfants en bas âge qui sont en danger. À force de mélanger les choux et les carottes, on ne s'y retrouve plus.
Rappelons que 99 % des enfants suivis au titre de l’assistance éducative ne comparaîtront jamais devant un tribunal. Ce sont des mineurs en danger et la plupart du temps, ce sont les parents qui saisissent eux-mêmes le juge des enfants. Les parents sont présents aux audiences dans 99,9 % des cas car il y est question du placement de l'enfant soit chez l'un des deux parents, soit à l’aide sociale à l’enfance, ce qui les réjouit rarement. On ne parle pas d’enfants délinquants.
Je suis choquée du recours à l’amende civile. Non seulement elle est très rarement prononcée par les juridictions mais surtout elle vise à sanctionner les manœuvres dilatoires d’un justiciable qui se moque de la justice.
Encore une fois, vous vous en prenez aux parents, c’est à la fois inefficace et inadapté. Je souhaite rendre hommage à tous les professionnels de l'enfance qui interviennent en matière d'assistance éducative.
M. Jean Terlier, rapporteur. Notre volonté est bien de responsabiliser les parents défaillants et, je le regrette, il en existe. Nous faisons confiance au juge pour apprécier, eu égard à la situation, l’opportunité de prononcer l’amende civile ou non.
Vous semblez nier le lien éminent entre enfance en danger et enfance délinquante. Je l’ai dit en introduction, un tiers des mineurs suivis par la protection de l'enfance font, à un moment de leur parcours, l'objet de poursuites pénales.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL1 de M. Jiovanny William
Mme Colette Capdevielle (SOC). L’amendement vise à autoriser les parents qui ne peuvent pas être présents à se faire représenter par un avocat.
M. Jean Terlier, rapporteur. L’amendement est satisfait car les parents ont déjà la possibilité de se faire représenter. Je vous demande donc de le retirer.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Les parents peuvent se faire assister mais pas représenter, ce qui n’est pas du tout pareil.
M. Jean Terlier, rapporteur. Je vous propose de le retirer afin de vérifier ce point.
L’amendement est retiré.
Amendement CL14 de Mme Estelle Youssouffa
Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’amendement, qui a vocation à s’appliquer uniquement à Mayotte, vise à obliger au moins l’un des parents à déférer aux comparutions immédiates de son enfant mineur. La rédaction actuelle impliquant les deux parents ne correspond pas à la réalité sociologique et familiale à Mayotte, compte tenu du grand nombre de familles monoparentales.
M. Jean Terlier, rapporteur. Demande de retrait car votre amendement concerne les comparutions immédiates visées à l’article 4.
L’amendement est retiré.
Amendements CL64 de Mme Martine Froger et CL79 de M. Philippe Latombe (discussion commune)
Mme Martine Froger (LIOT). L’amendement CL64 tend à substituer à l’amende civile, qui est complètement inadaptée, un stage de responsabilité parentale. Il s’agit d’accompagner les parents au lieu de les sanctionner.
Mme Blandine Brocard (Dem). L’amendement CL79 vise à corriger la disproportion entre l'amende pénale et l'amende civile.
En matière pénale, les parents qui ne répondent pas aux convocations du juge ou d'une juridiction pour mineurs peuvent être condamnés à une amende de 3 750 euros et à un stage de responsabilité parentale. En matière civile, le juge des tutelles peut condamner les parents à une amende civile qui ne peut excéder 10 000 euros.
Il est donc proposé d’aligner le montant de l’amende civile prévue à l'article 2 sur celui de la sanction pénale, soit 3 000 euros au plus.
M. Jean Terlier, rapporteur. Je demande le retrait des deux amendements.
S’agissant du premier, le stage de responsabilité parentale est une peine applicable dans le domaine pénal uniquement.
Quant au second, la loi fixe le principe de l’amende mais il est de tradition de renvoyer au code de procédure civile le soin fixer le montant de ladite amende. Il ne me semble pas opportun d’y déroger.
Les amendements sont retirés.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL94 de M. Jean Terlier, rapporteur.
Amendement CL80 de M. Philippe Latombe
Mme Blandine Brocard (Dem). Il s’agit de préciser que le juge des enfants doit porter une attention particulière à la situation socio-économique des parents avant de les condamner à une amende civile.
M. Jean Terlier, rapporteur. Je partage la préoccupation de l’amendement. Le juge devra évidemment prendre en considération la situation des parents et des enfants. Cependant, il n’est pas souhaitable d’inscrire ce seul critère d’appréciation dans la loi, il y en a bien d’autres. Laissons de la souplesse au juge pour juger de la pertinence de l’amende.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL95 et CL96 de M. Jean Terlier, rapporteur.
Elle adopte l’article 2 modifié.
La séance est levée à 20 heures.
————
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Marie-José Allemand, M. Pouria Amirshahi, Mme Brigitte Barèges, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Ian Boucard, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, Mme Julie Delpech, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Moerani Frébault, Mme Martine Froger, M. Yoann Gillet, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. Sébastien Huyghe, Mme Eliane Kremer, M. Antoine Léaument, M. Olivier Marleix, Mme Élisa Martin, M. Bryan Masson, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Marc Pena, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, Mme Violette Spillebout, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Caroline Yadan
Assistaient également à la réunion. - M. Fabien Di Filippo, M. Sacha Houlié, Mme Sylvie Josserand, Mme Alexandra Martin, Mme Estelle Youssouffa